Référence(s) : Recherche effectuée le : 9/01/2002 16:02:41 -------------------------------------------------------------------------- Forme(s) Références comme [3] comme [11] comme [15] comme [22] comme [23] comme [24] comme [32] comme [35] comme [54] comme [61] comme [63] comme [68] comme [71] comme [72] comme [74] comme [84] comme [87] comme [88] comme [100] comme [101] comme [104] comme [106] comme [109] comme [110] comme [113] comme [114] comme [115] comme [126] comme [136] comme [142] comme [156] comme [168] comme [170] comme [184] comme [188] comme [196] comme [197] comme [215] comme [216] comme [220] comme [224] comme [232] comme [245] comme [251] comme [262] comme [269] comme [272] comme [272] comme [277] comme [291] comme [292] comme [295] comme [296] comme [296] comme [298] comme [300] comme [301] comme [304] comme [304] comme [309] comme [310] comme [311] comme [312] comme [313] comme [335] comme [335] comme [336] comme [338] comme [338] comme [342] comme [343] comme [352] comme [352] comme [361] comme [362] comme [365] comme [378] comme [378] comme [380] comme [381] comme [384] comme [386] comme [389] comme [395] comme [396] comme [403] comme [403] comme [403] comme [410] comme [411] comme [412] comme [415] Comme [424] comme [442] comme [442] comme [450] comme [456] comme [461] comme [470] comme [474] comme [478] comme [479] comme [488] comme [493] comme [496] comme [500] comme [501] comme [501] comme [502] comme [506] comme [507] comme [528] comme [531] comme [540] comme [541] comme [544] comme [546] comme [547] comme [550] comme [560] comme [560] comme [561] comme [567] comme [569] comme [572] comme [575] comme [583] comme [598] comme [612] comme [614] comme [615] comme [616] comme [620] comme [641] comme [641] comme [648] comme [649] comme [657] comme [668] comme [674] comme [676] comme [691] comme [691] comme [697] comme [729] comme [729] comme [729] comme [743] comme [753] comme [755] comme [769] comme [772] comme [778] comme [782] comme [786] comme [797] comme [800] comme [805] comme [813] comme [819] comme [824] comme [825] comme [829] comme [831] comme [853] comme [854] comme [860] comme [871] comme [872] comme [875] comme [876] comme [877] comme [877] comme [883] comme [885] comme [891] comme [904] comme [911] comme [915] comme [930] comme [931] comme [937] comme [940] comme [941] comme [949] comme [977] comme [980] comme [988] comme [988] comme [988] comme [988] comme [988] comme [989] comme [989] Comme [994] comme [999] comme [1000] comme [1007] comme [1008] comme [1010] comme [1016] comme [1018] comme [1020] comme [1021] comme [1022] comme [1027] comme [1033] comme [1036] comme [1044] comme [1044] comme [1044] comme [1046] comme [1047] comme [1048] comme [1056] comme [1059] comme [1059] comme [1059] comme [1060] comme [1061] comme [1071] comme [1087] comme [1093] comme [1097] comme [1098] comme [1101] comme [1112] comme [1115] comme [1116] comme [1117] comme [1124] comme [1130] comme [1131] comme [1135] comme [1145] comme [1151] comme [1155] comme [1160] comme [1182] comme [1185] comme [1187] comme [1188] comme [1194] comme [1197] comme [1210] comme [1220] comme [1221] comme [1226] comme [1232] comme [1233] comme [1258] comme [1259] comme [1266] comme [1273] comme [1287] comme [1289] comme [1291] comme [1294] comme [1294] comme [1299] comme [1306] comme [1313] comme [1314] comme [1338] comme [1338] comme [1339] comme [1343] comme [1351] comme [1352] comme [1355] comme [1362] comme [1363] comme [1365] comme [1370] comme [1372] comme [1374] comme [1384] comme [1384] comme [1385] comme [1391] comme [1397] comme [1399] comme [1402] comme [1406] comme [1419] comme [1420] comme [1429] comme [1434] comme [1445] comme [1459] comme [1464] comme [1473] comme [1475] comme [1482] comme [1484] comme [1486] comme [1491] comme [1498] comme [1505] comme [1508] comme [1521] comme [1529] comme [1533] comme [1539] comme [1544] comme [1548] comme [1552] comme [1553] comme [1582] Comme [1586] comme [1587] comme [1588] comme [1589] comme [1591] comme [1591] comme [1593] comme [1596] comme [1605] comme [1606] comme [1622] comme [1628] comme [1628] comme [1641] comme [1642] comme [1642] comme [1645] comme [1647] comme [1648] -------------------------------------------------------------------------- [3] J'ai un pressentiment que nous trouverons dans la vallée de Biban-el-Molouk une tombe inviolée, disait à un jeune Anglais de haute mine un personnage beaucoup plus humble, en essuyant d'un gros mouchoir à carreaux bleus, son front chauve où perlaient des gouttes de sueur, comme s'il eût été modelé en argile poreuse et rempli d'eau ainsi qu'une gargoulette de Thèbes. -------------------------------------------------------------------------- [11] Lord Evandale était un de ces jeunes Anglais irréprochables de tout point, comme en livre à la civilisation la haute vie britannique: il portait partout avec lui la sécurité dédaigneuse que donnent une grande fortune héréditaire, un nom historique inscrit sur le livre du Peerage and Baronetage, cette seconde Bible de l'Angleterre, et une beauté dont on ne pouvait rien dire, sinon qu'elle était trop parfaite pour un homme. -------------------------------------------------------------------------- [15] Membre du club des Yachts, le jeune lord se permettait de temps à autre le caprice d'une excursion sur son léger bâtiment appelé Puck, construit en bois de teck, aménagé comme un boudoir et conduit par un équipage peu nombreux, mais composé de marins choisis. -------------------------------------------------------------------------- [22] S'il était vêtu avec une négligence scientifique, en revanche Rumphius n'était pas beau: quelques cheveux roussâtres, mélangés de fil gris, se massaient derrière ses oreilles écartées et se rebellaient contre le collet beaucoup trop haut de son habit; son crâne, entièrement dénudé, brillait comme un os et surplombait un nez d'une prodigieuse longueur, spongieux et bulbeux du bout, configuration qui, jointe aux disques bleuâtres formés par les lunettes à la place des yeux, lui donnait une vague apparence d'ibis, encore augmentée par l'enfoncement des épaules: aspect tout à fait convenable d'ailleurs et presque providentiel pour un déchiffreur d'inscriptions et de cartouches hiéroglyphiques. -------------------------------------------------------------------------- [23] On eût dit un dieu ibiocéphale, comme on en voit sur les fresques funèbres, confiné dans un corps de savant par suite de quelque transmigration. -------------------------------------------------------------------------- [24] Le lord et le docteur cheminaient vers les rochers à pic qui enserrent la funèbre vallée de Biban-el-Molouk, la nécropole royale de l'ancienne Thèbes, tenant la conversation dont nous avons rapporté quelques phrases, lorsque, sortant comme un troglodyte de la gueule noire d'un sépulcre vide, habitation ordinaire des fellahs, un nouveau personnage, vêtu d'une façon assez théâtrale, fit brusquement son entrée en scène, se posa devant les voyageurs et les salua de ce gracieux salut des Orientaux, à la fois humble, caressant et digne. -------------------------------------------------------------------------- [32] Il suivait les allées et les venues des voyageurs à travers les ruines, et, sachant qu'ils ne manqueraient pas, après avoir satisfait leur curiosité, de passer le fleuve pour visiter les hypogées royaux, il les attendait sur son terrain, certain de leur tirer poil ou plume; il regardait tout ce domaine funèbre comme sa propriété, et malmenait fort les petits chacals subalternes qui s'avisaient de gratter dans les tombeaux. -------------------------------------------------------------------------- [35] Argyropoulos (c'était le nom du Grec), en explorant les recoins de la vallée moins souvent sondés que les autres, parce que jusque-là les recherches n'avaient été suivies d'aucune trouvaille, s'était dit qu'à une certaine place, derrière des rochers dont l'arrangement semblait dû au hasard, existait certainement l'entrée d'une syringe masquée avec un soin tout particulier, et que sa grande expérience en ce genre de perquisition lui avait fait reconnaître à mille indices imperceptibles pour des yeux moins clairvoyants que les siens, clairs et perçants comme ceux des gypaètes perchés sur l'entablement des temples. -------------------------------------------------------------------------- [54] Va pour mille guinées, répondit le jeune lord, si la tombe n'a jamais été ouverte comme vous le prétendez; et rien --- si une seule pierre a été remuée par la pince des fouilleurs. -------------------------------------------------------------------------- [61] Le directeur des fouilles précédait le lord et le savant de quelques pas, en personne bien élevée et qui sait les convenances; il marchait d'un pas allègre et sûr, comme un homme qui se sent sur son terrain. -------------------------------------------------------------------------- [63] On eût dit une coupure pratiquée de main d'homme à travers l'épaisse muraille de la montagne, plutôt qu'une ouverture naturelle, comme si le génie de la solitude avait voulu rendre inaccessible ce séjour de la mort. -------------------------------------------------------------------------- [68] Leurs parois montaient presque verticalement à une grande hauteur et déchiraient leurs crêtes irrégulières d'un blanc grisâtre sur un fond de ciel indigo presque noir, comme les créneaux ébréchés d'une gigantesque forteresse en ruine. -------------------------------------------------------------------------- [71] Par une particularité de ces climats où l'atmosphère, entièrement privée d'humidité, reste d'une transparence parfaite, la perspective aérienne n'existait pas pour ce théâtre de désolation; tous les détails nets, précis, arides se dessinaient, même aux derniers plans, avec une impitoyable sécheresse, et leur éloignement ne se devinait qu'à la petitesse de leur dimension, comme si la nature cruelle n'eût voulu cacher aucune misère, aucune tristesse de cette terre décharnée, plus morte encore que les morts qu'elle renfermait. -------------------------------------------------------------------------- [72] Sur la paroi éclairée ruisselait en cascade de feu une lumière aveuglante comme celle qui émane des métaux en fusion. -------------------------------------------------------------------------- [74] Ces réverbérations croisées, jointes aux rayons cuisants qui tombaient du ciel et que le sol répercutait, développaient une chaleur égale à celle d'un four, et le pauvre docteur allemand ne pouvait suffire à éponger l'eau de sa figure avec son mouchoir à carreaux bleus, trempé comme s'il eût été plongé dans l'eau. -------------------------------------------------------------------------- [84] Argyropoulos frappa dans ses mains à la manière orientale, et aussitôt des fissures du roc, des replis de la vallée accoururent en toute hâte des fellahs hâves et déguenillés, dont les bras couleur de bronze agitaient des leviers, des pics, des marteaux, des échelles et tous les instruments nécessaires; ils escaladèrent la pente escarpée comme une légion de noires fourmis. -------------------------------------------------------------------------- [87] Leurs muscles saillaient comme des cordes sur leurs bras maigres, et ils pesaient de tout leur poids au bout de leur barre de fer. -------------------------------------------------------------------------- [88] Enfin la masse s'ébranla, vacilla quelques instants comme un homme ivre, et, poussée par les efforts réunis d'Argyropoulos, de lord Evandale, de Rumphius et de quelques Arabes qui étaient parvenus à se jucher sur le plateau, roula en rebondissant le long de la pente. -------------------------------------------------------------------------- [100] En déchaussant la dalle pour passer dessous leurs leviers, car le lord avait recommandé de ne rien briser, ils mirent à nu parmi le sable une multitude de petites figurines hautes de quelques pouces, en terre émaillée bleue ou verte, d'un travail parfait, mignonnes statuettes funéraires déposées là en offrande par les parents et les amis, comme nous déposons des couronnes de fleurs au seuil de nos chapelles funèbres; seulement nos fleurs se fanent vite, et après plus de trois mille ans les témoignages de ces antiques douleurs se retrouvent intacts, car l'Egypte ne peut rien faire que d'éternel. -------------------------------------------------------------------------- [101] Lorsque la porte de pierre s'écarta, livrant, pour la première fois depuis trente-cinq siècles, passage aux rayons du jour, une bouffée d'air brûlant s'échappa de l'ouverture sombre, comme de la gueule d'une fournaise. -------------------------------------------------------------------------- [104] Une figure de couleur rougeâtre, à tête d'épervier et coiffée du pschent, soutenait un disque renfermant le globe ailé et semblait veiller au seuil du tombeau, comme un portier de l'Eternité. -------------------------------------------------------------------------- [106] Rumphius haletait et ruisselait comme un fleuve; l'impassible Evandale lui-même rougissait et sentait ses tempes se mouiller. -------------------------------------------------------------------------- [109] Au fond du couloir, une porte de pierre, scellée comme l'autre d'un sceau d'argile, et surmontée du globe aux ailes éployées, témoignait que la sépulture n'avait pas été violée, et indiquait l'existence d'un nouveau corridor plus avant dans le ventre de la montagne. -------------------------------------------------------------------------- [110] La chaleur devenait si intense que le jeune lord se défit de son paletot blanc, et le docteur de son habit noir, que suivirent bientôt leur gilet et leur chemise; Argyropoulos, voyant leur souffle s'embarrasser, dit quelques mots à l'oreille d'un fellah, qui courut à l'entrée du souterrain et rapporta deux grosses éponges imbibées d'eau fraîche, que les deux voyageurs, d'après le conseil du Grec, se mirent sur la bouche pour respirer un air plus frais à travers les pores humides, comme cela se pratique aux bains russes quand la vapeur est poussée à outrance. -------------------------------------------------------------------------- [113] Sur un fond vert terminé par une ligne bleue se déroulaient, de chaque côté du couloir, des processions de figurines emblématiques aux couleurs aussi fraîches, aussi vives que si le pinceau de l'artiste les eût appliquées la veille; elles apparaissaient un moment à la lueur des torches, puis s'évanouissaient dans l'ombre comme les fantômes d'un rêve. -------------------------------------------------------------------------- [114] Au-dessous de ces bandelettes de fresques, des lignes d'hiéroglyphes, disposées en hauteur comme l'écriture chinoise et séparées par des raies creusées, offraient à la sagacité le mystère sacré de leur énigme. -------------------------------------------------------------------------- [115] Le long des parois que ne couvraient pas les signes hiératiques, un chacal couché sur le ventre, les pattes allongées, les oreilles dressées, et une figure agenouillée, coiffée de la mitre, la main étendue sur un cercle, paraissaient faire sentinelle à côté d'une porte dont le linteau était orné de deux cartouches accolés, ayant pour tenants deux femmes vêtues de pagnes étroits, et déployant comme une aile leur bras empenné. -------------------------------------------------------------------------- [126] La torche descendit en tournoyant et en sifflant: bientôt un coup sourd se fit entendre, suivi d'un pétillement d'étincelles et d'un flot de fumée; puis la flamme reprit claire et vive, et l'ouverture du puits brilla dans l'ombre comme l'oeil sanglant d'un cyclope. -------------------------------------------------------------------------- [136] L'ombre d'Argyropoulos, éclairé en dessous par la torche qui continuait à brûler au fond du puits, se projetait au plafond et y dessinait comme la silhouette d'un oiseau difforme. -------------------------------------------------------------------------- [142] S'avançant sur le bord du gouffre, le Grec sonda de son regard perçant comme celui d'un oiseau nocturne les murs de la petite chambre qui formait la partie supérieure du puits. -------------------------------------------------------------------------- [156] L'air se raréfiait; les torches brûlaient avec peine dans une atmosphère dont elles augmentaient encore la chaleur, et leurs fumées se remployaient en nuages; le Grec se donnait à tous les diables, comme si le cadeau n'était pas fait et accepté depuis longtemps: mais cela ne remédiait à rien. -------------------------------------------------------------------------- [168] Vous avez raison, cher docteur, fit Evandale; ces damnés Egyptiens joignent les pierres comme les charnières d'une trappe anglaise: cherchons encore". -------------------------------------------------------------------------- [170] Enfin, non loin du troisième pilier, une sourde résonance attira l'oreille exercée du Grec, qui se précipita à genoux pour examiner la place, balayant