[2,0] HUGUES de POITIERS (XIIe s.). HISTOIRE DU MONASTÈRE DE VÉZELAI. LIVRE SECOND. [2,1] Comme Dieu, dans sa très-gracieuse bonté, pourvoit de mille manières diverses au soulagement de l'infirmité humaine, parmi les innombrables moyens qu'il a employés pour répandre ses bienfaits, il a donné à l'homme la connaissance de l'écriture, soit pour encourager l'activité des uns, soit pour réveiller les sentiments affectueux des autres, lorsqu'ils sont absents; soit pour assurer l'instruction de ceux qui doivent vivre dans l'avenir. Et comme l'oubli, ennemi de toute sagesse, n'efface que trop souvent le souvenir des choses les plus utiles, c'est un usage établi dès l'antiquité de porter à la connaissance de la postérité les monuments de l'histoire de ses ancêtres, à l'aide des lettres, qui deviennent pour elle comme des sons visibles. [2,2] Nous donc, voulant aussi nous conformer à cet usage, selon la mesure de nos facultés, nous avons entrepris de raconter brièvement, pour l'utilité d'un grand nombre d'hommes, les tribulations multipliées que notre église a souffertes pendant une longue série de temps, pour garder la liberté dans laquelle elle était née. En recherchant surtout la brièveté dans notre écrit, nous échapperons entièrement à toute apparence de prétention orgueilleuse; car si nous nous attachions au détail de toutes choses, autant que le demande notre sujet, nous tomberions sans aucun doute dans cet énorme danger de paraître en quelque sorte moins digne de foi; et ce qui servirait au complet développement de la vérité historique, un lecteur incrédule ne manquerait pas de l'attribuer à une jactance trop verbeuse. Ainsi donc, regardant sans cesse à ces deux écueils, nous nous avancerons dans le sentier du milieu, afin de donner une connaissance entière des faits et d'éviter en même temps toute apparence de fausseté. Et quoique nous n'en soyons point à ignorer que nous sommes moins propre et plus insuffisant que tout autre pour une telle entreprise, nous y sommes poussé cependant par notre amour pour l'Église; nous y sommes excité, et bien plus, pour ainsi dire, contraint par notre soumission à notre très-révérend père, Pons, notre vénérable abbé, lequel, s'il se présente le dernier dans l'ordre des temps par rapport à ses prédécesseurs, est cependant, et à juste titre, le premier, parmi les plus anciens que lui, pour la défense de la liberté de son église. Ceux-là sans doute lui ont rendu beaucoup de services, soit en acquérant, soit en édifiant; mais lui, il a travaillé pour elle plus qu'eux tous, puisqu'il l'a vigoureusement maintenue sauve, entière et intacte, en la défendant contre ceux qui la volaient, et faisaient leurs efforts pour la dépouiller. Car c'est un moindre effort d'acquérir des biens à garder, que de garder ceux que l'on possède. Mais qu'il suffise de ceci, et entrons maintenant en matière. [2,3] Ainsi donc l'église de Vézelai, noblement née, et plus noblement élevée, consacrée dès l'origine à la liberté, portait sa tête au-dessus de toutes les églises de l'Occident. En effet, vouée dès le principe de sa fondation au bienheureux Pierre, porte-clefs du royaume des cieux, elle fut noblement et exclusivement confiée, par ses très-nobles auteurs, à son siége apostolique, et dotée à perpétuité de la liberté par le suprême et apostolique pontife Nicolas, qui vivait à cette époque. Jusqu'à notre temps, ses successeurs, marchant pieusement sur ses traces, et renforçant les priviléges de cette église, en vertu de leur autorité apostolique et de la dignité romaine, et la considérant comme appartenant à leur propre juridiction, et formant un alleu du bienheureux Pierre, la déclarèrent entièrement exempte de toute sujétion envers toute autre personne ou toute autre église. En conséquence, lui accordant dans leur indulgente clémence les priviléges romains et la liberté apostolique, ils lui concédèrent la faculté de recevoir en tout lieu, et de tout évêque catholique d'une province quelconque, les divers offices ecclésiastiques, tels que les Ordres sacrés pour les moines et les clercs, les consécrations des basiliques ou des autels, la grâce du chrême ou des saintes huiles, et tous autres offices du même genre. Signalée donc par tant et de si grandes prérogatives de cette liberté avec laquelle elle était née, l'église de Vézelai excitait l'envie des églises ses compagnes. Aussi, après plusieurs centaines d'années, un certain Humbert, évêque de l'église d'Autun, voulut-il tenter d'imprimer à cette belle liberté la tache d'une honteuse servitude. En ce temps, le vénérable Pons, frère utérin de Pierre, abbé de Cluny, et de Jourdan, abbé de la Chaise-Dieu, tenait le gouvernement de l'église de Vézelai. Noble de naissance, et ayant obtenu en partage la plus noble église, en vertu des libertés de cette église, il s'adressa à l'évêque d'Orléans Hélie, et lui demanda humblement de lui conférer les Ordres sacrés. Celui-ci ayant pris connaissance des priviléges consacrés par l'autorité romaine, acquiesça à cette demande de dévotion avec plus de dévotion encore, et promut aux Ordres sacrés quelques moines et quelques clercs dans la basilique de l'église de Vézelai. Indigné de cette action, l'évêque d'Autun frappa d'interdit les clercs qui avaient obtenu les Ordres. Innocent, de précieuse mémoire, à cette époque pontife apostolique du siège de Rome, réprimant la témérité insensée de l'évêque d'Autun, rétablit dans les Ordres les clercs que celui-ci avait suspendus, et défendit à l'évêque de porter désormais atteinte aux droits de l'Église romaine. Alors l'évêque d'Autun, sentant les effets de l'indignation apostolique, se repentit de son entreprise, mais en même temps il eut honte de renoncer à ses projets. Il ne cessa donc de tracasser l'abbé que lorsque enfin, frustré dans tous ses efforts, il renonça au procès qu'il avait intenté entre les mains de l'abbé de Cluny et d'autres personnes honorables, et ainsi l'état antérieur de paix fut rétabli entre les deux églises, par les soins du vénérable abbé Pons, ci-dessus nommé. [2,4] Comme