[28,0] COLLOQUE XXVIII : L'INQUISITION DE LA FOI. AULE, BARBAT. [28,1] {AULE} "Salue volontiers" est la chanson des enfants; toutefois je ne sais pas trop s'il m'est permis de vous souhaiter le bonjour. {BARBAT} En vérité, j'aimerais mieux qu'on me donne le salut que de me saluer. Mais pourquoi dites-vous cela, Aule ? {AULE} Pourquoi? Parce que, si vous voulez le savoir, vous sentez le soufre ou la foudre de Jupiter. {BARBAT} Il y a aussi les Véjoves, il y a les foudres aveugles qui, par leur origine, diffèrent beaucoup des foudres fatidiques. A ce que je suppose, vous voulez parler de l'anathème. {AULE} Précisément. {BARBAT} J'ai bien entendu d'horribles coups do tonnerre; je n'ai pas senti la coup de foudre. {AULE} Comment cela? {BARBAT} Parce que je ne digère pas plus mal et que je dors aussi tranquillement. {AULE} Mais le mal que l'on ne sent pas est ordinairement le plus dangereux. D'ailleurs ces foudres aveugles, comme vous les nommez, frappent les monts et les mers. {BARBAT} Oui, mais leurs coups sont impuissants. Le verre et les vases de cuivre jettent aussi des éclairs. {AULE} Et des éclairs qui épouvantent. {BARBAT} Oui, les enfants. dieu seul possède la foudre qui frappe l'âme. {AULE} dieu n'est-il pas dans son vicaire? {BARBAT} Plût au ciel qu'il y fût ! {AULE} Beaucoup de gens même s'étonnent que vous ne soyez pas depuis longtemps plus noir qu'un charbon. {BARBAT} Supposons que je le sois. Pourtant, si l'on suit la doctrine de l'évangile, on n'en doit souhaiter que plus vivement le salut de celui qui est perdu. {AULE} On doit souhaiter son salut, mais non le saluer. {BARBAT} Pourquoi cela ? {AULE} Afin que celui qui est frappé de la foudre rougisse et se repente. {BARBAT} Si dieu avait agi de la sorte avec nous, nous aurions tous péri. {AULE} Pourquoi ? {BARBAT} Parce que quand nous étions ennemis de dieu, adorateurs des idoles, combattant dans le camp de Satan, c'est-à-dire très excommuniés de toutes façons, c'est alors que dieu a le plus conversé avec nous dans la personne de son fils, et que par son entretien il nous a rendus à la vie, de morts que nous étions. {AULE} Ce que vous dites est est parfaitement vrai. {BARBAT} Ne serait-ce pas mal agir envers les malades si, chaque fois qu'une maladie grave afflige un malheureux, le médecin évitait de lui parler, alors que sa présence est le plus nécessaire {AULE} Mais je crains que vous ne me communiquiez une partie de votre mal avant que j'aie pu vous guérir. Il arrive quelquefois que celui qui visite un malade devienne, au lieu de médecin, lutteur. {BARBAT} Cela arrive effectivement dans les maladies du corps, mais dans les maladies de l'âme, vous avez sous la main un antidote contre toute contagion. {AULE} Lequel? {BARBAT} La ferme volonté de ne point démordre de l'opinion qu'on a une fois conçue. Ensuite pourquoi craignez-vous la lutte, quand tout se passe avec des mots? {AULE} Les mots n'ont de valeur qu'autant qu'il y a espoir de réussite. {BARBAT} Le proverbe dit : Tant que l'homme respire, on doit espérer; et suivant saint Paul : La charité ne sait pas désespérer, parce qu'elle espère tout. {AULE} Vous ne raisonnez pas trop mal; j'en conclus qu'il m'est permis de converser un peu avec vous, et, si vous le voulez, je ferai le médecin. {BARBAT} Volontiers. {AULE} Les questionneurs sont ordinairement désagréables; et cependant on loue dans les médecins ceux qui questionnent sur tout. {BARBAT} Questionnez-moi, si vous voulez, depuis la terre jusqu'au ciel. {AULE} C'est ce que je vais faire, à la condition que vous me promettrez sur votre parole de répondre sincèrement. {BARBAT} Je vous le promets, à la condition de savoir