[3,0] LIVRE III. [3,1] LETTRE I. ENNODIUS A L’ÉVÊQUE SÉNATOR La première chose qui s’impose à celui qui embrasse la perfection, c’est, sans contredit, de se porter de soi-même à faire pour la justice tout ce que les autres ont coutume de ne faire que lorsqu’on le leur demande; mais la seconde, et sans laquelle on peut dire qu’il n’y a point d’honnêteté, consiste à ne point être fâché des réclamations fondées en justice. En ce dernier cas si celui qui reçoit l’avertissement n’occupe pas le premier rang, il est néanmoins agréable à Dieu en ce que l’exposé de la vérité ne le trouve pas rebelle. Or voici le fait qui motive ce préambule, car ce serait paraître oublier moi-même mes propres intérêts que de me perdre en de longs discours. Il y a quelque temps que je vous adressai personnellement une humble requête au sujet des esclaves qui furent, comme il est avéré, détournés de chez moi par vos gens, pour obtenir que l’un deux, qui ne s’était pas enfui, me fut rendu. Vous répondîtes à mes prières par la promesse sacrée que dans le cas même où l’esclave vous appartiendrait de droit, vous préféreriez m’être agréable que de rechercher vos avantages. Me voilà revenu de Ravenne et, ce qu’il est fâcheux de dire, en punition de mes péchés votre décision épiscopale reste sans effet. Oui, j’attribue à mes péchés que celui dont la bouche condamne le mensonge ait manqué à ses engagements. De nouveau je fais appel à votre conscience; c’est en fils respectueux que je vous parle et que je vous fais très humblement demander par le sublime et noble seigneur Victor, ce que j’aurais pu revendiquer en vertu des lois de l’Etat. Voyez si je mérite des reproches, moi qui ai choisi un homme tout à fait digne de traiter avec un évêque et d’un mérite tel qu’il pourrait faire fléchir les coeurs les plus rebelles à l’équité. Je me suis d’avance promis le succès de ma démarche lorsque j’ai constaté le mérite de celui que j’en ai chargé. Considérez donc, je vous prie, si la religion peut tolérer, s’il est digne d’un évêque qu’un homme qui peut commander aux rochers, n’obtienne que des refus. Deux choses me font espérer de réussir: la justice de mes revendications et les qualités personnelles du négociateur. Tout ce qui pourrait aller contre ne tarderait pas à être passé au crible de l’opinion des honnêtes gens. [3,2] LETTRE II. ENNODIUS A EUGÈNE Le commerce épistolaire, il est vrai, s’accommode mieux de la joie que du chagrin et c’est avec peine que sous l’impression d’une récente tristesse, nous exprimons en un style mal assuré les sentiments intimes de notre coeur et les tendresses de l’amitié: Il me semble cependant que de rendre plus rares les entretiens c’est un dommage pour l’amitié, et que de les supprimer absolument c’est avouer son incapacité. Dieu nous a donné le langage pour témoigner de nos sympathies. Mais, me direz-vous, mon cher Seigneur, tout cela ne touche plus guère un homme que vous savez en proie aux plus grandes douleurs; un coeur abîmé dans l’angoisse ne s’ouvre plus à exprimer l’amour et, dans l’amertume des lamentations, on perd tout sentiment de l’agréable : lorsque l’esprit est accablé il n’y a plus d’accès pour ce qui charme l’oreille: mon frère a emporté au tombeau la meilleure partie de mon âme. Que peut-on exiger d’un homme dont la moitié de la vie est enfermée au tombeau? Au plus fort de l’affliction on ne peut demander d’entendre une voix qu’étouffent les sanglots. Lorsqu’on est dans les larmes on n’a guère le coeur à dicter un récit. Je vous répondrai que ce cruel événement a rempli mon coeur d’une égale tristesse, et qu’il m’est impossible de ne point participer au chagrin de celui qui, quelques fois, en raison de l’harmonie de nos volontés, a partagé mes joies. J’allègue cependant que souvent, dans les deuils, la parole s’est faite entendre pour révéler l’étendue de la douleur et que le remède du silence fut interrompu pour donner libre cours aux confidences. J’ajouterai : Négliger de consigner par écrit ses lamentations c’est vouloir laisser périr à jamais, au bout de peu de temps, le souvenir de celui qu’on pleure : la mémoire d’un frère et d’un savant ne mérite pas qu’avec nous périsse dans l’oubli ce que nous avons pensé de lui. Lorsque les lèvres restent closes l’âme est avare de sentiments douloureux; au contraire ce que l’on écrit à la mémoire d’un être aimé pénètre, comme un dard acéré, jusqu’aux entrailles de ceux qui l’aimèrent. Le souvenir d’une mort ne s’efface pas dès lors que les funérailles restent décrites dans une lettre. Dans ce dessein, au milieu de mes larmes, j’adresse à votre grandeur ces paroles de consolation, en sorte que par notre entretien l’affection que nous nous sommes vouée sous l’invocation de Dieu, trouve son aliment, et que ce personnage éloquent dont les mérites ne doivent pas tomber en oubli, revive encore par notre conversation. [3,3] LETTRE III. ENNODIUS