[5,0] LIVRE V. [5,1] I. Vous m'avez dit, Silvinus, que dans les livres précédents que j'ai écrits pour vous sur la création et la culture des vignobles, il manquait bien des choses que ceux qui s'occupent de l'agriculture désireraient y trouver. Je ne nie pas que j'aie omis quelques détails, quoique j'aie recherché avec soin tout ce qu'ont écrit les anciens agronomes, ainsi que ceux de notre siècle ; toutefois, lorsque j'ai promis de donner les préceptes de l'économie rurale, je n'avais pas, si je ne me trompe, pris l'engagement d'embrasser la totalité, mais de dire le plus important de ce que contient la vaste étendue de cette science : car une telle entreprise serait au-dessus des forces d'un homme, puisqu'aucune science, aucun art n'a été porté à sa perfection par un seul génie. C'est pourquoi, comme dans une grande forêt, un bon chasseur a fait son devoir en prenant le plus de bêtes sauvages qu'il a pu, et qu'on ne saurait lui reprocher d'en avoir laissé échapper quelques-unes ; de même il nous suffit, et c'est beaucoup assurément, d'avoir traité la plus grande partie de la matière immense que nous avons exploitée : d'autant mieux que les objets dont on regrette, comme on dit, l'omission, sont étrangers à notre profession. Récemment notre cher M. Trebellius, me demandant des renseignements sur le mesurage des champs, prétendait qu'après avoir enseigné la manière de travailler la terre avec la houe à deux dents, je devais, comme complément indispensable, dire comment on peut ensuite la mesurer ; mais je lui répondis que c'était le devoir, non d'un agriculteur, mais d'un arpenteur, puisque les architectes eux-mêmes, qui doivent être experts dans l'art des mesures, ne daignent pas fixer celle des édifices achevés dont ils ont ordonné la construction : ils prétendent que l'une de ces opérations concerne leur profession, et que l'autre est du ressort de celui qui mesure les bâtiments terminés, et fait le calcul du travail qu'ils ont fait exécuter : ce qui me confirme dans mon opinion, ce qu'on doit pardonner à notre science, si elle se borne à dire comment on doit faire chaque chose, sans entrer ensuite dans les calculs pour en déterminer l'importance. Toutefois, Silvinus, puisque, vous aussi, vous me demandez à titre d'ami l'explication des mesures dont nous faisons usage, je vais me rendre à ce que vous exigez de moi ; mais vous ne devez plus douter qu'un tel travail appartient plutôt à la géométrie qu'à l'agriculture, et vous me pardonnerez si je commets quelque erreur dans une partie dont je ne m'attribue pas la connaissance. Revenons à notre objet. Quelle que soit la forme des surfaces, elle est soumise à la mesure du pied, qui est de seize doigts, et qui, multiplié, donne le pas, les actes, les climats, les jugères, les stades et les centuries, et des espaces plus étendus encore. Le pas se compose de cinq pieds ; le petit acte, comme dit M. Varron, offre une largeur de quatre pieds sur une longueur de cent vingt. Le climat présente soixante pieds en tout sens. L'acte carré a cent vingt pieds sur tous ses côtés. Le jugère est le double de cette mesure, et tire son nom de la jonction d'un acte carré à un autre. Les paysans de la Bétique, une de nos provinces, appellent cet acte "acnua", et donnent le nom de "porque" à une surface de trente pieds de large sur cent quatre vingts de longueur. Les Gaulois désignent, sous le nom de "candète", un espace de cent pieds dans les villes, et de cent cinquante dans les campagnes : c'est ce que les laboureurs nomment "cadète", comme ils appellent "arépennis" le demi-jugère. Or, comme je l'ai dit, deux actes forment un jugère de deux cent quarante pieds de longueur sur une largeur de cent vingt ; et ces deux sommes multipliées entre elles produisent vingt-huit mille huit cent pieds carrés. Le stade, qui vient ensuite, a cent vingt-cinq pas, c'est-à-dire six cent vingt-cinq pieds, qui, multipliés par huit, donnent mille pas, qui font bien cinq mille pieds. Maintenant nous appelons centurie, comme dit le même Varron, une étendue de deux cents jugères, qui jadis tirait son nom des cent jugères dont elle était alors composée ; doublée plus tard, elle n'en conserva pas moins son nom : c'est ainsi que nos tribus tirèrent d'abord leur nom de la division du peuple en trois sections ; quoique ces sections soient plus nombreuses aujourd'hui, elles n'en gardent pas moins de nos jours leur ancienne dénomination. J'ai cru devoir entrer sommairement dans ces explications préliminaires, qui ne sont pas étrangères à la théorie que je vais exposer, qui même en sont inséparables. Venons à présent au sujet que nous devons traiter. Nous n'avons pas énuméré toutes les parties du jugère : nous nous sommes bornés à indiquer celles qui sont nécessaires pour l'estimation des travaux exécutés ; car il serait inutile de détailler ces subdivisions minimes pour lesquelles on n'alloue aucune somme dans les comptes. Répétons donc que le jugère présente vingt-huit mille huit cents pieds carrés, qui font deux cent quatre-vingt-huit scripules. Pour commencer par la plus faible mesure, je vais parler du demi-scripule : cette portion en est la cinq-cent-soixante-seizième partie et offre cinquante pieds. Le scrupule est la deux-cent-quatre-vingt-huitième partie du jugère : il présente cent pieds. Le cent-quarante-quatrième du jugère a deux cents pieds, et forme le double scrupule. Le soixante-douzième contient quatre cents pieds et s'appelle sextule : ce sont quatre scrupules. Le quarante-huitième renferme six cents pieds : on le nomme sicilique ; il est formé de six scrupules. La semi-once, composée de douze scrupules, est la vingt-quatrième partie du jugère et embrasse douze cents pieds. Quant à l'once, douzième du jugère, elle compte deux mille quatre cents pieds, et renferme vingt-quatre scrupules. Le sixième d'un jugère, ou quatre mille huit cents pieds, a le nom de sextant, et contient quarante-huit scrupules. On appelle quadrant le quart du jugère : il est formé de sept mille deux cents pieds, ou soixante-douze scrupules. Le trient, ou tiers du même jugère, a neuf mille six cents pieds équivalant à quatre-vingt-seize scrupules. La troisième partie et un douzième, embrassant douze mille pieds, ou cent vingt scrupules, est appelée quinconce. Le demi-jugère ou semi-jugère se compose de quatorze mille quatre cents pieds, donnant cent quarante-quatre scrupules. La moitié et un douzième, formés d e seize mille huit cents pieds, contenant cent soixante-huit scrupules, a reçu le nom de septonce. Les deux tiers s'appellent le bès, et se composent de dix-neuf mille deux cents pieds, qui font cent quatre-vingt-douze scrupules. Le dodrant représente les trois quarts du jugère, c'est-à-dire vingt et un mille six cents pieds, formant deux cent seize scrupules. La moitié plus le tiers portent le nom de dextant, qui se compose de vingt-quatre mille pieds, et contient deux cent quarante scrupules. Le déonce, ou deux cent soixante-quatre scrupules, comprend les deux tiers et un quart, qui sont vingt-six mille quatre cents pieds. Le jugère ou l'as est composé de vingt-huit mille huit cents pieds. Si le jugère présentait invariablement un carré parfait, et donnait toujours deux cent quarante pieds de longueur et cent vingt de largeur, le calcul en serait très facile ; mais, comme les formes diverses des champs peuvent occasionner des discussions, nous allons spécifier ces différences en nous servant d'une sorte de formule applicable à toutes. [5,2] II. Il n'est pas de champ qui ne présente la forme d'un carré, d'un rectangle, d'un coin, d'un triangle, ou d'un cercle, ou même d'un demi-cercle ou d'un arc, et quelquefois même d'un polygone. La mesure du carré est très facile : car, ses côtés offrant un même nombre de pieds, il suffit de multiplier deux côtés l'un par l'autre, et le produit donné, cette multiplication est le nombre des pieds carrés que renferme ce terrain. Ainsi, soit un terrain qui ait cent pieds sur chaque côté, en multipliant cent par cent on obtient dix mille. Nous dirons que ce champ a dix mille pieds carrés, qui font un trient et un sextule de jugère ; ce sera donc sur cette donnée qu'il faudra établir le compte du travail effectué. Mais si le terrain a plus de longueur que de largeur, de façon, par exemple, qu'ayant la forme d'un jugère, il offre, comme je l'ai dit un peu plus haut, deux cent quarante pieds de longueur sur une largeur de cent vingt, en multipliant les pieds de la largeur par ceux de la longueur, c'est-à-dire deux cent quarante par cent vingt, on obtient vingt-huit mille huit cents : produit qui donne le nombre de pieds carrés contenus dans un arpent de terre. On opérera de même pour tous les terrains dont la longueur excède la largeur. Si ce champ présente la forme d'un coin, et que, par exemple, il soit long de cent pieds d'un côté et de dix de l'autre, il faudra alors ajouter l'une à l'autre les deux largeurs, qui donneront une somme de trente pieds, dont la moitié, quinze, multipliée par la longueur, produira quinze cents, nombre de pieds carrés contenus dans ce coin, c'est-à-dire une demi-once et trois scrupules de jugère. Dans le cas où vous devriez mesurer un triangle à trois côtés égaux, vous opéreriez de la manière suivante : Soit un champ triangulaire offrant sur chaque côté trois cents pieds ; multipliez ce nombre par lui-même, prenez le tiers de quatre-vingt-dix mille, produit de cette multiplication, c'est-à-dire trente mille, puis le dixième qui est de neuf mille ; réunissez ces deux sommes, vous trouverez trente-neuf mille, nombre de pieds carrés que contient ce triangle, et qui équivalent à un jugère un trient et un sicilique. Quand le terrain présente, comme dans la figure que nous allons décrire, un triangle scalène, dont un des angles est droit, le calcul est différent : Soit la ligne d'un côté qui concourt à la formation de cet angle droit, de cinquante pieds, et celle de l'autre côté de cent pieds ; multipliez entre elles ces deux sommes : cinquante fois cent font cinq mille, dont la moitié deux mille cinq cents, fait une once et un scrupule de jugère. Lorsque le champ est rond de manière à présenter la figure d'un cercle, on en calcule ainsi les pieds : Soit une surface ronde qui ait soixante-dix pieds de diamètre ; multipliez cette somme par elle-même : soixante-dix fois soixante-dix font quatre mille neuf cents : multipliez ce produit par le nombre onze, vous obtiendrez cinquante-trois mille neuf cents pieds. Je prends le quatorzième de cette somme, c'est-à-dire trois mille huit cent cinquante pieds ; je dis que c'est le nombre de pieds carrés contenus dans ce