sur quoi vous voulez me questionner. {AULE} Sur le Symbole des Apôtres. {BARBAT} Voilà un terme militaire, et je consens à passer pour ennemi du Christ si là-dessus je déguise en rien mes sentiments. {AULE} Croyez-vous en dieu le père tout puissant, qui a créé le ciel et la terre ? {BARBAT} Et tout ce qui est contenu dans le ciel et sur la terre, y compris les anges. {AULE} Qu'entendez-vous par le mot dieu ? {BARBAT} J'entends un esprit éternel, qui n'a point eu de commencement, qui n'aura pas de fin, au-dessus duquel il ne peut rien y avoir de plus grand, de plus sage ni de meilleur. {AULE} Cette définition est tout à fait pieuse. {BARBAT} Un -esprit qui, par sa toute-puissante volonté, a créé toutes les choses visibles et. invisibles; qui, par sa sagesse admirable, conduit et gouverne tout; qui, par sa bonté, nourrit et conserve tout, et sauve gratuitement le genre humain de sa chute. {AULE} Ce sont là les trois principaux attributs de dieu; mais quel fruit retirez-vous de leur connaissance ? {BARBAT} Quand je songe à sa toute puissance, je me soumets à lui tout entier, sachant que devant sa majesté la sublimité des hommes et des anges n'est rien. Ensuite je crois très fermement ce que l'écriture sainte rapporte de lui; je crois également que tout ce qu'il a promis se réalisera, puisque d'un signe il peut tout ce qu'il veut, quelque impossible que cela paraisse à l'homme. Il suit de là que, me défiant de mes forces, je dépends entièrement de celui qui peut tout. Lorsque j'envisage sa sagesse, je ne fais aucun cas de mes lumières, et je crois que tous les actes de dieu sont pleins de raison et de justice, lors même qu'ils paraîtraient absurdes et iniques aux yeux de l'intelligence humaine. Quand je considère sa bonté, je vois qu'il n'y a rien en moi que je ne doive à sa libéralité gratuite; je pense qu'il n'existe aucun crime assez grand qu'il ne veuille pardonner au repentir, et qu'il n'y a point de faveur qu'il ne soit disposé à accorder si on la lui demande avec foi. {AULE} Croyez-vous qu'il suffise que vous vous formiez de dieu une telle idée ? {BARBAT} Non, le coeur plein d'amour, je mets toute ma confiance et mon espoir en lui seul, détestant Satan, l'idolâtrie et tout ce qui touche à la magie. J'adore dieu seul, ne lui préférant et ne lui égalant rien, ni ange, ni parents, ni enfants, ni femme, ni prince, ni richesses, ni honneurs, ni voluptés. Je suis mémo prêt h perdre la vie pour lui s'il l'ordonnait, étant convaincu que celui qui s'abandonne entièrement h lui ne saurait périr. {AULE} Ainsi vous n'honorez, vous ne craignez et vous n'aimez que dieu seul ? {BARBAT} Si je vénère, si je crains, si j'aime quelqu'un à part lui, c'est par considération pour lui que j'éprouve ces sentiments, rapportant tout à sa gloire, le remerciant toujours, que je sois dans la joie ou dans la tristesse, qu'il me soit donné de vivre ou de mourir. {AULE} Jusqu'à présent votre langage est très sain. Que pensez-vous de la seconde personne ? {BARBAT} Interrogez-moi. {AULE} Croyez-vous que Jésus ait été dieu et homme ? {BARBAT} Oui. {AULE} Comment a-t-il pu se faire qu'on soit à la fois dieu immortel et homme mortel. {BARBAT} Cela a été très facile à celui qui peut tout ce qu'il veut. En raison de la nature divine qu'il partage avec le père, j'attribue au fils autant de grandeur, de sagesse et de bonté qu'au père. Tout ce que je dois au père, je le dois également au fils, sauf que le père a voulu tout créer et tout nous donner par le fils. {AULE} Pourquoi l'Écriture sainte appelle-t-elle le fils Seigneur plus souvent que dieu? {BARBAT} Parce que dieu est la dénomination de l'autorité, c'est-à-dire de la