LIVRE SIXIÈME. CHAPITRE PREMIER. Ordre des matières. Dans notre sixième et septième livres des Stromates, consacrés aux commentaires sur la véritable philosophie, après avoir exposé le plus complètement qu'il nous sera possible la morale qu'elle contient, et avoir montré quelle est la vie du parfait Gnostique, nous continuerons de prouver aux philosophes que notre disciple, au lieu d'être, comme ils se l'imaginent , un athée, est le seul qui rende à Dieu le culte qui lui appartient. Pour arriver à ce but, il nous faudra toucher sommairement aux dogmes qu'il croit, aux pratiques qu'il observe, autant du moins qne nous pourrons sans péril confier ces secrets à la lettre parlante d'un ouvrage public. Le Seigneur, en effet, nous a ordonné « de travailler « pour la nourriture qui demeure dans la vie éternelle. » Et le prophète dit quelque part : « Heureux celui qui sème « sur toute terre arrosée d'eau où paissent la génisse et « l'âne; » qu'est-ce à dire ? le peuple qui, formé des Hébreux et des Gentils, se confond dans une foi commune. Mais celui qui est faible se nourrit « de légumes », selon l'illustre apôtre. Déjà les trois livres de notre Pédagogue, prenant le Chrétien au berceau, l'instruisent et le forment à ce régime de vie que développe en lui, par l'intermédiaire de la foi, l'enseignement des Catéchèses , et qui, dans le néophyte, inscrit au nombre des hommes faits , prépare une âme vertueuse à recevoir plus tard le précieux dépôt de la connaissance. Une fois que les Gentils auront été mis à même de reconnaître, par les détails où nous entrerons, qu'en persécutant le véritable adorateur de Dieu, ce sont eux qui font acte d'impiété, fldèle alors au titre et au caractère de Stromates sous lesquels se présentent nos commentaires, nous résoudrons quelques objections, soulevées tant par les Grecs que par les Barbares an sujet de l'avè,nement de notre Seigneur. Les fleurs diverses qui émaillent les prairies, les grands arbres qui ornent les jardins, ne sont ni séparés, ni groupés par espèces, quoique plus d'un auteur ait réuni dans un même recueil des matières diverses d'éruditiou qu'il distingua les unes des autres par les titres de prairie, d'hé. licon, d'alvéole et de péplos '. Nos Sromates ressemblent i une prairie. Mille objets divers s'y mêlent et s'y confondent, à la manière des fleurs, selon qu'ils se sont offerts à notre es. prit, jetés sans ordre et sans art, quelquefois même dispersés à dessein. Écrits de la sorte, ils seront pour moi un feu caché sous la cendre que l'on réveille au besoin ; si par hasard ils tombent entre les mains d'un lecteur qui peut être initié aui mystères de la connaissance, ils l'exciteront à y chercher, non pas sans quelque labeur, ce qui peut le servir et lui profiter. La justice voulant que le travail précède la nourriture, n'est-il pas plus juste encore que la fatigue précède la connaissance pour ceux qui tendent au salut et à la béatitude éternelle par la voie étroite et laborieuse, par la voie véritable du Seigneur? Quelle est notre connaissance? Quel est notre jardin spirituel ? Notre Seigneur lui-même, dans lequel nous sommes plantés comme dans une bonne terre, après avoir été arrachés au sol stérile de notre vie antérieure. La transplantation développe la bonté du fruit. Or, encore une fois, la lumière et la connaissance véritable, c'est notre Seigneur dans lequel nous avons été transplantés. On distingue deux sortes de connaissances : la première est celle qui porte communément ce nom, et se manifeste dans tous les hommes. Il faut établir une distinction semblable pour l'intelligence et la conception qui réside dans la perception des objets dont nous sommes environnés, et appartient aussi bien aux êtres doués de raison qu'à ceux qui ne l'ont pas reçue en partage. Dieu me préserve de donner le nom de connaissance à de grossières notions qui ne viennent que par les sens ! Mais la connaissance par excellence et vraiment digne de ce nom a pour caractère définitif l'intelligence et la raison. Par elle seule les facultés de lètre raisonnable se transforment en connaissances