[1,14] CHAPITRE XIV. Des possessions que le roi Clovis et les Francs donnèrent à saint Rémi. LE roi et les puissants de la nation des Francs donnèrent à saint Rémi un grand nombre de possessions en diverses provinces, dont il dota l'église de Reims, et quelques autres églises de France. Il en donna surtout une bonne partie à l'église de Notre-Dame de Laon, ville autrefois du diocèse de Reims, où il avait été élevé ; il ordonna aussi pour évêque de cette ville Gennebaud, noble de naissance, et savant dans les lettres tant sacrées que profanes qui avait quitté sa femme, nièce, selon la tradition, de saint Rémi afin de vivre en religion; et il réunit à la paroisse de Laon toutes celles du comté du même nom. Gennebaud prenant trop de confiance en lui-même, à cause de sa vie passée et du haut rang auquel il était parvenu, permit imprudemment à sa femme de le visiter trop souvent, sous prétexte de recevoir ses instructions; mais, comme le témoignent les saintes Ecritures, les eaux creusent les pierres, le courant emporte les terres, et les rochers sont changés de place aussi advint-il que les fréquentes visites et les doux entretiens de sa femme amollirent son cœur, jusque là ferme et incorruptible aux plaisirs des sens, et le précipitèrent, pour ainsi dire comme une roche, du sommet de la sainteté dans la fange de la luxure. Cédant aux insinuations du démon il se laissa dévorer aux flammes de la concupiscence et reprenant commerce avec son ancienne compagne, il en eut un fils, qu'il nomma Larron, parce qu'il l'avait engendré comme par larcin. La faute était demeurée secrète; dans la crainte de faire naître les soupçons si l’évêque lui défendait sa maison, la femme continua ses visites comme auparavant. Mais la première faute si heureusement cachée aux hommes, et d'un autre coté, l'ardeur secrète de volupté nourrie dans le cœur de tous deux, firent enfin retomber l'évêque, d'abord contrit de son péché dans une seconde faute oubliant ce qui avait fait le sujet de ses larmes il commit de nouveau le crime qu'il avait déploré. Quand il apprit qu'une fille lui était née de son péché, il donna l'ordre de lui donner le nom de Vulpécule comme engendrée par la fraude d'une mère artificieuse et rusée. Le Seigneur ayant de nouveau jeté sur Gennebaud un regard semblable à celui qu'il avait autrefois jeté sur saint Pierre, il se repentit; et pénétré de componction, il supplia saint Rémi de venir à Laon. Après l'avoir reçu avec la vénération due à ses vertus, ils se retirent ensemble dans un appartement secret. Là Gennebaud éclate en gémissements; prosterné aux pieds de son saint protecteur, il s'accuse et veut se dépouiller de son étole. Saint Rémi l'interroge, et veut connaître exactement la cause d'une si grande douleur les larmes les sanglots lui coupant la voix, le coupable peut à peine parler cependant il raconte sa faute sans rien omettre. L'homme de Dieu, le voyant si profondément contrit, essaie de le consoler avec douceur; il proteste qu'il est moins affligé de ses fautes que de sa défiance de la bonté et de la miséricorde de Dieu, auquel rien n'est impossible, qui ne rejette jamais le pécheur pénitent, et qui même a donné son sang pour les pécheurs. Ainsi le sage et charitable évêque s'efforce de le relever de sa chute, lui montrant par divers exemples qu'il pourra facilement trouver grâce devant Dieu pourvu qu'il veuille offrir au Seigneur de dignes fruits de repentir. Après l'avoir ainsi ranimé par ses saintes exhortations, il lui inflige une pénitence, fait construire une petite cellule, éclairée par une petite fenêtre, avec un oratoire, qu'on voit encore près de l'église de saint Julien a Laon et y renferme l'évêque pénitent. Pendant sept ans il gouverna son diocèse, officiant alternativement un dimanche à Reims, et l'autre à Laon. La miséricorde de Dieu montra bientôt combien cette réclusion Gennebaud avait profité, à quelle rigueur de contrition et de continence il s'était condamné et combien dignes furent les fruits de sa pénitence car la septième année, la veille de la cène de Notre-Seigneur Jésus-Christ il passait la nuit dans la pénitence et la prière, pleurant amèrement sur lui-même, de ce qu'après avoir été élevé autrefois à l'honneur et autorité de réconcilier les pécheurs à Dieu il n'était pas même digne, à cause de ses fautes, de se mêler dans l'église entre les pénitents; environ sur le minuit un ange du Seigneur vint à lui avec une grande lumière, dans l'oratoire où il était prosterné en terre, et lui dit : Les prières que ton père saint Rémi a faites pour toi sont exaucées, ta pénitence a été agréable au Seigneur, et ton péché t'est remis. Lève-toi de ce lieu, va remplir ton ministère épiscopal, et réconcilie au Seigneur ceux qui font pénitence de leurs iniquités. Gennebaud frappé d'une trop grande terreur, ne pouvait répondre. Alors l'ange du Seigneur le rassure, et l'exhorte à ne pas craindre, et au contraire à se réjouir de la miséricorde de Dieu envers lui. Enfin, réconforté, il répond qu'il ne peut sortir, parce que son seigneur et père saint Rémi a emporté la clef, et scellé la porte de son cachet. Alors l'ange : Pour que tu ne doutes pas, dit-il, que j'ai été envoyé par le Seigneur, comme le ciel t'est ouvert, qu'ainsi cette porte te soit ouverte. Et aussitôt, sans briser ni cachet ni cire, la porte s'ouvrit. Gennebaud alors, se prosternant en croix sur le seuil, s'écria : Quoique le Seigneur Jésus-Christ lui-même ait daigné venir à moi, pêcheur indigne, je ne sortirai point d'ici que celui qui m'y a enfermé en son nom ne vienne m'en tirer. A cette réponse l'ange se retire. Cependant saint Rémi passait cette même nuit en prière dans le caveau situé sous l'église de Notre-Dame de Reims, et qui depuis a été consacré sous le nom du bienheureux saint Rémi lui-même par l’évêque Hérivée. Le saint homme, fatigué de veiller et comme endormi, est ravi en extase, et voit un ange à ses côtés, qui lui raconte ce qui vient de se passer, et lui ordonne d'aller en toute hâte à Laon, de rétablir Gennebaud sur son siège, et de lui persuader de remplir son ministère pastoral. Le bienheureux se lève sans hésiter, et se rend en toute hâte à Laon. Là il trouve Gennebaud prosterné sur le seuil de sa cellule, et la porte ouverte sans que le cachet ni la cire aient souffert. Alors, lui ouvrant ses bras avec des larmes de joie, et louant la miséricorde du Seigneur, il le relève, le rend à son siège et au ministère pontifical et revient à Reims plein d'allégresse. Quant à Gennebaud, soutenu par la grâce de Dieu il vécut ensuite tout le reste de sa vie dans la sainteté publiant hautement ce que le Seigneur avait fait pour lui. Aussi mourut-il dans la paix, compté au nombre des saints du Seigneur, après avoir tout le temps occupé l'épiscopat, qu'il transmit à son fils Larron, évêque comme lui, et comme lui mis aussi depuis au nombre des saints. Cependant Clovis avait établi sa demeure à Soissons. Ce prince trouvait un grand plaisir dans la compagnie et les entretiens de saint Rémi; mais comme le saint homme n'avait dans le voisinage de la ville d'autre habitation qu'un petit bien qui avait été autrefois donné à saint Nicaise, le roi offrit à saint Rémi de lui donner tout le terrain qu'il pourrait parcourir pendant que lui-même ferait sa méridienne, cédant en cela à la prière de la reine et à la demande des habitants qui se plaignaient d'être surchargés d'exactions et contributions et qui, pour cette raison, aimaient mieux payer à l'église de Reims qu'au roi. Le bienheureux saint Rémi se mit donc en chemin, et l'on voit encore aujourd'hui les traces de son passage et les limites qu'il marqua. Chemin faisant, il advint qu'il fut repoussé par un meunier qui ne voulut pas que son moulin fût renfermé dans l'enceinte de son domaine. Mon ami lui dit avec douceur l'homme de Dieu ne trouve pas mauvais que nous possédions ensemble ce moulin. Celui-ci l'ayant refusé de nouveau, aussitôt la roue du moulin se mit à tourner à rebours lors le meunier de courir après saint Rémi et de s'écrier : Viens, serviteur de Dieu et possédons ensemble ce moulin. Non, répondit le saint, il ne sera ni à toi ni à moi. Et en effet la terre se déroba aussitôt, et un tel abîme s'ouvrit à l'endroit que jamais depuis il n'a été possible d'y établir un moulin. De même encore, passant auprès d'un petit bois, ceux à qui il appartenait l'empêchant de le comprendre dans son domaine Eh bien, dit-il, que jamais feuille ne vole ni branche ne tombe de ce bois dans mon clos. Ce qui a été en effet observé, par la volonté de Dieu, tant que le bois a duré, quoiqu'il fiît tout-à-fait joignant et contigu. De là, continuant son chemin, il arriva à Chavignon qu'il voulut aussi enclore; mais les habitants l'en empêchèrent. Tantôt repoussé et tantôt revenant, mais toujours égal et paisible, il marchait toujours traçant les limites telles qu'elles existent encore à présent. A la fin, se voyant repoussé tout-à-fait, on rapporte qu'il leur dit : Travaillez toujours, et demeurez pauvres et souffrants ce qui s'accomplit encore aujourd'hui par la vertu et puissance de sa parole. Quand le roi Clovis se fut levé après sa méridienne, il donna à saint Rémi, par rescrit de son autorité royale, tout le terrain qu'il avait enclos en marchant; et, de ces biens, les meilleurs sont Luilly et Cocy, dont l'église de Reims jouit encore aujourd'hui paisiblement. Un homme très puissant, nommé Euloge, convaincu du crime de lèse-majesté contre le roi Clovis, eut un jour recours à l'assistance de saint Rémi, et par son intermission obtint grâce de la vie et de ses biens. Euloge, en récompense du service qu'il en avait reçu, offrit à son généreux patron, en toute propriété son village d'Épernay, ce que le bienheureux évêque ne voulut point accepter, rougissant de recevoir une rétribution temporelle comme en salaire de son intervention. Mais voyant Euloge couvert de confusion et décidé à se retirer du monde, parce qu'il n'y pouvait plus rester après avoir, contre l'honneur de sa maison, obtenu grâce de la vie, il lui donna un sage conseil, lui disant que, s'il voulait être parfait, il vendit tous ses biens et en distribuât l'argent aux pauvres, pour suivre Jésus-Christ; ensuite taxant le prix, et prenant dans le trésor ecclésiastique cinq mille livres d'argent, il les donna à Euloge et acquit à l'église la propriété de ses biens; laissant ainsi à tous évêques et prêtres ce bon exemple que, quand ils intercèdent pour ceux qui viennent se jeter dans le sein de l'Eglise, ou entre les bras des serviteurs de Dieu, et qu'ils leur rendent quelque service, jamais ils ne le doivent faire en vue d'une récompense temporelle, ni accepter en salaire des biens passagers; mais bien au contraire, selon le commandement du Seigneur, donner pour rien comme ils ont reçu pour rien. [1,15] CHAPITRE XV. Des victoires de Clovis obtenues par l'intercession de saint Rémi et de la mort de ce roi. LE roi Clovis ayant rassemblé son armée pour marcher contre Gondebaud et Godégisile son frère, saint Rémi lui donna sa bénédiction et lui prédit la victoire et entre autres instructions il lui ordonna de combattre les ennemis tant que le vin béni, dont il lui faisait présent, suffirait à son usage quotidien. Les Bourguignons, conduits par leurs deux rois, rencontrèrent Clovis et les Francs sur les bords de l'Ouche, près de Dijon. Après un combat opiniâtre les Bourguignons furent mis en fuite, et Gondebaud, obligé de se renfermer dans Avignon n'obtint qu'à grand peine la paix par l'entremise de son conseiller Arédius, et à force de trésors. Clovis rentra dans son royaume avec son armée, chargé d'un immense butin mais à peine avait-il eu le temps de fonder à Paris une église en l'honneur des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul et de tenir un concile à Orléans par le conseil de saint Rémi, qu'il fut obligé de marcher contre le roi Alaric arien. Avant de partir, il reçut encore la bénédiction de saint Rémi et l'assurance de la victoire. Comme la première fois, l'homme du Seigneur donna au roi un flacon rempli de vin béni et lui recommanda de continuer la guerre, tant que son flacon fournirait du vin à lui et à ceux des siens à qui il jugerait convenable d'en donner. Durant l'expédition le roi et plusieurs des siens buvaient, et cependant le vin ne s'épuisait point. A la fin il engagea le combat avec les Goths, les mit en fuite, et demeura vainqueur, par l'assistance du bienheureux saint Rémi. Dans ce combat deux Goths le frappèrent de leurs épieux dans le flanc; mais les mérites de son saint patron le protégeaient, et ils ne purent le blesser. Après avoir soumis plusieurs villes à sa domination, il poussa ses conquêtes jusqu'à Toulouse, où il s'empara de tous les trésors d'Alaric. Puis reprenant sa route par Angoulême, dont les murs tombèrent miraculeusement devant lui, et où il fit massacrer tous les Goths qui s'y étaient enfermés il rentra glorieusement en France, et le vin ne tarit en son flacon qu'après son retour dans le royaume. Enfin d'après le conseil de saint Rémi, le roi Clovis envoya en offrande au bienheureux apôtre saint Pierre une couronne royale toute d'or, et enrichie de pierres précieuses. A peu près dans le même temps il reçut de l'empereur Anastase un codicille qui lui conférait le consulat, en vertu duquel il prit la couronne d'or, la tunique et le manteau de pourpre, et depuis porta le titre de consul. De son côté Hormisdas, pape de Rome, établit saint Rémi son vicaire au royaume de Clovis, et lui en expédia les lettres. Sur ces entrefaites le roi Clovis mourut en paix à Paris, et fut enseveli dans la basilique de saint Pierre, qu'il avait lui-même fait bâtir. Au moment même où il trépassait, saint Rémi, qui était alors à Reims, en eut la révélation par le Saint-Esprit, et annonça cette nouvelle à ceux qui l'entouraient. [1,16] CHAPITRE XVI. Du concile où saint Rémi convertit un hérétique. LES évêques de Gaule se réunissant en concile pour les affaires de la foi, y appelèrent saint Rémi, comme doué d'une éloquence divine, et très instruit dans les lettres et matières ecclésiastiques. Or, en cette assemblée se trouvait un évêque arien grand et hardi disputeur, plein de confiance aux subtilités et arguties de la dialectique, et pour ce, enorgueilli et hautain. Quand saint Rémi entra dans le concile, tous ses frères se levèrent pour lui faire honneur; l'orgueilleux hérétique dédaigna seul de se lever. Mais au moment où le saint évêque passa devant lui, sa langue fut soudain enchaînée, et il perdit la voix. Tous s'attendaient qu'après l'allocution de saint Rémi, il prendrait la parole pour lui répondre mais il ne put proférer un seul mot, et allant se jeter humblement au pied du saint personnage, il lui demanda grâce par signes. Lors saint Rémi : Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, vrai fils du Dieu vivant, si tu as ainsi foi en lui, parle, et crois et confesse de lui ce que l'Église catholique croit et confesse. A sa voix l'hérétique, auparavant superbe, devenu humble et catholique, confessa catholiquement la foi orthodoxe sur la sainte et indivisible Trinité et sur l'incarnation de Jésus-Christ et promit avec serment de demeurer fidèle dans la foi de sa confession. Ainsi, par la vertu de la grâce, le vénérable prélat rendit la santé de l’âme et du corps à celui qui avait perdu son âme par l'infidélité, et qui avait mérité de souffrir en son corps et de perdre la parole à cause de son orgueil ; instruisant ainsi d'une manière éclatante tous les prêtres qui étaient présents et ceux qui apprendraient ce miracle, et leur enseignant, par sa conduite envers cet hérétique mal pensant de Jésus-Christ (qui a daigné descendre jusqu'à nous, et se faire notre frère par l'humanité), comment ils doivent traiter les pécheurs rebelles à Dieu et à l'Église, et comment aussi les pécheurs convertis et revenus à pénitence. [1,17] CHAPITRE XVII. De l'extinction du feu, de la mort et sépulture de saint Rémi. CEPENDANT saint Rémi s'en allait sur le déclin de l'âge. Le Saint-Esprit lui ayant révélé sur ses vieux jours qu'une grande famine devait suivre l'abondance qui régnait alors, il fit faire, avec le grain des villages du diocèse des meules et monceaux de blé, pour soulager le peuple quand il souffrirait de la disette. Beaucoup de ces meules avaient été élevées dans le village de Cernay, or les habitants de ce village étaient rebelles et séditieux. Un jour qu'ils étaient ivres, ils commencèrent