[0] PLAIDOYER SUR LA SUCCESSION D’APOLLODORE. [1] S'il y a des adoptions qui puissent être contestées, juges, ce n'est pas celle que l'adoptant a faite lui-même, étant vivant et dans son bon sens, quand il a conduit l'adopté aux cérémonies de la religion, qu'il l’a présenté aux membres de son genos, et qu'il l’a fait inscrire dans les registres des communautés, ayant accompli lui-même toutes les formalités prescrites; c'est plutôt lorsqu'un homme, sur le point de mourir a laissé par testament sa fortune à un autre, pour le cas où il lui arriverait malheur, et a déposé l'acte écrit chez un tiers, après l'avoir scellé. 2. Dans le premier cas, l'adoptant a rendu publiques ses intentions, il a donné à l'acte sa perfection, ainsi que les lois l'y autorisaient. Au contraire celui qui a disposé par testament scellé a tenu sa volonté secrète ; aussi arrive-t-il souvent que le testament est argué de faux et l'adoption contestée. Mais dans l'espèce, il semble que toutes les précautions prises ne servent de rien. En effet, tout s'est passé publiquement, et néanmoins mes adversaires viennent, au nom de la fille d'Eupolis, me disputer les biens d'Apollodore. 3. Si je vous voyais, juges, plus disposés à admettre les protestations que les actions directes, j'aurais produit des témoins déclarant qu'il n'y a pas lieu à adjudication de la succession, par cette raison qu'Apollodore m'a adopté pour fils, aux termes des lois. Mais comme on peut aussi faire valoir son droit de l'autre manière, je viens discuter les faits devant vous-mêmes, pour qu'on ne puisse pas me faire le reproche de n'avoir pas voulu introduire une action directe. 4. Je vous montrerai d'abord que si Apollodore n'a pas laissé sa succession à ses plus proches parents, c'est qu'il avait eu à se plaindre d'eux pour des raisons nombreuses et graves; je vous montrerai ensuite qu'il m'a adopté régulièrement, moi fils de son frère, et que nous lui avions rendu de grands services. Je vous adresse à tous, juges, une seule et même prière. Accordez-moi votre bienveillance et, si je vous prouve que ces hommes se jettent sur cette succession comme sur une proie à dévorer, soyez-moi en aide et faites-moi droit. Je ferai ma plaidoirie aussi brève que possible, en vous exposant les faits tels qu'ils se sont passés, depuis le commencement. 5. Eupolis, Thrasylle et Mnéson, juges, étaient frères de mère et de père. Leur père leur laissa une grande fortune en sorte que chacun d'eux fut appelé d'après le cens à fournir les liturgies. Ces trois frères la partagèrent entre eux. Deux moururent à peu près en même temps, Mnéson à Athènes, ne laissant ni femme ni enfant, Thrasylle servant parmi les triérarques envoyés en Sicile, laissant un fils, Apollodore, qui m'a adopté. [6] Eupolis resté seul des trois ne voulut pas se contenter de la jouissance d'une simple part; il s'empara de toute la succession de Mnéson, dont la moitié revenait à Apollodore, disant que son frère la lui avait léguée, et il administra si bien le patrimoine d'Apollodore dont il était tuteur qu'il fut condamné par jugement à lui restituer trois talents. 7. Ce fut Archédamos mon grand-père qui, ayant épousé la mère d'Apollodore, ma grand' mère, voyant cet enfant dépouillé de tous ses biens, l'éleva comme s'il eût été son propre fils, et le reçut chez lui en même temps que la mère. Quand l'enfant fut parvenu à l'âge d'homme, Archédamos l'aida à soutenir le procès, et recouvra la moitié des biens laissés par Mnéson, ainsi que tous les biens dissipés par le tuteur, Eupolis, contre lequel il obtint deux condamnations; c'est ainsi qu'Apollodore rentra dans tous se biens. 