avec la guenille du burnous qu'un de ses Arabes lui avait jetée l'impalpable poussière tamisée par trente-cinq siècles dans l'ombre et le silence; une ligne noire, mince et nette comme le trait tracé à la règle sur un plan d'architecte se dessina, et, suivie minutieusement, découpa sur le sol une dalle de forme oblongue. -------------------------------------------------------------------------- [184] Au moment de franchir le seuil, le lord se pencha comme si quelque chose d'inattendu avait frappé son regard. -------------------------------------------------------------------------- [188] La poussière, aussi éternelle en Egypte que le granit, avait moulé ce pas et le gardait depuis plus de trente siècles, comme les boues diluviennes durcies conservent la trace des pieds d'animaux qui la pétrirent. -------------------------------------------------------------------------- [196] Une main invisible avait retourné le sablier de l'éternité, et les siècles, tombés grain à grain comme des heures dans la solitude et la nuit, recommençaient leur chute. -------------------------------------------------------------------------- [197] L'histoire était comme non avenue: Moïse vivait, Pharaon régnait, et lui, lord Evandale, se sentait embarrassé de ne pas avoir la coiffe à barbes cannelées, le gorgerin d'émaux, et le pagne étroit bridant sur les hanches, seul costume convenable pour se présenter à une momie royale. -------------------------------------------------------------------------- [215] Plus loin, Isis et Nephtys secouaient leurs bras frangés de plumes comme des ailerons. -------------------------------------------------------------------------- [216] Les uraeus gonflaient leurs gorges bleues, les scarabées essayaient de déployer leurs élytres, les dieux à têtes d'animaux dressaient leurs oreilles de chacal, aiguisaient leur bec d'épervier, ridaient leur museau de cynocéphale, rentraient dans leurs épaules leur cou de vautour ou de serpent comme s'ils eussent été doués de vie. -------------------------------------------------------------------------- [220] Des justices acéphales amenaient des âmes devant des Osiris aux bras pris dans un contour inflexible, comme dans une camisole de force, qu'assistaient les quarante-deux juges de l'Amenti accroupis sur deux files et portant sur leurs têtes empruntées à tous les règnes de la zoologie une plume d'autruche en équilibre. -------------------------------------------------------------------------- [224] L'imagination se perd à rêver le procédé par lequel ce peuple merveilleux écrivait sur le porphyre et le granit, comme avec une pointe sur des tablettes de cire. -------------------------------------------------------------------------- [232] Barques et personnages étaient peints de couleurs vives, et sur les deux joues de la proue relevée en bec comme la poupe, s'ouvrait le grand oeil osirien allongé d'antimoine; un bucrane et des ossements de boeuf semés çà et là témoignaient qu'une victime avait été immolée pour assumer les mauvaises chances qui eussent pu troubler le repos du mort. -------------------------------------------------------------------------- [245] Les femmes, en Orient, ont toujours été regardées comme inférieures à l'homme, même dans la mort. -------------------------------------------------------------------------- [251] Elle s'appelait Tahoser, s'il faut en croire des cartouches gravés sur des martelages d'inscriptions plus anciennes; elle a usurpé la tombe comme le trône, ou peut-être quelque ambitieuse, dont l'histoire n'a pas gardé souvenir, a renouvelé sa tentative. -------------------------------------------------------------------------- [262] Un large gorgerin, composé de fins émaux cloisonnés de traits d'or, cerclait la base du col et descendait en plusieurs rangs, laissant voir, comme deux coupes d'or, le contour ferme et pur de deux seins vierges. -------------------------------------------------------------------------- [269] C'était un spectacle étrange que ce maillot funèbre à masque doré, se tenant debout comme un spectre matériel, et reprenant une fausse attitude de vie, après avoir gardé si longtemps la pose horizontale de la mort sur un lit de basalte, au coeur d'une montagne éventrée par une curiosité impie. -------------------------------------------------------------------------- [272] L'opération terminée, ce qui prit assez de temps, car le docteur ne voulait pas écailler les dorures, la boîte reposée à terre se sépara en deux comme un moule qu'on ouvre, et la momie apparut dans tout l'éclat de sa toilette funèbre, parée coquettement, comme si elle eût voulu séduire les génies de l'empire souterrain. -------------------------------------------------------------------------- [272] L'opération terminée, ce qui prit assez de temps, car le docteur ne voulait pas écailler les dorures, la boîte reposée à terre se sépara en deux comme un moule qu'on ouvre, et la momie apparut dans tout l'éclat de sa toilette funèbre, parée coquettement, comme si elle eût voulu séduire les génies de l'empire souterrain. -------------------------------------------------------------------------- [277] Sous la tête de la momie était placé un riche miroir de métal poli, comme si l'on eût voulu fournir à l'âme de la morte le moyen de contempler le spectre de sa beauté pendant la longue nuit du sépulcre. -------------------------------------------------------------------------- [291] Rumphius souleva hors du cartonnage la momie, qui ne pesait pas plus que le corps d'un enfant, et il commença à la démailloter avec l'adresse et la légèreté d'une mère voulant mettre à l'air les membres de son nourrisson; il défit d'abord l'enveloppe de toile cousue, imprégnée de vin de palmier, et les larges bandes qui, d'espace en espace, cerclaient le corps; puis il atteignit l'extrémité d'une bandelette mince enroulant ses spirales infinies autour des membres de la jeune Egyptienne; il pelotonnait sur elle-même la bandelette, comme eût pu le faire un des plus habiles tarischeutes de la ville funèbre, la suivant dans tous ses méandres et ses circonvolutions. -------------------------------------------------------------------------- [292] A mesure que son travail avançait, la momie, dégagée de ses épaisseurs, comme la statue qu'un praticien dégrossit dans un bloc de marbre, apparaissait plus svelte et plus pure. -------------------------------------------------------------------------- [295] Elle suivait exactement les contours, emprisonnant les doigts des mains et des pieds, moulant comme un masque les traits de la figure déjà presque visible à travers son mince tissu. -------------------------------------------------------------------------- [296] Les baumes dans lesquels on l'avait baignée l'avaient comme empesée, et, en se détachant sous la traction des doigts du docteur, elle faisait un petit bruit sec comme celui du papier qu'on froisse ou qu'on déchire. -------------------------------------------------------------------------- [296] Les baumes dans lesquels on l'avait baignée l'avaient comme empesée, et, en se détachant sous la traction des doigts du docteur, elle faisait un petit bruit sec comme celui du papier qu'on froisse ou qu'on déchire. -------------------------------------------------------------------------- [298] Cependant la morte transparaissait sous la trame fine comme sous une gaze, et à travers les réseaux brillaient vaguement quelques dorures. -------------------------------------------------------------------------- [300] Sa pose, peu fréquente chez les momies, était celle de la Vénus de Médicis, comme si les embaumeurs eussent voulu ôter à ce corps charmant la triste attitude de la mort, et adoucir pour lui l'inflexible rigidité du cadavre. -------------------------------------------------------------------------- [301] L'une de ses mains voilait à demi sa gorge virginale, l'autre cachait des beautés mystérieuses, comme si la pudeur de la morte n'eût pas été rassurée suffisamment par les ombres protectrices du sépulcre. -------------------------------------------------------------------------- [304] L'exiguïté des mains fuselées, la distinction des pieds étroits, aux doigts terminés par des ongles brillants comme l'agate, la finesse de la taille, la coupe du sein, petit et retroussé comme la pointe d'un tatbebs sous la feuille d'or qui l'enveloppait, le contour peu sorti de la hanche, la rondeur de la cuisse, la jambe un peu longue aux malléoles délicatement modelées rappelaient la grâce élancée des musiciennes et des danseuses représentées sur les fresques figurant des repas funèbres, dans les hypogées de Thèbes. -------------------------------------------------------------------------- [304] L'exiguïté des mains fuselées, la distinction des pieds étroits, aux doigts terminés par des ongles brillants comme l'agate, la finesse de la taille, la coupe du sein, petit et retroussé comme la pointe d'un tatbebs sous la feuille d'or qui l'enveloppait, le contour peu sorti de la hanche, la rondeur de la cuisse, la jambe un peu longue aux malléoles délicatement modelées rappelaient la grâce élancée des musiciennes et des danseuses représentées sur les fresques figurant des repas funèbres, dans les hypogées de Thèbes. -------------------------------------------------------------------------- [309] La tête semblait endormie plutôt que morte; les paupières, encore frangées de leurs longs cils, faisaient briller entre leurs lignes d'antimoine des yeux d'émail lustrés des humides lueurs de la vie; on eût dit qu'elles allaient secouer comme un rêve léger leur sommeil de trente siècles. -------------------------------------------------------------------------- [310] Le nez, mince et fin, conservait ses pures arêtes; aucune dépression ne déformait les joues, arrondies comme le flanc d'un vase; la bouche, colorée d'une faible rougeur, avait gardé ses plis imperceptibles, et sur les lèvres voluptueusement modelées, voltigeait un mélancolique et mystérieux sourire plein de douceur, de tristesse et de charme: ce sourire tendre et résigné qui plisse d'une si délicieuse moue les bouches des têtes adorables surmontant les vases canopes au Musée du Louvre. -------------------------------------------------------------------------- [311] Autour du front uni et bas, comme l'exigent les lois de la beauté antique, se massaient des cheveux d'un noir de jais, divisés et nattés en une multitude de fines cordelettes qui retombaient sur chaque épaule. -------------------------------------------------------------------------- [312] Vingt épingles d'or, piquées parmi ces tresses comme des fleurs dans une coiffure de bal, étoilaient de points brillants cette épaisse et sombre chevelure qu'on eût pu croire factice tant elle était abondante. -------------------------------------------------------------------------- [313] Deux grandes boucles d'oreilles, arrondies en disques comme de petits boucliers, faisaient frissonner leur lumière jaune à côté de ses joues brunes. -------------------------------------------------------------------------- [335] Il était midi; une lumière blanche tombait du ciel pâle sur la terre pâmée de chaleur; le sol brillanté de réverbérations luisait comme du métal fourbi, et l'ombre ne traçait plus au pied des édifices qu'un mince filet bleuâtre, pareil à la ligne d'encre dont un architecte dessine son plan sur le papyrus; les maisons, aux murs légèrement inclinés en talus, flamboyaient comme des briques au four; les portes étaient closes, et aux fenêtres, fermées de stores en roseaux clissés, nulle tête n'apparaissait. -------------------------------------------------------------------------- [335] Il était midi; une lumière blanche tombait du ciel pâle sur la terre pâmée de chaleur; le sol brillanté de réverbérations luisait comme du métal fourbi, et l'ombre ne traçait plus au pied des édifices qu'un mince filet bleuâtre, pareil à la ligne d'encre dont un architecte dessine son plan sur le papyrus; les maisons, aux murs légèrement inclinés en talus, flamboyaient comme des briques au four; les portes étaient closes, et aux fenêtres, fermées de stores en roseaux clissés, nulle tête n'apparaissait. -------------------------------------------------------------------------- [336] Au bout des rues désertes, et au-dessus des terrasses, se découpaient, dans l'air d'une incandescente pureté, la pointe des obélisques, le sommet des pylônes, l'entablement des palais et des temples, dont les chapiteaux, à face humaine ou à fleurs de lotus, émergeaient à demi, rompant les lignes horizontales des toits, et s'élevant comme des écueils parmi l'amas des édifices privés. -------------------------------------------------------------------------- [338] Quelques rares esclaves de la race Nahasi, au teint noir, au masque simiesque, à l'allure bestiale, bravant seuls l'ardeur du jour, portaient chez leurs maîtres l'eau puisée au Nil dans des jarres suspendues à un bâton posé sur l'épaule; quoiqu'ils n'eussent pour vêtement qu'un caleçon rayé bridant sur les hanches, leurs torses brillants et polis comme du basalte ruisselaient de sueur, et ils hâtaient le pas pour ne pas brûler la plante épaisse de leurs pieds aux dalles chaudes comme le pavé d'une étuve. -------------------------------------------------------------------------- [338] Quelques rares esclaves de la race Nahasi, au teint noir, au masque simiesque, à l'allure bestiale, bravant seuls l'ardeur du jour, portaient chez leurs maîtres l'eau puisée au Nil dans des jarres suspendues à un bâton posé sur l'épaule; quoiqu'ils n'eussent pour vêtement qu'un caleçon rayé bridant sur les hanches, leurs torses brillants et polis comme du basalte ruisselaient de sueur, et ils hâtaient le pas pour ne pas brûler la plante épaisse de leurs pieds aux dalles chaudes comme le pavé d'une étuve. -------------------------------------------------------------------------- [342] Cependant tout ne dormait pas dans Thèbes; des murs d'un grand palais, dont l'entablement orné de palmettes traçait sa longue ligne droite sur le ciel enflammé, sortait comme un vague murmure de musique; ces bouffées d'harmonie se répandaient de temps à autre à travers le tremblement diaphane de l'atmosphère, où l'oeil eût pu suivre presque leurs ondulations sonores. -------------------------------------------------------------------------- [343] Etouffée par l'épaisseur des murailles, comme par une sourdine, la musique avait une douceur étrange: c'était un chant d'une volupté triste, d'une langueur exténuée, exprimant la fatigue du corps et le découragement de la passion; on y pouvait deviner aussi l'ennui lumineux de l'éternel azur, l'indéfinissable accablement des pays chauds. -------------------------------------------------------------------------- [352] Le pavillon saillait en avant d'une muraille à laquelle s'appliquaient, comme des balcons, deux étages de galeries, espèces de portiques ouverts, faits de colonnes d'une fantaisie architecturale singulière; les bases de ces colonnes représentaient d'énormes boutons de lotus, dont la capsule, se déchirant en lobes dentelés, laissait jaillir, comme un pistil gigantesque, la hampe renflée du bas, amenuisée du haut, étranglée sous le chapiteau par un collier de moulures, et se terminant en fleur épanouie. -------------------------------------------------------------------------- [352] Le pavillon saillait en avant d'une muraille à laquelle s'appliquaient, comme des balcons, deux étages de galeries, espèces de portiques ouverts, faits de colonnes d'une fantaisie architecturale singulière; les bases de ces colonnes représentaient d'énormes boutons de lotus, dont la capsule, se déchirant en lobes dentelés, laissait jaillir, comme un pistil gigantesque, la hampe renflée du bas, amenuisée du haut, étranglée sous le chapiteau par un collier de moulures, et se terminant en fleur épanouie. -------------------------------------------------------------------------- [361] Au milieu de la cour scintillait sous le soleil une pièce d'eau bordée d'une marge en granit de Syène, et sur laquelle s'étalaient les larges feuilles taillées en coeur de lotus, dont les fleurs roses ou bleues se fermaient à demi, comme pâmées de chaleur, malgré l'eau où elles baignaient. -------------------------------------------------------------------------- [362] Dans les plates-bandes encadrant le bassin étaient plantées des fleurs disposées en éventail sur de petits monticules de terre, et, par les étroits chemins tracés entre les touffes, se promenaient avec précaution deux cigognes familières, faisant de temps à autre claquer leur long bec et palpiter leurs ailes comme si elles voulaient s'envoler. -------------------------------------------------------------------------- [365] Dans les compartiments tracés à droite et à gauche de la tonnelle par des arbres nains taillés en cône, verdoyaient des grenadiers, des sycomores, des tamarisques, des périplocas, des mimosas, des acacias, dont les fleurs brillaient comme des étincelles coloriées sur le fond intense du feuillage dépassant la