Saint Irenee de Lyon - Livre 1 Irénée de Lyon Contre les Hérésies Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur LIVRE I PREFACE Rejetant la vérité, certains introduisent des discours mensongers et « des généalogies sans fin, plus propres à susciter des questions», comme le dit l'Apôtre, «qu'à bâtir l'édifice de Dieu fondé sur la foi ». Par une vraisemblance frauduleusement agencée, ils séduisent l'esprit des ignorants et les réduisent à leur merci, falsifiant les paroles du Seigneur et se faisant les mauvais interprètes de ce qui a été bien exprimé. Ils causent ainsi la ruine d'un grand nombre, en les détournant, sous prétexte de «gnose», de Celui qui a constitué et ordonné cet univers : comme s'ils pouvaient montrer quelque chose de plus élevé et de plus grand que le Dieu qui a fait le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment ! De façon spécieuse, par l'art des discours, ils attirent d'abord les simples à la manie des recherches ; après quoi, sans plus se soucier de vraisemblance, ils perdent ces malheureux, en inculquant des pensées blasphématoires et impies à l'endroit de leur Créateur à des gens incapables de discerner le faux du vrai. L'erreur, en effet, n'a garde de se montrer telle qu'elle est, de peur que, ainsi mise à nu, elle ne soit reconnue; mais, s'ornant frauduleusement d'un vêtement de vraisemblance, elle fait en sorte de paraître — chose ridicule à dire — plus vraie que la vérité elle-même, grâce à cette apparence extérieure, aux yeux des ignorants. Comme le disait, à propos de ces gens-là, un homme supérieur à nous : « La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la fraude. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? » Or nous ne voulons pas que, par notre faute, certains soient emportés par ces ravisseurs comme des brebis par des loups, trompés qu'ils sont par les peaux de brebis dont ils se couvrent, eux dont le Seigneur nous a commandé de nous garder, eux qui parlent comme nous, mais pensent autrement que nous. C'est pourquoi, après avoir lu les commentaires des « disciples » de Valentin — c'est le titre qu'ils se donnent —, après avoir aussi rencontré certains d'entre eux et avoir pénétré à fond leur doctrine, nous avons jugé nécessaire de te manifester, cher ami, leurs prodigieux et profonds mystères, que « tous ne comprennent pas», parce que tous n'ont pas craché leur cerveau. Ainsi informé de ces doctrines, tu les feras connaître à ton tour à tous ceux qui sont avec toi et tu engageras ceux-ci à se garder de l'« abîme » de la déraison et du blasphème contre Dieu. Autant qu'il sera en notre pouvoir, nous rapporterons brièvement et clairement la doctrine de ceux qui enseignent l'erreur en ce moment même — nous voulons parler de Ptolémée et des gens de son entourage, dont la doctrine est la fleur de l'école de Valentin —, et nous fournirons, selon nos modestes possibilités, les moyens de les réfuter, en montrant que leurs dires sont absurdes, inconsistants et en désaccord avec la vérité. Ce n'est pas que nous ayons l'habitude de composer ou que nous soyons exercé dans l'art des discours ; mais la charité nous presse de te manifester, à toi et à tous ceux qui sont avec toi, leurs enseignements tenus soigneusement cachés jusqu'ici et venus enfin au jour par la grâce de Dieu : « car il n'est rien de caché qui ne doive être révélé, rien de secret qui ne doive être connue ». Tu n'exigeras de nous, qui vivons chez les Celtes et qui, la plupart du temps, traitons nos affaires en dialecte barbare, ni l'art des discours, que nous n'avons pas appris, ni l'habileté de l'écrivain, dans laquelle nous ne nous sommes pas exercé, ni l'élégance des termes ni l'art de persuader, que nous ignorons ; mais ce qu'en toute simplicité, vérité et candeur nous t'avons écrit avec amour, tu le recevras avec le même amour, et tu le développeras toi-même pour ton compte, car tu en es plus que nous capable : après l'avoir reçu de nous comme des « semences », comme de simples « commencements », tu feras abondamment « fructifier » dans l'étendue de ton esprit ce qu'en peu de mots nous t'avons exprimé et tu présenteras avec force à ceux qui sont avec toi ce que, bien insuffisamment, nous t'avons fait connaître. Et de même que, pour répondre à ton désir déjà ancien de connaître leurs doctrines, nous avons mis tout notre zèle, non seulement à te les manifester, mais encore à te fournir le moyen d'en prouver la fausseté, ainsi toi-même tu mettras tout ton zèle à servir autrui selon la grâce qui t'a été donnée par le Seigneur, pour que dorénavant les hommes ne se laissent plus entraîner par la doctrine captieuse de ces gens-là. Cette doctrine, la voici donc. PREMIERE PARTIE EXPOSÉ DE LA DOCTRINE DE PTOLÉMÉE 1. CONSTITUTION DU PLÉRÔME Genèse des trente Bons Il existait, disent-ils, dans les hauteurs invisibles et innommables, un Bon parfait, antérieur à tout. Cet Éon, ils l'appellent Pro-Principe, Pro-Père et Abîme. Incompréhensible et invisible, éternel et inengendré, il fut en profond repos et tranquillité durant une infinité de siècles. Avec lui coexistait la Pensée, qu'ils appellent encore Grâce et Silence. Or, un jour, cet Abîme eut la pensée d'émettre, à partir de lui-même, un Principe de toutes choses ; cette émission dont il avait eu la pensée, il la déposa, à la manière d'une semence, au sein de sa compagne Silence. Au reçu de cette semence, celle-ci devint enceinte et enfanta Intellect, semblable et égal à celui qui l'avait émis, seul capable aussi de comprendre la grandeur du Père. Cet Intellect, ils l'appellent encore Monogène, Père et Principe de toutes choses. Avec lui fut émise Vérité. Telle est la primitive et fondamentale Tétrade pythagoricienne, qu'ils nomment aussi Racine de toutes choses. C'est : Abîme et Silence, puis Intellect et Vérité. Or ce Monogène, ayant pris conscience de ce en vue de quoi il avait été émis, émit à son tour Logos et Vie, Père de tous ceux qui viendraient après lui, Principe et Formation de tout le Plérôme. De Logos et de Vie furent émis à leur tour, selon la syzygie , Homme et Eglise. Et voilà la fondamentale Ogdoade, Racine et Substance de toutes choses, qui est appelée chez eux de quatre noms : Abîme, Intellect, Logos et Homme. Chacun de ceux-ci est en effet mâle et femelle : d'abord le Pro-Père s'est uni, selon la syzygie, à sa Pensée, qu'ils appellent aussi Grâce et Silence ; puis le Monogène, autrement dit l'Intellect, à la Vérité ; puis le Logos, à la Vie ; enfin l'Homme, à l'Église. Or, tous ces Éons, émis en vue de la gloire du Père, voulant à leur tour glorifier le Père par quelque chose d'eux-mêmes, firent des émissions en syzygie. Logos et Vie, après avoir émis Homme et Église, émirent dix autres Éons, qui s'appellent, à ce qu'ils prétendent : Bythios et Mixis, Agèratos et Henôsis, Autophyès et Hèdonè, Akinètos et Syncrasis, Monogenès et Makaria. Ce sont là, disent-ils, les dix Éons émis par Logos et Vie. L'Homme, lui aussi, avec l'Église, émit douze Éons, qu'ils gratifient des noms suivants : Paraclètos et Pistis, Patrikos et Elpis, Mètrikos et Agapè, Aeinous et Synesis, Ekklèsiastikos et Makariotès, Thelètos et Sagesse. Exégèses gnostiques Tels sont les trente Éons de leur égarement, ces êtres enveloppés de silence, ces inconnus. Tel est leur Plérôme invisible et pneumatique avec sa division tripartite en Ogdoade, Décade et Dodécade. C'est pour cela, disent-ils, que le Sauveur — car ils refusent de lui donner le nom de Seigneur — a passé trente années sans rien faire en public, révélant par là le mystère de ces Eons. De même encore, disent-ils, la parabole des ouvriers envoyés à la vigne indique très clairement ces trente Eons. Car certains ouvriers sont envoyés vers la première heure, d'autres vers la troisième, d'autres vers la sixième, d'autres vers la neuvième, d'autres enfin vers la onzième. Or, additionnées ensemble, ces différentes heures donnent le total de trente :l+3 + 6 + 9 + 11 = 30. Ces heures, prétendent-ils, indiquent les Eons. Et voilà ces grands, ces admirables, ces secrets mystères, produit de leur propre « fructification», pour ne rien dire de toutes les autres paroles des Ecritures qu'ils ont pu adapter et accommoder à leur fiction. 2. PERTURBATION ET RESTAURATION DU PLÉRÔME Passion de Sagesse et intervention de Limite Ainsi donc, à ce qu'ils disent, leur Pro-Père n'était connu que du seul Monogène ou Intellect issu de lui ; pour tous les autres Eons il était invisible et insaisissable. Seul, d'après eux, l'Intellect se délectait à voir le Père et se réjouissait de contempler sa grandeur sans mesure. Il méditait de faire part également aux autres Eons de la grandeur du Père, en leur révélant l'étendue de cette grandeur et en leur apprenant qu'il était sans principe, incompréhensible et insaisissable pour la vue. Mais Silence l'en retint, par la volonté du Père, car elle voulait amener tous les Eons à la pensée et au désir de la recherche de leur Pro-Père susdit. C'est ainsi que les Eons désiraient semblablement, d'un désir plus ou moins paisible, voir le Principe émetteur de leur semence et explorer la Racine sans principe. Mais le dernier et le plus jeune Éon de la Dodécade émise par l'Homme et l'Eglise, c'est-à-dire Sagesse, bondit violemment et subit une passion en dehors de l'étreinte de son conjoint Thelètos. Cette passion avait pris naissance aux alentours de l'Intellect et de la Vérité, mais elle se concentra en cet Eon, qui en fut altéré : sous couvert d'amour, c'était de la témérité, parce qu'il n'était pas, comme l'Intellect, uni au Père parfait. Cette passion consista en une recherche du Père, car il voulut, comme ils disent, comprendre la grandeur de ce Père ; mais comme il ne le pouvait, du fait même qu'il s'attaquait à l'impossible, il se trouva dans un état de lutte d'une extrême violence, à cause de la grandeur de l'Abîme, de l'inaccessibilité du Père et de son amour pour lui. Comme il s'étendait toujours plus vers l'avant, il allait finalement être englouti par la douceur du Père et se dissoudre dans l'universelle Substance, s'il n'avait rencontré la Puissance qui consolide les Eons et les garde hors de la Grandeur inexprimable. A cette Puissance ils donnent le nom de Limite. Par elle, donc, l'Eon en question fut retenu et consolidé; ayant fait à grand peine retour à lui-même et persuadé désormais que le Père est incompréhensible, il déposa, sous le coup de l'admiration, son Enthymésis antérieure avec la passion survenue en celle-ci. Certains parmi les hérétiques imaginent plutôt de la façon suivante la passion et la conversion de Sagesse. Pour avoir entrepris une tâche impossible et irréalisable, elle enfanta, disent-ils, une substance informe, telle que pouvait en enfanter une femme. L'ayant considérée, elle s'attrista d'abord à cause du caractère inachevé de son enfantement, puis elle craignit que ce fruit même ne vînt à disparaître; elle fut alors comme hors d'elle-même et remplie d'angoisse, cherchant la cause de l'événement et la manière dont elle pourrait cacher ce qui était né d'elle. Après avoir été plongée dans ces passions, elle accéda à la conversion et tenta de revenir vers le Père ; mais, au bout d'un court effort, elle défaillit et supplia le Père ; à sa prière se joignirent les autres Éons, principalement l'Intellect. C'est de tout cela, disent-ils, que tire sa première origine la substance de la matière, à savoir de l'ignorance, de la tristesse, de la crainte et de la stupeur. Le Père alors, par l'intermédiaire du Monogène, émit en surplus la Limite dont nous avons déjà parlé; il l'émit à sa propre image, c'est-à-dire sans couple, sans compagne. Car ils veulent tantôt que le Père ait Silence pour compagne, tantôt qu'il soit au-dessus de la distinction de mâle et de femelle. A cette Limite ils donnent aussi les noms de Croix, de Rédempteur, d'Emancipateur, de Délimitateur et de Guide. C'est par cette Limite, disent-ils, que Sagesse fut purifiée, consolidée et réintégrée dans sa syzygie. Car, lorsqu'eut été séparée d'elle son Enthymésis avec la passion survenue en celle-ci, elle-même demeura à l'intérieur du Plérôme; mais son Enthymésis, avec la passion qui lui était inhérente, fut séparée, «crucifiée» et expulsée du Plérôme par Limite. Cette Enthymésis était une substance pneumatique, puisque c'était l'élan naturel d'un Éon, mais c'était une substance sans forme ni figure, car Sagesse n'avait rien saisi; c'est pourquoi ils disent que cette substance était un «fruit faible et féminin». Emission du Christ, de l'Esprit Saint et du Sauveur Après que cette Enthymésis eut été bannie du Plérôme des Eons et que la mère de celle-ci eut été réintégrée dans sa syzygie, le Monogène émit encore un autre couple, conformément à la providence du Père, afin qu'aucun des Eons ne subisse désormais une passion semblable : ce sont Christ et Esprit Saint, émis en vue de la fixation et de la consolidation du Plérôme. C'est par eux, disent-ils, que furent remis en ordre les Eons. Le Christ, en effet, leur enseigna la nature de la syzygie et publia au milieu d'eux la connaissance du Père, en leur révélant que celui-ci est incompréhensible et insaisissable et que personne ne peut le voir ni l'entendre, sinon à travers le seul Monogène ; la cause de la permanence éternelle des Eons est ce qu'il y a d'incompréhensible dans le Père, et la cause de leur naissance et de leur formation est ce qu'il y a de compréhensible en lui, c'est-à-dire le Fils. Voilà ce que le Christ nouvellement émis effectua en eux. Quant à l'Esprit Saint, après avoir égalisé tous les Eons, il leur enseigna à rendre grâces et introduisit le vrai repos. Et c'est ainsi, disent-ils, que les Eons furent établis dans l'égalité de forme et de pensée, devenant tous des Intellects, tous des Logos, tous des Hommes, tous des Christs ; et de même pour les Eons féminins, tous des Vérités, des Vies, des Esprits, des Eglises. Là-dessus, consolidés et en parfait repos, les Eons, disent-ils, chantèrent avec une grande joie un hymne au Pro-Père, tout en prenant part à une immense réjouissance. Et pour ce bienfait, dans une unique volonté et une unique pensée de tout le Plérôme des Éons, avec l'assentiment du Christ et de l'Esprit et la ratification du Père, chacun des Éons apporta et mit en commun ce qu'il avait en lui de plus exquis et comme la fleur de sa substance ; tressant le tout harmonieusement en une parfaite unité, ils firent, en l'honneur et à la gloire de l'Abîme, une émission qui est la toute parfaite beauté et comme l'étoile du Plérôme : c'est le Fruit parfait, Jésus, qui s'appelle aussi Sauveur, et encore Christ et Logos, du nom de ses pères, et aussi Tout, car il provient de tous. En même temps, en l'honneur des Eons, furent émis pour lui des gardes du corps, qui sont des Anges de même race que lui. Exégèses gnostiques Telles sont donc : la production qu'ils disent avoir été effectuée au dedans du Plérôme ; la mésaventure de cet Éon qui tomba en passion et faillit périr, comme dans une vaste matière, à cause de sa recherche du Père ; l'assemblage hexagonal de celui qui est à la fois Limite, Croix, Rédempteur, Emancipateur, Délimitateur et Guide; la naissance, postérieure à celle des Eons, du premier Christ et de l'Esprit Saint émis par le Père à la suite de son repentir ; enfin la fabrication, par une mise en commun de cotisations, du second Christ, qu'ils appellent aussi le Sauveur. Tout cela, sans doute, n'a pas été dit en clair dans les Écritures, parce que « tous ne comprennent pas » leur gnose, mais cela a été indiqué en mystère par le Sauveur, au moyen de paraboles, à l'intention de ceux qui sont capables de comprendre. Ainsi les trente Eons ont été indiqués, comme nous l'avons déjà dit, par les trente années durant lesquelles le Sauveur n'a rien fait en public, ainsi que par la parabole des ouvriers de la vigne. Paul, également, à les en croire, nomme manifestement et à maintes reprises les Eons ; il garde même leur hiérarchie, lorsqu'il dit : «... dans toutes les générations du siècle des siècles ». Nous-mêmes enfin, lorsque nous disons au cours de l'eucharistie : « dans les siècles des siècles », nous faisons allusion à ces Eons. Partout où se rencontrent les mots « siècle » ou « siècles », ils veulent qu'il y soit question des Eons. L'émission de la Dodécade d'Eons est indiquée par le fait qu'à douze ans le Seigneur a discuté avec les docteurs de la Loi, comme aussi par le choix des apôtres, car ceux-ci furent au nombre de douze. Quant aux dix-huit autres Eons, ils sont manifestés par le fait que le Seigneur, après sa résurrection d'entre les morts, a vécu durant dix-huit mois — c'est du moins ce qu'ils disent — avec ses disciples. Les deux premières lettres du nom de Jésus, à savoir iota (= 10) et êta (= 8), indiquent aussi clairement les dix-huit Eons. De même les dix Eons sont signifiés, disent-ils, par la lettre iota (= 10), qui est la première de son nom. Et c'est pour ce motif que le Sauveur a dit : « Pas un seul iota ni un seul petit trait ne passera, que tout n'ait eu lieu. » La passion survenue dans le douzième Eon est signifiée, disent-ils, par l'apostasie de Judas, qui était le douzième des apôtres, et par le fait que le Seigneur souffrit sa Passion le douzième mois : car ils veulent qu'il ait prêché durant une seule année après son baptême. Ce mystère est encore clairement manifesté dans l'épisode de l'hémorroïsse. C'est en effet après douze années de souffrances qu'elle fut guérie par la venue du Sauveur, après avoir touché la frange de son vêtement, et c'est pourquoi le Sauveur dit : « Qui m'a touché ? », enseignant par là à ses disciples le mystère survenu parmi les Eons et la guérison de l'Eon tombé en passion...Car celle qui souffrit ainsi douze ans, c'était cette Puissance-là : elle s'étendait et sa substance s'écoulait dans l'infini, comme ils disent ; et si elle n'avait touché le vêtement du Fils, c'est-à-dire la Vérité appartenant à la première Tétrade et signifiée par la frange du vêtement, elle se fût dissoute dans l'universelle Substance; mais elle s'arrêta et se dégagea de sa passion : car la Vertu sortie du Fils — laquelle serait Limite, à ce qu'ils prétendent — guérit Sagesse et sépara d'elle la passion. Que le Sauveur, qui est issu de tous, soit le Tout, c'est, disent-ils, ce que montre la parole : « Tout mâle ouvrant le sein... ». Etant le Tout, ce Sauveur ouvrit le sein de l'Enthymésis de l'Éon tombé en passion, lorsqu'elle eut été bannie du Plérôme. Cette Enthymésis, ils l'appellent encore Seconde Ogdoade, et nous en parlerons un peu plus loin. Paul lui aussi, d'après eux, a manifestement en vue ce mystère, lorsqu'il dit : « Il est toutes choses » ; et encore : « Toutes choses sont pour lui, et de lui viennent toutes choses » ; et encore : « En lui habite toute la plénitude de la divinité. » La parole « récapituler toutes choses dans le Christ » est également interprétée par eux de cette manière, ainsi que toutes les autres paroles semblables. De même encore, à propos de leur Limite, qu'ils appellent aussi de plusieurs autres noms, ils exposent qu'elle a deux activités, l'une qui consolide, l'autre qui sépare : en tant qu'elle consolide et affermit, elle est Croix ; en tant qu'elle sépare et délimite, elle est Limite. Le Sauveur, disent-ils, a indiqué ces activités de la manière suivante : d'abord celle qui consolide, lorsqu'il a dit : « Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas ne peut être mon disciple », et encore: « Prenant ta croix, suis-moi »; ensuite celle qui délimite, lorsqu'il a dit : «Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » Jean, prétendent-ils, a indiqué cette même chose en disant : « Le van est dans sa main pour purifier son aire, et il rassemblera le froment dans son grenier; quant à la paille, il la brûlera dans un feu inextinguible. » Ce texte indique l'opération de Limite, car, d'après leur interprétation, le van n'est autre que cette Croix, qui consume tous les éléments hyliques comme le feu consume la paille, mais qui purifie les sauvés comme le van purifie le froment. L'apôtre Paul lui aussi, disent-ils, fait mention de cette Croix en ces termes : « Le Logos de la Croix est folie pour ceux qui périssent, mais, pour ceux qui sont sauvés, il est vertu de Dieu » ; et encore : « Pour moi, puis-je ne me glorifier en rien, si ce n'est dans la Croix du Christ, à travers laquelle le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde ! ». Voilà ce qu'ils disent au sujet de leur Plérôme et de la formation des Eons, faisant violence aux belles paroles des Ecritures pour les adaptera leurs scélérates inventions. Et ce n'est pas seulement des Évangiles et des écrits de l'Apôtre qu'ils s'efforcent de tirer leurs preuves, en dénaturant les interprétations et en faussant les exégèses, mais ils recourent aussi à la Loi et aux prophètes : comme il s'y rencontre nombre de paraboles et d'allégories susceptibles d'être tirées dans des sens multiples, ils accommodent l'ambiguïté de celles-ci à leur fiction au moyen d'exégèses habiles et artificieuses, et ils retiennent ainsi captifs loin de la vérité ceux qui ne gardent pas solidement leur foi en un seul Dieu Père tout-puissant et en un seul Jésus-Christ, Fils de Dieu. 3. AVATARS DU DÉCHET EXPULSÉ DU PLÉRÔME Passion et guérison d'Achamoth Voici maintenant les événements extérieurs au Plérôme tels qu'ils les présentent. Lorsque l'Enthymésis de la Sagesse d'en haut — Enthymésis qu'ils appellent aussi Achamoth — eut été séparée du Plérôme avec la passion qui lui était inhérente, elle bouillonna, disent-ils, dans les lieux de l'ombre et du vide : c'était inévitable, puisqu'elle était exclue de la lumière et du Plérôme, étant sans forme ni figure, à la manière d'un avorton, pour n'avoir rien saisi. Le Christ eut alors pitié d'elle. S'étendant sur la Croix, il forma Achamoth, par sa propre vertu, d'une formation selon la substance seulement, non d'une formation selon la gnose. Après cette opération, il remonta, en rassemblant en lui sa vertu, et abandonna Achamoth, afin que celle-ci, prenant conscience de la passion qui était en elle par suite de la séparation d'avec le Plérôme, aspirât aux réalités supérieures, ayant une certaine odeur d'incorruptibilité laissée en elle par le Christ et l'Esprit Saint. C'est d'ailleurs pourquoi elle porte ces deux noms : Sagesse, du nom de son père — car son père s'appelle Sagesse —, et Esprit Saint, du nom de l'Esprit qui était aux côtés du Christ. Ainsi formée et devenue consciente, mais vidée aussitôt du Logos — c'est-à-dire du Christ — qui l'assistait invisiblement, elle s'élança à la recherche de la Lumière qui l'avait abandonnée. Elle ne put toutefois la saisir, parce qu'elle en fut empêchée par Limite. C'est alors que Limite, en s'opposant à elle dans son élan vers l'avant, dit : « Iao ! » : c'est là, assurent-ils, l'origine du nom Iao. Ne pouvant donc franchir Limite, parce qu'elle était mêlée de passion, et se voyant abandonnée, seule, au dehors, elle fut accablée sous tous les éléments de cette passion qui était multiple et diverse : elle éprouva de la tristesse, pour n'avoir pas saisi la Lumière ; de la crainte, à la perspective de voir la vie lui échapper de la même manière que la Lumière; de l'angoisse, par-dessus cela ; et le tout, dans l'ignorance. A la différence de sa mère — la première Sagesse, qui était un Eon —, Achamoth, au milieu de ces passions, n'éprouva pas une simple altération, mais une opposition des contraires. Survint alors en elle une autre disposition, celle de la conversion vers celui qui l'avait vivifiée. C'est ainsi que s'expliquent, disent-ils, l'origine et l'essence de la matière dont est formé ce monde : de la conversion est issue toute l'âme du monde et du Démiurge, tandis que de la crainte et de la tristesse est dérivé tout le reste. En effet, des larmes d'Achamoth provient toute l'humide substance ; de son rire, la substance lumineuse ; de sa tristesse et de son saisissement, les éléments corporels du monde. Tantôt, en effet, elle pleurait et s'attristait, comme ils disent, de ce qu'elle avait été abandonnée, seule, dans les ténèbres et le vide ; tantôt, au souvenir de la Lumière qui l'avait abandonnée, elle se détendait et riait ; tantôt encore, elle était prise de crainte ; tantôt enfin, elle éprouvait angoisse et égarement. Eh quoi ! C'est un spectacle peu banal, en vérité, que celui de ces hommes expliquant pompeusement, chacun à sa façon, de quelle passion, de quel élément la matière tire son origine. Ces enseignements, ils ont bien raison, me semble-t-il, de ne pas vouloir les livrer à tout le monde au grand jour, mais seulement à ceux qui sont capables de fournir de substantielles rémunérations pour de si grands mystères. Car ces choses ne sont pas pareilles à celles dont notre Seigneur disait : « Vous