8. Aussi Eupolis et Apollodore furent constamment et pendant toute leur vie ennemis l'un de l'autre au contraire mon grand-père Archédamos et Apollodore furent amis, comme de raison. La meilleure preuve que l'on puisse trouver des services rendus à Apollodore est dans ceux qu'il rendit en retour à ses bienfaiteurs. Mon grand-père ayant eu des malheurs et se trouvant prisonnier à l'ennemi, Apollodore s'empressa d'apporter de l'argent pour la rançon et de se donna lui-même en otage jusqu'à ce que mon grand-père se fût procuré toute la somme nécessaire. 9. De riche qu'il était, mon grand-père devint pauvre. Apollodore fit ménage commun et partagea tout avec lui. Au moment de partir pour l'expédition de Corinthe, il fit un testament pour le cas où il lui arriverait malheur, et légua ses biens à la fille de mon grand-père, qui était ma mère et sa sœur, la donnant elle-même en mariage à Lacratide, celui qui est maintenant devenu hiérophante. Tel se montra Apollodore envers nous qui l'avions sauvé depuis le commencement. 10. Pour prouver que je dis vrai, qu'il obtint deux jugements contre Eupolis, l'un sur l'action de tutelle, l'autre sur la moitié de la succession de Mnéson, avec l'assistance de mon grand-père qui porta la parole pour lui, qu'il recouvra ses biens grâce à nous, et qu'il nous a rendu en récompense les services dont je viens de parler, je veux sur ce premier point vous produire les témoins. Appelle-les ici. [11] TEMOINS. Vous voyez quels services nous lui avons rendus, combien nombreux et importants. Quant aux haines venant de l'autre côté, elles s'étaient formées à l'occasion d'une si grosse fortune qu'il n'est pas possible de dire que la paix ait été faite ni qu'on soit redevenu bons amis. Il y a de cela de graves indices. Eupolis avait deux filles. Il était issu des mêmes parents qu'Apollodore, il le voyait possesseur d'une belle fortune, et il ne lui a donné aucune de ses deux filles. 12. Cependant les alliances par mariage apaisent d'ordinaire les grands différends, non seulement entre parents, mais entre toutes personnes, quand on se confie réciproquement ce qu'on a de plus cher au monde. Soit donc qu'Eupolis n'ait pas voulu donner sa fille, soit qu'Apollodore n'ait pas eu le désir de la recevoir, le fait même, quelle qu'en soit la cause, montre que les haines ont subsisté. 13. Je crois qu'en ce qui concerne leurs différends, les explications que je viens de donner suffisent. Ceux d'entre vous qui sont parvenus à un certain âge se rappellent, je le sais, que ces hommes ont plaidé l'un contre l'autre. L'importance des procès, le chiffre des condamnations obtenues par Archédamos ont fait assez de bruit. Je dis maintenant qu'il m'a adopté pour fils, lui-même, de son vivant, qu'il m'a transmis la propriété de ses biens, enfin qu'il m'a fait inscrire parmi les membres du genos et de la phratrie. C'est sur ce point, juges, que j'appelle en ce moment votre attention. 14. Apollodore avait un fils dont il faisait l'éducation et qu'il entourait de ses soins, comme de raison. Tant que vécut ce fils, il espérait en faire l'héritier de sa fortune. Ce fils étant mort de maladie, l'année dernière, au mois de Mémactérion, Apollodore, accablé par cet événement et préoccupé de son grand âge, n'oublia pas ceux qui depuis le commencement l’avaient bien servi. Il vint trouver ma mère qui était sa sœur, et pour laquelle il avait le plus grand attachement, exprima sa résolution de me prendre pour fils, demanda la chose et l'obtint. 15. Il était tellement décidé à faire vite qu'il m'emmena avec lui en se retirant, et me remit le maniement de tout ce qui lui appartenait, disant qu'il ne pouvait plus s'occuper de rien, tandis que moi je serais capable de tout faire. Comme on était au jour des Thargélies, il me conduisit aux autels, parmi les membres du genos et de la phratrie. [16] Les uns et les autres observent la même règle ? qu'un homme présente un enfant né de lui ou adopté, il doit prêter un serment en mettant la main sur les chairs des victimes, déclarant que l'enfant présenté a pour mère une femme athénienne et que sa naissance est légitime. Peu importe que cet enfant soit son fils par naissance ou par adoption. En ce dernier cas, les autres membres n'en procèdent pas moins à un vote et, s'il est favorable, alors, mais alors seulement, l’inscription a lieu sur le registre de la communauté. Vous voyez quelles précautions minutieuses sont prescrites par leurs statuts. 