[2,1d] 4. Méléandre depuis quelque temps semblait se faire un plaisir de venir dans cette ville, comme s'il n'y eût été attiré que par la beauté d'un si charment séjour, ou par le plaisir de la chasse qu'il aimait passionnément. La garnison y était composée de soldats fidèles ; sous différentes raisons il faisait tenir dans ce port plusieurs galères, pour éviter au moins par la fuite les derniers malheurs que lui aurait préparé une fortune contraire. Il avait fait transporter dans cette forteresse, sans qu'on s'en apperçut, tous les trésors des rois ses prédécesseurs ; il y avait fait renfermer quantité de pierreries, plusieurs branches de corail qu'on avait tirées de la mer voisine, des étoffes de pourpre de différents pays et qui malgré le temps avaient conservé leurs couleurs vives et brillantes, des vases d'or et d'argent, dont quelques-uns plus modernes étaient d'un travail achevé, les autres, quoique plus grossiers, n'étaient pas moins estimés par leur antiquité. Il ne s'y trouvait pas beaucoup d'argent monnayé, le trésor du roi ayant été presque épuisé par les libéralités qu'il avait faites auparavant ; il commençait à les retrancher dans ces nouvelles conjonctures. 5. Méléandre ne déclara son dessein qu'à Argénis, il lui découvrit l'intention qu'il avait de se venger des insultes d'un rebelle ; que s'il pouvait, sous le prétexte de quelque affaire importante rassembler Licogène et les principaux chefs de son parti, qui s'étaient déjà partagés, il les ferait sur le champ arrêter pour les punir comme ils le méritaient, qu'Épeircté était un endroit propre pour exécuter ce dessein, qu'on y pouvait en même temps commander sur terre et sur mer. Peut-être, dit-il, ma sévérité fera-t-elle rentrer dans le devoir des personnes qui ne m'offensent que par le trop de confiance qu'elles ont en mes bontés. Si la guerre vient à se rallumer, et que l'événement ne réponde pas à mes justes intentions, mon parti est pris, je quitte cette terre ingrate, je monte sur mes vaisseaux et me retire avec vous en Afrique ; nous y trouverons un asile sûr. Peut-être enfin les Dieux apaisés auront-ils pitié ou de mon âge déja avancé ou de vos tendres années, qui méritaient, ce semble, un sort plus heureux. Réduit à ce dernier malheur, je laisserai à Eurimède la seule ville d'Épeircté, il la défendra jusqu'à l'extrême avec nos meilleurs soldats et nous serions, ma chère Argénis, durant tous ces troubles, assez vengés de la Sicile, qui se verra déchirée par la haine et la discorde des factieux. Le peuple, désabusé par sa funeste expérience, pour lors nous rendra justice et saura mettre de la différence entre un souverain légitime et un rebelle. Les factieux ne s'accorderont jamais dans le partage de mes dépouilles, ils ne se déclareront pas tous pour Licogène. Combien parmi eux ne veulent que me voir livré à quelque disgrâce et craignent ma chute entière ! Animés les uns contre les autres, plusieurs jetteront les yeux sur nous ; nous devrons peut-être notre retour à ceux mêmes dont l'insolence nous avait chassés. Pour vous, Argénis, retirez-vous dans cette forteresse ; je prévois qu'il faudra songer incessamment à attaquer et à se défendre, surtout faites attention d'admettre dans votre confidence aucune de vos femmes dont la discrétion et l'attachement ne vous soient bien connus. C'est assez, ma fille, que la trahison se déclare de la part des hommes. 6. Argénis satisfaite de voir enfin le roi s'armer de résolution, profita de ces heureux moments, pour l'exciter à tenter la fortune par une nouvelle guerre; elle lui dit que sa première attention avait toujours été de ne rien confier à aucune de ses femmes, qu'elle ne l'eut éprouvée. Mais à peine eut elle quitté le roi, qu'occupée de ses dernières paroles, elle songea quelle pouvait être celle dont il paraissait avoir quelque défiance ; elle va trouver Sélénisse, qu'elle ne pouvait soupçonner, ignorant que ce fut elle qui par jalousie contre Timoclée, avait empoisonné l'esprit du roi. La gouvernante remplie d'artifice, malgré la joie qu'elle ressentait intérieurement du succès de son entreprise, feignit d'être étonnée des soupçons de Méléandre, elle affecta même de rechercher qui avait pu donner au roi de pareils préjugés.