[9,0] LIVRE NEUVIÈME. [9,1] (I) Alexandre Sévère eut pour successeur Maximin, le premier simple soldat qui parvint à l’empire par la seule volonté de l’armée, sans aucun sénatus-consulte, et sans être lui-même sénateur. Après d’heureux succès sur les Germains, après avoir reçu des soldats le titre d’empereur, Maximin fut tué à Aquilée par Pupien, et abandonné de ses légions; en même temps que lui périt son fils encore enfant, qui avait régné avec lui trois ans et quelques jours. [9,2] (II) Il y eut ensuite trois Augustes à la fois, Pupien, Balbin et Gordien; les deux premiers de la plus basse extraction, tandis que Gordien était noble: car le vieux Gordien, son père, avait été proclamé empereur par les soldats, pendant son proconsulat d’Afrique, sous le règne de Maximin. Mais, arrivés à Rome, Pupien et Balbin furent tués dans le palais, et Gordien seul se maintint sur le trône. Après avoir épousé, fort jeune encore, Tranquilline à Rome, il ouvrit le temple de Janus au double visage et marcha en Orient contre les Parthes qui déjà méditaient une invasion dans l’empire; il obtint sur eux de prompts succès et les écrasa dans de grandes batailles. Gordien, à son retour, périt près des frontières de l’empire romain, victime de la trahison de Philippe, qui régna après lui. Les soldats romains lui élevèrent un monument, à trente milles de Circessus, maintenant forteresse romaine, surveillant l’Euphrate. Ses reliques furent ramenées à Rome et il fut mis au rang des dieux. [9,3] (III) Après le meurtre de Gordien, les deux Philippe, père et fils, s’emparèrent de l’empire, ramenèrent l’armée sans aucun échec et revinrent de Syrie en Italie. Sous leur règne on célébra, avec le plus riche appareil, des jeux et des spectacles, la millième année de la fondation de Rome. Ensuite l’armée massacra les deux empereurs: le vieux Philippe à Vérone, et le Jeune à Rome. Ils avaient régné cinq ans; on les mit eux aussi au nombre des dieux. [9,4] (IV) Après leur mort l’empire fut occupé par Dèce, né à Budalia, dans la basse Pannonie. Il étouffa une guerre civile soulevée dans la Gaule, donna à son fils le titre de César, et construisit des thermes à Rome. Après un règne de deux ans, le père et le fils furent tués tous deux dans le pays barbare et mis au rang des dieux. [9,5] (V) Bientôt on nomma empereurs Hostilien Gallus et Volusien, son fils. Sous leur règne, Emilien révolutionna la Mésie: ils marchèrent tous deux pour l’accabler, mais ils furent assassinés à Interamna, sans avoir complété la deuxième année de leur règne et sans avoir absolument rien fait dé mémorable. La peste, les maladies et divers fléaux signalèrent seuls le règne de ces deux princes. [9,6] Émilien, de la naissance la plus obscure, fut un empereur plus obscur encore et mourut après trois mois. [9,7] (VI) Licinius Valérie, qui commandait alors dans la Rhétie et la Norique, fut d’abord salué empereur, puis Auguste par l’armée. A Rome, Gallien reçut aussi du sénat le titre de César. Le règne de ces princes, funeste au nom romain, faillit ruiner l’empire par leurs infortunes ou par leur lâcheté. Les Germains vinrent jusqu’à Ravenne. Valérien, dans une expédition en Mésopotamie, fut vaincu par Sapor, roi des Perses, et même bientôt après fait prisonnier, il vieillit chez les Parthes dans une abjecte servitude. [9,8] Gallien, nommé Auguste dans sa jeunesse, eut un règne heureux d’abord, puis assez satisfaisant, et enfin désastreux. Jeune encore il se distingua par de nombreux exploits en Gaule et en Illyrie; il tua, près de Mursa, l’usurpateur Ingenuus et Trébellien. Longtemps sage et modéré, il se laissa aller à tous les excès de la débauche, il laissa se relâcher les rênes de l’empire dans sa main lâchement faible et inactive. Les Alamans ravagèrent les Gaules et pénétrèrent en Italie. La Dacie, conquise par Trajan au-delà du Danube, fut perdue. La Grèce, la