à dire entre eux : Que veut donc faire de tout ce blé ce vieux jubilaire? (c'est ainsi qu'ils appelaient saint Rémi, à cause de son grand âge) voudrait-il pas en faire une ville? et ils disaient cela parce que les meules étaient rangées autour du village comme les tourelles le long des murs d'une ville. Enfin poussés du démon et s'excitant les uns les autres, ils y mirent le feu; ce qu'ayant appris, le saint évêque, qui se trouvait alors dans un village voisin nommé Bazancourt monta aussitôt à cheval et accourut en toute hâte à Cernay pour réprimer et punir une telle audace. Arrivé la et trouvant le blé qui brûlait, il se mit à se chauffer devant le feu, disant : Le feu est toujours bon s'il n'excède et n'est par trop puissant. Cependant, que tous ceux qui l'ont allumé et que la race qui naîtra d'eux soient punis, les hommes frappés d'hernies et les femmes d'enflure à la gorge. Ce qui a été accompli en effet jusqu'au temps de Charlemagne qui extermina du village de Cernay toute cette race maudite, parce qu'ils avaient tué le vidame de l'église de Reims, faisant mettre à mort les auteurs du crime dispersant les autres qui avaient été coupables d'assentiment dans les diverses provinces les condamnant à un exil éternel, et repeuplant Cernay avec des habitants pris dans les autres villages du diocèse. Ainsi toute cette race, hommes et femmes, fut punie, selon la sentence portée par le saint évêque et c'est avec raison que l'homme de Dieu frappa de sa vengeance non seulement les coupables, mais encore leur postérité, parce qu'il prévoyait que cette postérité serait rebelle et séditieuse. Après ces diverses merveilles, et beaucoup d'autres encore que le Seigneur daigna opérer par le ministère de son fidèle serviteur, il exauça enfin ses soupirs et ses gémissements, en lesquels il ne cessait de s'écrier Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de mon Dieu? je serai rassasié quand il me manifestera sa gloire. Le Seigneur donc, par une pieuse consolation, lui révéla que le jour de sa mort approchait. Plein de confiance en cette révélation il dressa son testament, se hâtant d'aller jouir de l'héritage dont le prophète dit : Lorsque le Seigneur aura accordé le repos comme un sommeil à ses bien-aimés, ils jouiront de l'héritage du Seigneur Ainsi le saint homme, abandonnant l'héritage terrestre, reçut en place l'héritage céleste et éternel. Après qu'il eut fait son testament et réglé toutes ses affaires, comme le bon vigneron émonde tout cep de bonne vigne qui porte fruit afin de lui en faire porter davantage, ainsi Dieu le priva pour un temps des yeux du corps afin qu'il pût contempler plus attentivement des yeux de l'esprit les choses d'en haut, vers lesquelles il aspirait de toute la force de ses désirs. Pendant le temps de son épreuve il ne cessait de rendre grâces au Seigneur, célébrant jour et nuit ses louanges, chantant des hymnes, et rappelant fidèlement en sa mémoire que ceux qui reçoivent les afflictions avec patience et humilité sont ensuite élevés et admis au repos éternel. Aussi le Seigneur se plut-il à lui donner un signe avant-coureur de la gloire céleste, et pour garant il lui rendit la vue avant de mourir ce dont il bénit le nom du Seigneur, comme il avait fait auparavant, quand il l'avait perdue. Peu de temps après, sachant que le jour de son trépas était venu, il voulut dire adieu et donner sa paix à ses enfants, en célébrant la messe, et les faisant participer avec lui à la sainte communion. Et ainsi, après soixante quatorze ans religieusement passés dans l'épiscopat en fidèle et prudent serviteur de Dieu le 13 janvier, dans la quatre-vingt-seizième année de sa vie, après avoir fourni toute la lice sainte et sans cesse gardé la foi chargé de bonnes œuvres et son âme riche des âmes qu'il avait sauvées il mourut et son âme remontant dans les cieux, depuis si longtemps objet de ses désirs, il laissa son corps à la terre. Il reçut la robe blanche, c'est-à dire l'éternelle béatitude de l'âme en attendant le jour de la résurrection où il jouira de l'immortalité bienheureuse de son corps ressuscité à la gloire et aura part et société avec les principaux membres de Jésus-Christ au royaume céleste, comme le témoignent la grâce apostolique qui lui a été conférée, la conversion des Francs à la foi de Jésus-Christ opérée par ses mérites, la palme du martyre, la longanimité de sa patience pendant sa longue vie, la gloire de sa confession en Notre-Seigneur, ses prédications de la foi orthodoxe enfin la manifestation des œuvres miraculeuses qu'il a faites tant en sa vie qu'après sa mort. Pendant qu'on portait son corps à la sépulture qui lui avait été préparée dans l'église des martyrs Timothée et Apollinaire, il arriva que tout-à-coup, au milieu du chemin la bière devint si pesante que malgré tous les efforts on ne put parvenir à la soulever. Le peuple, frappé d'étonnement, supplie le Seigneur de daigner faire connaître en quel lieu il veut qu'on dépose le corps de son saint cependant ils nomment l'église des martyrs et essaient de nouveau de soulever la bière elle résiste. On propose l'église de saint Nicaise, et la bière demeure, l'église de saint Sixte et saint Sinice, et elle est toujours immobile. Enfin, ne sachant que résoudre ils avisent qu'il reste une petite église consacrée à saint Christophe, martyr, où ne reposent aucunes reliques saintes, du moins manifestées telles, quoique le cimetière de Reims eût été autrefois situé autour du parvis de cette église et ils supplient le Seigneur de déclarer s'il veut que les maints et précieux restes y soient déposés. Aussitôt la bière est levée avec facilité et devient si légère qu'il semble qu'on ne porte rien. Ainsi, par cette disposition de la volonté divine, le corps du saint évêque fut enseveli dans cette église, à l'endroit où est aujourd'hui l'autel de sainte Geneviève. Depuis de nombreux miracles ont été opérés à l'endroit où la bière s'arrêta et devint pesante. On y voit encore aujourd'hui une croix, plantée en mémoire du miracle et portant l'inscription suivante : Quand le grand évêque saint Rémi passa de ce monde à la patrie céleste, tout un peuple fidèle transporta dignement son corps jusqu'ici voulant lui donner sépulture dans l'église de saint Timothée, martyr mais il s'arrêta en ce lieu, et n'en put être enlevé que lorsque le Seigneur eut révélé lui-même l'endroit où on devait le déposer. Maintenant, par la grâce de Jésus-Christ, il fait ici de grands miracles envers ceux qui sont dévots et fidèles au Seigneur, rendant la vue aux aveugles, redressant les boiteux et guérissant les malades. Prions donc le Seigneur avec instance et dévotion, afin que, par sa pieuse intercession, nous méritions d'obtenir le pardon de nos péchés et les joies du paradis. O bienheureux saint Rémi, précieux confesseur de Jésus-Christ ayez aussi pitié d'Adelhold, votre serviteur. [1,18] CHAPITRE XVIII. Testament de saint Rémi. Au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit gloire à Dieu ainsi soit-il. Moi, Rémi, évêque de la cité de Reims, revêtu du sacerdoce, j'ai fait mon testament conformément au droit prétorien, et j'ai voulu qu'il eût la force de codicille dans le cas où il paraîtrait y manquer quelque formalité. Quand donc moi, Rémi, évêque, aurai passé de ce monde en l'autre, sois mon héritière, sainte et vénérable église de Reims, et toi, fils de mou frère, Loup, évêque, que j'ai toujours aimé de prédilection, et toi aussi, mon neveu, Agricola, prêtre, qui m'as plu dès ton enfance par ton obéissance et par tes soins, partagez entre vous trois tous les biens que j'aurai acquis avant ma mort, outre ce que j'aurai donné, légué, ou ordonné de donner à chacun de vous. A toi, ma sainte héritière, vénérable église de Reims, je laisse tous les colons que j'ai au territoire de Portian, tant ceux que j'ai hérités de mon père ou de ma mère que ceux que j'ai échangés avec mon frère, de bienheureuse mémoire, Principe, évêque, ou qui me sont venus de donation, savoir parmi les hommes, Dagarède, Profuturus, Prudence, Temnaieh, Maurilion Baudoleiphe, Provinciole; parmi les femmes, Naviatène, Laute et Suffronie; de plus Amorin, serf; et que tous ceux que je laisse sans en disposer par le présent testament deviennent aussi ta propriété. Ainsi il en sera des terres et villages que je possède aux territoires de Portian, Tuin, Balatonium, Plerinacum, Vacculiacum, et généralement de tout ce que je possède en ce pays, à quelque titre que ce soit, champs, prés, pâturages, forêts pareillement, ma très sainte héritière, tout ce qui t'a été donné par mes parents et amis, en quelque lieu ou pays que ce soit, et dont j'aurai disposé en faveur des hôpitaux, couvents, oratoires de martyrs, maisons de diacres, hospices, généralement de tous établissements soumis à ta juridiction, sera maintenu comme j'en aurai disposé; et mes successeurs à l'évêché de Reims respectant en moi l'ordre de succession, comme je l'ai respecté dans mes prédécesseurs barderont et observeront mes dispositions, sans altération ni changement aucun. Le village de Cernay, que ma cousine Celse t'a donné par mes mains, ainsi que Huldriacum, présent du comte Huldric serviront à l'entretien et à la couverture du lieu que mes saints frères et coévêques du diocèse auront choisi pour ma sépulture soit aussi ce lieu la propriété particulière des évêques et soit affecté à l'entretien des clercs qui y serviront le Seigneur, le bourg de… au territoire de Portian, de mon patrimoine, ainsi que les fermes du domaine de l'évêché au pays de Reims. Le domaine de Blandibaccius que j'ai acheté de mes cohéritiers Benoit et Hilaire, et payé des deniers du trésor de l'église, et celui d’Albiniacus, qui fait partie du domaine de l'évêché, fourniront en commun à l'entretien des clercs de l'église de Reims. Bernas, du domaine de l'évêché, qui était autrefois la propriété particulière de mes prédécesseurs, deux domaines qui m'ont été donnés en témoignage d'affection par le roi Clovis que j'ai tenu sur les saints fonts de baptême, et qui s'appellent en sa langue Bischoffsheim, Cosle et Gleni, ainsi que les bois, prés et pâturages que j'ai fait acheter par divers agents dans les Vosges ou aux environs, en deçà ou au-delà du Rhin, fourniront chaque année aux clercs de Reims, et à toutes les maisons Régulières établies par moi et mes prédécesseurs, ou qui seront établis dans la suite par mes successeurs, la provision de poix nécessaire pour la préparation et entretien des tonneaux à vin. Crusciniacum, La Fère, et tous les villages que le roi très chrétien Clovis donna à la très sainte vierge de Jésus-Christ Geneviève, pour fournir aux frais des voyages qu'elle avait coutume de faire pour visiter l'église de Reims, et qu'ensuite elle a légués aux clercs qui y servent le Seigneur, resteront affectés au même emploi, et je confirme sa donation; avec cette condition que Crusciniacum fournira aux obsèques de mon premier successeur, et à la réparation de la couverture de l'église principale, et que La Fère demeurera à l'évêque mon premier successeur, et sera à perpétuité affecté à l'entretien de l'église où reposera mon corps. Le village d'Épernay, que j'ai acheté d'Euloge cinq mille livres d'argent, est ta propriété, ma très sainte héritière, et mes autres héritiers n'y ont aucun droit,, car c'est avec ton argent que j'ai payé et c'est aussi en ton nom que j'ai obtenu grâce pour Euloge, accusé de lèse-majesté et réduit à l'impossibilité de se disculper, et que j'ai empêché qu'il ne fût mis à mort et ses biens vendus. En conséquence je te lègue Épernay à perpétuité, en dédommagement des sommes tirées de ton trésor, et pour le traitement de ton évêque. Je te confirme aussi à perpétuité la propriété de Douzy ainsi que l'a voulu Chlodoald, ce jeune prince d'un si noble caractère. Enfin, ma sainte héritière, tous les villages qui m'ont été donnés en propre par le roi Clovis, de glorieuse mémoire, quand il était encore païen et ignorait le vrai Dieu, avant que je l'eusse tenu sur les fonts de baptême, je les ai donnés depuis longtemps aux lieux les plus pauvres, afin que ce prince, encore infidèle, ne pût croire que j'étais avide des richesses de la terre, et que je cherchais moins le salut de son âme que les biens extérieurs dont il pouvait me combler. C'est pourquoi ce prince, admirant ma conduite me permit d'intercéder auprès de lui pour tous ceux qui étaient dans la nécessité et, soit avant, soit après sa conversion, a toujours été bienveillant et libéral envers moi. Connaissant que de tous les évêques des Gaules j'étais celui qui travaillait le plus à la conversion et à l'instruction des Francs, le Seigneur m'a comblé de tant de grâces devant ce roi, et la main de Dieu s'est plue à opérer, par le Saint-Esprit et par mon ministère à moi pauvre pécheur, tant de miracles pour le salut de sa nation, que ce prince non seulement rendit à toutes les églises du royaume des Francs ce qu'elles avaient perdu, mais encore en enrichit un grand nombre de ses propres dons et de sa pure libéralité et je ne voulus pas réunir au domaine de l'église de Reims un pied de terre de son royaume, que je n'eusse auparavant obtenu pleine restitution pour toutes les églises. J'ai fait de même aussi après son baptême; et je n'ai cédé que pour Cocy et Luilly, parce que le saint et jeune Chlodoald mon cher et intime ami, et les malheureux de ces villages accablés de charges de toute espèce, me supplièrent de demander qu'il leur fût permis de payer désormais à mon église ce qu'ils devaient au roi et ce prince très pieux accueillit ma demande avec bonté, et me l'accorda de grand cœur. Suivant donc la volonté du pieux donateur, ma très sainte héritière j'ai confirmé par mon autorité épiscopale cette cession, et en consacre le produit à tes besoins. De même j'affecte à l'entretien de tes luminaires et de ceux du lieu où je serai enterre tous les biens que le roi Très-Chrétien m'a donnés en Septimanie et en Aquitaine, tous ceux qui m'ont été donnés en Provence par un certain Benoît, dont la fille me fut envoyée par Alaric, et fut, par la grâce du Saint-Esprit et par l'imposition de mes mains, à moi pauvre pécheur, non seulement délivrée des liens du démon, mais encore rappelée des enfers enfin tous les domaines situés en Austrasie et en Thuringe. Je laisse à l'évêque qui me succédera une chasuble blanche pour la fête de Pâques, deux tuniques peintes, trois tapis qui servent les jours de fête à fermer les portes de la salle de festin, du cellier et de la cuisine à toi, ma sainte héritière, et à l'église de Laon un vase d'argent de trente livres et un autre de dix livres que vous partagerez pour faire des patènes et des calices pour le service divin, ainsi que je l'entends. Je te réservé aussi le vase d'or de dix livres que j'ai reçu de ce roi tant de fois nommé, Clovis, de glorieuse mémoire, que j'ai tenu sur les saints fonts ainsi que je l'ai déjà dit; je veux qu'il serve à te faire un ciboire et un calice ciselés, sur lesquels sera gravée l'inscription que j'ai dictée moi-même et fait graver sur un calice d'argent de Laon, ce que je ferai moi-même si Dieu me prête vie; et si je viens à mourir, je m'en remets au fils de mon frère, Loup, évêque, qui, fidèle à mes volonté fera faire ces deux vases sacrés ainsi que je l'ordonne. Je donne à mes confrères dans le sacerdoce, et diacres de Reims, vingt-cinq sous d'or à partager également entre tous; plus un plant de vigne situé au-dessus de ma vigne dans le faubourg, qu'ils posséderont en commun, ainsi que le vigneron Mélanius, que je donne à la place d'Albovich, serf de l'église, afin que ledit Albovich jouisse d'une pleine et entière liberté; aux sous-diacres, douze sous d'or; aux lecteurs, gardes des saintes hosties et jeunes servants, huit sous d'or; aux douze pauvres de l'hôpital qui demandent l'aumône à la porte de l'église, deux sous d'or, outre les revenus du domaine de Courcelles, que je leur ai assignés depuis longtemps ; aux trois autres pauvres qui doivent laver chaque jour les pieds à nos frères et auxquels j'ai affecté pour ce ministère le bâtiment dit l'Hospice, un sou d'or; aux quarante veuves qui demandent l'aumône sous le portique de l'église, et auxquelles il était accordé une rétribution prise sur les dîmes de Chermizy, Tessy et Villeneuve, je donne de surplus à perpétuité sur le domaine de Huldriacum, ci-dessus dénommé, trois sous et quatre denier s à l'église de Saint-Victor, auprès de la porte