Humbert était très-illustre de naissance et très-recommandable par la gravité de ses mœurs et par sa piété, l'église dé Lyon ayant perdu son chef, le demanda pour son archevêque; et lorsqu'il eut été nommé, l'évêché d'Autun passa à Henri, frère germain du duc de Bourgogne. Aussitôt les artisans des anciennes discordes s'adressent à lui; et s'appliquant à faire revivre les mensonges déjà oubliés au sujet des libertés de l'église de Vézelai, ils les soufflent dans des oreilles qui les recueillent avec avidité. Se confiant dans la puissance de sa famille et des richesses dont il disposait, et voulant, comme un homme doué d'un pouvoir tout particulier, tenter quelque chose de nouveau, l'évêque chercha à faire entrer l'église de Vézelai dans sa juridiction propre, à la réunir à son diocèse, à en faire une de ses paroisses comme ses autres églises, et à la contraindre de reconnaître ses synodes. Mais, grâces à la protection de Dieu et au patronage de la bienheureuse Marie-Madeleine, qui chérit Dieu, il ne put parvenir à enlever la massue des mains d'Hercule; cependant, autant qu'il fut en lui, il ne négligea aucune tentative pour usurper à son profit ce qui ne devait appartenir qu'à Pierre seul. Car la cupidité aveugle se flatte toujours qu'il lui sera facile d'obtenir ce qu'elle convoite dans ses appétits. Interpellant donc le vénérable abbé Pons, qui avait pris en main la cause de son église, d'abord au sujet de la reconnaissance du synode, ensuite sur le droit d'examen des clercs ou des prêtres, enfin sur l'administration des sacrements ecclésiastiques, il lui demanda de reconnaître sa juridiction. Mais l'abbé lui répondit qu'il était le tuteur et non l'agent de son église; que bien plus, en ce qui touchait aux droits de l'église de Vézelai, il était le vicaire de sa Paternité apostolique, et qu'il ne pouvait avoir à ce sujet aucun démêlé avec l'évêque à l'insu du seigneur pape. Ainsi repoussé, l'évêque voulut extorquer de vive force ce qu'il n'avait pu surprendre par une poursuite judiciaire. Il commença donc à tourmenter le monastère, à opprimer ses hommes, à lui enlever même ses possessions, et à entreprendre enfin tout ce qu'il lui fut possible de tenter contre notre église et à son détriment. Or, jugeant que tout son pouvoir serait insuffisant pour accomplir toutes les tentatives qu'il préméditait, il inspira à son frère le duc, et aussi à ses autres frères, sa haine contre le monastère, et il chercha à se servir d'eux, comme de la puissance de toute la Bourgogne, pour en assurer la ruine et le renversement. Mais l'abbé, armé de constance, dédaigna, renversa, fit échouer à force de patience toutes ses attaques, et les réduisit au néant, comme vaines et futiles. [2,5] En ce temps, le très-saint Eugène présidait à l'Église universelle. Informé des efforts insensés que faisait l'évêque d'Autun pour souiller la chasteté de sa propre fille, je veux dire l'église de Vézelai, Eugène l'avertit souvent, le réprimanda souvent; et le menaçant, le prévint de la gravité du péril auquel il s'exposait, s'il ne rentrait dans son bon sens. L'évêque d'Autun se voyant donc frustré dans ses espérances, et ne comptant plus sur la vanité de son pouvoir, se rendit auprès de la cour de Rome; et là, inventant des faussetés, présentant des allégations vraisemblables, il porta plainte contre l'abbé, affirmant que les choses qu'il demandait à l'église de Vézelai, l'église de son siége les avait possédées jusques alors et pendant un long temps, qui établissait prescription, sans aucune espèce de contradiction. Le très-clément pape Eugène, ayant égard en toutes choses à la dignité de l'autorité apostolique, mais voulant respecter la vérité, assigna un jour aux deux parties, notifia à l'abbé le jour qu'il avait fixé, et lui ordonna par ses lettres qu'il eût à se rendre en sa présence au jour désigné, soit en personne, soit par des délégués capables de le représenter, avec les titres de son église, afin de répondre sur les plaintes portées contre lui. Chacune des parties ayant donc pris avec elle un nombre suffisant de témoins propres, selon ce qu'elle jugeait, à établir son droit, se présenta devant la cour souveraine, chacune espérant obtenir pour lui gain de cause, à la suite d'un examen aussi solennel. Cependant l'abbé Pons, que l'on peut à bon droit appeler défenseur opiniâtre de la justice, se rendant auprès du souverain pontife, se plaignit, disant qu'il ne devait en aucune façon subir une action quelconque, ou un jugement au sujet de cette affaire, dans laquelle il était défendu par la main apostolique et par une possession perpétuelle, puisqu'il se trouvait constitué héritier de cette même autorité apostolique par plusieurs et antiques priviléges de l’Église romaine, qui avaient fondé les titres de son église à une liberté perpétuelle. A quoi le pieux apostolique répondit qu'il devait d'autant plus desirer un examen et un jugement, qu'il avait davantage la conscience de son bon droit, devant savoir sans aucun doute que sa cause deviendrait d'autant meilleure qu'après avoir été pesée à la balance de la justice, elle se trouverait d'autant plus affranchie de toute nouvelle difficulté; que si même par hasard, ce qu'il espérait bien n'être pas possible, sa cause se trouvait d'une manière quelconque sous le poids d'une prévention inconsidérée, il ne devait point douter qu'il ne pût enfin parvenir à réprimer, par l'autorité des priviléges qu'il possédait, toute entreprise violente qui pourrait tourner à son préjudice. Entraîné par ces considérations, l'abbé consentit à soutenir le procès, et chacune des deux parties se mit dès lors en mesure d'en poursuivre l'instruction. A la suite de cette instruction, il fut reconnu que l'évêque d'Autun ne pouvait rien prétendre dans cette cause en vertu d'aucun droit de propriété, rien en vertu d'aucune possession d'investiture, rien en vertu, comme il le croyait, d'un long temps et d'aucune espèce de prescription, rien même par suite d'aucun usage, en qualité d'usufruitier ou de légataire. mais uniquement