qui s'appliquent hors des sens et par la simple action de l'esprit aux choses qui ne sont perceptibles qu'à l intelligence. « Qu'il est bon , s'écrie « David, l'homme touché de compnssiou pour ceux qui s'éga« rent et périssent dans les voies de l'erreur, et qui vient à « leur aide » en leur distribuant la parole de la vérité , non pas avec une pitié indiscrète et irréfléchie, mais « qui réglera « et dispensera ses discours avec le discernement de la sagesse ! « Voilà l'homme qui a répandu ses biens sur les pauvres. » CHAPlTRE IL Continuation de ce sujet : les Grecs ont presque tout derobé nux Hébreux. — Les Grecs se sont pris mutuellement les maximes qui appartenaient à chacun d'eux. Mais avant d'aborder le sujet que nous nous proposons de traiter, il faut rendre ici, sous forme de préambule, ce qui manque à notre cinquième livre des Stromales. Eu effet, la preuve que le symbolisme était d'origine ancienne, et que non-seulement nos prophètes avaient recouru aux formes allégoriques, mais que la plupart des sages de la Grèce et bon nombre d'entre les autres nations barbares en avaient fait aillant, amenait naturellement l'exposé des mystères et des initiations. Nous remettons néanmoins d'en parler au moment ou nous réfuterons les doctrines des Grecs sur les principes; car ces mystères, comme nous le ferons voir, rentrent aussi dans le cercle de cet examen. Quant à présent, la démonstration une fois bien établie, que le sens mystique des dogmes grecs a été entièrement éclairci par les lumières de la vérité que les Écritures nous ont transmise, et par la communication desquelles il résulte de nos preuves, si ce n'est pas là parler avec orgueil, que le fruit de la vérité est parvenu jusqu'aux Gentils, eh bien ! appelons la Grèce en témoignage contre elle-même pour la convaincre qu'elle est réejlement coupable des larcins dont elle est accusée. Des écrivains qui se dérobent si publiquement l'un à l'autre des choses qui appartiennent à chacun d'eux, confirment, par ces plagiats sans fin, qu'ils sont des voleurs, outre qu'ils attestent, sans le vouloir, qu'ils se sont attribué la vérité qu'ils avaient reçue de nous, et qu'ils l'ont furtivement transmise à leur nation. En les voyant porter une main hardie sur les richesses particulières, comment imaginer qu'ils aient respecté les nôtres ? Laissons de côté leurs dogmes en philosophie. Les sectes les plus opposées confessent elles-mêmes, afin de prévenir sans doute le reproche d'ingratitude, qu'elles ont reçu de Socrate leurs dogmes principaux. Après avoir cité à l'appui de notre proposition quelques témoignages seulement, empruntés aux écrivains grecs les plus renommés, et avoir suffisamment convaincu le lecteur du genre de vol commis par ces plagiaires à diverses époques, nous reviendrons à notre sujet. Orphée avait dit : « Il n'est rien de plus effronté ni de plus mauvais qu'une « femme ; » Homère le répète : « Rien de plus intolérable ni de plus effronté qu'une femme. » Musée avait écrit : « La prudence l'emporte toujours sur la force ; » Homère dit : « Le bûcheron abat le chêne plutôt avec l'adresse qu'avec la « force. » Ailleurs le même Musée avait dit : « De même que la terre féconde couronne de feuilles lis « frênes, et que les unes tombent taudis que les autres nais. « sent, ainsi se succèdent les générations humaines ; » Homère va reproduire ces paroles : « Le veut dépouille l'arbre de ses feuilles et les disperse ; au « retour du printemps l'arbre en produira de nouvelles. Ainsi •• vont les générations humaines ; les unes naissent, les autres « meurent. » Homère avait dit : • Il n'est pas permis d'insulter à la cendre des morts ; » Voilà qu'Archiloque et Cratinus écrivent, le premier : « Il ne convient pas d'injurier les morts ; » Le second dans les Laconiens : « C'est une chose odieuse que de se vanter au détriment des « morts. » Le même Archiloque, s'emparant de ce vers d'Homère : « Je suis blessé et je n'en rougis point lorsque tant d'autres « le sont avec moi ; » le reproduit de cette manière : « J'ai failli; mais je ne suis pas sans compagnon dans mon « malheur. » De même pour ce vers : « Mars, qui favorise tantôt un parti tantôt un autre, im« mole celui qui immolait tout à l'heure ; » Archiloque le reproduit encore sous cette forme : « Je le ferai ; car Mars est le dieu de tous les partis. » Cet autre vers du pocte épique : • La victoire est entre les mains des dieux ; » devient dans les iambes d'Archiloque un aiguillon qui excite ainsi le courage de la jeunesse : • Les dieux décident de la victoire. » Homère avait dit : « Ne se lavant jamais les pieds et couchant sur la terre; » Euripide écrit dans son Éreehthée : «Ils dorment sur la terre nue et ne se baignent les pieds « dans aucune fontaine. » D'accord avec ce vers d'Homère , « Les uns se complaisent dans une occupation, les autres « dans une autre ; » Archiloque avait dit : « Les uns se réjouissent d'une chose , les autres d'une au« tre ; » Euripide répète d'après eux, dans l'Œnée : « Celui-ci préfère un genre de vie, celui-là un autre. » J'ai entendu Eschyle s'écrier : « Que l'homme fortuné s'enferme dans sa maison ; que le « malheureux y demeure également ; » Euripide ne manquera point de s'écrier aussi sur la scène tragique : « Heureux l'homme qui cache sa félicité dans le secret de sa « maison 1 » La comédie parlera le même langage dans la bouche de Ménandre : «Cachez votre bonheur dans votre maison; demeurez-y li« bre, ou bien renoncez au titre d'homme véritablement heu« reux. » Théognis avait écrit : « L'exilé n'a point d'ami fidèle ; » Euripide en a fait : « Les amis s'éloignent de la fortune du pauvre. » On lit dans Épicharme : « Hélas ! hélas ! ô ma fille, je t'ai perdue en te donnant un « mari beaucoup plus jeune que toi... car l'époux cherche une « jeune amante, et l'épouse appelle quelque adultère; » Euripide s'empare ainsi de ce passage : « C'est chose inconvenante que d'unir à un jeune homme « une femme déjà vieille. Qu'arrive-t-il ? Celui-ci soupire après « les voluptés d'une autre couche, et l'épouse délaissée médite « de funestes projets. » Euripide ayant dit dans Médée : « Les dons du méchant sont toujours funestes ; » Sophocle écrira ce vers iambique dans l'Ajcuc furieux : « Les présents d'un ennemi ne sont pas des présents : ils « sont toujours funestes. » Je lis dans Solon : « La satiété qu'accompagne une grande richesse engendre « l'insolence ; » Théognis va répéter presque dans les mêmes termes : « La satiété engendre l'insolence quand la fortune est aux .< mains du méchant. » Imitation semblable dans l'histoire de Thucydide : « La plu« part des hommes, dit-il, auxquels surviennent quelques mo« ments de bonheur inattendu, ne manquent point de se jeter » dans l'insolence; » Philiste reproduira ce passage : « Les prospérités qu'ac« compagent la raison et la justice sont plus sûres pour notre « renommée et nous tiennent mieux eu garde contre l'infor« tune. Car la plupart de ceux auxquels surviennent quelques « moments d'un bonheur inattendu ne manquent jamais de se « jeter dans l'insolence. » Euripide ayant dit : « Les enfants nés de parents qui mènent une vie sobre et « rude, ont le plus de vigueur ; » Critias écrit : « Prenons l'homme à son berceau. Par quel moyen lui assu« rer un corps vigoureux ? Il l'obtiendra infailliblement si le « père s'exerce aux luttes du gymnase, se nourrit abondam« meut, et fatigue son corps par de rudes labeurs ; si la mère « du futur enfant est d'une complexion robuste et entretient ses « forces par le travail. » Homère nous montre Vulcain forgeant le bouclier : « Il y représente la terre, le ciel et la mer ; il y ajoute l'im« mensité de l'océan. « Phérécyde de Syrie dit à son tour : « Zeus fabrique un large et magnifique manteau. Il y rcpré« sente avec des couleurs diverses la terre, le ciel, et les palais « de l'océan. » » La honte est à la fois utile et fatale à l'homme, » dit Homère. Euripide va dire après lui : « Quel jugement porter de la honte ? Je l'ignore véritable« ment : ici elle nous est nécessaire ; là elle de vient un grand mal. » Confrontez les mis avec les autres les écrivains qui fleurirent à la même époque, et parcoururent la même