[4,86] DU RÉGIME. LIVRE QUATRIÈME OU DES SONGES. Les signes qui se montrent dans le sommeil seront trouvés posséder pour toute chose une grande vertu par celui qui saura en juger sainement. En effet l'âme, alors qu'elle sert le corps éveillé, se partage entre plusieurs occupations et n'est pas à elle-même; mais elle donne une certaine portion de son activité à chaque affaire du corps, à l'ouïe, à la vue, au toucher, à la marche, à toutes les actions corporelles. De la sorte, l'intelligence ne s'appartient pas. Au lieu que, quand le corps repose, l'âme, mue et parcourant les parties du corps, gouverne son propre domicile et fait elle-même toutes les actions corporelles. En effet le corps, dormant, ne sent pas ; mais elle, éveillée, a la connaissance, voit ce qui se voit, entend ce qui s'entend, marche, touche, s'afflige, se recorde, accomplissant, dans le petit espace où elle est, pendant le sommeil, toutes les fonctions du corps ou de l'âme. Aussi quiconque en sait juger sainement, connaît une grande partie de la science. [4,87] Parmi les songes ceux qui sont divins et présagent, soit aux villes, soit aux particuliers, des événements heureux ou malheureux, non causés par la faute des parties intéressées, ont des interprètes qui possèdent là-dessus un art exact. Mais les songes où l'âme annonce les affections corporelles, soit excès de plénitude ou d'évacuation des choses congénitales soit changement vers des choses inhabituées, sont expliqués aussi par les mêmes interprètes, qui, alors, tantôt rencontrent juste, tantôt se trompent, sans jamais savoir pourquoi il arrive que tantôt ils rencontrent juste et tantôt ils se trompent. Indiquant qu'il y a lieu de prendre garde à ne pas éprouver quelque mal, ils n'enseignent pas comment il faut se garder : ils se contentent de prescrire des prières aux dieux. Prier est sans doute chose convenable et excellente; mais, tout en invoquant les dieux, il faut s'aider soi-même. [4,88] Voici ce qu'il en est sur cet objet : les songes qui reportent les actions ou les pensées de la veille dans la nuit suivante et qui représentent d'une façon régulière ce qui a été fait ou délibéré pendant le jour dans une juste affaire, sont favorables ; ils indiquent la santé, parce que l'âme demeure dans les pensées du jour, n'étant surmontée ni par aucune plénitude ni par aucune déperdition ni par rien venant du dehors. Mais, quand les songes contrarient les actions de la veille et qu'il y a là-dessus bataille ou victoire, cela signale un trouble dans le corps; si ce trouble est fort, fort est le mal ; s'il est faible, le mal est plus faible. Quant à l'action sur laquelle on rêve, faut-il ou non en détourner? c'est ce que je ne juge pas ; mais je conseille de traiter le corps ; car une plénitude quelconque s'est amassée, et il en est résulté une sécrétion qui a troublé l'âme. Si donc ce qui contrarie est considérable, il convient de vomir, puis, pendant cinq jours, d'augmenter progressivement la nourriture par des aliments légers, d'user de promenades du matin considérables et rapides en suivant une gradation, et de faire des exercices en proportion avec l'alimentation croissante. Si ce qui contrarie est plus faible, on s'abstient du vomissement, on retranche le tiers des aliments, puis pendant cinq jours on augmente graduellement la nourriture. On insiste sur les promenades, on use des exercices de la voix, on invoque les dieux, et le trouble s'apaise. [4,89] Voir le soleil, la lune, le ciel et les astres purs, agiles, et chacun suivant son mode d'être, est favorable ; cela promet au corps santé de la part de tout ce qui y est ; il faut maintenir cette disposition en maintenant le régime actuel. Voir quelque chose de contraire, annonce quelque maladie, plus forte s'il s'agit d'influences plus fortes, plus légère s'il s'agit d'influences plus faibles. Aux astres appartient la révolution extérieure, au soleil la révolution intermédiaire, à la lune la révolution vers les parties creuses. Quel que soit celui de ces astres qui paraît ou s'éteindre ou être lésé ou disparaître ou être arrêté dans sa révolution, si c'est par un brouillard ou un nuage, l'influence est plus faible ; si c'est par de l'eau ou de la grêle, l'influence est plus forte ; en tout cas c'est l'annonce qu'une sécrétion humide et phlegmatique, s'étant faite dans le corps, est tombée à la surface extérieure. Dans ce cas conviennent les courses en habit, considérables, augmentées