A SON SEIGNEUR FAUSTUS Un ami qui m’est familier, me fournit l’occasion de vous écrire. Pourquoi m’en abstenir comme si je manquais de porteur, d’autant que l’assiduité de mes lettres me vaut d’ordinaire une réponse? J’y suis aidé aujourd’hui par la demande de mon frère, l’honorable Constantius, qui vous révère grandement. Peu confiant dans ses propres mérites qui vous l’ont fait si avantageusement connaître, il désire les subordonner à mes bienfaits. N’est-ce pas, en effet, transférer à d’autres les droits acquis par nos travaux, que de demander à des recommandations ce qui nous est dû? J’ai néanmoins donné les mains à sa requête, et selon son désir, j’ai saisi l’occasion de vous adresser mes humbles hommages, priant Dieu qu’il revienne aussi promptement que possible m’apporter de bonnes nouvelles de votre santé et de la prospérité de vos affaires. Daigne cependant, votre Grandeur, en considération de moi, si du moins mes prières ont auprès d’elle quelque mérite, accorder au susdit la faveur de sa bienveillance. [3,4] LETTRE IV. ENNODIUS A L’ABBÉ ÉTIENNE Combien je bénis l’affaire qui vous oblige à m’écrire puisqu’elle me vaut de recevoir de vous des lettres qui sont pour mon âme le don le plus précieux! O l’heureuse nécessité des porteurs qui, poussés par l’obligation de se pourvoir eux-mêmes, comblent les voeux d’autrui ! Je le confesse, si ma vocation ne me l’interdisait, je serais tenté de souhaiter, comme si j’étais leur ennemi, que certains perdissent la paix dont ils jouissent. C’est qu’en effet j’obtiens de l’adversité ce que la prospérité ne m’eut point donné. Des saints, m’écrire? Comment sans la nécessité de faire face aux attaques, une telle faveur m’eut-elle été accordée, à moi, pécheur, qui jamais ne l’ai méritée? Je reconnais là de quel secours furent pour moi les prières de ceux qui, eux-mêmes, se reconnaissent pour vos débiteurs spirituels. J’attribue toutes ces faveurs à la divine Providence. Oui, je commence à croire que je me suis déchargé, pour une bonne part, du fardeau de ma vieille vie mondaine. Ne faut-il pas approcher de l’innocence pour mériter de converser avec les saints? Aussi tant que j’ai vécu selon les maximes perverses du siècle, jamais un homme d’une si haute vertu ne m’honora de ses lettres; et même longtemps après ma conversion je restai privé d’un bien si précieux. Grand Dieu! de quelle dignité vous dotez vos serviteurs, puisqu’il vous suffit d’abaisser sur eux vos regards pour leur concilier les bonnes grâces de vos amis! En vérité du fond de ma bassesse je vous ai toujours considéré avec une singulière vénération; toujours la sainteté de votre vie m’a paru infiniment au-dessus de ma misérable existence entachée de péchés dont le poids m’accable. Et voici que maintenant vous me parlez comme à votre égal. Je me trouve relevé pour m’être longtemps tenu humilié. Aidez-moi donc de vos prières; car, à ce que je vois par vos lettres, ce n’est pas en vain que vous me prêtez assistance. D’ailleurs ne furent-ils pas aussi vos clients ceux qui m’ont obtenu les biens dont je suis si heureux? Je reviens à l’affaire. Ce misérable clerc a été terrifié d’avoir à plaider devant l’évêque lorsqu’il a vu que j’étais, par votre choix, chargé de la défense de vos moines. Je serais d’avis, si vous le trouvez bon, que l’un des intéressés, muni d’une recommandation de vous auprès de votre fils le seigneur Faustus, se rendit à Ravenne, de crainte qu’à leur préjudice on n’obtienne à prix d’argent des juges, comme il y en a tant à Milan, une sentence vénale. [3,5] LETTRE V. ENNODIUS A MAXIME Je serais grandement tenté de m’enivrer, à la lecture de votre lettre, des fumées de l’orgueil, si la conscience que j’ai de mon manque de talent ne me rappelait à la modestie et ne me mettait en main la balance d’une juste appréciation, même lorsque l’on me comble d’éloges immérités. La considération dont vous m’honorez, vous a fait oublier la critique: ma condition me fait un devoir de vivre humblement retiré du monde. Vous vantez mes écrits par amitié pour moi; il me faut redouter les faux délicats dont l’insupportable dédain méprise tout et condamne même ce qu’il y a de mieux choisi. Laissez- moi cependant vous remercier de ce que vous m’écrivez que chez le Seigneur Patricius on partage à mon égard les sentiments que vous me témoignez vous-même. Si l’on m’aime ainsi, je le dois à votre insinuation, non à ma lettre, écrite d’un style rude et dépourvu d’éloquence. En adressant à votre Grandeur de dignes salutations, je rends grâces à Dieu de vous avoir, selon nos voeux, ramené auprès des vôtres, grandi par vos succès. Mon esprit, il est vrai, vous est si étroitement attaché qu’il ne vous sentit jamais absent. [3,6] LETTRE VI. ENNODIUS A LAURENT Nous devons céder à l’empire de l’amour; je suis l’esclave de l’affection à laquelle je n’ai pu refuser une parole pour vous envoyer le