[0] DISCOURS POUR LA REPARATION DES ECOLES. [1] I. Très illustre Gouverneur, le discours que je vais prononcer sera, j'en ai la conviction, un sujet d'étonnement, non point pour vous, qui avez toujours excellé dans tous les genres d'éloquence, mais pour le plus grand nombre de mes auditeurs. Depuis ma première jeunesse jusqu'à ce jour, je n'ai jamais parlé sur ce Forum, aimant mieux exercer dans l'ombre mes faibles connaissances acquises par le travail et l'application, que de les étaler pompeusement sur la place publique ; et il doit sembler étrange de me voir enfin aborder aujourd'hui, par un tardif coup d'essai, une tribune à laquelle je ne suis point accoutumé. Il est vrai, ce siège de la justice m'a toujours paru un magnifique théâtre pour l'action et la parole ; néanmoins j'avoue que la défiance de mes forces m'en a jusqu'alors constamment éloigné, et que, même en ce moment où le sujet que je vais traiter est tout-à-fait étranger aux disputes du barreau, je suis confirmé dans ma résolution par le sentiment du trouble qui s'est emparé de moi. [2] II. Voici donc ma pensée : j'ai cru pouvoir, sans confier cette mission à personne, formuler moi-même une demande pour obtenir dans ma patrie la restauration des écoles Méniennes, et je dois d'abord ne laisser aucun doute à l'opinion publique, et prévenir les interprétations que l'on pourrait donner à ma démarche : il ne faut pas qu'on me soupçonne de prétendre à une carrière que je sens au-dessus de mes forces. Je veux que, dès mon exorde, il soit bien établi dans l'esprit de mes auditeurs que mon discours est une œuvre spéciale, temporaire et conforme aux études de ma vie; je n'ai point l'intention, par une jalousie de gloire, de m'enrôler dans la classe des avocats, à laquelle je suis toujours demeuré étranger. Je ne suis ni assez léger, ni assez présomptueux pour ignorer la différence qui existe entre les combats du Forum, et les paisibles exercices de nos écoles. Ici les esprits se préparent à la lutte, là ils combattent : d'un côté le prélude, de l'autre la bataille; les traits informes et les pierres volent au Forum, dans nos écoles les armes sont toujours polies. Dans les deux camps on applaudit : mais là l'orateur est souillé d'une poussière mêlée de sueur, ici il conserve toute l'élégance de sa tenue. Et si, pour faire un essai, ils voulaient changer de rôle, ils ne tarderaient point à s'en repentir; l'un serait éloigné par le son des trompettes et le bruit des armes, l'autre par l'appareil même du triomphe. [3] III. Je sais toutes ces choses, très illustre Gouverneur, et je ne me fais point illusion. Aussi je suis bien éloigné de renoncer aux fonctions de l'enseignement, et de me croire le talent du barreau, puisqu'en ce jour où je dois parler au Forum une seule fois et sur un seul sujet, je me borne à espérer de l'indulgence plutôt que de la gloire. Du reste, très illustre Gouverneur, ce n'est point la nouveauté du sujet qui me trouble, mais la nouveauté du lieu ; ce que je demande ne doit point rencontrer les obstacles de la contradiction, et même doit être appuyé favorablement et soutenu avec joie par tous ceux qui attachent du prix à la divine libéralité de nos princes, à la restauration de la ville et au culte des beaux-arts. Il s'agit de réparer, en même temps que les temples et les autres édifices, ces écoles Méniennes, autrefois si célèbres par la beauté des constructions, et si fameuses par le nombre des étudiants. Ainsi, autant la nouveauté du lieu m'effraie, autant la cause que j'ai à plaider me donne d'assurance. Je crois devoir, très illustre Gouverneur, diviser mon discours en deux parties : d'abord je parlerai de l'importance et de l'obligation de rendre à cet édifice son ancienne magnificence; puis je montrerai comment, sans avoir recours au trésor public, on peut exécuter cette œuvre avec les largesses de nos illustres princes, que sauront sacrifier mon amour et mon zèle pour la patrie. [4] IV. Avant toutes choses, très illustre Gouverneur, nous devons songer par cette restauration à seconder la divine et prévoyante sollicitude de nos empereurs et de nos césars, et la bonté incomparable avec laquelle ils nous traitent. Notre ville, qui autrefois portait avec orgueil le nom de sœur du peuple romain, venait d'être