de Soissons, deux sous; à l'église de Saint-Martin, de la porte Collatitia deux sous à l'église de Saint-Hilaire, à la porte de Mars, deux sous; à l'église de Saint-Crépin et Saint-Crépinien à la porte de Trèves, deux sous; à l'église de Saint-Pierre, en la Cité, que l'on nomme la Cour du Seigneur, deux sous; à l'église que j'ai fait bâtir en l'honneur de tous les martyrs sur le caveau de Reims lorsque, avec le secours de Dieu, j'arrachai aux flammes du démon la ville déjà presque toute réduite en cendres, deux sous; à l'église que j'ai fait bâtir dans la Cité, en mémoire du même miracle, à l'honneur de saint Martin et de tous les saints confesseurs, deux sous; au diaconat de la Cité, dit des Apôtres, deux sous; à la cure de Saint-Maurice, rue de César, deux sous; à l'église fondée par Jovin, sous l'invocation de saint Agricola et en laquelle reposent le très chrétien Jovin, et le saint martyr Nicaise avec plusieurs de ses compagnons de martyre, et aussi cinq confesseurs, les premiers successeurs de saint Nicaise avec sainte Eutrope, vierge et martyre, trois sous d'or; de plus, à la même église, tout ce qui appartenait à Jovin, territoire de Soissons, avec l'église de Saint-Michel; à l'église des saints martyrs Timothée et Apollinaire en laquelle, avec la grâce de Dieu, et s'il plaît à mes frères et mes enfants les évêques de la province, je désire laisser quatre sous d'or; à l'église de Saint-Jean, où, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ressuscita, à ma prière, la fille de Benoît, deux sous à l'église de Saint-Sixte, où ce pieux évêque repose avec trois de ses successeurs, trois sous; en outre, de mes domaines particuliers, Plebeia sur Marne; à l'église de Saint-Martin, située sur le territoire de l'église de Reims, deux sous; à l'église de Saint-Christophore, deux sous; à l'église de Saint-Germain, que j'ai moi-même fait bâtir au territoire de Reims, deux sous à l'église des saints martyrs Cosme et, Damien située sur le territoire de notre mère l'église de Reims, deux sous à l'hospice de la Sainte-Vierge, dit Xenodochion, où douze pauvres reçoivent l'aumône, un sou ; enfin j'entends que cet hôpital soit attaché à perpétuité au lieu où mes frères et mes enfants jugeront à propos de déposer mes restes; et pour qu'on y prie nuit et jour pour la rémission de mes péchés, j'ajoute de surplus sur mes biens, à ce que mes prédécesseurs ont fixé pour l'entretien de ces pauvres, les domaines de Sciadrone et de Saint-Étienne, et tout ce qui m'est échu par succession au domaine d'Hérimond. Tout ce que j'ai acheté en ce lieu, je l'ai depuis longtemps donné à l'église de Saint-Quentin martyr, et je ratifie la donation. Je donne la liberté aux serfs suivants du village de Vacculiacum, ci-dessus dénommé savoir, à Fruminius, Dagaleiphe, Dagarède, Duction Baudowic, Udulphe et Vinofeiphe ; que Temnarède, qui est né d'une mère ingénue, jouisse de l'état de pleine liberté. Quant à toi, le fils de mon frère, Loup, évêque, tu auras en partage Nifaste et sa mère Nucia la vigne que cultive le vigneron Ænéas : tu donneras la liberté à Ænéas et à son plus jeune fils Monulphe. Mellotique le porcher, et sa femme Paschasis., Vernivian et ses fils, excepté Widragaise, auxquels j'ai donné la liberté dépendront de toi et te serviront. Je te donne mon serf de Cernay partie des terres qui ont appartenu à mon frère Principe évêque, avec leurs bois prés et pâturages mon serf Viterède, qui a appartenu à Mellowic. Je te lègue et transmets Teneursole Capalin et sa femme Théodorosène. Je donne la liberté à Théodonime. Edoneiphe, qui s'est unie à un de tes serfs t'appartiendra, ainsi que les enfants qui naîtront d'elle. Je donne la liberté à la femme d'Arégilde et à ses enfants. Je te laisse ma part de la prairie que je possède conjointement avec notre famille, à Laon, au pied des collines, ainsi que les petits prés Joviens qui m'ont appartenu et aussi Labrinacum où j'ai déposé les restes de ma mère. A toi mon neveu Agricola, prêtre, qui as été élevé dès ta plus tendre enfance dans ma maison, je lègue le serf Merumvast, sa femme Meratène, et leur fils Marcovic. Je donne la liberté à son frère Medovic, mais je te laisse sa femme Amantie. Je donne la liberté à leur fille Dasounde. Je te lègue le serf Alaric mais je te charge de défendre et de protéger la liberté de sa femme, que j'ai rachetée et affranchie. Bebrimode et sa femme Morta t'appartiendront, mais leur fils Monachaire jouira du bienfait de la liberté. Je te donne Mellaric et sa femme Placidie, mais j'affranchis leur fils Medarid, la vigne que Mellaric a plantée à Laon, mes serfs Britobaude et Giberic; la vigne que Bebrimode cultive, à condition que les fêtes et dimanches il soit célébré une messe en mon nom et qu'un repas annuel soit donné aux prêtres et aux diacres de l'église de Reims. Je laisse à mon neveu Prétextat Modérat Totticion, Marcovic et le serf Innocent qui m'est venu de Profuturus, mon serf de naissance quatre cuillères de famille, un vinaigrier, un manteau qui m'a été donné par le tribun Friarède, un bâton épiscopal d'argent à figures; à son jeune fils Parovius, un vinaigrier, trois cuillères, et une chasuble dont j'ai changé les franges; à Rémigie, trois cuillères qui portent mon nom, l'essuie-main dont je me sers les jours de fête, et l’hichinaculum dont j'ai parlé à Gondebaud. Je donne à ma fille bien-aimée Hilarie, diaconesse, la servante Noca, le plant de vigne qui touche à sa vigne et qui est cultivé par Catusion et ma part de Talpoucy, en reconnaissance des soins qu'elle ne cesse de me rendre. Je donne à mon neveu Aétius la partielle Cernay qui m'est échue en partage, avec tous mes droits et prérogatives, ainsi que l'esclave Ambroise. Je donne la liberté au colon Vital et lègue sa famille à mon neveu Agathimère, à qui je laisse en outre la vigne que j'ai plantée à Wendisch et élevée à force de soins, à condition que les fêtes et dimanches il fera dire une messe à mon intention, et donnera chaque année un repas aux prêtres et diacres de Laon. Je donne à l'église de Laon deux des domaines qui m'ont été donnés par le roi Clovis, de sainte mémoire; Anisy, et dix-huit sous d'or à partager également entre les prêtres et diacres de plus ma part entière du domaine de Secium et celui de Lauscita qui m'a été donné pour pourvoir aux besoins des pauvres de Jésus-Christ, par ma très chère fille et sœur sainte Geneviève, que je regarde comme une des plus saintes vierges du Seigneur. Je recommande à la fidélité du fils de mon frère Loup, évêque, les serfs ci-dessus dénommés de différents villages, que ma volonté est d'affranchir. Catusion et sa femme Auliatène Nonnion y qui cultive ma vigne; Sonnoveife, que j'ai rachetée de captivité, et qui est née de bonne famille, son fils Leutiberède, Mellaride Mellatène Vasante Cocus Caesarie Dagarasène, Baudorosène petite-fille de Léon Marcoleife, fils de Totnon que tous ces serfs soient libres, et c'est à toi, Loup de protéger leur liberté de toute ton autorité épiscopale. Je donne à mon héritière, l'église de Reims, Flavian et sa femme Sparagilde mais je donne la liberté à leur petite fille Flavarasène. Je laisse aux prêtres et aux diacres de Reims Fédamie, femme de Mélanus, et leur petite fille. Je donne la liberté au colon Crispiciole, et je le lègue à mon neveu Aëtius; de plus, à mes deux neveux Aétius et Agathimère, mes colons de Passy. A ma petite nièce Praetextate, je donne Moilorosène; à Profuturus, l'esclave Leudochaire à Profutura, Leudonère. Je lègue aux sous-diacres de Laon, lecteurs, gardes des hosties et jeunes servants, quatre sous d'or aux pauvres de l'hôpital un sou pour leur entretien à l'église de Soissons, pour qu'elle fasse commémoration de moi Salvonaire sur Meuse et dix sous d'or, car j'ai laisse Sablonnières sur Marne à mes héritiers, à l'église de Châlons, Gellones sur Marne, que je tiens de la bienfaisance de mon fils bien-aimé Clovis, et dix sous d'or à l'église de saint Memme, Fascinaria, don du même pieux roi, et cinq sous; à l'église de Vouzi le champ situé auprès du moulin établi en ce lieu à l'église de Caturiges quatre sous, et autant à celle de Portian, en commémoration de mon nom. A l'église d'Arras dont j'ai consacré évêque mon frère Vaast, et à laquelle j'ai déjà donné pour l'entretien de ses clercs les deux villages d’Orcos et de Sabucetum, je lui donne en outre, pour qu'elle fasse mémoire de moi, vingt sous d'or. Ayant eu à me louer beaucoup des soins obséquieux de l'archidiacre Ours, je lui lègue la chasuble fine que je portais à la maison; une autre plus forte, deux saies fines, le tapis dont je me sers sur mon lit, et la meilleure tunique que je laisserai en mourant. Mes héritiers, Loup, évêque, et Agricola, prêtre, se partageront également mes porcs. Friarède, que j'ai racheté de la mort en payant pour lui quatorze sous d'or en gardera deux dont je lui fais remise, et donnera les douze autres pour rétablir la voûte de l'église des saints martyrs Timothée et Apollinaire. Ainsi je donne, ainsi je lègue, ainsi j'ai fait mon testament que tous ceux qui n'y sont point nommés n'aient aucun droit à mon héritage. Et pour que le présent testament soit dès maintenant et à l'avenir à l'abri de toute ruse ou mauvaise fraude, je déclare que, s'il s'y rencontre quelque rature ou mot effacé, cela a été fait, moi présent, quand je l'ai relu et corrigé. Ne pourront deux autres testaments que j'ai faits, l'un il y a treize ans, l'autre il y a sept ans contrevenir, dérogera celui-ci, ni prévaloir en rien contre, parce que tout ce qui était contenu dans ces deux premiers a été, en présence de mes frères, inséré dans ce dernier, tout ce qui y manquait a été suppléé; et enfin j'y dispose de tout ce que le Seigneur a daigné m'accorder depuis. Soit donc le présent testament a jamais gardé inviolable et intact par nos successeurs les évêques de Reims. Plaise aux rois des Francs, nos très chers fils, lesquels nous avons consacrés au Seigneur par le baptême, avec la coopération de notre sauveur Jésus-Christ et la grâce Saint-Esprit, maintenir et défendre le présent envers et contre tous, dans toutes ses dispositions, afin qu'il obtienne pleine et entière exécution. Si quelqu'un de l'ordre ecclésiastique, depuis le prêtre jusqu'au simple tonsuré, ose contrevenir et déroger à mon testament, et si, rappelé à son devoir par mon successeur, il refuse d'obéir, que l'on convoque trois évêques des lieux les plus voisins du diocèse de Reims, et qu'il soit dégradé de son rang. Si (ce que je suis loin de craindre, et ce qui, je l'espère et souhaite de tout mon cœur, n'arrivera jamais) quelque évêque mon successeur, se laissant entraîner à une exécrable cupidité osait, contrairement à ce qui a été réglé et ordonné par moi, avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en l'honneur de Dieu et pour le soulagement de ses pauvres, distraire changer ou détourner quelque chose, ou sous quelque prétexte que ce soit, donner à des laïcs, à titre de bienfait, ou enfin favoriser ou légitimer de son consentement un don fait aux dépens de l'église, que l'on convoque tous les évêques, prêtres et diacres du diocèse de Reims et le plus grand nombre possible de bons chrétiens parmi mes très chers fils les Francs; qu'en présence de tous le coupable soit puni de sa faute par la privation de son évêché, et que de sa vie il ne puisse être réintégré. Quiconque parmi les laïcs se permettra, au mépris de nos dispositions et pour son profit particulier, de détourner ou usurper, sous quelque prétexte que ce soit, les biens et possessions par nous attribués aux pauvres de l'église qu'il soit anathème et séparé de l'Église catholique, et soient frappés tous ensemble de la même condamnation perpétuelle, l'aliénateur, le demandeur, le donateur, l'accepteur et l'usurpateur, jusqu'à ce qu'enfin, le Seigneur prenant pitié d'eux, ils puissent, après une digne et entière satisfaction, obtenir indulgence et absolution. Mais si le coupable préfère, au lieu d'une donation et restitution quelconque, persévérer en son mal et ne veut entendre à restituer, que toute espérance de restitution présente et avenir lui soit à jamais enlevée par l'autorité de notre successeur l’évêque de Reims. Par exception néanmoins, en faveur de la royale famille que, pour l'honneur de l'Église et la défense des pauvres, de concert avec mes frères et coévêques de Germanie, des Gaules et de Neustrie, j'ai élevée et constituée au rang suprême de la majesté royale, baptisée et tenue sur les saints fonts, marquée des sept dons du Saint-Esprit, et par l'onction du saint chrême sacré son chef roi, il nous plaît faire cette réserve : Que si jamais quelqu'un de cette royale famille, tant de fois consacrée au Seigneur par mes bénédictions, rendant le mal pour le bien, venait à envahir, détruire, piller, opprimer ou vexer les églises de Dieu, que les évêques de l'église de Reims se rassemblent, et que le prince coupable soit admonesté une première fois; s'il persiste, que l'église de Reims se rassemble de nouveau, en appelant à elle sa sœur, l'église de Trêves, et qu'un second avertissement soit donné au rebelle; s'il n'en tient compte, que trois ou quatre archevêques des Gaules seulement se rassemblent, et l'admonestent une troisième fois; enfin, s'il s'obstine à ne pas satisfaire, que, par longanimité et patience d'affection paternelle on diffère jusqu'au septième avertissement. Mais alors si, insensible à toutes les bénédictions et indulgences de l'Église, il ne dépose enfin cet esprit d'obstination incorrigible; si, refusant toujours de se soumettre a Dieu, il s'opiniâtre à ne point participer aux bénédictions de l'Église, que l'arrêt d'excommunication et séparation du corps de Jésus-Christ soit lancé contre lui; que tous portent contre lui cette sentence terrible que le même Esprit saint qui anime et inspire l'épiscopat dicta autrefois au roi prophète : Parce qu'il a poursuivi l'homme qui était pauvre et dans l'indigence et dont le cœur était percé de douleur, ayant aimé la malédiction, elle tombera sur lui, et qu'ayant rejeté la bénédiction, elle sera éloignée de lui ; Que dans chaque église on prononce contre lui toutes les malédictions que l'Église prononce contre la personne du traître Judas et des évêques indignes; car le Seigneur a dit : Tout ce que vous avez fait à l'égard de l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait, et autant de fois que vous avez manqué de rendre ces assistances à l'un de ces plus petits, vous avez manqué à me les rendre à moi-même et il n'y a pas à douter que ce qui est dit du chef doit aussi être entendu des membres; enfin qu'un mot seulement soit changé par interposition à ce passage du Psalmiste ; Que ses jours soient abrégés, et qu'un autre reçoive son royaume. Si nos successeurs les archevêques de Reims pouvaient jamais négliger d'agir ainsi qu'il a été ordonné par nous, que les malédictions portées contre les princes retombent sur eux, que leurs jours soient abrégés, et qu'un autre reçoive leur épiscopat. Mais si Notre-Seigneur Jésus-Christ daigne écouter la voix de ma prière et les vœux que chaque jour je ne cesse de former pour cette royale famille de France devant le trône de la majesté divine, que, fidèle aux enseignements qu'elle a reçus de moi, elle persévère, ainsi qu'elle a commencé, dans la sage administration du royaume dans la protection et défense de la sainte Église de Dieu qu'aux bénédictions que l'Esprit saint a répandues par mes mains pécheresses sur la tête de son chef s'ajoutent des bénédictions plus grandes encore versées par le même Esprit saint sur une tête plus illustre; et que de son sang sortent des rois et des empereurs qui dans le présent et dans l'avenir, soutenus par la grâce du Seigneur et forts par elle en jugement et en justice, puissent gouverner le royaume selon les volontés de Dieu et, pour l'accroissement de son Église, chaque jour étendre les limites de l'empire, et enfin mériter d'être admis dans la maison de David c'est-à-dire dans la Jérusalem céleste, pour y régner éternellement avec le Seigneur. Ainsi soit-il Fait à Reims, même jour et sous même consul que dessus, présents les soussignés. Moi, Rémi, évêque, ai relu signé, souscrit et achevé, Dieu aidant, le présent testament. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Vaast, évêque: ceux qu'a maudits mon père Rémi, je les maudis; ceux qu'il a bénis, je les bénis ai assisté et ai signé. Gennebaud évêque ceux qu'a maudits mon père Rémi, etc. Médard, évêque, etc. Loup évêque, etc. Benoît, évêque, etc. Euloge, évêque, etc Agricola, prêtre, etc….. Théodon prêtre, etc….. Celsin prêtre, etc…v. c. Pappole, ai assisté et ai signé v. c.; Eulode etc. v. c.; Eusèbe, v. c. Rusticole, v. c. Eutrope, v. c. Dave, ai assisté et ai signé. Mon testament clos et scellé, il m'est venu a l'esprit de léguer à la basilique des saints martyrs Timothée et Appollinaire un missoire d'argent de six livres pour en faire la châsse où seront déposés mes os. [1,19] CHAPITRE XIX. De la guérison de la peste et autres guérisons miraculeuses opérées par saint Rémi. Après la mort de ce bienheureux prélat, Grégoire de Tours raconte que, lorsque la peste ravageait la première Germanie, et que la renommée portait partout la terreur de ce fléau, le peuple de Reims accourut en foule au sépulcre du saint, demandant un remède efficace pour prévenir la maladie; et là, au milieu de mille cierges et lampes allumés, il passa toute la nuit à chanter des hymnes et des psaumes. Quand le matin est venu, ils recherchent avec soin si rien ne manque à leur dévotion; Dieu alors leur révèle comment, outre leur prière de la nuit, ils peuvent couvrir leur ville d'un rempart inexpugnable. Ils prennent la couverture du sépulcre du saint, et en forment une espèce de châsse qu'ils portent en procession par toute la ville, avec croix, bannières, et cierges allumés, et chantant des cantiques; et ils ne laissent aucune maison sans en avoir fait le tour, et l'avoir comprise dans la procession. Quelques jours après, la peste si redoutée gagna jusqu'au territoire de Reims. Mais s'arrêtant au lieu où la sainte relique avait été portée, comme si elle reconnaissait les limites qui lui étaient tracées, elle n'osa passer outre, et même repoussée par la vertu du saint protecteur, elle ne tarda pas à abandonner les lieux qu'elle avait d'abord envahis. Beaucoup d'autres miracles encore ont éclaté au tombeau de saint Rémi, mais on a négligé de les écrire. [1,20] CHAPITRE XX. De la translation de son corps et de quelques autres miracles. LA petite église dont nous avons parlé, et où fut déposé le corps du bienheureux saint Rémi, ne tarda pas à être mise en renom par les nombreux et étonnants miracles qu'il y opérait. Force fut donc de l'agrandir, et derrière l'autel on creusa un caveau où placer les précieuses reliques. On découvre la bière pour l'enlever de terre, et la porter à sa nouvelle place mais c'est en vain on ne peut la mouvoir. La nuit survenant on allume force cierges à l'entour, et on veille en prières. Mais sur le milieu de la nuit tous tombent dans un profond sommeil et quand ensuite ils se réveillent, ils trouvent que le cercueil a été transporté avec son précieux trésor, et sans aucun doute, par la main des anges, dans le caveau qui lui était préparé, et en même temps tous sentent et respirent un parfum si délicieux que le langage humain n'en saurait exprimer la suavité. Tout ce jour, et même le lendemain, l'église en fut embaumée. Cette translation eut lieu le premier jour d'octobre et en chantant les louanges de Dieu, on prit et réserva quelques reliques de ses cheveux, de sa chasuble et de sa tunique. Mais son corps, qu'on trouva entier quoique complètement desséché, fut enveloppé d'un suaire de pourpre. Si ce père bienheureux en sa vie et après sa mort a donné santé et guérison aux malades, il a aussi souvent puni les usurpateurs, et les présomptueux c'est ce que l'évêque Grégoire de Tours n'a pas manqué de raconter, et qu'il me semble à propos de rapporter ici d'après ses propres paroles. Non loin de l'église de Saint-Rémi, il y avait un champ de bonne terre fertile, que les habitants appellent olca, et qui avait été donné à l'Église. Or, il advint qu'un des voisins osa s'en emparer, méprisant celui qui l'avait donné. L'évêque et l'abbé du lieu le sommèrent plusieurs fois inutilement de rendre ce qu'il avait injustement envahi mais lui, ne faisant cas des remontrances, maintenait et defendait avec pertinacité son usurpation. Sur ces entrefaites, un jour qu'il allait à la ville ; il lui arriva d'entrer seulement par occasion, nullement par dévotion, dans l'église de Saint-Rémi. Lors l'abbé l'interpelle et l'accuse de nouveau pour le champ qu'il tient usurpé. Mais celui-ci ne donne aucune bonne raison. Quand il eut fini ses affaires à la ville, il monta à cheval pour s'en retourner. Mais l'affront qu'il avait fait au saint prêtre apportea obstacle à sa volonté; car il tombe à terre, frappé d'un coup de sang, la langue qui avait défendu l'usurpation du champ est liée, les yeux qui l'avaient convoité sont fermés, et les mains qui l'avaient pris sont perdues. Alors, balbutiant et pouvant à peine parler, il dit : Portez-moi à l'église du saint et répandez là tout l'or qui est chez moi devant son sépulcre car j'ai péché en usurpant ce qui lui appartient. Celui qui avait donné le champ, voyant porter le coupable à l'église avec tous ses présents, se prit à dire : O saint de Dieu, ne recevez pas ses présents, vous qui n'avez jamais rien accepté par cupidité. Je vous en supplie, ne venez point au secours de celui qui, poussé par l’avarice, s'est injustement approprié votre bien et le saint ne tarda a pas à entendre la voix de son pauvre car, quoique cet homme eut donné tous ses présents le saint de Dieu fit voir qu'il ne les avait pas pour agréables puisqu'à peine de retour dans sa maison il rendit l'esprit, et l'église recouvra son bien. On raconte qu'au temps de Chilpéric, roi des Francs, Modéramne, évêque de l'église de Rennes, homme de noble maison, qui, avec la permission du roi, allait visiter le tombeau de saint Pierre s'arrêta et séjourna au monastère de Saint-Rémi, situé au faubourg de la ville de Reims ; reçu et traité honorablement par les frères du couvent, il obtint de Bernard, trésorier et sacristain quelques parcelles de l'étole, du cilice et du suaire de saint Rémi. Plein de reconnaissance il se remit joyeusement en route continuant son voyage à travers l’Italie. Une nuit qu'il fut obligé de s'arrêter et de camper sur les Apennins, il suspendit les reliques aux branches d'un chêne. Le lendemain matin se levant et partant au point du jour, soit par oubli, soit plutôt comme on croit, par un effet de la volonté divine il ne songea plus aux reliques, et elles restèrent en cet endroit. Quand il eut fait quelque chemin, le souvenir lui en revint, et aussitôt il envoya pour les rechercher son clerc nommé Vulfade. Mais, de retour au lieu où l'on avait couché, celui-ci ne put venir à bout de les toucher car, par un, miracle singulier, quand il était près de les atteindre, elles s'élevaient tout à coup en l'air. Apprenant ce miracle, l’évêque revint sur ses pas, et dressa sa tente, dans le même lieu. Mais de toute cette nuit il ne put non plus reprendre les reliques, et le lendemain matin il alla célébrer la messe au monastère de Bercet, élevé en ces lieux à l'honneur de saint Abonde, et fit vœu d'y laisser une partie des reliques, ainsi il recouvra ce qui lui avait été ravi, et après avoir accompli religieusement son vœu, il continua son voyage. Or, le bruit de ce miracle opéré par la vertu des saintes reliques étant venu aux oreilles de Luitprand, roi; d'Italie, ce prince magnanime vint au-devant de Modéramne, et lui donna, en faveur de saint Rémi, le monastère de Bercet, avec toutes ses dépendances et toute l'abbaye, qui contenait, dit-on, huit cents arpents, et, en présence de ses fidèles il lui en passa juridiquement l'investiture par une charte de donation. A son retour de Rome, l'évêque revint visiter le tombeau de saint Rémi, et comme le roi Luitprand lui avait donné cette terre, il la donna de même toute entière à saint Rémi. Ensuite rentré heureusement dans son diocèse de Rennes il se fit ordonner un successeur, et, disant adieu à ses enfants, s'en retourna au monastère de Bercet, où il vécut jusqu'à la fin de ses jours modestement et honnêtement, en fidèle serviteur de Dieu; et fut depuis ce lieu illustré par plusieurs miracles. Plus tard, dans la suite des temps, le roi Pépin, père de Charlemagne, voulut s'emparer d'Anisy, village du diocèse de Laon et le réunir à la couronne, comme il avait fait de plusieurs autres; et à ce sujet il vint à Anisy. Mais pendant qu'il dormait saint Rémi lui apparut disant: Que fais-tu ici? pourquoi es-tu entré dans ce village qui m'a été donné par un homme plus dévot que toi et que j'ai ensuite donné à l'église de Notre-Dame mère de Dieu? et il le fouetta si rudement que les marques en demeurèrent longtemps après sur son corps. Quand saint Rémi eut disparu Pépin se leva, et saisi d'une forte fièvre il sortit en toute hâte du village et assez longtemps ensuite il souffrit de cette fièvre. Depuis ce temps jusqu'à nos jours aucun roi n'a osé prendre sa demeure en ce lieu, ainsi qu'à Luilli et à Coci si ce n'est Louis le Germanique, qui se logea à Luilli quand il vint envahir le royaume de son frère. Mais le lendemain, obligé de fuir honteusement devant le frère qu'il était venu attaquer, il s'échappa à grand peine. Le bienheureux Rémi avait acheté à deniers comptants une grande partie de bois dans la forêt des Vosges, et y avait fait bâtir les deux petits hameaux de Cosle et de Glène. Pour les peupler il tira des habitants d'un village voisin de son diocèse, nommé Berne, que les Francs lui avaient donné il y avait longtemps; et après les avoir établis en ces lieux il les obligea à fournir de poix chaque année les diverses maisons religieuses du diocèse de Reims. Il leur assigna aussi un salaire, que leurs successeurs reçoivent encore aujourd'hui, et avec lequel ils paient leurs impôts. Lui-même avait tracé l'enceinte de son domaine, dont les limites se voient encore aujourd'hui et ont conservé jusqu'aux noms qu'il leur avait assignés. Comme il marquait ces limites on dit qu'il jeta une pierre dans le creux d'un arbre. Tous ceux qui veulent passer la main dans le tronc, y peuvent faire rouler la pierre, mais on ne peut en aucune façon l'en retirer: quelques années après, un homme jaloux de la gloire du saint pontife s'efforça de la tirer du creux de l'arbre avec la main; ne pouvant en venir à bout, il s'avisa d'agrandir le trou à coups de hache mais au moment où il levait le bras pour frapper, la main lui roidit tout-à-coup desséchée, et il perdit la vue; et ainsi celui qui avait voulu étonner la réputation du saint évêque servit au contraire malgré lui à en augmenter la vénération et la gloire. Deux frères, gardes des forêts royales sous l'empereur Louis, voulurent un jour s'emparer de cette partie de bois achetée par notre saint patron et protecteur, prétendant qu'elle appartenait au fisc plutôt qu'à saint Rémi. Comme donc ils se disputaient à cette occasion avec les habitants, sujets de l'église de Reims, il advint que l'un des deux frères allant à la recherche de ses pourceaux qu'il avait envoyés paître dans la forêt, trouva un loup au milieu d'eux. Étant monté à cheval il poursuit le loup à toute bride, et veut le frapper; mais son cheval, s'emportant de frayeur, lui brise la tête contre un arbre, et sa cervelle s'étant répandue à terre, il mourut. L'autre, suivant une autre route, et passant auprès d'une borne, dit : Que chacun sache que la forêt de l'empereur s'étend jusqu'à cette pierre et à ces mots de la hache qu'il portait à la main, il frappa la pierre dont un éclat lui sauta aux yeux et le rendit aveugle. Ainsi l'un et l'autre reçurent la juste récompense de leur témérité et de leur mensonge. Un noble homme du Nivernais avait obtenu quelques reliques de saint Rémi et avait fait bâtir dans ses propriétés; sous son invocation, une chapelle où le Seigneur daigna faire éclater les mérites de son élu bien-aimé. En effet, l'empereur Louis étant mort, ceux d'Aquitaine se trouvant libres de toute domination et emportés par la fougue naturelle à leur nation commencèrent, chacun selon ses forces, à s'élever les uns au-dessus des autres, et à se guerroyer entre eux, faisant des courses et ravages furieux dans les villages voisins, et les pauvres en ce désastre s'empressaient de mettre ce qu'ils possédaient à l'abri dans les églises. Beaucoup, assurés par les miracles qui s'opéraient en cette chapelle, y avaient à l'envi déposé leurs biens. Les maraudeurs, apprenant que la chapelle était remplie des richesses de plusieurs, forment le dessein de la forcer et de la piller. L'un d'entre eux, après avoir essayé de briser la serrure donna un coup de pied dans la porte pour l'enfoncer mais aussitôt son pied demeura attaché à la porte, et le sacrilège tomba à la renverse ce que voyant les autres, ils s'enfuirent. Mais le malheureux, vaincu par la souffrance se prend à gémir, et à déplorer son mal avec grande lamentation, et promet, avec larmes très amères, que si Dieu, par les mérites de saint Rémi, lui donne de retirer son pied du piège où il est pris, de sa vie il ne prendra jamais rien ni en cette chapelle ni en toute autre et ne souffrira autant qu'il sera en lui que jamais personne commette pillage en église, et en même temps il donne son cheval avec selle et harnais, et tout ce qu'il peut ajouter. Ainsi après confession, larmes et vœu son pied fut délivré mais cependant il en demeura toujours boiteux, jusqu'à ce qu'enfin sa jambe et sa cuisse tombant en corruption, il mourut. Quand les trois frères Lothaire, Louis et Charles se partagèrent le royaume des Francs, après la mort de leur père, Charles distribua à ses soldats les domaines de l'évêché de Reims, occupé alors par le prêtre Foulques; et entre autres, il donna le domaine de Luilli à un nommé Ricuin. Comme sa femme Berthe dormait dans un appartement à Luilli, saint Rémi lui apparut en songe, lui disant : Ce lieu n'est pas à toi pour y reposer. Il faut d'autres mérites et autres qualités pour posséder ce domaine et reposer en cette chambre, lève-toi au plus vite et sors d'ici. Berthe, croyant avoir une vaine vision, n'en tint compte. Lors le saint du Seigneur lui apparut une secondé fois, disant : Pourquoi n'es-tu pas partie, comme je te l'ai ordonné? prends garde que je ne te retrouve encore ici. Comme la première fois, Berthe n'en tint encore compte; et le saint évêque apparut une troisième fois, et lui dit : Ne t'ai-je pas déjà ordonné une première et une seconde fois de sortir d'ici? Puisque tu n'as pas voulu t'en aller de ton pied, tu en sortiras portée par d'autres. En même temps il la frappa d'une verge qu'il tenait à la main et aussitôt elle enfla par tout le corps, raconta à son mari et à quelques autres ce qu'elle avait vu, et peu de jours ensuite, après avoir beaucoup souffert elle mourut. Son mari fit déposer et inhumer son corps dans l'église de Saint-Rémi, et personne ne s'étonnera que ce saint et bienheureux père ait reçu le corps de Berthe en sa propre église si l'on veut bien réfléchir avec quelle intention les saints frappent les pécheurs; savoir, afin que, s'ils se repentent, souffrant ici-bas la peine qu'ils ont méritée, ils ne soient pas en l'autre vie condamnés au feu éternel, comme il est dit, au livre des Rois, du prophète qui fut désobéissant à la parole de Dieu, et mourut sous la griffe du lion mais après la vengeance accomplie le lion respecta son cadavre. Et quand saint Rémi a pris soin d'avertir trois fois la femme pécheresse, et n'a pas voulu la frapper à la première ni à la seconde visite (quoiqu'il sût bien, étant uni au Seigneur, qu'elle devait être punie), n'est-ce pas une leçon de patience qu'il nous a voulu donner, nous enseignant à n’être pas trop prompts et légers à porter jugement sur autrui, nous que tant de faiblesses séparent du Seigneur, quand nous voyons attendre et tarder avec patience celui que nous savons être uni avec Dieu et jugeant avec lui? De nos jours, il n'y a pas longtemps qu'un colon d'un village du diocèse de Reims nommé Fontaine de Plomb, situé près de Rosay, village du fisc royal, ne pouvait faire tranquillement ni moisson ni fenaison, ni jouir aucunement de son bien, à cause des incursions des gens du fisc. Après avoir bien des fois demandé justice aux officiers royaux sans pouvoir l'obtenir, il s'avisa enfin d'une résolution salutaire. Il fit cuire du pain, des viandes, et, prenant ensuite une quantité proportionnée de petite bière, chargeant le tout dans des vases sur une charrette vulgairement nommée banne, il s'achemina avec son attelage, un cierge à la main, vers l'église de saint Rémi à Reims. Là il distribue son