cercle : somme égale à six onces deux scrupules et demi de jugère. Si le champ est demi-circulaire, que sa base ait cent quarante pieds, et la ligne qui détermine sa courbure soixante-dix pieds, il faudra multiplier le rayon par la base : ainsi soixante-dix fois cent quarante font neuf mille huit cents. Cette somme, multipliée par onze, donne cent sept mille huit cents, dont le quatorzième sept mille sept cents est le nombre de pieds qui se trouve dans le demi-cercle, c'est-à-dire un quart et cinq scrupules de jugère. Si le terrain est compris dans un arc de cercle moindre que la demi-circonférence, voici comme on le mesurera : Soit un arc dont la base ait seize pieds, et la ligne qui détermine sa courbure, quatre ; je fais la somme de ces deux nombres, et je trouve vingt pieds, qui, multipliés par quatre, donnent quatre-vingts, dont la moitié est quarante. Je prends également la moitié des seize pieds de la base, c'est-à-dire huit pieds : ces huit pieds multipliés par eux-mêmes produisent soixante-quatre. J'en prends le quatorzième, qui est d'un peu plus de quatre pieds, que j'ajoute à quarante : ces deux sommes donnent quarante-quatre pieds, nombre de pieds carrés contenus dans l'arc, ou la moitié moins un vingt-cinquième de scrupule de jugère. Lorsque le terrain est hexagone, on le réduit ainsi en pieds carrés : Soit un hexagone dont chacun des côtés ait trente pieds ; je multiplie un des côtés par lui-même : trente fois trente font neuf cents. Je prends le tiers de cette somme, qui est trois cents ; plus le dixième, qui est quatre-vingt-dix, et je trouve trois cent quatre-vingt-dix. Cette somme, multipliée par six, puisqu'il s'agit de six côtés, produit deux mille trois cent quarante, qui est le nombre de pieds carrés cherché, ou une once de jugère, moins un demi-scrupule et un dixième de scrupule. [5,3] III. Bien imbus des principes de ces calculs, nous procéderons sans difficulté à la mesure des terres, dont il serait long et pénible de passer ici en revue toutes les formes. Je vais maintenant ajouter à celles que j'ai données deux formules qu'emploient fréquemment les cultivateurs dans la disposition de leurs plants. Je suppose un terrain long de douze cents pieds et large de cent vingt, dans lequel on dispose des vignes de manière qu'il se trouve un intervalle de cinq pieds entre les lignes. Je demande de combien de plants on a besoin lorsqu'on veut laisser cet espace de cinq pieds entre les rangs de cette plantation. Je prends la cinquième partie de la longueur, qui est deux cent quarante pieds, et la cinquième partie de la largeur, c'est-à-dire vingt-quatre ; j'ajoute toujours à chacune de ces deux sommes un pied qui fixe l'extrémité des lignes, et qu'on appelle angulaire : j'obtiens ainsi une somme de deux cent quarante et un, puis une autre de vingt-cinq. Multipliez-les ainsi : vingt-cinq fois deux cent quarante et un font six tailles vingt-cinq. Vous en conclurez que tel est le nombre de plants dont vous avez besoin. De même, si vous voulez que votre intervalle soit de six pieds, vous prendrez la sixième partie de la longueur de douze cents pieds, qui est deux cents, et le sixième aussi de la largeur de cent vingt, c'est-à-dire vingt ; vous ajouterez à ces sommes le pied que j'ai déjà nominé angulaire : ce qui produit deux cent un et vingt et un. Vous multiplierez ainsi entre elles ces deux sommes : vingt et une fois deux cent un font quatre mille deux cent vingt et un produit qui vous indiquera le nombre de plants qui vous est nécessaire. De même, si vous voulez mettre entre vos lignes sept pieds de distance, vous prendrez la septième partie de la longueur et de la largeur de votre terrain, et vous ajouterez les pieds angulaires, et, en effectuant le calcul dans l'ordre et de la manière que nous venons d'indiquer, vous trouverez le nombre de plants qu'il vous faut. Enfin, quel que soit le nombre de pieds que vous jugiez à propos de mettre entre vos lignes, vous compterez la totalité de la longueur ainsi que de la largeur, et vous y ajouterez les pieds angulaires dont il vient d'être question. Les choses étant ainsi, il faut conclure qu'un jugère de champ, qui est long de deux cent quarante pieds et large de cent vingt, recevra par intervalle de trois pieds (car c'est le plus petit espace qu'on puisse laisser entre les vignes à planter) une quantité de quatre-vingt-un plants pour la longueur, et de vingt-cinq pour la largeur, sur laquelle ils seront établis à cinq pieds l'un de l'autre : ces deux nombres, multipliés entre eux, donneront deux mille vingt-cinq plants. Si la vigne est plantée à quatre pieds d'intervalle en tous sens, la longueur contiendra soixante et un plants et la largeur trente et un : ce qui, pour le jugère, porte à mille huit cent quatre-vingt-onze le nombre des plants de vigne. Mais si on dispose les ceps par quatre pieds sur la longueur et par cinq pieds sur la largeur, la première recevra soixante et un plants, la seconde vingt-cinq. Dans le cas où la distance serait de cinq pieds sur la largeur, cette ligne contiendra quarante-neuf pieds, et la largeur toujours vingt-cinq : ces deux nombres, multipliés l'un par l'autre, font douze cent vingt-cinq ; mais si, sur la même étendue de terrain, il convient de fixer l'espace à six pieds, il n'est pas douteux qu'il ne faille assigner quarante et une vignes à la longueur et vingt et une à la largeur : la multiplication de ces sommes produit le nombre de huit cent soixante et un. Si on admet un intervalle de sept pieds dans l'établissement du vignoble, la ligne recevra sur sa longueur trente-cinq ceps, et dix-huit sur sa largeur : nombres qui, multipliés entre eux, donnent celui de six cent trente ; d'où nous conclurons qu'il faut préparer cette quantité de plants. Si l'on fixe l'intervalle dont il s'agit à huit pieds, la ligne exigera sur sa longueur trente et un ceps et seize sur sa largeur, et par la multiplication de ces nombres on obtient quatre cent quatre-vingt-seize. En admettant neuf pieds de distance, on plantera sur la ligne en longueur vingt-sept vignes et en largeur quatorze, ou trois cent soixante-dix-huit pour tout le terrain. Quand on met un intervalle de dix pieds, la ligne reçoit dans sa longueur vingt-cinq ceps, dans sa largeur treize : nombres qui, multipliés entre eux, font trois cent vingt-cinq. Pour ne pas pousser ce calcul à l'infini, on suivra la même proportion pour les plants, d'après l'étendue qu'il plaira de fixer aux distances. Après avoir suffisamment parlé de la mesure des terrains et du nombre des plants à y établir, je reviens à l'ordre que je m'étais imposé. [5,4] IV. J'ai constaté que les provinces cultivent plusieurs variétés de vignes ; mais de celles que j'ai examinées, les meilleures sont celles qui, comme des arbustes, se soutiennent sur une courte tige, d'elles-mêmes et sans échalas ; ensuite celles qui, attachées à cet appui, sont individuellement fixées à leur joug : les vignerons les appellent cantériées ; puis celles qui sont entourées de roseaux fichés en terre, et qui, fixées à ces appuis, s'y contournent en forme de cercle : quelques personnes leur donnent le nom de characates. La moins bonne variété est l'espèce des vignes couchées sur le sol, qui, à la sortie du cep, sont aussitôt comme jetées à terre, où elles restent étendues. Toutes, au reste, sont à peu près soumises au même mode de plantation : car on les dépose ou dans des fosses ou dans des rigoles ; chez les nations étrangères, en effet, les vignerons ne connaissent pas notre labour à la houe à deux dents, instrument qui d'ailleurs serait peu utile dans leurs terrains naturellement légers et meubles, « Qualités que nous imitons par le labour à la charrue. » dit Virgile, et aussi par le travail à la houe à deux dents. C'est pourquoi la Campanie, qui pourrait, vu son voisinage, prendre exemple sur nous, ne fait pas usage de cette manière de cultiver, parce que la légèreté de son sol exige moins de travail ; quant aux provinces dont la terre trop compacte demande des travaux plus dispendieux, tels que notre labourage à la houe, le cultivateur dispose le sol, au moyen de rigoles dont le fond est fortement remué, à recevoir le plant qu'on lui destine. [5,5] V. Pour étudier chacune des vignes dont j'ai parlé, je dois les rappeler dans l'ordre où je les ai nommées. La vigne qui, sans support, se soutient par ses propres forces, sera plantée dans une fosse si le terrain est meuble, et dans une rigole s'il est compacte ; mais ces fosses et ces rigoles seront bien plus avantageuses si, dans un climat tempéré où l'été n'est pas trop ardent, elles ont été creusées un an avant la plantation du vignoble. Il faut toutefois préalablement examiner la bonté de la terre ; car si on plante en terrain maigre et friable, il ne faut faire les fosses ou les rigoles qu'au moment où on va y déposer le plant. Si on les fait un an d'avance, il suffira de donner à la fosse trois pieds de longueur et de profondeur, et une largeur de deux pieds. Si nous devons laisser quatre pieds d'espace entre les lignes, il sera plus commode de donner à ces fosses la même mesure en tous sens, en ne dépassant pas toutefois trois pieds. Au reste, on établit les jeunes plants, aux quatre angles, sur de la terre bien ameublie, puis on comble l'excavation. Quant aux intervalles entre les lignes, nous n'avons rien à prescrire, que de faire comprendre aux agriculteurs qu'ils doivent laisser plus d'espace si, dans leur vignoble, ils introduisent la charrue, et moins s'ils y emploient la houe à deux dents ; cet intervalle toutefois ne doit pas dépasser dix pieds, ni être au-dessous de quatre. Cependant plusieurs personnes disposent leur plantation de manière à laisser, entre leurs jeunes vignes, deux pieds ou tout au plus trois, donnant plus d'étendue à l'intervalle de leurs lignes, afin de faciliter le passage du fossoyeur ou du laboureur. Il n'y a pas d'autres soins à prendre pour la plantation que ceux que j'ai indiqués dans le troisième livre de cet ouvrage. Toutefois le Carthaginois Magon ajoute, relativement à cette plantation, que l'on doit placer le jeune plant de manière que toute la fosse ne soit pas aussitôt remplie de terre, mais à peu près à moitié : le reste sera comblé progressivement dans l'espace de deux ans : il pense qu'ainsi la vigne est forcée à pousser ses racines par en bas. Je ne nierai pas que ce procédé ne soit utile dans les fonds secs ; mais là où la terre est naturellement humide ou bien le ciel pluvieux, je ne crois pas qu'il faille agir ainsi. En effet, une trop grande humidité, s'arrêtant dans les fosses à demi comblées, fait périr le plant avant