bonjour que je vous dois. Je n’ai pu laisser passer l’occasion d’un porteur domestique, sans vous adresser un billet en témoignage de mon amitié. Je vous salue donc avec tout le respect que je vous dois et vous prie de me procurer le plaisir de recevoir de vous une réponse, comme je me le promets en vous écrivant. [3,7] LETTRE VII. ENNODIUS AU PRÊTRE ADEODAT Qui donc, s’il lui reste quelque chose d’humain, pourrait ne pas se souvenir de votre affection? Qui ne serait désireux d’obtenir auprès de Dieu l’intercession d’une personne si parfaitement religieuse? Moi plus que tout autre, moi qui, sous le poids énorme de péchés qui m’écrase, ai obtenu votre faveur. C’est pour moi un motif d’espérer une complète absolution. Je vous salue donc avec toute la vénération qui vous est due et j’espère que vous irez faire des voeux pour moi dans tous les lieux où sont particulièrement honorés les saints (et gardées leurs reliques). Si je l’obtiens, je rendrai sans retard grâces à Dieu de ses bienfaits, car je sais par expérience que vous méritez d’être exaucé. [3,8] LETTRE VIII. ENNODIUS A AVIENUS S’il suffit de vous causer du mécontentement pour obtenir de vous lettre sur lettre, que je voudrais troubler souvent la sérénité de votre âme! En vérité, si ce n’était tout le contraire de mes intentions, je prendrais plaisir à vous donner sujet de vous mettre en colère, puisque ce que mon amitié pour vous ne me mérite pas, mes fautes me l’ont obtenu. Quant à moi, je ne puis que proclamer mon innocence dans une affaire où tout en m’accusant de négligence, vous m’accordez une récompense. Dans mon trouble je vous expédiai un serviteur par lequel je ne vous marquai que ce qui était nécessaire. Lorsque l’âme est calme la langue se prête volontiers aux devoirs de l’amitié? lorsque notre esprit est dans le trouble nous oublions même de saluer. J’ai donc doublement à remercier Dieu, et de ce que je ne suis point coupable et de ce que vous m’avez cru en défaut; votre irritation m’a valu une faveur que j’eusse à peine obtenue de votre affection. Je me sens impuissant à vous dire tout ce que je vous dois: On aime bien peu dès lors que la parole suffit à l’exprimer. Mon cher seigneur, tout en vous saluant comme je le dois, je demande à Dieu que vous ne manquiez jamais de m’écrire ce que vous pourrez avoir dans l’esprit. [3,9] LETTRE IX. ENNODIUS A. MARCELLIANUS Je sais que votre Grandeur reçoit de Dieu des faveurs insignes et qu’elle garde vis-à-vis de ses amis la constance promise. Votre esprit ne sait promettre sans être assuré de tenir et vous gardez votre amitié toujours égale; aussi, après Dieu, c’est en vos mains qu’en toute sécurité je me livre et me confie et je ne doute pas qu’en toute occurrence j’obtiendrai par vous les bienfaits divins. Monseigneur en vous rendant comme par le passé l’hommage de mes salutations, je vous demande de m’honorer souvent de vos lettres qui ont pour moi tant de charme que je considère comme un don de Dieu inestimable la joie de recevoir de bonnes nouvelles de votre santé. Au reste votre foi et votre vertu vous concilient les sympathies de quiconque à la crainte de Dieu. [3,10] LETTRE X. ENNODIUS A LUMINOSUS Il nous serait possible de garder entière la religion de l’amitié et l’affection qui nous lie, et n’a fait que croître avec les années, ne serait nullement diminuée par suite des distances qui nous séparent, si l’impossibilité de nous voir trouvait sa compensation dans le commerce épistolaire et si quoique séparés par la paresseuse enveloppe de notre corps, nous nous tenions unis par cette partie de nous-même que nous avons reçue du ciel, je veux dire par nos âmes. En ces entretiens la langue, fidèle interprète de la sincérité de notre affection, exprimerait les voeux de nos coeurs, si du moins notre parole concordait avec nos sentiments et si le fond de notre pensée s’épanchait ouvertement dans nos lettres : alors on ne verrait pas l’amitié trop négligée s’attiédir; alors au contraire éclaterait l’affection, fruit de ce mutuel attachement, et notre souvenir toujours vivant n’aurait rien à redouter de la hideuse insouciance. Mais que faire ? Hélas ! Je ne mérite que trop les nuages qui me voilent la sérénité de votre amitié et si je suis oublié, ne le dois-je pas à mes péchés? Loin de ma pensée cependant d’imiter ce dont je me plains et de me taire pour me venger de votre propre silence. Un double aiguillon m’excite à vous écrire : Je n’ai pu me refuser à cette tâche que réclament à la fois et mon coeur et mes intérêts. Vous savez, excellent ami, ce que, par moi et de sa propre bouche, votre Père vénéré, notre Seigneur évêque vous a demandé; je veux dire le remboursement des sommes dépensées à Ravenne pour subvenir aux nécessités du seigneur Pape. Ces sommes distribuées à divers personnages influents dont il n’est pas prudent de mentionner les noms, s’élèvent, comme on le sait, à