à titre de générosité ou de permission spéciale, ainsi qu'il était pratiqué, en vertu des libertés de l'église de Vézelai, à l'égard de tout évêque, et même de quelque province que ce fût: tandis que, d'un autre côté, l'abbé de Vézelai ne revendiquait ni une prescription de longue durée, ni un usage à titre de légataire ou à tout autre titre qui établît en sa faveur une acquisition faite sur un étranger, mais affirmait formellement que l'église de Vézelai avait toujours possédé ses libertés en vertu des droits de propriétaire, d'une investiture ancienne et d'une possession perpétuelle; ajoutant que cette liberté ne lui avait même point été conférée par voie d'affranchissement et d'émancipation, mais plutôt qu'elle lui était innée, qu'elle était née avec elle, qu'elle avait grandi avec elle, et que jusqu'à cette époque elle avait subsisté avec elle d'une manière incontestable. Comme chacune des parties cherchait à fortifier ses allégations par des témoignages, il fut décidé, par une sentence de l'assemblée, que les témoins produits auraient à confirmer leurs dépositions sous la foi du serment. La formule de ce serment fut de telle sorte, que chaque témoin devait rapporter toute la vérité qu'il connaissait sur la cause de l'une et de l'autre partie, et s'interdire absolument toute fausseté. L'abbé produisit ensuite ses témoins, ainsi engagés par serment. Voici quelles furent leurs dépositions. [2,6] Gérard, prieur d'Alborne, dit: «Avant que je fusse devenu moine, j'assistai au concile que tint le pape Pascal à Guastalla, et je vis que le pape donna en ce lieu la bénédiction à l'abbé de Vézelai, Renaud. Ensuite je fus fait moine de Vézelai, et ce même abbé m'envoya à Auxerre, avec Pierre Aribald, clerc, et plusieurs autres moines, Gibert, Achard, Aimon, et je reçus quatre Ordres jusqu'au sous-diaconat, et Pierre Aribald fut ordonné en ce même lieu, mais je ne me souviens pas quel ordre il reçut. En un autre temps, je fus ordonné sous-diacre par le même évêque Humbaud. Dans la suite, l'évêque d'Angers se rendant à Rome, consacra à Vézelai le chrême et les saintes huiles dans la grande église, et je crois d'une manière certaine que les chapelains du même lieu reçurent ce saint chrême et les huiles. Une autre fois, le même évêque d'Angers me conféra l'ordre du diaconat, à moi, à d'autres moines, et à quelques clercs du même lieu; mais je ne me rappelle pas les noms de ces clercs. Le même abbé m'envoya avec Jean le moine auprès de Hugues, évêque de Nevers, qui nous consacra prêtres. Et comme j'étais auprès de Saint-Jacques, à Écouan, de l'obédience de Vézelai, je vis Guillaume Barzelier, messager de l'abbé Renaud, allant à Auxerre chercher du chrême; et quand il en revint, comme il se reposa un peu pendant la nuit, il me confia le chrême, et ensuite lui-même le reprit, et le porta à Vézelai. A une autre époque, je vis aussi de l'Orme, envoyé par le même abbé Renaud auprès du même évêque Hugues, pour demander du chrême, et revenant avec ce chrême. Du temps de ce même abbé Renaud, un certain Étienne Aicaphit, son paroissien, alla à Jérusalem; et comme il y fit un séjour de sept années, sa femme épousa un autre homme; et ensuite ledit Étienne Aicaphit étant revenu, redemanda sa femme; celle-ci lui fut refusée; mais il l'appela en présence de l'abbé Renaud; et là, la cause ayant été instruite, par le jugement et de l'autorité de l'abbé Renaud, la femme fut rendue à son mari; et assisté par Pierre, chapelain de Saint-Pierre supérieure, l'abbé imposa une pénitence à l'homme et à la femme adultères.» [2,7] Hugues, prieur de Moret, étant assermenté, dit: «L'évêque d'Albano, Matthieu, m'a ordonné sous-diacre à Vézelai, moi, et plusieurs autres moines, dans la chapelle de Saint-Laurent, du temps de l'abbé Albéric, et pendant que le pape Innocent était à Auxerre. J'ai vu, du temps de ce même abbé, l'archevêque de Rouen, Hugues, consacrer l'autel de Saint-Gilles dans la grande église, et j'ai vu le mariage de Hardouin et de Cécile (au sujet duquel il s'était élevé une contestation) confirmé de l'autorité et par le jugement de l'abbé de Vézelai, Albéric, en présence, et avec l'assistance de Gautier, évêque de Châlons. Le père et son jeune fils étaient d'une paroisse de l'évêché d'Autun, savoir de Glane. Garnier, sous-prieur de Vézelai, me conduisit à Auxerre; et là, je fus ordonné prêtre, ainsi que plusieurs autres moines de notre couvent, par l'évêque Hugues, qui avait été abbé de Saint-Germain. Ensuite, comme j'étais camérier, je fis ordonner quatorze moines à Auxerre par Hugues, évêque d'Auxerre, qui avait été abbé de Pontigni, sur la demande de l'abbé Albéric. Étienne, évêque d'Autun, a consacré l'autel de Saint-Andiol, placé dans le chœur des moines; et j'ai entendu Étienne, évêque d'Autun, disant au comte de Nevers que, sur la demande de Pierre, abbé de Cluny, et des moines de Vézelai, il était venu donner la bénédiction à l'abbé Pons; et ceci fut dit dans la chambre de l'abbé. Et j'ai vu souvent l'évêque de Chartres, Geoffroi, et l'évêque d'Auxerre, Hugues, lequel a été abbé de Saint-Germain, célébrer la messe dans l'église de Sainte-Marie-Madeleine, le jour de sa fête, en présence de l'évêque d'Autun, Étienne, et sans que celui-ci s'y opposât.» [2,8] Anselme, moine de Vézelai, étant assermenté, dit: «J'ai vu l'abbé Pons confier l'église de Saint-Pierre inférieure à un certain prêtre Bernard, tant pour le spirituel que pour le temporel, et cela en plein chapitre. Le même abbé confia au prêtre Gui l'église de Saint-Pierre supérieure, pour le spirituel et le temporel, en présence du chapitre. Et le même abbé a confié au prêtre André l'église de Saint Étienne, pareillement en chapitre; et toutes ces choses sont arrivées après la réconciliation qui fut conclue à Moulins. Matthieu, évêque d'Albano, m'a ordonné diacre, ainsi que trois autres moines, dans la chapelle de Saint-Laurent. Hugues, évêque d'Auxerre, qui a été abbé de Saint-Germain, m'a ordonné prêtre, ainsi que plusieurs autres, à Pontigny. J'ai vu Henri, évêque d'Autun, être reçu