prééminence qui convient surtout au père, lequel seul est le principe de tout et la source même de la divinité. Le mot Seigneur indique le rédempteur et le libérateur. Il est vrai que le père rachète par le fils et que le fils est dieu, mais en relevant de dieu le père. Seul le père ne relève que de lui-même et occupe, dans les personnes divines, le premier rang. {AULE} Vous mettez donc aussi votre confiance en Jésus? {BARBAT} Pourquoi pas ? {AULE} Le Prophète maudit quiconque a confiance dans un homme. {BARBAT} Mais à cet homme-là seul tout pouvoir a été donné dans le ciel et sur la terre; devant son nom tout genou doit fléchir, au ciel, sur la terre et dans les enfers. Néanmoins je ne jetterais pas en lui, comme l'on dit, l'ancre sacrée de ma confiance et de mon espoir s'il n'était dieu. {AULE} Pourquoi l'appelle-t-on le fils? {BARBAT} Pour qu'on n'aille pas follement le ranger parmi les créatures. {AULE} Pourquoi l'appelle-t-on fils unique? {BARBAT} Pour distinguer le fila naturel des fils adoptifs, surnom dont il partage l'honneur avec nous, et pour que nous n'en attendions point d'autre après lui. {AULE} Pourquoi celui qui était dieu a-t-il voulu se faire homme ? {BARBAT} Afin qu'un homme réconciliât les hommes avec dieu. {AULE} Croyez-vous qu'il a été conçu sans commerce humain, par l'oeuvre du saint- esprit, et qu'il est né de l'immaculée vierge Marie, à la substance de laquelle il a emprunté son corps mortel? {BARBAT} Oui. {AULE} Pourquoi a-t-il voulu naître ainsi? {BARBAT} Parce que c'est ainsi que devait naître dieu; c'est ainsi que devait naître celui qui purifierait les souillures de notre conception et de notre naissance. Dieu a voulu naître fils de l'homme, afin que nous devinssions les fils de dieu. {AULE} Croyez-vous que, pendant sa vie sur ln terre, il a fait les miracles et enseigné la doctrine dont parlent les livres évangéliques ? {BARBAT} Avec plus de certitude que je ne vous crois un homme. {AULE} Je ne suis pas l'inverse d'Apulée pour que vous me supposiez un âne caché sous la forme d'un homme. Mais croyez-vous qu'il soit ce même messie que les figures de la loi avaient dépeint, que les oracles des prophètes avaient promis, et que les Juifs avaient attendu depuis tant de siècles? {BARBAT} Je n'ai point de plus forte conviction. {AULE} Croyez-vous que sa doctrine et sa vie suffisent pour la perfection de la piété ? {BARBAT} Pleinement. {AULE} Croyez-vous qu'il a été vraiment appréhendé au corps par les Juifs, garrotté, frappé de soufflets et de coups de poing, couvert de crachats, bafoué, flagellé sous Ponce-Pilate, et enfin attaché à la croix, où il est mort? {BARBAT} Oui. {AULE} Croyez-vous qu'il a été complétement exempt de la loi du péché? {BARBAT} Pourquoi pas? Il est l'agneau sans tache. {AULE} Croyez-vous qu'il a enduré toutes ces souffronces volontairement? {BARBAT} Oui, de plein gré et même avec avidité, mais pour obéir à la volonté de son père. {AULE} Pourquoi le père a-t-il voulu que son fils unique, innocent et qu'il aimait avec tendresse, souffrit d'aussi horribles tourments? {BARBAT} Afin que cette victime nous fit obtenir de lui le pardon de nos fautes et que nous missions en elle notre espoir et notre confiance. {AULE} Pourquoi dieu a-t-il permis que le genre humain tout entier fit une pareille chute; et, s'il l'a permis, n'y avait-il pas un autre moyen de remédier à notre ruine? {BARBAT} Je suis persuadé, non par la raison humaine mais par la foi, qu'il n'y avait pas de moyen meilleur ni plus utile pour notre salut. {AULE} Pourquoi ce genre de mort lui a-t-il plu de préférence? {BARBAT} Parce que, selon le monde, c'était le plus ignominieux, que les