entièrement dévastée dans un siège qu'elle eut à soutenir contre les brigandages des Bagaudes, et où elle avait imploré le secours de l'empereur. Nos princes voulurent la relever de ses ruines et la restaurer, non seulement d'après une pensée d'admiration pour nos anciens services, mais en suivant les règles de la commisération qui se proportionne au malheur. Ils ont pensé que la grandeur de ses ruines leur demandait des monuments immortels de libéralité, afin que la gloire des restaurateurs fût éclatante, en raison même de l'ensemble gigantesque des reconstructions. Aussi ils emploient des sommes énormes, et même, en cas de besoin, tout le trésor, à réparer non seulement les temples et les édifices publics, mais encore les maisons des particuliers; ils ne se bornent pas à ces secours d'argent, ils font venir des ouvriers d'outre-mer, des colons choisis parmi les plus illustres familles des provinces ; ils établissent dans nos murs, en quartier d'hiver, les légions les plus dévouées, sans recourir à leur valeur invincible, même dans les nombreuses guerres qu'alors ils ont à soutenir. Ils veulent qu'elles consacrent leurs travaux aux intérêts de la ville par un sentiment de reconnaissance pour notre bienveillante hospitalité; qu'elles facilitent l'écoulement des eaux, et qu'elles établissent de nouveaux courants qui pénètrent pour ainsi dire dans les entrailles arides de la ville épuisée. [5] V. Puisque les empereurs ont voulu relever cette colonie et la vivifier avec les plus grandes et les plus nombreuses ressources de l'empire, il est évident que leur intention est surtout de voir réparer ce sanctuaire des belles-lettres, où ils ont préparé le concours d'une jeunesse d'élite, par l'éclatante protection avec laquelle ils soutiennent l'honneur des études. Quel est en effet celui des anciens princes qui a mis, à faire fleurir l'instruction et l'éloquence, autant de zèle que ces incomparables et excellents maîtres de l'univers? Pour moi, à consulter mon désir et mon affection, je ne crains pas de les appeler les pères de nos enfants ; ils ont jeté un regard de compassion sur leur Gaule bien-aimée et sur les généreuses dispositions de sa jeunesse d'élite, qui venait de perdre le professeur le plus distingué; ils ont eux-mêmes et d'une manière expresse choisi un maître pour instruire et diriger nos élèves, et au milieu des occupations beaucoup plus importantes que leur crée la haute administration de l'Etat, ils n'ont point voulu que le soin éclairé des lettres leur échappât ; comme s'il se fût agi de nommer un chef pour un corps de cavalerie, ou pour une cohorte prétorienne, ils ont revendiqué comme un droit le choix du directeur des écoles. Ils craignaient que les jeunes gens destinés aux différentes fonctions des tribunaux, aux charges d'instructeur impérial, ou peut-être aux divers offices du palais, ne fussent tout-à-coup surpris par un nuage ténébreux au milieu des vagues de l'adolescence, sans avoir des règles d'éloquence sûrement établies. [6] VI. Très illustre Gouverneur, je ne cherche pas à faire mon éloge, mais je ne puis assez admirer l'incroyable sollicitude et la bienveillance que Constance notre souverain, vrai prince de la jeunesse, témoigne aux générations adolescentes de sa Gaule bien-aimée ; pour ajouter un nouveau lustre à l'honneur des lettres, et lorsque je n'avais plus d'autre pensée que de diriger mon fils dans la carrière de mes anciennes études, il m'a ordonné de reprendre mes leçons d'éloquence; et ainsi ma faible voix, qui, malgré son impuissance naturelle, avait prononcé de célestes paroles et expliqué les pensées divines des princes, sortit des retraites sacrées du palais, pour se faire entendre dans le sanctuaire privé des Muses. Ce n'est pas qu'en me chargeant de cette nouvelle fonction, il ait voulu en rien déroger à la dignité de ma position ; soit dit sans exciter l'envie, le prince me témoigne une bienveillante estime qui, pour le sage, doit tenir lieu des plus grands honneurs ; mais il a voulu que mon ancienne fonction pût rehausser l'éclat de la nouvelle qui m'était confiée. On ne saurait donc révoquer en doute l'intention des princes sur la restauration et l'embellissement des édifices consacrés à l'enseignement, puisque leur divine intelligence a mis