avez reçu gratuitement, donnez aussi gratuitement » : ce sont des mystères écartés, prodigieux, profonds, découverts au prix d'un immense labeur par ces amis du mensonge. Qui donc ne dépenserait toute sa fortune pour apprendre que, des larmes de l'Enthymésis de l'Eon tombé en passion, les mers, les sources, les fleuves et toute la substance humide tirent leur origine ? que, de son rire, vient la lumière ? que, de son saisissement et de son angoisse, sont issus les éléments corporels du monde ? Mais j'entends contribuer aussi, pour ma part, à leur « fructification ». Car je vois que certaines eaux sont douces : sources, fleuves, pluies, etc. ; par contre, les eaux des mers sont salées. Je réfléchis que toutes ne peuvent venir des larmes d'Achamoth, puisque les larmes ont comme propriété d'être salées. Il est donc évident que les eaux salées sont celles qui proviennent des larmes. Mais il est probable qu'Achamoth, dans la lutte violente et l'angoisse où elle s'est trouvée, a dû suer également. D'où l'on doit supposer, en allant dans le sens de leur thèse, que les sources, les fleuves et toutes les autres eaux douces tirent leur origine de ces sueurs. Car il n'est pas vraisemblable, les larmes n'ayant qu'une seule propriété, que d'elles proviennent à la fois les eaux salées et les eaux douces ; il est plus vraisemblable que les unes proviennent des larmes, et les autres des sueurs. Mais ce n'est pas tout : comme il existe encore dans le monde des eaux chaudes et âcres, tu dois comprendre ce qu'elle a fait pour les émettre et de quel organe elles sont sorties. De tels « fruits » s'accordent tout à fait avec leur thèse. Lors donc que leur Mère fut ainsi passée par toutes les passions et qu'elle en eut émergé à grand-peine, elle se mit, disent-ils, à supplier la Lumière qui l'avait abandonnée, c'est-à-dire le Christ. Celui-ci, remonté au Plérôme, n'eut sans doute pas le courage de descendre une seconde fois. Il envoya vers elle le Paraclet, c'est-à-dire le Sauveur, tandis que le Père donnait à celui-ci toute vertu et livrait toutes choses en son pouvoir et que les Éons faisaient de même, afin que « sur lui fussent fondées toutes choses, visibles et invisibles, les Trônes, les Divinités, les Seigneuries ». Le Sauveur fut donc envoyé vers elle avec ses compagnons d'âge, les Anges. Saisie de crainte en sa présence, Achamoth, disent-ils, se couvrit d'abord d'un voile, par révérence ; puis, l'ayant regardé, lui et toute sa fructification, elle accourut vers lui et reçut de son apparition une vertu. Il la forma alors d'une formation selon la gnose et effectua la guérison de ses passions. Il les sépara d'elle, mais ne put les négliger, car il n'était pas possible de les faire disparaître comme celles de la première Sagesse, du fait qu'elles étaient déjà habituelles et vigoureuses. Il les mit donc à part, les mélangea et les fit coaguler ; de passion incorporelle qu'elles étaient, il les changea en matière incorporelle ; puis il produisit en elle des propriétés et une nature, pour leur permettre de former des combinaisons et des corps, en sorte qu'il y eût deux substances, à savoir la mauvaise, qui est issue des passions, et celle provenant de la conversion, qui est mêlée de passion : c'est à cause de tout cela qu'ils disent que le Sauveur a fait, d'une manière virtuelle, œuvre de Démiurge. Quant à Achamoth, dégagée de sa passion, elle conçut, de joie, la vision des Lumières qui étaient avec le Sauveur, c'est-à-dire des Anges qui l'accompagnaient ; devenue grosse à leur vue, elle enfanta, enseignent-ils, des « fruits » à l'image de ces Anges, autrement dit un enfantement pneumatique à la ressemblance des gardes du corps du Sauveur. Genèse du Démiurge Il existait donc dès lors trois éléments, d'après eux : l'élément provenant de la passion, c'est-à-dire la matière ; l'élément provenant de la conversion, c'est-à-dire le psychique ; enfin l'élément enfanté par Achamoth, c'est-à-dire le pneumatique. Achamoth se tourna alors vers la formation de ces éléments. Cependant elle n'avait pas le pouvoir de former l'élément pneumatique, puisque cet élément lui était consubstantiel. Elle se tourna donc vers la formation de la substance issue de sa conversion, c'est-à-dire de la substance psychique, et elle produisit au dehors les enseignements reçus du Sauveur. En premier lieu, disent-ils, elle forma, de cette substance psychique, celui qui est le Dieu, le Père et le Roi de tous les êtres, tant de ceux qui lui sont consubstantiels, c'est-à-dire des psychiques, qu'ils appellent la « droite », que de ceux qui sont issus de la passion et de la matière et qu'ils nomment la « gauche » : car, pour ce qui est de tous les êtres venus après lui, c'est lui, disent-ils, qui les a formés, mû à son insu par la Mère. C'est pourquoi ils l'appellent Mère-Père, Sans Père, Démiurge et Père ; ils le disent Père des êtres de droite, c'est-à-dire des psychiques, Démiurge des êtres de gauche, c'est-à-dire des hyliques, et Roi des uns et des autres. Car cette Enthymésis, disent-ils, ayant résolu de faire toutes choses en l'honneur des Eons, fit des images de ceux-ci, ou plutôt le Sauveur les fit par son entremise. Elle-même offrit l'image du Père invisible, du fait qu'elle n'était pas connue du Démiurge ; de son côté, le Démiurge offrit l'image du Fils Monogène, comme offrirent l'image des autres Eons les Archanges et les Anges faits par le Démiurge. Genèse de l'univers Le Démiurge, disent-ils, devint donc Père et Dieu des êtres extérieurs au Plérôme, puisqu'il était l'Auteur de tous les êtres psychiques et hyliques. Il sépara en effet l'une de l'autre ces deux substances qui se trouvaient mêlées ensemble et, d'incorporelles qu'elles étaient, il les fit corporelles ; il fabriqua alors les êtres célestes et les êtres terrestres et devint Démiurge des psychiques et des hyliques, de ceux de droite et de ceux de gauche, de ceux qui sont légers et de ceux qui sont lourds, de ceux qui se portent vers le haut et de ceux qui se portent vers le bas. Il disposa en effet sept Cieux, au-dessus desquels il se tient lui-même, à les en croire. C'est pourquoi ils l'appellent Hebdomade, tandis qu'ils donnent le nom d'Ogdoade à la Mère, c'est-à-dire à Achamoth, qui présente ainsi le nombre de la fondamentale et primitive Ogdoade, celle du Plérôme. Ces sept Cieux sont, selon eux, de nature intelligente : ce sont des Anges, enseignent-ils. Le Démiurge lui aussi est un Ange, mais semblable à un Dieu. De même le Paradis, situé au-dessus du troisième Ciel, est, disent-ils, le quatrième Archange par sa puissance, et Adam reçut quelque chose de lui, lorsqu'il y séjourna. Toutes ces créations, assurent-ils, le Démiurge s'imagina qu'il les produisait de lui-même, mais en réalité il ne faisait que réaliser les productions d'Achamoth. Il fit un ciel sans connaître de Ciel, modela un homme sans connaître l'Homme, fit apparaître une terre sans connaître la Terre, et ainsi pour toutes choses : il ignora, disent-ils, les modèles des êtres qu'il faisait. Il ignora jusqu'à la Mère elle-même : il s'imagina être tout à lui seul. La cause d'une telle présomption de sa part fut, disent-ils, la Mère, qui décida de le produire comme Tête et Principe de sa substance à lui et comme Seigneur de toute l'œuvre de fabrication. Cette Mère, ils l'appellent aussi Ogdoade, Sagesse, Terre, Jérusalem, Esprit Saint, ainsi que Seigneur au masculin. Elle occupe le lieu de l'Intermédiaire : elle est au-dessus du Démiurge, mais au-dessous et en dehors du Plérôme, du moins jusqu'à la consommation finale. La substance hylique est donc, selon eux, issue de trois passions : crainte, tristesse et angoisse. En premier lieu, de la crainte et de la conversion sont issus les êtres psychiques : de la conversion, prétendent-ils, le Démiurge tire son origine, tandis que de la crainte provient le reste de la substance psychique, à savoir les âmes des animaux sans raison, des bêtes fauves et des hommes. C'est pour ce motif que le Démiurge, trop faible pour connaître ce qui est pneumatique, se crut seul Dieu et dit par la bouche des prophètes : « C'est moi qui suis Dieu, et en dehors de moi il n'en est point d'autre. » En deuxième lieu, de la tristesse sont issus, enseignent-ils, les « esprits du mal » : c'est d'elle que tirent leur origine le Diable, qu'ils appellent aussi Maître du monde, les démons et toute la substance pneumatique du mal. Mais, disent-ils, tandis que le Démiurge est le fils psychique de leur Mère, le Maître du monde est la créature du Démiurge; néanmoins ce Maître du monde connaît ce qui est au-dessus de lui, parce qu'il est un « esprit » du mal, tandis que le Démiurge l'ignore, étant de nature psychique. Leur Mère réside dans le lieu supra-céleste, c'est-à-dire dans l'Intermédiaire ; le Démiurge réside dans le lieu céleste, c'est-à-dire dans l'Hebdomade ; quant au Maître du monde, il habite dans notre monde. En troisième lieu, du saisissement et de l'angoisse sont issus, comme de ce qu'il y avait de plus pesant, les éléments corporels du monde, ainsi que nous l'avons déjà dit : la fixité du saisissement a donné la terre ; le mouvement de la crainte a donné l'eau ; la coagulation de la tristesse a donné l'air ; quant au feu, il est implanté dans tous ces éléments comme leur mort et leur corruption, de même que l'ignorance, enseignent-ils, se trouvait cachée dans les trois passions. Genèse de l'homme Lorsque le Démiurge eut ainsi fabriqué le monde, il fit aussi l'homme choïque, qu'il tira, non de cette terre sèche, mais de la substance invisible, de la fluidité et de l'inconsistance de la matière. Dans cet homme, déclarent-ils, il insuffla ensuite l'homme psychique. Tel est l'homme qui fut fait « selon l'image et la ressemblance ». Selon l'image d'abord : c'est l'homme hylique, proche de Dieu, mais sans lui être consubstantiel. Selon la ressemblance ensuite : c'est l'homme psychique. De là vient que la substance de ce dernier est appelée « esprit de vie » car elle provient d'un écoulement spirituel. Puis, en dernier lieu, disent-ils, l'homme fut enveloppé de la « tunique de peau » : à les en croire, ce serait l'élément charnel perceptible par les sens. Quant à l'enfantement qu'avait produit leur Mère, c'est-à-dire Achamoth, en contemplant les Anges qui entouraient le Sauveur, il était consubstantiel à celle-ci, donc pneumatique : c'est pourquoi il resta, disent-ils, lui aussi, ignoré du Démiurge. Il fut déposé secrètement dans le Démiurge, à l'insu de celui-ci, afin d'être semé par son entremise dans l'âme qui proviendrait de lui, ainsi que dans le corps hylique : ainsi porté dans ces éléments comme dans une sorte de sein, il pourrait y prendre de la croissance et devenir prêt pour la réception du Logos parfait. Ainsi donc, comme ils disent, le Démiurge n'aperçut pas l'homme pneumatique semé par Sagesse à l'intérieur même de son souffle à lui par l'effet d'une puissance et d'une providence inexprimables. Comme il avait ignoré la Mère, il ignora la semence de celle-ci. Cette semence, disent-ils encore, c'est l'Eglise, figure de l'Eglise d'en haut. Tel est l'homme qu'ils prétendent exister en eux, de sorte qu'ils tiennent leur âme du Démiurge, leur corps du limon, leur enveloppe charnelle de la matière et leur homme pneumatique de leur Mère Achamoth. Mission du Sauveur dans le monde Il existe donc, disent-ils, trois éléments : l'un, hylique, qu'ils appellent aussi « de gauche », périra inéluctablement, incapable qu'il est de recevoir aucun souffle d'incorruptibilité ; l'autre, psychique, qu'ils nomment aussi « de droite », tenant le milieu entre le pneumatique et l'hylique, ira du côté où il aura penché ; quant à l'élément pneumatique, il a été envoyé afin que, conjoint ici-bas au psychique, il soit « formé » , étant instruit en même temps que ce psychique durant son séjour en lui. C'est cet élément pneumatique, prétendent-ils, qui est « le sel » et « la lumière du monde ». Il fallait aussi, en effet, pour l'élément psychique, des enseignements sensibles. C'est pour cette raison, disent-ils, que le monde a été constitué et que, d'autre part, le Sauveur est venu en aide à ce psychique, puisque celui-ci est doué de libre arbitre, afin de le sauver. Car il a pris, disent-ils, les prémices de ce qu'il devait sauver : d'Achamoth, il a reçu l'élément pneumatique ; par le Démiurge, il a été revêtu du Christ psychique ; enfin, du fait de l'« économie », il s'est vu entourer d'un corps ayant une substance psychique, mais organisé avec un art inexprimable de manière à être visible, palpable et passible ; quant à la substance hylique, il n'en a pas pris la moindre parcelle, disent-ils, car la matière n'est pas capable de salut. La consommation finale aura lieu lorsqu'aura été « formé » et rendu parfait par la gnose tout l'élément pneumatique, c'est-à-dire les hommes pneumatiques, ceux qui possèdent la gnose parfaite concernant Dieu et ont été initiés aux mystères d'Achamoth : ces hommes-là, ce sont eux-mêmes, assurent-ils. Par contre, ce sont des enseignements psychiques qu'ont reçus les hommes psychiques, ceux qui sont affermis par le moyen des œuvres et de la foi nue et qui n'ont pas la gnose parfaite : ces hommes-là, disent-ils, ce sont ceux qui appartiennent à l'Église, c'est-à-dire nous. C'est pourquoi, déclarent-ils, une bonne conduite est pour nous indispensable : sans quoi, point de possibilité de salut. Quant à eux, ce n'est pas par les œuvres, mais du fait de leur nature pneumatique, qu'ils seront absolument et de toute façon sauvés. De même que l'élément choïque ne peut avoir part au salut — car il n'a pas en lui, disent-ils, la capacité réceptive de ce salut —, de même l'élément pneumatique, qu'ils prétendent constituer, ne peut absolument pas subir la corruption, quelles que soient les œuvres en lesquelles ils se trouvent impliqués. Comme l'or, déposé dans la fange, ne perd pas son éclat mais garde sa nature, la fange étant incapable de nuire en rien à l'or, ainsi eux-mêmes, disent-ils, quelles que soient les œuvres hyliques où ils se trouvent mêlés, n'en éprouvent aucun dommage et ne perdent pas leur substance pneumatique. Aussi bien les plus « parfaits » d'entre eux commettent-ils impudemment toutes les actions défendues, celles dont les Ecritures affirment que « ceux qui les font ne posséderont point l'héritage du royaume de Dieu ». Ils mangent sans discernement les viandes offertes aux idoles, estimant n'être aucunement souillés par elles. Ils sont les premiers à se mêler à toutes les réjouissances auxquelles donnent lieu les fêtes païennes célébrées en l'honneur des idoles. Certains d'entre eux ne s'abstiennent pas même des spectacles sanguinaires, en horreur à Dieu et aux hommes, où des gladiateurs luttent contre des bêtes ou combattent entre eux. Il en est qui, se faisant jusqu'à la satiété les esclaves des plaisirs charnels, paient, comme ils disent, le tribut du charnel à ce qui est charnel et le tribut du pneumatique à ce qui est pneumatique. Les uns ont secrètement commerce avec les femmes qu'ils endoctrinent, comme l'ont fréquemment avoué, avec leurs autres erreurs, des femmes séduites par certains d'entre eux et revenues ensuite à l'Eglise de Dieu. D'autres, procédant ouvertement et sans la moindre pudeur, ont arraché à leurs maris, pour se les unir en mariage, les femmes dont ils s'étaient épris. D'autres encore, après des débuts pleins de gravité, où ils feignaient d'habiter avec des femmes comme avec des sœurs, ont vu, avec le temps, leur fraude éventée, la sœur étant devenue enceinte par le fait de son prétendu frère. Et alors qu'ils commettent beaucoup d'autres infamies et impiétés, nous, qui par crainte de Dieu nous gardons de pécher même en pensée ou en parole, nous nous voyons traiter par eux de gens simples et qui ne savent rien, cependant qu'ils s'exaltent eux-mêmes au delà de toute mesure, se décernant les titres de « parfaits » et de « semence d'élection ». Nous, à les en croire, nous n'avons reçu la grâce que pour un simple usage : c'est pourquoi elle nous sera ôtée. Mais eux, c'est en toute propriété qu'ils possèdent cette grâce qui est descendue d'en haut, de l'ineffable et innommable syzygie : aussi leur sera-t-elle ajoutée. Telle est la raison pour laquelle ils doivent sans cesse et de toute manière s'exercer au mystère de la syzygie. Et voici ce qu'ils font croire aux insensés, en leur disant en propres termes : « Quiconque est "dans le monde", s'il n'a pas aimé une femme de manière à s'unir à elle, n'est pas "de la Vérité" et ne passera pas dans la Vérité ; mais celui qui est "du monde", s'il s'est uni à une femme, ne passera pas davantage dans la Vérité, parce que c'est dans la concupiscence qu'il s'est uni à cette femme. » Pour nous donc, qu'ils appellent «psychiques» et qu'ils disent être «du monde», la continence et les œuvres bonnes sont nécessaires afin que nous puissions, grâce à elles, parvenir au lieu de l'Intermédiaire ; mais pour eux, qui se nomment « pneumatiques » et « parfaits », il n'en est pas question, car ce ne sont pas les œuvres qui introduisent dans le Plérôme, mais la semence, qui, envoyée de là-haut toute petite, se perfectionne ici-bas. Sort final des trois substances et précisions diverses Lors donc que toute la semence aura atteint sa perfection, Achamoth leur Mère quittera, disent-ils, le lieu de l'Intermédiaire et fera son entrée dans le Plérôme; elle recevra alors pour époux le Sauveur issu de tous les Eons, de sorte qu'il y aura syzygie du Sauveur et de Sagesse-Achamoth. Ce sont là l'« Epoux» et l'« Epouse», et la chambre nuptiale sera le Plérôme tout entier. Quant aux pneumatiques, ils se dépouilleront de leurs âmes et, devenus esprits de pure intelligence, ils entreront de façon insaisissable et invisible à l'intérieur du Plérôme, pour y être donnés à titre d'épouses aux Anges qui entourent le Sauveur. Le Démiurge changera de lieu, lui aussi : il passera dans celui de sa Mère Sagesse, c'est-à-dire dans l'Intermédiaire. Les âmes des «justes », elles aussi, auront leur repos dans le lieu de l'Intermédiaire, car rien de psychique n'ira à l'intérieur du Plérôme. Cela fait, le feu qui est caché dans le monde jaillira, s'enflammera et, détruisant toute la matière, sera consumé avec elle et s'en ira au néant. Le Démiurge, assurent-ils, n'a rien su de tout cela avant la venue du Sauveur. Il en est qui disent que le Démiurge a émis également un Christ en qualité de fils, mais un Christ psychique comme lui ; c'est de ce Christ qu'il a parlé par les prophètes ; c'est lui qui est passé à travers Marie, comme de l'eau à travers un tube, et c'est sur lui que, lors du baptême, est descendu sous forme de colombe le Sauveur appartenant au Plérôme et issu de tous les Eons ; en lui s'est encore trouvée la semence pneumatique issue d'Achamoth. C'est ainsi que, à les en croire, notre Seigneur a été composé de quatre éléments, conservant ainsi la figure de la fondamentale et primitive Tétrade : l'élément pneumatique, venant d'Achamoth; l'élément psychique, venant du Démiurge; l'élément de l'« économie», organisé avec un art inexprimable ; le Sauveur enfin, c'est-à-dire la colombe qui descendit sur lui. Ce Sauveur est demeuré impassible : il ne pouvait en effet souffrir, étant insaisissable et invisible. C'est pourquoi, tandis que le Christ était amené à Pilate, son Esprit, qui avait été déposé en lui, lui fut enlevé. Il y a plus : même la semence provenant de la Mère n'a pas souffert, disent-ils, car elle aussi était impassible, en tant que pneumatique et invisible au Démiurge lui-même. N'a donc souffert, en fin de compte, que leur prétendu Christ psychique et celui qui fut constitué par l'« économie» : ce double élément a souffert « en mystère », afin que, à travers lui, la Mère manifestât la figure du Christ d'en haut, qui s'étendit sur la Croix et qui forma Achamoth d'une formation selon la substance. Car, disent-ils, toutes les choses d'ici-bas sont les figures de celles de là-haut. Les âmes qui possédaient la semence venant d'Achamoth étaient, disent-ils, meilleures que les autres : c'est pourquoi le Démiurge les aimait davantage, ne sachant pas la raison de cette supériorité, mais s'imaginant qu'elles étaient telles grâce à lui. Aussi les mettait-il au rang des prophètes, des prêtres et des rois. Et beaucoup de paroles, expliquent-ils, furent dites par cette semence parlant par l'organe des prophètes, car elle était d'une nature plus élevée. Mais la Mère elle aussi en dit un grand nombre, prétendent-ils, concernant les choses d'en haut, et même il en est beaucoup qui vinrent par le Démiurge et par les âmes que fit celui-ci. C'est ainsi qu'en fin de compte ils découpent les prophéties, affirmant qu'une partie d'entre elles émane de la Mère, une autre, de la semence, une autre enfin, du Démiurge. De même encore pour Jésus : certaines paroles de lui viendraient du Sauveur, d'autres, de la Mère, d'autres enfin, du Démiurge, comme nous le montrerons dans la suite de notre exposé. Le Démiurge, qui ignorait les réalités situées au-dessus de lui, était bien remué par les paroles en question ; cependant il n'en fit aucun cas, leur attribuant tantôt une cause, tantôt une autre, soit l'esprit prophétique, qui a lui aussi son propre mouvement, soit l'homme, soit un mélange d'éléments inférieurs. Il demeura dans cette ignorance jusqu'à la venue du Sauveur. Lorsque vint le Sauveur, le Démiurge, disent-ils, apprit de lui toutes choses et, tout joyeux, se rallia à lui avec toute son armée. C'est lui le centurion de l'Evangile qui déclare au Sauveur : « Et moi aussi, j'ai sous mon pouvoir des soldats et des serviteurs ; et tout ce que je commande, ils le font. » Il accomplira l'« économie » qui concerne le monde, jusqu'au temps requis, à cause surtout de l'Eglise dont il a la charge, mais aussi à cause de la connaissance qu'il a de la récompense qui lui est préparée, à savoir son futur transfert dans le lieu de la Mère. Ils posent comme fondement trois races d'hommes : pneumatique, psychique et choïque, selon ce que furent Caïn, Abel et Seth : car, à partir de ces derniers, ils veulent établir l'existence des trois natures, non plus dans un seul individu, mais dans l'ensemble de la race humaine. L'élément choïque ira à la corruption. L'élément psychique, s'il choisit le meilleur, aura son repos dans le lieu de l'Intermédiaire; mais, s'il choisit le pire, il ira retrouver, lui aussi, ce à quoi il se sera rendu semblable. Quant aux éléments pneumatiques que sème Achamoth depuis l'origine jusqu'à maintenant dans des âmes «justes», après avoir été instruits et nourris ici-bas — car c'est tout petits qu'ils sont envoyés — et après avoir été ensuite jugés dignes de la «perfection», ils seront donnés à titre d'épouses, affirment-ils, aux Anges du Sauveur, cependant que leurs âmes iront de toute nécessité, dans l'Intermédiaire, prendre leur repos avec le Démiurge, éternellement. Les âmes elles-mêmes, disent-ils, se subdivisent en deux catégories : celles qui sont bonnes par nature et celles qui sont mauvaises par nature. Les âmes bonnes sont celles qui ont une capacité réceptive par rapport à la semence ; au contraire, celles qui sont mauvaises par nature ne peuvent en aucune façon recevoir cette semence. Exégèses gnostiques. Telle est leur doctrine, que ni les prophètes n'ont prêchée, ni le Seigneur n'a enseignée, ni les apôtres n'ont transmise, et dont ils se vantent d'avoir reçu la connaissance plus excellemment que tous les autres hommes. Tout en alléguant des textes étrangers aux Ecritures et tout en s'employant, comme on dit, à tresser des cordes avec du sable, ils ne s'en efforcent pas moins d'accommoder à leurs dires, d'une manière plausible, tantôt des paraboles du Seigneur, tantôt des oracles de prophètes, tantôt des paroles d'apôtres, afin que leur fiction ne paraisse pas dépourvue de témoignage. Ils bouleversent l'ordonnance et l'enchaînement des Ecritures et, autant qu'il dépend d'eux, ils disloquent les membres de la vérité. Ils transfèrent et transforment, et, en faisant une chose d'une autre, ils séduisent nombre d'hommes par le fantôme inconsistant qui résulte des paroles du Seigneur ainsi accommodées. Il en est comme de l'authentique portrait d'un roi qu'aurait réalisé avec grand soin un habile artiste au moyen d'une riche mosaïque. Pour effacer les traits de l'homme, quelqu'un bouleverse alors l'agencement des pierres, de façon à faire apparaître l'image, maladroitement dessinée, d'un chien ou d'un renard. Puis il déclare péremptoirement que c'est là l'authentique portrait du roi effectué par l'habile artiste. Il montre les pierres — celles-là mêmes que le premier artiste avait adroitement disposées pour dessiner les traits du roi, mais que le second vient de transformer vilainement en l'image d'un chien —, et, par l'éclat de ces pierres, il