muraille. -------------------------------------------------------------------------- [378] La bouche mi-ouverte, colorée comme une fleur de grenade, laissait briller entre ses lèvres, un peu épaisses, un éclair humide de nacre bleuâtre, et gardait ce sourire involontaire et presque douloureux qui donne un charme si sympathique aux figures égyptiennes; le nez, légèrement déprimé à la racine, à l'endroit où les sourcils se confondaient dans une ombre veloutée, se relevait avec des lignes si pures, des arêtes si fines, et découpait ses narines d'un trait si net que toute femme ou toute déesse s'en serait contentée, malgré son profil imperceptiblement africain; le menton s'arrondissait par une courbe d'une élégance extrême, et brillait poli comme l'ivoire; les joues, un peu plus développées que chez les beautés des autres peuples, prêtaient à la physionomie une expression de douceur et de grâce d'un charme extrême. -------------------------------------------------------------------------- [378] La bouche mi-ouverte, colorée comme une fleur de grenade, laissait briller entre ses lèvres, un peu épaisses, un éclair humide de nacre bleuâtre, et gardait ce sourire involontaire et presque douloureux qui donne un charme si sympathique aux figures égyptiennes; le nez, légèrement déprimé à la racine, à l'endroit où les sourcils se confondaient dans une ombre veloutée, se relevait avec des lignes si pures, des arêtes si fines, et découpait ses narines d'un trait si net que toute femme ou toute déesse s'en serait contentée, malgré son profil imperceptiblement africain; le menton s'arrondissait par une courbe d'une élégance extrême, et brillait poli comme l'ivoire; les joues, un peu plus développées que chez les beautés des autres peuples, prêtaient à la physionomie une expression de douceur et de grâce d'un charme extrême. -------------------------------------------------------------------------- [380] Une habile combinaison d'émail imitait à s'y tromper le plumage ocellé de l'oiseau; des pennes d'autruche, implantées dans le casque comme une aigrette, complétaient cette coiffure réservée aux jeunes vierges, de même que le vautour, symbole de la maternité, n'appartient qu'aux femmes. -------------------------------------------------------------------------- [381] Les cheveux de la jeune fille d'un noir brillant, tressés en fines nattes, se massaient de chaque côté de ses joues rondes et lisses, dont ils accusaient le contour, et s'allongeaient jusqu'aux épaules; dans leur ombre luisaient, comme des soleils dans un nuage, de grands disques d'or en façon de boucles d'oreilles; de cette coiffure partaient deux longues bandes d'étoffe aux bouts frangés qui retombaient avec grâce derrière le dos. -------------------------------------------------------------------------- [384] De triples bracelets en grains de lapislazuli, striés de distance en distance d'une rangée de perles d'or, cerclaient ses poignets minces, délicats comme ceux d'un enfant; et ses beaux pieds étroits, aux doigts souples et longs, chaussés de tatbebs en cuir blanc gaufré de dessins d'or, reposaient sur un tabouret de cèdre incrusté d'émaux verts et rouges. -------------------------------------------------------------------------- [386] Un morceau d'étoffe rayé de bandes de couleur, et dont les bouts rejetés en arrière flottaient en barbes cannelées, contenait ses cheveux et encadraient sa figure souriante et mystérieuse comme un masque de sphinx. -------------------------------------------------------------------------- [389] Cette harpe, terminée par une sorte de table d'harmonie, arrondie en conque et coloriée de peintures ornementales, portait, à son extrémité supérieure, une tête sculptée d'Hâthor surmontée d'une plume d'autruche; les cordes, au nombre de neuf, se tendaient diagonalement et frémissaient sous les doigts longs et menus de la harpiste, qui souvent, pour atteindre les notes graves, se penchait, avec un mouvement gracieux, comme si elle eût voulu nager sur les ondes sonores de la musique, et accompagner l'harmonie qui s'éloignait. -------------------------------------------------------------------------- [395] Tahoser, le coude appuyé sur un des lions de son fauteuil, la main à la joue et le doigt retroussé contre la tempe, écoutait avec une distraction plus apparente que réelle le chant de la musicienne; parfois un soupir gonflait sa poitrine et soulevait les émaux de son gorgerin; parfois une lueur humide, causée par une larme qui germait, lustrait le globe de son oeil entre les lignes d'antimoine, et ses petites dents mordaient sa lèvre inférieure comme si elle se fût rebellée contre son émotion. -------------------------------------------------------------------------- [396] Satou, fit-elle en frappant l'une contre l'autre ses mains délicates pour imposer silence à la musicienne, qui étouffa aussitôt avec sa paume les vibrations de la harpe, ton chant m'énerve, m'alanguit, et me ferait tourner la tête comme un parfum trop fort. -------------------------------------------------------------------------- [403] De larges cercles d'or battaient leur col, et à travers leur longue chemise de gaze, brodée de perles par en haut, on voyait leurs corps couleur de bronze jaune doré s'agiter avec une souplesse de couleuvre; elles se tordaient, se cambraient, remuaient leurs hanches cerclées d'une étroite ceinture, se renversaient, prenaient des attitudes penchées, inclinaient la tête à droite et à gauche comme si elles eussent trouvé une volupté secrète à frôler de leur menton poli leur épaule froide et nue, se rengorgeaient comme des colombes, s'agenouillaient et se relevaient, serraient les mains contre leur poitrine ou déployaient moelleusement leurs bras qui semblaient battre des ailes comme ceux d'Isis et de Nephtys, traînaient leurs jambes, ployaient leurs jarrets, déplaçaient leurs pieds agiles par de petits mouvements: saccadés, et suivaient toutes les ondulations de la musique. -------------------------------------------------------------------------- [403] De larges cercles d'or battaient leur col, et à travers leur longue chemise de gaze, brodée de perles par en haut, on voyait leurs corps couleur de bronze jaune doré s'agiter avec une souplesse de couleuvre; elles se tordaient, se cambraient, remuaient leurs hanches cerclées d'une étroite ceinture, se renversaient, prenaient des attitudes penchées, inclinaient la tête à droite et à gauche comme si elles eussent trouvé une volupté secrète à frôler de leur menton poli leur épaule froide et nue, se rengorgeaient comme des colombes, s'agenouillaient et se relevaient, serraient les mains contre leur poitrine ou déployaient moelleusement leurs bras qui semblaient battre des ailes comme ceux d'Isis et de Nephtys, traînaient leurs jambes, ployaient leurs jarrets, déplaçaient leurs pieds agiles par de petits mouvements: saccadés, et suivaient toutes les ondulations de la musique. -------------------------------------------------------------------------- [403] De larges cercles d'or battaient leur col, et à travers leur longue chemise de gaze, brodée de perles par en haut, on voyait leurs corps couleur de bronze jaune doré s'agiter avec une souplesse de couleuvre; elles se tordaient, se cambraient, remuaient leurs hanches cerclées d'une étroite ceinture, se renversaient, prenaient des attitudes penchées, inclinaient la tête à droite et à gauche comme si elles eussent trouvé une volupté secrète à frôler de leur menton poli leur épaule froide et nue, se rengorgeaient comme des colombes, s'agenouillaient et se relevaient, serraient les mains contre leur poitrine ou déployaient moelleusement leurs bras qui semblaient battre des ailes comme ceux d'Isis et de Nephtys, traînaient leurs jambes, ployaient leurs jarrets, déplaçaient leurs pieds agiles par de petits mouvements: saccadés, et suivaient toutes les ondulations de la musique. -------------------------------------------------------------------------- [410] Une larme roulait sur sa belle joue, comme une goutte d'eau du Nil sur un pétale de nymphaea, et, cachant sa tête contre la poitrine de la suivante favorite qui se tenait accoudée au fauteuil de sa maîtresse, elle murmura dans un sanglot, avec un gémissement de colombe étouffée: "Oh! ma pauvre Nofré, je suis bien triste et bien malheureuse"! -------------------------------------------------------------------------- [411] Nofré fit un signe, pressentant une confidence; la harpiste, les deux musiciennes, les danseuses et les suivantes se retirèrent silencieusement à la file, comme les figures peintes sur les fresques. -------------------------------------------------------------------------- [412] Lorsque la dernière eut disparu, la suivante favorite dit à sa maîtresse d'un ton câlin et compatissant, comme une jeune mère qui berce les petits chagrins de son nourrisson: "Qu'as-tu, chère maîtresse, pour être triste et malheureuse? -------------------------------------------------------------------------- [415] Tes coffres de pâte émaillée et de bois de sycomore contiennent des colliers, des pectoraux, des gorgerins, des anneaux pour les jambes, des bagues aux chatons finement travaillés ; tes robes, tes calasiris, tes coiffures dépassent le nombre des jours de l'année; Hôpi-Mou, le père des eaux, recouvre régulièrement de sa vase féconde tes domaines, dont un gypaète volant à tire-d'aile ferait à peine le tour d'un soleil à l'autre; et ton coeur, au lieu de s'ouvrir joyeusement à la vie comme un bouton de lotus au mois d'Hâthor ou de Choïak, se referme et se contracte douloureusement". -------------------------------------------------------------------------- [424] Comme si elle eût voulu parler, Tahoser ouvrit à demi ses lèvres roses; mais un léger nuage de pourpre se répandit sur ses joues, elle pencha la tête, et la phrase prête à s'envoler ne déploya pas ses ailes sonores. -------------------------------------------------------------------------- [442] Sur ce fond indigène tranchaient des échantillons divers de races exotiques: les nègres du haut du Nil, noirs comme des dieux de basalte, les bras cerclés de larges anneaux d'ivoire et faisant balancer à leurs oreilles de sauvages ornements; les Ethiopiens bronzés, à la mine farouche, inquiets malgré eux dans cette civilisation, comme des bêtes sauvages au plein jour; les Asiatiques au teint jaune clair, aux yeux d'azur, à la barbe frisée en spirales, coiffés d'une tiare maintenue par un bandeau, drapés d'une robe à franges chamarrée de broderies; les Pélasges vêtus de peaux de bêtes rattachées à l'épaule, laissant voir leurs bras et leurs jambes bizarrement tatouées, et portant des plumes d'oiseaux sur leur tête, d'où pendaient deux nattes de cheveux que terminait une mèche aiguisée en accroche-coeur. -------------------------------------------------------------------------- [442] Sur ce fond indigène tranchaient des échantillons divers de races exotiques: les nègres du haut du Nil, noirs comme des dieux de basalte, les bras cerclés de larges anneaux d'ivoire et faisant balancer à leurs oreilles de sauvages ornements; les Ethiopiens bronzés, à la mine farouche, inquiets malgré eux dans cette civilisation, comme des bêtes sauvages au plein jour; les Asiatiques au teint jaune clair, aux yeux d'azur, à la barbe frisée en spirales, coiffés d'une tiare maintenue par un bandeau, drapés d'une robe à franges chamarrée de broderies; les Pélasges vêtus de peaux de bêtes rattachées à l'épaule, laissant voir leurs bras et leurs jambes bizarrement tatouées, et portant des plumes d'oiseaux sur leur tête, d'où pendaient deux nattes de cheveux que terminait une mèche aiguisée en accroche-coeur. -------------------------------------------------------------------------- [450] L'eau du Nil, battue, fouettée, divisée par les rames, les avirons, les gouvernails, écumait comme une mer, et formait mille remous qui rompaient la force du courant. -------------------------------------------------------------------------- [456] Ces milliers de nefs, peintes la plupart en blanc et relevées d'ornements verts, bleus et rouges, chargées d'hommes et de femmes vêtus de costumes multicolores, faisaient disparaître entièrement le Nil sur une surface de plusieurs lieues, et présentaient, sous la vive couleur du soleil d'Egypte, un spectacle d'un éclat éblouissant dans sa mobilité; l'eau agitée en tous sens fourmillait, scintillait, miroitait comme du vif-argent, et ressemblait à un soleil brisé en millions de pièces. -------------------------------------------------------------------------- [461] L'amarre dénouée et la voile tournée au vent, la cange s'éloigna de la rive, divisant de sa proue les agrégations de barques dont les rames s'enchevêtraient et s'agitaient comme des pattes de scarabées retournés sur le dos; elle filait insouciamment au milieu d'un concert d'injures et de cris; sa force supérieure lui permettait de dédaigner des chocs qui eussent coulé bas des embarcations plus frêles. -------------------------------------------------------------------------- [470] Leurs garrots élevés, leurs larges fanons, leurs jarrets secs et nerveux, leurs sabots mignons et brillants comme de l'agate, leur queue au flocon soigneusement peigné montraient qu'ils étaient de race pure, et que les pénibles travaux des champs ne les avaient jamais déformés. -------------------------------------------------------------------------- [474] Nofré, penchée sur le rebord du char, tenait les rênes des boeufs bridés comme des chevaux, et conduisait le char suivant la coutume égyptienne, tandis que Tahoser, immobile à côté d'elle, appuyait sa main, constellée de bagues depuis le petit doigt jusqu'au pouce, à la moulure dorée de la conque. -------------------------------------------------------------------------- [478] D'innombrables chars, se dirigeant vers le champ de manoeuvre, faisaient rayonner leurs roues comme des soleils parmi la poussière dorée qu'ils soulevaient. -------------------------------------------------------------------------- [479] Thèbes, à ce moment, devait être déserte comme si un conquérant eût emmené son peuple en captivité. -------------------------------------------------------------------------- [488] Plus loin s'ébauchaient vaguement dans une lumière rosée des corniches où le globe mystique déployait ses vastes ailes, des têtes de colosses à figure placide, des angles d'édifices immenses, des aiguilles de granit, des superpositions de terrasses, des bouquets de palmiers, s'épanouissant comme des touffe d'herbe entre ces prodigieux entassements; et le palais du sud développait ses hautes parois coloriées, ses mâts pavoisés, ses portes en talus, ses obélisques et ses troupeaux de sphinx. -------------------------------------------------------------------------- [493] Ses joues avaient pâli sous la légère couche de fard dont Nofré les avait peintes, et, comme si elle défaillait, à plusieurs reprises elle aspira l'odeur de son bouquet de lotus. -------------------------------------------------------------------------- [496] Le sable uni et fin de la vaste arène bordée d'un million de têtes, scintillait de points micacés, sous la lumière tombant d'un ciel bleu comme l'émail des statuettes d'Osiris. -------------------------------------------------------------------------- [500] Une prodigieuse rumeur, sourde, profonde et puissante comme celle d'une mer qui approche, se fit entendre dans le lointain et couvrit les mille susurrements de la foule: ainsi le rugissement d'un lion fait taire les miaulements d'une troupe de chacals. -------------------------------------------------------------------------- [501] Bientôt le bruit particulier des instruments se détacha de ce tonnerre terrestre produit par le roulement des chars de guerre et le pas rythmé des combattants à pied; une sorte de brume roussâtre, comme celle que soulève le vent du désert, envahit le ciel de ce côté, et pourtant la brise était tombée; il n'y avait pas un souffle d'air, et les branches les plus délicates des palmiers restaient immobiles comme si elles eussent été sculptées dans le granit des chapiteaux; pas un cheveu ne frissonnait sur la tempe moite des femmes, et les barbes cannelées de leurs coiffures s'allongeaient flasquement derrière leur dos. -------------------------------------------------------------------------- [501] Bientôt le bruit particulier des instruments se détacha de ce tonnerre terrestre produit par le roulement des chars de guerre et le pas rythmé des combattants à pied; une sorte de brume roussâtre, comme celle que soulève le vent du désert, envahit le ciel de ce côté, et pourtant la brise était tombée; il n'y avait pas un souffle d'air, et les branches les plus délicates des palmiers restaient immobiles comme si elles eussent été sculptées dans le granit des chapiteaux; pas un cheveu ne frissonnait sur la tempe moite des femmes, et les barbes cannelées de leurs coiffures s'allongeaient flasquement derrière leur dos. -------------------------------------------------------------------------- [502] Ce brouillard poudreux était produit par l'armée en marche, et planait au-dessus d'elle comme