qu'il soit repris. C'est pourquoi je crois plus utile de remplir les fosses aussitôt après la plantation ; mais, le plant une fois pris, il est à propos, dès l'équinoxe d'automne, de déchausser soigneusement et profondément les jeunes vignes, dont on retranche les radicules s'il s'en est élevé vers la surface du sol, et de recombler la fosse au bout de quelques jours. Ainsi on évitera ces deux inconvénients, d'appeler les racines en haut, et d'exposer des jeunes plants peu vigoureux au dommage que leur occasionnent les grandes pluies. Quand ces jeunes vignes auront acquis de la force, il est hors de doute qu'elles seront puissamment aidées par les eaux du ciel ; en conséquence, dans les contrées où la clémence de l'hiver le permet, il est convenable de laisser les vignes à découvert et de les tenir déchaussées durant toute cette saison. Quant à la qualité des plants les auteurs ne sont pas d'accord entre eux. Les uns pensent qu'il vaut mieux planter tout de suite la vigne en marcotte simple, d'autres en marcotte enracinée : sur cette matière, j'ai déjà fait connaître mon sentiment dans les livres précédents. Toutefois j'ajouterai ici qu'il existe certains terrains dans lesquels la vigne transplantée ne prospère pas aussi bien que celle qui est restée en place : ce qui, toutefois, arrive très rarement. Aussi faut-il noter et rechercher avec soin « La culture que comporte chaque pays, et ce qu'il refuse de produire.» Il convient de conduire la tige mise en terre, c'est-à-dire la marcotte ou simple ou enracinée, de manière que, devenue vigne, elle puisse se soutenir sans tuteur. Mais c'est là ce qu'on ne peut pas obtenir tout de suite : car, si vous ne fournissez pas un support à cette vigne tendre et faible, le pampre se traînera en rampant sur le sol. On devra donc attacher la tige qu'on a plantée, et un roseau qui protégera en quelque sorte son enfance, l'élèvera, et la conduira jusqu'au point où le vigneron lui permettra d'atteindre ; or, ce point aura peu de hauteur, car on ne doit pas dépasser un pied et demi. Ensuite, quand elle a pris de la force et qu'elle peut se soutenir sans appui, elle pousse soit de la tête, soit des bras, car ces deux modes d'accroissement sont admis. Les uns aiment mieux les vignes à tête, les autres préfèrent les vignes à bras. Ceux qui ont à coeur de distribuer leur vigne en bras, doivent conserver tout le bois qui a crû autour de la cicatrice qu'ils ont faite en la coupant toute jeune par le haut, et le diviser en quatre bras de la longueur d'un pied, de manière que chacun d'eux prenne la direction d'un des quatre points cardinaux. Toutefois ce n'est pas dès la première année qu'on donne aux bras toute leur étendue, de peur de surcharger la faiblesse de la vigne, mais on ne les y laisse parvenir graduellement qu'à la suite de plusieurs tailles. De plus, il faut laisser à ces bras quelques jets en saillies, comme des cornes, et distribuer en rond les diverses parties de la totalité du cep. Au reste, ces vignes se taillent de la même manière que les vignes fixées au joug, et ne diffèrent qu'en ce point, qu'on laisse aux longs sarments quatre ou cinq bourgeons, tandis qu'on n'en ménage que deux aux sarments de réserve. Quant à la vigne que nous avons appelée à tête, on enlève jusqu'au corps de le plante tous les sarments, en ne laissant subsister qu'un ou deux des bourgeons qui tiennent au tronc même. On pourra agir ainsi avec sécurité dans les terres arrosées ou très grasses, car leur fertilité peut nourrir le fruit et les sarments. Ceux qui cultivent cette sorte de vignes les labourent ordinairement à la charrue, aussi suivent-ils la méthode de leur enlever les bras, parce que, réduites à leur tête sans aucune saillie de côté, elles n'ont rien à redouter de la charrue ni des boeufs ; tandis que dans les vignes à bras il arrive fréquemment que les jeunes pousses sont brisées par le pied du boeuf ou par leurs cornes, souvent même par le manche de la charrue, quand le laboureur s'applique à raser la ligne des vignes, et veut remuer la terre aussi près qu'il est possible de leur pied. Voilà ce qu'il faut observer dans la culture des vignes, tant à bras qu'à tête, avant qu'elles poussent leurs bourgeons. Plus tard, le fossoyeur arrive et remue avec la houe à deux dents la partie que le bouvier n'a pu atteindre. Bientôt après, lorsque la vigne a jeté du bois, l'épampreur survient, détache les rameaux superflus, dresse les sarments à fruit qu'il lie comme en couronne, lorsqu'ils ont pris de la consistance. On procède ainsi pour deux raisons : la première, pour qu'un libre cours laissé à la luxuriance n'entraîne pas les pampres à terre et ne leur fasse pas absorber toute la sève ; la seconde, afin que la vigne, bien attachée, laisse pour sa culture un accès au bouvier et au fossoyeur. Tel sera le mode d'épamprer : dans les lieux couverts, humides et froids, la vigne, pendant l'été, sera mise à nu ; on enlèvera aux sarments à fruit leur feuillage, afin que les raisins puissent parvenir à maturité, et que la nature du sol ne les fasse pas pourrir ; dans les lieux secs, chauds et bien exposés au soleil, il faut, au contraire, abriter la grappe sous les sarments, et si la vigne a peu de pampres, on y transportera des feuillages, quelquefois même de la paille, pour protéger le fruit. M. Columelle, mon oncle paternel, homme versé dans les sciences élevées, agriculteur consommé de la province de Bétique, ombrageait ses vignes avec des nattes de palmier, dès le lever de la canicule, parce que, sous cette constellation, quelques parties de la province ont ordinairement tant à souffrir de l'Eurus, appelé Vulturne par les habitants, que, si l'on ne prend soin de couvrir les vignes, leurs fruits sont brûlés comme par l'effet d'un souffle enflammé. Telle est la culture de la vigne, soit à tête, soit à bras. Quant à celle qu'on fixe à un seul joug ou qui, ayant son bois soutenu par des roseaux, est liée en rond, elle exige à peu près le même soin que la vigne attachée au joug. J'ai remarqué cependant que certains vignerons, pour les vignes characates, et surtout de l'espèce elvénaque, recouvraient de terre, à fleur de sol, en manière de provins, les plus longs rameaux, puis en dressaient l'extrémité contre un roseau pour les mettre à fruit : ce sont ces rameaux que nos cultivateurs appellent des sautelles, et les Gaulois des candosoques. Ils les recouvrent de terre, par la raison toute simple, selon eux, que ces sarments à fruit en recevront plus de nourriture. Après la vendange, ils les coupent comme inutiles, et les séparent de la tige-mère. Pour nous, nous prescrivons, lorsque ces mêmes sarments ont été détachés, de les planter comme marcottes enracinées, pour remplir les places vacantes par la mort de pieds de vignes, ou pour créer un vignoble nouveau. En effet, les parties de sarment qui ont été couchées en terre, ont des racines assez nombreuses pour reprendre aussitôt qu'elles ont été déposées dans les fosses. Il nous reste à parler de la culture des vignes couchées, qu'on ne doit adopter que lorsque la violence habituelle des vents y contraint : car elle est pour les vignerons d'un travail difficile, et ne produit jamais un vin de saveur généreuse. Pourtant lorsque la nature du climat ne permet que cette méthode, on plante les marcottes dans des fosses de deux pieds ; aussitôt qu'elles ont poussé, on réduit le bois à un sarment, et la première année on l'arrête à des bourgeons ; l'année suivante, quand elles ont produit des rameaux à fruit, on en attache un et l'on supprime les autres. Quand celui que l'on a conservé a donné des raisins, on le coupe assez court pour que, couché sur le sol, il n'excède pas l'espace laissé entre les lignes. La taille de la vigne couchée diffère peu de celle de la vigne droite : dans la première, on doit seulement rabattre le bois plus court, et laisser en manière de verrues les coursons fort réduits. Après la taille, que, pour cette espèce de vignoble, il ne faut pas manquer d'exécuter en automne, on couchera toute la vigne dans un sens opposé à celui où elle se trouvait auparavant, de manière que la partie de l'intervalle précédemment occupée puisse être remuée à la houe on labourée : travail après lequel on remet la vigne dans sa première position, pour cultiver à son tour l'autre partie de ce terrain. Les auteurs sont peu d'accord entre eux sur l'épamprement de cette sorte de vignoble : les uns ne veulent pas qu'on dépouille les vignes, afin qu'elles puissent mieux mettre leurs fruits à l'abri des injures des vents et des animaux ; les autres prescrivent un épamprement léger, au moyen duquel la vigne sera déchargée d'un feuillage superflu et pourra pourtant couvrir et protéger ses grappes. Cette dernière méthode me paraît la plus avantageuse. [5,6] VI. Mais nous avons suffisamment parlé des vignobles ; occupons-nous maintenant d'exposer les préceptes relatifs aux arbres. L'agriculteur qui voudra avoir un plant d'arbres nombreux, bien disposé par d'égaux intervalles, et productif, aura soin que la mort n'en éclaircisse pas les rangs, qu'ils soient remplacés aussitôt qu'ils ont éprouvé des dommages par la vieillesse ou par les tempêtes, et qu'on leur substitue de nouveaux sujets. C'est ce qu'on peut faire facilement, si on a toute prête une pépinière d'ormeaux. Nous ne négligerons pas d'enseigner ici comment on doit la fourrer et de quelles variétés on doit la composer. Il est reconnu qu'il existe deux espèces d'ormes, le gaulois et l'indigène : le premier s'appelle l'orme d'Atinie, le second l'orme du pays. Tremellius Scrofa croit à tort que l'orme d'Atinie ne produit pas de samère : c'est le nom de la graine de cet arbre. Sans doute il en donne rarement, et c'est pour cela qu'en général il passe pour stérile, ses graines étant cachées parmi les feuilles qu'il développe lorsqu'il commence à pousser : aussi personne ne l'a jamais multiplié de samère, mais de rejetons. Cet orme est beaucoup plus vigoureux et plus élevé que l'indigène ; il produit aussi un feuillage plus agréable aux boeufs ; un troupeau qui en a été constamment nourri éprouve du dégoût lorsque l'on veut lui donner des feuilles de l'autre espèce. C'est pourquoi, si rien ne s'y oppose, on fera bien de ne planter son terrain que de la seule variété d'orme d'Atinie ; ou au moins, on fera en sorte de mettre alternativement en nombre égal, dans la disposition des lignes, les ormes tant indigènes qu'exotiques. Ainsi on mélangera toujours leurs feuilles, et les bestiaux, alléchés par cette sorte d'assaisonnement, consommeront mieux leur ration. L'obier, avant tout, paraît convenir à la vigne, ensuite