plus de quatre cents solidi d’or que mon évêque avança sous ma caution. Je ne puis avoir le front de paraître librement devant lui que je n’aie obtenu par votre entremise, comme j’en ai la confiance, l’entière exécution des promesses. Je vous ai donc dépêché le porteur des présentes. homme de religion et de confiance, pour que vous me sauviez du préjudice auquel m’expose l’engagement dont j’ai parlé. Aussi en vous adressant en toute humilité l’hommage de mes salutations, je vous prie et vous adjure au nom de celui qui relativement au Saint Pape a écouté nos voeux communs, de prendre les mesures nécessaires pour que je sois délivré d’un pareil souci. Cependant, si vous ne jugez pas nos revendications assez respectueuses, notez-le moi, et je rembourserai de mon propre fonds tout ce que le vénérable évêque a avancé sous ma garantie; car j’ai en main des lettres du saint pape par lesquelles il a donné ordre de faire sous mon cautionnement toutes les dépenses nécessaires. Je laisse à votre prudence de juger si je mérite de supporter cette charge. [3,11] LETTRE XI. ENNODIUS A SÉNARIUS Si le souvenir de l’affection que vous avez autrefois témoignée à ma personne, n’était pas totalement effacé de votre esprit, si après m’avoir comblé de faveurs, vous ne vous étiez pas imposé l’obligation d’en revenir à mon égard à la stricte justice, vous m’écririez fréquemment. Mais qu’y faire, puisque l’amour gratuit ne tient pas à de fortes racines et que l’on ne tarde pas de soumettre aux rigueurs de l’examen tout ce que le souffle passager de la faveur a indûment soustrait? Je ne connais que moi qui aie dû être aimé avant que d’être mis à l’épreuve. De votre amitié je n’ai possédé d’autre fruit que ce que j’ai pu, encore inconnu, soustraire par provision. Mais il convenait de ne pas sitôt vous éloigner d’un homme auquel vous avez imposé le nom d’ami, afin que l’on ne me mit pas toujours sur la conscience que l’amitié qui me fut promise ne m’est pas gardée. Car d’ordinaire le coeur qui s’est lié d’amitié n’a point de fissures; il faut qu’il garde toujours ce qui fut une fois confié à sa fidélité. Donc en vous adressant les salutations que je vous dois, je conçois l’espérance que vous saurez fouler aux pieds les orgueilleux dédains des puissants et rehausser des insignes de l’humilité les honneurs auxquels vous êtes élevé et le pouvoir dont Dieu vous a favorisé. Que votre parole, interprète de vos sentiments, m’en donne l’assurance et que vos lettres, preuve de votre affection, en fournissent à mon coeur le fidèle témoignage. [3,12] LETTRE XII. ENNODIUS À L’ABBÉ ETIENNE A ceux qui se confient en lui, Dieu multiplie ses dons et la grâce divine déborde en eux par une double faveur. Les dons célestes les inondent semblables aux flots pressés d’un large fleuve; ces dons viennent du Christ en telle abondance qu’elle dépasse tous les désirs de ceux qui les reçoivent. Seule cette source ne faiblit ni ne manque; elle apporte en ses détours autant que mérite de recevoir celui dont l’âme est altérée. Or admirez les merveilleux effets qu’y produit sa vertu secrète: Cette eau ne fait qu’exciter sa soif et plus il approche ses lèvres desséchées de ce fleuve d’eau vive, plus il sent redoubler l’ardeur qui le dévore. Il en est absolument de même de vos lettres: autant elles comblent les désirs, autant elles les augmentent; plus on s’en rassasie plus on les désire et tandis qu’elles inondent le coeur elles y avivent le feu caché de ses désirs. J’y vois associées, comme si elles étaient soeurs, les flammes de la soif et la coupe toujours pleine qui devrait les éteindre. Deux choses d’une nature si diverse s’y trouvent unies en une harmonie qui leur est tout à fait étrangère. Que Dieu vous accorde, mon cher seigneur, de donner longtemps à la terre l’exemple d’une vie très sainte et de montrer par la sagesse de la vocation religieuse et le mépris du siècle présent, que notre espoir ne doit pas se borner à la vie d’ici bas. [3,13] LETTRE XIII. ENNODIUS A APOLLINAIRE Si je n’écoutais que la constante préoccupation où je suis journellement de répondre aux témoignages d’affection que vous me donnez, je ne laisserais passer aucun courrier sans en profiter pour jouir de la seule consolation que la divine providence a laissée aux absents, qui est de s’écrire. Mais que faire? Qui choisir parmi cette foule confuse de porteurs qui offrent leurs services? Comment y distinguer celui auquel on puisse confier les lettres avec l’assurance qu’elles vous seront remises intactes? La plupart ne sont que de vils mercenaires qui n’envisagent que l’occasion de tirer profit de ce commerce que nous inspire l’affection et il est vraiment pénible de voir tourner en aliment de la cupidité, ces relations qu’impose l’amitié. Aussi me suis-je résolu à m’abstenir d’écrire jusques à ce que j’aie sous la main un porteur de ma maison; j’éviterai de la sorte que