un nuage fauve. -------------------------------------------------------------------------- [506] Le premier peloton passa, sonnant une retentissante fanfare de triomphe dans ses courts clairons de cuivre brillants comme de l'or. -------------------------------------------------------------------------- [507] Chacun de ces musiciens portait un second clairon sous le bras, comme si l'instrument avait dû se fatiguer plutôt que l'homme. -------------------------------------------------------------------------- [528] Il proclamait d'une voix forte, retentissante comme une trompette d'airain, les victoires du Pharaon: il disait les fortunes des divers combats, le nombre des captifs et des chars de guerre enlevés à l'ennemi, le montant du butin, les mesures de poudre d'or, les dents d'éléphant, les plumes d'autruche, les masses de gomme odorante, les girafes, les lions, les panthères et autres animaux rares; il citait le nom des chefs barbares tués par les javelines ou les flèches de Sa Majesté, l'Aroëris tout-puissant, le favori des dieux. -------------------------------------------------------------------------- [531] Des prêtres, se retournant à intervalles égaux, allongeaient vers lui leurs amschirs après avoir jeté de l'encens sur les charbons allumés dans la petite coupe de bronze, soutenue par une main emmanchée d'une espèce de sceptre terminé à l'autre bout par une tête d'animal sacré, et marchaient respectueusement à reculons pendant que la fumée odorante et bleue montait aux narines du triomphateur, en apparence indifférent à ces honneurs comme une divinité de bronze ou de basalte. -------------------------------------------------------------------------- [540] Entre la brassière et la ceinture, le torse apparaissait luisant et poli comme le granit rose travaillé par un ouvrier habile. -------------------------------------------------------------------------- [541] Des sandales à pointes recourbées, pareilles à des patins, chaussaient ses pieds étroits et longs, rapprochés l'un de l'autre comme les pieds des dieux sur les murailles des temples. -------------------------------------------------------------------------- [544] Les satiétés de la jouissance, le blasement des volontés satisfaites aussitôt qu'exprimées, l'isolement du demi-dieu qui n'a pas de semblables parmi les mortels, le dégoût des adorations et comme l'ennui du triomphe avaient figé à jamais cette physionomie, implacablement douce et d'une sérénité granitique. -------------------------------------------------------------------------- [546] Un grand lion privé, couché à côté de lui sur le brancard, allongeait ses énormes pattes comme un sphinx sur son piédestal, et clignait ses prunelles jaunes. -------------------------------------------------------------------------- [547] Une corde, attachée à la litière, reliait au Pharaon les chars de guerre des chefs vaincus; il les traînait derrière lui, comme des animaux à la laisse. -------------------------------------------------------------------------- [550] Un timon courbe appuyait sur leurs garrots garnis de panneaux écarlates deux sellettes surmontées de boules en airain poli, et que réunissait un joug léger, infléchi comme un arc dont les cornes rebrousseraient; une sous-ventrière et une courroie pectorale richement piquée et brodée, de riches housses rayées de bleu ou de rouge et frangées de houppes complétaient ce harnachement solide, gracieux et léger. -------------------------------------------------------------------------- [560] Les casques, les plumes, les boucliers, les corselets papelonnés d'écailles vertes, rouges et jaunes, les arcs dorés, les glaives d'airain reluisaient et flamboyaient terriblement au soleil ouvert dans le ciel, au-dessus de la chaîne Libyque, comme un grand oeil osirien, et l'on sentait que le choc d'une pareille armée devait balayer les nations comme l'ouragan chasse devant lui une paille légère. -------------------------------------------------------------------------- [560] Les casques, les plumes, les boucliers, les corselets papelonnés d'écailles vertes, rouges et jaunes, les arcs dorés, les glaives d'airain reluisaient et flamboyaient terriblement au soleil ouvert dans le ciel, au-dessus de la chaîne Libyque, comme un grand oeil osirien, et l'on sentait que le choc d'une pareille armée devait balayer les nations comme l'ouragan chasse devant lui une paille légère. -------------------------------------------------------------------------- [561] Sous ces roues innombrables, la terre résonnait et tremblait sourdement, comme si une catastrophe de la nature l'eût agitée. -------------------------------------------------------------------------- [567] Des esclaves portaient le butin annoncé par le héraut sur leurs épaules ou sur des brancards, et des belluaires traînaient en laisse des panthères, des guépards s'écrasant contre terre comme pour se cacher, des autruches battant des ailes, des girafes dépassant la foule de toute la longueur de leur col, et jusqu'à des ours bruns pris, disait-on, dans les montagnes de la Lune. -------------------------------------------------------------------------- [569] En passant devant le talus où se tenaient Tahoser et Nofré, le Pharaon, que sa litière posée sur les épaules des oëris mettait par-dessus la foule au niveau de la jeune fille, avait lentement fixé sur elle son regard noir; il n'avait pas tourné la tête, pas un muscle de sa face n'avait bougé, et son masque était resté immobile comme le masque d'or d'une momie; pourtant ses prunelles avaient glissé entre ses paupières peintes du côté de Tahoser, et une étincelle de désir avait animé leurs disques sombres: effet aussi effrayant que si les yeux de granit d'un simulacre divin, s'illuminant tout à coup, exprimaient une idée humaine. -------------------------------------------------------------------------- [572] Sur l'azur d'une transparence infinie s'allumaient d'innombrables étoiles, dont les scintillations tremblaient confusément dans l'eau du Nil, agitée par les barques qui ramenaient à l'autre rive la population de Thèbes; et les dernières cohortes de l'armée se déroulaient encore sur la plaine comme les anneaux d'un serpent gigantesque lorsque la cange déposa Tahoser à la porte d'eau de son palais. -------------------------------------------------------------------------- [575] L'idée d'une puissance absolue s'attachait à ces masses inébranlables, sur lesquelles l'éternité semblait devoir glisser comme une goutte d'eau sur un marbre. -------------------------------------------------------------------------- [583] Les officiers de la maison du roi, les eunuques, les serviteurs, les esclaves, prévenus de l'approche de Sa Majesté par la fanfare des clairons et le roulement des tambours, s'étaient portés à sa rencontre, et l'attendaient agenouillés ou prosternés sur le dallage des cours; des captifs de la mauvaise race de Schéto portaient des urnes remplies de sel et d'huile d'olive, où trempait une mèche dont la flamme crépitait vive et claire, et se tenaient rangés en ligne, de la porte du palais à l'entrée de la première enceinte, immobiles comme des lampadaires de bronze. -------------------------------------------------------------------------- [598] Ailleurs on l'apercevait incertain et souriant, comme s'il eût malicieusement suspendu son choix, au milieu des jeunes reines agaçant sa gravité par toutes sortes de coquetteries caressantes et gracieuses. -------------------------------------------------------------------------- [612] Les jeunes princes, beaux comme des femmes, prirent place à la droite et à la gauche de leur père. -------------------------------------------------------------------------- [614] De belles esclaves nues, dont le corps svelte offrait le gracieux passage de l'enfance à l'adolescence, les hanches cerclées d'une mince ceinture qui ne voilait aucun de leurs charmes, une fleur de lotus dans les cheveux, une buire d'albâtre rubané à la main, s'empressaient timidement autour du Pharaon, et répandaient l'huile de palme sur ses épaules, ses bras et son torse polis comme le jaspe. -------------------------------------------------------------------------- [615] D'autres servantes agitaient autour de sa tête de larges éventails de plumes d'autruche peinte, ajustées à des manches d'ivoire ou de bois de santal qui, échauffé par leurs petites mains, dégageait une odeur délicieuse; quelques-unes élevaient à la hauteur des narines du Pharaon des tiges de nymphaea au calice épanoui comme la coupe des amschirs. -------------------------------------------------------------------------- [616] Tous ces soins étaient rendus avec une dévotion profonde et une sorte de terreur respectueuse, comme à une personne divine, immortelle, descendue par pitié des zones supérieures parmi le vil troupeau des hommes. -------------------------------------------------------------------------- [620] Les coiffures n'étaient pas moins variées: tantôt les cheveux nattés s'effilaient en spirales; tantôt ils se divisaient en trois masses, dont l'une s'allongeait sur le dos et les deux autres tombaient de chaque côté des joues; de volumineuses perruques à petites boucles fortement crêpées, à innombrables cordelettes maintenues transversalement par des fils d'or, des rangs d'émaux ou de perles, s'ajustaient comme des casques à des têtes jeunes et charmantes qui demandaient à l'art un secours inutile à leur beauté. -------------------------------------------------------------------------- [641] Les danseuses firent leur entrée: elles étaient minces, élancées, souples comme des serpents; leurs grands yeux brillaient entre les lignes noires de leurs paupières, leurs dents de nacre entre les lignes rouges de leurs lèvres; de longues spirales de cheveux leur flagellaient les joues; quelques-unes portaient une ample tunique rayée de blanc et de bleu, nageant autour d'elles comme un brouillard; les autres n'avaient qu'une simple cotte plissée, commençant aux hanches et s'arrêtant aux genoux, qui permettait d'admirer leurs jambes élégantes et fines, leurs cuisses rondes, nerveuses et fortes. -------------------------------------------------------------------------- [641] Les danseuses firent leur entrée: elles étaient minces, élancées, souples comme des serpents; leurs grands yeux brillaient entre les lignes noires de leurs paupières, leurs dents de nacre entre les lignes rouges de leurs lèvres; de longues spirales de cheveux leur flagellaient les joues; quelques-unes portaient une ample tunique rayée de blanc et de bleu, nageant autour d'elles comme un brouillard; les autres n'avaient qu'une simple cotte plissée, commençant aux hanches et s'arrêtant aux genoux, qui permettait d'admirer leurs jambes élégantes et fines, leurs cuisses rondes, nerveuses et fortes. -------------------------------------------------------------------------- [648] Des femmes coiffées d'un petit casque d'où pendaient trois longs cordons terminés en houppe, les chevilles et les poignets cerclés de bandes de cuir noir, vêtues d'un étroit caleçon retenu par une bretelle unique passant sur l'épaule, exécutèrent des tours de force et de souplesse plus surprenants les uns que les autres, se cambrant, se renversant, ployant comme une branche de saule leurs corps disloqués, touchant le sol de leur nuque sans déplacer leurs talons, supportant, dans cette pose impossible, le poids de leurs compagnes. -------------------------------------------------------------------------- [649] D'autres jonglèrent avec une boule, deux boules, trois boules, en avant, en arrière, les bras croisés, à cheval ou debout sur les reins d'une des femmes de la troupe; une même, la plus habile, se mit des oeillères comme Tmei, déesse de la justice, pour se rendre aveugle, et reçut les globes dans ses mains sans en laisser tomber un seul. -------------------------------------------------------------------------- [657] Cependant les femmes désolées arrachaient les fleurs de leur coiffure, déchiraient leurs robes de gaze, et sanglotaient étendues sur les dalles polies qui reflétaient comme des miroirs l'image de leurs beaux corps, en disant: "Il faut qu'une de ces maudites captives barbares ait pris le coeur de notre maître" Sur la rive gauche du Nil s'étendait la villa de Poëri, le jeune homme qui avait tant troublé Tahoser, lorsque, en allant voir la rentrée triomphale du Pharaon, elle était passée dans son char, traîné par des boeufs, sous le balcon où s'appuyait indolemment le beau rêveur. -------------------------------------------------------------------------- [668] Au-dessus de la porte, décorée de deux moulures d'une forte saillie, se voyait une croix plantée dans un coeur et encadrée par un parallélogramme tronqué à sa partie inférieure pour laisser passer ce signe de favorable augure dont le sens, comme chacun sait, est "la bonne maison". -------------------------------------------------------------------------- [674] Aux angles de ces bassins, quatre grands palmiers déployaient comme une ombrelle, à l'extrémité de leur tronc sculpté en écailles, leur verte auréole de feuilles. -------------------------------------------------------------------------- [676] Dans une sorte d'allée de ceinture qui permettait de faire le tour de l'enclos, les palmiers-doums alternaient avec les sycomores; des carrés étaient plantés de figuiers, de pêchers, d'amandiers, d'oliviers, de grenadiers et autres arbres à fruit; des portions n'avaient reçu que des arbres d'agrément, tamarix, acacias, cassies, myrtes, mimosas, et quelques essences plus rares trouvées au-delà des cataractes du Nil, sous le tropique du Cancer, dans les oasis du désert Libyque et sur les bords du golfe Erythrée: car les Egyptiens sont très adonnés à la culture des arbustes et des fleurs, et ils exigent les espèces nouvelles comme tribut des peuples conquis. -------------------------------------------------------------------------- [691] La coloration, non plus, n'était pas la même; la teinte de cuivre rouge était remplacée par une pâleur olivâtre, que nuançait imperceptiblement de rose un sang riche et pur; les yeux, au lieu de rouler entre leurs lignes d'antimoine une prunelle de jais, étaient d'un bleu sombre comme le ciel de la nuit; les cheveux, plus soyeux et plus doux, se crêpaient en ondulations moins rebelles; les épaules n'offraient pas cette ligne transversalement rigide que répètent, comme signe caractéristique de la race, les statues des temples et les fresques des tombeaux. -------------------------------------------------------------------------- [691] La coloration, non plus, n'était pas la même; la teinte de cuivre rouge était remplacée par une pâleur olivâtre, que nuançait imperceptiblement de rose un sang riche et pur; les yeux, au lieu de rouler entre leurs lignes d'antimoine une prunelle de jais, étaient d'un bleu sombre comme le ciel de la nuit; les cheveux, plus soyeux et plus doux, se crêpaient en ondulations moins rebelles; les épaules n'offraient pas cette ligne transversalement rigide que répètent, comme signe caractéristique de la race, les statues des temples et les fresques des tombeaux. -------------------------------------------------------------------------- [697] La musique l'ennuyait ou développait outre mesure sa sensibilité; elle ne prenait plus aucun plaisir aux danses de ses compagnes; la nuit, le sommeil fuyait ses paupières, et, haletante, étouffée, la poitrine gonflée de soupirs, elle quittait sa couche somptueuse, et s'étendait sur les larges dalles, appuyant sa gorge au dur granit comme pour en aspirer la fraîcheur. -------------------------------------------------------------------------- [729] Ces paroles prononcées, Poëri se leva comme pour se soustraire aux remerciements de la fausse Hora, qui s'était prosternée à ses pieds et les baisait comme font les malheureux à qui l'on vient d'accorder quelque grâce; mais l'amoureuse avait remplacé la suppliante, et ses fraîches lèvres roses se détachaient avec peine de ces beaux pieds purs et blancs comme les pieds de jaspe des divinités. -------------------------------------------------------------------------- [729] Ces paroles prononcées, Poëri se leva comme pour se soustraire aux remerciements de la fausse Hora, qui s'était prosternée à ses pieds et les baisait comme font les malheureux à qui l'on vient d'accorder quelque grâce; mais l'amoureuse avait remplacé la suppliante, et ses fraîches lèvres roses se détachaient avec peine de ces beaux pieds purs et blancs comme les pieds de jaspe des divinités. -------------------------------------------------------------------------- [729] Ces paroles prononcées, Poëri se leva comme pour se soustraire aux remerciements de la fausse Hora, qui s'était prosternée à ses pieds et les baisait comme font les malheureux à qui l'on vient d'accorder quelque grâce; mais l'amoureuse avait remplacé la suppliante, et ses fraîches lèvres roses se détachaient avec peine de ces beaux pieds purs et blancs comme les pieds de jaspe des divinités. -------------------------------------------------------------------------- [743] Puis elle se