carrière, vous surprendrez les traces de leurs déprédations réciproques. Ici c'est Euripide qui dit dans Oreste : « Doux charme du sommeil, remède à nos maux... » Là c'est Sophocle qui s'écrie dans Ériphyle : « Va trouver le sommeil ; il guérira tes maux. » Si Euripide dit dans Antigone : « Chez l'enfant illégitime, le nom seul est honteux ; la na« ture est la même ; » Sophocle répond dans ses Aléi'ades : « Toutes les choses qui sont bonnes ont la même nature. » Je lis dans le Ctimène d'Euripide : « Dieu vient en aide à l'homme qui travaille; » Et dans le Minos de Sophocle : « Jamais la fortune ne seconde celui qui se manque a lui« même; » Dans l'Alexandre d'Euripide : « Le temps m'éclairera. Es-tu bon ? es-tu méchant ? je le. « saurai de ce témoin véridique ; » Et dans l'ffippone de Sophocle : « Ne me cache point la vérité. Car le temps, aux oreilles « et aux yeux duquel rien n'échappe, est le révélateur su« prême de toutes choses. » Poursuivons ce parallèle. Eumélus ayant écrit : « Les neuf filles de Mnémosyne et de Jupiter olympien ; • Solon commence ainsi une élégie : « Brillantes filles de Mnémosyne et de Jupiter olympien; » Ailleurs Euripide, paraphrasant ce vers d'Homère : « Qui es-tu ? quelle est ta patrie? quels sont les auteurs de « tes jours ? * Le développe dans les iambes suivants de \'Égée : « De quelle contrée dirons-nous que tu es sorti, pour errer « ainsi sur une terre étrangère ? Quel est ton pays ? où est-il « situé ? quel est celui qui t'a engendré ? de qu! enfin pouvons« nous te proclamer fils ? » Mais quoi ! Théognis ayaut dit : « Boire du vin avec excès est un mal ; eu boire modéré« ment, ce n'est plus un mal, mais un bieu ; » Voilà que Panyasis écrit après lui : « Bu avec mesure, le vin, présent des dieux, est utile aux '. mortels ; pris immodérément, il devient funeste. » Hésiode commence-t-il par dire : « Au lieu de feu je te rendrai un mal qui sera les délices de « tous?» Euripide le répète en ces termes : « A la place du feu naquit un fléau plus redoutable et plus « opiniâtre, la femme. » Eu outre, Homère ayant dit : « ll m'est impossible d'assouvir les convoitises de mon esto« mac, impérieux tyran qui cause tant de maux à l'homme; » Euripide écrit : Tout cède à l'indigence et aux nécessités de l'estomac, source « fatale d'où coulent nos maux. » . Le poète comique Caillas n'a pas plutôt prononcé cette maxime: « Avec les fous il faut que tout le monde soit fou ; » Que Ménandre va en faire son profit dans sa comédie intitulée : Les hommes à l'encan : « La sagesse n'est pas toujours de saison ; il faut être de « temps en temps fou avec les fous. » Antimaque de Téos ayant dit : « L'homme trouve souvent sa ruine dans les dons qui lui « sont faits; •• Augias s'approprie ainsi cette pensée : « Les présents, comme les actions, trompent souvent l'esprit de l'homme. » Si Hésiode dit : « Il n'est pas pour l'homme de trésor plus précieux qu'une « épouse vertueuse. Si elle est méchante, pas de fléau plus re• doutable ; , Simonide dit à son tour : • « L'homme n'a pas de trésor qui égale la possession d'une « épouse vertueuse, ni de flénu plus terrible qu'une femme mé« chante. » Êpicharme nous ayant donné cet avertissement : « Si longue que doive être ta vie, pense comme si tu ne de« vais vivre qu'un moment; » Euripide dit à son tour : « Puisque la richesse est un bien si fragile, que ne songeons« nous à vivre du moins loin du trouble et des angoisses ? » De même, quand le poète comique Diphile nous dit : « La vie de l'homme est une suite de vicissitudes; » Voici venir Posidippc avec cette imitation : « Pas un homme qui ait traversé la vie sans connaître la « douleur. Pas un qui ait été malheureux jusqu'à son dernier « jour. » Et à leur suite Platon nous crie que l'homme est un être essentiellement variable. Euripide vient.il à écrire : « Misérable vie de l'homme, comme tu es toujours inccr« taine et chancelante, aujourd'hui élevée dans les airs, de« main au fond de l'abîme ! Pas de point déterminé où le mor« tel doive s'arrêter, si ce n'est quand il vient, sous la main de » Jupiter, heurter au