17. Le règlement étant tel, les membres de la phratrie et du genos acceptant la déclaration d'Apollodore et n'ignorant pas que j'étais le fils de sa sœur, inscrivirent mon nom dans le registre de la communauté, par un vote unanime, après qu'Apollodore eut prêté serment en touchant les chairs des victimes. C'est ainsi que je fus adopté par lui, de son vivant, el inscrit dans le registre de la communauté sous le nom de Thrasylle, fils d'Apollodore, ce dernier m'ayant adopté de la façon que je viens de dire, comme les lois lui en donnaient le droit. Pour prouver que je dis vrai, prends les témoignages. TÉMOIGNAGES. 18. Voilà, juges, les témoins que vous croirez le plus volontiers, je n'en doute pas. Vous croirez aussi les parents qui sont au même degré que mes adversaires et dont l'attitude prouve de la manière la plus éclatante qu'Apollodore a procédé régulièrement et suivant les lois. Eupolis a laissé deux filles, celle qui plaide en ce moment contre moi, et qui a épousé Pronape, et une autre qui eut pour mari Eschine de Lousia. Celle-ci est morte laissant un fils déjà parvenu à l'âge d'homme, Thrasybule. 19. Or, il y a une loi ainsi conçue ? « Si un frère de père meurt sans enfants et sans testament, la sœur succède au même rang que le fils d'une autre sœur, et chacun des deux reçoit une part égale ». Mes adversaires eux-mêmes n'ignorent pas cela. C'est ce qui résulte avec évidence de leurs actes mêmes. En effet, le fils d'Eupolis, Apollodore, étant mort sans enfants, Thrasybule a pris la moitié de la succession qui s'élevait bien à cinq talents. 20. Ainsi, quand il s'agit des biens du père ou du frère la loi leur donne droit à des parts égales, mais quand il s'agit de la succession d'un cousin ou d'une personne plus éloignée dans la parenté, il n'y a plus égalité. La loi attribue la proximité aux mâles, avant les femmes. Elle dit en effet ? « les mâles et les descendants par les mâles seront préférés, pourvu qu'ils aient le même auteur {que le défunt}, alors même qu'ils seraient à un degré plus éloigné ». Ainsi cette femme n’avait pas même droit à une part, et Thrasybule avait droit à tout, en supposant qu'il ne tînt pas mon adoption pour valable. [21] Eh bien! Thrasybule, dès le commencement, n'a jamais rien réclamé contre moi. Aujourd'hui même il n'a intenté aucune action. Il reconnaît au contraire que tout est régulier. Mais eux, ils ont osé réclamer le tout au nom de cette femme. Voilà jusqu'où va leur audace. Prends donc les lois au mépris desquelles ils ont fait cela, et lis. LOI. Les mâles et les descendants par les mâles seront préférés pourvu qu'ils aient le même auteur que le défunt, alors même qu'ils seraient à un degré plus éloigné. 22. Ici la sœur et le fils de la sœur prennent chacun une part égale, suivant la loi. Prends maintenant celle-ci et donnes-en lecture. LOI. {S'il n'y a ni frères ni descendants de frères, les sœurs et leurs descendants hériteront suivant les mêmes règles.} S'il n'y a ni cousins ni enfants de cousins, ni personnel de la famille du père, ni aucun parent, en ce cas la loi donne les biens aux parents par la mère en réglant l'ordre des préférences. Prends donc encore cette loi, et lis. LOI. {S'il n'y a pas de parents du côté du père jusqu'au degré d'enfants de cousins, les parents du côté de la mère auront les biens suivant les mêmes règles.