disait: "Me voilà, il est vrai, sous le toit de Poëri, je le verrai librement, tous les jours; je m'enivrerai silencieusement de sa beauté, qui est d'un dieu plus que d'un homme; j'entendrai sa voix charmante, pareille à une musique de l'âme: mais lui, qui n'a jamais fait attention à moi lorsque je passais sous son pavillon, couverte de mes habits aux couleurs brillantes, parée de mes plus fins joyaux, parfumée d'essences et de fleurs montée sur mon char peint et doré que, surmonte une ombrelle, entourée comme une reine d'un cortège de serviteurs, remarquera-t-il davantage la pauvre jeune fille suppliante accueillie par pitié et couverte d'étoffes communes? -------------------------------------------------------------------------- [753] Arrivée là, elle s'agenouilla sur la margelle de pierre, lava son visage, son col et ses épaules; l'eau agitée, dans son miroir brisé en mille morceaux, lui montrait son image confuse et tremblante, qui lui souriait comme à travers une gaze verte, et les petits poissons, voyant son ombre et croyant qu'on allait leur jeter quelques miettes, s'approchaient du bord en troupes. -------------------------------------------------------------------------- [755] Quand elle eut fini et qu'elle se releva fraîche et radieuse, un ibis familier, qui l'avait gravement regardée faire, se haussa sur ses longues pattes, tendit son long col, et battit deux ou trois fois des ailes comme pour l'applaudir. -------------------------------------------------------------------------- [769] Tu connais les rythmes comme une musicienne de profession, et tu pourrais exercer ton art dans le palais des rois. -------------------------------------------------------------------------- [772] Ta physionomie n'est plus ce qu'elle était ce matin; une autre femme semble apparaître à travers toi comme une lumière derrière un voile. -------------------------------------------------------------------------- [778] Oui! répète cet air qui me fascine, m'engourdit et m'ôte la mémoire comme ferait une coupe de népenthès; répète-le, jusqu'à ce que le sommeil descende avec l'oubli sur mes paupières". -------------------------------------------------------------------------- [782] Poëri était beau, et le sommeil donnait à ses traits purs une ineffable expression de langueur et de tendresse; ses longs cils abaissés sur ses joues semblaient lui voiler quelque vision céleste, et ses belles lèvres rouges à demi ouvertes frémissaient, comme si elles eussent adressé de muettes paroles à un être invisible. -------------------------------------------------------------------------- [786] Lorsque le jour parut, Nofré, qui couchait sur un petit lit aux pieds de sa maîtresse, fut surprise de ne pas entendre Tahoser l'appeler comme d'habitude en frappant ses mains l'une contre l'autre. -------------------------------------------------------------------------- [797] Elle courut à la pièce d'eau où sa maîtresse pouvait avoir eu le caprice de se baigner, comme elle le faisait quelquefois avec ses compagnes, sur l'escalier de granit descendant du bord du bassin jusqu'à un fond de sable tamisé. -------------------------------------------------------------------------- [800] Nofré, dans son trouble, alla jusqu'à ouvrir les coffres à serrer les robes, les écrins qui renfermaient les bijoux, comme si cars boîtes eussent pu contenir sa maîtresse. -------------------------------------------------------------------------- [805] Les verrous, comme il en fit la remarque à Nofré, avaient été tirés, et les battants ne joignaient que par leurs poids; donc la fille de Pétamounoph s'était envolée par là. -------------------------------------------------------------------------- [813] Les serviteurs et les servantes s'assirent à terre dans des attitudes de désolation, laissant pendre une de leurs mains la paume tournée vers le ciel et mettant l'autre sur leur tête, et tous s'écrièrent comme un choeur plaintif: "Malheur! malheur! malheur! la maîtresse est partie"! -------------------------------------------------------------------------- [819] Peut-être un magicien t'a fait sortir de ton palais par quelque conjuration irrésistible, pour accomplir sur toi un odieux maléfice; il lacérera ton beau corps, en retirera le coeur par une incision, comme un paraschiste, jettera tes restes à la voracité des crocodiles, et ton âme mutilée ne retrouvera au jour de la réunion que des lambeaux informes. -------------------------------------------------------------------------- [824] Souhem s'accroupit, ployant ses genoux comme ces images de cynocéphales taillées vaguement dans un bloc carré de basalte, et, serrant ses tempes entre ses paumes sèches, parut réfléchir profondément. -------------------------------------------------------------------------- [825] Sa figure, d'un brun rougeâtre, ses orbites enfoncées, ses mâchoires proéminentes, ses joues plissées de grandes rides, ses cheveux roides encadrant son masque comme des poils complétaient sa ressemblance avec les dieux à tête simiesque; ce n'était pas un dieu, certes, mais il avait bien l'air d'un singe. -------------------------------------------------------------------------- [829] Seize est le nombre emblématique de la volupté, et depuis quelque temps elle appelait à des heures étranges ses joueuses de harpe, de mandore et de flûte, comme quelqu'un qui veut calmer le trouble - Tu parles très bien, et la sagesse habite ta vieille tête chauve; mais comment as-tu appris à connaître les femmes, toi qui ne fais que piocher la terre du jardin et porter des vases d'eau sur ton épaule"? -------------------------------------------------------------------------- [831] Illuminée par la suggestion de Souhem, Nofré pensa tout de suite au bel Ahmosis, oëris de Pharaon, qui passait si souvent au bas de la terrasse et qui avait si bonne grâce sur son char de guerre au défilé triomphal; comme elle l'aimait elle-même, sans bien s'en rendre compte, elle prêtait ses sentiments à sa maîtresse. -------------------------------------------------------------------------- [853] C'était un tableau charmant que ces belles femmes dont les corps sveltes luisaient sous l'eau comme des statues de jaspe submergées, dans ce cadre d'arbustes et de fleurs, au milieu de cette cour entourée de colonnes peintes de couleurs éclatantes, à la pure lumière d'un ciel d'azur, que traversait de temps à autre un ibis le bec au vent et les pattes tendues en arrière. -------------------------------------------------------------------------- [854] Amensé et Twéa, lasses de nager, étaient sorties de l'eau, et, agenouillées au bord du bassin, étalaient au soleil pour la sécher leur épaisse chevelure noire, dont les mèches d'ébène faisaient paraître leur peau plus blanche encore; les dernières perles du bain roulaient sur leurs épaules lustrées et sur leurs bras polis comme le jade; des servantes les frottaient d'essences et d'huiles aromatiques, tandis qu'une jeune Ethiopienne leur offrait à respirer le calice d'une large fleur. -------------------------------------------------------------------------- [860] Il y avait là des lingots de métaux précieux, des couronnes d'or et d'argent, des gorgerins et des bracelets d'émaux cloisonnés, des boucles d'oreilles reluisant comme le disque de Moui; des colliers à rangs septuples de cornaline, de lapis-lazuli, de jaspe sanguin, de perles, d'agates, de sardoines, d'onyx; des cercles finement travaillés pour les jambes, des ceintures à plaques d'or gravées d'hiéroglyphes, des bagues à chaton de scarabée; des files de poissons, de crocodiles et de coeurs en estampage d'or, des serpents d'émail se repliant plusieurs fois sur eux-mêmes; des vases de bronze, des buires d'albâtre rubané, de verre bleu où se tordaient des spirales blanches; des coffrets de terre émaillée, des boîtes en bois de sandal affectant des formes bizarres et chimériques, des monceaux d'aromates de tous les pays, des blocs d'ébène; des étoffes précieuses si fines que la pièce eût passé par un anneau; des plumes d'autruche noires et blanches, ou coloriées de diverses teintes; des défenses d'éléphant d'une monstrueuse grosseur, des coupes en or, en argent, en verre doré, des statuettes excellentes, tant pour la matière que pour le travail. -------------------------------------------------------------------------- [871] Tout en repoussant de l'orteil son fuseau pour le faire remonter le long du fil, car on lui avait donné cette tâche, elle suivait du coin de l'oeil tous les mouvements du jeune Hébreu et l'enveloppait de son regard comme d'une caresse; elle jouissait silencieusement du bonheur de rester près de lui, dans le pavillon dont il lui avait permis l'accès. -------------------------------------------------------------------------- [872] Si Poëri avait tourné la tête vers elle, il eût été frappé sans doute de la lumière humide de ses yeux, des rougeurs subites qui passaient sur ses belles joues comme des nuages roses, du battement profond de son coeur qu'on devinait au tremblement de son sein. -------------------------------------------------------------------------- [875] Ses manières envers elle étaient douces, bienveillantes, mais réservées comme s'il eût voulu prévenir ou refouler quelque aveu importun auquel il lui eût été pénible de répondre. -------------------------------------------------------------------------- [876] Pourtant la fausse Hora était bien belle; ses charmes, trahis par la pauvreté de sa toilette, n'en avaient que plus de puissance; et, comme on voit aux heures les plus chaudes du jour une vapeur lumineuse frissonner sur la terre luisante, une atmosphère d'amour frissonnait autour d'elle. -------------------------------------------------------------------------- [877] Sur ses lèvres entrouvertes, sa passion palpitait comme un oiseau qui veut prendre son vol; et bas, bien bas, quand elle était sûre de ne pas être entendue, elle répétait comme une monotone cantilène: "Poëri, je t'aime". -------------------------------------------------------------------------- [877] Sur ses lèvres entrouvertes, sa passion palpitait comme un oiseau qui veut prendre son vol; et bas, bien bas, quand elle était sûre de ne pas être entendue, elle répétait comme une monotone cantilène: "Poëri, je t'aime". -------------------------------------------------------------------------- [883] De la muraille du jardin, la plaine s'étendait jusqu'aux premiers escarpements de la chaîne Libyque, comme une mer jaune, où le moindre souffle d'air creusait des vagues d'or. -------------------------------------------------------------------------- [885] Dans l'opulent limon du Nil, les épis avaient poussé vigoureux, drus et hauts comme des javelines, et jamais plus riche moisson ne s'était déployée au soleil, flambante et crépitante de chaleur; il y avait de quoi remplir jusqu'au faîte la ligne des greniers voûtés qui s'arrondissait près des celliers. -------------------------------------------------------------------------- [891] C'étaient de superbes animaux, aux longues cornes évasées comme la coiffure d'Isis, au garrot élevé, au fanon puissant, aux jambes sèches et nerveuses. -------------------------------------------------------------------------- [904] Les plus impatients, sentant l'étable, se dressaient quelques instants à demi et apparaissaient au-dessus de la foule cornue, avec laquelle, en retombant, ils se confondaient bientôt; les moins adroits, devancés par leurs compagnons, poussaient de longs meuglements plaintifs comme pour protester. -------------------------------------------------------------------------- [911] Elles furent comptées comme les boeufs et les ânes, et, avec le même cérémonial, les bergers se prosternèrent aux pieds de Poëri. -------------------------------------------------------------------------- [915] Ce sont les plaisirs des champs; nous n'avons pas ici, comme à Thèbes, des joueurs de harpe et des danseuses. -------------------------------------------------------------------------- [930] Légère et silencieuse comme une ombre, elle se mit à le suivre. -------------------------------------------------------------------------- [931] Poëri, dont la main était armée d'un fort bâton de palmier, se dirigea vers le fleuve en suivant une étroite chaussée élevée à travers un champ de papyrus submergés qui, feuillés à leur base, dressaient de chaque côté leurs hampes rectilignes hautes de six ou huit coudées et terminées par un flocon de fibres, comme les lances d'une armée rangée en bataille. -------------------------------------------------------------------------- [937] Elle était si près de Poëri, qu'elle craignait de perdre dans l'obscurité, que souvent les branches qu'il déplaçait lui fouettaient la figure; mais elle n'y faisait pas attention un sentiment d'ardente jalousie la poussait à la recherche du mystère qu'elle n'interprétait pas comme les servantes de la maison. -------------------------------------------------------------------------- [940] Arrivé à la berge du fleuve, Poëri descendit quelques marches taillées dans l'escarpement de la rive, et se courba comme s'il défaisait un lien. -------------------------------------------------------------------------- [941] Tahoser, couchée à plat ventre sur le sommet du talus que dépassait seulement le haut de sa tête, vit, à son désespoir, que le promeneur mystérieux détachait une mince barque de papyrus étroite et longue comme un poisson, et qu'il se préparait à traverser le fleuve. -------------------------------------------------------------------------- [949] Souple comme une couleuvre d'eau, elle allongea ses beaux bras sur le flot sombre où tremblait élargi le reflet des étoiles, et se mit à suivre de loin la barque. -------------------------------------------------------------------------- [977] Les formes architecturales s'effaçaient; des cahutes s'arrondissaient comme des ampoules ou des verrues sur des terrains déserts, à travers de vagues cultures, empruntant à la nuit des configurations monstrueuses; des pièces de bois, des briques moulées, rangées en tas, encombraient le chemin. -------------------------------------------------------------------------- [980] Cependant, profitant des angles d'ombre, des bouts de mur, des touffes de végétation, des inégalités de terrain, elle se maintenait toujours à une distance égale de Poëri: "Quand je devrai assister, témoin invisible, à quelque scène effroyable comme un cauchemar, entendre les cris de la victime, voir le sacrificateur les mains rouges de sang retirer du petit corps le coeur fumant, j'irai jusqu'au bout", se dit Tahoser en regardant le jeune Hébreu pénétrer dans une hutte de terre dont les crevasses laissaient filtrer quelques rayons de lumière jaune. -------------------------------------------------------------------------- [988] Elle était blanche plus qu'aucune des filles d'Egypte, blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent du lavoir; ses sourcils s'étendaient comme des arcs d'ébène, et leurs pointes se rencontraient à la racine d'un nez mince, aquilin, aux narines colorées de tons roses comme le dedans des coquillages. -------------------------------------------------------------------------- [988] Elle était blanche plus qu'aucune des filles d'Egypte, blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent du lavoir; ses sourcils s'étendaient comme des arcs d'ébène, et leurs pointes se rencontraient à la racine d'un nez mince, aquilin, aux narines colorées de tons roses comme le dedans des coquillages. -------------------------------------------------------------------------- [988] Elle était blanche plus qu'aucune des filles d'Egypte, blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent du lavoir; ses sourcils s'étendaient comme des arcs d'ébène, et leurs pointes se rencontraient à la racine d'un nez mince, aquilin, aux narines colorées de tons roses comme le dedans des coquillages. -------------------------------------------------------------------------- [988] Elle était blanche plus qu'aucune des filles d'Egypte, blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent du lavoir; ses sourcils s'étendaient comme des arcs d'ébène, et leurs pointes se rencontraient à la racine d'un nez mince, aquilin, aux narines colorées de tons roses comme le dedans des coquillages. -------------------------------------------------------------------------- [988] Elle était blanche plus qu'aucune des filles d'Egypte, blanche comme le lait, comme le lis, blanche comme les brebis qui montent du lavoir; ses sourcils s'étendaient comme des arcs d'ébène, et leurs pointes se rencontraient à la racine d'un nez mince, aquilin, aux narines colorées de tons roses comme le dedans des coquillages. -------------------------------------------------------------------------- [989] Ses yeux ressemblaient à des yeux de tourterelle, vifs et langoureux à la fois; ses lèvres étaient deux bandelettes de pourpre, et en se dénouant montraient des éclairs de perle; ses cheveux se suspendaient, de chaque côté de ses joues de grenade, en touffes noires et lustrées comme deux grappes de raisin