d’indignes porteurs, auxquels aurait été confié le soin de vous remettre le témoignage de mon affection, ne négligent de le faire avec diligence et ne lui fassent ainsi perdre tout son intérêt, et que l’on ne mette sur mon compte une faute qui n’est nullement de mon fait. Ces quelques mots suffisent pour vous exposer le motif qui m’a fait à dessein garder le silence, et maintenant je me remets à vous écrire : à mesure que je trace ces lignes j’ai l’illusion de votre présence comme si par les secrets chemins des esprits votre Grandeur venait à moi. Adieu donc, mon cher seigneur; daignez avec cette bienveillance que vous devez à votre race, accorder fréquemment à votre ami le charme de vos entretiens, car pour quelqu’un qui ne cesse de penser à vous, il ne peut venir de votre part présent plus apprécié que si je vous vois souvent me donner de vos nouvelles et demander des miennes. [3,14] LETTRE XIV. {sans traduction française} [3,15] LETTRE XV. {sans traduction française} [3,16] LETTRE XVI. {sans traduction française} [3,17] LETTRE XVII. {sans traduction française} [3,18] LETTRE XVIII. {sans traduction française} [3,19] LETTRE XIX. ENNODIUS A FAUSTUS Rendons grâces à Dieu de ce que, selon mes plus vifs désirs, quelque nouvelle affaire ne me permet pas de rester longtemps sans vous écrire : rien ne s’oppose en effet à ce que nous tirions profit des relations que réclame notre mutuelle affection. Donc, mon cher seigneur, tout en vous informant de ma bonne santé je vous donne avis que je crois avoir découvert votre esclave fugitif du nom de Germain, lequel s’évada il y a plus de trois ans. Je vous en envoie le signalement. Si en réalité c’est le vôtre, faites-moi savoir sans retard ce que j’ai à faire. [3,20] LETTRE XX. ENTODIUS A FAUSTUS L’affaire de Julianus votre serviteur et mon parent, est arrêtée par les machinations que se plaît à multiplier Marcellinus. Celui-ci, disposé uniquement à la chicane, redoute l’intégrité du jugement: aussi tout en réclamant la discussion de l’affaire en justice, il fait tout pour l’éviter. Ainsi, sur l’avis qu’il avait donné je ne sais quel ordre à Gevica (son avoué), le susdit Julianus s’empressa de se rendre à l’audience du tribunal de Milan et, trente ou quarante jours durant, il donna, comme il convenait, connaissance au juge de sa présence à la barre. Il s’aboucha même avec Gevica que l’on disait chargé de conduire l’affaire, et le pressa d’en arriver au plutôt à un jugement. Il mit au courant de tout le seigneur Trasemond, comme vous pourrez le savoir par ses propres lettres. Mais il ne put rien obtenir d’un adversaire qui ne trouve d’autre moyen de soutenir une mauvaise cause que de se cacher. Je vous demande donc pour lui, bien que auprès de vous les sollicitations soient inutiles dès lors que la vérité se montre au grand jour, et vous pouvez vous en rendre compte puisque il vous a expédié toutes les pièces de l’affaire, je vous demande de vouloir bien, par votre intervention, mettre fin à tous ces ennuis. Mon cher seigneur, en vous priant d’agréer l’hommage de mes salutations, j’espère et que vous mettrez l’empressement qui vous est ordinaire à délivrer le susdit de son inquiétude, et que vous ne tarderez pas à m’écrire pour me donner de vos nouvelles. [3,21] LETTRE XXI. ENNODIUS A FAUSTUS Il suffit de peu de mots pour recommander celui qui est déjà connu depuis longtemps et qui d’ailleurs, jouit dans le public d’une bonne renommée : De longs discours sont inutiles en faveur de celui que ses propres qualités relèvent assez auprès de votre Grandeur. Tout ce préambule concerne le sublime personnage Vital, que votre parole a introduit dans le sacré collège (des sénateurs). C’est donc la lettre d’un étranger qu’il emporte comme appui, lui qui grâce à la faveur de votre discours ne se présente plus comme un étranger à la porte du Sénat. Vous lui avez ouvert le sanctuaire de la liberté, pourriez-vous lui fermer celui de votre coeur? Quant à moi je me complais à prolonger ma lettre, car si clic n’est que d’une mince utilité pour le porteur, mon affection y trouve tout profit. Je vous prie, mon cher seigneur, tout en vous rendant les salutations que je vous dois, et de manifester à l’égard du susdit la bienveillance dont l’honore Votre Eminence, et de vous souvenir de moi en m’adressant une réponse. [3,22] LETTRE XXII. ENNODIUS A FAUSTUS Je me berce d’une pure illusion lorsque mon ardent désir me fait espérer de vous de fréquentes lettres. Dans cette idée, je repais mon esprit de mille chimères. Voilà déjà longtemps que malgré ma persévérance à vous adresser des lettres continues, votre silence que je croyais vaincu, se prolonge obstinément. Mais qu’y faire, lorsque un coeur pressé par l’affection est à peine capable de raisonner? Il pense qu’il n’a pas su trouver le remède efficace. Donc en vous adressant avec la révérence accoutumée l’hommage de mes