l'orme, puis le frêne ; mais on rejette généralement l'obier, parce qu'il produit peu de feuilles et qu'elles ne plaisent pas aux troupeaux. Le frêne, qui est très agréable aux chèvres et aux moutons, et n'est pas dédaigné par les boeufs, vient fort bien dans les lieux escarpés et montueux, où l'orme réussit moins bien ; mais la plupart des cultivateurs préfèrent l'orme, parce qu'il supporte parfaitement la vigne, procure aux boeufs un excellent fourrage, et prospère dans les diverses espèces de terrains. C'est pourquoi celui qui désire faire un nouveau plant doit préparer une pépinière d'ormes ou de frênes par le procédé que nous allons décrire. Au reste, pour l'obier, le mieux est de mettre aussitôt en terre des cimes de rameaux coupés sur l'arbre. On remuera donc à la houe à deux dents un terrain gras et légèrement humide, puis, au printemps, on le dressera en planches bien hersées et ameublies. On y jettera ensuite la samère, qui aura déjà une teinte rougeâtre, qu'on aura exposée plusieurs jours au soleil, de manière toutefois à ne pas la priver de tout son suc et de toute sa souplesse ; toute la surface des planches devra en être recouverte, et on jettera par-dessus deux doigts de terre rendue légère en la passant au crible ; enfin on donnera un médiocre arrosement, et on répandra sur ce semis un peu de paille pour que les oiseaux ne dévorent pas les jeunes pousses. Quand ces plantes se seront un peu élevées, on recueillera la paille et on sarclera à la main les mauvaises herbes : c'est une opération qui doit être faite adroitement et avec attention, pour ne pas arracher les racines des ormeaux qui sont encore petites et tendres. Les planches seront assez étroites pour que ceux qui doivent les sarcler en atteignent facilement le milieu avec la main ; car si elles avaient trop de largeur, les plantes exposées à être foulées en seraient endommagées. Ensuite, dans l'été, avant le lever du soleil ou vers le soir, on arrosera la pépinière plutôt que de la baigner par irrigation. Dès que le plant aura acquis trois pieds de hauteur, il faudra le transplanter dans une autre pépinière ; pour que les racines ne s'allongent pas trop (ce qui, par la suite, rendrait l'arrachage plus difficile, lorsque nous voudrions opérer la transplantation), il ne faudra croiser que de petites fosses distantes entre elles d'un pied et demi ; on nouera les racines si elles sont courtes, ou bien, si elles sont trop longues, on les pliera en forme de couronne ; ensuite on les déposera dans la terre après les avoir enduites de bouse de boeuf, et on pressera tout autour le terrain avec beaucoup de soin. Cette méthode, qui peut s'appliquer aux plantations des arbres en tige, doit nécessairement être employée pour l'orme d'Atinie, qu'on ne propage point par ses graines. On plante cette variété avec plus d'avantage pendant l'automne que dans le printemps ; on en tord légèrement à la main les jeunes rameaux, parce que, durant les deux premières années, ils craignent le contact du fer : ce n'est que la troisième année qu'on les taille avec la serpe bien affilée ; et, quand l'arbre est assez fort pour être transplanté, on peut procéder à cette opération depuis le moment de l'automne où la terre est imbibée d'eaux pluviales, jusqu'au printemps avant que dans l'arrachage la racine ne s'écorce. Alors on pratique, en terre légère, des fosses éloignées de trois pieds en tous sens ; en terrain compact, on dispose des tranchées de la même profondeur pour recevoir ces arbres. Les ormes doivent être plantés dans des terrains exposés à la rosée et sujets aux brouillards, en ayant soin d'en diriger les branches tant vers l'orient que vers l'occident, afin que le soleil frappe plus longtemps le milieu de ces arbres, qui est le point où l'on applique et lie la vigne. Si l'on a l'intention de cultiver du froment dans ce terrain, qui doit être fertile, on plantera les ormes à quarante pieds de distance ; mais, en terre maigre, où l'on ne fait pas d'ensemencement, on se bornera à vingt pieds. Dès que les ormes commencent à croître, on les dresse à la serpe et on les dispose en étages. Les cultivateurs donnent le nom d'étages aux rameaux et aux saillies, qu'avec le fer ils raccourcissent ou bien allongent, afin que les vignes trouvent plus de facilité pour s'étendre : opérations dont la première convient aux terrains maigres et la seconde aux terres grasses. Ces étages ne doivent pas présenter entre eux une distance moindre que trois pieds, et être dressés de manière que les rameaux supérieurs ne soient pas perpendiculaires aux inférieurs : car ces derniers frotteraient les bourgeons du sarment tombant et en détacheraient les grappes. Au surplus, quel que soit l'arbre que vous plantiez, il ne faut pas le tailler durant les deux premières années. Ensuite, si l’orme prend peu d'accroissement, il sera bon au printemps, avant que son écorce ne se détache facilement, de l'étêter près du rameau qui paraîtra le plus franc, de manière toutefois que l'on conserve au-dessus de lui, sur le tronc, un jet de neuf pouces, sur lequel on liera le rameau conduit et dressé, qui fournira une cime à l'arbre. Un an après, il faut retrancher ce jet et dégager l'orme. Si cet arbre ne présente aucuns rameaux convenables, il suffira de le rabattre à la hauteur de neuf pieds au-dessus du sol, en coupant la partie supérieure, de sorte que les rejets qu'il produira soient hors de l'atteinte des bestiaux. S'il est possible, cette amputation sera faite d'un seul coup ; sinon, on coupera avec la scie, on ragréera la plaie avec la serpe, et on la couvrira de torchis, afin que le soleil ou la pluie ne l'endommagent pas. Au bout d'un an ou de deux, quand les rameaux poussés ont acquis de la force, il convient de retrancher ceux qui sont superflus et de dresser ceux qui sont propres à l'être. Lorsque l'orme, depuis sa plantation, a bien végété, on taille à la serpe ses jets les plus élevés jusqu'au noeud qui les joint au tronc. Si ses rameaux sont vigoureux, on les taillera de manière à laisser sur le tronc une petite tige proéminente. Quand par la suite l'arbre sera devenu fort, on coupera tout ce que la serpe pourra atteindre, et on le dégagera à propos sans faire de plaie sur la surface du tronc. Voici comment il convient de dresser les jeunes ormes. En terrain gras, on les élague jusqu'à huit pieds au-dessus du sol ; en terrain maigre, jusqu'à sept. Au-dessus de cette hauteur et sur le tour de l'arbre, on divise ses rameaux en trois parts, et les jeunes rameaux, de chacun des trois côtés, formeront le premier étage. Puis, à trois pieds au-dessus, on dresse d'autres rameaux de telle sorte qu'ils ne suivent pas la même direction que les premiers. On suivra le même procédé jusqu'au sommet de l'arbre, et dans la taille on aura soin de ne pas laisser subsister d'ergots trop longs sur les branches amputées, aussi bien que de ne pas rabattre assez près du tronc pour l'offenser ou l'écorcer : car l'orme languit quand son tronc est dépouillé. Il faut aussi éviter de ne faire qu'une plaie de deux amputations, car l'écorce ne recouvrirait pas facilement une telle blessure. L’orme exige une culture continuelle : il ne suffit pas de le disposer avec soin dans le principe, il faut encore bêcher la terre autour du tronc, et, tous les deux ans, retrancher avec le fer ou pincer tout ce qu'il donne de feuillage, afin que son ombre, rivale de celle de la vigne, ne soit pas préjudiciable à cette dernière. Quand l'orme sera vieux, on pratiquera près d'une branche un trou qui devra être creusé jusqu'à la moelle, afin de donner issue à l'humidité qui se sera accumulée dans sa partie supérieure. Il convient encore d'associer la vigne à l'arbre avant qu'il ait acquis tout son accroissement ; mais une condition de réussite, c'est de marier une jeune vigne à un jeune orme, car si la vigne était vieille, il la ferait périr. Il est donc convenable d'unir ensemble des ormes et des vignes de même âge et de forces égales. Pour procéder à ce mariage, on doit, pour la marcotte enracinée, creuser une fosse large et profonde de deux pieds, si la terre est légère ; mais, en terre lourde, la fosse offrira une profondeur de deux pieds neuf pouces et une longueur de six pieds ou de cinq au moins. Cette fosse sera pratiquée à un pied et demi au moins de l'orme : car si on fouillait où sont les racines de forme, la vigne prendrait mal, et, quand elle pousserait, elle n'en aurait pas moins à souffrir des branches de l'arbre. Si l'on a le temps, on fera cette fosse en automne, afin que sa terre se macère sous l'influence des pluies et des gelées. Vers l'équinoxe du printemps, on plantera dans chaque fosse, pour que l'orme soit plus promptement couvert, deux jeunes vignes à la distance d'un pied l'une de l'autre. On aura soin de ne pas les mettre en terre par un vent de septentrion, ni lorsqu'elles sont humides, mais quand elles sont ressuyées. Ce précepte ne s'applique pas simplement à la plantation des vignes, il convient aussi à celle des ormes et des autres arbres ; de même, lorsqu'on les tire de la pépinière, on doit marquer, avec de la sanguine, un point de leur tronc qui nous fasse connaître leur position, afin de ne pas changer leur orient : car il importe beaucoup qu'ils continuent de regarder le point de l'horizon auquel ils étaient accoutumés depuis leur enfance. Dans les lieux exposés au grand soleil, où le ciel n'est ni trop froid ni trop pluvieux on plante en automne, après l'équinoxe, les vignes et les arbres. Nous devons y procéder en étendant sous eux un demi-pied de terre de la surface du sol qui a été remuée par la charrue, en étalant bien toutes les racines, et, comme je le pense, en les fumant ; sinon, on recouvrira avec la terre remuée, et on la pressera avec les pieds tout autour du tronc. Il faut placer les vignes à l'extrémité de la fosse opposée à l'orme, y étendre leur bois, puis le dresser vers l'arbre, et le défendre, au moyen d'une clôture, de l'atteinte des animaux. Dans les terrains très échauffés par le soleil, on place les vignes au nord de leur orme ; dans les lieux froids, au midi ; sous une température moyenne, à l'orient ou à l'occident, afin qu'elles n'aient pas tout le jour à souffrir soit du soleil, soit de l'ombre. Celse pense qu'à l'époque de la première taille il faut s'abstenir d'en approcher le fer, et qu'il vaut mieux conduire autour de l'arbre les pousses qu'on contourne en forme de couronne, afin que leur courbure produise, l'année suivante, un bois propre à fournir une tête robuste. Quant à moi, j'ai appris, par une longue expérience, qu'il est préférable d'employer la serpe sur les vignes