} 23. Contrairement à cette disposition des lois, l'un, qui était un homme, n'a même pas eu une part; les autres, qui plaidaient pour une femme, ont eu tout. Ce comble d'impudence ne leur coûte rien. Ils oseront tout pour arriver à leurs fins et voici ce qu'ils disent. Selon eux, ils ont droit à toute la succession parce que Thrasybule a été donné en adoption dans la maison d'Hippolochide, ce qui est vrai, mais non la conclusion qu'ils en tirent. 24. En quoi en effet, cette circonstance pouvait-elle porter atteinte à la parenté de Thrasybule? Ce n'est pas du chef de son père, c'est du chef de sa mère qu'il a pris une part dans la succession d'Apollodore (fils d'Eupolis). Il pouvait donc, sur le fondement de cette parenté, réclamer aussi la succession dont s'agit, et par préférence à cette femme, en supposant qu'à ses yeux on n'eût pas procédé régulièrement. 25. Mais il n'est pas impudent, lui. L'enfant donné en adoption ne devient pas étranger à sa mère. Il a toujours la même mère, qu'il reste dans la maison paternelle, ou qu'il soit donné en adoption. C'est pourquoi il n'a pas été privé de sa part dans les biens d'Apollodore (fils d'Eupolis), pourquoi il a pris la moitié de la succession après avoir partagé avec cette femme (l'épouse de Pronape). Pour prouver que je dis vrai appelle les témoins de ces faits. [26] TÉMOINS. Ainsi ce ne sont pas seulement les membres du genos et de la phratrie qui ont été témoins de mon adoption, c'est encore Thrasybule qui en ne contestant pas a montré par là même qu'à ses yeux tout ce qu'a fait Apollodore est valable et conforme aux lois. Autrement il ne se serait pas abstenu de réclamer une fortune aussi importante. Mais il y a eu encore d'autres témoins. 27. Avant mon retour de la députation envoyée à Delphes, Apollodore a déclaré à l'assemblée du dème qu'il m'avait adopté pour fils, qu'il m'avait fait inscrire au genos et à la phratrie, et qu'il avait disposé de sa fortune en ma faveur. Il demanda que s'il lui arrivait malheur je fusse inscrit sur le registre du dème sous le nom de Thrasylle, fils d'Apollodore, et non autrement. 28. Vainement mes adversaires s'opposèrent et prétendirent dans l'assemblée électorale que l'adoption n'avait pas eu lieu, les gens du dème entendirent les témoignages et jugeant tant sur les dépositions que sur leurs souvenirs personnels, ils m'inscrivirent comme Apollodore l'avait demandé, après avoir prêté serment en touchant les chairs des victimes. Tant le fait de mon adoption était évident pour eux! Pour prouver que je dis vrai, appelle les témoins de ces faits. TÉMOINS. 29. Vous voyez, juges, combien mon adoption a eu de témoins, quelle était la vieille haine d'Apollodore contre mes adversaires, et quelles étaient au contraire son amitié, sa bienveillance extraordinaire à notre égard. Mais au surplus, en supposant même qu'il n'y eût réellement rien de semblable, ni haine contre eux ni amitié pour nous, jamais Apollodore ne leur eût laissé cette succession. C'est ce qu'il m'est facile de vous prouver. 30. Quand on est sur le point de mourir, on prend d'ordinaire ses précautions pour ne pas laisser sa maison déserte, pour qu'il y ait quelqu'un qui accomplisse le sacrifice funèbre et toutes les cérémonies accoutumées. On peut mourir sans enfants, mais au moins on laisse un fils adoptif. Et non seulement les particuliers le veulent ainsi, mais l'État lui-même l'exige dans l'intérêt public. Une loi enjoint à l'archonte de prendre des mesures pour que les maisons ne deviennent pas désertes. [31] Or, Apollodore (fils de Thrasylle) était bien convaincu que s'il laissait sa succession à ces hommes, sa maison serait bientôt déserte. Il voyait les sœurs dont je vous ai parlé, détenir la succession de leur frère Apollodore (fils d'Eupolis), sans lui avoir donné un fils adoptif, quoiqu'elles eussent des enfants; il voyait leurs maris ayant réalisé le domaine laissé par cet Apollodore, et des biens valant cinq talents, pour partager ensuite l'argent entre eux, il voyait enfin cette maison honteusement et misérablement déserte. 