parvient à tromper les simples, c'est-à-dire ceux qui ignorent les traits du roi, et à les persuader que cette détestable image de renard est l'authentique portrait du roi. C'est exactement de la même façon que ces gens-là, après avoir cousu ensemble des contes de vieilles femmes, arrachent ensuite de-ci de-là des textes, des sentences, des paraboles, et prétendent accommoder à leurs fables les paroles de Dieu. Nous avons relevé déjà les passages scripturaires qu'ils accommodent aux événements survenus dans le Plérôme. Voici maintenant les textes qu'ils tentent d'appliquer aux événements survenus hors du Plérôme. Le Seigneur, disent-ils, vint à sa Passion dans les derniers temps du monde pour montrer la passion survenue dans le dernier des Eons et pour faire connaître, par sa fin à lui, quelle fut la fin de la production des Eons. La fillette de douze ans, fille du chef de la synagogue, que le Seigneur, debout près d'elle, éveilla d'entre les morts, était, expliquent-ils, la figure d'Achamoth, que leur Christ, étendu au-dessus d'elle, forma et amena à la conscience de la Lumière qui l'avait abandonnée. Que le Sauveur soit apparu à Achamoth tandis qu'elle était hors du Plérôme et encore à l'état d'avorton, Paul, disent-ils, l'affirme dans sa première épître aux Corinthiens par ces mots : « En tout dernier lieu, il s'est montré à moi aussi, comme à l'avorton. » Cette venue vers Achamoth du Sauveur escorté de ses compagnons d'âge est pareillement révélée par Paul dans cette même épître, lorsqu'il dit que «la femme doit avoir un voile sur la tête à cause des Anges ». Et que, au moment où le Sauveur venait vers elle, Achamoth se soit couverte d'un voile par révérence, Moïse l'a fait connaître en se couvrant la face d'un voile. Quant aux passions subies par Achamoth, le Seigneur, assurent-ils, les a manifestées. Ainsi, en disant sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?», il a fait connaître que Sagesse avait été abandonnée par la Lumière et arrêtée par Limite dans son élan vers l'avant ; il a fait connaître la tristesse de cette même Sagesse, en disant : « Mon âme est accablée de tristesse » ; sa crainte, en disant : « Père, si c'est possible, que la coupe passe loin de moi ! » ; son angoisse, de même, en disant : « Que dirai-je? Je ne le sais ». Le Seigneur, enseignent-ils, a fait connaître trois races d'hommes de la manière suivante. Il a indiqué la race hylique, lorsque, à celui qui lui disait : «Je te suivrai», il répondait : « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Il a désigné la race psychique, lorsque, à celui qui lui disait : «Je te suivrai, mais permets-moi d'aller d'abord faire mes adieux à ceux de ma maison », il répondait : « Quiconque, ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière n'est pas propre au royaume des cieux. » Cet homme, prétendent-ils, était de l'Intermédiaire. De même celui qui confessait avoir accompli les multiples devoirs de la «justice», mais qui refusa ensuite de suivre le Sauveur, vaincu par une richesse qui l'empêcha de devenir «parfait», celui-là aussi, disent-ils, faisait partie de la race psychique. Quant à la race pneumatique, le Seigneur l'a signifiée par ces paroles : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ; pour toi, va et annonce le royaume de Dieu», ainsi que par ces mots adressés à Zachée le publicain : « Hâte-toi de descendre, car il faut que je loge aujourd'hui dans ta maison.» Ces hommes, proclament-ils, appartenaient à la race pneumatique. Même la parabole du ferment qu'une femme est dite avoir caché dans trois mesures de farine désigne, selon eux, les trois races : la femme, enseignent-ils, c'est Sagesse; les trois mesures de farine sont les trois races d'hommes, pneumatique, psychique et choïque; quant au ferment, c'est le Sauveur lui-même. Paul, lui aussi, parle en termes précis de choïques, de psychiques et de pneumatiques. Il dit quelque part : « Tel fut le choïque, tels sont aussi les choïques. » Et ailleurs : « L'homme psychique ne reçoit pas les choses de l'Esprit. » Et ailleurs encore : « Le pneumatique juge de tout.» La phrase «Le psychique ne reçoit pas les choses de l'Esprit » vise, d'après eux, le Démiurge, lequel, étant psychique, ne connaît ni la Mère, qui est pneumatique, ni la semence de celle-ci, ni les Bons du Plérôme. Paul affirme encore que le Sauveur a assumé les prémices de ce qu'il allait sauver : « Si les prémices sont saintes, dit-il, la pâte l'est aussi ». Les prémices, enseignent-ils, c'est l'élément pneumatique ; la pâte, c'est nous, c'est-à-dire l'Eglise psychique ; cette pâte, disent-ils, le Sauveur l'a assumée et l'a soulevée avec lui, car il était le ferment. Qu'Achamoth se soit égarée hors du Plérôme, ait été formée par le Christ et cherchée par le Sauveur, c'est, disent-ils, ce que celui-ci a signifié en déclarant qu'il était venu vers la brebis égarée. Cette brebis égarée, expliquent-ils? c'est leur Mère, de laquelle ils veulent qu'ait été semée l'Eglise d'ici-bas ; l'égarement de cette brebis, c'est son séjour hors du Plérôme, au sein de toutes les passions d'où ils prétendent qu'est sortie la matière. Quant à la femme qui balaie sa maison et retrouve sa drachme, c'est, expliquent-ils, la Sagesse d'en haut, qui a perdu son Enthymésis, mais qui, plus tard, lorsque toutes choses auront été purifiées par la venue du Sauveur, la retrouvera : car, à les en croire, cette Enthymésis doit être rétablie un jour à l'intérieur du Plérôme. Siméon, qui reçut dans ses bras le Christ et rendit grâces à Dieu en disant : « Maintenant tu laisses ton serviteur s'en aller, ô Maître, selon ta parole, dans la paix», est, selon eux, la figure du Démiurge, qui, à la venue du Sauveur, apprit son changement de lieu et rendit grâces à l'Abîme. Quant à Anne la prophétesse, qui est présentée dans l'Évangile comme ayant vécu sept années avec son mari et ayant persévéré tout le reste du temps dans son veuvage, jusqu'au moment où elle vit le Sauveur, le reconnut et parla de lui à tout le monde, elle signifie manifestement Achamoth, qui, après avoir vu jadis durant un bref moment le Sauveur avec ses compagnons d'âge, demeure ensuite tout le reste du temps dans l'Intermédiaire, attendant qu'il revienne et l'établisse dans sa syzygie. Son nom a été indiqué par le Sauveur en cette parole : «La Sagesse a été justifiée par ses enfants», et par Paul en ces termes : « Nous parlons de Sagesse parmi les parfaits. » De même encore, les syzygies existant à l'intérieur du Plérôme, Paul les aurait fait connaître en manifestant l'une d'entre elles ; parlant en effet du mariage d'ici-bas, il dit : « Ce mystère est grand : je veux dire, en référence au Christ et à l'Eglise. » Ils enseignent encore que Jean, le disciple du Seigneur, a fait connaître la première Ogdoade. Voici leurs propres paroles. — Jean, le disciple du Seigneur, voulant exposer la genèse de toutes choses, c'est-à-dire la façon dont le Père a émis toutes choses, pose à la base un certain Principe, qui est le premier engendré de Dieu, celui qu'il appelle encore Fils et Dieu Monogène et en qui le Père a émis toutes choses de façon séminale. Par ce Principe, dit Jean, a été émis le Logos et, en lui, la substance entière des Eons, que le Logos a lui-même formée par la suite. Puisque Jean parle de la première genèse, c'est à juste titre qu'il commence son enseignement par le Principe ou Fils et par le Logos. Il s'exprime ainsi : « Dans le Principe était le Logos, et le Logos était tourné vers Dieu, et le Logos était Dieu ; ce Logos était dans le Principe, tourné vers Dieu. » D'abord il distingue trois ternies : Dieu, le Principe et le Logos ; ensuite il les unit. C'est afin de montrer, d'une part, l'émission de chacun des deux termes, à savoir le Fils et le Logos ; de l'autre, l'unité qu'ils ont entre eux en même temps qu'avec le Père. Car dans le Père et venant du Père est le Principe ; dans le Principe et venant du Principe est le Logos. Jean s'est donc parfaitement exprimé lorsqu'il a dit : « Dans le Principe était le Logos » : le Logos était en effet dans le Fils. « Et le Logos était tourné vers Dieu » : le Principe l'était en effet, lui aussi. « Et le Logos était Dieu » : simple conséquence, puisque ce qui est né de Dieu est Dieu. « Ce Logos était dans le Principe, tourné vers Dieu » : cette phrase révèle l'ordre de l'émission. « Toutes choses ont été faites par son entremise, et sans lui rien n'a été fait » : en effet, pour tous les Eons qui sont venus après lui, le Logos a été cause de formation et de naissance. Mais Jean poursuit : « Ce qui a été fait en lui est la Vie. » Par là, il indique une syzygie. Car toutes choses, dit-il, ont été faites par son entremise seulement, mais la Vie l'a été en lui. Celle-ci, qui a été faite en lui, lui est donc plus intime que ce qui n'a été fait que par son entremise : elle lui est unie et fructifie grâce à lui. Jean ajoute en effet : « Et la Vie était la Lumière des Hommes ». Ici, en disant «Hommes», il indique, sous ce même nom, l'Eglise, afin de bien montrer, par l'emploi d'un seul nom, la communion de syzygie : car de Logos et Vie proviennent Homme et Église. Jean appelle la Vie « la Lumière des Hommes », parce que ceux-ci ont été illuminés par elle, autrement dit formés et manifestés. C'est aussi ce que dit Paul : « Tout ce qui est manifesté est Lumière. » Puis donc que la Vie a manifesté et engendré l'Homme et l'Église, elle est appelée leur Lumière. Ainsi, par ces paroles, Jean a clairement montré, entre autres choses, la deuxième Tétrade : Logos et Vie, Homme et Église. Mais il a indiqué aussi la première Tétrade. Car, parlant du Sauveur et disant que tout ce qui est hors du Plérôme a été formé par lui, il dit du même coup que ce Sauveur est le fruit de tout le Plérôme. Il l'appelle en effet la Lumière, celle qui brille dans les ténèbres et qui n'a pas été saisie par elles, parce que, tout en harmonisant tous les produits de la passion, il est resté ignoré de ceux-ci. Ce Sauveur, Jean l'appelle encore Fils, Vérité, Vie, Logos qui s'est fait chair : nous avons vu sa gloire, dit-il, et sa gloire était telle qu'était celle du Monogène, celle qui avait été donnée par le Père à celui-ci, remplie de Grâce et de Vérité. Voici les paroles de Jean : « Et le Logos s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle que le Monogène tient du Père, remplie de Grâce et de Vérité. » C'est donc avec exactitude que Jean a indiqué aussi la première Tétrade : Père et Grâce, Monogène et Vérité. C'est ainsi qu'il a parlé de la première Ogdoade, Mère de tous les Eons : il a nommé le Père et la Grâce, le Monogène et la Vérité, le Logos et la Vie, l'Homme et l'Église. — Ainsi s'exprime Ptolémée. Tu vois donc, cher ami, à quels artifices ils recourent pour se duper eux-mêmes, malmenant les Écritures et s'efforçant de donner par elles de la consistance à leur fiction. C'est pourquoi j'ai rapporté leurs termes mêmes, pour que tu puisses constater la fourberie de leurs artifices et la perversité de leurs erreurs. Tout d'abord, en effet, si Jean s'était proposé d'indiquer l'Ogdoade d'en haut, il aurait conservé l'ordre des émissions : la première Tétrade étant la plus vénérable, comme ils disent, il l'aurait mise en place avec les premiers noms et lui aurait rattaché la seconde Tétrade, afin de faire voir par l'ordre des noms l'ordre des Éons de l'Ogdoade ; et ce n'est pas après un si long moment, comme s'il l'avait oubliée et s'en était ensuite ressouvenu, qu'il aurait, tout à la fin, mentionné la première Tétrade. En second lieu, s'il avait voulu signifier les syzygies, il n'aurait pas passé sous silence le nom de l'Eglise : en effet, ou bien il devait se ^contenter, dans les autres syzygies aussi, de nommer les Éons masculins, les Eons féminins pouvant être sous-entendus, et cela afin de garder parfaitement l'unité; ou bien, s'il passait en revue les compagnes des autres Éons, il devait indiquer aussi la compagne de l'Homme, au lieu de nous laisser deviner son nom. La fausseté de leur exégèse saute donc aux yeux. En fait, Jean proclame un seul Dieu tout-puissant et un seul Fils unique, le Christ Jésus, par l'entremise de qui tout a été fait ; c'est lui le Verbe de Dieu, lui le Fils unique, lui l'Auteur de toutes choses, lui la vraie Lumière éclairant tout homme, lui l'Auteur du cosmos ; c'est lui qui est venu dans son propre domaine, lui-même qui s'est fait chair et a habité parmi nous. Ces gens-là, au contraire, faussant par leurs arguties captieuses l'exégèse du texte, veulent que, selon l'émission, autre soit le Monogène, qu'ils appellent aussi le Principe, autre le Sauveur, autre encore le Logos, fils du Monogène, autre enfin le Christ, émis pour le redressement du Plérôme. Détournant chacune des paroles de l'Écriture de sa vraie signification et usant des noms d'une manière arbitraire, ils les ont transposés dans le sens de leur système, à telle enseigne que, d'après eux, dans un texte aussi considérable, Jean n'aurait même pas fait mention du Seigneur Jésus-Christ. Car, en mentionnant le Père et la Grâce, le Monogène et la Vérité, le Logos et la Vie, l'Homme et l'Église, Jean aurait, suivant leur système, mentionné simplement la première Ogdoade, en laquelle ne se trouve point encore Jésus, point encore le Christ, le Maître de Jean. En réalité, ce n'est point de leurs syzygies que parle l'Apôtre, mais de notre Seigneur Jésus-Christ, qu'il sait être le Verbe de Dieu. Et Jean lui-même nous montre qu'il en est bien ainsi. Revenant en effet à Celui dont il a dit plus haut qu'il était au commencement, c'est-à-dire au Verbe, il ajoute cette précision: « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. » Selon leur système, au contraire, ce n'est pas le Logos qui s'est fait chair, puisqu'il n'est même jamais sorti du Plérôme, mais bien le Sauveur, qui est issu de tous les Éons et est postérieur au Logos. Apprenez donc, insensés, que Jésus, qui a souffert pour nous? qui a habité parmi nous, ce Jésus même est le Verbe de Dieu. Si quelque autre parmi les Éons s'était fait chair pour notre salut, on pourrait admettre que l'Apôtre parle d'un autre ; mais si Celui qui est descendu et remonté est le Verbe du Père, le Fils unique du Dieu unique, incarné pour les hommes selon le bon plaisir du Père, alors Jean ne parle ni d'un autre ni d'une prétendue Ogdoade, mais bien du Seigneur Jésus-Christ. Car, d'après eux, le Logos ne s'est pas à proprement parler fait chair : le Sauveur, disent-ils, s'est revêtu d'un corps psychique provenant de l'« économie» et disposé par une providence inexprimable de façon à être visible et palpable. Mais, leur répondrons-nous, la chair est ce modelage de limon effectué par Dieu en Adam à l'origine, et c'est cette chair-là même que, au dire de Jean, le Verbe de Dieu est en toute vérité devenu. Et par là s'écroule leur primitive et fondamentale Ogdoade. Car, une fois prouvé que le Logos, le Monogène, la Vie, la Lumière, le Sauveur, le Christ et le Fils de Dieu sont un seul et même être, lequel précisément s'est incarné pour nous, c'en est fait de tout l'échafaudage de leur Ogdoade. Et, celle-ci réduite en miettes, c'est tout leur système qui s'effondre, ce songe vain pour la défense duquel ils malmènent les Écritures. Car, après avoir forgé de toutes pièces leur système, 9, 4. ils rassemblent ensuite des textes et des noms épars et, comme nous l'avons déjà dit, ils les font passer de leur signification naturelle à une signification qui leur est étrangère. Ils font comme ces auteurs qui se proposent le premier sujet venu, puis s'escriment à le traiter avec des vers qu'ils tirent des poèmes d'Homère. Les naïfs alors s'imaginent qu'Homère a composé des vers sur ce sujet tout nouveau ; beaucoup de gens s'y laissent prendre à cause de la suite bien ordonnée des vers et se demandent si Homère ne serait pas effectivement l'auteur du poème. Voici comment, avec des vers d'Homère, on a pu décrire l'envoi d'Héraclès par Eurysthée vers le chien de l'Hadès — rien ne nous empêche de recourir à pareil exemple, puisqu'il s'agit d'une tentative de tout point identique dans l'un et l'autre cas — : Quel est le naïf qui ne se laisserait prendre par ces vers et ne croirait qu'Homère les a composés tels quels pour traiter ce sujet ? Celui qui est versé dans les récits homériques pourra reconnaître les vers, il ne reconnaîtra pas le sujet traité : il sait fort bien que tel de ces vers se rapporte à Ulysse, tel autre à Héraclès lui-même, tel autre à Priam, tel autre encore à Ménélas et à Agamemnon. Et s'il prend ces vers pour restituer chacun d'eux à son livre originel, il fera disparaître le sujet en question. Ainsi en va-t-il de celui qui garde en soi, sans l'infléchir, la règle de vérité qu'il a reçue par son baptême : il pourra reconnaître les noms, les phrases et les paraboles provenant des Ecritures, il ne reconnaîtra pas le système blasphématoire inventé par ces gens-là. Il reconnaîtra les pierres de la mosaïque, mais il ne prendra pas la silhouette du renard pour le portrait du Roi. En replaçant chacune des paroles dans son contexte et en l'ajustant au corps de la vérité, il mettra à nu leur fiction et en démontrera l'inconsistance. Puisqu'à ce vaudeville il ne manque que le dénouement, c'est-à-dire que quelqu'un mette le point final à leur farce en y adjoignant une réfutation en règle, nous croyons nécessaire de souligner avant toute autre chose les points sur lesquels les pères de cette fable diffèrent entre eux, inspirés qu'ils sont par différents esprits d'erreur. Déjà par là, en effet, il sera possible de saisir exactement, avant même que nous n'en fournissions la démonstration, et la solide vérité proclamée par l'Église et le mensonge échafaudé par ces gens-là. DEUXIEME PARTIE UNITÉ DE LA FOI DE L'ÉGLISE ET VARIATIONS DES SYSTÈMES HÉRÉTIQUES 1. UNITÉ DE LA FOI DE L'ÉGLISE Les données de la foi En effet, l'Église, bien que dispersée dans le monde entier jusqu'aux extrémités de la terre, ayant reçu des apôtres et de leurs disciples la foi en un seul Dieu, Père tout-puissant, « qui a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils contiennent », et en un seul Christ Jésus, le Fils de Dieu, qui s'est incarné pour notre salut, et en l'Esprit Saint, qui a proclamé par les prophètes les « économies », la venue, la naissance du sein de la Vierge, la Passion, la résurrection d'entre les morts et l'enlèvement corporel dans les cieux du bien-aimé Christ Jésus notre Seigneur et sa parousie du haut des cieux dans la gloire du Père, pour « récapituler toutes choses » et ressusciter toute chair de tout le genre humain, afin que devant le Christ Jésus notre Seigneur, notre Dieu, notre Sauveur et notre Roi, selon le bon plaisir du Père invisible, « tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers et que toute langue » le «confesse» et qu'il rende sur tous un juste jugement, envoyant au feu éternel les « esprits du mal » et les anges prévaricateurs et apostats, ainsi que les hommes impies, injustes, iniques et blasphémateurs, et accordant au contraire la vie, octroyant l'incorruptibilité et procurant la gloire éternelle aux justes, aux saints, à ceux qui auront gardé ses commandements et qui seront demeurés dans son amour, les uns depuis le début, les autres depuis leur conversion — : ayant donc reçu cette prédication et cette foi, ainsi que nous venons de le dire, l'Eglise, bien que dispersée dans le monde entier, les garde avec soin, comme n'habitant qu'une seule maison, elle y croit d'une manière identique, comme n'ayant qu'une seule âme et qu'un même cœur, et elle les prêche, les enseigne et les transmet d'une voix unanime, comme ne possédant qu'une seule bouche. Car, si les langues diffèrent à travers le monde, le contenu de la Tradition est un et identique. Et ni les Eglises établies en Germanie n'ont d'autre foi ou d'autre Tradition, ni celles qui sont chez les Ibères, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles de l'Orient, de l'Egypte, de la Libye, ni celles qui sont établies au centre du monde; mais, de même que le soleil, cette créature de Dieu, est un et identique dans le monde entier, de même cette lumière qu'est la prédication de la vérité brille partout et illumine tous les hommes qui veulent « parvenir à la connaissance de la vérité ». Et ni le plus puissant en discours parmi les chefs des Églises ne dira autre chose que cela — car personne n'est au-dessus du Maître —, ni celui qui est faible en paroles n'amoindrira cette Tradition : car, la foi étant une et identique, ni celui qui peut en disserter abondamment n'a plus, ni celui qui n'en parle que peu n'a moins. Les questions théologiques Le degré plus ou moins grand de science n'apparaît pas dans le fait de changer la doctrine elle-même et d'imaginer faussement un autre Dieu en dehors de Celui qui est le Créateur, l'Auteur et le Nourricier de cet univers, comme s'il ne nous suffisait pas, ou un autre Christ, ou un autre Fils unique. Mais voici en quoi se prouve la science d'un homme : dégager l'exacte signification des paraboles et faire ressortir leur accord avec la doctrine de vérité; exposer la manière dont s'est réalisé le dessein salvifïque de Dieu en faveur de l'humanité ; montrer que Dieu a usé de longanimité et devant l'apostasie des anges rebelles et devant la désobéissance des hommes ; faire connaître pourquoi un seul et même Dieu a fait des êtres temporels et des êtres éternels, des êtres célestes et des êtres terrestres ; comprendre pourquoi ce Dieu, alors qu'il était invisible, est apparu aux prophètes, et cela non pas sous une seule forme, mais aux uns d'une manière et aux autres d'une autre ; indiquer pourquoi plusieurs Testaments ont été octroyés à l'humanité et enseigner quel est le caractère propre de chacun d'eux; chercher à savoir exactement pourquoi « Dieu a enfermé toutes choses dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » ; publier dans une action de grâces pourquoi « le Verbe » de Dieu « s'est fait chair » et a souffert sa Passion ; faire connaître pourquoi la venue du Fils de Dieu a eu lieu dans les derniers temps, autrement dit pourquoi Celui qui est le Principe n'est apparu qu'à la fin ; déployer tout ce qui est contenu dans les Ecritures au sujet de la fin et des réalités à venir ; ne pas taire pourquoi, alors qu'elles étaient sans espérance, Dieu a fait « les nations cohéritières, concorporelles et coparticipantes » des saints ; publier comment « cette chair mortelle revêtira l'immortalité, et cette chair corruptible, l'incorruptibilité » ; proclamer comment « celui qui n'était pas un peuple est devenu un peuple et celle qui n'était pas aimée est devenue aimée », et comment « les enfants de la délaissée sont devenus plus nombreux que les enfants de celle qui avait l'époux». C'est à propos de ces choses et d'autres semblables que l'Apôtre s'est écrié : « O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables ! » Il ne s'agit donc pas d'imaginer faussement au-dessus du Créateur et Démiurge une Mère de celui-ci et de ces gens-là — Mère qui serait l'Enthymésis d'un Éon égaré — et d'en venir à un tel excès de blasphème, ni d'imaginer derechef au-dessus d'elle un Plérôme qui contiendrait tantôt trente Éons, tantôt une tribu innombrable d'Éons. Car ainsi s'expriment ces maîtres vraiment dépourvus de science divine, cependant que toute la véritable Église possède une seule et même foi à travers le monde entier, ainsi que nous l'avons dit. 2. VARIATIONS DES SYSTÈMES HÉRÉTIQUES Diversité des doctrines professées par les Valentiniens Voyons maintenant la doctrine instable de ces gens et comment, dès qu'ils sont deux ou trois, non contents de ne pouvoir dire les mêmes choses à propos des mêmes objets, ils se contredisent les uns les autres dans la pensée comme dans les mots. Le premier d'entre eux, Valentin, empruntant les principes de la secte dite « gnostique », les a adaptés au caractère propre de son école. Voici donc de quelle manière il a précisé son système. Il existait une Dyade innommable, dont un terme s'appelle l'Inexprimable et l'autre le Silence. Par la suite, cette Dyade a émis une deuxième Dyade, dont un terme se nomme le Père et l'autre la Vérité. Cette Tétrade a produit comme fruit le Logos et la Vie, l'Homme et l'Église : et voilà l'Ogdoade première. Du Logos et de la Vie sont émanées dix Puissances, comme nous l'avons déjà dit; de l'Homme et de l'Église sont émanées douze autres Puissances, dont l'une, après avoir quitté le Plérôme et être tombée dans la déchéance, a fait le reste de l'œuvre de fabrication. Valentin pose deux Limites : l'une, située entre l'Abîme et le restant du Plérôme, sépare les Éons engendrés du Père inengendré, tandis que l'autre sépare leur Mère du Plérôme. Le Christ n'a pas été émis par les Éons du Plérôme : c'est la Mère