tant de soin à choisir pour la jeunesse un maître d'éloquence. Tout homme, qui s'est fait partisan et protecteur d'une pensée, ne croit pas avoir satisfait à son désir et au vœu de sa conscience, tant qu'il n'a pas érigé un monument pour perpétuer le genre de gloire qu'il ambitionne. [7] VII. Ainsi le naturel compatissant des Athéniens érigea l'autel de la miséricorde, et la grandeur d'âme d'un général romain fit élever le temple de la vertu et de l'honneur; car toutes les fois qu'un grand homme reçut de la nature l'amour des arts ou quelque noble passion, il voulut que la consécration d'un monument en rappelât le souvenir à la postérité. Fulvius Nobilior employa les revenus de sa censure à construire dans le cirque Flaminien le temple de l'Hercule des Muses ; il suivit d'abord en cela son amour pour les lettres, et un sentiment d'amitié pour un illustre poète; puis il se rappelait avoir appris, lorsqu'il commandait en Grèce, qu'Hercule était Musagète, c'est-à-dire le compagnon et le guide des Muses. Aussi, fit-il transporter de la ville d'Ambracie les neuf statues des Muses, pour les mettre le premier sous la garde de ce Dieu puissant. Il pensait, et avec raison, que ces Divinités se devaient mutuellement l'appui, le secours et l'illustration ; le repos des Muses a besoin de la protection d'Hercule, et la valeur d'Hercule réclame le chant des Muses. [8] VIII. C'est sans doute pour obéir à cette inspiration naturelle d'Hercule son aïeul, et de Maximien Hercule son père, que César Hercule favorise avec tant d'empressement le culte des belles-lettres. Il pense qu'il appartient à la prévoyante sollicitude de Sa Majesté impériale, de former ses sujets à la science de bien dire comme à celle de bien faire; la haute intelligence de son âme divine lui fait comprendre que l'étude des lettres est le fondement de toutes les vertus ; elles sont en effet une école de tempérance, de modestie, de vigilance, de patience, et quand toutes ces vertus se sont changées en habitude dans le cœur de l'enfance, elles pénètrent avec une sève de vigueur toutes les fonctions de la vie civile, et même celles qui paraissent tout-à-fait opposées, je veux dire les charges et les devoirs de la vie militaire. Et puisque César Hercule a daigné choisir lui-même le maître de ces belles-lettres, qui nourrissent, ou, pour parler le langage de la vérité, qui engendrent tous les talents et toutes tes gloires, nécessairement il doit désirer la restauration de leur sanctuaire, afin que, rendu à son ancienne stabilité et à sa splendeur primitive, on puisse l'appeler, avec plus de justesse et de vérité que le sanctuaire de Fulvius, le temple d'Hercule et des Muses. [9] IX. Et certes, très illustre Gouverneur, il y va de la gloire que nos illustres princes ont acquise par tant de victoires et de triomphes, et il faut que les intelligences préparées par l'éducation à chanter leurs exploits, puissent recevoir la sève vivifiante, non point dans des maisons particulières, mais au conspect du public, et dans la position la plus en évidence de toute la ville. Or, quel est l'édifice mieux situé sur la partie la plus apparente et le côté dominant de la ville, que ces écoles Méniennes placées sur le passage même des invincibles princes, lorsqu'ils nous honorent de leur visite? Déjà ils se montrent si heureux du concours de la joyeuse jeunesse qui se presse sous leurs pas, comme le prouvent et les libéralités qu'ils lui accordent, et les lettres qui me sollicitent de me dévouer à son instruction ; combien plus grand sera leur bonheur, lorsqu'ils verront réparé l'édifice où doivent se réunir les élèves ! Très illustre Gouverneur, il est encore une circonstance qui rend ce monument plus célèbre, et attire davantage sur lui les yeux des césars et de tous les citoyens : c'est qu'il est placé dans un quartier très important, pour ainsi dire entre les deux yeux de la cité, entre le temple d'Apollon et le Capitole. Le voisinage des deux Divinités, en rendant ce sanctuaire plus vénérable, est un nouveau motif pour le réparer dans toute son étendue; et il ne conviendrait pas que les deux plus beaux temples de cette ville fussent défigurés par les constructions en ruine qui se trouvent au milieu. J'insiste sur cette pensée; car il me semble que le premier