Macédoine, le Pont, l’Asie furent dévastées par les Goths. Les Sarmates et les Quades pillèrent et dépeuplèrent la Pannonie. Les Germains pénétrèrent jusque dans les Espagnes et prirent d’assaut la noble ville de Tarragone. Les Parthes, maîtres de la Mésopotamie, commencèrent à convoiter la Syrie. [9,9] (VII) Dans cette situation désespérée, où l’empire touchait presque à sa ruine, Postumius, homme de la plus basse extraction, prit la pourpre dans la Gaule, et régna pendant dix années avec tant de succès, qu’à force de courage et de prudence, il sauva les provinces presque perdues sans retour: il périt dans un soulèvement des soldats, pour leur avoir refusé le pillage de Mayence, qui s’était révoltée contre lui, par les intrigues de Lollianus. Après Postumius, un ouvrier des plus vils, Marius, prit la pourpre et fut tué deux jours après. Victorin s’empara ensuite du pouvoir dans les Gaules; c’était un homme d’un courage à toute épreuve, mais débauché à l’excès et déshonorant tous les maris: aussi fut-il assassiné à Cologne la seconde année de son règne; par la trahison et la vengeance d’un greffier. [9,10] Il eut pour successeur le sénateur Tétricus, préfet d’Aquitaine, et que les soldats proclamèrent empereur en son absence; il prit la pourpre à Bordeaux, et il eut à subir plusieurs séditions militaires. Mais tandis que ces événements avaient lieu dans la Gaule, Odénath défit les Perses en Orient, défendit la Syrie, recouvra la Mésopotamie, et pénétra jusqu’à Ctésiphon. [9,11] Ainsi l’empire, dont Gallien abandonnait les rênes, fut sauvé en Occident par Postumius, en Orient par Odénath. (VIII) Sur ces entrefaites, Gallien, trahi par son lieutenant Auréolus, fut assassiné à Milan avec Valérien, son frère, la neuvième année de son règne. Claude II lui succéda, élu par l’armée, nommé Auguste par le sénat. Ce prince écrasa dans une grande bataille les Goths qui désolaient l’Illyrie et la Macédoine. Il était économe et modéré, fidèle observateur de la justice et bien fait pour gouverner l’empire mais il mourut de maladie la seconde année de son règne; il fut mis au nombre des dieux. Le sénat paya à sa mémoire un extraordinaire hommage, en lui décernant un bouclier d’or dans le sénat et l’élévation d’une statue d’or au Capitole. [9,12] Après lui, son frère Quintilius, élu empereur par l’armée tout entière, fut un modèle de modération et de popularité et sut égaler et même surpasser son frère. Le sénat aussi le proclama Auguste; mais il fut tué le dix septième jour de son règne. [9,13] (IX) Après lui, l’empire fut gouverné par Aurélien, originaire de la Dacie riveraine du Danube: grand capitaine mais d’un caractère violent, il était trop enclin à la cruauté; il remporta sur les Goths les plus éclatantes victoires, et rendit à l’empire ses anciennes limites, par les divers succès de ses armes. Dans la Gaule, il défit, près de Chalons, Tétricus, qui lui livra lui-même son armée, dont il ne pouvait plus supporter les continuelles séditions: il avait même imploré. Aurélien dans des lettres secrètes, où, entre autres supplications, il lui adressait ce vers de Virgile: "Invincible guerrier, mets un terme à mes maux". Aurélien, dans une bataille peu importante, livrée près d’Antioche, fit aussi prisonnière Zénobie, qui était reine d’Orient, depuis la mort d’Odénath, son mari: de retour à Rome, il triompha comme nouveau conquérant de l’Orient et de l’Occident; il fit marcher devant son char Tétricus et Zénobie. Tétricus fut ensuite nommé gouverneur de la Lucanie, et vécut très longtemps en simple particulier. Zénobie laissa à Rome une postérité qui existe encore. [9,14] Sous le règne d’Aurélien, les monnayeurs se soulevèrent à Rome, après avoir altéré les espèces et massacré le trésorier Félicissimus. Vainqueur des rebelles, Aurélien les traita avec la dernière rigueur; il condamna à mort plusieurs nobles. Prince