en procession à Vézelai, ainsi que plusieurs autres.» [2,9] Hugues de Souvigny, moine et prêtre, ayant prêté le serment, dit: «Hélie, évêque d'Orléans, m'a ordonné prêtre, et sous mes yeux il a aussi ordonné prêtres, dans la grande église de Vézelai, plusieurs autres moines, ainsi que Gui, qui est maintenant chapelain, et Renaud de Rialte. Et cette année même de mon ordination, j'ai vu un messager de l'abbé Pons, nommé Durand, se rendant auprès de l'évêque de Nevers, Fromond, pour demander du chrême et des huiles, et revenant avec le chrême et les huiles. Et comme, d'après la coutume du monastère de Vézelai, aucun clerc du lieu ne doit aller au synode sans la permission de l'abbé, j'ai vu, au temps du synode, l'abbé Pons appelant auprès de lui Sadon et Pierre Aribald, grands chapelains, et leur défendant d'aller au synode, et ceux-ci obéirent. Et comme aux approches de la fête de la Toussaint, des prêtres demandèrent la permission d'aller au synode, l'abbé ne la leur accorda pas, et ils n'y allèrent pas. J'ai vu Arnoul de Ferrare allant à Auxerre, d'après les ordres de l'abbé, chercher du chrême et des huiles, et en revenant avec le chrême et les huiles, et cela après la réconciliation, » et il y a déjà six ans. Et j'ai vu, après la réconciliation, Hugues, évêque de Rouen, bénir l'autel de Saint-Michel, dans la grande église. Et après la réconciliation, j'ai vu Hugues, évêque d'Auxerre, faisant des ordinations à Vézelai. J'ai vu trois procès de mariages, portés devant l'abbé Pons, savoir pour les mariages d'Obert Saltarell et d'Elisabeth, d'Aimeri, le marchand de cire, et de la fille de Blanchard, le tailleur, et du frère de Dreux avec la fille de Pierre le marchand; et j'ai vu ces trois procès terminés par l'autorité de l'abbé. Et dans la cause d'Obert et d'Élisabeth, il y eut pour avocat Herman, qui est maintenant archidiacre et archiprêtre d'Avalon.» Quant à la concession des trois églises, le déposant déclara absolument les mêmes choses qu'avait déclarées Anselme, moine de Vézelai. [2,10] Hugues de l'Ecole, moine et prêtre de Vézelai, dit: «Du temps de l'abbé Albéric, le prieur de Moret, Hugues, me conduisit à Auxerre avec plusieurs autres, et là il nous fit ordonner, moi comme sous-diacre, et aux autres il fit conférer divers ordres, par Hugues qui a été abbé de Pontigny. Du temps de l'abbé Pons, Hélie, évêque d'Orléans, m'a ordonné diacre; il conféra à plusieurs autres divers ordres; il ordonna prêtres Gui, qui est maintenant grand chapelain, et Renaud Rialte; et cela dans la grande église. Du temps de ce même Pons, j'ai vu Humbert, maintenant archevêque de Lyon, alors évêque d'Autun, appelé par le même abbé de Vézelai, faire des ordinations dans l'église des Pélerins, conférer aux uns le degré de prêtre, aux autres celui de diacre, à d'autres divers ordres; et j'ai vu Hugues, archevêque de Rouen, consacrer l'autel de Saint-Michel, et cela dans la grande église, et après la réconciliation; et j'ai vu Hugues d'Auxerre ordonner les deux Geoffroi comme sous-diacres.» Et au sujet de la concession des trois églises, il dit absolument les mêmes choses qu'avaient dites Anselme et Hugues. J'ai vu Humbert, qui est maintenant archevêque de Lyon, et Henri, qui est maintenant évêque d'Autun, loger dans le bourg de Vézelai, quelquefois dans la grande église, et quelquefois s'établir à leurs frais dans le bourg.» [2,11] Ours ayant prêté serment, dit les mêmes choses que Hugues de Souvigny avait dites au sujet du chrême, des huiles et du synode: il dit aussi les mêmes choses que Hugues au sujet des procès sur les mariages et de leur solution, si ce n'est qu'il ne fit aucune mention de l'archiprêtre d'Avalon. [2,12] Benoît, cuisinier de l'abbé, ayant été assermenté, dit au sujet du mariage d'Hardouin et de Cécile les mêmes choses qu'avait dites Hugues, prieur de Moret. Et au sujet du mariage d'Obert et d'Élisabeth, et des mariages d'Aimery le cirier et de la fille de Blanchard le tailleur, et du frère de Dreux avec la fille de Pierre le marchand, il dit les mêmes choses qu'avait dites Hugues de Souvigny, moine et prêtre. [2,13] Alegreth ayant prêté serment, dit sur le mariage d'Obert Salterell et d'Élisabeth, et d'Aimeri le cirier avec la fille de Blanchard le tailleur, les mêmes choses qu'avaient dites Hugues de Souvigny et Benoît le cuisinier; il dit aussi qu'une certaine femme alla à Jérusalem, et qu'y ayant fait séjour, son mari épousa une autre femme; qu'ensuite la femme étant revenue, redemanda son mari, et que la cause ayant été instruite en présence de l'abbé Pons, par l'autorité et le jugement de cet abbé, la femme fut rendue à son mari; mais le déposant ne se souvint pas de leurs noms. [2,14] Ces témoins ayant été éloignés, l'évêque d'Autun produisit les siens, dont le premier, l'abbé de Sainte-Marguerite, ayant prêté serment, dit qu'il avait vu plusieurs fois au synode de l'évêque d'Autun des prêtres de Vézelai, ignorant cependant s'ils y étaient continuellement et assidûment, savoir: Sade, Pierre et Bernard; Sade et Pierre, du temps de l'évêque Étienne; Bernard, du temps de l'évêque Humbert; ne sachant pas s'ils y étaient d'obligation ou volontairement, et ne se souvenant pas s'ils y étaient simultanément. Toutefois, poursuivit-il, j'ai souvent entendu des moines disant qu'ils n'allaient pas au synode par obligation. J'ai entendu des plaintes quand les prêtres de Vézelai ne venaient pas, mais je n'ai point vu infliger de peine ou recevoir de satisfaction. Je sais que des prêtres suspendus par l'évêque d'Autun ont été relevés de cette suspension par le seigneur pape, et j'ai vu les lettres de ce dernier. Lors du rétablissement de la paix, j'ai entendu l'abbé promettre d'être à l'avenir fidèle ami de l'évêque d'Autun, et de se montrer pour lui tel que ses prédécesseurs s'étaient montrés pour les prédécesseurs de l'évêque. J'ai vu l'abbé présenter à cet évêque le privilége d'Eugène, et alors l'abbé de Cluny dit à l'évêque d'Autun: Lorsqu'il sera nécessaire, va à Vézelai, et agis comme évêque, en présence de Pons, abbé de