constructeur des écoles Méniennes leur a réservé cet emplacement afin qu'elles fussent soutenues par les étreintes bienveillantes des deux Divinités voisines; et telle est en effet la position de cet auguste sanctuaire des lettres, que d'un côté Minerve fondatrice d'Athènes le protège de son regard, et de l'autre Apollon entouré des Muses. [10] X. Il est donc très convenable et très juste d'exercer l'intelligence de la jeunesse à côté de ces Divinités amies de la science, près du maître du ciel qui inspire la sagesse, du Dieu de la poésie qui soutient la voix, de la vierge éternelle qui forme à la modestie, et du Dieu-prophète qui donne la prévoyance. Là il faut que la jeunesse d'élite, entendant notre voix préluder à des chants solennels, apprenne à célébrer les exploits de nos illustres princes. Que Jupiter père des Dieux et des hommes, et Minerve sa compagne, et Junon propice, entendent donc ici et presque devant leurs autels les éloges des Joviens et des Herculiens : on ne saurait faire un meilleur usage de l'éloquence. Je pense en avoir dit assez, très illustre Gouverneur, pour prouver la première partie de mon discours ; c'est-à-dire combien il est utile et nécessaire de réparer un édifice consacré aux études, qui sont l'objet d'une haute protection de la part de nos excellents princes ; édifice placé sur le point le plus apparent de la ville, et touchant de chaque côté aux deux temples les plus remarquables du pays. [11] XI. Maintenant j'aborde la seconde partie de mon sujet, et je vais montrer comment la restauration des écoles peut se faire, sans toucher au trésor public, et avec des largesses dont la gloire revient aux empereurs. Dans leur excessive libéralité, les princes m'ont ordonné de recevoir sur les fonds de l'Etat six cent mille sesterces ; ils n'ont point prétendu limiter ainsi les émoluments de ma charge, puisque déjà auparavant et plus tard ensuite ils m'accordèrent de bien plus grandes largesses; mais afin d'honorer cette fonction privée, ils ont voulu doubler les trois cent mille sesterces que je recevais comme secrétaire du palais. J'accepte avec respect ce traitement, je le porte en recette, et au point de vue de l'honneur, je m'en glorifie : mais je veux le dépenser dans les intérêts de mon pays, et destiner à la restauration des écoles la somme qui sera nécessaire. Il n'est pas à propos de développer tous les motifs de ma détermination : cependant, pour répondre à votre bienveillance et aux désirs empressés que me parait témoigner l'auditoire, j'en dirai quelques mots. [12] XII. Il me semble d'abord que le fruit le plus précieux d'une récompense, est de s'en être montré digne : car l'usage même de l'argent, bien ou mal acquis, est commun à tous les hommes : mais pouvoir se le procurer honnêtement, sauf à y renoncer ensuite, c'est là le plus glorieux avantage. Sans doute les marchands de Syrie, de Délos ou des Indes ne comprennent pas ce sentiment, qui est le résumé de la vraie gloire : elles sont rares les âmes, qui, au sein de la médiocrité, se contentent de ce que leur conscience a mérité. Cependant toute la gloire d'une récompense consiste à né point paraître avoir recherché le salaire avec une pensée de cupidité : et pour obtenir ce but, il est nécessaire de considérer comme reçu ce qui nous est offert. Ainsi il y a gloire à avoir mérité cette somme, et désintéressement à ne pas la conserver. [13] XIII. Les hommes courageux, qui s'exposent dans les jeux sacrés aux plus grandes fatigues, et même au péril de la vie, ne demandent comme récompense que la proclamation du héraut et la couronne de la victoire : et moi je ne recevrais pas avec plus de respect que toute la gloire des proclamations, ces paroles divines, ces lettres venues du ciel, où de si grands princes ont daigné me confier le soin d'élever la jeunesse ! Je ne les mettrais pas avec vénération au-dessus de toutes les couronnes de laurier ! lettres que je vais, très illustre Gouverneur.... et il faut que vous m'accordiez encore cette permission. Une simple narration ne suffit pas pour un témoignage aussi sacré : il mérite d'être entendu tout entier. Sa lecture complète fera mieux sentir combien est raisonnable le zèle que je mets non seulement à la culture des lettres, mais à la restauration des