32. Et voyant comment leur frère avait été traité, comment aurait-il pu s'attendre à ce que ces hommes, accomplissent pour lui-même, tout ami qu'il fût, les cérémonies accoutumées, pour lui qui était seulement le cousin et non le frère de ces femmes? Assurément il ne pouvait espérer cela. Pour prouver qu'elles ont vu avec indifférence leur frère resté seul sans enfants, qu'elles sont en possession de ses biens et qu'elles ont ainsi anéanti une maison où la fortune apparente suffisait pour faire face aux triérarchies, appelle encore les témoins de ces faits. TÉMOINS. 33. Du moment où ils étaient ainsi disposés les uns à l'égard des autres, du moment où ces hommes avaient des haines si grandes contre Apollodore, mon père adoptif, Apollodore pouvait-il mieux faire que de prendre le parti qu'il a mis à exécution? Fallait-il qu'il adoptât un enfant pris chez un ami, et qu'il lui donnât sa fortune? Mais ni le père ni la mère de cet enfant n'auraient pu deviner, tant qu'il aurait été en bas-âge, s'il serait appliqué ou bon à rien. 34. Tandis que moi, il me connaissait par expérience, m'ayant assez vu à l'épreuve. Il savait parfaitement, en effet, quel j'étais à l'égard de mon père et de ma mère, combien attentif à l’égard de ma famille, et sachant conduire mes propres affaires; il avait vu clairement, quand j'étais en fonctions comme thesmothète, que je n'avais été ni injuste ni cupide. Ce n'est donc pas par ignorance, c'est en pleine connaissance de cause qu'il m'a fait maître de ses biens. 35. Je n'étais pas un étranger, j'étais le fils de sa sœur, nous lui avions fait du bien ; que dis-je? nous l'avions comblé; je n'étais pas non plus dépourvu du sentiment de l'honneur au point de dissiper follement les biens, comme ces gens ont fait pour les biens, de la succession (de leur frère); j'étais résolu à servir comme triérarque, à porter les armes, à dresser des chœurs, en un mot à faire tout ce que vous me demanderiez, comme l'était Apollodore. [36] Si donc j'étais ce que je vous dis, parent, ami, bienfaiteur, sensible à l'honneur, et trouvé bon à l'épreuve, qui pourrait contester mon adoption comme n'étant pas l'œuvre d'un homme dans son bon sens? J'ai déjà fait tout au moins une des choses qu'Apollodore attendait de moi ; j'ai été gymnasiarque pour les fêtes de Prométhée, cette année même, et avec honneur, comme le savent tous les hommes de ma tribu. Pour prouver que je dis vrai, appelle les témoins de ces faits. TÉMOINS. 37. Tels sont nos droits, juges, et voilà pourquoi nous nous prétendons bien fondés à recueillir cette succession. Nous vous prions de nous venir en aide à cause d'Apollodore et à cause de son père. En effet, vous verrez qu'ils n'ont pas été des citoyens inutiles, que personne au contraire n'a été plus ardent à vous servir de toutes ses forces. 38. Le père d'Apollodore n'a pas seulement fourni toutes les liturgies; il a servi sans interruption comme triérarque, en équipant un navire, non pas avec l’aide d'une symmorie, comme on le fait aujourd'hui, mais à ses frais, non pas comme second, mais à lui seul, non pas avec des congés de deux ans, mais constamment, non pas par manière d'acquit, mais en n'épargnant aucun effort pour mettre toutes choses dans le meilleur état. En récompense vous lui avez décerné des honneurs, vous rappelant ce qu'il avait fait, et vous avez ensuite sauvé de la ruine son fils dépouillé de ses biens, en forçant les usurpateurs à les lui rendre. 