qui, lorsqu'elle s'est trouvée hors du Plérôme, l'a enfanté selon le souvenir qu'elle avait gardé des réalités supérieures, non cependant sans une certaine ombre. Comme ce Christ était masculin, il retrancha de lui-même cette ombre et remonta dans le Plérôme. La Mère alors, abandonnée avec l'ombre et vidée de la substance pneumatique, émit un autre fils : c'est le Démiurge, maître tout-puissant de ce qui est au-dessous de lui. En même temps que lui fut émis un Archonte de la gauche, décrète Valentin à l'instar des « Gnostiques » au nom menteur dont nous parlerons plus loin. Quant à Jésus, il le fait dériver tantôt de l'Éon qui s'est séparé de la Mère et s'est réuni aux autres, c'est-à-dire de Thelètos, tantôt de celui qui est remonté au Plérôme, c'est-à-dire du Christ, tantôt encore de l'Homme et de l'Église. Quant à l'Esprit Saint, il dit qu'il a été émis par la Vérité pour la probation et la fructification des Éons : il entre en eux d'une manière invisible et, par lui, les Éons fructifient en rejetons de Vérité. Telle est la doctrine de Valentin. Secundus enseigne que la première Ogdoade comprend une Tétrade de droite et une Tétrade de gauche : l'une est Lumière, l'autre, Ténèbres. Quant à la Puissance qui s'est séparée du Plérôme et a subi la déchéance, elle ne provient pas des trente Éons, mais de leurs fruits. Un autre, qui est chez eux un maître réputé, « s'étend » vers une gnose plus haute et plus « gnostique » et décrit la première Tétrade de la manière suivante : Il existe avant toutes choses un Pro-Principe pro-inintelligible, inexprimable et innommable, que j'appelle Unicité. Avec cette Unicité coexiste une Puissance que j'appelle encore Unité. Cette Unité et cette Unicité, étant un, ont émis, sans émettre, un Principe de toutes choses, intelligible, inengendré et invisible, Principe que le langage appelle Monade. Avec cette Monade coexiste une Puissance de même substance qu'elle, que j'appelle encore l'Un. Et ces Puissances, à savoir l'Unicité, l'Unité, la Monade et l'Un, ont émis le reste des Éons. Ah ! ah ! hélas ! hélas ! Il est bien permis, en vérité, de pousser cette exclamation tragique devant une pareille fabrication de noms, devant l'audace de cet homme apposant impudemment des noms sur ses mensongères inventions. Car en disant : « Il existe avant toutes choses un Pro-Principe pro-inintelligible que j'appelle Unicité », et : « Avec cette Unicité coexiste une Puissance que j'appelle encore Unité », il avoue de la façon la plus claire que toutes ses paroles ne sont qu'une fiction et que lui-même appose sur cette fiction des noms que personne d'autre n'a employés jusque-là. Sans son audace, la vérité n'aurait donc point encore aujourd'hui de nom, à l'en croire ! Mais alors, rien n'empêche qu'un autre inventeur, traitant le même sujet, définisse ses termes de la façon suivante : Il existe un certain Pro-Principe royal, pro-dénué-d'intelligibilité, pro-dénué-de-substance et pro-pro-doté-de-rotondité, que j'appelle Citrouille. Avec cette Citrouille coexiste une Puissance que j'appelle encore Supervacuité. Cette Citrouille et cette Supervacuité, étant un, ont émis, sans émettre, un Fruit visible de toutes parts, comestible et savoureux, Fruit que le langage appelle Concombre. Avec ce Concombre coexiste une Puissance de même substance qu'elle, que j'appelle encore Melon. Ces Puissances, à savoir Citrouille, Supervacuité, Concombre et Melon, ont émis tout le reste de la multitude des Melons délirants de Valentin. Car, s'il faut accommoder le langage commun à la première Tétrade et si chacun choisit les noms qu'il veut, qui empêcherait de se servir de ces derniers termes, beaucoup plus dignes de créance, passés dans l'usage et connus de tous ? D'autres parmi eux ont encore donné à la première et primitive Ogdoade les noms suivants : d'abord le Pro-Principe, ensuite l'Inintelligible, en troisième lieu l'Inexprimable, en quatrième lieu l'Invisible ; du Pro-Principe primitif a été émis, en premier et cinquième lieu, le Principe ; de l'Inintelligible a été émis, en deuxième et sixième lieu, l'Incompréhensible ; de l'Inexprimable a été émis, en troisième et septième lieu, l'Innommable ; de l'Invisible a été émis, en quatrième et huitième lieu, l'Inengendré, par qui se complète la première Ogdoade. Ces Puissances, ils prétendent qu'elles existent antérieurement à l'Abîme et au Silence, afin d'apparaître comme des hommes plus parfaits que les « parfaits » et plus gnostiques que les « gnostiques ». On pourrait leur dire ajuste titre : « Pauvres melons, qui n'êtes que de vils sophistes, et non des hommes ! » Car à propos de l'Abîme lui-même il existe chez eux diverses opinions : les uns disent qu'ils n'a pas de conjoint, n'étant ni mâle ni femelle ni rien du tout ; les autres le disent à la fois mâle et femelle, lui attribuant une nature hermaphrodite ; d'autres encore lui adjoignent Silence comme compagne, de façon à constituer la première Syzygie. Les plus savants parmi les gens de l'entourage de Ptolémée disent qu'il a deux compagnes, qu'ils appellent aussi ses « dispositions », à savoir la Pensée et la Volonté : car, disent-ils, il a d'abord pensé à émettre quelque chose, et ensuite il l'a voulu. C'est pourquoi de ces deux dispositions ou puissances, à savoir la Pensée et la Volonté, mélangées pour ainsi dire l'une à l'autre, est résultée l'émission du couple du Monogène et de la Vérité. Ceux-ci sont sortis comme la réplique et l'image des deux dispositions du Père, image visible de ses dispositions invisibles. L'Intellect reproduit la Volonté, et la Vérité, la Pensée. C'est pourquoi l'Eon mâle est l'image de la Volonté qui est survenue, tandis que l'Eon femelle est l'image de la Pensée qui n'a pas commencé. Car la Volonté est devenue comme la puissance de la Pensée : la Pensée pensait depuis toujours à l'émission, mais elle était impuissante à émettre par elle-même ce qu'elle pensait ; par contre, lorsque survint la puissance de la Volonté, alors, ce qu'elle pensait, elle l'émit. Ces gens-là ne te semblent-ils pas, cher ami, avoir conçu en leur esprit le Zeus d'Homère bien plus que le Seigneur de toutes choses ? Car le premier est rongé de soucis qui l'empêchent de dormir : il se préoccupe de savoir comment il pourra honorer Achille et faire périr une multitude de Grecs. Au contraire, le second, en même temps qu'il pense, accomplit cela même qu'il pense, et, en même temps qu'il veut, pense cela même qu'il veut : il pense à l'instant même où il veut et veut à l'instant même où il pense, car il est tout entier Pensée, tout entier Volonté, tout entier Intellect, tout entier Lumière, tout entier Œil, tout entier Ouïe, tout entier Source de tous les biens. Des gens qui passent pour être encore plus sages que les précédents disent que la première Ogdoade n'a pas été émise par degrés, un Eon dérivant d'un autre : c'est tout ensemble et d'un seul coup que s'est faite l'émission des six Eons enfantés par le Pro-Père et par sa Pensée. Ils affirment cela péremptoirement, comme s'ils avaient fait eux-mêmes l'accouchement. D'après eux, ce n'est plus le Logos et la Vie qui ont émis l'Homme et l'Eglise; c'est l'Homme et l'Eglise qui ont engendré le Logos et la Vie. Ils s'expriment ainsi : quand le Pro-Père eut la pensée d'émettre quelque chose, cela fut appelé Père ; comme ce qui était ainsi émis était vrai, cela fut nommé Vérité ; quand il voulut se manifester lui-même, cela fut dit Homme; quand il émit ceux qu'il avait considérés par avance, cela fut nommé Eglise ; l'Homme proféra le Logos, qui est le Fils premier-né et qu'accompagné la Vie. Ainsi fut achevée la première Ogdoade. Ils se querellent beaucoup aussi au sujet du Sauveur. Les uns disent qu'il est issu de tous les Eons : aussi est-il appelé «Bon plaisir», parce qu'il plut à tout le Plérôme d'honorer par lui le Père. D'autres le font venir des seuls dix Eons émis par le Logos et la Vie : c'est pourquoi il est appelé Logos et Vie, gardant le nom de ses ancêtres. D'autres le font venir des douze Eons produits par l'Homme et l'Eglise : c'est pourquoi il se proclame lui-même « Fils de l'Homme», comme descendant de cet Homme. D'autres disent qu'il provient du Christ et de l'Esprit Saint, qui avaient été émis pour la consolidation du Plérôme : c'est pourquoi il est appelé Christ, gardant l'appellation du Père par qui il a été émis. D'autres encore disent que c'est le Pro-Père de toutes choses lui-même, le Pro-Principe, le Pro-Inintelligible, qui s'appelle Homme : ce serait même là le grand mystère caché, à savoir que la Puissance qui est au-dessus de tout et qui enveloppe tout s'appelle Homme, et telle serait la raison pour laquelle le Sauveur s'est dit « Fils de l'Homme ». Marc le Magicien et ses disciples : pratiques magiques et débauches Un autre des leurs s'est vanté d'être le correcteur du maître. Il porte le nom de Marc. Très habile en jongleries magiques, il a trompé par elles beaucoup d'hommes et une quantité peu banale de femmes, les faisant s'attacher à lui comme au « gnostique » et au « parfait » par excellence et comme au détenteur de la Suprême Puissance venue des lieux invisibles et innommables. C'est un véritable précurseur de l'Antéchrist, car, mêlant les jeux d'Anaxilaüs aux supercheries de ceux qu'on nomme magiciens, il se fait passer pour faiseur de miracles aux yeux de ceux qui n'ont jamais eu le sens ou qui l'ont perdu. Feignant d'« eucharistier » une coupe mêlée de vin et prolongeant considérablement la parole de l'invocation, il fait en sorte que cette coupe apparaisse pourpre ou rouge. On s'imagine alors que la Grâce venue des régions qui sont au-dessus de toutes choses fait couler son propre sang dans la coupe de Marc en réponse à l'invocation de celui-ci, et les assistants brûlent du désir de goûter à ce breuvage, afin qu'en eux aussi se répande la Grâce invoquée par ce magicien. Ou bien encore, présentant à une femme une coupe mêlée, il lui ordonne de l'« eucharistier » en sa présence. Cela fait, il apporte une autre coupe beaucoup plus grande que celle qu'a « eucharistiée » cette égarée, puis il vide la coupe plus petite « eucharistiée » par la femme dans la coupe beaucoup plus grande apportée par lui, tout en disant la formule suivante : « Que Celle qui est avant toutes choses, l'incompréhensible et inexprimable Grâce, remplisse ton Homme intérieur et multiplie en toi sa gnose, en semant le grain de sénevé dans la bonne terre ! » Après avoir dit de telles paroles et égaré ainsi la malheureuse, il donne une démonstration de sa thaumaturgie en faisant en sorte que la grande coupe soit remplie au moyen de la petite, au point même de déborder. Par d'autres prodiges semblables il a séduit et entraîné à sa suite beaucoup de monde. Il semble qu'il ait même un démon assistant, grâce auquel il se donne l'apparence de prophétiser lui-même et fait prophétiser les femmes qu'il juge dignes de participer à sa Grâce. Car c'est surtout de femmes qu'il s'occupe et, parmi elles, des plus élégantes et des plus riches, de celles dont la robe est frangée de pourpre. Veut-il attirer quelqu'une d'entre elles, il lui tient ce discours flatteur : «Je veux te donner part à ma Grâce, puisque le Père de toutes choses voit sans cesse ton Ange devant sa face. Le lieu de la Grandeur est en nous : il faut nous établir en l'Un. Reçois d'abord de moi et par moi la Grâce. Tiens-toi prête comme une épouse qui attend son époux, afin que tu sois ce que je suis, et moi, ce que tu es. Installe dans ta chambre nuptiale la semence de la Lumière. Reçois de moi l'Époux, fais-lui place en toi et trouve place en lui. Voici que la Grâce est descendue sur toi : ouvre la bouche et prophétise ! » La femme de répondre alors : «Je n'ai jamais prophétisé et ne sais pas prophétiser. » Mais lui, faisant de nouvelles invocations destinées à stupéfier sa victime, lui dit : « Ouvre la bouche et dis n'importe quoi : tu prophétiseras. » Et elle, sottement enorgueillie par ces paroles et l'âme tout enflammée à l'idée qu'elle va prophétiser, sent son cœur bondir beaucoup plus que de raison : elle s'enhardit et se met à proférer toutes les niaiseries qui lui viennent à la pensée, sottement et effrontément, échauffée qu'elle est par un vain esprit. Comme l'a dit un homme supérieur à nous à propos des gens de cette sorte : « Elle est audacieuse et impudente, l'âme qu'échauffé une vaine vapeur. » A partir de ce moment, cette femme se prend pour une prophétesse. Elle rend grâces à Marc de ce qu'il lui a communiqué sa Grâce. Elle s'applique à le rétribuer, non seulement en lui donnant ses biens — voilà l'origine des grandes richesses amassées par cet homme —, mais en lui livrant son corps, désireuse qu'elle est de lui être unie en tout, afin de descendre avec lui dans l'«Un». D'autres femmes, des plus fidèles celles-là, qui avaient la crainte de Dieu, ne se laissèrent pas tromper. Il tenta bien de les séduire comme les autres, en leur enjoignant de prophétiser ; mais, l'ayant rejeté et couvert de leurs anathèmes, elles rompirent tout commerce avec une aussi détestable compagnie. Elles savaient pertinemment que le pouvoir de prophétiser n'est pas donné aux hommes par Marc le Magicien, mais que ceux à qui Dieu a envoyé d'en haut sa grâce, ceux-là possèdent le don divin de prophétie, et ils parlent où et quand Dieu le veut, non quand Marc le commande. Car celui qui donne un ordre est plus grand et plus puissant que celui qui le reçoit, puisque le premier fait acte de chef et que le second agit en subordonné. Si donc Marc ou quelque autre donne des ordres — comme ont coutume de le faire dans leurs banquets tous ces gens-là, jouant aux oracles, se donnant mutuellement l'ordre de prophétiser et se faisant les uns aux autres des prédictions conformes à leurs désirs —, alors celui qui commande sera plus grand et plus puissant que l'Esprit prophétique, bien qu'il ne soit qu'un homme : ce qui est impossible. La vérité, c'est que les esprits qui reçoivent des ordres de ces gens-là et qui parlent quand ces gens-là le veulent sont chétifs et débiles, encore qu'audacieux et impudents : ils sont envoyés par Satan pour séduire et pour perdre ceux qui ne gardent pas fermement la foi qu'ils ont reçue, au commencement, par l'entremise de l'Église. Ce même Marc use aussi de philtres et de charmes, sinon avec toutes les femmes, du moins avec certaines d'entre elles, pour pouvoir déshonorer leur corps. Elles-mêmes, une fois revenues à l'Église de Dieu, ont souvent avoué qu'elles avaient été souillées par lui en leur corps et qu'elles avaient ressenti une violente passion pour lui. Un diacre, l'un des nôtres qui sont en Asie, pour l'avoir reçu dans sa maison, tomba dans le malheur que voici : sa femme, qui était belle, fut corrompue dans son esprit et dans son corps par ce magicien et elle le suivit longtemps ; convertie ensuite à grand-peine par les frères, elle passa le reste de sa vie dans la pénitence, pleurant et se lamentant sur la corruption qu'elle avait subie du fait de ce magicien. Certains de ses disciples, errant ça et là dans les mêmes parages que lui, ont séduit et corrompu un grand nombre de femmes. Ils se décernent à eux-mêmes le titre de « parfaits », persuadés que personne ne peut égaler la grandeur de leur gnose, non pas même Paul ou Pierre ou quelque autre apôtre. Ils en savent plus que tout le monde ; seuls ils ont bu la grandeur de la connaissance de la Puissance inexprimable. Ils sont dans la hauteur, au-dessus de quelque Puissance que ce soit. Aussi peuvent-ils tout se permettre librement et sans la moindre crainte. Grâce à la « rédemption », en effet, ils deviennent insaisissables et invisibles pour le Juge. S'il arrivait pourtant qu'il les saisît, ils se tiendraient devant lui, munis de la « rédemption », et diraient ces mots : « O Assistante de Dieu et du mystique Silence antérieur aux Eons, tu es celle par qui les Grandeurs qui voient sans cesse la face du Père, recourant à toi comme à un guide et une conductrice, attirent en haut leurs formes. Ces formes, qui ne sont autres que nous-mêmes, la Femme à la grande audace, sous le coup de l'apparition, à cause de la bonté du Pro-Père, les a émises en qualité d'images des Grandeurs susdites, car elle avait alors présentes à l'esprit, comme dans un songe, les réalités d'en haut. Voici qu'à présent le Juge est tout proche et que le Héraut m'invite à présenter ma défense. Toi donc, qui connais la nature des deux parties, présente au Juge la justification de nos deux cas qui n'en font qu'un. » En entendant ces paroles, la Mère les couvre aussitôt du casque homérique d'Hadès, pour que, devenus invisibles, ils puissent échapper au Juge. Sur le champ elle les tire à elle, les introduit dans la chambre nuptiale et les donne à leurs Epoux. Par des discours et des agissements de cette sorte, ils ont séduit un grand nombre de femmes jusque dans nos contrées du Rhône. Marquées au fer rouge dans leur conscience, certaines d'entre elles font, même publiquement, pénitence. Mais d'autres, qui répugnent à un tel geste, se retirent en silence, désespérant de la vie de Dieu : tandis que les unes ont totalement apostasie, les autres restent en suspens, n'étant, selon le proverbe, ni au dehors ni au dedans et savourant ce « fruit » de la semence des fils de la gnose. Marc le Magicien : grammatologie et arithmologie Ce Marc donc, qui prétend avoir été lui seul, en qualité de fils unique, le sein et le réceptacle du Silence de Colarbasus, voici de quelle manière il a mis au monde la «semence» ainsi déposée en lui. La Tétrade plus élevée que tout, assure-t-il, venant des lieux invisibles et innommables, descendit elle-même vers lui sous les traits d'une femme : car, dit-il, le monde n'eût pu porter l'élément masculin qu'elle possède. Elle lui indiqua qui elle était et lui exposa, à lui seul, la genèse de toutes choses, genèse qu'elle n'avait jamais encore révélée à qui que ce fût, ni des dieux ni des hommes. Elle lui tint le discours que voici. Lorsqu'à l'origine le Père qui n'a pas de Père, qui est inconcevable et sans substance, qui n'est ni mâle ni femelle, voulut que fût exprimé ce qui en lui était inexprimable et que reçût une forme ce qui en lui était invisible, il ouvrit la bouche et proféra une Parole semblable à lui ; cette Parole, se tenant à ses côtés, lui manifesta ce qu'il était, en apparaissant comme la Forme de l'Invisible. L'énonciation du Nom se fit de la manière suivante : le Père prononça la première partie de son Nom, qui fut le Principe, et ce fut une syllabe comprenant quatre éléments ; il y adjoignit une deuxième syllabe, qui comprit, elle aussi, quatre éléments ; il prononça ensuite la troisième, qui comprit dix éléments ; il prononça enfin la dernière, qui comprit douze éléments. L'énonciation du Nom tout entier comporta donc trente éléments et quatre syllabes. Chacun de ces éléments a ses lettres propres, son caractère propre, sa résonance propre, ses traits, ses images ; il n'est aucun d'entre eux qui voie la forme de ce dont il n'est qu'un élément ; et non seulement ils ignorent cela, mais chaque élément ignore jusqu'à la résonance de son voisin, chacun faisant entendre sa résonance propre et s'imaginant exprimer le Tout. Car chacun. d'eux, qui n'est qu'une partie du Tout, fait retentir son propre son comme s'il était le Tout, et ils ne cessent de résonner de la sorte jusqu'à ce que, tous ayant été successivement proférés, on arrive à la dernière lettre du dernier élément. Et l'achèvement de toutes choses aura lieu, dit la Tétrade, quand tous les éléments, concourant en une lettre unique, feront entendre une seule et même résonance — résonance dont il existe une image, assure-t-elle, lorsque tous ensemble nous disons 1' « Amen ». Tels sont donc les sons qui forment l'Eon sans substance et inengendré ; ils sont ces formes que le Seigneur a appelées Anges et qui voient sans cesse la face du Père. Les noms communs et exprimables des éléments, poursuit la Tétrade, sont : Éons, Logoi, Racines, Semences. Plérômes, Fruits ; quant aux propriétés caractéristiques de chacun d'eux, elles sont renfermées et comprises dans le nom Eglise. La dernière lettre du dernier de ces éléments fit entendre sa voix, dont le son, sortant du Tout, engendra des éléments propres selon l'image des éléments de ce Tout c'est des éléments ainsi engendrés que provient notre monde et ce qui a existé avant lui. La lettre elle-même, dont le son se propageait ainsi vers le bas, fut reprise en haut par sa syllabe pour que le Tout demeurât complet ; mais le son resta dans la région d'en bas, comme rejeté au dehors. L'Élément lui-même, d'où la lettre était descendue vers les régions inférieures avec sa résonance, comprend trente lettres, dit encore la Tétrade ; chacune de ces trente lettres a en elle-même d'autres lettres qui servent à la nommer ; et ces dernières lettres, à leur tour, sont nommées au moyen d'autres lettres, et ainsi de suite, si bien que la multitude des lettres s'étend à l'infini. — Tu vas comprendre plus clairement ce qu'elle veut dire : l'élément delta a en lui-même cinq lettres, à savoir le delta lui-même, l'epsilon, le lambda, le tau et l'alpha ; ces lettres, à leur tour, s'écrivent au moyen d'autres lettres, et ces dernières, au moyen d'autres encore. Si donc toute la substance du delta s'étend ainsi à l'infini du fait que les lettres ne cessent de s'engendrer les unes les autres et de se succéder, combien plus grand encore sera l'océan des lettres de l'Elément par excellence ! Et si une seule lettre est à ce point immense, vois quel « abîme » de lettres suppose le Nom entier, puisque, d'après l'enseignement du Silence de Marc, c'est de lettres qu'est constitué le Pro-Père. C'est pour ce motif que le Père, connaissant sa propre incompréhensibilité, a donné aux éléments — que Marc appelle aussi Bons — de faire retentir chacun la résonance qui lui est propre, dans l'impossibilité où chacun se trouve d'énoncer le Tout. Après lui avoir fait connaître tout cela, la Tétrade dit à Marc : Je veux te montrer aussi la Vérité elle-même, car je l'ai fait descendre des demeures supérieures pour que tu la voies nue et que tu sois instruit de sa beauté, et aussi pour que tu l'entendes parler et que tu admires sa sagesse. Vois donc sa tête, en haut, qui est ? et ?, son cou qui est ? et ?, ses bras et ses mains qui sont ? et ?, sa poitrine qui est ? et ?, sa taille qui est ? et ?, son ventre qui est ? et ?, ses parties qui sont ? et ?, ses cuisses qui sont ? et ?, ses genoux qui sont ? et ?, ses jambes qui sont ? et o, ses chevilles qui sont ? et ?, ses pieds qui sont ? et v. — Voilà, à en croire le Magicien, le corps de la Vérité, voilà la configuration de l'Élément, voilà les traits caractéristiques de la Lettre ! A cet Élément il donne le nom d'Homme : il est, dit-il, la source de tout Logos, le principe de toute Voix, l'expression de tout Inexprimable, la bouche de Silence la silencieuse. — Voilà donc son corps. Mais toi, poursuit la Tétrade, élève plus haut les pensées de ton esprit et, de la bouche de la Vérité, entends le Logos générateur de lui-même et donateur du Père. Quand la Tétrade eut ainsi parlé, la Vérité regarda Marc, puis, ouvrant la bouche, elle prononça une parole : cette parole fut un nom, et ce nom était celui que nous connaissons et disons : « Christ Jésus » ; ayant prononcé ce nom, elle se tut sur-le-champ. Marc s'attendait à ce qu'elle en dise davantage. Alors la Tétrade, se rapprochant, lui dit : Considères-tu comme méprisable la parole que tu viens d'entendre de la bouche de la Vérité ? Ce n'est pas ce nom que tu connais et crois posséder qui est le Nom ancien : car tu ne possèdes que le son du Nom et tu ignores sa vertu. «Jésus » (??????) est le Nom « insigne », possédant six lettres, connu de tous les « appelés » ; mais le Nom qu'il possède parmi les Éons du Plérôme se compose de multiples parties, est d'une autre forme et d'un autre type et est connu de ceux-là seulement qui sont de la même race que lui et dont les « Grandeurs » sont sans cesse auprès de lui. Sache donc que les vingt-quatre lettres en usage chez vous sont les émanations figuratives des trois Puissances qui enveloppent le nombre total des éléments d'en haut. Les neuf consonnes muettes figurent le Père et la Vérité, qui sont «muets», c'est-à-dire inexprimables et ineffables. Les huit semi-voyelles symbolisent le Logos et la Vie, car elles sont comme à mi-chemin entre les muettes et les voyelles et elles reçoivent aussi bien l'écoulement de ce qui est au-dessus d'elles que l'élévation de ce qui est au-dessous. Les sept voyelles enfin représentent l'Homme et l'Église, car c'est en sortant de l'Homme que la Voix a formé toutes choses : car le son de la Voix leur a procuré une forme. Le Logos et la Vie possèdent donc le nombre huit, l'Homme et l'Eglise le nombre