pain, ses viandes et sa bière aux marguilliers, dépose son cierge devant le tombeau du saint, et invoque son secours contre ses oppresseurs. Ramassant ensuite de la poussière sur le pavé de l'église et la liant dans un drap, il la dépose dans sa banne puis, jetant dessus un linceul comme sur un corps mort, il reprend la route de sa maison. Chemin faisant, tous ceux qui le rencontraient lui demandaient ce qu'il menait en son char, et il répondait qu'il emmenait saint Rémi; et tous s'émerveillaient de ses paroles et de ses actions, le prenant pour fou et insensé. Arrivé en son pré, il y trouva les pâtres de Rosay, faisant paître grand nombre de bestiaux de toute espèce; lors, invoquant saint Rémi, il le supplie de lui porter secours et aussitôt voilà s'attaquer et se heurter à coups de cornes ou à coups de pied bœufs contre bœufs, boucs contre boucs, moutons contre moutons, porcs contre porcs et aussi pâtres contre pâtres à coups de poing et de bâton en même temps un grand tourbillon s'élevant, les pâtres en poussant des cris, et les animaux en mugissant et faisant un bruit terrible, tous, chacun à sa façon, s'enfuient en toute hâte vers Rosay, comme si par derrière une multitude les poussait à coups de fouet. A cette vue, les paysans du fisc, frappés de terreur, crurent que leur dernière heure était venue; et, saisis de repentir, de ce jour ils cessèrent de tourmenter le pauvre de saint Rémi. Mais comme il demeurait en un lieu marécageux sur le bord de la Sarre, et souffrait beaucoup des serpents en son habitation, il prit la poussière qu'il avait recueillie dans l'église et apportée avec lui, et la sema dans son manoir, et depuis jamais serpents n'ont reparu. C'est aussi chose certaine qu'on ne trouve aucun reptile ni couleuvre dans les parvis ou cimetières contigus à l'église du bienheureux Saint-Rémi, et que, si on en apporte de quelque autre lieu, ils n'y peuvent du tout durer ni vivre. Au temps du seigneur évêque Hincmar, un certain Blitgaire acheta du trésorier de l'église une métairie dépendante de l'évêché, située au village de Tenoil, en chassa à coups de fouet les gens de Saint-Rémi. Comme ceux-ci suppliaient leur saint patron de venir à leur aide, Blitgaire leur dit avec moquerie : Nous allons voir comment saint Rémi vous aidera voyez donc comme il vient à votre aide. Mais au milieu même de ces paroles, poussant tout-à-coup un grand cri de douleur, il fut frappé d'une enflure miraculeuse, et, enflant sans cesse de plus en plus, il creva par le ventre et mourut misérablement. Cette punition nous avertit de redouter la vengeance divine, de ne jamais traiter avec cruauté les sujets de l'Église, et d'éviter avec grand soin tout blasphème contre Dieu ou ses saints. De nos jours, Warner, comte de Worms, s'était emparé des biens de saint Rémi dans la forêt des Vosges, et les avait distribués à ses gens. Saint Rémi apparut en vision à Hérigaire, évêque de Mayence, et lui enjoignit d'aller trouver le roi Conrad, et de l'engager à donner l'ordre à ses vassaux de quitter la terre qui lui appartenait. A son réveil, Hérigaire, quoique frappé de sa vision, négligea de rien dire au roi: Quelques jours après, saint Rémi lui apparut de nouveau, lui reprocha de n'avoir pas exécuté ses ordres, et lui recommanda une deuxième fois de parler au roi. Hérigaire, ne faisant pas plus de cas de sa vision que la première fois, négligea encore de remplir la commission du saint. Lors saint Rémi revint pour la troisième fois, mais avec un fouet, lui reprocha sa négligence obstinée, et, le saisissant par le bras, sembla le tirer hors de son lit, puis, le fustigeant du fouet qu'il tenait à la main, il le laissa déchiré de coups et humilié. Alors, n'osant plus mépriser les ordres qu'il avait reçus, Hérigaire va trouver le roi, le tire à part, dépouille ses vêtements, lui montre son corps meurtri et noir de coups, et lui expose fidèlement et par ordre tout ce qui lui avait été dit et fait. Or, pendant que ces choses se passaient, le même jour était arrivé Tendoin, envoyé de notre seigneur évêque Hérivée, avec des présents pour le roi, réclamant les biens de son seigneur, et il attendait à la porte du palais l'heure à laquelle il pourrait être présenté au roi. Cependant le roi, frappé du récit d'Hérigaire, ayant ordonné de chercher si parmi ses gens il n'y avait personne de l'église de Reims, il se trouva que précisément notre envoyé attendait à la porte. On l'annonce au roi, on l'amène devant lui, et le roi lui-même lui raconte ce qui vient de se passer. Lors Tendoin, rendant grâces à Dieu, expose qu'il a été envoyé pour réclamer les possessions de l'Église, que, de son côté, le roi se hâte de lui faire rendre; et en partant il confie à l’évêque Hérigaire, sous le bon plaisir du roi, la garde et protection de la terre de saint Rémi. Depuis, tant que notre seigneur évêque Hérivée a vécu, il à reçu chaque année sa rente fidèlement et sans contradiction. Le seigneur évêque Artaud avait confié ces mêmes biens à la protection du duc Conrad, qui à son tour les avait remis aux soins d'un de ses vassaux nommé Ragenbauld lequel tourmentait et opprimait les colons de notre église. Les pauvres gens dans leur affliction tournaient souvent leur plainte vers saint Rémi et venaient à Reims invoquer la protection de leur patron; et je peux dire que moi-même l'année passée j'ai entretenu à ce sujet le roi Othon et le duc Conrad lorsque j'ai été envoyé à Aix vers ce roi mais je ne pus obtenir que Ragenbauld cessât son usurpation et ses rapines sur les terres de notre église. Aussi cette année même, il est arrivé qu'un samedi, comme il rassemblait tous les colons pour travailler, et ordonnait au curé de ne sonner vêpres qu'à la nuit, afin que son ouvrage pût être terminé, il se sentit tout-à-coup frappé par une main invisible lors demandant qui l'avait frappé et tous lui répondant qu'ils n'avaient vu personne, il entra en fureur et perdit la raison, et bientôt, après, avoir été cruellement tour mente, il rendit l'esprit. En apprenant sa punition, le duc Conrad est venu tout effrayé à Saint-Rémi, et lui a remis sa terre, que l'évêque Artaud vient d'assigner à l'abbé Hincmar et à ses moines, comme supplément d'entretien. Il existe au village de Bonfineau, au pays de Laon, une église sous, l'invocation de saint Rémi. Lorsque le roi Raoul poursuivait le comte Herbert, qui tenait de lui foi et hommage l'évêché de Reims, les habitants du village s'empressèrent de cacher tout ce qu'ils possédaient dans leur église par crainte des incursions de l'ennemi. Comme le roi Raoul vint mettre le siège devant Reims et eut établi son camp à Cormicy, l'armée occupa tous les villages voisins. Un de ceux qui avaient leur quartier à Bonfineau, s'empara du vin que les habitants avaient, par peur d'être volés, déposé dans l'église et ouvrant pour ainsi dire taverne dans le lieu saint il se mit à le vendre à ses compagnons, mais pendant qu'il se livrait à ce trafic, il fut tout-à-coup frappé de maladie; sa bouche toute contournée lui allait presque jusqu'aux oreilles, et il perdit la raison; enfin, après avoir longtemps traîné dans les souffrances il mourut ce qui servit d'exemple aux autres, et depuis tous eurent en vénération ce saint lieu, et se gardèrent avec grand soin de semblable profanation. [1,21] CHAPITRE XXI. De la seconde translation du corps de saint Rémi, et comment il fut rapporté à Reims. LORSQUE l'archevêque Hincmar eut fait rebâtir en l'agrandissant l'église de Saint-Rémi, et lui eut fait préparer un caveau plus beau et plus orné, il y fit transporter en grande pompe, assisté de tous les évêques de la métropole de Reims, les vénérables reliques de notre bienheureux père en Jésus-Christ. Le corps couvert du drap de pourpre dont on l'avait autrefois enveloppé, fut enfermé tout entier dans une châsse d'argent; seulement le suaire qui couvrait la tête du saint et une partie du drap furent mis à part dans une cassette d'ivoire laquelle est depuis ce temps précieusement conservée à Reims en l'église de la bienheureuse Marie, mère de Dieu. Pendant cette translation des reliques, de leur ancien sépulcre de pierre à la nouvelle châsse, un nommé Radon, sous-diacre de l'église de Soissons, venu à la cérémonie avec son évêque Rothade et qui depuis une année entière souffrait de si vives douleurs de dents que l'on craignait pour sa raison, appliqua sa mâchoire malade à l'endroit où avaient reposé les saintes reliques, et aussitôt délivré de son mal, il ne sentit plus jamais aucune douleur. On dit aussi que le même jour deux hommes perclus de maladie recouvrèrent la santé, au bourg de Bruyères en lyonnais, dans une chapelle dédiée à notre saint patron. Quant à l'église où repose son corps, chaque jour il s'y opère miracle sur miracle des hommes venus malades s'en retournent guéris, les parjures y sont tourmentés du démon, les possédés sont délivrés, les boiteux redressés, et les aveugles recouvrent la vue; afin qu'il soit constant a tous que celui-là est vivant en gloire avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui se montre vivant sur la terre par tant de miracles chaque jour renouvelés au lieu où son corps est gardé. Depuis l'an 882 de l'incarnation de Notre-Seigneur, sous le règne de Carloman, il arriva qu'en punition de nos péchés, et à cause des incursions des païens, les précieux restes de notre très saint père et seigneur, furent, par les soins de l'archevêque Hincmar, transférés au village d'Épernay, parce que la ville de Reims n'était point alors enfermée de murs, et par la vertu de ce cher et précieux dépôt, tout le pays d'Épernay fut préservé de l'invasion et du pillage des barbares. Après la mort d'Hincmar, le saint trésor fut transporté au monastère d'Orbay; et par la protection de notre saint et bienheureux patron, une merveilleuse sérénité d'air fut répandue sur tout le pays, avec une extraordinaire et inaccoutumée fertilité. Élevé à l'épiscopat après la mort d'Hincmar, Foulques, dès la première année de son ministère, résolut de rapporter à Reims les reliques du bienheureux Rémi. Il part donc, et se rend avec tous les évêques de la province et un clergé nombreux au lieu où était déposé le précieux trésor. Ce jour-là, quoique le ciel fût calme et serein, et la sécheresse brûlante, il plut tout-à-coup, et en telle abondance que l'on eût dit que toute la surface de la terre allait être inondée. Mais le lendemain, au moment où se fit la levée des saintes reliques, le ciel parut riant et serein, tout prit un air de fête dans la nature, et le cortège prenant sa route avec un immense concours de peuple accouru de toutes parts, arriva heureusement à Cormicy, où notre saint père et patron avait, pendant qu'il était encore dans les liens de la chair, fait éclater ses mérites par de nombreux miracles. Après avoir déposé les reliques dans l'église du lieu consacrée en son nom, chacun se livre au sommeil pour réparer ses forces. Le matin, après le repos de la nuit, quand le soleil vint éclairer la terre, des milliers de voix montèrent en concert vers les cieux, bénissant le Seigneur, et le remerciant de ce qu'il rendait, en corps et en personne, à son peuple le saint pasteur patron et protecteur, qu'il espérait avoir toujours pour avocat et intercesseur auprès de la bonté divine. Cependant, après avoir célébré le saint sacrifice, l'évêque gravit la montagne voisine, chantant les louanges du Seigneur, et suivi d'une foule immense. Parvenu au sommet, il se prosterne en prières pour les péchés du peuple, et pour fléchir la colère céleste ensuite ils se remettent en marche et pendant qu'ils poursuivent leur chemin il plut au Seigneur de glorifier encore sur la terre celui qu'il avait élevé dans les cieux avec ses anges, et de faire éclater aux yeux du peuple assemblé quels étaient auprès de lui les mérites de son saint. [1,22] CHAPITRE XXII. De plusieurs guérisons opérées postérieurement. En effet, une femme aveugle, nommée Dode, arrive appuyée sur le bras d'un ami, et à peine s'est-elle un peu approchée qu'elle recouvre la vue en présence de tous. Apprenant ce miracle, l'évêque, plein de joie, entonne l'hymne de louange au Seigneur avec tout le peuple. Mais ils n'avaient pas encore fini ces chants de triomphe, qui remplissent le ciel d'allégresse, qu'un boiteux, qui depuis longtemps avait perdu l'usage des jambes, se mit tout-à-coup à marcher, plein de force et joyeux. On continue la route, toujours chantant, et après quelque chemin, voilà qu'une autre femme recouvre l'usage de ses mains. Alors la foule double, triple les actions de grâces ceux qui sont les plus proches de la châsse miraculeuse, frappés de tant de merveilles, songent à s'éloigner avec respect d'une si grande et sublime sainteté. Les chants de reconnaissance duraient encore quand, par surcroît, un jeune garçon, nommé Grimoald, depuis longtemps privé de la vue, ayant la bouche misérablement contournée et le visage hideusement défiguré, est présenté devant la châsse par ses parents, et aussitôt il recouvre la lumière, et est rétabli en sa forme et figure naturelle par le secours du grand saint. Une heure après, ou environ un autre enfant, qui avait depuis longtemps le corps courbé, est heureusement redressé. Lors la foule dévote n'a plus la force de répéter les saintes mélodies du roi David; émue d'une grande tendresse de cœur, la voix lui manque, les larmes coulent sur les visages, et au lieu de cantiques on n'entend que soupirs et voix entrecoupées. Cependant de moment en moment la foule augmente, et les peuples se pressent pour baiser la châsse où repose le gage sacré, et ceux qui la portent sont obligés de l'arrêter, cédant à leur violente importunité car le bruit des miracles qui éclataient à chaque pas se propageait de plus en plus tous à l'envi sains ou malades, affligés de diverses infirmités, accouraient pour être témoins des merveilles que le Seigneur tout-puissant se plaisait à multiplier pour la gloire et l'illustration de son saint. Chacun aurait cru beaucoup perdre, et même faire un péché, s'il n'avait, je ne dis pas suivi la procession, mais si seulement il était arrivé le dernier. De leur côté, les citoyens de Reims accourent au-devant aussitôt qu'ils aperçoivent le saint cortège, ils se prosternent et baisent la terre; puis levant les yeux, et contemplant avec piété la châsse qui porte la pierre précieuse du diadème divin, ils versent des larmes en abondance au milieu de leur joie, et supplient le Seigneur de ne plus les affliger désormais de l'absence de leur père bien-aimé, mais de les faire jouir à toujours de sa sainte présence. Et ce tendre père, voulant favoriser la dévotion de ses enfants, multiplie les miracles, et redouble leur joie par de nouvelles merveilles; car pendant que l'évêque et le clergé entonnaient les psaumes, hymnes et cantiques spirituels, et que le peuple répondait avec des transports de joie afin que tous proclamassent d'une âme encore plus pénétrée les merveilles de Dieu dans ses saints, une multitude de malades recouvrèrent ensemble la santé, et mille maux divers furent guéris; en sorte que presque à chaque moment les miracles se pressant sur les miracles, le temps et la place manqueraient pour les réciter tous. C'est d'abord une femme, nommée Ozanna qui par une faveur soudaine, recouvre la vue, au grand applaudissement du peuple; un instant après, c'est un boiteux qui se lève et marche une femme sourde, nommée Deodate, qui reprend l'usage de l'ouïe; un aveugle, nommé Teuton, et encore une autre femme à qui le don de la vue est rendu enfin c'est Ansoald qui revoit la lumière objet de tous ses désirs, parce qu'il a cru d'une foi sincère c'est Gerbert qui guérit d'une paralysie, et encore un autre qui reçoit le même bienfait de la bonté de notre saint patron. Comme tous donc se pressaient à l'envi au-devant de l'élu du Seigneur, par le zèle d'une pieuse dévotion, et offraient non seulement l'intention d'un cœur pur et dévoué, mais encore des biens temporels, chacun selon ses facultés, une pauvre femme sortit de la ville, tenant en sa main un cierge qui n'avait jamais été allumé. Mais, ô miracle le cierge fut tout à coup allumé par un effet de la volonté divine; et pendant tout le reste du chemin, cette femme, confessant le miracle, porta le cierge béni du Seigneur sans qu'il perdît sa lumière céleste, jusqu'au moment où les saintes reliques du bienheureux Rémi furent déposées dans leur demeure et où l'évêque célébra le mystère de la messe. Alors