mûr; des pendeloques frissonnaient à ses oreilles, et des colliers d'or à plaquette incrustées d'argent scintillaient autour de son col rond et poli comme une colonne d'albâtre. -------------------------------------------------------------------------- [989] Ses yeux ressemblaient à des yeux de tourterelle, vifs et langoureux à la fois; ses lèvres étaient deux bandelettes de pourpre, et en se dénouant montraient des éclairs de perle; ses cheveux se suspendaient, de chaque côté de ses joues de grenade, en touffes noires et lustrées comme deux grappes de raisin mûr; des pendeloques frissonnaient à ses oreilles, et des colliers d'or à plaquette incrustées d'argent scintillaient autour de son col rond et poli comme une colonne d'albâtre. -------------------------------------------------------------------------- [994] Puis elle appliquait son visage à la crevasse, écoutant avec une douloureuse intensité d'attention ces mots harmonieux et cadencés dont chaque syllabe contenait un secret qu'elle eût donné sa vie pour savoir, et qui bruissaient vagues, fugitifs, dénués de signification à ses oreilles, Comme le vent dans les feuilles et l'eau contre la rive. -------------------------------------------------------------------------- [999] Et la pauvre enfant sentit à la poitrine une souffrance aiguë, comme si tous les uraeus des entablements, toutes les vipères royales des couronnes pharaoniques lui eussent planté leurs crochets venimeux au coeur. -------------------------------------------------------------------------- [1000] Ra'hel inclina sa tête sur l'épaule de Poëri, comme une fleur trop chargée de parfums et d'amour; les lèvres du jeune homme effleuraient les cheveux de la belle juive, qui se renversait lentement, offrant son front moite et ses yeux demi-fermés à cette caresse suppliante et timide; leurs mains qui se cherchaient s'étaient unies et se pressaient nerveusement. -------------------------------------------------------------------------- [1007] Tout ce qui n'était pas Tahoser lui déplaisait; il trouvait laides maintenant ces beautés qui lui paraissaient si charmantes naguère; leurs corps jeunes, sveltes, gracieux, aux poses pleines de volupté; leurs longs yeux avivés d'antimoine où brillait le désir; leurs bouches pourprées aux dents blanches et au sourire languissant: tout en elles, jusqu'aux parfums suaves qui émanaient de leur peau fraîche comme d'un bouquet de fleurs ou d'une boîte d'aromates, lui était devenu odieux, intolérable; il semblait leur en vouloir de les avoir aimées, et ne plus comprendre comment il s'était épris de charmes si vulgaires. -------------------------------------------------------------------------- [1008] Lorsque Twéa lui posait sur la poitrine les doigts effilés et roses de sa petite main tremblante d'émotion, comme pour faire renaître le souvenir d'une familiarité ancienne, que Hont-Reché poussait devant lui l'échiquier supporté par deux lions adossés, afin d'engager une partie ou qu'Amensé lui présentait une fleur de lotus avec une grâce respectueuse et suppliante, il se retenait à peine de les frapper de son sceptre, et ses yeux d'épervier lançaient de tels éclairs de dédain que les pauvres femmes qui s'étaient risquées à ces hardiesses se retiraient interdites, les paupières moites de larmes, et s'appuyaient silencieusement à la muraille peinte, tâchant de se confondre par leur immobilité avec les figures des fresques. -------------------------------------------------------------------------- [1010] C'était un spectacle étrange que de voir ce Pharaon à la haute stature, au maintien imposant, formidable comme les colosses de granit, ses images, faire retentir les larges dalles sous le patin recourbé de sa chaussure. -------------------------------------------------------------------------- [1016] La fortune des combats est changeante; un désastre se répare! mais avoir souhaité une chose qui ne s'était pas accomplie sur-le-champ, rencontré un obstacle entre sa volonté et la réalisation de cette volonté, lancé comme une javeline un désir qui n'avait pas atteint le but: voilà ce qui étonnait ce Pharaon dans les zones supérieures de sa toute-puissance! -------------------------------------------------------------------------- [1018] Il errait donc par les vastes cours, suivant les dromos de colonnes géantes, passant sous les pylônes démesurés, entre les obélisques élancés d'un seul jet et les colosses qui le regardaient de leurs grands yeux effarés; il parcourait la salle hypostyle et se perdait à travers la forêt granitique de ses cent soixante-deux colonnes hautes et fortes comme des tours. -------------------------------------------------------------------------- [1020] Une vie étrange et fantastique animait ces représentations bizarres, peuplant d'apparences vivantes la solitude de la salle énorme, grande à elle seule comme un palais tout entier. -------------------------------------------------------------------------- [1021] Ces divinités, ces ancêtres, ces monstres chimériques, dans leur immobilité éternelle, étaient surpris de voir le Pharaon, ordinairement aussi calme qu'eux-mêmes, aller, venir, comme si ses membres fussent de chair, et non de porphyre ou de basalte. -------------------------------------------------------------------------- [1022] Las de tourner dans ce monstrueux bois de colonnes soutenant un ciel de granit, comme un lion qui cherche la piste de sa proie et flaire de son mufle froncé le sable mobile du désert, Pharaon monta sur une terrasse du palais, s'allongea sur un lit bas et fit appeler Timopht. -------------------------------------------------------------------------- [1027] O roi, ne me fais pas mourir ni battre outre mesure; la belle Tahoser, fille de Pétamounoph, sur laquelle ton désir a daigné descendre comme un épervier qui fond sur une colombe, se retrouvera sans doute, et quand, de retour à sa demeure, elle verra tes magnifiques présents, son coeur sera touché, et, d'elle-même, elle viendra, parmi les femmes qui habitent ton gynécée, prendre la place que tu lui assigneras. -------------------------------------------------------------------------- [1033] Mais ce ne pouvait être la belle et riche Tahoser dont tu as remarqué toi-même la figure, et qui marche comme une reine sous des vêtements splendides". -------------------------------------------------------------------------- [1036] Les lèvres du roi remuaient comme s'il se fût parlé à lui-même: "Cet humble habit était un déguisement ---. -------------------------------------------------------------------------- [1044] A cette idée, la face du Pharaon s'empourpra comme à un reflet d'incendie: tout le sang lui était monté du coeur au visage; à la rougeur succéda une pâleur affreuse, ses sourcils se tordirent comme les vipères des diadèmes, sa bouche se contracta, ses dents grincèrent et sa physionomie devint si terrible que Timopht épouvanté se laissa tomber le nez sur les dalles, comme tombe un homme mort. -------------------------------------------------------------------------- [1044] A cette idée, la face du Pharaon s'empourpra comme à un reflet d'incendie: tout le sang lui était monté du coeur au visage; à la rougeur succéda une pâleur affreuse, ses sourcils se tordirent comme les vipères des diadèmes, sa bouche se contracta, ses dents grincèrent et sa physionomie devint si terrible que Timopht épouvanté se laissa tomber le nez sur les dalles, comme tombe un homme mort. -------------------------------------------------------------------------- [1044] A cette idée, la face du Pharaon s'empourpra comme à un reflet d'incendie: tout le sang lui était monté du coeur au visage; à la rougeur succéda une pâleur affreuse, ses sourcils se tordirent comme les vipères des diadèmes, sa bouche se contracta, ses dents grincèrent et sa physionomie devint si terrible que Timopht épouvanté se laissa tomber le nez sur les dalles, comme tombe un homme mort. -------------------------------------------------------------------------- [1046] Quand Timopht, qui se regardait déjà comme étendu sur le lit funèbre à pieds de chacal, au quartier des Memnonia, le flanc ouvert, le ventre vidé et prêt à prendre le bain de saumure, se redressa, il n'osa pas lever les yeux vers le roi et resta affaissé sur ses talons, en proie à l'angoisse la plus poignante. -------------------------------------------------------------------------- [1047] Allons, Timopht, dit Sa Majesté, lève-toi, cours, dépêche des émissaires de tous côtés, fais fouiller les temples, les palais, les maisons, les villas, les jardins, jusqu'aux plus humbles cahutes, et retrouve Tahoser; envoie des chars sur toutes les routes, fais sillonner le Nil en tous sens par des barques; va toi-même, et demande à ceux que tu rencontreras s'ils n'ont pas vu une femme de telle sorte; viole les tombeaux si elle s'est réfugiée dans l'asile de la mort, au fond de quelque syringe ou de quelque hypogée; cherche-la comme Isis a cherché son mari Osiris déchiré par Typhon, et, morte ou vivante, ramène-la, ou, par l'uraeus de mon pschent, par le bouton de lotus de mon sceptre, tu périras dans d'affreux supplices". -------------------------------------------------------------------------- [1048] Timopht s'élança avec la rapidité de l'ibex pour exécuter les ordres du Pharaon, qui, rasséréné, prit une de ces poses de grandeur tranquille que les sculpteurs aiment à donner aux colosses assis à la porte des temples et des palais, et, calme comme il convient à ceux dont les sandales estampées de captifs liés par les coudes reposent sur la tête des peuples, il attendit. -------------------------------------------------------------------------- [1056] La nuit s'étendit sur la ville, calme, fraîche et bleue; les étoiles se mirent à scintiller et à faire trembler leurs longs cils d'or dans l'azur profond; et sur le coin de la terrasse le Pharaon silencieux, impassible découpait ses noirs contours comme une statue de basalte scellée à l'entablement. -------------------------------------------------------------------------- [1059] Du sein de l'ombre bleuâtre jaillissaient les obélisques aux pyramidions aigus, les pylônes, portes gigantesques traversées de rayons, les hautes corniches, les colosses émergeant jusqu'aux épaules du tumulte des constructions, les propylées, les colonnes épanouissant leurs chapiteaux comme d'énormes fleurs de granit, les angles des temples et des palais révélés par une touche argentée de lumière; les viviers sacrés s'étalaient en miroitant comme du métal poli, les sphinx et les criosphinx alignés en dromos allongeaient leurs pattes, évasaient leur croupe, et les toits plats se succédaient à l'infini, blanchissant sous la lune en masses coupées çà et là de tranches profondes par les places et les rues: des points rouges piquaient cette obscurité bleue, comme si les étoiles eussent laissé tomber des étincelles sur la terre; c'étaient les lampes qui veillaient encore dans la ville endormie; plus loin, entre les édifices moins serrés, de vagues touffes de palmiers balançaient leurs éventails de feuilles; au-delà les contours et les formes se perdaient dans la vaporeuse immensité, car l'oeil de l'aigle même n'aurait pu atteindre aux limites de Thèbes, et de l'autre côté le vieil Hopi-Mou descendait majestueusement vers la mer. -------------------------------------------------------------------------- [1059] Du sein de l'ombre bleuâtre jaillissaient les obélisques aux pyramidions aigus, les pylônes, portes gigantesques traversées de rayons, les hautes corniches, les colosses émergeant jusqu'aux épaules du tumulte des constructions, les propylées, les colonnes épanouissant leurs chapiteaux comme d'énormes fleurs de granit, les angles des temples et des palais révélés par une touche argentée de lumière; les viviers sacrés s'étalaient en miroitant comme du métal poli, les sphinx et les criosphinx alignés en dromos allongeaient leurs pattes, évasaient leur croupe, et les toits plats se succédaient à l'infini, blanchissant sous la lune en masses coupées çà et là de tranches profondes par les places et les rues: des points rouges piquaient cette obscurité bleue, comme si les étoiles eussent laissé tomber des étincelles sur la terre; c'étaient les lampes qui veillaient encore dans la ville endormie; plus loin, entre les édifices moins serrés, de vagues touffes de palmiers balançaient leurs éventails de feuilles; au-delà les contours et les formes se perdaient dans la vaporeuse immensité, car l'oeil de l'aigle même n'aurait pu atteindre aux limites de Thèbes, et de l'autre côté le vieil Hopi-Mou descendait majestueusement vers la mer. -------------------------------------------------------------------------- [1059] Du sein de l'ombre bleuâtre jaillissaient les obélisques aux pyramidions aigus, les pylônes, portes gigantesques traversées de rayons, les hautes corniches, les colosses émergeant jusqu'aux épaules du tumulte des constructions, les propylées, les colonnes épanouissant leurs chapiteaux comme d'énormes fleurs de granit, les angles des temples et des palais révélés par une touche argentée de lumière; les viviers sacrés s'étalaient en miroitant comme du métal poli, les sphinx et les criosphinx alignés en dromos allongeaient leurs pattes, évasaient leur croupe, et les toits plats se succédaient à l'infini, blanchissant sous la lune en masses coupées çà et là de tranches profondes par les places et les rues: des points rouges piquaient cette obscurité bleue, comme si les étoiles eussent laissé tomber des étincelles sur la terre; c'étaient les lampes qui veillaient encore dans la ville endormie; plus loin, entre les édifices moins serrés, de vagues touffes de palmiers balançaient leurs éventails de feuilles; au-delà les contours et les formes se perdaient dans la vaporeuse immensité, car l'oeil de l'aigle même n'aurait pu atteindre aux limites de Thèbes, et de l'autre côté le vieil Hopi-Mou descendait majestueusement vers la mer. -------------------------------------------------------------------------- [1060] Planant par l'oeil et la pensée sur cette ville démesurée dont il était le maître absolu, Pharaon réfléchissait tristement aux bornes du pouvoir humain, et son désir, comme un vautour affamé, lui rongeait le coeur; il se disait: "Toutes ces maisons renferment des êtres dont mon aspect fait courber le front dans la poussière, et pour qui ma volonté est un ordre des dieux. -------------------------------------------------------------------------- [1061] Lorsque je passe sur mon char d'or ou dans ma litière portée par des oëris, les vierges sentent leur sein palpiter en me suivant d'un long regard timide; les prêtres m'encensent avec la fumée des amschirs; le peuple balance des palmes ou répand des fleurs; le sifflement d'une de mes flèches fait trembler les nations, et les murs des pylônes, immenses comme des montagnes taillées à pic, suffisent à peine pour inscrire mes victoires; les carrières s'épuisent à fournir du granit pour mes images colossales; une fois, dans ma satiété superbe, je forme un souhait, et ce souhait je ne peux l'accomplir! -------------------------------------------------------------------------- [1071] Le bras de granit se détacha du torse immobile, et le sceptre de métal descendit comme un carreau de foudre. -------------------------------------------------------------------------- [1087] Elle s'approcha avec précaution, redoutant quelque embûche, de l'endroit d'où venait le son, et près du mur de la cabane elle aperçut dans l'ombre bleuâtre et transparente comme la forme d'un corps affaissé à terre; la draperie mouillée moulait les formes de la fausse Hora et trahissait son sexe par de pures rondeurs. -------------------------------------------------------------------------- [1093] Tahoser ouvrit lentement les yeux et promena autour d'elle son regard effaré, comme une gazelle prise. -------------------------------------------------------------------------- [1097] En vain, avec toute l'âpreté de la jalousie féminine, elle y chercha un défaut; elle se sentit non pas vaincue, mais égalée; Ra'hel était l'idéal israélite comme Tahoser était l'idéal égyptien. -------------------------------------------------------------------------- [1098] Chose dure pour un coeur aimant, elle fut forcée d'admettre la passion de Poëri comme juste et bien placée. -------------------------------------------------------------------------- [1101] Insensée! j'ai fait comme un soldat qui s'en irait à la guerre sans cuirasse et sans harpé. -------------------------------------------------------------------------- [1112] Des instincts vulgaires se lisaient dans les rides de son front bas, pressé par la large bandelette de la coiffure israélite; ses yeux, éclatants encore malgré l'âge, pétillaient de curiosité interrogative dans leurs orbites de rides brunes; son nez osseux, luisant et recourbé comme le bec d'un gypaète, semblait subodorer des secrets, et ses lèvres remuées silencieusement avaient l'air de préparer des questions. -------------------------------------------------------------------------- [1115] Il faut dire aussi