ce même monastère.» [2,15] Jean, prieur de Saint-Symphorien, ayant prêté serment, dit: «J'ai vu Humbert, évêque d'Autun, célébrer la messe à Vézelai, et y prononcer un sermon, et cela en une certaine solennité.» Du temps du synode, il avait vu Sade et Pierre à Autun, et avait cru qu'ils se rendaient au synode. Quant au rétablissement de la paix, il dit qu'il avait entendu dire à quelqu'un que l'évêque irait à Vézelai, et y célébrerait l'office, et cela après la réconciliation. [2,16] Éverard, archiprêtre, ayant été assermenté, dit: «J'ai vu Étienne, évêque d'Autun, les jours de Pâques et de Marie-Madeleine, célébrer la grand'messe, et au moins deux fois. Le jour de Sainte-Marie-Madeleine, quand l'évêque d'Autun célébra la messe, il y avait là l'évêque de Chartres, lequel prononça le sermon devant le peuple, et l'évêque d'Autun donna la bénédiction. Le même Étienne fit la dédicace de l'église des Pélerins pendant que le pape Innocent était à Vézelai, mais j'ignore en quel temps ce fut. Le même évêque fit la dédicace de l'autel du chœur des moines et de l'autel de la chapelle de Saint-Étienne. Je l'ai vu, à Auxerre, donner la bénédiction a l'abbé Albéric; j'ai vu Pons béni par lui; j'ai vu des ordinations de moines et de clercs faites par le même Étienne dans l'église des Pélerins, et cela une fois. J'ai vu Bellin, Angilbert, Sade et Bernard, chapelains de l'église inférieure; Pierre Grael, Blain, Sade et Gui, de l'église supérieure, venir au synode continuellement, excepté deux années, savoir l'année présente et l'année où il y eut désaccord entre Humbert, évêque d'Autun, et l'abbé Pons, au sujet des ordres conférés par l'évêque d'Orléans; et j'ai vu cela pendant trente ans.» Il dit, au sujet du chrême et des huiles, et de la paix, la même chose qu'avait dite l'abbé, excepté qu'il ne parla pas de ces mots, va à Vézelai. «Mais dans la suite, j'ai vu l'évêque y conférer des ordres une fois; et j'ai vu deux clercs, a Bonami et Pierre, qui voulaient être ordonnés, porter des lettres de l'évêque d'Autun à l'évêque d'Auxerre; et j'ai vu deux chapelains, savoir celui de Saint-Étienne et celui de Saint-Jacques d'Écouan, venir au synode d'Autun, et cela au moins une fois. Moi-même, archiprêtre Éverard, j'ai vu punir les fautes de deux clercs, savoir de Blandin, sous-chapelain, et de Mairiard d'Écouan. J'ai vu Angilbert, chapelain de Saint-Pierre inférieure, recevoir charge d'ames de Lambert, prêtre d'Avalon, et Bernard de Humbert, évêque d'Autun, et je l'ai entendu disant qu'il voulait que l'abbé ne le sût pas. Pierre et André le chapelain, Sade et Gautier d'Écouan, m'amenèrent leurs paroissiens pour recevoir une pénitence au sujet de leurs fautes, et cela souvent, et d'après une antique coutume du pays. J'ai vu pendant quarante ans les paroissiens du bourg de Vézelai sortir chacun de sa maison, et venir à l'église d'Avalon; et là, chacun d'eux fournir à l'église une prestation en une pièce de monnaie, ou en cire pour la même valeur. J'ai vu Sade et Pierre recevoir charge d'ames d'Étienne, évêque d'Autun. J'ai vu Renaud, évêque de Lyon, conférer les ordres à Vézelai, tant à des moines qu'à des clercs. J'ai vu que l'abbé de Vézelai envoyait ses moines, pour recevoir les ordres, à l'évêque qu'il voulait choisir. J'ai vu lire la charte du fondateur en présence du seigneur pape Innocent, dans laquelle il était dit que le monastère serait libre de toute redevance en argent, excepté pour une livre d'argent qui était offerte tous les ans à l'église du bienheureux Pierre; et après cette lecture, le seigneur pape dit à l'évêque: «Va, et fais ce qui -t'appartient.» Et j'ai vu que l'église de Saint-Pierre, depuis déjà quarante ans, paie tous les ans cinq sous à l'église d'Autun, pour droit de visite.» [2,17] Arnoul ayant prêté serment, dit: « J'ai vu Étienne, évêque, bénir un autel dans l'église de Saint-Étienne, mais je ne sais lequel c'était, attendu qu'il y en a plusieurs. Le même évêque a béni l'autel du chœur dans l'église de Sainte-Marie. Il a aussi béni l'église des Pélerins, et il y avait là le pape Innocent.» Il croyait aussi que dans la même église le même évêque avait conféré des ordres à des moines et à des clercs de ce bourg et à d'autres de son évêché. Et comme j'étais archiprêtre auprès de ce siége, j'ai vu Haganon l'évêque aller à Vézelai pour y conférer les ordres, et j'ai vu des clercs en revenant, qui dirent avoir été ordonnés. Et j'ai entendu dire que le jour suivant, après avoir conféré des ordres, il fit la dédicace de l'église d'Écouan. Le même Etienne célébra la grand'messe à Vézelai les jours de la Résurrection du Seigneur et de Sainte-Marie-Madeleine; l'évêque de Chartres prononça le sermon; l'évêque d'Autun donna la bénédiction; et cela est arrivé plusieurs fois, moi le voyant. J'ai vu pendant trente-cinq années de suite des prêtres de Vézelai venir au synode d'Autun. Voici les noms de quelques-uns d'entre eux: Blandin, Sade, Pierre Grael, Pierre d'Armenbald, Gui. J'ai vu Narigaud, évêque, reçu processionnellement par les moines de Vézelai. J'ai vu Étienne, à Auxerre, donner la bénédiction à Albéric, mais je ne me souviens pas dans quelle église.» [2,18] Gautier, archiprêtre, ayant été assermenté, dit qu'Étienne, évêque, avait donné la bénédiction à l'abbé Pons, et béni l'autel du chœur. Quant à la réconciliation, il dit la même chose que les autres; et après cela, l'évêque fît des ordinations dans l'église de Saint-Pierre, et Étienne y confirma tous ceux qui se présentèrent. Gautier avait vu des prêtres de Vézelai venir maintes fois au synode d'Autun, et entre autres Gui et Bernard, qui vivent encore. Et pendant dix ans Gautier avait reçu les cinq sous offerts pour droit de visite; et chaque famille offrait une pièce pour les croix; et Gautier avait vu ceci une fois, et en avait très-souvent entendu parler. Et il a aussi entendu dire que l'abbé de Vézelai envoie ses moines à l'évêque qu'il veut choisir, pouf être ordonnés par lui. [2,19] Gautier, prêtre, ayant prêté serment, dit que depuis trente ans, excepté l'année