salutations, je vous recommande le porteur même des présentes, Constantin. Son honnêteté et sa modestie plaident en sa faveur et bien que mon affection pour lui me le rende très estimable, la simple justice m’oblige à l’estimer davantage encore. [3,23] LETTRE XXIII. ENNODIUS A MARCELLIANUS. Les hommes de coeur et de haute considération se plaisent à obliger et lorsque l’on a l’habitude d’écouter favorablement les requêtes, on le fait sans retard car tout délai diminue le prix du bienfait. Virgile, sublime personnage non moins distingué par sa naissance que par son honnêteté, est obligé par ordre du Comte des Largesses sacrées de se rendre à Ravenne. Cette nécessité le met dans une grande désolation. Car lors même que ce voyage répondrait à ses désirs, son âge y mettrait obstacle. Il veut donc que j’intercède auprès de vous pour lui obtenir d’être exonéré de cet ennui. Au reste il déclare que par ses rapports fréquents l’administration du dit Comte est tenue au courant de tout ce qu’il a fait. En vous rendant, Seigneur, l’hommage de mes salutations, je vous prie de vouloir bien, en considération de moi et en témoignage de votre affection, donner suite à cette demande. [3,24] LETTRE XXIV. ENNODIUS A MASCATOR L’affection que votre coeur me témoigne avec tant de franchise, m’a comme doué d’un nouveau talent: j’invoque pour mon excuse l’ordre que j’ai reçu de vous écrire, moi dont le bavardage parait aux gens instruits encore plus insupportable que l’ignorance. Un discours imposé, s’il n’a pas le mérite de l’éloquence a du moins celui de l’obéissance: Jamais on ne pourra demander raison d’un affront que l’on avait prescrit à celui qui en est l’auteur; personne ne peut à juste titre condamner celui qui exécute ses ordres; celui qui provoque un ignorant à parler ne doit s’en prendre qu’à lui-même de l’humiliation qui lui revient de la rusticité de l’orateur. C’est de l’arrogance que de ne pas obtempérer aux ordres de ceux qui nous dominent, mais plus encore que d’accueillir avec mépris ce que l’on sait n’être fait que par obéissance. C’est avouer des sentiments pervers que de ne pas agréer ce que l’on a exigé; c’est se constituer son propre juge que de suspendre le glaive de la censure sur la tête de celui qui vous obéit; c’est s’obstiner mal à propos à discuter le mérite que de le rechercher en celui qui exécute des ordres; ce n’est pas être présomptueux que de prendre la parole sur un ordre reçu. Si donc nos paroles font injure à l’éloquence nous avons pour excuse notre obéissance. A vous d’apprécier la valeur de ce que vous avez prescrit de vous offrir: Quant à moi, j’estime simplement que vous le méritez, puisque vous l’avez désiré. Je passe sous silence parmi tous ces motifs ce que j’aurais dû dire d’abord, que l’humilité ecclésiastique me fait un devoir de renoncer à tout ce qui pourrait plaire. La pompe des discours ne convient plus à celui qui doit aimer l’oraison; en considération de ma vocation, je fuis ce qui mène à la gloire; j’évite comme un vice tout ce qui élève; j’estime faute, ce qui rehausse et rend éminent; car l’amour de la faveur me ferait perdre le mérite qui me rend digne d’une juste louange. Je ne cherche point une excuse au détriment de la vérité lorsque je proteste que tout ce que j’avais acquis à cultiver les arts libéraux, je l’ai abandonné et que ce fleuve d’éloquence qui jadis coulait à pleins bords, est maintenant presque à sec. Je n’ajoute pas que ma langue assouplie par l’usage, s’est alourdie par un usage contraire; je n’ai plus d’autre éloquence que le silence; au cothurne je préfère l’abjection. Je reviens à ma première excuse : il ne m’a pas été permis de me tenir renfermé dans ma modestie ni de couvrir du voile du silence l’incapacité de mon talent; j’estime que ceci suffit à ma complète défense. Mais, excité par l’affection, voici que je dépasse par ma loquacité inconsidérée, les bornes d’une lettre. Adieu, cher seigneur; agréez l’hommage de mes salutations. J’apprécierai le cas que vous ferez de ma lettre selon que vous y ferez une réponse plus ou moins longue. [3,25] LETTRE XXV. ENNODIUS A EUGÊNE Pour estimer que la faveur de votre bienveillance peut ne pas durer il faut être soi-même d’une fidélité douteuse : Je veux cependant qu’en témoignage d’affection l’échange de lettres soit fréquent pour que l’esprit inquiet de la santé d’un ami ne soit pas agité d’une cruelle incertitude tandis que dans la réalité cette santé est excellente. D’après la manifestation de ce désir, vous pouvez, mon cher seigneur, connaître la candeur de mon âme. Servez donc vos propres intérêts et de même que le privilège d’écrire sur votre ordre m’est un honneur insigne, qu’ainsi les charmes de votre discours accroissent votre renom. Donc en vous rendant le salut que je vous dois je vous prie d’analyser les sentiments que provoque en moi le désir que j’ai de vous et d’en dégager de tout