dès les premiers temps, et de ne pas souffrir qu'elles se couvrent d'une forêt de sarments superflus. Je pense aussi qu'il faut rabattre avec le fer le premier bois au second ou au troisième bourgeon, afin qu'il donne de plus robustes rameaux à fruit. Quand ils auront atteint le premier étage, on les dressera à la prochaine taille et tous les ans. D'ailleurs on les dirigera vers l'étage supérieur, en laissant toujours un sarment qui, fixé au tronc, tendra vers la cime de l’arbre. La vigne une fois établie, les cultivateurs l'assujettissent à une loi constante : la plupart d'entre eux multiplient les sarments sur les étages inférieurs, afin de se procurer une plus grande abondance de fruits et de rendre la culture plus facile. Mais ceux dont le but principal est la qualité du vin, poussent la vigne vers le sommet des ormes : ainsi, à mesure qu'elle se développe, ils la dirigent vers les branches les plus élevées, de manière que la cime de la vigne suive la cime de l'arbre, c'est-à-dire que la partie supérieure des deux derniers sarments soit attachée au tronc de l'arbre vers le sommet duquel ils tendent à monter, et qu'à mesure qu'une branche de l'orme a acquis assez de force, elle donne appui à la vigne. On fera supporter aux branches les plus fortes un grand nombre de sarments à fruit en les séparant l'un de l'autre, et aux plus faibles une moindre quantité. La jeune vigne sera fixée à l'arbre par trois attaches placées, la première au bas du tronc, à quatre pieds au-dessus du sol ; la seconde, à la tête de la vigne, et la troisième, à son milieu. Il ne faut pas mettre de lien trop bas : il affaiblirait la vigne : toutefois il devient quelquefois nécessaire quand l'arbre émondé est privé de branches, ou quand le cep trop vigoureux jette une végétation luxuriante. Aux préceptes de la taille, il faut ajouter les suivants : les vieux sarments à fruit, où pendaient les grappes de l'année précédente, devront être retranchés en totalité ; les nouveaux seront dressés, après qu'ils auront été débarrassés de toutes leurs vrilles et des gourmands qu'ils ont produits. Si la vigne a beaucoup de force, on fera, de préférence, descendre par la pointe des rameaux les sarments les plus éloignés du cep ; les plus voisins, si elle est faible, et ceux du milieu, si elle est de moyenne vigueur, sur ceux du milieu, parce que les sarments les plus éloignés du cep se chargent de plus de grappes, et que les plus rapprochés affaiblissent et épuisent moins la vigne. Les vignes se trouvent très bien d'être déliées tous les ans : on leur enlève alors plus facilement leurs noeuds ; puis le changement de place des liens les rafraîchit, les blesse moins et facilite leur accroissement. Il convient aussi de dresser les sarments à fruit sur les étages, de manière que, liés au troisième ou quatrième oeil, ils puissent retomber ; on les serrera peu pour qu'ils ne soient pas coupés par les liens. Si l'étage est trop éloigné pour qu'on y conduise le nouveau bois, on liera le sarment à la vigne même, au-dessus du troisième bourgeon. Nous donnons cette prescription, parce que la portion de sarment qui retombe se couvre de fruits, tandis que celle qu'une ligature assujettit s'élève et fournit du bois pour l'année suivante. Au surplus, il y a deux sortes de sarments à fruit : l'un qui sort du bois dur, et qu'on nomme pampinaire, en raison de ce que, la première année, il jette ordinairement des pampres sans grappes ; l'autre, qui vient d'une branche d'un an, et que l'on nomme fructueux, parce qu'il se met à fruit tout de suite. Afin d'avoir toujours de ceux-ci une certaine abondance dans la vigne, on lie à trois yeux les sarments à fruit, afin que ce qui se trouve au-dessous des liens donne du bois. Ensuite quand la vigne s'est fortifiée par les années et par sa vigueur, on conduit sur les arbres voisins des jets que l'on coupe à l'âge de deux ans, et que l'on remplace toujours par de plus jeunes ; car, en vieillissant, ils fatigueraient la vigne. Quelquefois aussi, quand une vigne ne suffit pas pour couvrir la totalité de son orme, on a l'habitude de coucher en terre quelques-uns de ses sarments, puis de faire remonter deux ou trois de ces provins au même arbre, afin que, par ce surcroît de rameaux, il se trouve garni plus promptement. On ne doit pas laisser de pampinaire aux vignes nouvelles, à moins qu'il ne sorte d'un point où il est nécessaire pour le marier à une branche dépourvue. Les pampinaires sont utiles dans les vieilles vignes, quand ils y naissent en lieu convenable, et c'est avec avantage que la plupart des vignerons les rabattent au troisième bourgeon : car l'année suivante ils jettent du bois. Tout pampre bien placé qui aura été brisé soit pendant la taille, soit pendant la ligature, pourvu qu'il ait un oeil, ne doit pas être enlevé, parce que, au bout d'un an, il donnera de cet oeil unique un bois qui n'en sera que plus vigoureux. On appelle précipités les sarments à fruit qui sont nés sur des jets d'un an, et que l'on attache au bois dur. Ils produisent beaucoup de fruit, mais ils sont préjudiciables à la tige mère qui les produit. C'est un motif pour ne pas conserver de ces précipités au bout des branches ou quand la vigne s'élève plus haut que la cime de l'orme. Toutefois, si quelqu'un, dans la vue d'obtenir du fruit, voulait en dresser quelques-uns, il devrait les tordre, puis les lier et les faire retomber : en effet, après le point tordu, il produira un bois excellent, et, quoique riche de grappes, le précipité absorbera moins de sève. Au reste, il ne faut pas conserver plus d'un an les précipités. Il est un autre genre de sarments à fruit, qui sortent d'un nouveau jet, et qu'on attache sur leur bois tendre encore pour les laisser pendre : nous les nommons bois ; ils donnent beaucoup de raisins et de nouveaux pampres. Si d'une tête on tire deux sarments pour les dresser, on donne également le nom de bois à chacun d'eux : j'ai parlé plus haut des ressources qu'on peut tirer du pampinaire. Le focané est le jet qui naît, comme au milieu d'une fourche, entre deux bras. J'ai découvert que cette pousse est très mauvaise, parce qu'elle ne produit pas de fruit et qu'elle affaiblit les deux bras au milieu desquels elle est née ; aussi faut-il l'enlever. C'est à tort que certains cultivateurs ont regardé comme plus productive une vigne vigoureuse et luxuriante, quand elle est chargée de beaucoup de sarments à dresser : de plus de jets, elle produit à la vérité plus de pampres ; mais, quand elle s'est revêtue de sa surabondance de feuillage, elle défleurit mal, elle retient trop longtemps les pluies et la rosée, et ne donne aucune grappe. Je pense donc qu'une vigne vigoureuse doit être répartie sur les branches de l'orme, que ses sarments doivent être dispersés et distribués en rayons, que le surplus des rameaux féconds sera précipité avec avantage, et que, si la luxuriance est excessive, il faut abandonner le bois à lui-même, seul moyen de rendre cette vigne plus féconde. D'ailleurs, comme une vigne bien garnie se recommande par ses fruits et par son bel aspect, de même elle paraît infructueuse et sans agrément quand la vieillesse l'a réduite à quelques chétifs rameaux. Pour éviter un tel inconvénient, un chef de famille soigneux ne néglige pas d'arracher les arbres décrépits, pour leur en substituer de jeunes avec une nouvelle vigne, ni de conduire des provins (ce qui est le meilleur procédé) au lieu de planter des marcottes enracinées, bien qu'il en ait à sa disposition. Quel que soit le parti qu'il prenne, il suivra les préceptes que nous avons donnés. En voilà assez sur la culture de la vigne telle qu'elle se pratique en Italie. [5,7] VII. Il y a dans les Gaules une autre espèce de plants d'arbres mariés aux vignes, et qu'on appelle rumpotin : il exige des sujets de petite taille et peu garnis de feuillage. L'obier surtout paraît propre à cet usage : c'est un arbre semblable au cornouiller. Au surplus, la plupart des vignerons ont recours, pour le même service, au cornouiller, au charme, à l'orme, et quelquefois au saule. Quant à ce dernier arbre, il ne faut s'en servir que dans les localités marécageuses, où les autres arbres ne prennent que difficilement, parce qu'il altère la saveur du vin. On peut aussi recourir à l'orme, pourvu qu'on l'étête dans sa jeunesse, afin qu'il ne s'élève pas au delà de quinze pieds. Or, j'ai remarqué que le rumpotin est constitué de manière que ces étages ne vont qu'à huit pieds dans les lieux secs et sur les pentes, et à douze sur les plaines et dans les terrains humides. L'arbre se divise ordinairement en trois branches, à chacune desquelles on conserve de chaque côté plusieurs bras; puis on retranche presque tous les autres rameaux qui donneraient trop d'ombre à l'époque de la taille des vignes. Si on ne sème pas de grains sous les rumpotins, on laisse entre eux une distance de vingt pieds de chaque côté; mais si on y cultive des céréales, on étendra cet intervalle à quarante pieds d'un côté et à vingt de l'autre. Les autres pratiques sont les mêmes que celles qui sont usitées en Italie : ainsi on plante les vignes dans de longues fosses, on leur donne les mêmes soins, on les dispose sur les branches de l'arbre; tous les ans on fait passer aux arbres voisins de nouveaux sarments, et l'on coupe les anciens. Si l'un de ces sarments ne peut atteindre le sarment voisin, on les réunit à l'aide d'une baguette à laquelle on les attache. Lorsqu'ensuite ils fléchissent sous le poids des grappes, on les soutient au moyen d'appuis qu'on a placés au-dessous. Cette espèce de plant et tous les autres arbres fructifient d'autant plus qu'on les laboure plus profondément, et qu'on bêche plus assidûment autour de leur pied. La culture prouve au chef de famille les avantages de ce travail. [5,8] VIII. La culture des autres arbres est plus simple que celle des vignobles, et l'olivier est de tous celui qui occasionne le moins de dépense, bien qu'il tienne le premier rang. Quoique, à la vérité, il ne produise pas de fruits tous les ans consécutivement, mais généralement de deux années l'une, il n'en mérite pas moins une grande attention, parce qu'il ne réclame que peu de travail et ne demande presque aucuns frais, lorsqu'il n'est pas chargé de fruits. Il paye, du reste, par une ample récolte la dépense qu'on fait pour lui. Négligé durant plusieurs années, il ne cesse pas, comme la vigne, de donner des productions ; il continue de produire, pendant ce temps même, quelques fruits au chef de famille ; et si l'on recommence à le cultiver, une année suffit pour lui rendre sa fertilité. En raison de ces qualités éminentes, nous