farouche et sanguinaire, plutôt nécessaire en certaines circonstances que susceptible d’être jamais aimé, il se montra constamment cruel et fit périr jusqu’au fils de sa sœur; mais il réforma en grande partie la discipline militaire et la dissolution des mœurs. [9,15] Il entoura Rome de murailles plus solides et bâtit au Soleil un temple où il prodigua l’or et les pierreries. Le ravage de toute l’Illyrie et de la Mésie lui ôtant l’espérance de pouvoir conserver la Dacie que Trajan avait réduite en province de l’empire, au-delà du Danube, il en fit un désert en retirant des villes et des campagnes de cette contrée la colonie romaine, qu’il établit au centre de la Mésie; en sorte que la Dacie se trouve maintenant sur la rive droite du Danube après avoir été précédemment sur la rive gauche. Aurélien périt de la trahison d’un de ses esclaves, qui contrefit l’écriture de son maître, et porta à quelques officiers une liste où leurs noms étaient inscrits, comme si l’empereur les eût dévoués à la mort. Ceux-ci donc, pour le prévenir, le tuèrent sur le vieux chemin d’Héraclée à Constantinople, dans un endroit appelé Cénophrurium. Toutefois sa mort ne resta pas sans vengeance. Il mérita aussi d’être mis au rang des dieux, après un règne de cinq ans et six mois. [9,16] (X) Il eut pour successeur Tacite, prince accompli et digne d’administrer l’État; mais qui n’eut pas le temps d’illustrer son règne, car la mort le prévint dans le sixième mois de son avènement. Florien, qui vint après lui, n’occupa le trône que deux mois et vingt jours, et ne fit rien de mémorable. [9,17] (XI) Ensuite Probus, célèbre par ses exploits guerriers, obtint la direction de l’empire. Après une longue suite d’heureux succès, il reprit les Gaules occupées par les barbares. Il écrasa dans plus d’une bataille certains généraux qui voulaient usurper le trône; ainsi Saturninus en Orient, Procule et Bonose à Cologne. Il permit aux Gaulois et aux Pannoniens d’avoir des vignes; il en fit planter lui-même par ses soldats, au mont Almus, près de Sirmium, et au mont d’Or dans la haute Mésie, et il en laissa la culture aux habitants de ces provinces. Après des guerres innombrables, jouissant enfin de la paix, Probus dit: « Bientôt on n’aura plus besoin de soldats. » Actif, intrépide, équitable, égal à Aurélien en gloire militaire, mais supérieur à ce prince pour les vertus civiles, il fut cependant assassiné à Sirmium, au milieu d’une sédition des soldats, dans la tour de fer. Il avait régné six ans et quatre mois. [9,18] (XII) Après lui, Carus, né à Narbonne dans la Gaule, fut proclamé Auguste. Il nomma aussitôt Césars ses fils Carin et Numérien avec lesquels il régna deux ans. Tandis qu’il faisait la guerre aux Sarmates, il apprit une révolte des Perses; il passa en Orient, remporta sur eux de brillants succès, les défit dans un combat, prit les villes très célèbres de Cochès et de Ctésiphon, et vint camper au-delà du Tigre où il périt d’un coup de foudre. Son fils Numérien, jeune homme d’un excellent naturel, qu’il avait emmené avec lui en Perse et qu’on portait dans une litière, à cause d’une ophtalmie dont il souffrait beaucoup, fut tué, par ruse, à l’instigation d’Aper, dont il était le gendre. On cachait mystérieusement ce meurtre, pour qu’Aper eût le temps d’usurper l’empire, mais l’odeur du cadavre le trahit. En effet, les soldats qui le suivaient, frappés de ces exhalaisons fétides, tirèrent les rideaux de la litière, et purent s’assurer de la mort de Numérien, quelques jours après l’événement. [9,19] Cependant Carin, que son père, en marchant contre les Parthes, avait laissé, avec le titre de César, maître de l’Illyrie, de la Gaule et de l’Italie, se souilla de tous les crimes, fit périr, sur de fausses accusations, plus d’un innocent, déshonora les femmes des plus illustres personnages, et se vengea même de ceux de ses condisciples