sept, le Père et la Vérité le nombre neuf. A cause du compte déficient, celui qui s'était établi à part dans le Père descendit, envoyé au dehors vers celui dont il s'était séparé, afin de redresser ce qui s'était fait et pour que l'unité des Plérômes, possédant l'égalité, fructifiât en tous et produisît une seule Puissance qui vînt de tous. Ainsi le nombre sept a reçu la valeur du nombre huit, et il y a eu de la sorte trois Lieux semblables par leur nombre, à savoir des Ogdoades. Celles-ci, en venant trois fois sur elles-mêmes, présentent le nombre vingt-quatre. Et les trois éléments — que Marc dit être unis par syzygie aux trois Puissances, ce qui donne le nombre six, d'où ont découlé les vingt-quatre éléments — ces trois éléments ainsi doublés, multipliés par le chiffre de l'inexprimable Tétrade, engendrent le même nombre. Ces éléments, dit-il, appartiennent à l'Innommable ; mais ils sont portés par les trois Puissances en vue d'une ressemblance avec l'Invisible. De ces éléments sont l'image les lettres doubles de notre alphabet : en ajoutant celles-ci aux vingt-quatre éléments, en vertu de l'analogie, on obtient le nombre trente. Le « fruit » de ce calcul et de cette « économie » est apparu, dit-il, sous la similitude de l'image, en celui qui, après six jours, monta quatrième à la montagne et devint sixième, puis descendit et fut détenu dans l'Hebdomade, alors qu'il était l'Ogdoade insigne et qu'il avait en lui le nombre total des éléments, nombre que manifesta, lors de son baptême, la descente de la colombe, qui est ? et ? : car le nombre de celle-ci est 801. Et c'est pourquoi Moïse dit que l'homme a été fait le sixième jour; c'est pourquoi aussi l'« économie» a eu lieu le sixième jour, qui est la Parascève, jour où le dernier homme est apparu pour régénérer le premier; et, de cette «économie», le principe et le terme fut la sixième heure, à laquelle il fut cloué au bois. Car l'Intellect parfait, sachant que ce nombre six possède une vertu de création et de régénération, a manifesté aux «fils de lumière» la régénération qui s'est faite par le moyen du nombre insigne apparu dans le dernier homme. De là vient que les lettres doubles possèdent elles aussi le nombre insigne, dit Marc : car le nombre insigne, mélangé avec les vingt-quatre éléments, produit le Nom de trente lettres. Et le nombre insigne utilise en qualité de serviteur la Grandeur aux sept nombres, comme dit le Silence de Marc, afin que soit manifesté le « fruit » de son libre dessein. Ce nombre insigne, dans le cas présent, dit-elle, comprends-le de celui qui a été formé par le nombre insigne, celui qui a été comme divisé, découpé et qui est resté au dehors, celui qui, par sa propre vertu et prudence, par l'entremise de l'émission provenant de lui, a mis une âme dans notre monde, ce monde qui comprend sept vertus à l'imitation de la vertu de l'Hebdomade, et a fait en sorte qu'il y ait une âme de l'univers visible. Celui-là se sert donc de cet ouvrage comme d'une chose qu'il aurait produite de lui-même ; mais les choses, étant des imitations des réalités inimitables, sont au service de l'Enthymésis de la Mère. Le premier ciel fait entendre le son a, le suivant le son ?, le troisième le son ?, le quatrième, situé au milieu des sept, le son ?, le cinquième le son o, le sixième le son ?, et le septième, qui est le quatrième à partir du milieu, le son ?. Voilà ce qu'affirmé le Silence de Marc, qui débite une foule de niaiseries et ne dit rien de vrai. Toutes ces Puissances, dit-il, enlacées les unes dans les autres, résonnent et glorifient celui qui les a émises, et la gloire de ce concert s'élève vers le Pro-Père. Le son de cette glorification, dit-il encore, porté vers la terre, est devenu l'auteur et le générateur de ce qui est sur terre. Marc prouve cela par le fait des enfants nouveau nés, dont l'âme, à peine sortie du sein maternel, fait entendre le son de chacun de ces éléments. De même, dit-il, que les sept Puissances glorifient le Logos, ainsi l'âme des petits enfants, en pleurant et en vagissant, glorifie Marc lui-même ! C'est pourquoi David a dit : « De la bouche des petits enfants et de ceux qui sont à la mamelle tu as préparé une louange » Et encore : « Les cieux racontent la gloire de Dieu. » Et c'est pour ce motif que, lorsqu'elle se trouve dans les souffrances et les peines en vue de sa purification, l'âme fait entendre le son ? en signe de louange, afin que l'âme d'en haut, reconnaissant ce qui lui est apparenté, lui envoie du secours. Telles sont les divagations de Marc à propos du Nom entier, qui est de trente lettres ; de l'Abîme, qui s'accroît des lettres de ce nom ; du corps de la Vérité, qui comprend douze membres se composant chacun de deux lettres ; de la Voix qu'elle a proférée sans la proférer ; de l'explication du Nom non proféré ; de l'âme du monde et de l'homme, selon qu'ils ont l'« économie» de l'image. Nous allons maintenant rapporter comment leur Tétrade a révélé, à partir des noms, une vertu de nombre égal : de la sorte tu n'ignoreras rien, cher ami, de ce qui nous est parvenu de leurs dires, selon que tu nous l'as maintes fois demandé. Voici comment leur très sage Silence rapporte la genèse des vingt-quatre éléments. Avec l'Unicité coexistait l'Unité. Ces deux en émirent deux autres, comme nous l'avons dit, à savoir la Monade et l'Un ; ainsi doublés, les deux devinrent quatre, car deux fois deux font quatre. Puis deux et quatre, additionnés ensemble, firent apparaître le nombre six. Enfin ces six, multipliés par quatre, enfantèrent les vingt-quatre formes. Les noms de la première Tétrade, qui sont sacro-saints, sont atteints par la pensée seule et ne peuvent être exprimés par des mots : ils ne sont connus que par le Fils, et le Père sait quels ils sont. Mais Marc se sert des noms suivants, qu'il prononce avec gravité et foi : "??????? (Inexprimable) et ???? (Silence), ????? (Père) et ??????? (Vérité). Le nombre total de cette Tétrade est de vingt-quatre éléments. En effet le mot "??????? possède en lui-même sept lettres, ????? cinq lettres, ????? cinq lettres et ??????? sept lettres : toutes ces lettres additionnées ensemble, soit deux fois sept et deux fois cinq, donnent le total de vingt-quatre. De la même façon la seconde Tétrade, c'est-à-dire ????? (Logos) et ??? (Vie), "???????? (Homme) et ???????? (Eglise), présente le même nombre d'éléments. Le nom exprimable du Sauveur, c'est-à-dire ?????? (Jésus), est de six lettres, mais son nom inexprimable est de vingt-quatre lettres. Les mots ???? ???????? (Fils Christ) comportent douze lettres, mais ce qu'il y a d'inexprimable dans le Christ comporte trente lettres. C'est pourquoi Marc dit qu'il est ? et ? (= 801), afin d'indiquer la Colombe" (?????????), car cet oiseau possède précisément ce nombre. Ce Jésus possède, dit-il, l'inexprimable genèse que voici. De la Mère de toutes choses, la première Tétrade, sortit, à la manière d'une fille, la seconde Tétrade, et ce fut une Ogdoade, d'où sortit une Décade. Il y eut ainsi une Décade et une Ogdoade. La Décade donc, en s'unissant à l'Ogdoade et en la multipliant par dix, engendra le nombre 80 ; puis, en multipliant encore par dix le nombre 80, elle engendra le nombre 800 ; de la sorte, le nombre total des lettres se développant de l'Ogdoade à la Décade fut de 888 (= 8 + 80 + 800), c'est-à-dire ?????? (Jésus) : car le mot ??????, selon les nombres correspondant aux différentes lettres, équivaut à 888. Tu sais maintenant clairement quelle est, d'après eux, la supra-céleste genèse de Jésus ! C'est pour ce motif que l'alphabet des Grecs a huit unités, huit dizaines et huit centaines, montrant ainsi le nombre 888, c'est-à-dire Jésus, qui se compose de tous les nombres. Et c'est pour cela qu'il est appelé ? et ?, qui signifient son origine à partir de tous. Marc raisonne encore de la manière suivante : la première Tétrade s'étant additionnée selon la progression des nombres, le nombre 10 est apparu : car 1 + 2 + 3 + 4 = 10, et ce nombre, qui s'écrit au moyen de la lettre ?, ils veulent l'identifier à Jésus. De même le mot ???????? (Christ), dit-il, étant de huit lettres, signifie la première Ogdoade, qui, en s'enlaçant au nombre 10, a enfanté Jésus. On dit encore, remarque-t-il, ???? ???????? (Fils Christ) : c'est la Dodécade, car le mot ???? est de quatre lettres et le mot ???????? est de huit, et, additionnés ensemble, ils font apparaître la grandeur de la Dodécade. Avant donc que le nombre insigne de ce Nom, c'est-à-dire Jésus, apparût aux fils, les hommes se trouvaient dans une ignorance et une erreur profondes ; mais lorsque le Nom hexagramme eut été manifesté, s'enveloppant de chair pour descendre jusqu'à la sensibilité de l'homme, ayant en lui le nombre six lui-même comme aussi le nombre vingt-quatre, alors ceux qui le connurent virent cesser leur ignorance et montèrent de la mort à la vie, ce Nom devenant la voie pour les conduire au Père de Vérité. Car le Père de toutes choses voulut supprimer l'ignorance et détruire la mort. Or, la suppression de l'ignorance, c'était la « gnose » du Père. Et c'est pourquoi fut élu, selon la volonté de celui-ci, l'homme disposé selon l'« économie » à l'image de la Puissance d'en haut. En effet, d'une Tétrade sortirent les Eons. Or, dans cette Tétrade, il y avait Homme et Eglise, Logos et Vie. De ces quatre Eons donc, dit Marc, jaillirent des « vertus » qui engendrèrent le Jésus apparu sur la terre : l'ange Gabriel tint la place du Logos, l'Esprit Saint celle de la Vie, la « vertu » du Très-Haut celle de l'Homme, et enfin la Vierge celle de l'Eglise". Ainsi, selon Marc, fut engendré par l'entremise de Marie l'homme de l'« économie», que, lors de son passage à travers le sein maternel, le Père de toutes choses élut par l'entremise du Logos en vue de procurer la connaissance de lui-même. Lorsque cet homme de l'« économie » vint à l'eau du Jourdain, on vit descendre sur lui, sous forme de colombe, Celui qui remonta là-haut et compléta le nombre douze, et en lui se trouvait la semence de ceux qui furent semés avec lui, descendirent avec lui et remontèrent avec lui. Cette « vertu » qui descendit ainsi, c'était, dit Marc, la semence du Père, semence qui avait en elle le Père, le Fils, la « vertu » innommable de Silence, connue seulement par ceux-ci, et tous les Eons. C'est là cet Esprit qui parla par la bouche de Jésus, se déclarant le Fils de l'Homme et manifestant le Père, après être descendu sur Jésus et s'être uni à lui. Le Sauveur issu de l'« économie » a détruit la mort, dit Marc, et il a fait connaître son Père, le Christ. Jésus est donc le nom de l'homme issu de l' « économie » : il fut constitué à la ressemblance et dans la forme de l'Homme qui devait descendre en lui. Lorsqu'il le reçut, il eut alors en lui l'Homme même, le Logos même, le Père et l'Inexprimable, ainsi que le Silence, la Vérité, l'Église et la Vie. Cela dépasse les « Ah !...», les « Hélas !... » et toutes les exclamations et interjections tragiques possibles. Qui ne haïrait, en effet, le déplorable fabricant de pareils mensonges, en voyant la Vérité travestie en idole par Marc, et en une idole marquée au fer rouge des lettres de l'alphabet ? Ce n'est que récemment, en regard de l'origine — ou, comme on dit, hier ou avant-hier — que les Grecs, de leur propre aveu, ont reçu d'abord de Cadmos seize de ces lettres ; puis, avec le temps, ils ont trouvé eux-mêmes tantôt les aspirées et tantôt les doubles ; en dernier lieu, Palamède, dit-on, a ajouté les longues. Ainsi, avant que tout cela n'ait eu lieu chez les Grecs, la Vérité n'existait pas. Car son corps — d'après toi, Marc — est postérieur à Cadmos et à ses prédécesseurs, postérieur aussi à ceux qui ont ajouté les autres lettres, postérieur enfin à toi, puisque c'est toi seul qui as rabaissé au rang d'idole celle que tu appelles la Vérité. Qui supportera ton si bavard Silence, qui nomme l'Innommable, décrit l'Inexprimable, explore l'Impénétrable, prétend que celui qui est, dis-tu, sans corps et sans figure a ouvert la bouche et a proféré une Parole, comme l'un quelconque de ces vivants qui sont composés de parties, et que cette Parole, semblable à celui qui l'a émise et forme de l'Invisible, est faite de trente lettres et de quatre syllabes ? Ainsi, en raison de sa ressemblance avec le Logos, le Père de toutes choses, comme tu dis, sera fait de trente lettres et de quatre syllabes ! Ou encore, qui supportera que tu veuilles enfermer dans des figures et dans des nombres — tantôt trente, tantôt vingt-quatre, tantôt six seulement — Celui qui est le Créateur, l'Ouvrier et l'Auteur de toutes choses, à savoir le Verbe de Dieu; que tu le découpes en quatre syllabes et trente lettres ; que tu ravales le Seigneur de toutes choses, Celui qui a affermi les deux, au nombre 888, comme tu l'as fait pour l'alphabet ; que le Père lui-même, qui contient toutes choses et n'est contenu par aucune, tu le subdivises en Tétrade, Ogdoade, Décade et Dodécade, et que, par de telles multiplications, tu exposes en détail ce qui est, comme tu dis, l'inexprimable et l'inconcevable nature du Père? Celui que tu appelles incorporel et sans substance, tu en fabriques l'essence et la substance avec une multitude de lettres engendrées les unes des autres, Dédale menteur que tu es et mauvais artisan de la Puissance élevée au-dessus de tout. Et cette substance que tu dis indivisible, tu la subdivises en consonnes muettes, en voyelles et en semi-voyelles, attribuant faussement les muettes au Père et à sa Pensée : tu plonges par là dans le plus profond des blasphèmes et la plus grande des impiétés tous ceux qui se fient à toi. Aussi est-ce à juste titre et d'une façon bien appropriée à ton audace que ce vieillard divinement inspiré et ce héraut de la vérité a invectivé contre toi par les vers que voici : Tu n'es qu'un fabricant d'idoles, Marc, et un charlatan ! Rompu aux artifices de l'astrologie et de la magie, tu confirmes par eux tes doctrines de mensonge. Comme signes, tu fais voir à ceux que tu trompes les œuvres de la Puissance apostate, celles que ton père Satan te donne sans cesse d'accomplir par la vertu de l'ange Azazel, car il a en toi un précurseur de l'impiété qui doit se déchaîner contre Dieu. Telles sont les paroles du vieillard ami de Dieu. Pour nous, nous allons tenter d'exposer brièvement le reste de leur mystagogie, qui est fort longue, et de produire au grand jour ce qui a été caché si longtemps. Ainsi ces aberrations pourront-elles être réfutées sans peine par tout le monde. Ces gens qui ramènent tout à des nombres s'efforcent donc de décrire d'une manière encore plus « mystique » la genèse de leurs Eons ainsi que l'égarement et le recouvrement de la brebis, en faisant un seul bloc de tout cela. Toutes choses, disent-ils, tirent leur origine de la monade et de la dyade. En comptant à partir de la monade jusqu'à quatre, ils engendrent la Décade : un et deux et trois et quatre, additionnés ensemble, enfantent le nombre de dix Eons. A son tour la dyade, en progressant à partir d'elle-même jusqu'au nombre insigne — soit deux et quatre et six —, fait apparaître la Dodécade. Enfin, si nous comptons de la même manière à partir de la dyade jusqu'à dix, nous voyons apparaître la Triacontade, en laquelle il y a l'Ogdoade, la Décade et la Dodécade. La Dodécade donc, par le fait qu'elle a le nombre insigne pour la terminer, est appelée par eux «passion». Et c'est pourquoi, une chute étant survenue dans le douzième nombre, la brebis a bondi au dehors et s'est égarée : car, disent-ils, la défection s'est faite à partir de la Dodécade. De la même manière encore, ils conjecturent qu'une Puissance s'est séparée de la Dodécade et s'est perdue : cette Dodécade est la femme qui a perdu sa drachme, a allumé une lampe et a retrouvé la drachme. De la sorte, les nombres restants, c'est-à-dire neuf pour les drachmes et onze pour les brebis, en se mêlant ensemble, enfantent le nombre 99, car 9 X 11 = 99. Voilà pourquoi, disent-ils, le mot'Ariv possède ce nombre. Je n'hésiterai pas à te rapporter encore une autre de leurs interprétations, afin que tu puisses contempler sous toutes ses faces leur « fruit ». Ils prétendent, en effet, que la lettre ï], si l'on compte le nombre insigne, est l'Ogdoade, puisqu'elle vient en huitième lieu à partir de la première lettre. Comptant ensuite sans le nombre insigne le nombre formé par ces lettres et additionnant celles-ci jusqu'à ? , ils obtiennent le nombre 30. En effet, en allant de ? à ?, si on laisse de côté le nombre insigne et si on additionne les nombres croissants correspondant aux différentes lettres, on trouve le nombre 30. En allant jusqu'à la lettre ?, on obtient le nombre 15 ; en y ajoutant ? on obtient le nombre 22; enfin, en y ajoutant ?, on a le Plérôme de l'admirable Triacontade. Ainsi prouvent-ils que l'Ogdoade est la Mère des trente Eons ! Et puisque le nombre 30 résulte de l'union de trois « vertus », devenu trois fois lui-même, il donne le nombre 90 : car 3 X 30 = 90. De son côté, la Triade, multipliée par elle-même, donne le nombre 9. Et c'est ainsi que l'Ogdoade enfante le nombre 99. Et parce que le douzième Éon, en faisant défection, a laissé les onze autres là-haut, la forme des lettres, disent-ils, a été disposée d'une façon appropriée en sorte qu'elles soient une figure du Logos. En effet, la onzième lettre est le A, qui est le nombre 30, et cette lettre a bien été disposée à l'image de l'« économie» d'en haut, puisque, si, en allant de A à A et en laissant de côté le nombre insigne, on additionne ensemble les nombres croissants correspondant aux différentes lettres, le A y compris, on obtient le nombre 99. Mais le A, qui a le onzième rang, est descendu à la recherche de son semblable, pour parachever le nombre 12, et, lorsqu'il l'a eu trouvé, il a été complété. Et c'est ce qui apparaît avec évidence par le dessin même de la lettre : le ? en effet, étant allé à la recherche de son semblable, puis l'ayant trouvé et s'étant emparé de lui pour se l'unir, a rempli le douzième lieu, étant donné que la lettre M est faite de l'union de deux A. Et c'est pour ce motif qu'ils fuient, par la gnose, la région du nombre 99, c'est-à-dire la «déficience», figurée par la main gauche, et poursuivent l'unité qui, ajoutée à 99, les fera passer dans la main droite. En lisant tout cela, cher ami, tu riras de bon cœur, je le sais, devant d'aussi prétentieuses inepties. Ils sont pourtant à plaindre, ceux qui mettent en pièces une religion si vénérable et la grandeur de la Puissance vraiment inexprimable et les incomparables « économies » de Dieu, et cela au moyen de l'alphabet et de chiffres agencés d'une façon aussi froide et aussi artificielle. Tous ceux qui se séparent de l'Eglise et adhèrent à ces contes de vieilles femmes sont vraiment eux-mêmes les auteurs de leur condamnation. Ces gens-là, Paul nous enjoint de les «rejeter après un premier et un second avertissement». Jean, le disciple du Seigneur, les a condamnés d'une manière plus sévère encore, en nous défendant même de les saluer : « Celui qui les salue, dit-il, participe à leurs œuvres mauvaises». Rien de plus juste, car «on ne doit point saluer les impies, dit le Seigneur ». Or ils sont impies au-dessus de toute impiété, ces gens qui disent que le Créateur du ciel et de la terre, le seul Dieu tout-puissant, au-dessus de qui il n'est point d'autre Dieu, est issu d'une déchéance provenant elle-même d'une autre déchéance, en sorte que, à les en croire, il serait le produit d'une troisième déchéance. Rejetant et anathématisant comme elle le mérite cette façon de penser, nous avons à fuir loin d'eux, et, plus ils affirment leurs théories et se réjouissent de leurs trouvailles, plus il faut que nous sachions qu'ils sont agités par l'Ogdoade des esprits mauvais. Quand des malades tombent dans des crises de délire, plus ils rient et se croient bien portants et font tout comme s'ils étaient en santé, voire plus qu'en santé, plus en réalité ils sont malades. De même ces gens-là : plus ils croient avoir de hautes pensées et se rompent les nerfs à force de tendre leur arc, plus ils s'éloignent du bon sens. L'esprit impur de déraison est sorti et, les trouvant en train de vaquer, non à Dieu, mais à des questions mondaines, il est allé prendre avec lui sept autres esprits plus méchants que lui ; il a enflé d'orgueil leurs pensées, en leur faisant croire qu'ils pourraient comprendre ce qui est au-dessus de Dieu, et, après les avoir convenablement préparés en vue de leur ruine, il a déposé en eux l'Ogdoade de déraison des esprits pervers. Spéculations et exégèses marcosiennes relatives au Plérôme Je veux t'exposer encore comment, d'après eux, la création elle-même aurait été faite à l'image des choses invisibles par le Démiurge, sans que celui-ci le sût, grâce à l'intervention de la Mère. En premier lieu, disent-ils, les quatre éléments, feu, eau, terre et air, ont été produits comme une image de la Tétrade supérieure. Leurs opérations respectives venant s'ajouter à eux, à savoir le chaud, le froid, l'humide et le sec, représentent exactement l'Ogdoade. Ils énumèrent ensuite dix puissances comme suit : d'abord sept corps de forme ronde qu'ils appellent cieux, puis le cercle qui les contient et qu'ils appellent huitième ciel, et enfin le soleil et la lune. Ces corps, au nombre de dix, sont l'image de l'invisible Décade issue du Logos et de la Vie. Quant à la Dodécade, elle est indiquée par le cercle appelé zodiaque : car, disent-ils, les douze signes du zodiaque figurent manifestement la Dodécade, fille de l'Homme et de l'Eglise. Et puisque, disent-ils, le ciel le plus élevé s'est opposé à l'élan rapide de tous les astres, les alourdissant de sa niasse et contrebalançant leur rapidité par sa lenteur, de façon à accomplir le cycle entier de signe en signe en trente années, ils disent que ce ciel est une image de Limite, qui enveloppe leur Mère porteuse du trentième nom. La lune à son tour, en faisant le tour de son ciel en trente jours, figure par ceux-ci le nombre des Éons. Le soleil, en accomplissant sa révolution circulaire en douze mois, manifeste par ces douze mois la Dodécade. Les jours aussi, étant mesurés par douze heures, sont la figure de l'invisible Dodécade. L'heure elle-même, qui est la douzième partie du jour, se répartit en trente portions afin d'être une image de la Triacontade. Le cercle du zodiaque comporte aussi 360 degrés, chacun des signes ayant trente degrés : ainsi, par le cercle, est conservée l'image de la conjonction du nombre douze avec le nombre trente. La terre encore est divisée en douze zones, disent-ils, et en chacune de ces zones elle reçoit perpendiculairement des cieux une vertu particulière et met au monde des enfants semblables à la vertu qui a exercé son influx : de la sorte, la terre est manifestement, assurent-ils, la figure de la Dodécade et de ses enfants. En outre, ils disent que le Démiurge voulut imiter le caractère infini, éternel, illimité et intemporel de l'Ogdoade d'en haut, mais qu'il ne put en reproduire la fixité et l'éternité parce qu'il était le fruit de la déchéance ; il transposa donc l'éternité de l'Ogdoade dans des durées et des moments et des quantités considérables d'années, s'imaginant pouvoir, par la longueur de ces durées, imiter l'éternité de l'Ogdoade. C'est alors, disent-ils, que la vérité l'a fui et que le mensonge a suivi : et c'est pourquoi, lorsque les temps seront accomplis, son œuvre subira la destruction. Voilà comment ils s'expriment au sujet de la création, chacun d'entre eux enfantant chaque jour, autant qu'il le peut, quelque chose de nouveau : car nul n'est «parfait», chez eux, s'il n'a «fructifié» en de plantureux mensonges. Mais il nous faut aussi indiquer, pour pouvoir les réfuter ultérieurement, toutes les déformations qu'ils font subir aux oracles des prophètes. Moïse, disent-ils, en commençant le récit de l'œuvre de création, montre d'emblée, dès le début, la Mère de toutes choses, lorsqu'il dit : « Au commencement Dieu fît le ciel et la terre. » En nommant ces quatre choses, à savoir Dieu, le commencement, le ciel et la terre. Moïse a représenté, disent-ils, leur Tétrade. Et il a indiqué son caractère invisible et caché par les mots : « Or la terre était invisible et non encore organisée. » La seconde Tétrade, rejeton de la première, Moïse l'a exprimée, à les en croire, en nommant l'abîme, les ténèbres, les eaux contenues en ceux-ci et l'Esprit qui était porté sur les eaux. Faisant ensuite mention de la Décade, il a cité la lumière, le jour, la nuit, le firmament, le soir, le matin, la terre sèche, la mer, l'herbe et, en dixième lieu, le bois : c'est ainsi que, par ces dix noms, il a indiqué les dix Eons. Quant à la Puissance qu'est la Dodécade, elle a été figurée chez Moïse par là même qu'il a cité le soleil, la