la femme remit le cierge encore brillant de lumière au sacristain, lequel, par respect et par joie du miracle, fit éteindre tous les luminaires qui brûlaient dans l'église, et ordonna de les rallumer ensuite avec la lumière venue du ciel; comme aussi il fit conserver une partie du cierge en témoignage du miracle. Une femme de Château-Porcien nommée Rotgar, depuis longtemps privée de l'usage de ses jambes, recouvra tout-a-coup la santé, tellement que, venue en chariot, elle s'en alla de son pied chez elle. Une autre femme avait apporté avec elle sa petite fille, âgée de six ans, nommée Wulflide, laquelle, jouant, un jour avec des enfants de son âge, avait été frappée à la tête par une femme qui passait. Le coup avait renversé la tête, de manière que l'occiput semblait tenir au chaînon du cou, et qu'elle ne pouvait pencher sa tête de côté ni d'autre ni prendre d'autre nourriture que des liquides; et il y avait déjà près d'un an qu'elle languissait dans cet état. Sa mère, qui l'aimait d'une tendre affection, recherchant avec inquiétude tous les moyens de la guérir, s'avisa de l'apporter au-devant de saint Rémi. Ne pouvant percer la foule pour approcher, elle parvient à prendre les devants; et alors, se prosternant avec sa fille au milieu de la route par où devait passer la procession, pleine de foi elle adresse ses prières au Seigneur avec une profonde dévotion. Sa prière n'était pas achevée que sa fille pousse un cri. La mère se lève pour consoler son enfant par ses caresses maternelles, mais en la regardant elle s'aperçoit que sa tête est redressée et revenue à sa position naturelle. Alors transportée de joie, et sûre de la guérison de sa fille, elle regarde la blessure et trouve la place humide de sang et les nerfs, si longtemps contractés, maintenant détendus comme une corde mouillée ayant ainsi obtenu la bénédiction et faveur de miséricorde qu'elle était venue chercher, elle s'en retourna dans sa maison rendant avec allégresse au Seigneur mille actions de grâces. Cependant, frappée d'admiration à la vue de tant d'éclatants témoignages de sainteté et de tant de bienfaits la multitude poursuivait sa route avec ferveur, chantant des hymnes et des cantiques. L'évêque avait pris les devants; mais bientôt revenant avec le chœur des prêtres il prend sur ses épaules le précieux trésor, et le porte ainsi jusque dans l'église, propre maison de notre bienheureux père. Là, après tous les préparatifs nécessaires, le sacrifice de la victime spirituelle étant déjà commencé, une femme du pays de Troyes, affligée d'un tremblement universel vient devant l'autel et se jette sur le pavé. Là, après avoir été longtemps et cruellement tourmentée de son mal, elle se relève enfin calme et guérie par la miséricordieuse intervention du pieux et charitable consolateur. Interrogée Sur la cause d'une si cruelle affliction, elle répondit qu'elle avait donné la mort à sa propre mère. Enfin, quand le saint sacrifice de la messe fut terminé, chacun s'en retourna chez soi mais pour revenir de bonne heure le lendemain, quand on porterait dans la ville ce gage de protection et de salut. Le matin donc, pendant que tout le monde s'empresse à l'heure indiquée, une femme, nommée Erluide, qui ne demeurait pas loin de la ville se prépare aussi à assister à la procession afin d'obtenir d'être guérie: car depuis cinq ans, frappée de paralysie, elle avait tout le côté droit du corps comme mort, et ne s'en pouvait servir. Se mettant donc en route avec un lent et pénible effort, elle fait tout ce qu'elle peut pour approcher, et voir la châsse sacrée. Mais à peine parvenue au milieu du chemin, elle ne peut plus avancer, et tombe épuisée de fatigue. Alors elle songe à s'en retourner, mais c'est en vain ; elle ne peut bouger enfin, après être restée ainsi quelque temps étendue à terre, hésitant et incertaine, elle se décide à tenter un nouvel effort, et à essayer d'approcher un peu plus près. Et soudain, par la grâce et la bonté de Dieu, la force est donnée à ses faibles membres; toute vigueur lui revient avec la santé marchant en liberté, et sautant de joie, elle court d'un pied agile et léger au lieu où elle avait seulement espéré de se traîner malade et languissante. Elle s'en va donc poursuivant sa route, et portant à la main le bâton tout à l'heure appui de sa faiblesse, non qu'elle en ait désormais besoin mais pour montrer à tous le témoignage du miracle qui lui a rendu la santé. Parvenue enfin où elle avait tant désiré d'arriver, elle rend mille dévotes et joyeuses actions de grâces à son intercesseur puis déposant son bâton en offrande vive et légère désormais et n'ayant plus besoin de son appui, elle reprend le chemin de sa maison, et s'en retourne remportant avec joie et bonheur la divine et efficace consolation qu'elle avait cherchée. Cependant l’évêque arrive accompagné d'un nombreux clergé et d'une foule de grands il offre la victime du salut; ensuite il se revêt d'ornements blancs, et conduit en pompe vers la ville les précieuses reliques, avec hymnes et chants de louanges. Pendant que le pieux cortège suit heureusement sa route et fait éclater sa reconnaissance, le Seigneur tout-puissant se plut à épancher les sources de sa bonté et de sa libéralité pour la gloire de son saint bien-aimé, et il est à peine langue d'homme qui pût réciter les miracles qui s'opérèrent presqu'à chaque moment sur le chemin car en cette journée Dieu fit tellement abonder les merveilles, que quatre hommes et neuf femmes recouvrèrent la vue, et deux hommes l'usage des jambes. Ainsi, marchant de joie en joie, d'admiration en admiration, on arrive dans la ville à l'église de Notre-Dame, et ce flambeau, luisant et brillant éternellement, est posé sur le bord de l'autel. Mais quand vint le moment où l'évêque s'avança pour la consécration et oblation du mystère de vie, quel homme fut assez dur de cœur et inflexible pour se tenir d'éclater en soupirs, de frapper sa poitrine et de fondre en larmes, à la vue de tant de bienfaits et de tant de merveilles de la grâce? qui pourrait en effet nombrer les miracles que le Seigneur se plut à répandre en cette journée? qui pourrait dire combien de malades furent guéris, combien de boiteux redressés, combien d'affligés de toute espèce furent relevés et consolés? La messe dite chacun sort et hâte son retour en sa maison mais voilà que tout-à-coup un effrayant orage les surprend en route; des nuages noirs et terribles se rassemblent de toutes parts, une nuit affreuse couvre le ciel, l'éclair brille, le-tonnerre gronde, la grêle bat par torrents la terre; la plupart, frappés de terreur, rentrent à l'église, invoquant la clémence du très Haut et suppliant leur saint protecteur de les délivrer, par son intercession, du danger qui les menace. Aussitôt, ô miracle! le désordre qui les effraie s'arrête, les nuages s'éclaircissent, les éclairs cessent, le tonnerre se tait, enfin l'orage se calme et se dissipe la grêle se change en une douce pluie, et la terre, auparavant brûlée par une chaleur dévorante, est rafraîchie par une salutaire et féconde humidité. Ainsi dans un moment, grâces à notre saint patron, l'indignation du Seigneur est calmée et fait place aux bienfaits du salut. C'est encore sa puissante protection qui a repoussé loin de notre pays le cruel fléau de la peste c'est par lui que nous est donné l'air pur et salubre dont nous jouissons, les pluies bienfaisantes qui entretiennent la fécondité enfin c'est par ses mérites que la crainte de l'ennemi, qui déjà avait saisi tout le royaume, s'est changée peu a peu dans l'espérance de la paix et d'une sécurité profonde. Le même jour que le corps saint fut transporté dans la ville, à l'heure où le char brûlant du soleil allait se plonger dans l'océan, eut lieu un autre miracle. Un nommé Nivol, de Villedomauge village situé sur un des côtés de la montagne de Reims, sourd et muet, perclus des pieds et de mains depuis neuf ans, à force d'efforts pendant tout le jour, depuis le lever de l'aurore jusqu'à la dixième heure, parvint à peine à se traîner, pendant l'espace de cinq milles, jusqu'au seuil de l'église où était le sépulcre de saint Rémi. Là, trouvant que le corps n'y était plus et les portes de l'église soigneusement fermées, il tombe la face contre terre, et, dans une confiante importunité, il crie en secret au fond de son cœur aux oreilles du saint, et se plaint de ce qu'après tant de fatigues il ne lui était pas permis seulement de voir la châsse dépositaire des reliques sacrées à lui qui cependant n'avait jamais douté que l'aide d'en-haut pouvait seule le soulager. Pendant qu'il agite en silence ces pensées dans son esprit, une vigueur de santé se glisse insensiblement dans chacun de ses membres, et il s'étonne de recouvrer à la fois la force de tous ses sens. Bientôt le bruit de cette guérison miraculeuse se répand et vient aux oreilles d'un grand nombre alors ils accourent à l'envi, et contemplent avec joie les merveilles du Seigneur. Ils conduisent l'homme en triomphe au saint sépulcre, sonnent les cloches, et entonnent avec allégresse les louanges du Seigneur. Attirée de plus en plus par les récits, la foule se presse à l'église pour voir le miracle et voyant, comme on le leur avait annoncé, le signe éclatant de la grâce, ils lèvent les mains au ciel avec reconnaissance, ils bénissent le Seigneur; et ce miracle de la bonté divine servit beaucoup à la consolation de ceux qui, voyant les reliques transférées en ville, se plaignaient d'être abandonnés corporellement de leur saint et puissant protecteur; car par sa compassion si efficace aux souffrances de Nivol, il montra qu'il ne les avait pas délaissés spirituellement. Dans l'église du Notre-Dame, où le corps venait d’être transporté, plusieurs malades affligés de diverses infirmités furent aussi guéris. Un homme, nommé Noël, de Bourdenois, et deux femmes, l’une appelée Teutberge, l'autre Gonthilde, recouvrèrent la vue. Une troisième femme, qui avait perdu un œil, en recouvra aussi l'usage. Enfin une petite fille, nommée Flogille, du village de Caucille, situé sur la petite rivière de Livre, à l'âge de quatre ans environ était tombée en glissant et s'était blessée aux deux genoux à la suite de cette blessure elle était devenue si boiteuse qu'elle ne pouvait ni faire un pas ni se tenir sur pieds. Ses parents, pauvres mais pleins de sollicitude pour sa guérison, l'avaient fait porter à diverses églises de saints; il y avait déjà douze ans qu'elle était affligée de cette infirmité sans pouvoir y trouver remède. Entendant raconter les merveilles qui s'opéraient par les mérites du corps de saint Rémi, elle s'avisa d'aller aussi comme les autres; mais elle ne voulut point se faire mettre sur un chariot, et se traîna toute seule comme elle put le long de la route. Arrivée à l'église où on lui avait dit qu'était déposé le précieux gage du salut, elle se répand en prières devant le Seigneur et invoque sa bonté pour sa guérison; et l'on dit qu'elle inonda tout le pavé de ses larmes. Après avoir ainsi passé trois jours, elle recommençait à prier, quand tout-à-coup la grâce se fit sentir. Pouvant à peine supporter la violence du remède, elle se prit à gémir et à pousser des cris aigus les nœuds des nerfs se délièrent, les jarrets contractés se détendirent épuisée de cette crise, elle demeura comme morte presque pendant une heure mais celui qui avait ainsi opéré sa délivrance lui rendit bientôt ses forces. En effet, quelques moments après, sortant comme d'un profond sommeil et sentant le bienfait céleste accompli, elle se lève et va vers la châsse du saint dont les mérites venaient, elle n'en doutait pas, de procurer sa guérison et là se répandant en actions de grâces, et faisant vœu d'y vivre toute la vie en prières et en témoignage de reconnaissance, depuis ce temps elle veilla près des reliques de son saint médecin, renouvelant chaque jour l'offrande d'une pieuse et persévérante dévotion. Le corps de saint Rémi resta déposé dans l'église de Notre-Dame pendant tout l'épiscopat de Foulques, jusqu'à Hérivée son successeur, qui, voyant la persécution des Normands éteinte, et la paix rétablie par la seule clémence de Dieu résolut de le faire reporter au lieu de sa première sépulture. Pour exécuter cette résolution il convoqua plusieurs grands du royaume; et cette fois Dieu se plut encore à manifester les mérites de son serviteur retournant a sa première demeure pendant que la translation se faisait au milieu d'un peuple immense, presqu'au sortir de la ville, un pauvre boiteux, nommé Abraham, affligé d'une contraction nerveuse aux jarrets, se traînant par terre sur deux petites escabelles, se mit aussi en route vers l'église de Saint-Rémi, et soudain frappé de la grâce, il sentit ses nerfs se détendre, et la santé lui revenir. Nous l'avons vu pendant plusieurs années parfaitement rétabli, marchant droit, et bénissant la grâce dont il avait été comblé. Depuis il a été planté, au lieu même où s'accomplit ce miracle une colonne surmontée d'une croix, qui garde le souvenir de ce glorieux témoignage de sainteté. L'église où le tombeau est placé est sans cesse honorée de nouveaux miracles, et en si grand nombre qu'il n'est pas possible d'en écrire le récit. [1,23] CHAPITRE XXIII. Des disciples de saint Rémi. Du temps de notre bienheureux patron, il existait à Reims plusieurs personnages, soit du clergé, soit de l'ordre laïque, illustres et chers à Dieu par leurs vertus, qui se firent honneur d'être les disciples et les serviteurs d'un si grand et vénérable pasteur: Parmi eux brilla surtout Agricola son neveu prêtre respectable, qui lui fut agréable des sa plus tendre enfance par l'obéissance que, selon le témoignage de son testament, il lui rendit dans l'intérieur de sa famille. C'est le même qu'il institua, avec l'église de Reims et le bienheureux saint Loup, évêque, fils de son frère, légataire universel de ses biens, sauf les dons et legs particuliers qu'il avait réservés à chacun. Il lui laissa aussi en particulier quelques esclaves avec des vignes, sous cette clause que tous les dimanches et fêtes la messe serait célébrée sur un autel dédié en son nom et que chaque année un festin serait donné aux prêtres et aux diacres de l'église de Reims. Il avait encore un autre neveu, nommé Aétius, auquel il laissa une partie du domaine de Cernay, qu'il avait eu en partage avec tous les droits et privilèges dont il avait joui lui-même; il lui légua aussi un esclave nommé Ambroise, avec quelques autres domestiques. On cite aussi un troisième neveu, nommé Agathimère, qui reçut en don quelques familles de colons et une vigne que le saint, évêque avait lui-même plantée et cultivée a Wendisch, à condition que tous les dimanches et fêtes on offrît la messe pour lui sur les saints autels, et qu'un festin annuel fut donné aux prêtres et diacres de Laon. Nous lisons encore dans son testament que, satisfait de l'obéissance filiale de l'archidiacre Ours, il lui donna une petite maison et une autre plus grande, avec deux sayes d'étoile fine, le tapis qui couvrait son lit, et la meilleure tunique qu'il laisserait en mourant. Quelques autres membres du clergé de Reims, soit prêtres soit diacres, méritèrent d'être distingués par le saint évêque, et il leur fit plusieurs dons en mourant entre autres une vigne qu'il leur lègue pour être possédée en commun avec son vigneron, et quelques autres esclaves qu'il ajoute pour le service. Parmi ses disciples chéris se trouvait encore une diaconesse nommée Hilarie, qu'il appelle sa fille en lui donnant sa bénédiction à laquelle il donne une esclave pour la servir, et quelques pieds de vigne voisins d'une des siennes, et sa part du domaine de Talpoucy, pour l'obéissance et les soins qu'elle lui a sans cesse rendus. De plus une femme nommée Rémigie à laquelle il donne trois cuillères ornées de son chiffre, ainsi que quelques antres petits présents. Enfin quelques laïcs d'un grand nom tels que Pappole, Eulode, Eusèbe, Rusticole, Eutrope et Dave, furent comptés au nombre des amis particuliers admis à sa confiance, et ils ont apposé leur seing au bas de son testament. En ce temps là florissait aussi Attole homme très distingué, qui comme l'atteste son épitaphe, fonda à ses dépens douze hôpitaux, par amour et attachement pour saint Rémi. Il est enseveli avec son fils et sa fille derrière l'autel dans l'église de Saint Julien martyr. Je crois que c'est de cette église que veut parler Grégoire de Tours lorsqu'il raconte qu'un