nuage la signification. Adieu. [3,26] LETTRE XXVI. ENNODIUS A AVIÉNUS Votre grandeur se tient à la hauteur de son rang et l’intégrité de votre vie est un éclatant témoignage de la noblesse de votre race. Un coeur pieux ne peut se fermer à l’affection; un esprit généreux reste religieusement fidèle à l’amitié. J’ai reçu vos écrits où resplendit la double lumière de l’intelligence et de la foi. Votre main n’a eu qu’à écrire ce que lui dicte votre coeur de saint. Je prie Dieu de vous conserver à tout jamais, pour l’amour de Rome, ces grands sentiments de piété et de me favoriser moi-même de vos fréquentes attentions pour moi, comme vous en avez donné la promesse. [3,27] LETTRE XXVII. ENNODIUS A AVIÉNUS Je ne sais si votre Grandeur aime les entretiens fréquents pour moi, je donnerai toujours le premier à mes amis ce que j’attends d’eux. Je ne m’offense pas de ce que les autres aient leur genre de vie, mais je garde le mien qui est de déverser en paroles l’affection dont mon coeur est rempli. Je ne puis, quant à moi, laisser le silence, comme un ver rongeur, se glisser dans l’amitié et la tuer en arrêtant les relations. Et maintenant, si votre Grandeur a le même souci, qu’elle le montre par l’assiduité de sa correspondance; qu’on le voie à ses fréquentes lettres. Et si au milieu des autres occupations qui, jusqu’ici, vous absorbent, vous savez néanmoins céder à l’amitié et vous rendre à mon sentiment, soyez assuré qu’autant vous m’accorderez, autant vous recevrez de moi. Adieu donc, Seigneur; agréez ce petit présent que vous estimerez au prix, non de son utilité, mais du coeur qui vous l’envoie. Adieu. [3,28] LETTRE XXVIII. ENNODIUS A EUPRÉPIE Bien que je n’aie reçu de votre charité qu’une lettre de pure civilité, qui ne répondait ni à nos liens d’affections ni à ceux de notre parenté, je n’ai pu me dispenser de vous faire une réponse de pareil style, sans la moindre expression de sentiments affectueux, car mon silence eut eu pour effet non de montrer que j’avais percé à jour votre malice, mais de révéler ma simplicité. Je ne vous permets, Euprépie ma soeur, d’alléguer comme excuse ni le malheureux état des provinces, ni la difficulté de faire partir des courriers. La vérité, c’est que vous avez beau vous éloigner, vous emportez, comme il apparaît, votre fausseté de jugement : nous avons beau changer de pays nos vices nous suivent. A l’égard de vos proches telle a toujours été votre aberration, de ne savoir ni justement apprécier ce qu’ils ont fait de bien, ni corriger leurs errements avec la modération voulue. Mais à quoi bon prolonger cette douloureuse lettre? Tous les discours resteront impuissants à changer votre naturel. Au reste, portez-vous bien, ma chère dame, et selon les circonstances disposez au mieux votre train de vie ainsi que l’état de votre âme. Or sachez bien qu’en ce qui concerne Lupicin, je considèrerai toujours non ce que je vous dois mais ce que me dicte ma conscience, car l’affection qui mérite de Dieu la plus grande récompense est uniquement celle qui n’en espère aucune de la part des hommes. [3,29] LETTRE XXIX. ENNODUS A EUGÈNE Lorsque les mots sont la fidèle expression des sentiments, les écrits sont comme un miroir où se reflète par le discours la vive image de l’ami avec lequel on s’entretient, et cette douce illusion de sa présence qui répond si bien à nos désirs, nous comble de joie. Pourtant toutes les ressources du langage restent insuffisantes à exprimer ce que contient un coeur ami, et malgré qu’il soit plus facile de dire que de donner et qu’il ne soit rien que la parole ne puisse embellir, lorsque je veux vous dépeindre mon affection pour vous, je dois avouer mon incapacité absolue. D’autre part laissez-moi vous faire reproche de votre silence : vous avez reçu deux lettres auxquelles vous n’avez nullement répondu. Et voici que je vous écris encore, car je sais accorder ce que moi-même j’attends. Adieu mon seigneur; écrivez à votre ami avec ce talent qui vous distingue; soyez lui attaché avec cette sincérité que rien n’égale. [3,30] LETTRE XXX. ENNODIUS A AINUS J’admire en vérité qu’au miel de votre grandeur se mêle de l’amertume et que la sérénité de votre conscience soit troublée par la sévérité de vos paroles, lorsque vous m’écrivez que j’impose les lettres plutôt que je ne les obtiens par l’unique violence de l’affection. Pensez-vous qu’il soit au monde une puissance dominatrice supérieure à celle de l’amour? Il n’est pas, seigneur Aviénus, de sommités que ne subjugue la charité. Tout ce qu’il y a de libre au monde, ne saurait se soustraire à une telle servitude. Voyez donc, moi, d’une humble origine, qui n’ai jamais connu les honneurs, voici que je commande à vos faisceaux avec une telle autorité que je parais vous faire l’honneur de m’abaisser à votre rang. Maintenant, adieu, et rendez-moi fidèlement en affection autant que vous estimerez avoir