graduellement, afin que l'on sue autant que possible, les promenades considérables après le gymnase, la suppression du déjeuner, le retranchement du tiers des aliments, auxquels on reviendra par gradation en cinq jours. Si l'influence paraît forte, on aura recours aux étuves, car il importe de faire la purgation par la peau puisque le mal est dans la surface extérieure. On usera des aliments secs, âcres, astringents, non tempérés, et des exercices qui dessèchent surtout. Est-ce la lune qui offre quelqu'une de ces apparences? on fera la révulsion vers l'intérieur : vomissement avec des aliments âcres, salés et mous, exercices de la voix, suppression du déjeuner, même retranchement des aliments et même accroissement graduel. La révulsion doit être à l'intérieur, parce que le mal s'est montré vers les parties creuses du corps. Est-ce le soleil? cela est déjà plus puissant et plus difficile à expulser. On fera les révulsions des deux côtés : courses recourbées, courses au cerceau, promenades, et tous les genres d'exercices gymnastiques ; même retranchement des aliments, même accroissement graduel ; puis vomissement, et derechef augmentation graduelle des aliments pendant les cinq jours. Si, le temps étant serein, les astres paraissent être comprimés, affaiblis et surmontés par la sécheresse de la révolution, c'est l'indice d'un danger de maladie; on diminuera les exercices, on usera d'un régime mou et plus humide, de bains, de plus d'inaction, de beaucoup de sommeil, jusqu'à ce que le mal disparaisse. Si ce qui contrarie est d'apparence ignée et chaud, c'est l'annonce d'une sécrétion bilieuse ; si les parties intégrantes du corps ne triomphent pas, c'est l'annonce d'une maladie; si les parties vaincues semblent même disparaître, c'est l'annonce que la maladie fera courir un danger de mort. Si ce qui est dans le corps semble être mis en fuite, et fuir rapidement, poursuivi par les astres, il y a danger de délire, à moins que le traitement n'intervienne. Il convient, dans tous ces cas, surtout d'évacuer par l'ellébore et de mettre au régime ; sinon, on prendra le régime de l'eau, on ne boira pas de vin, ou, si on en boit, il sera blanc, léger, mou, aqueux. On s'abstiendra des substances âcres, desséchantes, échauffantes, salées. On usera surtout des exercices naturels; beaucoup de courses en habit ; point de frictions point de lutte ; point de lutte sur la poussière; beaucoup de sommeil et sur un coucher mollet; du repos, si ce n'est pour les exercices naturels; des promenades après le dîner. Il est bon aussi d'user d'étuves. On vomira après l'étuve. De trente jours, on ne mangera à son plein appétit, et, quand on s'y sera remis, ou vomira deux fois dans le mois avec des aliments doux, aqueux et légers. Quand ces astres paraissent errer çà et là sans rien qui les force, cela indique une certaine perturbation de l'âme par l'effet de soucis ; il convient de se reposer et de tourner l'âme vers les spectacles, surtout vers ceux qui provoquent le rire ; sinon, vers ceux que le sujet a le plus de plaisir à voir, pendant deux ou trois jours, et cela s'apaisera ; au cas contraire, il y a danger de tomber malade. Quand quelqu'un des astres semble s'échapper de la voie circulaire, s'ils sont purs, brillants et paraissent être portés vers l'orient, c'est une annonce de santé ; car ce qui, étant pur dans le corps, s'échappe de sa voie circulaire par un mouvement naturel (or, le mouvement naturel est d'occident en orient), cela, dis-je, est régulier; et le fait est que toute chose amenée par sécrétion dans le ventre ou portée par une sorte d'éructation dans les chairs s'échappe de la voie circulaire. Quant à ce qui dans le ciel paraît noir, obscur ou allant vers l'occident, ou vers la mer ou vers la terre ou vers la région supérieure, c'est annonce de maladies : vers la région supérieure, annonce de catarrhes de la tête ; vers la mer, annonce d'affections abdominales ; vers la terre, annonce de tumeurs formées surtout dans la chair. Dans ces cas il convient de retrancher le tiers des aliments, de vomir, puis d'accroître graduellement la nourriture pendant cinq jours et de revenir en cinq autres jours à la totalité des aliments ; alors de vomir et de repasser par la même série. Quand un corps céleste, étant pur et humide, paraît se poser sur vous, c'est l'indice de la santé, parce que c'est quelque chose de pur qui descend de l'éther en l'homme, et que, de fait, l'âme le voit tel qu'il