tortures étaient cruelles et lentes, et que le supplicié, en étendant les bras sur tout l'univers, invitait au salut toutes les nation. et attirait aux choses du ciel les hommes plongés dans des occupations terrestres. Enfin l'homme-dieu voulait nous représenter le serpent d'airain que Moïse avait suspendu à un poteau afin que tous ceux qui fixeraient les yeux sur lui fussent guéris de la blessure des serpents; il voulait aussi dégager la parole du prophète, qui avait fait cette prédiction : "Dites aux nations : dieu a régné par le bois". , {AULE} Pourquoi a-t-il voulu qu'on l'ensevelit avec tant de soin, qu'on l'enduisit de myrrhe et de parfums, qu'on l'enfermât dam un sépulcre neuf taillé en plein dans le roc vif, dont la porte fût scellée et confiée à des gardiens publics? {BARBAT} Afin qu'il fût bien constaté qu'il était véritablement mort. {AULE} Pourquoi n'a-t-il pas ressuscité immédiatement? {BARBAT} Pour la même raison. En effet, si la mort avait été douteuse, la résurrection l'aurait été également, et il a voulu qu'elle fût très certaine. {AULE} Croyez-vous que son âme soit descendue aux enfers ? {BARBAT} Cet article n'était mentionné jadis ni dans le Symbole romain ni dans celui des Églises d'Orient, suivant le témoignage de saint Cyprien, et il n'en est pas question dans Tertullien, qui est un écrivain très ancien. Toutefois je crois fermement cet article, d'abord parce qu'il concorde avec la prophétie du psaume : "Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer" {Psaumes XV,10}, et encore : "Seigneur, vous avez tiré mon âme de l'enfer" {Psaumes XXIX,4}; ensuite parce que l'apôtre saint Pierre, au chapitre troisième de la première épître (sur l'auteur de laquelle il n'y a jamais eu de doute), a écrit ces mots : "Étant mort en sa chair, mais étant ressuscité par l'Esprit, par lequel aussi il alla prêcher aux esprits qui étaient retenus en prison". Mois si je crois que le Christ est descendu aux enfers, je ne crois pas qu'il y ait enduré aucun tourment, car il y est descendu non pour être torturé, mais pour détruire en notre faveur le royaume de Satan. {AULE} Je ne vois encore rien d'impie. Le Christ est mort pour nous rappeler à la vie, de morts que nous étions par le péché; mais pourquoi a-t-il ressuscité? {BARBAT} Principalement pour trois motifs. {AULE} Lesquels? {BARBAT} Premièrement, pour nous rendre certain l'espoir de la résurrection; ensuite pour que nous sachions que celui en qui nous avons mis le fondement de notre salut est immortel et ne mourra jamais; enfin pour que nous aussi, morts au péché par la pénitence, ensevelis avec le Christ par le baptême, nous soyons rappelés par sa grâce à une vie nouvelle. {AULE} Croyez-vous qu'il a transporté au ciel le même corps qui mourut sur la croix, qui ressuscita dans le sépulcre, qui fut vu et touché par ses disciples? {BARBAT} Oui. {AULE} Pourquoi a-t-il voulu quitter la terre? {BARBAT} Afin que nous l'aimions tous spirituellement, que personne ne revendique le Christ sur la terre, mais que tous indistinctement nous élevions nos âmes vers le ciel, sachant que là est notre chef. En effet, si aujourd'hui les hommes s'applaudissent tellement à cause de la couleur et de la forme de son habit, et s'il en est qui montrent le sang et le prépuce du Christ ainsi que le lait de la Vierge mère, que pensez-vous qu'il serait arrivé s'il fût resté sur la terre, vêtu, mangeant, parlant? Que de discordes eussent occasionnées ces particularités du corps ! {AULE} Croyez-vous que le Christ, en possession de l'immortalité, est assis au ciel à la droite du père ? {BARBAT} Pourquoi pas, puisqu'il est le maître de toutes choses, et qu'il partage