lune, les étoiles, les saisons, les années, les monstres marins, les poissons, les serpents, les oiseaux, les quadrupèdes, les animaux sauvages et, pardessus tout cela, en douzième lieu, l'homme. Voilà, enseignent-ils, comment l'Esprit, par l'entremise de Moïse, a parlé de la Triacontade. Ce n'est pas tout. Modelé à l'image de la Puissance d'en haut, l'homme a en lui une puissance provenant d'une seule source. Cette puissance a son siège dans le lieu du cerveau. D'elle découlent quatre puissances, à l'image de la Tétrade d'en haut : elles s'appellent, l'une la vue, l'autre l'ouïe, la troisième l'odorat, la quatrième le goût. L'Ogdoade apparaît en l'homme en ce qu'il a deux oreilles, deux yeux, deux narines et une double gustation, celle de l'amer et celle du doux. Et l'homme tout entier est l'image intégrale de la Triacontade de la façon suivante : en ses mains, par ses dix doigts, il porte la Décade ; en tout son corps, divisé en douze membres, il porte la Dodécade — ils divisent en effet le corps de la même manière que celui de la Vérité, dont nous avons parlé plus haut — ; quant à l'Ogdoade, qui est inexprimable et invisible, elle est conçue comme cachée dans les entrailles. Le soleil, ce grand luminaire, disent-ils encore, a été fait le quatrième jour à cause du nombre de la Tétrade. Les tentures du tabernacle dressé par Moïse, faites de lin fin, d'hyacinthe, de pourpre et d'écarlate, présentaient, d'après eux, la même image. Le pectoral du prêtre, orné de quatre rangées de pierres précieuses, signifiait également la Tétrade. Bref, tout ce qui, dans les Écritures, est susceptible de se ramener au nombre quatre, ils le disent fait à cause de leur Tétrade. L'Ogdoade, à son tour, apparaît dans le fait que l'homme a été modelé, selon eux, le huitième jour. Tantôt, en effet, ils prétendent qu'il a été fait le sixième jour, et tantôt le huitième, à moins qu'ils ne disent que l'homme choïque a été modelé le sixième jour, et l'homme charnel le huitième jour : car ils distinguent ces deux choses. Certains prétendent aussi distinguer l'homme à la fois mâle et femelle fait à l'image et à la ressemblance de Dieu — ce serait l'homme pneumatique — et l'homme modelé au moyen de terre. De même l'« économie » de l'arche lors du déluge, en laquelle huit hommes furent sauvés, indique manifestement l'Ogdoade salvifïque. David signifiait la même chose par le fait qu'il était le huitième d'entre ses frères. De même encore la circoncision, qui avait lieu le huitième jour, manifestait la circoncision de l'Ogdoade d'en haut. Et absolument tout ce qui, dans les Écritures, est susceptible de se ramener au nombre huit, accomplit, à les en croire, le mystère de l'Ogdoade. La Décade, elle aussi, est signifiée par les dix nations que Dieu promit de donner en possession à Abraham. Elle est aussi manifestée par l'« économie» de Sara, qui, après dix ans, donna son esclave Agar à Abraham pour qu'il eût d'elle des enfants. De même encore le serviteur d'Abraham envoyé vers Rebecca et lui faisant cadeau de bracelets d'or d'un poids de dix sicles auprès du puits, les frères de Rebecca retenant celle-ci durant dix jours, Jéroboam recevant dix sceptres, les dix tentures du tabernacle, les colonnes de dix coudées, les dix fils de Jacob envoyés la première fois en Egypte pour y acheter du blé, les dix apôtres auxquels le Seigneur se manifesta après sa résurrection : tout cela figurait, d'après eux, la Décade invisible. La Dodécade, en laquelle s'est produit le mystère de la passion de déchéance — c'est de cette passion que, selon eux, auraient été formées les choses visibles —, se rencontre partout de façon claire et manifeste. Ainsi les douze fils de Jacob, d'où sont issues les douze tribus; le pectoral aux couleurs variées, ayant douze pierres précieuses et douze clochettes ; les douze pierres dressées par Moïse au pied de la montagne; les douze pierres dressées par Josué au milieu du fleuve et les douze autres qu'il dressa au delà du fleuve; les douze hommes qui portèrent l'arche d'alliance; les douze pierres disposées par Elie lors de l'holocauste du taureau ; les douze apôtres enfin : bref, tout ce qui présente le nombre douze signifie, disent-ils, leur Dodécade. Quant à la réunion de tous les Bons, appelée par eux Triacontade, elle est indiquée par l'arche de Noé, dont la hauteur était de trente coudées, par Samuel faisant asseoir Saül en tête des trente in vîtes, par David, qui se cacha pendant trente jours dans le champ, par les trente hommes qui entrèrent avec lui dans la caverne, par la longueur du saint tabernacle qui était de trente coudées . Et toutes les fois qu'ils rencontrent d'autres passages où figure ce nombre, ils prétendent prouver par eux leur Triacontade. Exégèses marcosiennes relatives au Père inconnu J'ai cru nécessaire d'ajouter à tout cela ce que, à l'aide de textes arrachés aux Ecritures, ils tentent de faire accroire au sujet de leur Pro-Père, prétendument inconnu de tous avant la venue du Christ : ils veulent prouver par là que notre Seigneur a annoncé un autre Père que le Créateur de cet univers — ce Créateur que, comme nous l'avons déjà dit, ces impies blasphémateurs disent être un « fruit de déchéance». Donc, lorsqu'Isaïe dit: «Israël ne m'a pas connu et le peuple ne m'a pas compris», ils veulent qu'il ait parlé de l'ignorance où l'on était de l'Abîme invisible. La parole d'Osée : « Il n'y a en eux ni vérité ni connaissance de Dieu », ils la détournent de force dans le même sens. Le verset : « Il n'est personne qui ait de l'intelligence ou qui recherche Dieu ; tous se sont égarés, ensemble ils se sont corrompus », ils l'entendent de l'ignorance où l'on était de l'Abîme. La parole de Moïse : « Nul ne verra Dieu et vivra» se rapporterait également à l'Abîme. Car c'est l'Auteur du monde, prétendent-ils, qui a été vu par les prophètes ; quant à la parole : « Nul ne verra Dieu et vivra», ils veulent qu'elle ait été dite de la Grandeur invisible et inconnue de tous. — Que cette parole : « Nul ne verra Dieu et vivra » ait été dite de Celui qui est le Père invisible et l'Auteur de toutes choses, c'est clair pour nous tous ; qu'elle concerne, non pas l'Abîme inventé de toutes pièces par eux, mais le Créateur, qui n'est autre que le Dieu invisible, nous le montrerons dans la suite de notre ouvrage. — Daniel encore, à les en croire, signifiait la même chose, lorsqu'il demandait à l'ange l'explication des paraboles, ce qui prouve bien qu'il l'ignorait. Et l'ange tenait caché à ses yeux le grand mystère de l'Abîme, lorsqu'il lui répondait : « Retire-toi, Daniel, car ces paroles sont obstruées jusqu'à ce que comprennent ceux qui comprendront et soient rendus brillants ceux qui seront brillants. » Ils se targuent d'être eux-mêmes « ceux qui sont brillants » et « ceux qui comprennent » ! Outre cela, ils introduisent subrepticement une multitude infinie d'Écritures apocryphes et bâtardes confectionnées par eux pour faire impression sur les simples d'esprit et sur ceux qui ignorent les écrits authentiques. Dans le même but, ils y ajoutent encore la fausseté que voici : Lorsque le Seigneur était enfant et apprenait ses lettres, le maître lui dit, comme c'était la coutume : Dis alpha ; il répondit alpha. Mais lorsqu'ensuite le maître lui eut enjoint de dire bêta, le Seigneur lui répondit : Dis-moi d'abord toi-même ce qu'est alpha, et je te dirai alors ce qu'est bêta. Ils expliquent cette réponse du Seigneur en ce sens que lui seul aurait connu l'Inconnaissable, qu'il manifesta sous la figure de la lettre alpha. Ils détournent aussi dans le même sens certaines paroles figurant dans l'Evangile. Ainsi, la réponse que le Seigneur, âgé de douze ans, fit à sa mère : « Ne savez-vous pas que je dois être aux choses de mon Père ? » : il leur annonça par là, disent-ils, le Père qu'ils ne connaissaient pas. C'est aussi pour cela qu'il envoya ses disciples vers les douze tribus, afin qu'ils leur annoncent le Dieu qui leur était inconnu. De même, à celui qui lui disait : « Bon Maître», le Seigneur désigna sans ambages le Dieu véritablement bon, en lui répondant : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Un seul est bon, le Père qui est parmi les Cieux» : les Cieux dont il est ici question, ce sont, disent-ils, les Bons. De même encore, le Seigneur ne répondit pas à ceux qui lui demandaient : « Par quelle puissance fais-tu cela ? », mais, par la question qu'il leur opposa, il les plongea dans l'embarras : en ne répondant pas, expliquent-ils, le Seigneur montra le caractère inexprimable du Père. De même, la parole : « Souvent ils ont désiré entendre une seule de ces paroles, mais ils n'ont eu personne qui la leur dise », est, disent-ils, de quelqu'un qui manifeste, par ce mot « une seule », le seul vrai Dieu qu'on ne connaissait pas. De même encore, lorsque le Seigneur, approchant de Jérusalem, pleura sur elle et dit : « Ah ! si tu avais reconnu, toi aussi, aujourd'hui, ce qui devait procurer la paix. Mais cela t'a été caché », il aurait, par les mots «cela t'a été caché », révélé le mystère caché de l'Abîme. Et lorsqu'il dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et faites-vous mes disciples », il aurait annoncé le Père de la Vérité : car, disent-ils, ce qu'ils ignoraient, il promettait de le leur enseigner. Enfin, comme preuve de tout ce qui précède et, pour ainsi dire, comme expression ultime de tout leur système, ils apportent le texte suivant : « Je te loue, ô Père, Seigneur des Cieux et de la Terre, d'avoir caché ces choses aux sages et aux prudents et de les avoir révélées aux petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Toutes choses m'ont été remises par mon Père, et nul n'a connu le Père sinon le Fils, ni le Fils sinon le Père, et celui à qui le Fils les a révélés. » Par ces paroles, disent-ils, le Seigneur a clairement montré que, avant sa venue, personne n'a jamais connu le Père de Vérité découvert par eux ; c'est l'Auteur et le Créateur du monde, prétendent-ils, qui a toujours été connu de tous, et les paroles du Seigneur concernent le Père inconnu de tous, celui qu'eux-mêmes annoncent. Diversité des rites de « rédemption » en usage chez les Marcosiens Quant à la tradition concernant leur «rédemption», il se trouve qu'elle est invisible et insaisissable, car cette « rédemption » est elle-même mère d'êtres insaisissables et invisibles. C'est pourquoi, du fait qu'elle est instable, elle ne peut être décrite de façon simple et par une seule formule, car chacun d'eux la transmet comme il veut : autant il y a de mystagogues de cette doctrine, autant il y a de « rédemptions ». Que cette sorte de gens ait été envoyée en sous-main par Satan pour la négation du baptême de la régénération en Dieu et pour le rejet de toute la foi, nous le montrerons à l'endroit voulu, quand nous les réfuterons. La «rédemption», disent-ils, est nécessaire à ceux qui ont reçu la gnose parfaite pour qu'ils soient régénérés dans la Puissance qui est au-dessus de tout. Faute de quoi il est impossible d'entrer au Plérôme, car c'est cette « rédemption», selon eux, qui fait descendre dans la profondeur de l'Abîme ! Le baptême fut le fait du Jésus visible, en vue de la rémission des péchés, mais la « rédemption » fut le fait du Christ descendant en Jésus, en vue de la «perfection». Le baptême était psychique, mais la « rédemption » était pneumatique. Le baptême fut annoncé par Jean en vue de la pénitence, mais la « rédemption » fut apportée par le Christ en vue de la «perfection». C'est à cela qu'il faisait allusion, lorsqu'il disait : « Il est un autre baptême dont je dois être baptisé, et je me hâte vivement vers lui. » De même, aux fils de Zébédée, tandis que leur mère demandait qu'ils fussent assis à sa droite et à sa gauche avec lui dans le royaume, le Seigneur présenta cette «rédemption», lorsqu'il leur dit : « Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ? » De même Paul, à les en croire, a indiqué expressément et à maintes reprises cette « rédemption » qui est dans le Christ Jésus : ce serait celle-là même qui est transmise par eux sous des formes variées et discordantes. Car les uns disposent une chambre nuptiale et accomplissent toute une mystagogie accompagnée d'invocations sur les initiés : ils prétendent effectuer ainsi un mariage pneumatique à la ressemblance des syzygies d'en haut. D'autres les conduisent vers l'eau et, en les y plongeant, prononcent sur eux ces mots : « Au nom du Père inconnu de toutes choses, dans la Vérité Mère de toutes choses, dans Celui qui descendit sur Jésus : dans l'union, la rédemption et la communion des Puissances. » D'autres profèrent sur eux des mots hébreux, pour frapper davantage les initiés. Ainsi : « Basyma cacabasa eanaa irraumista diarbada caëota bafobor camelanthi. » Ce qui se traduit : «J'invoque ce qui est au-dessus de toute puissance du Père et est appelé Lumière, Esprit et Vie : car, dans un corps, tu as régné. » D'autres encore proclament la « rédemption » de la façon suivante : « Le Nom caché à toute Divinité, Seigneurie ou Vérité qu'a revêtu Jésus de Nazareth dans les zones de la lumière du Christ, qui vit par l'Esprit Saint, pour la rédemption des Anges, le Nom de la restauration : Messia ufar magno in seenchaldia mosomeda eaacha faronepseha Jesu Nazarene. » Ce qui se traduit : «Je ne divise pas l'Esprit, le cœur et la supra-céleste puissance miséricordieuse du Christ : puisse-je jouir de ton Nom, Sauveur de Vérité ! » Ainsi parlent ceux qui font l'initiation. L'initié répond alors : «Je suis confirmé et racheté, et je rachète mon âme de ce siècle et de tout ce qui en ressortit, au Nom de Jao qui a racheté son âme pour la rédemption dans le Christ vivant. » Enfin les assistants poussent l'acclamation suivante : « Paix à tous ceux sur lesquels ce Nom repose ! » Après quoi ils oignent l'initié avec du baume. Ce parfum figure, disent-ils, la bonne odeur répandue sur les Eons. Certains d'entre eux jugent superflu de conduire à l'eau : ils mélangent ensemble de l'huile et de l'eau et, tout en prononçant des formules du genre de celles que nous avons dites plus haut, ils versent ce mélange sur la tête des initiés. C'est là, prétendent-ils, la «rédemption». Eux aussi oignent avec du baume. D'autres, rejetant toutes ces pratiques, disent qu'on ne doit pas accomplir le mystère de la Puissance inexprimable et invisible au moyen de créatures visibles et corruptibles, ni le mystère des réalités irreprésentables et incorporelles au moyen de choses sensibles et corporelles. La « rédemption » parfaite, c'est la connaissance même de la Grandeur inexprimable : puisque c'est de l'ignorance que sont sorties la déchéance et la passion, c'est par la gnose que sera aboli tout l'état de choses issu de l'ignorance. C'est donc bien la gnose qui est la « rédemption » de l'homme intérieur. Cette « rédemption » n'est ni somatique, puisque le corps est corruptible, ni psychique, puisque l'âme aussi provient de la déchéance et n'est que l'habitacle du pneuma ; elle est donc nécessairement pneumatique. De fait, par la gnose est racheté l'homme intérieur ou pneumatique, et il suffit à ces gens-là d'avoir la connaissance de toutes choses : telle est la vraie « rédemption ». D'autres pratiquent le rite de la « rédemption » sur les mourants à leur dernier moment : ils leur versent sur la tête l'huile et l'eau, ou l'onguent susdit, mélangé à l'eau, et ils font sur eux les invocations que nous avons dites, afin qu'ils deviennent insaisissables et invisibles aux Archontes et aux Puissances et que leur homme intérieur monte au-dessus des espaces invisibles, abandonnant le corps à l'univers créé et laissant l'âme auprès du Démiurge. En arrivant aux Puissances, après sa mort, l'initié sera tenu de dire ces mots : «Je suis un fils issu du Père, du Père préexistant, et un fils dans le Préexistant. Je suis venu pour tout voir, ce qui m'est propre et ce qui m'est étranger — non entièrement étranger, il est vrai, mais appartenant à Achamoth, qui est Femme et a fait cela par elle-même, mais n'en tire pas moins sa race du Préexistant — et je m'en retourne vers mon domaine propre d'où je suis venu. » En disant ces mots, il échappera aux Puissances. Il arrivera ensuite aux Anges qui entourent le Démiurge, et il leur dira : «Je suis un vase précieux, plus précieux que la Femme qui vous a faits. Si votre Mère ignore sa racine, moi, je me connais, je sais d'où je suis. Et j'invoque l'incorruptible Sagesse qui est dans le Père, qui est la Mère de votre Mère, laquelle n'a pas de Père ni même de conjoint mâle; c'est une Femme issue de Femme qui vous a faits, ignorant jusqu'à sa Mère et s'imaginant qu'elle était seule ; quant à moi, j'invoque la Mère de celle-là. » En entendant ces mots, les Anges qui entourent le Démiurge seront violemment troublés et s'en prendront à leur racine et à la race de leur Mère ; quant à l'initié, il s'en ira vers son domaine propre, en rejetant son lien, c'est-à-dire son âme. Telles sont les données que nous avons pu recueillir sur leur « rédemption ». Mais ils différent les uns des autres dans leurs enseignements et leurs traditions, et les derniers venus s'appliquent à trouver chaque jour du neuf et à produire des « fruits » que personne n'a jamais encore imaginés : aussi est-il malaisé de décrire de façon exhaustive leurs doctrines. 3. LA RÈGLE DE VÉRITÉ Pour nous, nous gardons la règle de vérité, selon laquelle « il existe un seul Dieu » tout-puissant « qui a tout créé » par son Verbe, « a tout organisé et a fait de rien toutes choses pour qu'elles soient », selon ce que dit l'Ecriture : « Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par le Souffle de sa bouche existe toute leur puissance » ; et encore : « Tout a été fait par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait. » De ce «tout», rien n'est excepté : le Père a fait par lui toutes choses, soit visibles, soit invisibles, soit sensibles, soit intelligibles, soit temporelles en vue d'une « économie », soit éternelles. Il ne les a pas faites par des Anges ni par des Puissances séparées de sa volonté, car Dieu n'a nul besoin de quoi que ce soit ; mais c'est par son Verbe et son Esprit qu'il fait tout, dispose tout, gouverne tout, donne l'être à tout. C'est lui qui a fait le monde — car le monde fait partie de ce « tout » —, lui qui a modelé l'homme. C'est lui le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, au-dessus duquel il n'est point d'autre Dieu, non plus qu'un Principe, une Puissance ou un Plérôme quelconques. C'est lui le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, comme nous le montrerons. En gardant cette règle, nous pouvons sans peine, quelque variés et abondants que soient les dires des hérétiques, prouver qu'ils se sont écartés de la vérité. En effet, presque tous les hérétiques, autant qu'ils sont, affirment bien un seul Dieu, mais ils le changent par leur doctrine perverse, ingrats qu'ils sont envers leur Créateur autant que les païens le sont par l'idolâtrie. D'autre part, ils méprisent l'ouvrage modelé par Dieu, rejetant leur propre salut et s'érigeant en accusateurs farouches et en faux témoins contre eux-mêmes. Ils ressusciteront certes dans leur chair, même à leur corps défendant, pour reconnaître la puissance de Celui qui les ressuscitera d'entre les morts, mais ils ne seront pas comptés au nombre des justes à cause de leur incrédulité. Puisqu'une dénonciation de tous les hérétiques est donc forcément variée et multiforme et que notre propos est de les contredire tous selon le caractère propre à chacun, nous croyons nécessaire de faire connaître d'abord leur source et leur «racine», afin que, connaissant leur très sublime Abîme, tu saches de quel arbre sont sortis de tels « fruits » ! TROISIEME PARTIE ORIGINE DU VALENTINISME 1. LES ANCÊTRES DES VALENTINIENS Simon le Magicien et Ménandre Il s'agit en effet de Simon de Samarie, ce magicien dont Luc, disciple et compagnon des apôtres, dit : « Il se trouvait déjà auparavant dans la ville un homme du nom de Simon, qui exerçait la magie et émerveillait les gens de Samarie. Il prétendait être quelqu'un de grand. Tous s'attachaient à lui du petit au grand et disaient : Cet homme est la Puissance de Dieu, celle qu'on appelle la Grande. Ils s'attachaient à lui, parce que depuis longtemps il les avait émerveillés par ses pratiques magiques » Ce Simon donc feignit d'embrasser la foi. Il pensa que les apôtres eux aussi opéraient des guérisons par la magie, et non par la puissance de Dieu. Les voyant remplir de l'Esprit Saint, par l'imposition des mains, ceux qui avaient cru en Dieu par le Christ Jésus qu'ils annonçaient, il s'imagina que c'était par l'effet d'un savoir magique plus grand encore qu'ils faisaient cela et offrit de l'argent aux apôtres afin de recevoir, lui aussi, ce pouvoir de donner l'Esprit Saint à qui il voudrait. Mais il s'entendit dire par Pierre : « Périsse ton argent avec toi, puisque tu as pensé pouvoir acquérir le don de Dieu à prix d'argent ! Il n'y a pour toi ni part ni lot en cette affaire, car ton cœur n'est pas droit devant Dieu. Je vois que tu es plongé dans un fiel amer et lié par l'iniquité. » Il n'en devint que plus incrédule à l'égard de Dieu. Dans son désir de rivaliser avec les apôtres et de devenir célèbre lui aussi, il s'appliqua davantage encore à toutes les pratiques magiques, au point de rendre muets d'admiration une foule d'hommes. Il vivait au temps de l'empereur Claude, qui, dit-on, alla jusqu'à l'honorer d'une statue pour sa magie. C'est ainsi qu'il fut glorifié par un grand nombre à l'égal de Dieu. C'était lui-même, enseignait-il, qui s'était manifesté parmi les Juifs comme Fils, qui était descendu en Samarie comme Père et qui était venu parmi les autres nations comme Esprit Saint : il était la suprême Puissance, c'est-à-dire le Père qui est au-dessus de toutes choses, et il consentait à être appelé de tous les noms dont l'appelaient les hommes. Simon de Samarie, de qui dérivèrent toutes les hérésies, édifia sa secte sur le système que voici. Ayant acheté à Tyr, en Phénicie, une certaine Hélène, qui y exerçait le métier de prostituée, il se mit à parcourir le pays avec elle, disant qu'elle était sa Pensée première, la Mère de toutes choses, celle par laquelle, à l'origine, il avait eu l'idée de faire les Anges et les Archanges. Cette Pensée avait bondi hors de lui : sachant ce que voulait son Père, elle était descendue vers les lieux inférieurs et avait enfanté les Anges et les Puissances, par lesquels fut ensuite fait ce monde. Mais, après qu'elle les eut enfantés, elle avait été retenue prisonnière par eux par malveillance, parce qu'ils ne voulaient pas passer pour être la progéniture de qui que ce fût. Lui-même, en effet, fut totalement ignoré d'eux : quant à sa Pensée, elle fut retenue prisonnière par les Puissances et les Anges qu'elle avait émis : pour qu'elle ne pût remonter vers son Père, elle fut accablée par eux de toute espèce d'outrages, jusqu'à être enfermée dans un corps humain et à être comme transvasée, au cours des siècles, dans différents corps de femme. Elle fut, entre autres, en cette Hélène qui causa la guerre de Troie ; et ainsi s'explique que Stésichore, pour l'avoir outragée dans ses poèmes, devint aveugle, tandis que, après s'être repenti et l'avoir célébrée dans ses «palinodies », il recouvra la vue. Tout en passant ainsi de corps en corps et en ne cessant de subir des outrages, pour finir elle vécut même dans un lieu de prostitution : c'était la «brebis perdue». C'est pourquoi il vint en personne, afin de la recouvrer la première et de la délivrer de ses liens, afin aussi de procurer le salut aux hommes par la « connaissance » de lui-même. Car, comme les Anges gouvernaient mal le monde, du fait que chacun d'eux convoitait le commandement, il vint pour redresser cette situation. Il descendit, en se métamorphosant et en se rendant semblable aux Principautés, aux Puissances et aux Anges : c'est ainsi qu'il se montra également parmi les hommes comme un homme, quoique n'étant pas homme, et qu'il parut souffrir en Judée, sans souffrir réellement. Quant aux prophètes, c'est sous l'inspiration des Anges auteurs du monde qu'ils avaient débité leurs prophéties. Aussi les fidèles de Simon et d'Hélène ne devaient-ils plus se soucier d'eux, mais, en hommes libres, faire tout ce qu'ils voulaient : ce qui sauvait les hommes, c'était la grâce de Simon, non les œuvres justes. Car il n'y avait point d'œuvres justes par nature, mais seulement par convention, selon qu'en avaient disposé les Anges auteurs du monde dans le but de réduire les hommes en esclavage par de tels commandements. Aussi Simon promettait-il de détruire le monde et de libérer les siens de la domination des Auteurs du monde. Leurs mystagogues vivent donc dans la débauche, et, d'autre part, s'adonnent