riche personnage de la seconde Belgique fit bâtir une église dans un des faubourgs de Reims, en l'honneur du bienheureux martyr Julien, et qu'étant allé chercher avec piété et dévotion les reliques, et revenant en chantant des cantiques le long de la route, il arriva qu'au moment où il entrait dans la Champagne Rémoise, un possédé fut guéri seulement par l'application des saintes reliques. [1,24] CHAPITRE XXIV. De saint Thierri ou Théodoric. Au temps de saint Rémi vivait aussi le saint homme Thierri, pieux disciple de ce vertueux maître. Dieu, qui avait résolu de l'illustrer et de l'anoblir dans la génération des justes, ne voulut pas qu'il fût engendré d'un sang noble aussi naquit-il au pays de Reims, au village d'Aumnencourt, d'un père voleur, comme la rose sort du milieu des épines. On raconte, pour preuve de sa pureté et de sa chasteté, que la fontaine où furent lavés les langes de son berceau, quoique découverte des ce temps comme toutes les autres, ne put jamais être souillée par aucun immondice ou jet d'ordures. Thierri, élevé saintement jusqu'à l'âge de puberté, fut, selon l'usage établi pour la propagation de l'espèce humaine, obligé de prendre femme pour complaire à ses parents, mais avec l'intention de n'avoir qu'une épouse de nom, et de vivre comme s'il n'en avait point; car, brûlant en secret de l'amour des choses célestes, il n'avait d'autre désir que de vivre en secret serviteur de Dieu, et il n'eut pas loin à chercher le médecin qui devait le guérir, le patron qui devait le protéger, le maître qui devait renseigner saint Rémi, son père en religion, fut son guide naturel en ce culte angélique. Éclairé donc par les exemples de ce pieux modèle, et brûlant du zèle des vertus, il croissait chaque jour en perfection. Bientôt les plaisirs de la couche nuptiale lui deviennent amers, et doux l'amour de la chasteté. Le désir amortit le désir; l'ardeur de l'esprit étouffe l'ardeur de la chair; l'amant de la chasteté renonce au monde et fait alliance avec Dieu; il déclare la guerre à l'ennemi de la continence, et cherche un lieu où lui livrer combat seul à seul. Thierri s'ouvre enfin à sa femme l'exhorte à aimer l'époux céleste, et lui promet des honneurs éternels pour prix de sa virginité mais la femme altérée d'amour et de désirs charnels, méprise les salutaires exhortations du mari, et, se voyant dédaignée, elle répond avec aigreur et amertume. Alors le serviteur de Dieu voyant que ses remontrances n'ont aucun accès en son cœur, et qu'elle se refuse a ses pieux projets, la délaisse, et se rend en grande hâte à Reims, auprès d'une abbesse nommée Suzanne, vouée par piété au célibat. Chaste, il vient chercher la femme chaste, pudique, la femme pudique, et vierge la femme vierge. Celle-ci gouvernait alors, sous la protection de saint Rémi, une congrégation de jeunes vierges ; et c'était une femme d'un cœur d'homme, de profond conseil et de grand génie. Thierri vient donc se jeter entre ses bras; et prosterne aux pieds de sa mère spirituelle, il lui découvre les secrets de son cœur, jusque-là connus de Dieu seul, fond en larmes, éclate en sanglots, et lui demande un conseil salutaire avec le secours de ses prières. A la vue de la profonde douleur du jeune homme, les entrailles de cette tendre mère sont émues, elle compatit à ses larmes le console, dissipe sa tristesse, et supplie le Dieu de miséricorde d'exaucer ses chastes désirs. Tous deux de concert avisent de consulter leur père commun, saint Rémi, dont les exemples et les préceptes avaient déjà si heureusement profité à Thierri. Le saint évêque écrit à la femme, lui remontre que la vie éternelle est assurée en récompense à ceux qui gardent leur chasteté, et que la virginité est aimée et chérie des anges. La femme cède enfin, bien plus, elle laisse pénétrer son cœur aux douceurs de la vie céleste, elle embrasse les saints conseils, et promet, si elle est jugée digne de suivre le Seigneur, de lui garder sa virginité pure et sans tache. L'heureux époux embrasse alors plein de joie son épouse, qu'il voit délivrée du joug du séducteur, arrachée aux voluptés de la chair, et vouée enfin au service de son créateur, sous le vœu honorable de virginité. Alors la femme vierge avec l'homme vierge, Suzanne avec Thierri, se mettent en quête pour trouver un lieu où établir leur demeure. Or il y avait une petite forêt située sur une montagne, à trois milles environ de la ville de Reims, et saint Rémi toujours brûlant de zèle pour les choses divines, avait résolu d'établir en cet endroit un monastère, où sous la pieuse conduite du guide qu'il voyait chaque jour profiter dans la vertu, s'enrôleraient au service du Seigneur bon nombre de saints frères. Ils montent au sommet de la montagne-là, pendant qu'ils promènent leurs regards autour d'eux, cherchant la plus heureuse position pour le monastère, voilà qu'un aigle descend tout-à-coup du haut des cieux pour marquer le lieu de son séjour sur la terre au bienheureux Thierri, appelé à remonter un jour dans le ciel. Le mystérieux oiseau, volant et tournant en cercle, traça l'enceinte du monastère; ensuite, pour montrer plus clairement la volonté du Seigneur, il plana lentement plus d'une heure sur l'endroit où l'église devait être bâtie; et pour empêcher les incrédules de rien attribuer au hasard, pendant quatre années consécutives, le même aigle a été vu, le jour de Noël, faisant le tour du monastère, non sans une grande admiration de plusieurs. Aucune langue humaine ne pourrait réciter en détail toutes les merveilleuses œuvres de grâce et tous les miracles qui ont été opérés en ce lieu par le pieux soldat de Jésus-Christ, le fidèle Thierri. Quand, avec le temps, il eut été élevé à l'honneur de la prêtrise, voulant remplir les devoirs de son ministère, il se mit à prêcher à tous les commandements de Dieu. D'abord, en fils pieux et tendre, le salut de son père toucha surtout son cœur. Bientôt la sagesse du fils eut le bonheur d'éclairer le père, et d'engendrer au ciel celui qui l'avait engendre à la terre d'un débauché il fit un moine, d'un voleur un bienfaiteur libéral, et d'un esclave du démon un libre serviteur de Jésus-Christ. De jour en jour sa réputation de sainteté gravissait et se répandait parmi les peuples. Afin qu'il ne restât pas caché comme la lumière sous le boisseau, mais qu'au contraire il brillât aux yeux de tous dans la maison du Seigneur, Dieu se plut à le signaler par des miracles aussi éclatants qu'il était élevé en mérites. Or donc le bruit de ses vertus parvint jusqu'au palais du roi des Francs Théodoric, fils de Clovis, lequel avait été frappé à l'œil d'un mal subit et si terrible qu'aucun médecin n'avait pu le guérir ni le soulager. Tous les remèdes étaient épuisés, et la déplorable maladie d'un seul œil tirait des larmes d'un grand nombre d'yeux parmi le peuple. De son côté l'esprit du roi était troublé de grandes inquiétudes; il craignait de perdre l'œil, et s'effrayait de la difformité qui en serait la suite car il savait que ce serait aux yeux du peuple un grand déshonneur que d'avoir un roi borgne et alors, ou il aurait à supporter sur le trône l'opprobre de sa difformité, ou il risquait de perdre le trône même en perdant l'œil. Dans cette extrémité il ne restait plus qu'une ressource au roi, celle de recourir à l'assistance divine puisque les remèdes humains étaient impuissants. Il fait donc mander le vénérable Thierri et, quand il est venu, il lui déclare la maladie dont son œil est affligé; il lui confesse toute la peine qu'il ressent, et cherche à prévenir, à force de prières, les dangers qu'il redoute. L'homme saint, sachant bien que toute grâce est l'œuvre de Dieu, et non pas de la fragilité humaine, prosterne son corps en terre, élève son esprit au ciel, et se confond en oraison. Quand sa prière est finie il se lève, tourne ses regards vers le ciel, invoque le nom de la très sainte Trinité; puis, versant un p^J d'huile bénite sur l'extrémité de son pouce, il imprime le signe du salut sur l'œil malade, et au moment même il le guérit et lui rend la lumière. Transporté de joie, le roi chante les louanges du Roi des rois; le peuple fait éclater aussi ses transports toute la cour est dans l'allégresse tous bénissent Thierri, tous glorifient le Seigneur, qui se montre admirable en ses saints. Les grands du royaume sont convoqués par le roi, et dans cette assemblée publique viennent le féliciter de la grandeur du miracle de ce qu'il a si tôt senti la vertu du remède spirituel, et de ce qu'aucune trace de cicatrice, pas le plus léger nuage pas la moindre tache ou taie ne reste sur l'oeil si merveilleusement guéri. A quels honneurs le roi n'élèverait-il pas le serviteur de Jésus-Christ, s'il le voulait! de quels présents, de quelles dignités ne le comblerait-il pas, s'il ne se faisait un devoir de les mépriser car qu'y a-t-il de plus précieux que la vue? Mais, fuyant les louanges humaines et les récompenses mortelles, Thierri aima mieux donner pour rien comme il avait reçu pour rien; et, dans sa profonde humilité, ne voulant plus désormais porter le même nom que le roi, il pria qu'on rappelât Théodorion au lieu de Théodoric. Alors le roi admirant une si pure et si simple humilité, et baisant les mains vénérables du saint prêtre, implore sa bénédiction, et le fait reconduire avec pompe et honneur jusqu'à son monastère. Combien alors vous auriez vu de malades accourir sur son passage et s'en retourner subitement guéris Une fille du même roi fut aussi, dit la tradition, ressuscitée par ce saint et glorieux prédicateur de Jésus-Christ. La voyant depuis longtemps languir, le roi s'était adressé à saint Rémi, et l'avait prié de venir, afin d'assister sa fille de ses prières, et de lui imposer les mains. Le saint évêque, se trouvant retenu par une indisposition, se fit remplacer par saint Thierri, qu'il avait élevé dans la piété et la chasteté, instruit aux doctrines spirituelles, et qu'il voyait doué comme lui du don de guérir, et lui remit, comme un père à son fils, le soin de cette commission. Empressé d'exécuter les ordres de son maître Thierri se met en route; mais tandis qu'il poursuit son chemin en toute hâte vers le palais du roi, espérant qu'en cette entreprise il serait assisté de la bonté divine, on vient lui annoncer que la jeune fille est morte on l'engage à ne pas se fatiguer inutilement, et à s'en retourner à son monastère; mais lui, toujours fidèle aux ordres de son maître, ne se décourage point et arrive au palais. Il trouve les parents accablés de douleur, et toute la cour en deuil. Touché de leurs larmes, le saint du Seigneur pleure avec eux, puis, faisant sortir la plupart des assistants, il reste seul avec un petit nombre, et s'assied près du lit de mort. Lors, levant le cœur, les yeux et les mains vers le ciel, le visage baigné de larmes il répand devant Dieu, dans le secret de son cœur, de ferventes et profondes prières et quand par une inspiration du Saint-Esprit il se sent exaucé, il s'approche du corps de la défunte, oint d'huile sainte avec le pouce les organes qui sont le canal des sens, et soudain à cette onction ces membres frappés de mort sont miraculeusement ranimés. Les yeux revoient la lumière, le cœur recommence à battre, la voix revient, et la jeune fille proclame qu'elle est rendue à la vie par les prières de saint Thierri. Les parents accourent, admirant avec grande joie le miracle; toute la cour, toute la maison tressaillent d'allégresse. Le saint reçoit les hommages du roi et des grands; tous les gens du palais le glorifient. La foule du peuple l'élève jusqu'au ciel. Le roi, voulant donner une preuve de sa munificence, non seulement au saint disciple, mais encore au saint maître, donna en pur don à saint Rémi le domaine de Vendier, sur la rivière de Marne, et à saint Thierri celui de Gaugeac, au territoire de Reims. Dans la suite, sous le règne de Charles, fils de l'empereur Louis, un des grands de la cour, nommé Enguerrand, ignorant cette donation, demanda le village de Vendier au roi qui le lui accorda. Hincmar, qui occupait alors le siège de Reims, apprenant cette usurpation, fit chercher dans les archives de l'église la charte de donation passée par ordonnance royale, et l'envoya au roi Charles en le priant de ne pas usurper les biens de l'Église contre la loi canonique. Cette charte porte, en termes exprès, comment, en reconnaissance de ce que sa fille avait été ressuscitée par les prières de saint Thierri, le roi avait voulu honorer de sa munificence le serviteur de Dieu en lui donnant le domaine de Gaugeac; et comment, voulant aussi reconnaître les mérites du grand saint Rémi, auquel le Seigneur avait fait la grâce d'avoir un tel disciple, qui, doué comme son maître des dons de l'Esprit saint, ressuscitait comme lui les morts, il avait donné à saint Rémi le domaine de Vendier. Ce que voyant le roi Charles, d'après le témoignage de la charte, il s'abstint d'usurper le domaine, et laissa à l'Église la libre jouissance de son bien. On raconte que ce fut à la sollicitation de ce saint personnage que saint Rémi détruisit la compagnie de prostituées qui jusque alors avaient tenu leur infâme commerce aux portes de la ville, et en forma une congrégation de quarante veuves assignant les fonds nécessaires à leur entretien, et voulant que le nombre de quarante demeurât à perpétuité comme nous le voyons en effet de nos jours, or voici comment advint la destruction de ce lieu de débauche. Saint Rémi allant visiter un jour le monastère de saint Thierri, et passant auprès de la maison des prostituées avec son disciple chéri, tous deux chantant des psaumes, la voix manque tout-à-coup à Thierri. En revenant, la même chose arriva encore au même endroit et sur le même verset. Le saint évêque, étonné, voulut savoir pourquoi son disciple, si zélé et si exercé aux louanges du Seigneur, hésitait contre sa coutume. Lors celui-ci lui révéla sa profonde douleur de voir ainsi des âmes se perdre, et le diable faire, si près du saint père, un tel trafic et profit de débauche et de turpitude; ainsi le pieux évêque fut persuadé, à la suggestion de son chaste disciple, de détruire cette caverne du diable, et de ramener les âmes déçues et décevantes à la charité de Jésus-Christ. Beaucoup d'autres miracles ont été encore opérés par ce fidèle serviteur de Dieu; car il rendait la vue aux aveugles, aux boiteux l'usage de leurs jambes; ranimait les mains des paralysés, délivrait les possédés, et enfin détruisait par l'antidote de la médecine céleste les mille et un artifices dont Satan se prévaut pour nuire. Heureux pasteur du troupeau de Jésus-Christ, auquel il fut donné de conférer la santé du corps aussi bien que de l'ame il persévéra jusqu'à la fin dans le service de Dieu, et ce qu'il prêcha de bouche, il le prêcha aussi d'exemple. Enfin après beaucoup d'œuvres vertueuses et de miracles, ayant saintement combattu jusqu'à emporter la victoire, et heureusement parcouru la carrière, il passa de ce monde à la gloire de Jésus-Christ, le premier jour de juillet; et les saints esprits du ciel vinrent au-devant de lui et les anges le reçurent avec joie. Averti de sa mort, le roi Théodoric se mit sur-le-champ en route pour le monastère, avec une suite nombreuse, et, se souvenant du bienfait qu'il en avait reçu comme aussi n'oubliant pas les services et hommages qu'il lui devait, il voulut porter lui-même sur ses épaules le corps du bienheureux abbé jusqu'en sa sépulture; et il ne faut pas s'étonner que le roi des hommes ait pris plaisir à déposer lui-même dans le tombeau le corps de celui dont le Roi des anges recevait l'âme dans les cieux avec grande joie. Encore aujourd'hui la grâce de Dieu se plait à opérer chaque jour divers miracles au tombeau vénérable de son serviteur. Soit paresse ou rareté des écrivains, beaucoup ont été ensevelis dans le silence, mais il en est un qui a eu lieu il n'y a pas longtemps, et que nous croyons devoir raconter. Un jour de samedi, environ à l'heure des premières vêpres du dimanche, une pauvre femme, nommée Gilloïde, serve de Saint-Denis et du village de Hautvilliers, tournait une meule tout-à-coup sa main s'attacha au manche de la meule, au point que personne ne put l'en séparer. Enfin elle fut forcée de couper le manche des deux côtés de la main, ne voulant pas porter avec elle la preuve de son travail coupable. Inquiète de recouvrer l'usage de sa main, comme en ce temps les reliques de saint Denis étaient en dépôt à Reims à cause des courses des