39. Quant à Apollodore il n'a pas fait comme Pronape, il n'a pas déclaré un taux de fortune insignifiant. Il s'est proposé aux fonctions publiques comme payant le cens exigé pour la cavalerie. Il ne cherchait pas à s'approprier le bien d'autrui par la violence et ne se croyait pas dispensé de vous aider; loin de là, toute sa fortune était apparente, rien de dissimulé ; toujours empressé à vous obéir quand vous lui donneriez un ordre, il s'efforçait de vivre honorablement de son revenu, sans faire tort à personne, se croyant obligé de dépenser peu pour lui-même et de garder le reste en réserve pour la ville, afin qu'elle fût en état de suffire à ses dépenses. 40. Aussi quelle liturgie n'a-t-il pas complètement exécutée? quelle contribution n'a-t-il pas apportée un des premiers? Qu'a-t-il omis de ce que les convenances lui imposaient? N'a-t-il pas dressé un chœur d'enfants et obtenu le prix? Il y a d'ailleurs un monument de son zèle, c'est le trépied qu'il a érigé. Quel est donc le devoir d'un citoyen honnête? Quand d'autres ont tâché de s'enrichir injustement par la violence, ne doit-il pas s'abstenir d'en faire autant et se borner à conserver ce qu'il a? Quand la ville a besoin d'argent, ne doit-il pas lui en apporter un des premiers, ne rien dissimuler de sa fortune? [41] Voilà ce qu'était Apollodore. Aussi a-t-il bien mérité que vous lui fassiez cette grâce de donner votre sanction aux dispositions qu'il a faites de ses biens. Moi-même, autant que mon âge le permet, vous ne trouverez en moi ni un mauvais citoyen, ni un inutile. J'ai pris part aux expéditions entreprises par cette ville, je fais ce qui m'est commandé. C'est le rôle des hommes de mon âge. 42. Aussi feriez-vous justice en nous accordant votre protection, en considération des hommes dont je viens de parler, alors surtout que mes adversaires ont anéanti une maison où il y avait une fortune de cinq talents, supportant les triérarchies, qu'ils l'ont aliénée et rendue déserte, tandis que nous, nous avons déjà supporté les liturgies et nous les supporterons encore, si vous donnez votre sanction aux dispositions d'Apollodore, en nous rendant cette succession. 43. Mais vous pourriez penser que je vous fais perdre votre temps en vous parlant de toutes ces choses. Aussi je veux vous résumer tout en peu de mots, et je descendrai d'ici après vous avoir montré ce qui vous est demandé d'un côté et de l'autre. Ma mère, à moi, était la sœur d'Apollodore ; l'amitié entre eux était grande, jamais il n'y avait eu de querelle; et moi fils de son frère, adopté par lui de son vivant, sans qu'il eût cessé d'être dans son bon sens, inscrit parmi les membres du genos et de la phratrie, je demande à posséder ce qui m'a été donné, je ne veux pas qu'il soit permis à mes adversaires de rendre déserte la maison d'Apollodore. Que veut au contraire Pronape au nom de la demanderesse. 44. Il veut garder les biens du frère de sa femme, à concurrence de la moitié de la succession, soit cinq demi-talents, il veut en outre recueillir toute la succession dont il s'agit aujourd'hui, alors que sa femme est animée par d'autres, préférables par leur rang de proximité alors qu'il n'a pas donné d'enfant en adoption au premier Apollodore, dont la maison est aujourd'hui déserte, alors qu'il ne créa pas davantage un fils adoptif au second, dont la maison, si on l'écoutait, serait aujourd'hui déserte, tant était grande la haine qui existait entre eux et qui n'a jamais été apaisée depuis, par aucune transaction. 45. Voilà ce que vous devez considérer, juges ; souvenez- vous que je suis le fils du frère d’Apollodore, tandis que cette femme n'est que la cousine du défunt; songez qu'elle prétend avoir deux successions, tandis que moi je réclame seulement celle en vue de laquelle j'ai été adopté; enfin qu'elle n'avait aucune affection pour celui qui a laissé cette succession, tandis que mon grand-père et moi avions été pour lui des bienfaiteurs. Considérez tout cela et après avoir bien délibéré en vous-mêmes, donnez votre vote pour ce qui est juste. Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus. Je pense que vous avez présent à l'esprit tout ce que j'ai dit.