avons cru devoir présenter ici avec soin quelques préceptes sur cette espèce d'arbre. Je pense que le nombre des espèces d'olives n'est pas moins grand que celui des espèces de raisins ; mais il n'en est parvenu que dix à ma connaissance : la pausie, l'algienne, la licinienne, la sergie, la névie, la culminie, l'orchis, la royale, la circite et la murtée. L'olive la plus agréable est la pausie ; la plus belle est la royale, qui vaut mieux pour être mangée que pour donner de l'huile. Tant qu'elle est verte encore, l'huile de la pausie est d'une saveur exquise ; mais elle s'altère en vieillissant. L'orchis et la circite sont plutôt recueillies pour la table que pour le pressoir. La licinienne donne la meilleure huile ; la sergie, la plus abondante. Au surplus, les grosses olives sont généralement préférables pour être mangées, et les petites pour être soumises au pressoir. Aucune de ces espèces d'olivier ne s'accommode d'une température très chaude ou très froide : une colline au nord dans les contrées chaudes, et dans les froides une exposition méridionale, est ce qui leur convient le mieux. Elles n'aiment pas, non plus, les lieux bas ou escarpés ; mais les coteaux d'une douce pente, comme nous en avons en Italie dans la Sabine, ou dans la province de Bétique. Quoique la plupart des auteurs soient d'avis que cet arbre ne saurait ni vivre ni produire à une distance de soixante milles de la mer, il réussit pourtant bien dans certaines localités qui en sont éloignées. La pausie supporte bien la chaleur ; la sergie, le froid ; l'espèce de terrain qui convient le mieux aux oliviers est celui dont le sous-sol est de gravier, pourvu que la couche supérieure se compose d'argile mélangée de sable. Un sol gras et sablonneux n'est pas moins bon ; et une terre forte même, pourvu qu'elle soit un peu humide et fertile, leur est encore favorable ; mais ils ne sauraient s'accommoder d'un terrain complètement argileux, et moins encore lorsqu'il est rempli de sources et de nature marécageuse. Les terres qui ne contiennent qu'un sable maigre ou du gravier pur leur sont aussi contraires : car, quoique l'olivier n'y meure pas, il n'y pousse jamais avec vigueur. Il prospère pourtant dans les terres à blé, et dans les lieux où ont végété l'arbousier et l'yeuse. Quant au chêne, il laisse, après qu'il a été coupé, des racines nuisibles aux plants d'oliviers, que leur poison fait périr. Voilà ce qu'en général j'avais à dire sur cet arbre ; je vais à présent exposer sa culture dans tous ses détails. [5,9] IX. On dispose la pépinière d'oliviers dans un lieu bien découvert, en terrain médiocrement bon, mais abondant en suc, ni compacte, ni trop léger, et pourtant plutôt léger que compacte. Ce genre de sol est presque toujours noir. Quand vous l'aurez remué à trois pieds de profondeur, et qu'au moyen d'un fossé profond vous en aurez interdit l'accès aux troupeaux, vous le laisserez fermenter. Alors coupez sur des arbres de jeunes branches droites et vigoureuses que la main puisse empoigner, c'est-à-dire qui soient de la grosseur d'un manche d'outil; pendant qu'elles sont fraîches, vous en ferez des boutures, en prenant garde de blesser l'écorce ni aucune autre partie que celle que la scie a tranchée. C'est ce qui se pratique sans difficulté, si préalablement on a disposé un étai, et si on a garni de torsades de foin ou de paille la partie où l'on doit faire l'amputation, de manière à couper la bouture doucement et sans dommage pour son écorce. On scie ensuite les boutures à la longueur d'un pied et demi, on polit la plaie de chacun des bouts avec une serpe, puis on les marque avec de la sanguine, afin de leur donner, en les plantant, la même position qu'ils avaient sur l'arbre, et pour que leur partie inférieure soit enfoncée dans le sol, et que la partie supérieure regarde le ciel: car si l'on plantait la bouture à contre-sens, elle prendrait difficilement, et l'arbre qui en proviendrait serait à jamais stérile. Il faudra enduire de fumier mêlé avec de la cendre, la tête et le pied des boutures, et les enfoncer entièrement de manière qu'elles soient recouvertes de terre légère à la hauteur de quatre doigts. On aura soin de ficher à leur droite et à leur gauche, et à petites distances, deux signaux faits d'un bois quelconque, et qui seront contenus par un lien à leur sommet, pour qu'on ne les renverse pas facilement. Ces précautions sont utiles pour que les fossoyeurs, dans leur ignorance, n'offensent pas les boutures enterrées, lorsqu'on leur fera cultiver la pépinière à la houe à deux dents ou bien au sarcloir. Quelques agriculteurs pensent qu'il vaut mieux planter des bourgeons, et les aligner de la même manière au cordeau. Quoi qu'il en soit, ces deux plantations doivent être faites après l'équinoxe du printemps. La première année, on sarclera le plus souvent qu'il sera possible; et la seconde année et les suivantes, quand les radicules auront acquis de la force, on cultivera avec le râteau; mais, durant deux années, on s'abstiendra de toute taille; puis à la troisième on ne laissera à chaque bouture que deux rameaux, et l'on sarclera fréquemment la pépinière. La quatrième année survenue, on coupera le plus faible des deux rameaux. Ainsi cultivés, les jeunes arbres seront, au bout de cinq ans, propres à la transplantation. On les établit avantageusement dans les terrains secs et peu humides, pendant l'automne; au printemps, dans ceux qui sont fertiles et moites, un peu avant qu'ils n'entrent en végétation. Un an avant de les transplanter, on leur prépare des fosses de quatre pieds; et, si le temps n'a pas été propice, avant de mettre ce plant dans la fosse, on y brûle de la paille pour que le feu en rende la terre plus meuble , ce que le soleil et les gelées auraient dû faire. Le moindre espace entre les lignes doit être, dans les terrains gras et propres aux céréales, de soixante pieds d'un côté, et de quarante de l'autre; dans un sol maigre et impropre à la culture des grains, vingt-cinq pieds d'intervalle sont suffisants. Il convient d'exposer les lignes au souffle du favonius, afin qu'il les rafraîchisse pendant l'été. Voici la manière de transplanter les jeunes oliviers. Avant de les arracher, marquez avec de la sanguine le côté qui regarde le midi, afin de leur donner la même exposition qu'ils avaient dans la pépinière. On a soin de laisser autour de la racine un pied de terre, et on les enlève avec cette motte. Pour empêcher qu'elle ne s'égrène, il est à propos de faire avec de petites baguettes une sorte de tissu qu'on appliquera au pied de l'arbre, et autour duquel on le fixera avec de l'osier, de manière que la terre bien serrée y soit comme emprisonnée. Alors, après avoir détaché le dessous de la motte, on la soulève légèrement, on lie dessous quelques petites branches, et l'on transporte le sujet. Avant de le déposer dans la fosse, il faudra en remuer le fond avec la houe à deux dents; puis, si la surface du terrain est plus grasse, en jeter la terre ameublie sur les racines et y semer de l'orge. S'il se trouvait de l'eau dans les fosses, on l'épuiserait complètement avant d'y mettre les arbres, on y jetterait de petits cailloux ou du gravier mêlé de terre grasse, et après avoir assis les plants, on échancrerait les côtés de la fosse et on mêlerait un peu de fumier à la terre. Si on n'a pas jugé à propos de planter en motte, il sera bon d'enlever tout le feuillage du tronc de l'olivier; puis, après avoir uni les plaies et les avoir enduites de fumier et de cendre, de le déposer dans les fosses ou dans les tranchées. Le sujet le plus propre à la transplantation est celui dont le tronc n'excède pas la grosseur du bras. On peut pourtant en transplanter de beaucoup plus gros et de plus robustes. Alors, si on n'a aucun danger à redouter des bestiaux, on plantera le sujet de sorte qu’il ne s'élève que peu au-dessus de la fosse: il en poussera plus vigoureusement; mais si on ne peut éviter, les incursions de ces animaux, on conservera au tronc assez de hauteur pour qu'ils ne puissent lui nuire. Il ne faut pas négliger d'arroser quand survient la sécheresse. Ce n'est qu'après deux ans qu'on fera usage de la serpe : alors on émondera l'olivier de telle sorte que sa tige dépasse en hauteur la taille du plus grand boeuf, de peur qu'en labourant cet animal ne s'y blesse la cuisse ou toute autre partie du corps. C'est aussi une excellente précaution d'entourer de haies les plants établis; puis de diviser en deux sections le verger d'oliviers bien constitué et au moment du rapport: chacune d'elles donnera alternativement des fruits tous les deux ans : car l'olivier n'est pas fécond deux années de suite. L'année où le terrain sur lequel sont plantés les oliviers n'est pas ensemencé, ces arbres jettent des rejetons; quand il est mis en culture, ils donnent des fruits: ainsi, en divisant le champ en deux portions, on obtient tous les ans un revenu égal. Au surplus, on doit le labourer au moins deux fois par an, et le fouir profondément avec la boue à deux dents. Pendant le solstice d'été, quand la terre s'est gercée, il faut veiller à ce que, par ces crevasses, le soleil ne frappe pas les racines. Après l'équinoxe d'automne, on déchausse les oliviers de manière que, s'ils sont plantés sur un coteau, des rigoles tracées d'en haut conduisent à leur pied l'eau chargée de limon. Ensuite, chaque année, on extirpera tous les rejetons qui naissent à la base de l'arbre, qui devra être fumé tous les trois ans. On se conformera pour la manière de distribuer les engrais dans les plants d'oliviers, aux préceptes que j'ai donnés dans mon second livre, si on se propose d'en faire aussi profiter les céréales; mais si on ne veut s'occuper que des arbres, il faudra en automne, pour que l'engrais réchauffe leurs racines en s'y mêlant pendant l'hiver, jeter au pied de chacun d'eux six livres de crottin de chèvres, ou un modius de fumier sec, ou bien un conge de lie d'huile. Lorsqu'ils sont peu vigoureux, la lie d'huile est préférable, en raison de la propriété qu'elle a de faire périr les vers et les autres insectes qui, pendant l'hiver, s'introduisent au pied des oliviers. Ordinairement aussi, dans les lieux soit secs, soit humides, ces arbres sont infestés par la mousse, qui, si elle n'est pas enlevée au moyen du grattoir, ne laissera venir ni fruits ni même beaucoup de feuilles. Les oliviers doivent être taillés après un certain nombre d'années; car il convient de se rappeler cet ancien proverbe : Qui laboure ses oliviers, les prie de donner du fruit; qui les fume, le demande; qui les taille, l'exige. Il suffit cependant de le faire tous les huit ans pour