reçu. [3,31] LETTRE XXXI. ENNODIUS A. AVIÉNUS Chacun, il est vrai, donne à ses lettres une forme subordonnée à son propre génie. Souvent vous y verrez dominer la solennité; quelquefois vous y découvrirez les indices de la sincère affection qui les aura dictées ; mais le plus souvent, sous l’apparence trompeuse de l’amitié. Lorsqu’on perce le voile et qu’on regarde au travers, on ne découvre au fond qu’un habile déguisement. Pour moi, les pages sont le miroir de la conscience. L’absent ose à peine y rechercher les preuves de l’amitié, mais l’oeil y distingue clairement ce que le discours y recèle de simplicité ou d’artifice. L’intelligence, interprète de l’écriture, déchire les nuages de la parole: elle fauche dans les mots et s’ouvre un sentier qui la mène promptement au fond du sens. C’est vous dire que je prends un plaisir infini à recevoir ces témoignages d’affection où éclate là sincérité, où ne peut se glisser l’occasion de tromper impunément. Au reste je suis heureux que soit des affaires, soit le passage de porteurs, me fournissent de fréquentes occasions de vous écrire : par là je comble mes désirs et je vous couvre de honte si vous n’êtes fidèle à rendre ce que vous aurez reçu. Adieu, mon Seigneur, et que votre affection pour moi vous amène à penser comme moi. Adieu. [3,32] LETTRE XXXII. ENNODIUS A PASSIVUS Si la parole suffisait à exprimer l’amour, si le langage malgré son imperfection pouvait rendre toute l’intensité de l’affection, à qui plus qu’à vous écririons-nous fréquemment? Oui, si le discours ne faisait tort aux sentiments du coeur, nul ne serait plus digne que vous d’en entendre l’expression. D’autres expriment en belles paroles une affection qu’ils ignorent et, par les charmes du commerce épistolaire, simulent des sentiments alors que leur coeur en est vide. Tout leur amour est au bout des lèvres et n’a pas d’autre réalité sinon qu’ils l’écrivent. Et moi, au contraire, dans l’impuissance où je me vois d’exprimer les sentiments de mon coeur envers vous et l’exubérance de mon affection, je suis réduit à me taire. Je crains que l’on ne mesure mon amitié d’après la pauvreté de mon langage, que le degré de mon attachement ne soit apprécié d’après la valeur de mon discours. Mieux vaut, en gardant le silence, s’en remettre à l’opinion que de montrer par ses lettres que l’on ne sait pas aimer. Je vous ai dit pourquoi je vous écris rarement, persuadé qu’à vos yeux la franche sincérité passe avant l’éloquence. Pour le reste, adieu, mon cher seigneur, et favorisé des bienfaits divins, vivez de longs jours pour donner leur accomplissement aux célestes préceptes. Car, en vous, la bonté, à son comble dès le début, trouve encore de l’accroissement. Adieu. [3,33] LETTRE XXXIII. ENNODIUS A FAUSTUS Quel plus digne objet pour une lettre que de procurer aux affligés une recommandation? On ne peut en effet suspecter de manquer de sincérité ces pages où l’on trouve non des flatteries à l’adresse des puissants mais l’aveu des larmes des faibles. Mais passons. Il vous suffira de voix le porteur pour connaître le voeu de votre correspondant. Puisse-t-il obtenir de votre Grandeur ce qu’il demande, aussi heureusement qu’il a obtenu cette lettre de moi. Tout ceci vous dénonce une femme pauvre, consciencieuse et qui présume être dans son droit. Jugez vous-même si je pouvais refuser à la faiblesse, à la justice, l’appui de ma parole; s’il convenait de manquer et à mon devoir professionnel et aux règles sacrées des moeurs. Je vous adresse l’hommage de mes salutations avec la conscience d’avoir servi ma partie selon mon pouvoir: A vous de voir ce qu’il vous reste à faire, car s’il m’appartenait selon la volonté de la susdite, de vous adresser la requête, c’est à vous maintenant d’y donner suite. Adieu. [3,34] LETTRE XXXIV. ENNODIUS A SENARIUS Il n’est rien en vérité que les artifices du langage n’exagèrent, et lorsque je veux exprimer l’affection que je vous porte, les paroles me manquent. Jamais le langage ne s’éleva au niveau de l’amour; le rôle de la parole fut toujours inférieur au bien qu’il nous procure dans la correspondance. C’est pourquoi je prends la précaution de vous avertir. Je n’aurais pas cru que votre Grandeur put être si longtemps sans penser à moi et qu’elle négligeât même les échanges de correspondance officiels, à tel point que ces témoignages de pure convenance, qui n’ont pour objet que de simuler les dehors d’une affection de commande, fussent omis entre personnes que rattachent les liens sacrés de l’amitié. Après tout puisque j’ai le courage de le raconter je pouvais bien le souffrir. Je vous écris quand même encore et ce que je professe en paroles je l’appuie de mon exemple. Après cela je vous laisse à apprécier une négligence qui empêche de tenir compte d’e désirs si légitimes; pour moi, instruit par l’expérience, je n’appliquerai d’autre remède à ma douleur que la patience. Adieu.