Normands elle avisa d'aller invoquer l'assistance du saint martyr son seigneur. Là, se prosternant contre terre avec crainte et respect, elle demanda avec instance d'être délivrée de la souffrance et de la honte d'une si grande confusion. Elle continua de prier tout le jour et toute la nuit, ne désespérant point d'obtenir remède à ses maux. Mais voilà que pendant son sommeil il lui apparaît un homme sous le costume ecclésiastique, vêtu d'une robe blanche, l'air riant, les cheveux très blancs, et le visage un peu maigre, qui lui dit : Lève-toi d'ici et va trouver saint Thierri parce que le second dimanche après celui de demain est le jour de sa fête, aie soin de ne pas te présenter les mains vides en sa maison; mais prends un cierge, selon que tes moyens te le permettront, vas ainsi à son église, et par son intercession tu obtiendras ce que tu demandes. Aussitôt elle s'éveille, et étonnée de sa vision, elle prie le Seigneur de la lui confirmer, et part pleine de joie pour accomplir ce qui lui a été ordonné; et en effet elle se rendit à l'église du saint le jour de la célébration de sa fête, précisément trois semaines après que son malheur lui était arrivé. Là, prosternée avec larmes devant le saint sépulcre, elle se répand en prières pour sa guérison, demandant pardon de son offense avec humilité et confiance. Pendant qu'elle est ainsi étendue devant la tombe du bienheureux confesseur de Jésus-Christ, par un ordre de la grâce de Dieu, et par l'intercession du saint la main de la pauvre femme se détache peu à peu du bois, et, s'ouvrant par degrés sans douleur aucune enfin la main s'étend tout entière, et le bois tombe sur le pavé plus vite que la parole, comme s'il n'avait jamais tenu à la main. Beaucoup qui étaient présents, voyant ce miracle éclatant de la miséricorde céleste, glorifièrent le Seigneur, admirable en ses saints. [1,25] CHAPITRE XXV. De saint Théodulphe. Saint Théodulphe fut le troisième abbé de ce monastère après saint Thierri. Lié par le sang aux premiers seigneurs de la cour, brillant de toute la dignité des vénérables moines et dignes prêtres, il compta pour rien l'éclat de la noblesse, et choisit de servir Dieu en sainteté, abandonnant les sentiers douteux pour suivre la droite voie, et échappant aux flots orageux du monde pour aborder au port du salut. Étant donc entré dans le monastère de Saint-Thierri, il mit en oubli la gloire du siècle, abaissa en humilité l'orgueil de sa naissance, et se soumit aux plus vils services, creusant la terre avec la bêche, ou menant la charrue, accomplissant ainsi les paroles du psalmiste : Vous mangerez le fruit des travaux de vos mains, et en cela vous êtes heureux, et vous le serez encore à l'avenir. Pendant vingt-deux ans il se livra à ce travail quotidien, labourant avec deux bœufs et endurant d'un cœur inébranlable les durs et divers changements du temps. Mais ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que ni l'âge ni la fatigue n’épuisèrent ses bœufs, et qu'il faisait avec eux deux seuls ce que les autres laboureurs ne pouvaient faire qu'avec quatre, six ou huit. Quand il quittait la charrue il prenait la bêche, et ce que l'on ne saurait trop admirer, c'est que, malgré de si durs et si après services, ses forces ne lui aient jamais manqué et même on raconte qu'en revenant des champs il passait souvent une nuit et quelquefois deux de suite à veiller, et a chanter des hymnes et des psaumes. Un jour que, sa journée finie, il revenait des champs, il eut besoin de s'arrêter en route pour remettre quelque chose en état à sa charrue, et ficha en terre son aiguillon; quand il eut fini, soit qu'il n'y pensât pas, soit que la volonté de Dieu en eut ainsi décidé, il oublia son aiguillon à l'endroit, et rentra au monastère. Chose merveilleuse! l'aiguillon prit racine pendant la nuit, et le lendemain matin, quand, retournant à son travail accoutumé, il voulut le reprendre, il le trouva chargé de feuilles; si bien qu'avec le temps, croissant en force et en vigueur, il devint un grand arbre, et beaucoup l'ont vu jusqu'à ce qu'enfin un passant, bien digne d'être puni, s'avisa de le couper; mais en le coupant il perdit la vue, et fut pour toujours plongé dans les ténèbres. Sa charrue avait été suspendue par les fidèles dans l'église du village, et y fut conservée jusqu'au temps où cette église devint la proie des flammes dans une incursion des ennemis. Quiconque souffrait du mal de dents n'avait qu'à arracher un petit éclat de la charrue, et ensuite s'en servir pour tirer un peu de sang de la gencive malade et aussitôt il obtenait guérison par les mérites de saint Théodulphe. Ces miracles n'ont pas seulement été transmis par la tradition, mais ont été vus par un grand nombre de témoins, et les guérisons sont attestées par des preuves certaines. Quand l'abbé qui avait succédé à saint Thierri fut mort, saint Théodulphe fut ordonné troisième abbé de la communauté, du consentement de l'évêque et à la requête de tous les moines. Du moment où il prit en main le gouvernement de l'abbaye, il ne se permit aucun repos, pas plus qu'un novice inhabile qui aurait embrassé tout récemment l'exercice; et, comme il avait été infatigable au travail des mains, il ne s'épargna pas davantage au travail des choses divines, et s'employa doublement, car il fit élever une église en l'honneur de saint Hilaire pour doubler ses travaux. En effet, la cloche sonnant, il se trouvait à laudes avec les frères; mais, afin de mériter une double couronne, il recommençait en cette église tous les versets, comme s'il n'avait rien dit; et, quoiqu'il s'efforçât de cacher sa piété, le Seigneur ne souffrit pas que les œuvres de son serviteur demeurassent inconnues. En effet, un jour un porc, allant et venant autour d'un puits où les habitants du voisinage puisaient leur eau tomba dedans. Les moines accoururent de tous côtés, mais personne ne pouvait retirer la pauvre bête prête à périr, le puits ayant, disait-on, cent pieds de profondeur. Cependant l'homme de Dieu survint; et, craignant que l'eau ne se corrompît si l'animal y restait, il commença à être inquiet; et, levant les yeux vers le ciel, reposant son cœur dans le Seigneur avec d'ardentes prières, il invoqua l'aide de Jésus-Christ; et à peine a-t-il commencé à prier que soudain l'eau, se soulevant et montant jusqu'à l'ouverture du puits, dépose l'animal sain et sauf à ses pieds. A cette vue, tous, frappés d'étonnement rendirent grâces au Seigneur, qui avait daigné conférer une grâce si éclatante à son fidèle serviteur. Un autre jour, qu'il allait de son monastère quelque part, il rencontra un laboureur qui labourait le chemin public par où il avait coutume de passer, et il lui dit : O homme, il n'est pas bien de labourer le chemin par où doivent passer les voyageurs sans blesser leurs pieds. A son retour l'homme de Dieu passant par le même chemin, retrouva le laboureur qui poursuivait comme il avait commencé, et lui dit : Ne t'ai-je pas dit que tu ne dois pas labourer ce chemin? Et en même temps, s'approchant du paysan, il lui toucha la tête avec la main, disant : Par cette tête que je touche, ô homme, je te somme que tu n'aies désormais à labourer ce chemin. Et au moment où il retira sa main, toute la partie qu'il avait touchée parut blanche comme laine. Or il n'est pas douteux que l'homme de Dieu ne voulut pas faire tomber les cheveux, mais bien laisser un signe à la génération suivante qui avertît de ne jamais avoir l'audace de faire ce que saint Théodulphe aurait défendu; car tant que la postérité de ce laboureur a duré, elle a porté pareille marque à celle que la main du saint homme avait imprimée au père. Un homme qui avait été frappé à l’œil d'un coup de baguette, qui depuis ce temps en avait perdu l'usage, et à qui la douleur ne laissait pas un moment de repos, désespérant presque de jamais recouvrer la vue, vint trouver le saint abbé. Théodulphe le conduisit à l'autel, lui ordonnant de le baiser; et, pendant que celui-ci baisait la nappe sainte, lui-même se prosterna en prière. Bientôt après le saint se releva, et au moment même le jeune homme ne sentit plus le moindre mal. Remerciant son bienfaiteur comme il le devait, il s'en retourna chez lui joyeux d'avoir obtenu la guérison qu'il était venu chercher. Offon, ambassadeur des Austrasiens (qui sont les Francs supérieurs), venant du côté de l'orient porter des paroles au roi qui régnait alors sur notre pays, entra en passant dans le monastère de saint Théodulphe pour y faire sa prière. Par hasard saint Théodulphe, accablé de fatigues et de veilles, prenait en ce moment quelque repos sur son lit. Blessé au fond du cœur de ce que l'abbé n'était pas venu le recevoir, l'ambassadeur, dans le trouble de la colère, se permit des propos indécents. Comme il s'en allait plein de dépit, pour mettre le comble à son courroux, voici venir un de ses esclaves qui lui annonce que son cheval le plus beau et le plus fort vient de tomber mort. A cette nouvelle, frémissant de fureur en lui-même, et, ajoutant colère à colère, il ressent en son cœur le double tourment et du courroux et de la perte qu'il éprouve. A son réveil l'homme de Dieu apprenant cette nouvelle, s'empresse d'aller le consoler, et avec sa douceur accoutumée il essaie de calmer ses esprits agités, l'invite à la prière, et l'engage à placer son espérance en Dieu, et à ne pas se troubler de l'accident qui lui arrive. Marchant ainsi tous deux vers l'église de Saint-Hilaire martyr, à l'endroit où l'on adore le signe de la croix, saint Théodulphe, après avoir fait sa prière ordinaire sur le chemin se tournant vers l'ambassadeur avec un visage riant, lui dit : Ne craignez rien vous trouverez à la porte du monastère votre cheval sain et bien portant. Si vous étiez parti en colère, comme vous aviez commencé, vous nous auriez laissé le cadavre de votre cheval. L'ambassadeur avait peine à ajouter foi à ces paroles, surtout ayant vu lui-même son cheval mort et enflé par tout le corps. Mais l'esclave accourut, affirmant que les choses se passaient comme le saint prêtre de Jésus-Christ venait de le lui annoncer. Alors l'ambassadeur, reconnaissant la vérité du miracle qu'il ne croyait pas, et déposant tout sentiment de colère, rendit grâces au Seigneur, confessant qu'il avait vu lui-même de ses yeux, et éprouvé par sa propre expérience ce qu'il avait depuis longtemps entendu dire à plusieurs des mérites du serviteur de Dieu. Mais Théodulphe lui dit : Je n'attribue pas ceci à mes mérites, car je ne suis qu'un homme pécheur mais rends grâces à Dieu, et ne cesse pas de vénérer les vertus des saints, qui en toutes choses peuvent t'aider de leur assistance. Après ces conseils et instructions il lui donna sa bénédiction et le laissa partir. Et de ce fait il apparaît clairement qu'outre le don des miracles, il fut aussi doué de l'esprit de prophétie, puisqu'il prédit le retour à la vie d'un animal qu'il avait laissé mort en partant. Enfin il nous serait impossible de nombrer tous ses miracles; et celui-là seul qui a bien voulûmes permettre sait combien de malades affligés de diverses maladies ont été guéris par son intercession. Mais, entre autres grâces que Jésus-Christ a faites à son serviteur, il en est une surtout remarquable et frappante c'est qu'il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans, jouissant de la plus belle vieillesse, distingué par sa belle chevelure blanche, aimable et riant en son air, tempéré dans ses mœurs, plein de charité, libéral en aumônes, magnanime contempteur du monde, et que jamais ni douleur de fièvre, ni fatigue de corps, ni accident, ni peine de l'âme, ne l'empêchèrent de vaquer à la prière et aux œuvres du Seigneur, tant que son âme bienheureuse anima son corps. Quand enfin Dieu, dans sa bonté, crut que le temps était venu de faire jouir des rafraîchissements du repos et du prix de ses mérites son vieux et fidèle serviteur blanchi dans le travail, il permit qu'il fût saisi d'une légère et courte fièvre. Un jour donc, étant entré à l'église au moment où on chantait matines, il se prit à prier Dieu longuement, et à lui recommander son âme, prévoyant qu'elle serait bientôt délivrée de sa prison corporelle; ensuite, la nuit finie, au lever de l'aurore, il s'en retourna en sa cellule, accompagné de quelques-uns de ses moines, tout joyeux de la visite qu'il avait reçue des saints, et de la révélation qui venait de lui marquer l'heure de sa mort; et quand il sentit que l'heure était venue, faisant sa paix avec ses frères, il leva les yeux et les mains au ciel, et rendit avec joie à son créateur son âme bienheureuse, échappée au naufrage du monde laquelle fut reçue par Jésus-Christ avec grande allégresse de toute la cour céleste. Le monastère de ces bons pères est maintenant occupé par des chanoines au lieu de moines. Il n'y a pas longtemps avant que la France fût livrée en proie au glaive des Hongrois, l'un de ces chanoines, nommé Otbert, étant à l'extrémité et souffrant mille violences des démons qui se disputaient son âme et voulaient l'entraîner en perdition, se vit enfin délivré par les mérites de son bienheureux patron saint Thierri et il vit aussi les démons, à la seule invocation du nom de Jésus-Christ et de ses saints, se retirer de lui avec grand bruit et fureur; de plus encore, il vit un frère, nommé Bertry, mort quelque temps auparavant, lequel le vint souvent visiter, et qui en le consolant l'engageait à ne pas souhaiter de rester plus longtemps en ce monde, mais au contraire à se réjouir d'aller le rejoindre au plus tôt pour voir des choses telles que, jamais sa pensée n'avait pu les imaginer; car, s'il restait plus longtemps sur cette terre il y verrait bientôt des malheurs plus grands que tout ce qu'il avait vu et en effet la suite a prouvé la vérité de ces paroles; car Otbert, se sentant mal disposé, s'en alla à l'église, recommanda à Dieu son prochain décès; puis appelant auprès de lui les chanoines ses frères, leur fit recommencer la messe, qu'ils avaient dite avec trop de précipitation, leur raconta ce qu'il avait vu, et les pria de prendre par charité leur repas en sa présence. Enfin, après leur avoir recommandé défaire le service de Dieu avec zèle, et de chanter les psaumes avec dévotion il passa tranquillement et avec joie. Après sa mort les Hongrois se sont jetés sur la France, et ont porté partout le pillage, l'incendie et le meurtre le monastère lui-même a été livré aux flammes, les villages ruinés, et le pays voisin couvert de cendres et de débris; et nous voyons maintenant clairement combien était vraie la prédiction qui lui avait été faite par révélation. [1,26] CHAPITRE XXVI. De la fontaine qui a paru naguère au monastère de saint Thierri et saint Théodulphe. Il n'y a pas longtemps que, dans la petite forêt qui touche au monastère une fontaine sortit tout-à-coup de terre. Arrivant par hasard en ce lieu, un pauvre fiévreux vit un vieillard revêtu d'un vêtement clérical, et tenant à la main un bâton d'or penché sur la fontaine. Au bruit de ses pas, le vieillard ému sembla se lever, ce qui frappa le pauvre fiévreux d'une si grande crainte qu'il tomba par terre tout ébloui et incapable de rien voir. Cependant peu de temps après, revenant à lui il se leva, et vit une grande lumière vers le monastère, du côté où le vieillard avait disparu; et ainsi guéri de sa fièvre, il s'en alla tout joyeux. En ce même temps, beaucoup d'aveugles furent rendus à la lumière par la vertu de cette fontaine, beaucoup de boiteux redressés; des muets recouvrèrent la parole, et des sourds l'ouïe. Dernièrement encore, quelque temps après l'ordination de Hugues à l'archevêché de Reims, une pauvre femme paralytique, nommée Magénilde qui était toujours gisante à la porte de l'église de Notre-Dame en la Cité, fut avertie en songe de se faire porter à cette fontaine et à peine en effet eût-elle été lavée de l'eau miraculeuse, qu'elle fut guérie. Une autre femme, nommée Adelwide qui avait les bras perclus, en retrouva l'usage aussitôt qu'elle les eut plongés dans la fontaine. Un aveugle venant de Mouson recouvra la vue au moment où il entrait dans l'église de Saint-Thierri. Une pauvre femme du lieu même en se frottant avec cette eau, recouvra incontinent l'usage d'un œil qu'elle avait perdu depuis seize ans. Fulbert, qui avait un bras sec et inutile, y retrouva aussi vigueur et vie. Amauri aveugle, y recouvra la vue enfin, les miracles s'y continuent de jour en jour, et un grand nombre d'infirmes y ont été guéris.