le royaume de son père ? Il avait promis lui-même à ses disciples qu'il en serait ainsi, et il montra ce spectacle à son martyr saint Étienne. {AULE} Pourquoi le montra-t-il? {BARBAT} Pour que nous ne fussions alarmés dans aucune circonstance, en sachant quel puissant patron et seigneur nous avions dans les cieux. {AULE} Croyez-vous qu'il reviendra avec le même corps pour juger les vivants et les morts ? {BARBAT} Autant je tiens pour certain que ce que les prophètes ont prédit touchant le Christ s'est réalisé jusqu'à présent, autant je suis convaincu que tout ce qu'il a voulu quo nous attendissions dans l'avenir se réalisera. Son premier avènement s'est accompli selon les prédictions des prophètes, et il est venu humble pour nous instruire et nous sauver. Le second s'accomplira de même, et il viendra plein de majesté dans la gloire de son père. Devant son tribunal seront forcés de comparaître les hommes de toute nation, de tout état, rois, plébéiens, Grecs, Scythes, et non seulement ceux que cet avènement trouvera vivants, mais encore tous ceux qui depuis le commencement du monde jusqu'à ce jour seront morts; ils ressusciteront tout à coup, et chacun, reprenant son corps, verra son juge. On verra à ses côtés, d'une part, les anges bienheureux comme des serviteurs fidèles, et, de l'autre, les démons pour être jugés. Alors il prononcera de haut cette sentence inévitable qui livrera à des supplices éternels le diable et ses adhérents, afin qu'ils ne puissent plus nuire à personne, et qui admettra les justes au partage du royaume céleste, où ils seront à l'abri de tout chagrin. Toutefois-il a voulu que le jour de cet avènement nous fût inconnu. {AULE} Je n'entends encore rien de mal. Passons à la troisième personne. {BARBAT} Comme vous voudrez. {AULE} Croyez-vous au saint-esprit? {BARBAT} Je crois qu'il est le vrai dieu, conjointement avec le père et le fils. Je crois que ceux qui nous ont transmis les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament ont été inspirés par cet Esprit, aune l'aide duquel nul ne peut être sauvé. {AULE} Pourquoi l'appelle-t-on Esprit ? {BARBAT} Parce que, de même que nos corps vivent par la respiration, nos âmes sont vivifiées par le souffle secret du saint-esprit. {AULE} N'est-il pas permis d'appeler le père Esprit ? {BARBAT} Pourquoi pas? {AULE} Ne serait-ce pas confondre les personnes? {BARBAT} Non. Le père est dit Esprit parce qu'il est incorporel, ce qui est un attribut de toutes les personnes divines; mais la troisième personne est dite Esprit parce qu'elle souffle de quelque part, qu'elle se répand insensiblement dans les âmes, comme les vents s'élèvent de la terre ou des fleuves. {AULE} Pourquoi donne-t-on à la seconde personne le nom de fils ? {BARBAT} A cause de la parfaite ressemblance de la nature et de la volonté. {AULE} Le fils est-il plus semblable au père que le saint-esprit! {BARBAT} Non, suivant la nature divine; seulement il reproduit la propriété du père en ce sens que le saint-esprit procède à son tour de lui-même. {AULE} Qui empêche donc d'appeler le saint-esprit fils ? {BARBAT} Parce que, comme le fait remarquer saint Hilaire, on ne lit nulle part qu'il ait été engendré, nulle part qu'il ait eu un père, on lit que le saint-esprit procède. {AULE} Pourquoi, dans le Symbole, le père seul est-il appelé dieu ? {BARBAT} Parce que, comme je l'ai dit, il est le principe unique de toutes choses et la source de toute divinité. {AULE} Parlez plus clairement. {BARBAT} Parce qu'on ne peut rien nommer dont l'origine n'émane du père : car si le fils et le saint-esprit sont dieu, c'est que le père l'a voulu. Le principe fondamental, c'est-à-dire