qui, à l’école, lui avaient adressé la plus légère plaisanterie. Devenu par cette conduite odieux à tout le monde, il en subit bientôt le châtiment. (XIII) Car l’armée, qui revenait victorieuse de la Perse, après avoir perdu l’empereur Carus par un coup de foudre, et le César Numérien par une trahison, donna l’empire à Dioclétien, né en Dalmatie, et d’une extraction si obscure, que la plupart des historiens le croient fils d’un greffier, et quelques-uns, affranchi du sénateur Anulinus. [9,20] Dans sa première harangue aux soldats, il jura qu’il était complètement étranger au meurtre de Numérien; et voyant près de lui Aper, l’assassin du jeune prince, il le perça de son épée devant toute l’armée. Ensuite, dans une grande bataille, livrée près de Margus, il défit Carin, l’objet vivant de la haine et de l’exécration universelles, et que ses troupes, plus fortes que celles de Dioclétien, trahirent ou au moins abandonnèrent entre Viminatium et le mont d’Or: ainsi Dioclétien devint maître de l’empire Bientôt des paysans sous le nom de Bagaudes, qu’ils donnaient à leur parti, soulevèrent la Gaule, avec leurs chefs, Amandus et Elianus; Dioclétien envoya pour les soumettre le César Maximilien Hercule qui défit ces campagnards dans de légers combats et rétablit la paix dans la Gaule. [9,21] A cette époque, Carausius, qui, malgré l’extrême obscurité de sa naissance, s’était élevé aux premiers grades et à la plus haute renommée militaire, reçut, à Boulogne, la mission de pacifier, sur le littoral de la Belgique et de l’Armorique, la mer qu’infestaient les Francs et les Saxons: il fit souvent prisonnier beaucoup de barbares; mais comme il ne rendait pas aux habitants de ces contrées la totalité du butin, et qu’il ne l’envoyait pas non plus aux empereurs, on le soupçonna de laisser descendre à dessein sur ces côtes tous les pirates, pour les surprendre à leur passage, et s’enrichir lui-même de leurs captures; sur la nouvelle que Maximien avait ordonné sa mort, il prit la pourpre et envahit les Bretagnes. [9,22] Ainsi tout l’univers se trouvant alors troublé par la révolte de Carausius chez les Bretons, par celle d’Achillée en Égypte, par les ravages des Quinquégentiens en Afrique, et par la guerre de Narséus en Orient, Dioclétien éleva Maximien Hercule, de la dignité de César à celle d’Auguste, et il nomma Césars Constance (Chlore) et Maximien: le premier était, dit-on, petit-fils de Claude (II), par la fille de cet empereur; Maximien Galérius était né dans la Dacie, non loin de Sardique. Pour se les attacher encore par des liens de parenté, il fit épouser Théodora, belle-fille de Maximien Hercule, à Constance, qui eut d’elle dans la suite six enfants, frères de Constantin; puis il donna en mariage à Galérius Valéria, sa propre fille, en les forçant tous deux de répudier leur première femme. Cependant, après d’inutiles efforts pour réduire Carausius, grand homme de guerre, on finit par faire la paix avec lui. Sept ans après, son collègue Allectus le tua et occupa lui-même les Bretagnes pendant trois années, après lesquelles il fut complètement battu par Asclépiodote, préfet du prétoire. Ainsi, après dix ans, les Bretagnes furent reconquises. [9,23] (XV). A la même époque, le César Constance (Chlore) combattit dans la Gaule, près de Langres, et le même jour, il eut des revers et des succès. Contraint, en effet, par une soudaine irruption des barbares, de fuir précipitamment vers la ville, dans le désordre de sa retraite, il trouva les portes fermées et se fit hisser avec des cordes sur les remparts ; mais ses troupes étant arrivées moins de cinq minutes après, il extermina près de soixante mille Allemands. De son côté, l’Auguste Maximien termina la guerre d’Afrique par la défaite et la soumission des Quinquégentiens, Dioclétien, après avoir assiégé Achillée dans Alexandrie, le vainquit vers le huitième mois