ne pas trop couper de branches à fruit. Il arrive quelquefois que les oliviers, quoiqu'ayant une belle apparence, ne produisent pas de fruits : il convient alors de les percer avec la tarière gauloise et d'enfoncer dans le trou une cheville verte d'olivier sauvage : ainsi, par cette sorte d'alliance qui le féconde, l'arbre devient plus fertile. On peut encore, sans avoir recours aux déchaussements, l'exciter avec de la lie d'huile non salée, mêlée avec de vieille urine de porc ou d'homme, qui l'une et l'autre ne doivent être employées qu'avec mesure; car pour le plus grand de ces arbres, une urne sera plus que suffisante, si on ne la mêle avec une égale quantité d'eau. Quelquefois, par le vice du sol, les oliviers ne donnent pas de fruits. Voici comment on peut remédier à cet inconvénient. On déchaussera les arbres au moyen de grands trous circulaires; ensuite, suivant la grandeur de l'olivier, on l'entourera d'une plus ou moins grande quantité de chaux; toutefois, le plus petit en demande un modius. Si ce remède ne produit aucun effet, on aura recours à la ressource de la greffe. Nous dirons par la suite comment on greffe l'olivier. Il arrive aussi quelquefois qu'un de ses rameaux est un peu plus vigoureux que les autres; si on ne le coupe pas, tout l'arbre dépérira. Jusqu'ici nous avons assez parlé des plants d'oliviers. Il nous reste à traiter des arbres fruitiers proprement dits; c'est ce qu'à présent nous allons faire: [5,10] X. Avant de planter le verger, il faut enclore son terrain soit d'un mur, soit d'une haie vive, soit d'un fossé taillé à pic, afin que ni bestiaux ni hommes n'y puissent pénétrer ; car, si la cime des arbres est trop souvent touchée par la main de l'homme, ou rongée par les animaux, le jeune plant ne pourra jamais prendre d'accroissement. Il est utile de classer ces arbres, surtout pour que les faibles ne soient pas étouffés par les plus forts ; car outre qu'ils diffèrent entre eux de force et de hauteur, ils ne croissent que dans un intervalle de temps inégal. La terre qui est propre aux vignes convient aussi aux arbres fruitiers. Un an avant de les planter, creusez la fosse qui doit les recevoir ; ainsi la terre se macérera par l'effet du soleil et des pluies, et ce qu'on y plantera prendra promptement. Si pourtant vous voulez dans une même année faire les fosses et planter, creusez les fosses au moins deux mois d'avance ; puis réchauffez-en les parois en y brûlant de la paille. Plus vous les ferez spacieuses, plus les fruits que vous obtiendrez seront beaux et abondants. Ces fosses doivent ressembler à un four dont le fond est plus large que l'entrée, afin que les racines aient plus d'espace pour se développer, et qu'une ouverture plus étroite laisse pénétrer moins de froid en hiver, et moins de chaleur en été ; et aussi afin que, sur les terrains en pente, les pluies n'entraînent pas la terre qui a servi à les combler. Plantez à de grands intervalles, afin que les arbres en croissant aient assez d'espace pour étendre leurs branches : si vous les rapprochiez trop, vous ne pourriez rien semer sous leur ombrage, et eux-mêmes ne donneraient du fruit qu'autant que vous les éclairciriez. Aussi convient-il de laisser entre les lignes quarante pieds ou trente au moins. Choisissez votre plant aussi gros que le manche de la houe à deux dents, droit, sans aspérités, haut, sans ulcères, et dont l'écorce soit intacte : alors il prendra bien et promptement. Si vous coupez des boutures sur d'anciens rameaux, préférez ceux qui, tous les ans, produisent des fruits abondants et de bonne qualité, et plutôt ceux qui sont exposés au soleil, que ceux dont l'ombre des branches ou des plantes quelconques arrêtent le développement. Avant d'opérer votre transplantation, remarquez le vent auquel vos jeunes arbres étaient primitivement exposés, arrachez- les ensuite, et transférez-les d'un terrain en pente et sec dans un lieu humide. Prenez de préférence ceux qui présentent trois branches, et qui ont moins de trois pieds de hauteur. Si dans une même fosse vous voulez établir deux ou trois arbres, veillez à ce qu'ils ne se touchent pas : autrement ils pourriraient et les vers les feraient périr. Quand vous plantez vos jeunes arbres, disposez au fond de la fosse, à droite et à gauche, de petites fascines de sarment grosses comme le bras, de manière qu'elles s'élèvent un peu au-dessus du sol : vous pourrez au moyen de celles-ci, avec peu de travail, donner de l'eau aux racines pendant l'été. Mettez en terre, pour la pépinière, vos arbres et vos plants enracinés, dans le courant de l'automne, vers les calendes et les ides d'octobre. Pour planter à demeure, attendez le retour du printemps, avant que la végétation ne commence. Afin que la teigne ne dévore pas vos plants de figuiers, déposez au fond de la fosse une branche de lentisque, la tête en bas. Ne plantez pas le figuier par un temps froid : il aime un terrain exposé au soleil, pierreux, graveleux, et parfois couvert de roches. Ces arbres poussent promptement, quand on les dépose dans une fosse vaste et bien ouverte. Quelles que soient les différences qu'ils présentent dans leur aspect et dans la saveur de leurs fruits, il n'y a qu'une manière de les planter, en consultant toutefois la nature des divers terrains. Plantez en automne, dans les localités froides et aquatiques, le figuier précoce, afin d'en cueillir les fruits avant les pluies. Plantez les tardifs dans les expositions chaudes. Si vous désirez retarder la maturité des figues, quoiqu'elles soient de nature hâtive, cueillez les petites figues, c'est-à-dire ses premiers fruits, dès leur apparition ; il en repoussera d'autres qui ne mûriront qu'à l'approche de l'hiver. Quelquefois aussi il convient de couper les cimes avec la serpe, lorsqu'elles commencent à se couvrir de feuilles : on rend ainsi l'arbre plus fort et plus fécond. Aussitôt que les figuiers ont commencé à pousser des feuilles, il sera toujours bon de délayer de la terre rouge dans de la lie d'huile, et de la répandre avec des excréments humains sur les racines de l'arbre : cette préparation augmente sa fertilité, et rend ses fruits plus charnus et de meilleur goût. On doit préférablement planter les figuiers de Livie, d'Afrique, de Chalcis, les sulques, ceux de Lydie, les callistruthes, les topies, ceux de Rhodes, de Libye, et d'hiver : toutes variétés qui donnent des fruits deux ou trois fois par an. Vers les calendes de février, semez l'amande dont l'arbre est le premier qui bourgeonne : elle demande un terrain ferme, chaud et sec ; car si vous la placez ailleurs, le plus souvent elle pourrit. Avant de la mettre en terre, faites-la macérer dans de l'eau miellée, mais qui ne soit pas trop douce : ainsi l'amandier, quand il aura grandi, fournira un fruit plus agréable au goût, et en attendant se couvrira de feuilles mieux et plus promptement. Placez trois amandes dans une fossette triangulaire, de manière qu'elles soient éloignées l'une de l'autre d'au moins un palme, et que le sommet du triangle regarde le favonius. Chacun de ces fruits ne jette qu'une seule racine et qu'une seule tige. Quand la racine est parvenue au fond de la fosse, arrêtée par la dureté du sol, elle se recourbe, et de son extrémité émet deux racines bifurquées. Vous pourrez obtenir ainsi qu'il suit des amandes et des avelines de Tarente : dans la fosse que vous destinez à recevoir ces fruits, établissez un demi-pied de terre légère sur laquelle vous répandrez de la graine de férule ; lorsque cette plante aura poussé, vous la fendrez, et dans sa moelle vous insérerez une amande ou une aveline, dépouillées de leur coque ; dans cet état, vous les recouvrirez de terre. Cette opération devra être faits avant les calendes de mars, ou entre les nones et les ides de ce mois. On sème à la même époque la noix, le pignon et la châtaigne, et de ce moment jusqu'aux calendes d'avril, les pépins de la grenade, dont le fruit, s'il est acerbe ou peu doux, peut être corrigé par le procédé suivant : arrosez les racines du grenadier avec des excréments de porc et d'homme délayés dans de vieille urine ; cette préparation, outre qu'elle féconde l'arbre, rend pendant les premières années son fruit vineux, puis, au bout de cinq ans, doux et rempli de pepins plus tendres. Quant à nous, nous délayons du laser dans du vin, et nous frottons l'extrémité des cimes de l'arbre : ce liniment corrige l'âcreté du fruit. Pour empêcher que les grenades ne se gercent sur l'arbre, on place trois pierres près des racines du grenadier, au moment où on le plante, et, s'il est vieux planté, on sème de la scille à son pied. On peut encore, quand la grenade est déjà mûre, et avant qu'elle ne se fende, tordre le petit rameau d'où elle pend : grâce à ce procédé, vous en conserverez même d'intactes toute l'année. Plantez le poirier en automne, avant le solstice d'hiver, au moins vingt-cinq jours auparavant. Quand il sera grand, déchaussez-le profondément pour le rendre fécond, fendez son tronc près de ses racines, et enfoncez clans cette ouverture un coin de bois de pin que vous y laisserez ; puis, après avoir comblé la fosse, vous jetterez de la cendre sur la terre. Il est important de ne peupler le verger que d'excellentes espèces de poiriers, telles que les crustumiens, les royaux, les signins, les tarentins, ceux qu'on appelle syriens, les pourprés, les superbes, les hordéacés, les aniciens, les néviens, les favoniens, les latérans, les dolabelliens, les turraniens, les volèmes, les miellés, les précoces, ceux de Vénus, et quelques autres dont il serait trop long de faire ici l'énumération. Il faut, en outre, rechercher, parmi les variétés du pommier, les scanliens, les matiens, les orbiculaires, les sextiens, les pélusiens, les amérins, les syriens, les miellés, les cognassiers, dont il y a trois espèces, qui sont les struthiens, les chrysoméliens, les mustés. Les fruits de tous ces pommiers sont non seulement agréables au goût, mais encore très sains. Les cormiers d'Arménie et de Perse ne donnent pas des fruits moins savoureux. On plante les pommiers, les cormiers et les pruniers, depuis la moitié de l'hiver jusqu'aux ides de février ; les mûriers, depuis ces ides jusqu'à l'équinoxe du printemps ; et dans l'automne, avant le solstice d'hiver, le pécher, et le caroubier que quelques personnes appellent cération. Si l'amandier, est peu fécond, enfoncez une pierre dans un trou que vous pratiquerez dans son tronc, et laissez-la se recouvrir par l'écorce. Vers les calendes de mars, il convient de disposer, dans les jardins, sur des couches, en terre bien ameublie et fumée, les boutures de toute espèce. Il faut