présente et l'année de la discorde, il a vu les clercs de Vézelai demander du saint chrême à l'archiprêtre d'Avalon, et qu'il ignore quels étaient les messagers. Il dit qu'il a vu l'évêque Étienne bénir l'église des Pélerins, le pape Innocent se trouvant alors dans le bourg; mais qu'il ne sait à quelle époque c'était; qu'il y avait là un abbé, mais qu'il ne sait pas son nom. Le même évêque consacra aussi l'autel du chœur de la grande église, mais il ne sait pas laquelle de ces deux consécrations a précédé l'autre. Le même Gautier a vu Landri, Pierre, Angilbert, se rendre au synode d'Autun, et cela durant trente ans; et il a vu Angilbert recevoir charge d'ames de l'archiprêtre d'Avalon. Durant trente ans il a vu Pierre Grael, Sade, Blandin, venir au synode. Le même Gautier a vu l'église de Saint-Pierre inférieure payer le droit de visite aux ministres de l'évêque pendant trente années. Le même a vu Blain, chapelain, être puni pour ses fautes par l'archiprêtre d'Avalon; et il en dit de même pour Mainard et pour Gautier de la Gauterie. Enfin il a entendu dire que l'abbé de Vézelai envoyait ses moines où il voulait pour être ordonnés. [2,20] Jean Gentil, assermenté, dit que depuis trente ans il a vu les clercs de l'église de Saint-Pierre, tant supérieure qu'inférieure, venir au synode, mais non pas continuellement; qu'il a vu Angilbert, de l'église inférieure, recevoir charge d'ames de Lambert, archiprêtre d'Avalon; qu'il a entendu Pierre, Arembaud et Sade, disant avoir reçu charge d'ames de l'évêque Étienne, mais qu'il ne l'a pas vu; qu'il a vu les chapelains de Vézelai recevoir du saint chrême de l'archiprêtre d'Avalon et de Mont-Réal, durant trente ans, mais non pas constamment; qu'il a vu Pierre Grael demander dans le synode un archiprêtre à l'évêque Étienne, et que l'évêque accorda celui qui y est présentement. Au sujet des fautes de Blain, il dit la même chose que les autres. Il dit qu'il a vu payer les deniers de la croix, et qu'il a vu les chapelains de Vézelai conduire leurs paroissiens pour recevoir leurs pénitences de l'archiprêtre d'Avalon. Quant à la dédicace de l'église des Pélerins et à la célébration des messes par les évêques, il dit les mêmes choses que les autres avaient dites. [2,21] Bonami dit en tout point les mêmes choses qu'a dites Gentil, si ce n'est qu'il ne sait rien sur l'année présente et les derniers différends. [2,22] Geoffroi ayant prêté serment, dit qu'il a vu maintes fois Sade et Pierre, du temps d'Étienne et d'Humbert; Bernard et Gui, du temps de ce dernier, venir au synode; et qu'il a vu un certain clerc de Vézelai demander à l'évêque une licence d'ordination. [2,23] Constantin ayant prêté serment, dit qu'il est allé souvent au synode avec des clercs de Vézelai:, et qu'un certain clerc de Vézelai a été ordonné par l'évêque d'Autun. [2,24] Geoffroi, évêque de Nevers, dit en présence des très-saints Évangiles placés devant lui: J'ai vu l'évêque d'Autun, Étienne, appelé, ou quelquefois non appelé, être reçu à Vézelai comme évêque, être traité quelquefois par les moines, quelquefois logé à ses frais: le jour de la bienheureuse Marie-Madeleine il a souvent célébré une messe solennelle, à laquelle plusieurs autres évêques assistaient; et une autre fois l'évêque d'Autun ayant célébré la solennité, l'évêque de Chartres fit le sermon. J'ai vu le même Étienne donner la bénédiction à l'abbé Albéric à Auxerre; et le même Étienne a consacré l'église des Pélerins, le pape Innocent étant alors à Vézelai. En un autre temps, l'évêque d'Autun a béni l'autel dans le chœur des moines; en un autre temps, le même Étienne a béni l'autel dans l'église de Saint-Étienne. J'étais présent lorsque la paix fut établie entre l'évêque d'Autun et l'abbé de Vézelai, par l'entremise de l'abbé de Cluny; et à la fin il fut dit à l'évêque d'Autun: «Va à Vézelai, et remplis ton ministère.» Mais je ne me souviens pas si ce fut l'abbé qui dit ces paroles, ou un autre pour lui. En un autre temps, l'abbé Pons venait de la ville avec l'évêque d'Autun, Humbert, et l'évêque l'ayant précédé, peu après ledit abbé fut reçu en procession à Autun par le même évêque et par ses clercs; et de là l'abbé se rendant au chapitre d'Autun, promit amitié et affection à l'évêque d'Autun, selon la coutume de ses prédécesseurs.» [2,25] Humbert, archevêque de Lyon, dit en présence des très-saints Évangiles placés devant lui: Lorsque j'étais évêque d'Autun, j'allai à Vézelai, sans y être appelé, et le jour de Pâques je célébrai la solennité de la messe dans la grande église, croyant user de mon droit épiscopal, et je fis un sermon au peuple, et je lui donnai la bénédiction en présence d'un autre évêque.» Au sujet de la réconciliation, l'archevêque dit absolument ce qu'avait dit l'évêque de Nevers, si ce n'est qu'il affirma que l'abbé lui avait dît: Va à Vézelai, et fais ce que tes prédécesseurs avaient coutume de faire. — Ensuite ayant été appelé à Vézelai, je conférai des ordres à des moines et à des clercs du lieu, ainsi qu'à quelques clercs de mon évêché. Et une autre fois que je faisais des ordinations à Autun, ayant examiné des clercs de Vézelai avec mes autres clercs, selon la coutume, je les promus ensuite. Et tant que j'ai été évêque, les clercs de Vézelai sont venus tous les ans à mon synode, ou m'ont envoyé une excuse. L'archiprêtre d'Avalon m'a amené un certain bourgeois de Vézelai, qui avait renvoyé sa femme pour cause de stérilité, et je lui ordonnai que, selon la justice, il eût a à contraindre le bourgeois à reprendre sa femme.» [2,26] Ayant ainsi fait leurs dépositions, les témoins de l'évêque d'Autun se retirèrent. Leurs paroles, si on les examine avec attention, sont bien plus propres à desservir qu'à servir les intérêts de l'évêque. En effet, la célébration des messes, la consécration des autels, la distribution des ordinations et des bénédictions, la préparation des saintes huiles ou du chrême, et d'autres actes semblables, ont pu être concédés, au gré de l'église de Vézelai, et en vertu de sa liberté, à un évêque voisin et habitant