temples et des sanctuaires des lettres. [14] XIV. « Les Gaulois, nos fidèles sujets, méritent que nous nous intéressions à leurs enfants, dont l'esprit est formé à la culture des beaux-arts dans la ville d'Augustodunum : les jeunes gens eux-mêmes, qui, à notre retour d'Italie, nous accompagnèrent avec un si joyeux empressement, méritent que nous secondions leurs nobles inclinations. Quel bienfait devons-nous donc leur accorder, sinon celui que la fortune ne peut ni donner, ni ravir? Aussi, voulant désigner un maître à ces élèves, qui semblent orphelins depuis la mort de leur professeur, nous avons cru devoir vous choisir spécialement, vous dont nous avons su apprécier l'éloquence et la gravité des mœurs dans les fonctions que nous vous avions confiées. Sans donc porter atteinte au privilège de votre dignité, nous vous engageons à reprendre vos leçons d'éloquence, à donner aux jeunes gens une culture qui tende surtout à l'amélioration des mœurs, dans une ville à laquelle, vous le savez, nous essayons de rendre son ancienne splendeur. Et ne pensez pas que cette fonction déroge en rien à vos anciens titres d'honneur : une honnête profession relève encore une noble position, loin de la décréditer. Enfin, pour vous faire comprendre que notre bienveillance n'a point oublié votre mérite, nous ordonnons qu'il vous soit donné pour honoraires, sur les fonds de l'Etat, six cent mille sesterces. Adieu, Eumène, très cher à notre cœur. » [15] XV. A cette pressante invitation de nos illustres princes, très noble Gouverneur, ne vous semble-t-il pas voir, non seulement mon esprit affaibli par le repos se retremper avec vigueur pour reprendre ses anciennes fonctions, mais je dirai presque, les murailles elles-mêmes et les toits de nos vieilles écoles se lever par un mouvement simultané? Parlerons-nous des chants magnifiques d'Amphion, de la douceur ravissante des cordes et de la lyre, et de ces pierres, qui, selon la fable, suivaient la mesure, et soulevées par l'harmonie, ou bien s'arrêtant au repos de la musique, construisirent les murailles avec un art spontané? Comparerons-nous ces prodiges à la force et à la puissance qui existent dans ces lettres des empereurs et des césars, pour exciter tous les mouvements de l'âme et produire de merveilleux effets ? Nos princes pourraient commander; ils veulent bien agir par insinuation. Leurs volontés, même silencieuses et exprimées par un simple mouvement de tête, ont une autorité semblable à celle du Père tout-puissant, dont le moindre signe, pour confirmer sa volonté et ses promesses, fait trembler l'univers; et cependant ils tempèrent la force impérative du commandement par une bienveillante exhortation. Bien plus, ils m'animent par des louanges, en assurant qu'ils connaissent, pour les avoir éprouvés, et la gravité de mes mœurs et mes talents oratoires, et en conservant sains et saufs au professeur d'éloquence tous les privilèges attachés à ses fonctions dans le palais. Quand même jusqu'alors j'aurais été totalement dépourvu de sens, les charmes de cette divine bonté sont si puissants qu'ils auraient suffi à me donner au moins quelque intelligence : car, accorder dans un rang si illustre de si grands éloges à un seul homme, c'est, non pas exciter un orateur, mais le créer. [16] XVI. Que m'importe donc l'argent qui me serait compté? que m'importent les trésors du roi Midas, ou de Crésus, ou du Pactole qu'on dit avoir roulé de l'or? Le témoignage divin que j'ai reçu, je le préfère à toutes les richesses et à toutes les récompenses de ces princes, à moins que peut-être on ne trouve plus admirable l'oracle de la Pythie proclamant l'excellente sagesse de Socrate; à moins qu'on ne le trouve plus vrai que l'approbation des Joviens et des Herculiens, dont les paroles, que dis-je, dont les moindres signes sont irrévocables. Ainsi donc, comme je l'ai dit, très illustre Gouverneur, je croîs, en considérant la question d'honneur, devoir accepter les six cent mille sesterces ; mais j'en réserve l'usage à ma patrie, et je veux qu'ils soient employés spécialement à la reconstruction de cet édifice, où je dois exercer mes fonctions. Il me semble que cet avantage renfermé dans la lettre des empereurs de pouvoir enseigner, sans rien perdre des privilèges attachés à mon ancienne