que Thamar, comme toutes les vieilles femmes, avait une prévention contre la beauté; et sous ce rapport, Tahoser lui déplaisait. -------------------------------------------------------------------------- [1116] La fidèle servante pardonnait à sa maîtresse seulement d'être jolie, et cette beauté, elle la considérait comme sienne: elle en était fière et jalouse. -------------------------------------------------------------------------- [1117] Voyant que Ra'hel gardait le silence, la vieille se leva, vint s'asseoir près d'elle, et faisant clignoter ses yeux, dont la paupière bistrée s'abaissait et s'élevait comme une aile de chauve-souris, elle lui dit à voix basse et en langue hébraïque: "Maîtresse, je n'augure rien de bon de cette femme. -------------------------------------------------------------------------- [1124] Ce regard éteint, ces lèvres pâles, ces joues décolorées, ces membres inertes, cette peau froide comme celle d'une morte, tout cela ne se contrefait pas. -------------------------------------------------------------------------- [1130] Pourquoi son vêtement était-il trempé comme si elle sortait d'une piscine ou d'un fleuve? -------------------------------------------------------------------------- [1131] Je l'ignore comme toi, répondit Ra'hel. -------------------------------------------------------------------------- [1135] En tout cas, il faut s'en défier; regarde comme ses mains sont délicates et douces". -------------------------------------------------------------------------- [1145] Cette beauté l'attendrit au lieu de l'irriter comme Thamar. -------------------------------------------------------------------------- [1151] La journée se passa; la nuit vint, et, à l'heure accoutumée, Poëri, ayant fait le signal convenu, parut comme la veille sur le seuil de la cabane. -------------------------------------------------------------------------- [1155] Cette surprise alla au coeur de Ra'hel: elle se plaça devant Poëri pour lire de plus près la vérité dans ses yeux, lui mit les mains sur les épaules, et, le pénétrant du regard, lui dit d'une voix sèche et brève, contrastant avec sa parole douce d'ordinaire comme un roucoulement de tourterelle "Tu la connais donc"? -------------------------------------------------------------------------- [1160] Poëri lui raconta qu'une jeune fille, se donnant le nom d'Hora, s'était présentée chez lui en suppliante, qu'il l'avait accueillie comme on doit le faire de tout hôte; que, le lendemain, elle manquait parmi les servantes, et qu'il ne pouvait s'expliquer comment elle se retrouvait là; il ajouta aussi que des émissaires de Pharaon cherchaient partout Tahoser, la fille du grand prêtre Pétamounoph, disparue de son palais. -------------------------------------------------------------------------- [1182] Sous ses épais sourcils ses yeux brillaient comme des flammes. -------------------------------------------------------------------------- [1185] Le grand vieillard se retira d'un pas lent et solennel, laissant comme une lueur après lui. -------------------------------------------------------------------------- [1187] Elle était fraîche comme après un long repos, et sa beauté rayonnait dans toute sa pureté. -------------------------------------------------------------------------- [1188] Chassant de ses petites mains les masses tressées de sa coiffure derrière ses oreilles, elle dégagea sa figure illuminée d'amour, comme si elle eût voulu que Poëri pût y lire. -------------------------------------------------------------------------- [1194] Yacoub, un patriarche de notre race, eut deux femmes: l'une s'appelait Ra'hel comme moi, et l'autre Lia; Yacoub préférait Ra'hel, et cependant Lia, qui n'avait pas ta beauté, vécut heureuse près de lui". -------------------------------------------------------------------------- [1197] Tahoser, élégante, gracieuse et fine comme une enfant grandie trop vite; Ra'hel, forte et superbe dans sa maturité précoce. -------------------------------------------------------------------------- [1210] Ce n'est pas assez, continua Poëri: tes dieux ne sont pas les miens, tes dieux d'airain, de basalte et de granit que façonna la main de l'homme, monstrueuses idoles à tête d'épervier, de singe, d'ibis, de vache, de chacal, de lion, qui prennent des masques de bête comme s'ils étaient gênés par la face humaine où brille le reflet de Jéhovah. -------------------------------------------------------------------------- [1220] Poëri s'éloigna, et les deux femmes, couchées l'une près de l'autre sur le petit lit, s'endormirent bientôt, se tenant par la main comme deux soeurs. -------------------------------------------------------------------------- [1221] Thamar, qui pendant la scène précédente s'était tenue blottie dans un coin de la chambre comme une chauve-souris accrochée à un angle par les ongles de ses membranes, marmottant des paroles entrecoupées et contractant les rides de son front bas, déplia ses membres anguleux, se dressa sur ses pieds, et, se penchant vers le lit, écouta la respiration des deux dormeuses. -------------------------------------------------------------------------- [1226] Elle se présenta au pylône principal, devant lequel veillent accroupis cinquante criosphinx rangés sur deux lignes, comme des monstres prêts à broyer entre leurs mâchoires de granit les imprudents qui voudraient forcer le passage. -------------------------------------------------------------------------- [1232] Pharaon a tué tantôt à coups de sceptre trois messagers; il se tient sur sa terrasse, immobile et sinistre comme Typhon, dieu du mal", dit un soldat daignant descendre à quelque explication. -------------------------------------------------------------------------- [1233] La servante de Ra'hel essaya de forcer la consigne; les javelines lui tombèrent en cadence sur la tête comme des marteaux de l'enclume. -------------------------------------------------------------------------- [1258] Il s'élança sur le char, prit les rênes, et, comme Thamar hésitait: "Allons, monte", dit-il; il clappa de la langue, et les chevaux partirent. -------------------------------------------------------------------------- [1259] Les échos, réveillés, répétèrent le bruit des roues, qui retentirent comme un tonnerre sourd, au milieu du silence nocturne, par les salles vastes et profondes. -------------------------------------------------------------------------- [1266] Il lui semblait être dans un temple d'une grandeur immense; d'énormes colonnes d'une hauteur prodigieuse soutenaient un plafond bleu constellé d'étoiles comme le ciel; d'innombrables lignes d'hiéroglyphes montaient et descendaient le long des murailles, entre les panneaux de fresques symboliques bariolés de couleurs lumineuses. -------------------------------------------------------------------------- [1273] Il était mort, mais il vivait et parlait, comme cela arrive souvent en rêve, et il disait à sa fille: "Interroge-les, et demande-leur s'ils sont des dieux". -------------------------------------------------------------------------- [1287] Thamar se glissa comme un reptile dans la cabane, s'accroupit à sa place accoutumée et contempla avec un regard presque aussi tendre que celui d'une mère sa chère Ra'hel, qui dormait toujours. -------------------------------------------------------------------------- [1289] Pressée et comme écrasée contre la poitrine du Pharaon par deux bras de granit, elle avait à peine la place d'un battement pour son coeur et sur sa gorge pantelante s'imprimaient les durs colliers d'émaux. -------------------------------------------------------------------------- [1291] Tahoser, effarée, voyait vaguement, comme à travers un rêve, s'envoler à droite et à gauche des formes confuses de constructions, de masses d'arbres, de palais, de temples, de pylônes, d'obélisques, de colosses rendus fantastiques et terribles par la nuit. -------------------------------------------------------------------------- [1294] Ses membres flottaient inertes, sa volonté était dénouée comme ses muscles, et, si les bras du Pharaon ne l'eussent retenue, elle aurait glissé et se serait ployée au fond du char comme une étoffe qu'on abandonne. -------------------------------------------------------------------------- [1294] Ses membres flottaient inertes, sa volonté était dénouée comme ses muscles, et, si les bras du Pharaon ne l'eussent retenue, elle aurait glissé et se serait ployée au fond du char comme une étoffe qu'on abandonne. -------------------------------------------------------------------------- [1299] Efforts inutiles, lutte insensée! son ravisseur souriant la ramenait d'une pression irrésistible et lente contre son coeur, comme s'il eût voulu l'y incruster; elle se mit à crier, un baiser lui ferma la bouche. -------------------------------------------------------------------------- [1306] La pauvre Tahoser n'avait pas à sa disposition ces moyens violents, et force lui fut de se laisser emporter comme une enfant par le Pharaon, sauté à bas de son char. -------------------------------------------------------------------------- [1313] Ses lèvres, dont un mot eût changé la face du monde et le sort des peuples, étaient d'un rouge pourpre comme du sang frais sur la lame d'un glaive et, quand il souriait, avaient cette grâce des choses terribles à laquelle rien ne résiste. -------------------------------------------------------------------------- [1314] Sa taille haute, bien proportionnée, majestueuse, offrait la noblesse de lignes qu'on admire dans les statues des temples; et quand il apparaissait solennel et radieux, couvert d'or, d'émaux et de pierres précieuses, au milieu de la vapeur bleuâtre des amschirs il ne semblait pas faire partie de cette frêle race qui, génération par génération, tombe comme les feuilles et va s'étendre, engluée de bitume, dans les ténébreuses profondeurs des syringes. -------------------------------------------------------------------------- [1338] J'écoutais au loin bruire et se plaindre vaguement les nations sur la tête desquelles j'essuyais mes sandales ou que j'enlevais par leurs chevelures, comme me représentent les bas-reliefs symboliques des pylônes, et, dans ma poitrine froide et compacte comme celle d'un dieu de basalte, je n'entendais pas le battement de mon coeur. -------------------------------------------------------------------------- [1338] J'écoutais au loin bruire et se plaindre vaguement les nations sur la tête desquelles j'essuyais mes sandales ou que j'enlevais par leurs chevelures, comme me représentent les bas-reliefs symboliques des pylônes, et, dans ma poitrine froide et compacte comme celle d'un dieu de basalte, je n'entendais pas le battement de mon coeur. -------------------------------------------------------------------------- [1339] Il me semblait qu'il n'y eût pas sur terre un être pareil à moi et qui pût m'émouvoir; en vain de mes expéditions chez les nations étrangères je ramenais des vierges choisies et des femmes célèbres dans leur pays à cause de leur beauté: je les jetais là comme des fleurs, après les avoir respirées un instant. -------------------------------------------------------------------------- [1343] Un immense ennui, pareil à celui qu'éprouvent sans doute les momies qui, emmaillotées de bandelettes, attendent dans leurs cercueils, au fond des hypogées, que leur âme ait accompli le cercle des migrations, s'était emparé de moi sur mon trône, où souvent je restais les mains sur mes genoux comme un colosse de granit, songeant à l'impossible, à l'infini, à l'éternel. -------------------------------------------------------------------------- [1351] L'exécution suivait sa pensée comme l'éclair suit la foudre. -------------------------------------------------------------------------- [1352] Pour Tahoser, il semblait avoir renoncé à sa majesté granitique; il parlait, il s'expliquait comme un mortel. -------------------------------------------------------------------------- [1355] A ce Pharaon qui avait enlevé son corps, elle ne pouvait donner son âme restée avec Poëri et Ra'hel, et, comme le roi paraissait attendre une réponse, elle dit: "Comment se fait-il, ô roi, que, parmi toutes les filles d'Egypte, ton regard soit tombé sur moi, que tant d'autres surpassent en beauté, en talents et en dons de toutes sortes? -------------------------------------------------------------------------- [1362] A cette supposition, les sourcils de Pharaon se contractèrent; il mordit violemment sa lèvre inférieure, où ses dents laissèrent des marques blanches, et il serra jusqu'à lui faire mal les doigts de la jeune fille qu'il tenait toujours; puis il se calma et dit d'une voix lente et profonde: "Quand tu auras vécu dans ce palais, au milieu de ces splendeurs, entourée de l'atmosphère de mon amour, tu oublieras tout, comme oublie celui qui mange le népenthès. -------------------------------------------------------------------------- [1363] Ta vie passée te semblera un rêve; tes sentiments antérieurs s'évaporeront comme l'encens sur le charbon de l'amschir; la femme aimée d'un roi ne se souvient plus des hommes. -------------------------------------------------------------------------- [1365] Je te donne l'Egypte avec ses prêtres, ses armées, ses laboureurs, son peuple innombrable, ses palais, ses temples, ses villes; fripe-la comme un morceau de gaze; je t'aurai d'autres royaumes, plus grands, plus beaux, plus riches. -------------------------------------------------------------------------- [1370] Accroupie dans un coin, Thamar, les bras croisés sur les genoux, la tête posée sur ses bras, oreiller osseux, dormait ou plutôt faisait semblant de dormir: car, à travers les mèches grises de sa chevelure en désordre qui ruisselaient jusqu'à terre, on eût pu entrevoir ses prunelles fauves comme celles d'un hibou, phosphorescentes de joie maligne et de méchanceté satisfaite. -------------------------------------------------------------------------- [1372] La vieille, comme si elle se fût éveillée en sursaut à la voix de sa maîtresse, déplia lentement ses membres d'araignée, se dressa sur ses pieds, frotta à plusieurs reprises ses paupières bistrées avec le dos de sa main jaune plus sèche que celle d'une momie, et dit d'un air d'étonnement très bien joué: "Est-ce qu'elle n'est plus là? -------------------------------------------------------------------------- [1374] Quoiqu'elle sût parfaitement à quoi s'en tenir sur la disparition de Tahoser, Thamar souleva un bout de draperie tendu à l'angle de la chambre, comme si l'Egyptienne eût pu se cacher derrière; elle ouvrit la porte de la cabane, et, debout sur le seuil, explora minutieusement du regard les environs, puis, se retournant vers l'intérieur, elle fit à sa maîtresse un signe négatif. -------------------------------------------------------------------------- [1384] As-tu vu comme elle s'est troublée lorsque Poëri a parlé contre les idoles de pierre, de bois et de métal; et comme elle a eu de la peine à prononcer ces paroles: "je tâcherai de croire à ton Dieu". -------------------------------------------------------------------------- [1384] As-tu vu comme elle s'est troublée lorsque Poëri a parlé contre les idoles de pierre, de bois et de métal; et comme elle a eu de la peine à prononcer ces paroles: "je tâcherai de croire à ton Dieu". -------------------------------------------------------------------------- [1385] On eût dit que le mot lui brûlait les lèvres comme un charbon. -------------------------------------------------------------------------- [1391] Si elle l'aimait autant qu'elle le disait, pourquoi s'est-elle sauvée lorsque, avec ton consentement, il l'admettait comme seconde épouse? -------------------------------------------------------------------------- [1397] Quand elle se présenta à la porte du palais, les soldats ne la battirent plus comme la première fois; elle avait déjà du crédit, et l'oëris de garde la fit entrer tout de suite. -------------------------------------------------------------------------- [1399] Lorsqu'il aperçut l'immonde vieille qui rampait vers son trône comme un insecte à moitié écrasé, le roi se souvint de sa promesse et donna ordre qu'on ouvrit une des chambres de granit à la juive, et qu'on l'y laissât prendre autant d'or qu'elle en pourrait porter. -------------------------------------------------------------------------- [1402] Après quelques minutes de contemplation éblouie, elle releva les manches de sa tunique rapiécée, mit à nu ses bras secs dont les muscles saillaient comme des cordes, et que plissaient à la saignée d'innombrables rides; puis elle ouvrit et referma ses doigts recourbés, pareils à des serres de griffon, et se lança sur l'amas de sicles d'or avec une avidité farouche et bestiale. -------------------------------------------------------------------------- [1406] L'avarice prêtait à cette carcasse délabrée des forces inconnues: tous les muscles, tous les nerfs, toutes les fibres des bras, du cou, des épaules, tendus à rompre, soutenaient une masse de métal qui eût fait plier le plus robuste porteur de la race