de la même province, aussi bien qu'à un étranger. Ainsi ce que l'évêque a fait en commun avec d'autres, ne peut nullement lui être attribué comme un droit lui appartenant en propre. De plus, les témoins, en attestant que ceux qui avaient été suspendus par l'évêque d'Autun furent réintégrés dans leur ordres par la libre volonté apostolique, donnent gain de cause à l'église de Vézelai et ruinent entièrement leur cause, c'est-à-dire celle de l'évêque. Quant à ce que ces témoins rapportent, que les clercs de Vézelai fréquentaient le synode d'Autun, qu'ils demandaient à l'évêque d'Autun une licence d'ordination, qu'ils recevaient charge d'âmes de ce même évêque, qu'ils payaient le droit de visite, qu'ils amenaient leurs paroissiens aux archiprêtres pour leur faire imposer des pénitences, tout cela, s'il est permis de le dire, trahit la fourberie des prêtres et la témérité de l'évêque, puisque l'on reconnaît en même temps que ces choses se sont toujours faites à l'insu de l'abbé de Vézelai; et cela même rend plus mauvaise une cause qui, de l'aveu de celui qui la soutient, a été appuyée sur des subreptions furtives. [2,27] Après donc que les témoins de l'une et de l'autre partie eurent fait leurs dépositions, ainsi que nous l'avons rapporté ci-dessus, le souverain apostolique décida que la discussion qui devait précéder le jugement d'un si grand procès était ajournée. Et comme une crainte extrême est la preuve convaincante d'une conscience troublée, il arrive quelquefois qu'exposé à de grands périls, l'esprit se trouve forcé de s'arrêter à des considérations qu'il eût en quelque sorte dédaigné auparavant de remarquer. La cause se trouvant au moment d'être enfin décidée, l'évêque d'Autun, ayant la conscience de la témérité de son entreprise, se troubla; et comme il ne pouvait ignorer l'équité de la cour de Rome dans l'examen des droits de juridiction, il commença à hésiter, ne put dissimuler long-temps, et demanda enfin que le jugement fût différé, disant qu'il avait, dans l'intérêt de sa cause, des témoins très-importants, qui, accablés de maladies ou d'années, ne pouvaient supporter la fatigue d'un si grand voyage; mais que si on lui accordait dans l'intérieur des Gaules la faculté de les présenter en un lieu et à un jour déterminés, il les produirait sans aucun doute, promettant en outre qu'après leurs dépositions il reviendrait très-certainement en présence du pape, au temps qui serait fixé, pour subir la sentence apostolique, à moins que dans l'intervalle le hasard ne rétablît une paix vivement desirée. [2,28] L'abbé de Vézelai, jugeant alors tout nouveau délai superflu, et considérant que l'évêque d'Autun mettait son espoir dans les chances de l'avenir bien plus que dans la bonté de sa cause, demanda très-instamment justice, et que l'on statuât sur son droit. Toutefois la clémence apostolique prévalut, et le jugement fut différé. Le pape désigna un jour pour prononcer sa sentence, et nomma, pour entendre les témoins, des évêques, ses vicaires dans les Gaules, savoir l'évêque de Langres, Godefroi; ainsi que Pierre, abbé de...., et Étienne, abbé de Rigny. Il leur manda par écrit qu'ils eussent à entendre la cause élevée entre l'évêque d'Autun et l'abbé de Vézelai en un lieu et un jour convenables, à recevoir les dépositions des témoins que l'évêque d'Autun produirait légitimement, après leur avoir fait prêter le serment ci-dessus rapporté, et à lui transmettre, pour le jour déterminé du jugement, les dépositions de ces témoins, constatées par écrit et revêtues de la garantie de leurs sceaux. Le texte de cette lettre est rapporté dans la série des lettres que ce même pape a écrites à diverses personnes pour la défense des libertés de l'église de Vézelai. En effet, le pape Eugène, de mémoire incomparable, prenant, avec une pieuse sollicitude, toutes les mesures convenables pour l'avenir, ordonna que les déclarations des témoins des deux parties fussent inscrites dans une triple cédule, dont il donna l'une à l'évêque, la seconde à l'abbé, et garda la troisième dans ses archives, afin que si par hasard cette controverse venait à être de nouveau agitée, soit en sa présence, soit devant l'un de ses successeurs, ces déclarations ainsi constatées pussent, comme des témoins vivants, réfuter toutes les nouvelles allégations, et que des témoins supposés ne pussent tromper la justice, ou ceux qui seraient appelés à la rendre. Les choses ainsi réglées, chacune des deux parties retourna à ses affaires. [2,29] Cependant l'évêque d'Autun ayant obtenu le délai qu'il avait desiré, faisait ses efforts pour dissimuler ses projets et pour gagner du temps, ne se mettant nullement en peine de tenir les promesses qu'il avait faites au souverain pontife pour ohtenir une remise. L'abbé supportant impatiemment des retards qu'il jugeait devoir porter préjudice à ses intérêts et empêcher le jugement de son procès, alla trouver l'évêque de Langres, que le hasard avait amené un certain jour à Vézelai, et le requit de se conformer aux ordres du seigneur pape. L'évêque répondit que c'était plutôt à celui qui avait intenté l'action à lui adresser cette réquisition, attendu que la plupart du temps, en gardant le silence, on renonce à la poursuite d'un procès; qu'au surplus, l'évêque d'Autun ne lui avait pas encore dit un seul mot au sujet de cette affaire. [2,30] Sur ces entrefaites, saint Eugène, de sainte mémoire, seigneur apostolique du Saint-Siége, entra dans la voie de toute chair. Anastase devint à sa place vicaire de la sainte église romaine. Ayant appris cela, l'abbé de Vézelai craignant que son ancien ennemi ne prévînt le nouveau pontife, écrivit en toute hâte à celui-ci pour lui faire connaître combien, jusqu'à cette époque, l'église de Vézelai avait été chère à tous les seigneurs apostoliques ses prédécesseurs. Il le supplia en outre de protéger cette église, à l'exemple de ses devanciers les pontifes romains, comme faisant partie de sa propre juridiction, et étant un alleu du bienheureux Pierre; et de la défendre contre les invasions de ses ennemis, et