dignité, je le conserverai avec plus d'éclat et de gloire, si, par mon dévouement au bien public, je justifie les éloges que m'ont accordés nos princes immortels. Oui, j'en atteste les Dieux de la patrie, je brûle d'un si grand amour pour cette cité que, quels que soient les lieux où se promènent mes regards, j'éprouve, en voyant la reconstruction de chaque édifice, un profond sentiment de joie qui me porte à offrir quelquefois le sacrifice de ma vie pour la conservation de ceux dont les ordres et les largesses font exécuter ces travaux. Mais cependant je crois devoir, d'une manière spéciale, consacrer à ce monument les sommes qui me sont accordées pour honorer ma profession. [17] XVII. En effet, si l'on consacre à Mars les dépouilles de la guerre, à Neptune celles de la mer, à Mercure les gains du commerce; si l'on rapporte tous les bienfaits au culte de leurs auteurs, où sera-t-il permis de consacrer le salaire de l'enseignement, sinon dans le sanctuaire même où se donnent les leçons de l'éloquence? Et même, outre le culte religieux que je professe avec d'autres pour l'étude des belles-lettres, j'ai, dans le souvenir de mes ancêtres, un motif particulier d'affection aux écoles Méniennes. Il est vrai qu'avant les premières années de mon enfance, il y eut interruption dans le cours de leur enseignement : cependant le témoignage public assure qu'autrefois mon aïeul y donna des leçons; né à Athènes, il avait obtenu pendant de longues années une grande célébrité dans la ville de Rome, et il se fixa dans notre cité, dont les habitants lui avaient paru aimer sérieusement les sciences, attiré d'ailleurs par un culte de vénération pour ce sanctuaire. Voici le lieu où, d'après la tradition, il enseignait encore à l'âge de plus de quatre-vingts ans : si, par les soins de ce vénérable vieillard (c'est à vous que je m'adresse, Glaucus, vous qui êtes ici présent, et qui, sans avoir pris naissance dans la ville-mère des lettres grecques, en rappelez l'atticisme par votre éloquence), si par vos soins je pouvais obtenir la réparation et l'embellissement de ce sanctuaire, je croirais faire revivre mon aïeul, en lui succédant dans sa chaire. Très illustre Gouverneur, je ne manifesterais pas un si grand zèle pour l'honneur de ma maison et de ma famille, si je n'avais la confiance qu'il dût être agréable aux empereurs et aux césars de voir chaque citoyen, par son zèle à renouveler selon son pouvoir le souvenir des siens, imiter cette bienveillance impériale qui répare les ruines de l'univers. [18] XVIII. Quel est l'homme dont le cœur ait assez peu de noblesse et d'élévation, et soit assez étranger au désir de la célébrité, pour ne pas faire revivre, quelque faible qu'elle soit, la renommée de ses ancêtres, et ne pas souhaiter pour lui un reflet de cette gloire de famille? Ce sentiment est bien naturel, surtout à la vue de toutes ces ruines des temps passés qui se redressent dans ce siècle fortuné ; à la vue de ces villes si longtemps couvertes de forêts, servant de repaire aux bêtes féroces, et qui maintenant se relèvent avec leurs murailles et se peuplent de nouveaux habitants. Une seule fois, dans la mer Egée, l'île de Délos sortit tout-à-coup des flots, après avoir erré longtemps cachée sous les vagues ; ce prodige se renouvelle pour tant de villes qui surgissent de toutes parts, pour on si grand nombre d'îles qui renaissent à la vie et à des mœurs civilisées. Les désastres de la Bretagne n'étaient-ils pas plus grands que si cette île eût été longtemps inondée sous les eaux de l'Océan? délivrée du plus profond abime de malheurs, elle se lève à la première apparition de la gloire romaine. Et ce pays, qui vient de sortir de l'état de barbarie, n'avait-il pas été plus couvert de ruines et de désastres sous les pas féroces des Francs, que s'il eût été submergé par tous les fleuves qui l'arrosent et par la mer qui baigne ses côtes? Ferai-je l'énumération des escadrons et des cohortes rétablies sur toutes les frontières, le long du Rhin, de l'Ister et de l'Euphrate? La multitude d'arbres plantés à la main, et que développe la douce chaleur du printemps et de l'automne; les nombreuses moissons versées par les pluies, et que relèvent les rayons ardents du soleil, pourraient-elles nous faire comprendre le nombre