pénètre. Mais si ce corps céleste est noir et n'est ni pur ni diaphane, cela indique une maladie non par plénitude, non par déperdition, mais par quelque afférence extérieure. En ce cas il convient d'user de courses au cerceau rapides, afin que, d'une part, il y ait le moins possible de colliquation du corps, et que d'antre part, la respiration devenant très fréquente, ce qui est venu par afférence soit expulsé. Après la course au cerceau, promenades accélérées; régime mou et léger pendant quatre jours. Quoi que ce soit que l'on semble prendre pur d'un dieu pur, cela est favorable pour la santé ; car c'est l'indice de la pureté de ce qui est introduit dans le corps ; mais ce que l'on croit voir d'apparence contraire, n'est pas favorable; car cela annonce que la maladie est arrivée dans le corps. Même traitement que précédemment. Si l'on croit voir tomber une ondée douce par un temps calme, sans pluie à verse ni violent orage, cela est bon; car c'est l'indice que le souffle est venu, pur et en juste mesure, de l'air. Mais si l'on voit le contraire, pluie forte, orage, tourmente, averse d'une eau impure, cela annonce maladie par l'effet du souffle introduit. On emploiera, ici aussi, le même régime; peu d'aliments pour tous ces cas. Ainsi, se faisant une telle idée des signes célestes, on prendra ses précautions, on suivra le régime indiqué, et l'on priera les dieux; pour les bons signes, le Soleil, Jupiter céleste, Jupiter enrichissant, Minerve enrichissante, Hermès, Apollon; pour les signes contraires, les dieux qui détournent, la Terre, les héros, afin que tous maux soient détournés. [4,90] Voici encore des signes favorables : apercevoir et entendre nettement ce qui est sur la terre, marcher sûrement, courir sûrement et sans crainte, voir la terre unie et bien travaillée, les arbres feuillés et couverts de fruits, des arbres cultivés, les fleuves roulant régulièrement une eau pure ni plus haute ni plus basse qu'il ne convient, les sources et les puits avec des apparences analogues. Tout cela, vu ainsi, annonce que l'homme est en santé, et que son corps opère régulièrement avec toutes ses circulations, toutes ses afférences et toutes ses sécrétions. Mais voir quelque apparence contraire, c'est l'indice d'une lésion quelconque dans le corps. Si c'est la vue ou l'ouïe qui paraît lésée, cela annonce maladie à la tète ; on usera, outre le régime précédent, de nombreuses promenades et le matin et après le dîner. Si ce sont les jambes, on fera la révulsion à l'aide des vomissements, et, de plus que dans le régime précédent, on usera beaucoup de la lutte. Si c'est la terre qui se montre raboteuse, cela indique que la chair n'est pas pure; en conséquence on fera de nombreuses promenades après les exercices gymnastiques. Si ce sont les arbres qui apparaissent sans fruits, cela annonce la corruption du sperme; perdent-ils leurs feuilles? la corruption est due aux influences humides et froides; sont-ils feuillés mais stériles? elle est due aux influences chaudes et sèches. Ainsi, par le régime, on séchera et échauffera dans un cas, on refroidira et humectera dans l'autre. Les fleuves qui ne coulent pas régulièrement dénotent que le sang est en voie de circulation; à hautes eaux, l'excès du sang; à basses eaux, le défaut du sang. Par le régime on augmentera là, on diminuera ici. Si les eaux n'en sont pas pures, c'est l'indice d'un trouble. On obtiendra la détersion à l'aide des courses au cerceau et des promenades, qui produisent l'agitation d'une respiration accélérée. Les sources et les puits dénotent quelque chose vers la vessie; on détergera à l'aide des diurétiques. La mer troublée annonce une maladie du ventre; on détergera à l'aide des laxatifs et des aliments légers et mous. La terre ou une maison qu'on voit trembler dénote la maladie à un homme sain, la santé et le changement du présent à un malade; donc il convient de changer le régime de l'homme sain ; il vomira d'abord, afin qu'il reprenne peu à peu l'alimentation ; car l'alimentation actuelle trouble tout le corps. Mais, au malade, il convient de garder le régime actuel; car déjà le corps est en voie de changer son état présent. Voir la terre inondée par les eaux ou par la mer annonce une maladie; car beaucoup d'humidité est dans le corps; vomissements, suppression du déjeuner, exercices, alimentation siccative, puis progression en partant de peu et en croissant par peu, voilà ce qui convient. Voir la terre sombre et calcinée