[2,0] LIVRE SECOND. PRÉFACE (- - -). I. Oblige tout le monde, et les inconnus même, Autant qu'il te sera permis; Et sache qu'il n'est rien, fût-ce le diadème, Qu'on puisse comparer au grand nombre d'amis. II. Sur des secrets cachés par le souverain Etre, Garde-toi de porter des regards curieux: Vain mortel, pense à te connaître, Non pas à découvrir ce qui se passe aux cieux. III. Trop craindre la mort, c’est folie; Fais pour vaincre ce faible un généreux effort : On ne saurait goûter les plaisirs de la vie, En se livrant sans cesse aux frayeurs de la mort. IV. Ne soutiens jamais par colère Quelque fait que ce soit, surtout s'il est douteux : La raison vainement t'offrira sa lumière, Lorsque la passion te fermera les yeux. V. Contraint de te mettre en dépense, Fais-le de bonne grâce et selon ton pouvoir: Certaines lois de bienséance Paraissent dans les temps exiger ce devoir. VI. Fuis tant que tu pourras la dépense inutile; Contente-toi de peu, lorsqu'il faut ménager : Plus le fleuve est petit, plus la barque fragile Vogue sur l’onde sans danger. VII. Ne révèle à personne une action infâme, Dont tu rougis toi même, et que tu peux cacher. Quelle nécessité qu'un confident te blâme D'un vice que ton cœur doit seul te reprocher ? VIII. Ne crois pas qu'un mortel coupable d'injustice Tire profit de son péché ; S'il couvre pour un temps son crime et sa malice, Un jour rendra public ce qu'il avait caché. IX. Un homme est-il petit et de mince figure? Ne le méprise point sur ces simples dehors: Souvent l'Auteur de la nature Dédommage l'esprit de ce qu'il ôte au corps. X. Pouvant vaincre ton adversaire N'use point de tes droits avec trop de rigueur : On a vu bien souvent, aidé de sa colère, Le vaincu, s'élever au dessus du vainqueur. XI. Fuis dans les entretiens ces disputes frivoles Qui peuvent s'élever entre amis et parents : Quelquefois les moindres paroles Font naître pour des riens les plus grands différends. XII. N'use jamais de sortilège Pour percer les secrets de la Divinité : Celui dont dépend l'homme, use du privilège De disposer de lui sans qu'il soit consulté, XIII, Par des airs de grandeur n'irrite point l'envie, Qui ne voit cet éclat qu'avec un œil jaloux ; Si son venin ne cause aucun tort à ta vie, Il est toujours fâcheux d'être en butte à ses coups. XIV. Supporte constamment l'arrêt que le caprice D'un juge prévenu prononce contre toi : Nul ne jouit longtemps d'un bien que l'injustice Lui vend aux dépens de la loi. XV. Un différend t'a-t-il attiré quelque injure, Tu ne dois pas la publier : S'en souvenir après, c'est avoir l'âme dure ; La dispute finie, on la doit oublier. XVI. Ne vas pas te louer toi-même, N'en montre point non plus un mépris, affecté : Le premier est l'effet d'une folie extrême, Le second marque un cœur rempli de vanité. XVII. Ayant acquis du bien, songe dans l'abondance Qu'il en faut user sobrement ; Aussitôt qu'on se livre à la folle dépense, Le fruit d'un long travail échappe en un moment. XVIII. Prends quelquefois d'un fou le ton et l'apparence, Lorsqu'il est dangereux d'user de ta raison ; C'est un trait de grande prudence De paraître insensé quand il est de saison. XIX. Entre tous les défauts les plus dignes de blâme, Evite l'avarice et fuis la volupté : Un homme passe pour infâme, Sur ces vices honteux sitôt qu'il est noté. XX. Ne sois pas d'une prompte et facile croyance A tout ce qui t'est raconté. Des grands parleurs surtout prends de la défiance; Car qui parle beaucoup dit peu de vérité. XXI. Ne t'en prends qu'à toi seul quand tu te sens coupable Des excès où le vin conduit en sa chaleur. Le vin est innocent, la faute inexcusable N'est que de la part du buveur. XXII. Un ami qu'un vrai zèle enflamme, Un médecin prudent, sont deux riches trésors; L'un pour lui confier les secrets de ton âme, L'autre pour conserver la santé de ton corps. XXIII. Ton esprit trop sensible au malheur qui l'accable Contre son triste sort veut-il se dépiter? Songe que la fortune élève le coupable Afin de le précipiter. XXIV. Il est certains malheurs que l’humaine prudence Ne peut éviter par ses soins ; Mais pour les supporter, use de prévoyance : Le trait qu'on voit partir, s'il frappe, blesse moins. XXV. Lorsque la fortune t'outrage, Ne cède point aux coups du plus rigoureux sort D'un espoir généreux relevé ton courage: L'espoir seul suit partout, même jusqu'à la mort. XXVI. Lorsque l'occasion s'offre à toi la première, Ne la laisse point échapper : Chevelue en devant, et chauve par derrière, Ce n'est que par le front qu'on la peut attraper. XXVII. Aye une prévoyance sage, Et des faits importants garde le souvenir, Semblable au dieu Janus, dont le double visage, Voit derrière et devant, le passé, l'avenir. XXVIII. Si tu veux conserver une vigueur parfaite, Tu dois user de tout avec sobriété, Le plus souvent faire diète, Peu donner aux plaisirs, beaucoup à la santé. XXIX. Respecte un sentiment reçu de tout le monde; Ne sois pas seul de ton avis : Un esprit orgueilleux, qui dans son sens abonde, Méprisant le public, attire ses mépris. XXX. Pense par-dessus tout à conserver ta vie, C'est là le trésor principal Si quelque excès t'entraîne en quelque maladie, N'accuse point le temps quand tu causes ton mal. XXXI. Des songes de la nuit ne t'embarrasse guère; Ne fonde point sur eux d'espoir à ton réveil. Ce que l'homme désire et tout ce qu'il espère, Il croit le voir dans le sommeil.