avoir soin, pendant que les pousses en sont tendres encore, de leur faire subir une sorte d'épamprement, et, dès la première année, de les réduire à une seule tige. Quand l'automne sera venu, avant que le froid n'en brûle les cimes, il est à propos d'en cueillir toutes les feuilles, et, au moyen de gros roseaux auxquels on conserve entiers les noeuds d'un bout, on couvre le plant de cette espèce de chapeau, qui protège ses jets encore tendres contre le froid et les gelées. Ensuite, au bout de vingt-quatre mois, vous pourrez à votre volonté et en toute sûreté, ou transplanter, ou mettre en lignes, ou greffer ces marcottes. [5,11] XI. On peut enter toute espèce d'arbres, pourvu que la greffe ne diffère point par son écorce de l'arbre sur lequel on l'insère ; on peut aussi greffer l'un sur l'autre avec succès et sans scrupule les arbres qui donnent un fruit semblable et mûrissant à la même époque. Les anciens nous ont fait connaître trois espèces de greffes : l'une qui consiste à étêter un arbre, à le fendre, puis à insérer les scions coupés sur un autre arbre ; l'autre à insérer le scion entre l'écorce et le bois : ces deux greffes se font au printemps ; la troisième se pratique en appliquant sur un point dénudé de l'arbre à greffer, un oeil pourvu d'un peu d'écorce : c'est ce que les agriculteurs appellent emplastration ou inoculation. Cette espèce d'insertion réussit très bien en été. Après avoir rapporté ces méthodes, nous enseignerons celle que nous avons découverte. Le moment de greffer tous les arbres est celui où ils commencent à pousser leurs boutons ; quant à l'olivier, il se greffe lorsque la lune est dans son premier quartier, vers l'équinoxe du printemps jusqu'aux ides d'avril. Ayez l'attention de cueillir, pour l'arbre que vous voulez propager, vos greffes sur un sujet bien frais et fécond, et pourvu de beaucoup de noeuds. Aussitôt que les boutons sont gonflés, cueillez des jets gros comme le petit doigt, âgés d'un an, qui regardent le soleil levant, et qui soient bien intacts. Ces jets devront avoir deux ou trois fourches. Coupez soigneusement, avec la scie, l'arbre que vous voulez greffer, sur un point bien lisse et sans cicatrice, et vous éviterez d'en endommager l'écorce. Après cette amputation, polissez la plaie avec un outil parfaitement tranchant. Ensuite, en usant de la précaution de ne pas déchirer ni blesser l'écorce, introduisez entre elle et le bois un petit coin de fer ou d'os qui n'ait pas moins de trois doigts de longueur ; puis, avec une serpette bien tranchante, vous ratisserez la greffe d'un côté, sur, une longueur égale à celle de l'ouverture formée par le coin fiché dans l'arbre, de manière à n'offenser ni la moelle, ni l'écorce du côté opposé. Vos greffes ainsi préparées, enlevez le coin et placez-les aussitôt dans la fente pratiquée par l'introduction du coin entre l'écorce et le bois. Insérez toute la partie ratissée, et ne faites saillir le jet que d'un demi-pied, et pas plus. Vous pouvez, sans inconvénient, introduire deux greffes, et même un plus grand nombre, si le tronc est assez gros, en laissant entre elles un intervalle de quatre doigts : la grandeur de l'arbre et la bonté de son écorce vous guideront d'ailleurs dans cette opération. Quand vous aurez placé toutes les greffes que l'arbre peut admettre, vous le serrerez avec des bandes d'écorce d'orme, ou avec du jonc, ou avec de l'osier ; ensuite vous enduirez la plaie de torchis bien manié, en laissant libre l'espace entre les jets sur une étendue d'au moins quatre doigts. Vous recouvrirez de mousse que vous lierez de manière que la pluie ne la fasse pas tomber. Quoi qu'il en soit, il y a des personnes qui aiment mieux ouvrir avec la scie une aire pour les greffes dans le tronc de l'arbre, polir avec un léger scalpel les points sciés et y adapter ces greffes. Si vous voulez greffer un petit arbre, coupez-le par en bas à un pied et demi au-dessus du sol, puis polissez soigneusement la plaie, et fendez légèrement avec un scalpel bien tranchant le milieu du tronc, de manière que la fente ne pénètre qu'à trois doigts. Faites-y ensuite entrer un coin pour l'entr'ouvrir, enfoncez-y les greffes, ratissées des deux côtés, de telle sorte que leur écorce soit exactement mise en rapport avec celle de l'arbre, puis, ces greffes soigneusement ajustées, enlevez le coin, et liez l'arbre comme j'ai dit ci-dessus. Amoncelez de la terre autour de l'arbre jusqu'à la greffe : par ce moyen vous protégerez efficacement celle-ci contre le vent et contre les ardeurs de l'été. Le troisième mode de greffe étant très délicat ne peut être employé pour toute espèce d'arbres ; mais il convient presque toujours à ceux dont l'écorce est humide, remplie de sève, et épaisse, comme le figuier. Aussi le figuier sauvage qui laisse échapper une grande quantité de lait et a l'écorce très forte, se greffe-t-il très facilement par ce procédé. Sur l'arbre que vous désirez propager, choisissez des rameaux jeunes et bien lisses, qui aient un bouton bien apparent, et vous aurez l'espoir fondé d'une bonne réussite. Tracez autour de cet oeil un carré dont chaque côté soit de deux doigts et dont il occupera le milieu ; puis, avec un scalpel bien affilé, enlevez ce carré, détachez-le soigneusement afin de ne pas blesser le bouton. Ensuite, sur l'arbre que vous voulez greffer, faites choix d'un rameau très franc que vous mettrez à nu, et vous y adapterez l'écusson préparé de manière qu'il occupe exactement tout le point écorcé. Après cela, liez soigneusement cet écusson en haut et en bas, prenez garde d'en blesser l'oeil, et enduisez de boue les lèvres de la plaie et les ligatures, en ménageant un intervalle jusqu'au bouton, afin que celui-ci soit libre, et ne soit pas gêné par la ligature. Au surplus, coupez les branches et les rejets de l'arbre écussonné pour que la sève ne puisse pas être dérivée, et ne profite qu'à la greffe. Au bout de vingt et un jours, dégagez-le. Cette dernière méthode s'applique parfaitement à l'olivier. Nous avons déjà enseigné, en traitant des vignes, la pratique d'une quatrième greffe ; il est donc superflu de répéter ici ce que nous avons dit de la méthode par térébration. Toutefois, comme les anciens ont contesté la possibilité de faire prospérer toutes sortes de greffes sur toute espèce d'arbres, et qu'ils ont sanctionné comme une espèce de loi cette règle que nous avons déterminée un peu plus haut, que la seule greffe qui puisse réussir est celle qui ressemble pour l'écorce, le liber et le fruit, aux arbres qui la reçoivent, nous avons pensé qu'il fallait dissiper l'erreur de cette opinion, et donner à nos descendants la méthode qui rend possible, sur toute espèce d'arbres, toute espèce de greffe. Pour ne pas fatiguer le lecteur par un trop long préambule, nous allons lui donner comme exemple le moyen de pratiquer cette opération sur tous les arbres en général. Creusez une fosse de quatre pieds en tous sens, à distance telle d'un olivier, que les extrémités de ses branches puissent y atteindre. Plantez dans cette fosse un jeune figuier, que vous aurez soin de choisir vigoureux et franc. Après trois ans, quand il aura pris assez d'accroissement, courbez un rameau d'olivier de belle venue, et liez-le au pied du figuier ; retranchez ensuite tous les autres jets, et conservez seulement les pointes que vous destinez à la greffe. Étêtez alors le figuier, polissez la plaie, et, au moyen d'un coin, fendez cet arbre au milieu. Ratissez des deux côtés les cimes d'olivier sans les détacher de la tige mère, et, dans cet état, insérez-les dans la fente du figuier, ôtez le coin et liez avec soin ces rameaux, afin qu'aucune force ne les déplace. Ainsi, pendant trois ans le figuier croîtra avec l'olivier, et enfin, à la quatrième année, quand leur union sera complète, vous séparerez les rameaux d'olivier du tronc maternel, comme on le fait pour les provins. Par ce procédé, vous grefferez toute espèce d'arbre sur quelqu'autre espèce que ce puisse être. Ayant, dans les livres précédents, traité de toutes les variétés d'arbres à fruit, il est à propos de parler du cytise avant de terminer ce livre-ci. [5,12] XII. Il importe beaucoup de posséder sur une terre une forte quantité de cytise, puisqu'il est très utile aux poules, aux abeilles, aux chèvres, aux boeufs et à toute espèce de bestiaux : tant parce qu'il les engraisse promptement, et qu'il procure aux brebis une grande abondance de lait, que parce qu'il peut fournir huit mois un fourrage vert, et ensuite un fourrage sec. D'ailleurs le cytise pousse promptement dans toute espèce de champ, quelle que soit sa maigreur. Il ne souffre aucun dommage de ce qui nuit aux autres végétaux. Si les femmes même viennent à manquer de lait, il faut faire macérer dans de l'eau du cytise sec, qu'on devra laisser tremper toute une nuit, et en mêlant le lendemain trois hémines de son suc exprimé avec une petite quantité de vin, on obtiendra un breuvage au moyen duquel la santé des mères sera consolidée en même temps que l'abondance de leur lait sera profitable à leurs enfants. On peut semer le cytise en automne vers les ides d'octobre, ou bien au printemps. Quand la terre a été convenablement labourée, dressez-la en petites planches et, en automne, sentez la graine de cytise, comme on sème la dragée. Au printemps, disposez votre plant, et placez-le à la distance de quatre pieds en tous sens. Si vous n'avez pas de graine, plantez des cimes de cytise à l'époque du printemps, et buttez-les avec de la terre bien fumée. S'il ne survient pas de pluie, arrosez pendant les quinze premiers jours ; dès qu'il commencera à pousser des feuilles, sarclez-le, et au bout de trois ans coupez-le et donnez-le à votre bétail. En vert, quinze livres de cytise suffisent pour le cheval, vingt pour le boeuf, et proportionnellement pour les autres bestiaux. On peut aussi, avant le mois de septembre, planter, avec assez d'avantage des boutures de cytise, parce qu'il prend facilement, et qu'il résiste bien à tous les contretemps. Si vous l'employez sec, vous modérez la ration, parce qu'il est alors plus substantiel ; au reste, vous le ferez d'abord macérer dans l'eau, puis vous le mêlerez avec de la paille. Lorsque vous voudrez faire sécher le cytise, coupez-le vers le mois de septembre, au moment où sa graine commence à grossir, et exposez-le au soleil pendant un petit nombre d'heures, jusqu'à ce qu'il soit fané ; mettez-le ensuite sécher à l'ombre, et serrez-le. J'ai jusqu'ici suffisamment parlé des arbres ; je consacrerai le livre suivant à l'exposition des soins que réclament les troupeaux et à l'étude des remèdes qui leur sont nécessaires.