à la magie, chacun autant qu'il peut. Ils usent d'exorcismes et d'incantations. Ils recourent aussi aux philtres, aux charmes, aux démons dits parèdres et oniropompes et à toutes les autres pratiques magiques. Ils possèdent une image de Simon représenté sous les traits de Zeus et une image d'Hélène sous ceux d'Athéna, et ils les adorent. Ils portent aussi un nom dérivé de Simon, l'initiateur de leur doctrine impie, puisqu'ils sont appelés Simoniens, et c'est d'eux que tire son origine la gnose au nom menteur, ainsi qu'il est loisible de l'apprendre par leurs déclarations mêmes. Il eut pour successeur Ménandre, originaire de Samarie, qui atteignit, lui aussi, au faîte de la magie. La première Puissance, disait-il, était inconnue de tous ; quant à lui, il était le Sauveur envoyé des lieux invisibles pour le salut des hommes. Le monde avait été fait par des Anges, lesquels, affirmait-il à l'instar de Simon, avaient été émis par la Pensée. Par la magie qu'il enseignait, il donnait une gnose permettant de vaincre les Anges mêmes qui avaient fait le monde. Car, du fait qu'ils étaient baptisés en lui, ses disciples recevaient la résurrection : ils ne pourraient plus mourir, mais se maintiendraient à l'abri du vieillissement et de la mort. Saturnin et Basilide Prenant comme point de départ la doctrine de ces deux hommes, Saturnin, originaire d'Antioche près de Daphné, et Basilide donnèrent naissance à des écoles divergentes, l'un en Syrie, l'autre à Alexandrie. Pour Saturnin, tout comme pour Ménandre, il existe un Père inconnu de tous, qui a fait les Anges, les Archanges, les Vertus et les Puissances. Sept d'entre ces Anges ont fait le monde et tout ce qu'il renferme. L'homme, lui aussi, est l'ouvrage des Anges. Une image resplendissante, venue d'en haut, de la suprême Puissance, leur était soudainement apparue. N'ayant pu la retenir, dit Saturnin, parce qu'elle était aussitôt remontée dans les hauteurs, ils s'excitèrent les uns les autres en disant : « Faisons un homme selon l'image et selon la ressemblance ". » Ainsi fut fait ; mais, par suite de la faiblesse des Anges, l'ouvrage modelé par eux ne pouvait se tenir debout et se tortillait à la façon d'un ver. Alors la Puissance d'en haut en eut pitié, parce qu'il avait été fait à sa ressemblance, et lui envoya une étincelle de vie qui le redressa, le mit debout et le fit vivre. Après la mort, dit Saturnin, cette étincelle de vie remonte vers ce qui est de même nature qu'elle ; quant au reste, il retourne aux éléments dont il a été tiré. Le Sauveur, affirme-t-il encore, est inengendré, sans corps ni figure, et c'est d'une manière purement apparente qu'il s'est fait voir comme homme. Le Dieu des Juifs est l'un des Anges. Parce que le Père voulait détruire tous les Archontes, le Christ est venu pour la destruction du Dieu des Juifs et pour le salut de ceux qui croiraient en lui. Ces derniers sont ceux qui ont en eux l'étincelle de vie. En effet, dit-il, deux races d'hommes ont été modelées par les Anges, l'une mauvaise, l'autre bonne : comme les démons donnaient leur aide aux mauvais, le Sauveur est venu pour la destruction des hommes pervers et des démons et pour le salut des bons. Le mariage et la génération, dit-il encore, viennent de Satan. La plupart de ses disciples s'abstiennent de viandes et trompent nombre d'hommes par cette tempérance simulée. Quant aux prophéties, elles ont été faites, les unes sous l'action des Anges auteurs du monde, les autres sous celle de Satan. Ce dernier, affirme Saturnin, est lui aussi un Ange, mais un Ange opposé aux Auteurs du monde et, par-dessus tout, au Dieu des Juifs. Basilide, pour paraître avoir trouvé quelque chose de plus élevé et de plus persuasif, étendit à l'infini le développement de sa doctrine. D'après lui, du Père inengendré est né d'abord l'Intellect, puis de l'Intellect le Logos, puis du Logos la Prudence, puis de la Prudence la Sagesse et la Puissance, puis de la Puissance et de la Sagesse les Vertus, les Archontes et les Anges qu'il appelle premiers et par qui a été fait le premier ciel. Puis, par émanation à partir de ceux-ci, d'autres Anges sont venus à l'existence et ont fait un second ciel semblable au premier. De la même manière, d'autres Anges encore sont venus à l'existence par émanation à partir des précédents, comme réplique de ceux qui sont au-dessus d'eux, et ont fabriqué un troisième ciel. Puis, de cette troisième série d'Anges, une quatrième est sortie par dégradation, et ainsi de suite. De cette manière, assurent-ils, sont venues à l'existence des séries successives d'Archontes et d'Anges, et jusqu'à 365 cieux. Et c'est pour cette raison qu'il y a ce même nombre de jours dans l'année, conformément au nombre des cieux. Les Anges qui occupent le ciel inférieur, celui que nous voyons, ont fait tout ce que renferme le monde et se sont partagé entre eux la terre et les nations qui s'y trouvent. Leur chef est celui qui passe pour être le Dieu des Juifs. Celui-ci ayant voulu soumettre les autres nations à ses hommes à lui, c'est-à-dire aux Juifs, les autres Archontes se dressèrent contre lui et le combattirent. Pour ce motif aussi les autres nations se dressèrent contre la sienne. Alors le Père inengendré et innommable, voyant la perversité des Archontes, envoya l'Intellect, son Fils premier-né — c'est lui qu'on appelle le Christ — pour libérer de la domination des Auteurs du monde ceux qui croiraient en lui. Celui-ci apparut aux nations de ces Archontes, sur terre, sous la forme d'un homme, et il accomplit des prodiges. Par conséquent, il ne souffrit pas lui-même la Passion, mais un certain Simon de Cyrène fut réquisitionné et porta sa croix à sa place. Et c'est ce Simon qui, par ignorance et erreur, fut crucifié, après avoir été métamorphosé par lui pour qu'on le prît pour Jésus ; quant à Jésus lui-même, il prit les traits de Simon et, se tenant là, se moqua des Archontes. Etant en effet une Puissance incorporelle et l'Intellect du Père inengendré, il se métamorphosa comme il voulut, et c'est ainsi qu'il remonta vers Celui qui l'avait envoyé, en se moquant d'eux, parce qu'il ne pouvait être retenu et qu'il était invisible à tous. Ceux donc qui « savent » cela ont été délivrés des Archontes auteurs du monde. Et l'on ne doit pas confesser celui qui a été crucifié, mais celui qui est venu sous une forme humaine, a paru crucifié, a été appelé Jésus et a été envoyé par le Père pour détruire, par cette « économie », les œuvres des Auteurs du monde. Si quelqu'un confesse le crucifié, dit Basilide, il est encore esclave et sous la domination de ceux qui ont fait les corps ; mais celui qui le renie est libéré de leur emprise et connaît l'« économie» du Père inengendré. Il n'y a de salut que pour l'âme seule, car le corps est corruptible par nature. Les prophéties proviennent elles aussi des Archontes auteurs du monde, mais la Loi provient à titre propre de leur chef, c'est-à-dire de celui qui a fait sortir le peuple de la terre d'Egypte. On doit mépriser les viandes offertes aux idoles, les tenir pour rien et en user sans la moindre crainte ; on doit tenir également pour matière indifférente les autres actions, y compris toutes les formes possibles de débauche. Ces gens-là recourent eux aussi à la magie, aux incantations, aux invocations et aux autres pratiques magiques. Ils inventent des noms qu'ils disent être ceux des Anges ; ils prétendent que tels sont dans le premier ciel, tels autres dans le second, et ainsi de suite ; ils s'évertuent de la sorte à exposer les noms des Archontes, des Anges et des Vertus de leurs 365 prétendus cieux. De même, ils disent que le nom sous lequel est descendu et remonté le Sauveur est Caulacau. Celui donc qui aura appris ces choses et connaîtra tous les Anges et leurs origines deviendra lui-même invisible et insaisissable aux Anges et aux Puissances, comme l'a été Caulacau. De même que le Fils a été inconnu à tous, ainsi eux-mêmes ne pourront être connus par personne : tandis qu'ils connaîtront tous les Anges et franchiront leurs domaines respectifs, ils resteront pour eux tous invisibles et inconnus. « Pour toi, disent-ils, connais-les tous, mais qu'aucun ne te connaisse ! » Pour ce motif, des gens de cette sorte sont prêts à tous les reniements : bien mieux, ils ne peuvent pas même souffrir pour le Nom, puisqu'ils sont semblables aux Éons. Peu d'hommes sont capables d'un tel savoir : il n'y en a qu'un sur mille, deux sur dix mille. Les Juifs, disent-ils, n'existent plus, et les chrétiens n'existent pas encore. Leurs mystères ne doivent absolument pas être divulgués, mais tenus secrets par le moyen du silence. Ils déterminent la position des 365 cieux de la même manière que les astrologues : empruntant leurs principes, ils les adaptent au caractère propre de leur doctrine. Leur chef est Abraxas, et c'est pour cela qu'il possède le nombre 365. Carpocrate et ses disciples Selon Carpocrate et ses disciples, le monde avec ce qu'il contient a été fait par des Anges de beaucoup inférieurs au Père inengendré. Jésus était né de Joseph ; semblable à tous les autres hommes, il fut supérieur à tous en ce que son âme, qui était forte et pure, conserva le souvenir de ce qu'elle avait vu dans la sphère du Père inengendré. Pour ce motif, une force lui fut envoyée par le Père pour lui permettre d'échapper aux Auteurs du monde ; ayant traversé tous leurs domaines et ayant été délivrée en tous, elle remonta jusqu'au Père. Et il en va de même pour les âmes qui embrassent des dispositions semblables aux siennes. L'âme de Jésus, disent-ils, éduquée dans les coutumes des Juifs, les a méprisées ; c'est pourquoi elle a reçu des forces grâce auxquelles elle a détruit les passions qui se trouvaient dans les hommes à titre de châtiment. L'âme donc qui, à l'instar de celle de Jésus, est capable de mépriser les Archontes auteurs du monde, reçoit pareillement une force lui permettant d'accomplir les mêmes actes. Aussi en sont-ils venus à un tel degré d'orgueil, que certains d'entre eux se disent égaux à Jésus, tandis que d'autres se déclarent encore plus forts que lui et que d'autres se prétendent supérieurs à ses disciples, comme Pierre et Paul et les autres apôtres, qui ne le cèdent eux-mêmes en rien à Jésus. Car leurs âmes, provenant de la même sphère et, pour ce motif, méprisant pareillement les Auteurs du monde, ont été gratifiées de la même force et retournent au même lieu. Et s'il arrive que quelqu'un méprise plus que Jésus les choses d'ici-bas, il peut lui être supérieur. Ils recourent, eux aussi, aux pratiques magiques, aux incantations, aux philtres, aux charmes, aux démons parèdres et envoyeurs de songes et aux autres infamies. Ils disent qu'ils ont le pouvoir de dominer déjà sur les Archontes et les Auteurs de ce monde, et non seulement sur eux, mais sur tous leurs ouvrages que renferme le monde. Ces gens-là, eux aussi, ont été envoyés par Satan vers les païens pour faire calomnier le nom vénérable de l'Eglise, afin que les hommes, entendant de diverses manières parler d'eux et s'imaginant que nous leur sommes tous pareils, détournent leurs oreilles de la prédication de la vérité, ou que, voyant également leur conduite, ils nous enveloppent tous dans la même diffamation. Cependant nous n'avons rien de commun avec eux, ni dans la doctrine, ni dans les mœurs, ni dans la vie quotidienne; mais ces gens, qui vivent dans la débauche et professent des doctrines impies, se servent du Nom comme d'un voile dont ils couvrent leur malice. Aussi «leur condamnation sera-t-elle juste», et recevront-ils de Dieu le digne salaire de leurs œuvres. Ils en sont venus à un tel degré d'aberration qu'ils affirment pouvoir commettre librement toutes les impiétés, tous les sacrilèges. Le bien et le mal, disent-ils, ne relèvent que d'opinions humaines. Et les âmes devront de toute façon, moyennant leur passage dans des corps successifs, expérimenter toutes les manières possibles de vivre et d'agir — à moins que, se hâtant, elles n'accomplissent d'un coup, en une seule venue, toutes ces actions que non seulement il ne nous est pas permis de dire et d'entendre, mais qui ne nous viendraient même pas à la pensée et que nous ne croirions pas si on venait à les mettre sur le compte d'hommes vivant dans les mêmes cités que nous. Donc, d'après leurs propres écrits, il faut que leurs âmes expérimentent toutes les manières possibles de vivre, en sorte que, à leur sortie du corps, elles ne soient en reste de rien ; autrement dit, elles doivent faire en sorte que rien ne manque à leur liberté, faute de quoi elles se verraient contraintes de retourner dans un corps. Voilà pourquoi, disent-ils, Jésus a dit cette parabole : « Tandis que tu es en chemin avec ton adversaire, fais en sorte de te libérer de lui, de peur qu'il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l'huissier et que celui-ci ne te jette en prison. En vérité, je te le dis, tu ne sortiras pas de là que tu n'aies remboursé jusqu'au dernier sou. » L'adversaire, disent-ils, c'est un des Anges qui sont dans le monde, celui qu'on nomme le Diable ; il a été fait, à les en croire, pour conduire les âmes des défunts de ce monde à l'Archonte. Cet Archonte est, d'après eux, le premier des Auteurs du monde ; il livre les âmes à un autre Ange, qui est son huissier, pour que celui-ci les enferme dans d'autres corps : car, disent-ils, c'est le corps qui est la prison. Quant à la parole : « Tu ne sortiras pas de là que tu n'aies remboursé jusqu'au dernier sou », ils l'interprètent de la façon suivante : nul ne s'affranchit du pouvoir des Anges qui ont fait le monde, mais chacun passe sans cesse d'un corps dans un autre, et cela aussi longtemps qu'il n'a pas accompli toutes les actions qui se font en ce monde ; lorsqu'il n'en manquera plus aucune, son âme, devenue libre, s'élèvera vers le Dieu qui est au-dessus des Anges auteurs du monde. Ainsi seront sauvées toutes les âmes, soit que, se hâtant, elles s'adonnent à toutes les actions en question au cours d'une seule venue, soit que, passant de corps en corps et y accomplissant toutes les espèces d'actions voulues, elles acquittent leur dette et soient ainsi libérées de la nécessité de retourner dans un corps. Commettent-ils effectivement toutes ces impiétés, toutes ces abominations, tous ces crimes ? Pour ma part, j'ai quelque peine à le croire. Quoi qu'il en soit, c'est bien là ce qui se trouve écrit dans leurs ouvrages et c'est ce qu'ils exposent eux-mêmes. A les en croire, Jésus aurait communiqué des secrets à part à ses disciples et apôtres, et il leur aurait demandé de les transmettre à part à ceux qui en seraient dignes et auraient la foi. C'est en effet par la foi et l'amour qu'on est sauvé ; tout le reste est indifférent ; selon l'opinion des hommes, cela est appelé tantôt bon, tantôt mauvais, mais en réalité il n'y a rien qui, de sa nature, soit mauvais. Certains d'entre eux marquent même leurs disciples au fer rouge à la partie postérieure du lobe de l'oreille droite. Au nombre des leurs était cette Marcellina, qui vint à Rome sous Anicet et causa la perte d'un grand nombre. Ils se décernent le titre de « gnostiques ». Ils possèdent des images, les unes peintes, les autres faites de diverses matières : car, disent-ils, un portrait du Christ fut fait par Pilate du temps où Jésus vivait parmi les hommes. Ils couronnent ces images et les exposent avec celles des philosophes profanes, c'est-à-dire avec celles de Pythagore, de Platon, d'Aristote et des autres. Ils rendent à ces images tous les autres honneurs en usage chez les païens. Cérinthe Un certain Cérinthe, en Asie, enseigna la doctrine suivante. Ce n'est pas le premier Dieu qui a fait le monde, mais une Puissance séparée par une distance considérable de la Suprême Puissance qui est au-dessus de toutes choses et ignorant le Dieu qui est au-dessus de tout. Jésus n'est pas né d'une Vierge — car cela lui paraît impossible —, mais il a été le fils de Joseph et de Marie par une génération semblable à celle de tous les autres hommes, et il l'a emporté sur tous par la justice, la prudence et la sagesse. Après le baptême, le Christ, venant d'auprès de la Suprême Puissance qui est au-dessus de toutes choses, est descendu sur Jésus sous la forme d'une colombe ; c'est alors que ce Christ a annoncé le Père inconnu et accompli des miracles ; puis, à la fin, il s'est de nouveau envolé de Jésus : Jésus a souffert et est ressuscité, mais le Christ est demeuré impassible, du fait qu'il était pneumatique. Ébionites et Nicolaïtes Ceux qu'on appelle Ébionites admettent que le monde a été fait par le vrai Dieu, mais, pour ce qui concerne le Seigneur, ils professent les mêmes opinions que Cérinthe et Carpocrate. Ils n'utilisent que l'Évangile selon Matthieu, rejettent l'apôtre Paul qu'ils accusent d'apostasie à l'égard de la Loi. Ils s'appliquent à commenter les prophéties avec une minutie excessive. Ils pratiquent la circoncision et persévèrent dans les coutumes légales et dans les pratiques juives, au point d'aller jusqu'à adorer Jérusalem, comme étant la maison de Dieu. Les Nicolaïtes ont pour maître Nicolas, un des sept premiers diacres qui furent constitués par les apôtres. Ils vivent sans retenue. L'Apocalypse de Jean manifeste pleinement qui ils sont : ils enseignent que la fornication et la manducation des viandes offertes aux idoles sont choses indifférentes. Aussi l'Écriture dit-elle à leur propos : « Mais tu as pour toi que tu hais les œuvres des Nicolaïtes, que je hais moi aussi. » Cerdon et Marcion Un certain Cerdon, prit, lui aussi, comme point de départ la doctrine des gens de l'entourage de Simon ; il résida à Rome sous Hygin, le neuvième à détenir la fonction de l'épiscopat par succession à partir des apôtres et enseigna que le Dieu annoncé par la Loi et les prophètes n'est pas le Père de notre Seigneur Jésus-Christ : car le premier a été connu et le second est inconnaissable, l'un est juste et l'autre est bon. Il eut pour successeur Marcion, originaire du Pont, qui développa son école en blasphémant avec impudence le Dieu annoncé par la Loi et les prophètes : d'après lui, ce Dieu est un être malfaisant, aimant les guerres, inconstant dans ses résolutions et se contredisant lui-même. Quant à Jésus, envoyé par le Père qui est au-dessus du Dieu Auteur du monde, il est venu en Judée au temps du gouverneur Ponce Pilate, procurateur de Tibère César ; il s'est manifesté sous la forme d'un homme aux habitants de la Judée, abolissant les prophètes, la Loi et toutes les œuvres du Dieu qui a fait le monde et que Marcion appelle aussi le Cosmocrator. En plus de cela, Marcion mutile l'Évangile selon Luc, éliminant de celui-ci tout ce qui est relatif à la naissance du Seigneur, retranchant aussi nombre de passages des enseignements du Seigneur, ceux précisément où celui-ci confesse de la façon la plus claire que le Créateur de ce monde est son Père. Par là, Marcion a fait croire à ses disciples qu'il est plus véridique que les apôtres qui ont transmis l'Évangile, alors qu'il met entre leurs mains, non pas l'Évangile, mais une simple parcelle de cet Évangile. Il mutile de même les épîtres de l'apôtre Paul, supprimant tous les textes où l'Apôtre affirme de façon manifeste que le Dieu qui a fait le monde est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, ainsi que tous les passages où l'Apôtre fait mention de prophéties annonçant par avance la venue du Seigneur. Selon Marcion, il n'y aura de salut que pour les âmes seulement, pour celles du moins qui auront appris son enseignement ; quant au corps, du fait qu'il a été tiré de la terre, il ne peut avoir part au salut. A son blasphème contre Dieu, il ajoute encore, en vrai porte-parole du diable et en contradicteur achevé de la vérité, l'assertion que voici : Caïn et ses pareils, les gens de Sodome, les Égyptiens et ceux qui leur ressemblent, les peuples païens qui se sont vautrés dans toute espèce de mal, tous ceux-là ont été sauvés par le Seigneur lors de sa descente aux enfers, car ils sont accourus vers lui et il les a pris dans son royaume ; au contraire, Abel, Hénoch, Noé et les autres «justes», Abraham et les patriarches issus de lui, ainsi que tous les prophètes et tous ceux qui ont plu à Dieu, tous ceux-là n'ont point eu part au salut : voilà ce qu'a proclamé le Serpent qui résidait en Marcion ! En effet, dit Marcion, ces «justes» savaient que leur Dieu était sans cesse en train de les tenter; croyant qu'il les tentait alors encore, ils ne sont pas accourus à Jésus et n'ont pas cru à son message : aussi leurs âmes sont-elles demeurées aux enfers. Puisque ce Marcion est le seul qui ait eu l'audace de mutiler ouvertement les Écritures et qu'il s'est attaqué à Dieu plus impudemment que tous les autres, nous le contredirons séparément : nous le convaincrons d'erreur à partir de ses écrits et, Dieu aidant, nous le réfuterons à partir des paroles du Seigneur et de l'Apôtre qu'il a conservées et qu'il utilise. Pour l'instant il nous faut faire mention de lui, pour que tu saches que tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, adultèrent la vérité et blessent la prédication de l'Église, sont les disciples et les successeurs de Simon, le magicien de Samarie. Bien que, dans le but de tromper autrui, ils se gardent d'avouer le nom de leur maître, c'est pourtant sa doctrine qu'ils enseignent; ils mettent en avant le Nom du Christ Jésus comme un appât, mais c'est l'impiété de Simon qu'ils propagent sous des formes diverses, causant ainsi la perte d'un grand nombre ; par ce Nom excellent, ils répandent leur détestable doctrine ; sous la douceur et la beauté de ce Nom, ils présentent le venin amer et pernicieux du Serpent, qui fut l'initiateur de l'apostasie. Sectes diverses A partir de ceux que nous venons de dire ont déjà surgi les multiples ramifications de multiples sectes, par le fait que beaucoup parmi ces gens-là — ou, pour mieux dire, tous — veulent être des maîtres : quittant la secte dans laquelle ils se sont trouvés et échafaudant une doctrine à partir d'une autre doctrine, puis encore une autre à partir de la précédente, ils s'évertuent à enseigner du neuf, en se donnant eux-mêmes pour les inventeurs du système qu'ils ont ainsi fabriqué. Ainsi, par exemple, des gens qui s'inspirent de Saturnin et de Marcion et qu'on appelle Encratites ont proclamé le rejet du mariage, répudiant l'antique ouvrage modelé par Dieu et accusant de façon détournée Celui qui a fait l'homme et la femme en vue de la procréation; ils ont introduit l'abstinence de ce qu'ils disent animé, ingrats qu'ils sont envers le Dieu qui a fait toutes choses ; ils nient également le salut du premier homme. Ce dernier point fut inventé chez eux à notre époque, quand un certain Tatien introduisit le premier ce blasphème. Ce dernier avait été l'auditeur de Justin ; aussi longtemps qu'il fut avec lui, il n'avança rien de semblable, mais, après son martyre, il se sépara de l'Église ; s'enflant à la pensée qu'il était un maître et se croyant, dans son orgueil, supérieur à tout le monde, il voulut donner un trait distinctif à son école : comme les disciples de Valentin, il imagina des Éons invisibles; comme Marcion et Saturnin, il proclama que le mariage était une corruption et une débauche ; de lui-même, enfin, il s'inscrivit en faux contre le salut d'Adam. D'autres, en revanche, ont pris comme point de départ les doctrines de Basilide et de Carpocrate ; ils ont introduit les unions libres, les noces multiples, l'usage indifférent des viandes offertes aux idoles : Dieu, disent-ils, n'a cure de tout cela. Et que sais-je encore ? Car il est impossible de dire le nombre de ceux qui, d'une manière ou d'une autre, se sont écartés de la vérité. 