la cause de l'origine, est uniquement dans le père, qui seul ne procède de personne. Toutefois il peut se faire que dans le Symbole le nom de dieu ne soit pas propre à la personne mais employé d'une manière générale, et que par ces mots distincts de père, de fils et de saint-esprit on entende un seul dieu comprenant à la fois le père, le fils et le saint-esprit, c'est-à-dire trois personnes, - , {AULE} Croyez-vous en la sainte église ? {BARBAT} Non. {AULE} Que dites-vous? vous n'y croyez pas? {BARBAT} Je crois la sainte église, qui est le corps du Christ, c'est-à-dire la réunion de tous ceux qui dans l'univers entier professant la foi évangélique, adorent un seul dieu le père, mettent toute leur confiance dans son fils, sont animés de son saint-esprit, et de la communion desquels est retranché quiconque commet un péché mortel. {AULE} Pourquoi craignez-vous de dire : Je crois en la sainte église? {BARBAT} Parce que saint Cyprien m'a appris qu'il ne faut croire qu'en dieu, et que c'est uniquement en lui que nous devons mettre toute notre confiance. Or l'église proprement dite, toute composée qu'elle est de gens de bien, est néanmoins composée d'hommes qui de bons peuvent devenir mauvais, qui sont capables d'être trompés et de tromper. {AULE} Que pensez-vous de la communion des saints? {BARBAT} Saint Cyprien ne fait pas la moindre mention de cet article, quoiqu'il spécifie ce qu'il y a de plus ou de moins dans la croyance de chaque église. Voici ses propres expressions : "Car après ce mot (au saint-esprit) viennent ceux-ci: la sainte église, la rémission des péchés et la résurrection de cette chair". Selon quelques-uns cette partie-là ne diffère point de la précédente, elle ne fait qu'expliquer et graver dans l'esprit ce que l'on vient de dire touchant la sainte église, savoir que l'église n'est autre chose que le profession d'un même dieu, d'un même évangile, d'une même foi, d'une même espérance; la participation du même esprit et des mêmes sacrements; bref l'église est une communion de tous les biens entre tous les justes, depuis le commencement du monde jusqu'à la fin, communion qui rappelle la liaison des membres du corps entre eux, lesquels se prêtent une assistance mutuelle tant qu'ils sont vivants. D'ailleurs, hors de cette société, les bonnes oeuvres mêmes ne servent à personne pour le salut, à moins de se réconcilier avec la sainte congrégation. Suivent ces mots : la rémission des péchés, parce que, hors de l'Église, il n'y a point de rémission des péchés, quelles que soient les macérations que l'on s'impose par pénitence ou les oeuvres de miséricorde que l'on pratique. Dans l'église, je ne dis pas des hérétiques, mais dans la sainte église, réunie par l'Esprit du Christ, se trouve la rémission des péchés par le baptême, et après le baptême par la pénitence et les clefs accordées à l'église. {AULE} Ce langage est encore celui d'un homme sensé. Croyez-vous à la résurrection de la chair ? {BARBAT} C'est en vain que je croirais au reste si je ne croyais pas à cela, qui est la base de tout. {AULE} Qu'entendez-vous par chair? {BARBAT} J'entends un corps humain animé par une âme humaine. {AULE} Est-ce que chaque âme recouvrera son corps qu'elle avait laissé sans vie? {BARBAT} Elle recouvrera le même corps d'où elle avait délogé. C'est pourquoi dans le Symbole de saint Cyprien il est dit "de cette chair". {AULE} Comment se peut-il qu'un corps, qui a subi tant de modifications, ressuscite sous la même forme? {BARBAT} Celui qui a pu créer de rien tout ce qu'il a voulu sera-t-il embarrassé pour rétablir dans sa nature primitive ce qui e été modifié dans sa forme? Je ne discuterai pas