des murailles qui se dressent sur les traces à peine retrouvées de leurs anciens fondements? Tant il est vrai que nous voyons renaître, sous les éternels auspices de Jupiter et d'Hercule, ces siècles d'or qui autrefois fleurirent trop peu de temps sous le règne de Saturne. [19] XIX. Cependant, très illustre Gouverneur, parmi les œuvres de restauration exécutées avec bonheur par la puissance de nos princes, il en est peut-être de plus grandes et de plus utiles, mais certainement il n'en est pas de plus dignes d'admiration que cette libéralité avec laquelle ils vivifient et honorent l'étude des belles-lettres. Car, je l'ai dit en commençant, jamais auparavant les princes n'avaient aussi bien compris et les devoirs de la guerre, et les embellissements qui font fleurir la paix. Les voies qui conduisent à la carrière des armes et à la culture des lettres sont bien différentes ; elles supposent diversité de caractère et opposition dans le jugement qui choisit ; enfin il n'y a aucun rapport entre les inspirations et les habitudes des Divinités qui président à ces deux genres de vie. C'est une raison de plus pour trouver nouvelles et incroyables la valeur et l'intelligence de nos princes ; au milieu de si grandes opérations militaires, ils trouvent le temps de protéger les lettres, et ils sont convaincus que le seul moyen de ramener cette époque où Rome, d'après l'histoire, était toute-puissante sur terre et sur mer, c'est de lui rendre à la fois le sceptre de l'autorité et celui de l'éloquence. [20] XX. Très illustre Gouverneur, la largesse qui nous a été accordée par nos Princes excellents, maîtres de toutes vertus, sera donc employée à cet édifice, sanctuaire dédié à l'instruction et à l'éloquence. Et ainsi, comme nous témoignons notre reconnaissance pour les bienfaits de la vie dans le sanctuaire même des Dieux qui nous les ont obtenus, de même nous célébrerons, dans l'antique séjour des lettres, la merveilleuse bienveillance de nos Princes pour favoriser la culture de l'éloquence. II faut d'ailleurs que, sous ces portiques, la jeunesse voie et contemple tous les jours l'étendue de toutes les terres et de toutes les mers; et toutes les œuvres de nos invincibles princes, les villes restaurées par leur bienveillance, les peuples soumis par leur valeur, les Barbares enchaînés par la terreur de leurs armes. Car là, ainsi que vous avez pu, je crois, le vérifier par vous-même, pour faciliter l'instruction de la jeunesse, et partant de ce principe que des choses difficiles à saisir par l'enseignement oral sont plus clairement expliquées au regard, on a représenté la situation des lieux avec leurs noms, leur étendue, leurs distances, la source et l'embouchure de tous les fleuves, les sinuosités des rivages et les circuits de la mer qui embrasse les continents, et les contrées victimes de ses mouvements impétueux. [21] XXI. Là, parmi les diverses indications des contrées, sont signalées à la mémoire de la jeunesse les glorieuses actions de nos Princes valeureux : et tandis que les courriers de la victoire se succèdent tout haletants de sueur, nous examinons de nouveau les deux fleuves de Perse, et les régions desséchées de la Lybie, et les deux bras unis du Rhin, et les nombreuses embouchures du Nil. A la vue de ces diverses contrées, l'esprit se représente les scènes les plus variées : ce sera vous, Dioclétien Auguste, pacifiant par votre clémence l'Egypte agitée et lui procurant le repos : vous, invincible Maximien, foudroyant les bataillons des Maures écrasés : vous, empereur Constance, étendant votre droite, et commandant à la Batavie et à la Bretagne de sortir des forêts et des flots leur tête défigurée : vous, Maximien César, foulant aux pieds les armées perses avec leurs arcs et leurs carquois. Aujourd'hui enfin, nous aimons à contempler la carte géographique de l'univers, puisque nous n'y découvrons plus de régions étrangères. Je viens, très illustre Gouverneur, de vous manifester mes sentiments et mes désirs. Pourrais-je, sans indiscrétion, réclamer de votre part une lettre pour appuyer ma demande auprès de l'empereur? Quand un désir est conforme à la raison, le plus grand et presque le seul fruit que nous puissions en attendre est de le voir porté aux oreilles divines de si grands Princes.