en particulier, pour le moment présent, contre les entreprises téméraires de l'évêque d'Autun, lui expliquant comment cette cause, autant celle du pape que la sienne propre, portée en présence de son prédécesseur Eugène, de pieuse mémoire, était demeurée sans conclusion par l'ajournement du jugement, accordé sur la demande de l'évêque. Enfin il suppliait Sa Piété de daigner fixer de nouveau un jour pour le prononcé de la sentence, attendu que le premier délai était expiré par suite de la mort du juge, et de vouloir bien notifier cette décision à l'évêque d'Autun. [2,31] Le sacré seigneur apostolique, accueillant les prières du patron de son église spéciale, signifia aux deux parties la reprise du procès, et leur désigna le quinzième jour après Pâques (à moins que dans l'intervalle la paix des églises ne fût rétablie, du consentement des deux adversaires), afin que les choses que son prédécesseur n'avait pu terminer fussent, avec l'aide de Dieu, conduites par lui à une bonne fin. Alors, comme s'il eût été frappé d'un trait inattendu, creusant dans sa dure cervelle, et désespérant du succès de son entreprise, l'évêque va trouver le duc son frère, et traite, pour obtenir son repos, avec celui qu'il avait auparavant appelé à son aide pour opprimer les autres. Craignant en effet d'être contraint à perdre son propre bien tandis qu'il aspirait à s'emparer du bien d'autrui, l'évêque renonce à sa querelle, et songe à rétablir la paix. Jusques alors il avait fait effort pour usurper sur les étrangers, et maintenant il s'empresse de soigner ses propres intérêts par l'intermédiaire des autres. Et de peur que la méchanceté de son frère n'entretînt les défiances, le duc lui-même, de concert avec l'évêque, interpelle des hommes menant la vie de religieux, et jouissant d'une réputation honorable, savoir l'abbé de Cîteaux et plusieurs autres hommes du même Ordre. Ceux-ci donc venant trouver l'abbé de Vézelai, Pons, lui présentent en suppliants les prières du duc, lui demandent et lui offrent la paix de la part de l'évêque. Et certes, ils ne pouvaient être repoussés, car dans les ames généreuses l'esprit de douceur et de mansuétude s'unit toujours à l'accomplissement rigoureux du devoir. L'abbé cède donc à celui qui le supplie humblement, n'ayant pas cédé à celui qui s'énorgueillissait dans son arrogance. Par l'intermédiaire de ces religieux, et par les soins du duc, la paix est rétablie entre les deux églises; toute la contestation est terminée; ils se donnent réciproquement le baiser d'amitié, et concluent un traité de paix perpétuelle. Et afin que ce traité de paix fût en outre maintenu dans son intégralité entre les successeurs de ceux qui traitaient, l'évêque en écrivit l'original de sa main, et le corrobora de la garantie de son sceau, ainsi que le prouve la copie ci-jointe: [2,32] "Qu'il soit connu à tous, présens et à venir, que moi Henri, par la grâce de Dieu évêque d'Autun, de l'avis de personnes religieuses et de quelques frères de mon église, j'ai voulu que la contestation et la querelle existant depuis long-temps entre les églises d'Autun et de Vézelai fussent assoupies par une composition amiable, de telle sorte que tant moi que Pons, abbé de la susdite église, nous vivions et demeurions en bonne paix et concorde, sauf de mon vivant tout droit et tout privilége de l'une et l'autre église. Je déclare que cette susdite transaction ou composition, pour ma vie durant, est entendue de façon qu'après ma mort aucune des deux églises n'en puisse recevoir préjudice." Les témoins des deux parts sont Guillaume, abbé de Fontenay; Hugues, abbé de Bussière; Pierre, abbé du Mont-Saint-Jean; Obert, abbé de Sainte-Marguerite; maître Obert; Signin de Ligny; Gilbert, prieur d'Oisy; Girard Bouque; Hugues de Monciel, et beaucoup d'autres. [2,33] Telles sont en abrégé les choses que nous avons cru devoir rapporter au sujet des libertés de l'église de Vézelai, selon la mesure de notre faible capacité; et nous l'avons fait avec autant de brièveté et de véracité qu'il nous a été possible, laissant à qui aurait plus de loisir le soin d'écrire peut-être de plus grands détails, mais non avec plus de vérité. Quant à la vérité, nous croyons avoir fait assez pour les enfants de cette église et pour ceux qui lui sont attachés de cœur; et pour ce qui est de la brièveté, nous avons pris soin de condescendre au goût de ceux qui se moquent de pareils sujets. Quelques hommes en effet ont coutume de s'irriter contre ceux qui écrivent sur de tels intérêts, soit par haine contre ce qui a été fait, soit par ignorance des choses dont il est question. De même que le sage dans ses loisirs ne considère rien comme oiseux, et fait même consister son devoir à occuper les loisirs des autres; de même, en sens contraire, c'est la grande affaire de l'insensé de traiter légèrement tous les travaux que l'homme sage élabore avec soin; et appréciant cette disposition à sa valeur, nous avons abrégé notre récit et l'avons rédigé comme à la course. Quoique dans l'ordre des temps notre église nous trouve le plus jeune, rien ne pourra affaiblir notre dévoûment envers elle, s'il nous est possible d'employer toutes nos facultés pour son plus grand avantage, avec la plus tendre affection; et nous ne doutons nullement qu'elle ne nous prête ses forces, après nous avoir prêté sa volonté et sa faveur, pour qu'il nous soit permis de vivre exempt de tracasseries. Mais tandis que quelques-uns, tels que des mercenaires et non comme des fils donnés par la nature, cherchent leur bien et non le bien de l'office qu'ils ont obtenu, et poursuivant leurs avantages particuliers dans la cause commune, ou sous le prétexte de la cause commune, nous, nous avons le cœur parfaitement pur de pareils sentiments, et ce n'est que dans la seule et unique vue du bien commun que nous avons entrepris pour le bien commun cette œuvre de bien commun. Ainsi donc nous avons mis et confié nos espérances en celui-là seul qui a déclaré qu'aucune bonne action ne demeure sans récompense dans le temps et jusque dans l'éternité.