et le tua. Il usa cruellement de la victoire et souilla toute l’Égypte de massacres et de sanglantes proscriptions. Toutefois, dans cette circonstance même, il prit de sages mesures et fit beaucoup de règlements utiles qui sont encore en vigueur aujourd’hui. [9,24] Galérius Maximien livra bataille à Narséus, entre Callinique et Carres, consultant alors son courage plutôt que la prudence, car il n’avait qu’une poignée d’hommes à opposer à l’armée la plus nombreuse. Aussi, repoussé par l’ennemi et se rendant près de Dioclétien, qu’il rencontra sur sa route, il fut accueilli, dit-on, par ce prince avec tant de hauteur que, malgré la pourpre des Césars dont il était revêtu, il fut obligé de courir l’espace de plusieurs milles après le char de l’empereur. [9,25] Bientôt cependant il rassembla des troupes en Illyrie et en Mésie; puis dans la haute Arménie, il en vint aux mains une seconde fois avec Narséus, aïeul d’Hormisdas et de Sapor, et le battit entièrement. Il sut si bien joindre, dans l’occasion, la prudence au courage, qu’il fit souvent le métier d’espion, accompagné de deux cavaliers seulement. Après avoir mis en fuite Narsès, il pilla son camp, prit ses femmes, ses sœurs, ses enfants, et toute la richesse qui s’y trouva; il s’empara du trésor de l’armée, et fit reculer Narsès jusqu’aux limites qui terminent la Perse. Il revint ensuite en triomphe trouver Dioclétien qui était pour le moment campé en Mésopotamie avec quelques troupes. Celui-ci le reçut avec toutes les marques d’honneur qu’il en pouvait attendre. Ils firent ensuite différentes guerres, ou ensemble, ou séparément et ils défirent les Carpiens, les Basternes, les Sarmates, et logèrent sur les frontières de l’empire un grand nombre de prisonniers qu’ils firent sur ces peuples. [9,26] (XVI). Dioclétien était un prince naturellement fin; il avait l’esprit, subtil et pénétrant; voulant satisfaire sa cruauté, et en faire supporter l’aspect odieux par d’autres. D’ailleurs ce fut un prince habile et laborieux. Il fut le premier qui substitua les usages des rois à ceux de la république. Ses prédécesseurs s’étaient contentés du salut, lui voulut qu’on se prosternât devant lui, et fit couvrir de pierreries ses habits et sa chaussure, ne se contentant pas du manteau de pourpre qui était la seule marque de distinction dans les empereurs, étant du reste habillés comme leurs sujets. [9,27] (XVII). Maximien était ouvertement cruel, orgueilleux, et d’un abord difficile; son caractère était peint sur son visage; il secondait Dioclétien dans ses violences, et ne suivait en cela que les mouvements de son cœur. Enfin Dioclétien se sentant peu propre à gouverner l’empire plus longtemps, à cause de son grand âge, proposa à Maximien de se retirer, et de mener une vie privée, en laissant le soin du gouvernement à d’autres qui eussent plus de force et plus de jeunesse. Cette proposition n’était pas tout à fait du goût de Maximien; il y consentit néanmoins, et ils quittèrent tous deux la pourpre le même jour, et parurent en habits de particuliers, Dioclétien à Nicomédie, et Maximien à Milan. Ce ne fut pas sans avoir reçu dans Rome les honneurs d’un superbe triomphe, pour les victoires qu’ils avaient remportées sur une infinité de nations; la pompe en fut extraordinaire par les riches dépouilles qui y parurent; on y vit les femmes, les sœurs et les enfants de Narsès marcher devant le char des vainqueurs. L’abdication faite, ils se retirèrent, Dioclétien à Salone, et Maximien dans la Lucanie. [9,28] Le premier passa le reste de sa vie dans un honorable repos, dans sa maison de plaisance près de Salone. La grandeur d’âme de ce prince doit paraître d’autant plus extraordinaire, que depuis l’établissement de l’empire, il est le seul qui de lui-même ait bien voulu descendre du faîte des grandeurs à la simplicité d’une vie privée ; aussi fut-il déifié après sa mort.