Nahasi; le front penché comme celui d'un boeuf quand le soc de la charrue a rencontré une pierre, Thamar, dont les jambes titubaient, sortit du palais, se heurtant aux murs, marchant presque à quatre pattes, car souvent elle envoyait ses mains à terre pour ne pas être écrasée sous le poids; mais enfin elle sortit, et la charge d'or lui appartenait légitimement. -------------------------------------------------------------------------- [1419] L'autre, plus simple et plus pur de forme peut-être, s'évasait gracieusement, et des chacals, posant leurs pattes sur son bord comme pour y boire, lui dessinaient des anses avec leur corps svelte et souple. -------------------------------------------------------------------------- [1420] Des miroirs de métal entouré de figures difformes, comme pour donner à la beauté qui s'y regardait le plaisir du contraste, des coffres en bois de cèdre ou de sycomore ornementés et peints, des coffrets en terre émaillée, des buires d'albâtre, d'onyx et de verre, des boîtes d'aromates témoignaient de la magnificence de Pharaon à l'endroit de Tahoser. -------------------------------------------------------------------------- [1429] Ne t'humilie pas ainsi, Tahoser, lui dit-il d'une voix douce; je veux que tu sois mon égale; il m'ennuie d'être seul dans l'univers; quoique je sois tout-puissant et que je t'aie en ma possession, j'attendrai que tu m'aimes comme si je n'étais qu'un homme. -------------------------------------------------------------------------- [1434] Sa barbe immense descend jusqu'à son ventre; des cornes luisantes bossellent son front dénudé, et ses yeux brillent comme des flammes. -------------------------------------------------------------------------- [1445] Sans se prosterner, comme c'était l'habitude lorsqu'on approchait du roi, Mosché s'avança vers le trône de Pharaon et lui dit: "Ainsi a parlé l'Eternel, le Dieu d'Israël: Laisse aller mon peuple, pour qu'il me célèbre une solennité au désert". -------------------------------------------------------------------------- [1459] J'ai obéi aux ordres de l'Eternel, dit Mosché à son compagnon lorsqu'il eut franchi le pylône, mais Pharaon est resté insensible comme si j'eusse parlé à ces hommes de granit assis sur des trônes à la porte des palais, ou à ces idoles à tête de chien, de singe ou d'épervier, qu'encensent les prêtres au fond des sanctuaires. -------------------------------------------------------------------------- [1464] Qui me prouve, répondit Pharaon, que vraiment l'Eternel vous envoie vers moi pour me dire ces choses et que vous n'êtes pas, comme je l'imagine, de vils imposteurs"? -------------------------------------------------------------------------- [1473] Ils arrivèrent; c'étaient des personnages d'un aspect formidable et mystérieux, la tête rasée, chaussés de souliers de byblos, vêtus de longues robes de lin, tenant en main des bâtons gravés d'hiéroglyphes: ils étaient jaunes et desséchés comme des momies, à force de veilles, d'études et d'austérités; les fatigues des initiations successives se lisaient sur leurs visages, où les yeux seuls semblaient vivants. -------------------------------------------------------------------------- [1475] Pouvez-vous, dit le roi, changer vos cannes en reptiles comme vient de le faire Aharon? -------------------------------------------------------------------------- [1482] Et alors ce fut un étrange et horrible spectacle les cannes se tordirent comme des branches de bois vert sur le feu; leurs extrémités s'aplatirent en têtes, s'effilèrent en queues; les unes restèrent lisses, les autres s'écaillèrent selon l'espèce du serpent. -------------------------------------------------------------------------- [1484] Il y avait des vipères portant la marque d'un fer de lance sur leur front écrasé, des cérastes aux protubérances menaçantes, des hydres verdâtres et visqueuses, des aspics aux crochets mobiles, des trigonocéphales jaunes, des orvets ou serpents de verre, des crotales au museau court, à la robe noirâtre, faisant sonner les osselets de leur queue; des amphisbènes marchant en avant et en arrière; des boas ouvrait leur large gueule capable d'engloutir le boeuf Apis; des serpents aux yeux entourés de disques comme ceux des hiboux: le pavé de la salle en était couvert. -------------------------------------------------------------------------- [1486] Eh bien, dit Pharaon à Mosché, tu vois que la science de mes hiéroglyphites égale ou surpasse la tienne: leurs bâtons ont produit des serpents comme celui d'Aharon. -------------------------------------------------------------------------- [1491] Il pencha la tête, réfléchit et dit comme un homme qui se ravise: "Je trouverai le mot et le signe. -------------------------------------------------------------------------- [1498] Laisse partir Mosché et ses Hébreux pour accomplir leurs rites, car peut-être l'Eternel, comme ils le nomment, éprouvera la terre d'Egypte et nous fera mourir. -------------------------------------------------------------------------- [1505] Si leur dieu avait tant de puissance, dit Pharaon répondant à la crainte exprimée par Tahoser, les laisserait-il ainsi captifs, humiliés et pliant comme des bêtes de somme sous les plus durs travaux? -------------------------------------------------------------------------- [1508] Oui, tu es le conculcateur des peuples, le dominateur des trônes, et les hommes sont devant toi comme les grains de sable que soulève le vent du sud; je le sais, répliqua Tahoser. -------------------------------------------------------------------------- [1521] A quelques jours de là, Pharaon côtoyait le Nil, debout sur son char et suivi de son cortège; il allait voir quel degré atteignait la crue du fleuve, lorsqu'au milieu du chemin se dressèrent comme deux fantômes Aharon et Mosché. -------------------------------------------------------------------------- [1529] Dès que le bâton de l'Hébreu, ce bâton qui avait été serpent, frappa le fleuve, les eaux commencèrent à se troubler et à bouillonner, leur couleur limoneuse s'altéra d'une façon sensible: des tons rougeâtres s'y mêlèrent, puis toute la masse prit une sombre couleur de pourpre, et le Nil parut comme un fleuve de sang roulant des vagues écarlates et brodant ses rives d'écumes roses. -------------------------------------------------------------------------- [1533] Les canaux, les viviers, les piscines avaient pris les mêmes teintes, et les coupes pleines d'eau étaient rouges comme les cratères où l'on reçoit le sang des victimes. -------------------------------------------------------------------------- [1539] Ennana fit un signe d'approbation, comme un savant impartial qui rend justice à l'habileté d'un confrère. -------------------------------------------------------------------------- [1544] Les vingt-quatre hiéroglyphites saluèrent le roi comme s'ils allaient se retirer. -------------------------------------------------------------------------- [1548] Mes sages, comme tu vois, imitent assez bien tes prestiges". -------------------------------------------------------------------------- [1552] Aussitôt qu'Aharon eut fait le geste, du fleuve, des canaux, des rivières, des marais surgirent des millions de grenouilles; elles couvraient les champs et les chemins, sautaient sur les marches des temples et des palais, envahissaient les sanctuaires et les chambres les plus retirées; et toujours des légions nouvelles succédaient aux premières apparues: il y en avait dans les maisons, dans les pétrins, dans les fours, dans les coffres; on ne pouvait poser le pied nulle part sans en écraser une; mues comme par des ressorts, elles bondissaient entre les jambes, à droite, à gauche, en avant, en arrière. -------------------------------------------------------------------------- [1553] A perte de vue, on les voyait clapoter, sauteler, passer les unes sur les autres: car déjà la place leur manquait, et leurs rangs s'épaississaient, s'entassaient, s'empilaient; leurs innombrables dos verts formaient sur la campagne comme une prairie animée et vivante, où brillaient, pour fleurs, leurs yeux jaunes. -------------------------------------------------------------------------- [1582] Imite ce prodige, s'écria Pharaon hors de lui, et rouge comme s'il avait eu sur la face le reflet d'une fournaise, en s'adressant au chef des hiéroglyphites. -------------------------------------------------------------------------- [1586] Comme Pharaon refusait toujours de laisser partir les Hébreux, tout le bétail des Egyptiens fut frappé de mort; les Israélites n'en perdirent pas une seule tête. -------------------------------------------------------------------------- [1587] Un vent du sud s'éleva et souffla toute la nuit, et lorsqu'au matin le jour parut, un immense nuage roux voilait le ciel d'un bout à l'autre; à travers ce brouillard fauve, le soleil luisait rouge comme un bouclier dans la forge, et semblait dépouillé de rayons. -------------------------------------------------------------------------- [1588] Ce nuage différait des autres nuages; il était vivant, il bruissait et battait des ailes, et s'abattait sur la terre non en grosses gouttes de pluie, mais en bancs de sauterelles roses, jaunes et vertes, plus nombreuses que les grains de sable au désert Libyque; elles se succédaient par tourbillons, comme la paille que disperse l'orage; l'air en était obscurci, épaissi; elles comblaient les fossés, les ravines, les cours d'eau, éteignaient sous leurs masses les feux allumés pour les détruire; elles se heurtaient aux obstacles et s'y amoncelaient, puis les débordaient. -------------------------------------------------------------------------- [1589] Ouvrait-on la bouche, on en respirait une; elles se logeaient dans les plis des vêtements, dans les cheveux, dans les narines; leurs épaisses colonnes faisaient rebrousser les chars, renversaient le passant isolé et le recouvraient bientôt; leur formidable armée, sautelant et battant de l'aile, s'avançait sur l'Egypte, des Cataractes au Delta, occupant une largeur immense, fauchant l'herbe, réduisant les arbres à l'état de squelettes, dévorant les plantes jusqu'à la racine, et ne laissant derrière elle qu'une terre nue et battue comme une aire. -------------------------------------------------------------------------- [1591] Une grêle, fléau inconnu à l'Egypte, tomba du ciel, parmi des éclairs aveuglants et des tonnerres à rendre sourd, par grêlons énormes, hachant tout, brisant tout, rasant le blé, comme l'eût fait une faucille; puis, des ténèbres noires, opaques, effrayantes, où les lampes s'éteignaient comme dans les profondeurs des syringes privées d'air, étendirent leurs nuages lourds sur cette terre d'Egypte si blonde, si lumineuse, si dorée sous son ciel d'azur, dont la nuit est plus claire que le jour des autres climats. -------------------------------------------------------------------------- [1591] Une grêle, fléau inconnu à l'Egypte, tomba du ciel, parmi des éclairs aveuglants et des tonnerres à rendre sourd, par grêlons énormes, hachant tout, brisant tout, rasant le blé, comme l'eût fait une faucille; puis, des ténèbres noires, opaques, effrayantes, où les lampes s'éteignaient comme dans les profondeurs des syringes privées d'air, étendirent leurs nuages lourds sur cette terre d'Egypte si blonde, si lumineuse, si dorée sous son ciel d'azur, dont la nuit est plus claire que le jour des autres climats. -------------------------------------------------------------------------- [1593] Une nuit, nuit d'épouvante et d'horreur, un spectre vola sur toute l'Egypte, entrant dans chaque maison dont la porte n'était pas marquée de rouge, et tous les premiers-nés mâles moururent, le fils de Pharaon comme le fils du plus misérable paraschiste; et le roi, malgré tous ces signes terribles, ne voulait pas céder. -------------------------------------------------------------------------- [1596] Allez! dit enfin Pharaon; sacrifiez à votre Dieu comme il vous conviendra". -------------------------------------------------------------------------- [1605] Le cortège funèbre vint prendre le corps du jeune prince pour l'emporter au quartier des Memnonia, où il devait subir les préparations de l'embaumement, qui durent soixante-dix jours, Pharaon le vit partir d'un air morne, et il dit, comme agité d'un pressentiment mélancolique: "Voici que je n'ai plus de fils, ô Tahoser; si je meurs, tu seras reine d'Egypte. -------------------------------------------------------------------------- [1606] Pourquoi parles-tu de mort? dit la fille du prêtre; les années succéderont aux années sans laisser trace de leur passage sur ton corps robuste, et autour de toi les générations tomberont comme les feuilles autour d'un arbre qui reste debout. -------------------------------------------------------------------------- [1622] Furieux et terrible, il pressait ses chevaux à outrance, et derrière lui les six cents chars retentissaient avec des bruits d'airain, comme des tonnerres terrestres. -------------------------------------------------------------------------- [1628] Ce n'était plus la verte vallée d'Egypte que l'on traversait, mais des plaines mamelonnées de changeantes collines et striées d'ondes comme la face de la mer; la terre écorchée laissait voir ses os; des rocs anfractueux et pétris en formes bizarres, comme si des animaux gigantesques les eussent foulés aux pieds quand la terre était encore à l'état de limon, au jour où le monde émergeait du chaos, bossuaient çà et là l'étendue et rompaient de loin en loin par de brusques ressauts la ligne plate de l'horizon, fondue avec le ciel dans une zone de brume rousse. -------------------------------------------------------------------------- [1628] Ce n'était plus la verte vallée d'Egypte que l'on traversait, mais des plaines mamelonnées de changeantes collines et striées d'ondes comme la face de la mer; la terre écorchée laissait voir ses os; des rocs anfractueux et pétris en formes bizarres, comme si des animaux gigantesques les eussent foulés aux pieds quand la terre était encore à l'état de limon, au jour où le monde émergeait du chaos, bossuaient çà et là l'étendue et rompaient de loin en loin par de brusques ressauts la ligne plate de l'horizon, fondue avec le ciel dans une zone de brume rousse. -------------------------------------------------------------------------- [1641] Il se leva un vent d'orient d'une violence extraordinaire, qui creusa l'eau de la mer des Algues comme le soc d'une charrue gigantesque, rejetant à droite et à gauche des montagnes salées couronnées de crêtes d'écume. -------------------------------------------------------------------------- [1642] Séparées par l'impétuosité de ce souffle irrésistible qui eût balayé les Pyramides comme des grains de poussière, les eaux se dressaient en murailles liquides et laissaient libre entre elles un large chemin où l'on pouvait passer à pied sec - à travers leur transparence, comme derrière un verre épais, on voyait les monstres marins se tordre, épouvantés d'être surpris par le jour dans les mystères de l'abîme. -------------------------------------------------------------------------- [1642] Séparées par l'impétuosité de ce souffle irrésistible qui eût balayé les Pyramides comme des grains de poussière, les eaux se dressaient en murailles liquides et laissaient libre entre elles un large chemin où l'on pouvait passer à pied sec - à travers leur transparence, comme derrière un verre épais, on voyait les monstres marins se tordre, épouvantés d'être surpris par le jour dans les mystères de l'abîme. -------------------------------------------------------------------------- [1645] Et le vent terrible soufflait toujours passant par-dessus la tête des Hébreux, qu'il eût couchés comme des épis, et retenant par sa pression les vagues amoncelées et rugissantes. -------------------------------------------------------------------------- [1647] Effrayés de ce miracle, les Egyptiens hésitaient à poursuivre les Hébreux; mais Pharaon, avec son courage altier que rien ne pouvait abattre, poussa ses chevaux qui se cabraient et se renversaient sur le timon, les fouaillant à tour de bras de son fouet à double lanière, les yeux pleins de sang, l'écume aux lèvres et rugissant comme un lion dont la proie s'échappe! il les détermina enfin à entrer dans cette voie si étrangement ouverte! -------------------------------------------------------------------------- [1648] Les six cents chars suivirent: les derniers Israélites, parmi lesquels se trouvaient Poëri, Ra'hel et Thamar, se crurent perdus, voyant l'ennemi prendre le même chemin qu'eux; mais, lorsque les Egyptiens furent bien engagés, Mosché fit un signe: les roues des chars se détachèrent, et ce fut une horrible confusion de chevaux, de guerriers, se heurtant et s'entrechoquant; puis les montagnes d'eau miraculeusement suspendues s'écroulèrent, et la mer se referma, roulant dans des tourbillons d'écume hommes, bêtes, chars, comme des pailles saisies par un remous au courant d'un fleuve. --------------------------------------------------------------------------