2. LES « GNOSTIQUES » OU ASCENDANTS IMMÉDIATS DES VALENTINIENS Les Barbéliotes En plus de ces gens, les Simoniens dont nous avons parlé plus haut ont encore donné naissance à la multitude des « Gnostiques », qui ont surgi à la façon de champignons sortant de terre. Nous allons rapporter leurs principales doctrines. Certains d'entre eux posent à la base de leur système un Éon étranger à tout vieillissement, dans un Esprit virginal qu'ils nomment Barbélo : car en cet Esprit existait, disent-ils, un Père innommable. Or celui-ci eut la pensée de se manifester à cette Barbélo. Cette Pensée, étant apparue, se tint en sa présence et demanda la Pré-gnose. Lorsque cette Pré-gnose fut apparue à son tour, elles demandèrent derechef, et l'Incorruptibilité apparut, puis la Vie éternelle. Barbélo se réjouissait de toutes ces productions ; regardant vers la Grandeur, elle conçut, dans la joie de la voir, et elle enfanta une Lumière semblable à cette Grandeur. Tel est, disent-ils, le commencement de l'illumination et de la génération de toutes choses. Le Père alors, voyant cette Lumière, l'oignit de son excellence afin qu'elle devînt parfaite : c'est là le Christ, disent-ils. Celui-ci, à son tour, demanda que lui fût donné comme aide l'Intellect, et l'Intellect apparut. Le Père émit en outre le Vouloir et le Logos. Alors s'unirent en syzygies la Pensée et le Logos, l'Incorruptibilité et le Christ, la Vie éternelle et le Vouloir, l'Intellect et la Pré-gnose. Tous glorifiaient la Grande Lumière et Barbélo. Ensuite, de la Pensée et du Logos, Autogènes fut émis, disent-ils, pour représenter la Grande Lumière : il fut grandement honoré et toutes choses lui furent soumises. Avec lui fut émise la Vérité, et il y eut syzygie d'Autogènes et de la Vérité. Par ailleurs, de la Lumière qu'est le Christ et de l'Incorruptibilité, quatre Luminaires furent émis, disent-ils, pour se tenir autour d'Autogènes. Du Vouloir et de la Vie éternelle, quatre émissions furent faites pour être au service des quatre Luminaires. Ces émissions se nomment : Charis, Thélèsis, Synesis et Phronèsis. Charis fut adjointe au grand et premier Luminaire, qu'ils prétendent être le Sauveur et qu'ils appellent Harmozel ; Thélèsis fut adjointe au second Luminaire, qu'ils appellent Raguel ; Synesis fut adjointe au troisième, qu'ils nomment David; Phronèsis fut adjointe au quatrième, qu'ils nomment Éléleth. Tout étant ainsi constitué, Autogènes émit l'Homme parfait et vrai, qu'ils appellent Adamas, parce que ni lui-même n'a été dompté ni ceux de qui il est issu. Il fut éloigné d'Harmozel et placé à côté de la Première Lumière. D'Autogènes, avec l'Homme, fut émise la Gnose parfaite, conjointe à celui-ci : c'est pourquoi l'Homme a « connu » Celui qui est au-dessus de toutes choses ; une force invincible lui fut aussi donnée par l'Esprit virginal. Et tous les Éons, se reposant désormais, chantèrent des hymnes au Grand Éon. De là apparurent, disent-ils, la Mère, le Père et le Fils. De l'Homme et de la Gnose naquit un arbre, auquel ils donnent également le nom de Gnose. Ensuite, du premier Ange qui se tient auprès du Monogène, fut émis, disent-ils, l'Esprit Saint, qu'ils appellent aussi Sagesse et Prounikos. Celle-ci, voyant que tous les autres avaient leur conjoint, tandis qu'elle-même était privée de conjoint, chercha à qui elle pourrait s'unir ; comme elle ne trouvait personne, elle faisait effort et s'étendait, regardant vers les régions inférieures dans l'espoir d'y trouver un conjoint ; n'en trouvant point, elle bondit, mais elle fut accablée de dégoût parce qu'elle s'était élancée sans l'agrément du Père. Ensuite, poussée par la simplicité et la bonté, elle engendra une œuvre contenant Ignorance et Présomption. Cette œuvre, disent-ils, c'est le Protarchonte, l'Auteur de cet univers. Il emporta de sa Mère une grande puissance et s'éloigna d'elle vers les lieux inférieurs. Il fit le firmament du ciel, en lequel ils le disent habiter. Etant Ignorance, il fit les Puissances qui sont au-dessous de lui, les Anges, les firmaments et toutes les choses terrestres. Puis il s'unit à la Présomption et engendra la Méchanceté, la Jalousie, l'Envie, la Discorde et le Désir. Devant ces productions, sa Mère Sagesse s'enfuit, attristée, et se retira dans les hauteurs : ce fut l'Ogdoade, en comptant à partir du bas. Lorsqu'elle se fut retirée, il se crut seul, et c'est pour ce motif qu'il dit : «Je suis un Dieu jaloux, et en dehors de moi il n'est pas de Dieu. » Tels sont les mensonges de ces gens-là. Les Ophites D'autres encore font le prodigieux récit que voici. Il existait, dans la puissance de l'Abîme, une Lumière primordiale, bienheureuse, incorruptible et illimitée : c'est le Père de toutes choses et il s'appelle le Premier Homme. De lui procéda une Pensée, qu'ils disent être le Fils de celui qui l'émit ; c'est le Fils de l'Homme ou Second Homme. Au-dessous d'eux se trouvait l'Esprit Saint, et sous cet Esprit d'en haut se trouvaient les éléments séparés, à savoir l'eau, les ténèbres, l'abîme et le chaos : sur ces éléments, disent-ils, était porté l'Esprit, qu'ils appellent la Première Femme. Alors, disent-ils, le Premier Homme avec son Fils exulta devant la beauté de l'Esprit, autrement dit de la Femme, et il l'illumina ; ainsi engendra-t-il d'elle une Lumière incorruptible, le Troisième Mâle, celui qu'ils appellent le Christ, fils du Premier et du Second Homme et de l'Esprit Saint ou Première Femme. Le Père et le Fils s'unirent donc à la Femme, qu'ils appellent aussi la Mère des Vivants. Mais celle-ci fut incapable de porter et de contenir l'excessive grandeur de la Lumière, qui, disent-ils, déborda et jaillit par-dessus du côté gauche. Ainsi le Christ fut-il seul à être leur Fils, comme étant de droite ; élevé dans les régions supérieures, il fut aussitôt enlevé avec sa Mère dans l'Éon incorruptible. La vraie, la sainte Eglise, la voilà : c'est la convocation, la société et l'union du Père de toutes choses ou Premier Homme, du Fils ou Second Homme, du Christ leur Fils, et de la Femme que nous venons de dire. Or la Puissance qui jaillit de la Femme possédait une rosée de lumière; quittant le domaine des Pères, elle se précipita vers les régions inférieures, de son propre chef, en emportant avec elle la rosée de lumière. Cette Puissance, ils la nomment la Gauche, ou Prounikos, ou Sagesse, ou Mâle-Femelle. Elle descendit tout uniment dans les eaux, qui étaient immobiles, les mit en mouvement en y plongeant hardiment jusqu'au fond et prit d'elles un corps. Car, disent-ils, toutes choses accoururent vers la rosée de lumière qui était en elle, se collèrent à elle, l'emprisonnèrent de toutes parts ; et, si elle n'avait eu cette rosée de lumière, elle aurait été entièrement engloutie et submergée par la matière. Tandis qu'elle était ainsi enchaînée à ce corps de matière et très appesantie par lui, elle vint un jour à résipiscence : elle tenta de s'échapper des eaux et de remonter vers sa Mère, mais elle ne le put, par suite de la pesanteur du corps qui l'enveloppait. Se sentant très mal en point, elle imagina de cacher la lumière issue des régions supérieures, de crainte que cette lumière n'eût à pâtir à son tour, comme elle, des éléments inférieurs. Une force lui fut alors communiquée par la rosée de lumière qui était en elle : elle bondit et s'éleva dans les hauteurs. Parvenue en haut, elle se déploya, fit ce ciel visible, qu'elle tira de son corps, et demeura d'abord sous ce ciel qu'elle venait de faire, ayant encore la forme d'un corps aqueux. Mais ensuite, ayant éprouvé le désir de la lumière d'en haut et reçu une nouvelle force, elle déposa totalement son corps et en fut libérée. Ce corps, ils le disent son fils ; quant à elle, ils la nomment «Femme issue de Femme». Son fils posséda, lui aussi, disent-ils, un souffle d'incorruptibilité que lui avait laissé sa Mère et grâce auquel il lui était possible d'œuvrer. Devenu puissant, il émit, lui aussi, comme ils disent, à partir des eaux, un fils, sans sa Mère : car, prétendent-ils, il ne connut pas sa Mère. Son fils, à l'imitation de son père, émit un autre fils ; ce troisième en engendra un quatrième ; le quatrième en engendra un cinquième, le cinquième un sixième et le sixième un septième. Ainsi, selon eux, se paracheva l'Hebdomade, le huitième lieu étant occupé par la Mère. Et comme il existe entre eux une hiérarchie d'origine, ainsi existe-t-il aussi entre eux une hiérarchie de dignité et de puissance. Voici les noms dont ils affublent ces êtres de leur invention : le premier, celui qui est issu de la Mère, s'appelle Jaldabaoth; le second, issu de Jaldabaoth, s'appelle Jao ; le troisième a nom Sabaoth, le quatrième, Adonaï, le cinquième, Élohim, le sixième, Hor, le septième et dernier, Astaphée. Ces Cieux, Vertus, Puissances, Anges et Créateurs, déclarent-ils, siègent en bon ordre dans le ciel, selon leurs origines respectives, tout en demeurant invisibles, et régissent les choses célestes et terrestres. Le premier d'entre eux, c'est-à-dire Jaldabaoth, méprisa la Mère en engendrant sans sa permission des fils et des petits-fils, voire des Anges, des Archanges, des Vertus, des Puissances et des Dominations. A peine venus à l'existence, ses fils se retournèrent contre lui pour lui disputer la première place. Dans sa tristesse et son désespoir, Jaldabaoth regarda alors la lie de la matière qui se trouvait au-dessous de lui et s'éprit d'un violent désir pour elle : de là, disent-ils, lui naquit un fils, l'Intellect, qui a la forme entortillée du serpent. De celui-ci sortirent l'élément pneumatique, l'élément psychique et tous les êtres cosmiques ; de lui naquirent aussi l'Oubli, la Méchanceté, la Jalousie et la Mort. Cet Intellect à forme de serpent et tout entortillé, disent-ils, pervertit davantage encore son Père par sa tortuosité, lorsqu'il était avec lui dans le ciel et dans le paradis. C'est pourquoi Jaldabaoth exulta et se pavana à la vue de tout ce qui se trouvait sous lui, et il dit : « C'est moi qui suis Père et Dieu, et il n'est personne au-dessus de moi. » Mais la Mère, en entendant ces paroles, lui cria : « Ne mens pas, Jaldabaoth, car au-dessus de toi il y a le Père de toutes choses ou Premier Homme, ainsi que l'Homme, Fils de l'Homme. » Tous furent saisis d'effroi à cette parole étrange et à cette appellation inattendue. Tandis qu'ils cherchaient d'où était venu ce cri, Jaldabaoth leur dit, pour les en détourner et les attirer à lui : « Venez, faisons un homme selon l'image. » Ce qu'entendant, les six Puissances se réunirent ; c'était la Mère qui leur inspirait l'idée de l'homme, afin de les vider par lui de leur puissance originelle. Elles modelèrent donc un homme d'une largeur et d'une longueur prodigieuse; mais, comme il ne pouvait que se tortiller, elles le traînèrent jusqu'à leur Père. C'était encore Sagesse qui leur faisait faire cela, afin de vider Jaldabaoth de sa rosée de lumière et pour que celui-ci, privé de sa puissance, ne fût plus à même de se dresser contre ceux qui étaient au-dessus de lui. Il souffla donc dans l'homme un souffle de vie et, par là, sans s'en rendre compte, se vida de sa puissance. L'homme posséda dès lors l'intellect et la pensée — ce sont ces choses-là, disent-ils, qui seront sauvées — et sur le champ il rendit grâces au Premier Homme, sans plus se soucier de ceux qui l'avaient fait. Jaloux, Jaldabaoth voulut alors vider l'homme par la femme et, de la pensée de celui-ci, il tira la femme ; mais Prounikos se saisit d'elle et la vida invisiblement de sa puissance. Les autres, survenant et admirant sa beauté, l'appelèrent Eve; s'étant épris d'amour pour elle, ils engendrèrent d'elle des fils, qui sont également des Anges, disent-ils. Leur Mère imagina alors de tromper Eve et Adam par l'entremise du Serpent, de manière à leur faire transgresser le commandement de Jaldabaoth. Eve crut aisément, comme si c'était le Fils de Dieu qui lui eût parlé, et elle persuada Adam de manger de l'arbre auquel Dieu leur avait défendu de goûter. Lorsqu'ils en eurent mangé, ils «connurent», disent-ils, la Puissance qui est au-dessus de toutes choses, et ils se séparèrent de ceux qui les avaient faits. Prounikos, voyant que ceux-ci avaient été vaincus par leur propre ouvrage, se réjouit grandement ; de nouveau elle s'écria que, puisqu'il existait déjà un Père incorruptible, Jaldabaoth avait menti en se donnant à lui-même le nom de Père, et que, puisqu'il y avait déjà un Homme et une Première Femme, il avait péché en en faisant une copie frelatée. Mais Jaldabaoth, à cause de l'Oubli dont il était environné, ne prêta même pas attention à ces paroles : il chassa Adam et Eve du paradis, parce qu'ils avaient transgressé son commandement. Car il avait voulu qu'Eve engendrât des fils à Adam, mais il n'y était pas parvenu, parce que sa Mère agissait en tout à l'encontre de ses desseins. Celle-ci vida secrètement Adam et Eve de leur rosée de lumière, afin que l'esprit issu de la Suprême Puissance n'eût point de part à la malédiction et à l'opprobre. Ainsi vidés de la divine substance, Adam et Eve furent maudits par Jaldabaoth et précipités du ciel en ce monde. Le Serpent, qui avait agi contre son Père, fut également précipité par lui dans le monde inférieur. Il réduisit sous son pouvoir les Anges qui s'y trouvaient et il engendra six fils, étant lui-même le septième, de façon à imiter l'Hebdomade qui est auprès du Père. Ce sont là, disent-ils, les sept démons cosmiques : ils ne cessent de s'opposer et de faire obstacle à la race des hommes, parce que c'est à cause de ceux-ci que leur père a été précipité ici-bas. Or Adam et Eve avaient eu jusque-là des corps légers, lumineux et, pour ainsi dire, spirituels : ainsi avaient-ils été modelés. Mais, en venant ici-bas, leurs corps devinrent obscurs, épais et paresseux. Même leurs âmes devinrent molles et languissantes, car ils n'avaient plus que le souffle cosmique reçu de leur Auteur. Il en fut ainsi jusqu'à ce que Prounikos les prît en pitié et leur rendît la suave odeur de la rosée de lumière : grâce à elle, ils se ressouvinrent d'eux-mêmes, connurent qu'ils étaient nus et que leur corps était fait de matière; ils connurent qu'ils portaient la mort en eux, et ils prirent patience en sachant qu'ils n'étaient revêtus d'un corps que pour un temps seulement ; sous la conduite de Sagesse, ils trouvèrent de la nourriture, puis, une fois rassasiés, ils s'unirent charnellement et engendrèrent Caïn. Mais le Serpent déchu, avec ses fils, se saisit aussitôt de lui, le corrompit, le remplit de l'oubli cosmique et le précipita dans la plus folle audace, à tel point que, en tuant son frère Abel, il fut le premier à faire paraître la Jalousie et la Mort. Après eux, conformément à la providence de Prounikos, furent engendrés Seth, puis Noréa, desquels naquit le reste du genre humain. Celui-ci fut plongé, par l'Hebdomade d'en bas, dans toute espèce de malice, dans l'apostasie à l'égard de la Sainte Hebdomade d'en haut, dans l'idolâtrie et dans le mépris de tout, cependant que la Mère ne cessait de contrarier invisiblement l'œuvre de ces Puissances et de sauver ce qui lui appartenait, c'est-à-dire la rosée de lumière. La Sainte Hebdomade en question, ce sont, prétendent-ils, les sept étoiles dites planètes ; quant au Serpent déchu, disent-ils, il porte deux noms, Michel et Samaël. Irrité contre les hommes, parce qu'ils ne lui rendaient pas un culte et ne l'honoraient pas comme leur Père et leur Dieu, Jaldabaoth leur envoya le déluge, afin de les faire périr tous d'un seul coup. Une fois de plus, Sagesse s'opposa : Noé et ceux qui étaient avec lui dans l'arche furent sauvés à cause de la rosée de lumière provenant de Sagesse, et, grâce à elle, le monde fut de nouveau rempli d'hommes. Parmi ceux-ci, Jaldabaoth fit choix d'un certain Abraham et conclut une alliance avec lui, s'engageant à donner la terre en héritage à sa descendance si elle persévérait dans son service. Dans la suite, par l'entremise de Moïse, il fit sortir d'Egypte ceux qui étaient issus d'Abraham, leur donna la Loi et fit d'eux les Juifs. C'est parmi eux que les sept Dieux, appelés aussi la Sainte Hebdomade, se choisirent chacun ses propres hérauts chargés de le glorifier et de le prêcher comme Dieu, afin que les autres hommes, entendant cette glorification, servent eux aussi les Dieux que prêchaient les prophètes. Voici comment se répartissent les prophètes. Appartinrent à Jaldabaoth : Moïse, Jésus fils de Navé, Amos et Habacuc; à Jao : Samuel, Nathan, Jonas et Michée; à Sabaoth : Élie, Joël et Zacharie; à Adonaï : Isaïe, Ézéchiel, Jérémie et Daniel; à Élohim : Tobie et Aggée ; à Hor : Michée et Nahum ; à Astaphée : Esdras et Sophonie. Chacun de ces prophètes glorifia donc son propre Dieu et Père. Mais Sagesse, elle aussi, disent-ils, proféra par eux de multiples paroles relatives au Premier Homme, à l'Éon incorruptible et au Christ d'en haut, rappelant les hommes au souvenir de l'incorruptible Lumière et du Premier Homme et leur prédisant la descente du Christ. Les Archontes furent frappés d'effroi et de stupeur devant cette nouveauté que contenaient les messages des prophètes. Prounikos, agissant par l'entremise de Jaldabaoth sans que celui-ci s'aperçût de rien, fit en sorte qu'eussent lieu deux productions d'hommes, l'une du sein d'Elisabeth la stérile, l'autre du sein de la Vierge Marie. Prounikos elle-même ne trouvait de repos ni au ciel ni sur la terre. Dans son affliction, elle appela sa Mère à l'aide. Celle-ci, c'est-à-dire la Première Femme, fut émue du repentir de sa fille et demanda au Premier Homme que le Christ fût envoyé à son secours. Celui-ci descendit donc, envoyé vers sa sœur et vers la rosée de lumière. Apprenant que son frère descendait vers elle, la Sagesse d'en bas annonça sa venue par Jean, prépara le baptême de pénitence et disposa à l'avance Jésus pour que, lors de sa descente, le Christ trouvât un vase pur et que, grâce à son fils Jaldabaoth, la Femme fût annoncée par le Christ. Le Christ descendit donc à travers les sept Cieux, en se rendant semblable à leurs fils, et les vida graduellement de leur puissance : car, disent-ils, vers lui accourut toute la rosée de lumière. En descendant en ce monde, le Christ revêtit d'abord sa sœur Sagesse. Tout deux exultèrent, en prenant leur repos l'un dans l'autre : c'est là, assurent-ils, l'Époux et l'Epouse. Or Jésus, du fait qu'il était né d'une Vierge par l'opération de Dieu, était plus sage, plus pur et plus juste que tous les hommes : en lui descendit le Christ uni à Sagesse, et ainsi il y eut Jésus-Christ. Beaucoup de disciples de Jésus, disent-ils, ne connurent pas la descente du Christ en lui. Lorsque le Christ fut descendu en Jésus, c'est alors qu'il commença à accomplir des miracles, à opérer des guérisons, à annoncer le Père inconnu et à se proclamer ouvertement le Fils du Premier Homme. Irrités, les Archontes et le Père de Jésus travaillèrent à le faire mourir. Tandis qu'on le conduisait à la mort, le Christ se retira avec Sagesse dans l'Éon incorruptible, à ce qu'ils disent, et Jésus seul fut crucifié. Le Christ n'oublia pas ce qui était sien : il envoya d'en haut en Jésus une puissance qui le ressuscita dans un corps qu'ils appellent corps psychique et pneumatique, car, pour ce qui est des éléments cosmiques, Jésus les abandonna dans le monde. Ses disciples, lorsqu'ils le virent après sa résurrection, ne le connurent pas et ne surent même pas par la faveur de qui il était ressuscité d'entre les morts. Les disciples, disent-ils, tombèrent ainsi dans cette erreur énorme de s'imaginer qu'il était ressuscité dans son corps cosmique : ils ignoraient que la chair et le sang ne s'emparent pas du royaume de Dieu. Ils prétendent confirmer la descente du Christ et sa remontée par le fait que, ni avant son baptême ni après sa résurrection d'entre les morts, Jésus n'a rien fait de considérable, au dire de ses disciples ceux-ci ignoraient que Jésus avait été uni au Christ et l'Éon incorruptible à l'Hebdomade, et ils prenaient le corps psychique pour un corps cosmique. Après sa résurrection, Jésus demeura encore dix-huit mois sur terre, et, lorsque l'intelligence fut descendue en lui, il apprit l'exacte vérité. Il enseigna alors ces choses à un petit nombre de ses disciples, à ceux qu'il savait capables de comprendre de si grands mystères, puis il fut enlevé au ciel. Ainsi Jésus siège maintenant à la droite de son Père Jaldabaoth, pour recevoir en lui-même, après la déposition de leur chair cosmique, les âmes de ceux qui l'auront connu; il s'enrichit, tandis que son Père est dans l'ignorance et ne le voit même pas : car, dans la mesure où Jésus s'enrichit lui-même de saintes âmes, dans cette même mesure son Père subit une perte et un amoindrissement, vidé qu'il est de sa puissance du fait de ces âmes. Car il ne possédera plus les âmes saintes, de façon à pouvoir les renvoyer dans le monde, mais seulement celles qui sont issues de sa substance, c'est-à-dire qui proviennent de l'insufflation. La consommation finale aura lieu lorsque toute la rosée de l'esprit de lumière sera rassemblée et emportée dans l'Eon d'incorruptibilité. Sectes apparentées Telles sont les doctrines de ces gens, doctrines dont est née, telle une hydre de Lerne, la bête aux multiples têtes qu'est l'école de Valentin. Certains, cependant, disent que c'est Sagesse elle-même qui fut le Serpent : c'est pour cette raison que celui-ci s'est dressé contre l'Auteur d'Adam et a donné aux hommes la gnose; c'est aussi pour cela que le Serpent est dit plus intelligent que tous les êtres '. Il n'est pas jusqu'à la place de nos intestins, à travers lesquels s'achemine la nourriture, et jusqu'à leur configuration, qui ne ferait voir, cachée en nous, la substance génératrice de vie à forme de Serpent. D'autres encore disent que Caïn était issu de la Suprême Puissance, et qu'Esaü, Coré, les gens de Sodome et tous leurs pareils étaient de la même race qu'elle : pour ce motif, bien qu'ils aient été en butte aux attaques du Démiurge, ils n'en ont subi aucun dommage, car Sagesse s'emparait de ce qui, en eux, lui appartenait en propre. Tout cela, disent-ils, Judas le traître l'a exactement connu, et, parce qu'il a été le seul d'entre les disciples à posséder la connaissance de la vérité, il a accompli le « mystère » de la trahison : c'est ainsi que, par son entremise, ont été détruites toutes les choses terrestres et célestes. Ils exhibent, dans ce sens, un écrit de leur fabrication, qu'ils appellent « Evangile de Judas ». J'ai pu rassembler d'autres écrits émanant d'eux, dans lesquels ils exhortent à détruire les œuvres d'Hystéra ; ils désignent sous ce nom l'Auteur du ciel et de la terre. Car, disent-ils, on ne peut être sauvé autrement qu'en s'adonnant à toutes les actions possibles, comme l'avait déjà dit Carpocrate. En tout péché ou acte honteux, à les en croire, un Ange est présent : il faut commettre hardiment cet acte et faire retomber l'impureté sur l'Ange présent en cet acte, en lui disant : « O Ange, j'use de ton œuvre; ô Puissance, j'accomplis ton opération. » La voilà, la gnose parfaite : s'adonner sans crainte à des actions qu'il n'est pas même permis de nommer ! Conclusion Voilà de quels pères et de quels ancêtres sont issus les disciples de Valentin, tels que les révèlent leurs doctrines elles-mêmes et leurs systèmes. Il a été nécessaire d'en fournir une preuve évidente et, pour cela, de produire au grand jour leurs enseignements. Peut-être, de la sorte, certains d'entre eux se repentiront-ils et, en revenant au seul Dieu Créateur et Auteur de l'univers, pourront-ils être sauvés. Quant aux autres, ils cesseront de se laisser prendre à leur perfides et spécieuses arguties et de croire qu'ils recevront d'eux la connaissance de quelque mystère plus grand et plus sublime; ils apprendront correctement de nous ce que ces gens-là enseignent de travers et ils se moqueront de leur doctrine; enfin ils auront compassion de ceux qui, encore plongés dans des fables aussi misérables et aussi inconsistantes, ont assez d'orgueil pour se croire meilleurs que tous les autres du fait d'une telle gnose, ou, pour mieux dire, d'une telle ignorance. Car les avoir démasqués, c'est bien cela : c'est les avoir déjà vaincus, que de les avoir fait connaître. C'est pourquoi nous nous sommes efforcé d'amener à la lumière et de produire au grand jour tout le corps mal bâti de ce renard : car il ne sera plus besoin de beaucoup de discours pour renverser leur doctrine, maintenant qu'elle est devenue manifeste pour tout le monde. Lorsqu'une bête sauvage est cachée dans une forêt, d'où elle fait des sorties et cause de grands ravages, si quelqu'un vient à écarter les branches et à découvrir les taillis et réussit à apercevoir l'animal, point ne sera besoin désormais de grands efforts pour s'en emparer : on verra à quelle bête on a affaire; il sera, possible de la voir, de se garder de ses attaques, de la frapper de toutes parts, de la blesser, de tuer cette bête dévastatrice. Ainsi en va-t-il pour nous, qui venons de produire au grand jour leurs mystères cachés et enveloppés chez eux de silence : nous n'avons plus besoin de longs discours pour anéantir leur doctrine. Car il t'est dorénavant loisible, ainsi qu'à tous ceux qui sont avec toi, de t'exercer sur tout ce que nous avons dit précédemment, de renverser les doctrines perverses et informes de ces gens-là et de montrer que leurs opinions ne s'accordent pas avec la vérité. Cela étant, conformément à notre promesse et selon la mesure de nos forces, nous allons, dans le livre suivant, apporter une réfutation des doctrines de ces gens, en nous opposant à eux tous — notre exposé s'allonge, comme tu vois —, et nous te fournirons les moyens de les réfuter, en discutant toutes leurs thèses dans l'ordre où nous les avons exposées : ce faisant, nous n'aurons pas seulement montré, mais nous aurons aussi blessé de toutes parts la bête.