rigoureusement de quelle manière cela se fera; il me suffit de savoir que celui qui a fait cette promesse est tellement ami de la vérité qu'Il ne saurait mentir, et tellement puissant que d'un signe de sa tête il exécute tout ce qu'il veut. {AULE} Quel besoin aura-t-on alors de son corps ? {BARBAT} C'est afin que l'homme, qui ici-bas avait été abaissé tout entier pour le Christ, soit glorifié tout entier avec le Christ. {AULE} Pourquoi ajoute-t-on : "Et la vie éternelle"? {BARBAT} De peur qu'on ne s'imagine que nous revivrons comme les grenouilles revivent au printemps, pour mourir une seconde fois. Ici-bas il y a deux sortes de mort : celle du corps, qui est commune aux bons et aux méchants, et celle de l'âme qui est le péché. Mais après la résurrection les justes jouiront de la vie éternelle soit du corps, soit de l'âme : car leur corps ne sera plus exposé aux maladies, à la vieillesse, à la faim, à la soif, à la douleur, à la fatigue, à la mort, ni à aucune incommodité; mais, devenu spirituel, il agira au gré de l'esprit; et leur âme ne sera plus tourmentée par les vices ni par les chagrins, mais elle jouira sans fin du souverain bien, qui est dieu. Les impies, au contraire, seront frappés de la mort éternelle soit du corps, soit de l'âme : car ils posséderont un corps immortel pour des supplices éternels, et une âme agitée sans cesse par les remords, sans espoir de pardon. {AULE} Croyez-vous cela sincèrement et tout de bon? {BARBAT} Je le crois si fermement que je suis moins certain que nous nous entretenons tous deux. {AULE} Pour moi, quand j'étais à Rome, je n'ai pas toujours trouvé des croyants aussi sincères. {BARBAT} De plus, en cherchant bien, vous trouverez ailleurs quantité de gens qui sont incrédules. {AULE} Puisque vous pensez comme nous sur tant de points difficiles, qui empêche que vous soyez tout à fait des nôtres? {BARBAT} C'est ce que je voudrais savoir de vous : car il me semble que je suis orthodoxe, et quoique je n'aille pas jusqu'à vouloir sacrifier ma vie à mes principes, je fais néanmoins tout mon possible pour que ma conduite réponde à ma croyance. {AULE} D'où vient donc cette grande guerre entre vous et les orthodoxes? {BARBAT} Demandez-leur. Mais dites-moi, mon médecin, si ce prélude ne vous déplais point, vous dînerez avec nous, et après dîner vous me questionnerez à loisir sur chaque point. Je vous présenterai mes deux bras, vous examinerez mes excréments soit solides, soit liquides; enfin vous ferez, si bon vous semble, l'anatomie de ma poitrine, afin de diagnostiquer plus sûrement. {AULE} Mais la religion défend de manger avec vous. {BARBAT} Cependant les médecins mangent volontiers avec leurs malades afin d'observer en quoi leur appétit se montre ou fait défaut. {AULE} Meir je craindrais de paraître favoriser les hérétiques. {BARBAT} Tant mieux; rien n'est plus saint que de favoriser les hérétiques. {AULE} Comment cela t {BARBAT} Saint Paul n'a-t-il pas souhaité devenir anathème pour les Juifs, qui étaient plus qu'hérétiques? N'est-ce pas favoriser que de s'appliquer à rendre quelqu'un de mauvais bon, et de mort vivant ? {AULE} Oui. {BARBAT} Favorisez donc de cette manière; vous n'aurez rien à redouter. {AULE} Je n'ai jamais entendu de malade répondre aussi bien. Allons, menez-moi à table. {BARBAT} Vous serez reçu en médecin et comme il sied auprès d'un malade. Nous traiterons le corps de telle sorte que l'âme n'en soit pas moins apte à discuter. {AULE} Tout se passera sous de bons auspices. {BARBAT} Non, il n'y aura que du mauvais poisson. Auriez-vous oublié par hasard que c'est aujourd'hui vendredi? {AULE} Il est vrai que ce cas-là est excepté de notre Symbole.