ne paraît pas, non plus, être bon; il y a danger de tomber dans une maladie violente et mortelle; car c'est l'indice d'un excès de sécheresse dans la chair; on retranchera les exercices, et, dans les aliments, ceux qui sont secs, chauds, âcres et diurétiques ; on vivra d'eau d'orge bien cuite et de tout ce qui est mou et léger, en petite quantité; la boisson sera abondante, aqueuse, blanche ; beaucoup de bains chauds; mais on ne se baignera pas à jeun. Dormir mollement; se reposer; se garder du froid et du soleil ; prier la Terre, Hermès et les Héros. Si l'on croit plonger dans un étang ou dans la mer ou dans une rivière, cela n'est pas bon, dénotant un excès d'humidité. Dans ce cas il convient de dessécher par le régime et d'user de beaucoup d'exercices. Mais ces apparences sont bonnes pour un fébricitant ; car le chaud s'éteint par les choses humides. [4,91] Quand vous voyez quelque chose s'ajuster sur vous régulièrement à votre stature qui ne paraît ni augmentée ni diminuée, cela est bon pour la santé; il est bon aussi d'être revêtu d'un habit blanc et d'avoir sa plus belle chaussure. Mais si quelqu'une des parties du corps paraît trop grande ou trop petite, cela n'est pas bon. Par le régime, dans un cas on ajoutera, dans l'autre on retranchera. Les objets noirs annoncent davantage la maladie et le danger; il faut amollir et humecter. Les choses nouvelles indiquent changement. [4,92] Voir les morts purs et vêtus de blanc est favorable, ainsi que recevoir d'eux quelque chose de pur; car cela dénote la santé du corps et la salubrité de ce qui y est introduit. En effet, c'est des morts que viennent les nourritures, les croissances et les semences ; or, que cela entre pur dans le corps, c'est un indice de santé. Voir le contraire, c'est-à-dire voir les morts nus ou vêtus de noir ou non purs, ou recevant quelque chose, ou emportant quelque chose de la maison, est défavorable ; car c'est annonce de maladie ; ce qui entre dans le corps est nuisible. Il faut déterger par les courses au cerceau et les promenades, par le vomissement et, à la suite, par une nourriture molle et légère qu'on accroîtra graduellement. [4,93] Voir dans le sommeil des corps de forme étrange et être saisi de frayeur indique une plénitude d'aliments inaccoutumés, une sécrétion, un flux bilieux et une maladie dangereuse. Dans ce cas on vomira, après quoi on suivra une progression graduelle pendant cinq jours par des aliments aussi légers que possible, qui ne seront ni abondants, ni acres, ni desséchants, ni échauffants; quant aux exercices, on usera surtout des exercices naturels, si ce n'est des promenades après le dîner. On prendra des bains chauds; on se reposera; on se gardera du soleil et du froid. Si, pendant le sommeil, on croit prendre la nourriture ou la boisson habituelle, cela dénote le besoin d'aliment et l'appétit de l'âme; des viandes dont on réve, les plus fortes indiquent l'excès de besoin ; des viandes plus faibles indiquent un besoin moindre. Manger en rêve est bon comme manger en réalité. Il ne convient donc pas de diminuer les aliments; car ce signe témoigne qu'il y a grand besoin de nourriture. La signification est la même quand on s'imagine en dormant manger des pains où entrent du fromage et du miel. Boire de l'eau limpide est bon signe; tout le reste est nuisible. Tous les objets habituels que l'on croit voir indiquent le désir de l'âme. Tout ce que l'on fuit effrayé indique l'arrêt du sang par la sécheresse; il convient alors de refroidir et d'humecter le corps. Toutes les fois que l'on se bat, que l'on est piqué ou enchaîné par un autre, cela indique qu'il s'est fait dans le corps une sécrétion contrariant le mouvement circulaire; il convient de vomir, d'atténuer et de se promener, d'user d'aliments légers, de vomir, et, après le vomissement, de se nourrir par progression pendant cinq jours. S'égarer ou monter péniblement a la même signification. Passage de rivières, hoplites, ennemis, monstres à forme étrange, tout cela indique maladie ou délire. Il convient d'user d'aliments légers, mous, en petite quantité, de vomir, et, après, d'accroître doucement la nourriture pendant cinq jours. Exercices naturels et beaucoup, si ce n'est après le dîner; bains chauds ; repos; se garder du froid, du soleil. En suivant les indications que j'ai tracées, on demeurera en santé pendant sa vie ; et par moi a été découvert le régime autant qu'un homme peut découvrir avec l'aide des dieux.