tombeau, dernier écueil de la vie; » Diphile dit à son tour : « D'existence entièrement affranchie de maux , de chagrius « et d'inquiétudes, il n'en est pas. La violence, la ruse, les roa« ladies, empoisonnent les jours de chacun de nous. La mort « par sa présence est le médecin de ces maux ; elle les guérit « par le sommeil de la tombe. » De plus Euripide ayant dit ailleurs : « La fortune a plus d'un aspect, les dieux nous envoient bien « des événements inattendus ; » Le pocte tragique Théodecte reproduit ainsi cette pensée : « Les choses humaines sont frappées d'inconstance et de « mobilité. » Bacchylidc aussi ayant dit : « A peu de mortels la Divinité a donné de toujours réussir « et d'arriver au terme de la vieillesse, couronnés de cheveux « blaucs, sans avoir jamais connu l'infortune ; Moschion-le-Comique écrit aussitôt : « Heureux, mille fois heureux entre tous les autres, le mor« tel dont la vie s'est écoulée d'un cours toujours égal ! » Vous trouverez aussi que ces vers de Théognis : « Il n'est pas sage de marier une jeune femme à un vieil« lard; car elle n'obéit point comme la barque au gouver• nail;» Ont été ainsi copiés par Aristophane-le-Comique : Un vieux mari ne convient point à une jeune femme. » Si Anacréon écrit : « Je vais chanter l'Amour, jeune enfant dont la chevelure « est retenue par des guirlandes de fleurs. L'Amour est le tyran « des dieux ; à lui seul il dompte la multitude des hommes; » Vient Euripide qui dit : « L'amour ne subjugue pas seulement les hommes et les .• femmes ; il s'attaque au ciel lui-même : il trouble la demeure « des dieux et règne jusque dans les profondeurs des mers. » Mais de peur que le désir de prouver par quel penchant au vol les Grecs ont mis la main sur des pensées et des dogmes qui ne leur appartiennent pas, n'allonge inutilement notre discours, produisons, à l'appui de nos paroles, le témoignage d'Hippias, sophiste d'Elée, qui plaide la même cause que nous. Il s'exprime ainsi formellement : « De ces choses, les unes ont « été déjà dites par Orphée, les autres brièvement touchées « par Musée ; les autres exprimées ailleurs. Celles-ci se ren« contrent dans Hésiode, celles-là dans Homère, quelques « autres dans d'autres poètes, quelques autres dans les pro« sateurs, tantôt enfin chez les écrivains Grecs, tantôt chez « les écrivains barbares. Pour moi, après avoir coordonné « ce qu'il y a de plus intéressant et de plus homogène, j'en « composerai le discours présent, nouveau et varié dans sa « forme. » A qui s'imaginerait que la philosophie, l'histoire et l'éloquence elle-même n'ont pas été complices de ces larcins, nous allons prouver le plagiat par quelques exemples particuliers a chacune d'elles. AIcméon de Crotone ayant dit : « Il est plus facile de se garder d'un ennemi que d'an » ami; » Voilà que Sophocle répète dans son Antigone: « Connaissez-vous ulcère plus hideux qu'un ami per« flde ? » Et Xénophon : « Le secret le plus sûr de nuire à ses ennemis, c'est de pa« raltre leur ami. » De plus , Euripide avait dit dans le Télèphe : « Enfants de la Grèce , nous servirions des Barbares ! • Thrasymaque s'écrie, dans son Discours pour les habitants de Larisse : « Nous reconnaitrions pour maitre Archélaiis, nous Grecs, •• lui barbare 1 » Orphée ayant dit : « Pour l'âme, la mort est de se changer en eau ; pour l'ean, « de changer de nature. De l'eau nait la terre, et de la tetre « nait l'eau. De l'eau nait l'âme, qui se convertit entièrement « en air; » Héraclite va s'approprier cette définition et la reproduire ainsi : « Pour les âmes, la mort est de se convertir en eau ; pour « l'eau, de se transformer en terre. La terre produit l'eau, « et de l'eau nait l'âme. » Athamas le pythagoricien ayant dit : « Telle est l'origine de l'univers. On compte quatre éléments, « le feu, l'eau, la terre et l'air. Us concourent à la formation « de toutes choses; • Empédocle d'Agrigente écrit après lui : « Écoute ; il y a quatre principes : le feu, l'eau, la terre, « et l'air, qui n'a point de limites. De ces quatre principes sont « nées, naissent ou naitront, toutes les choses passées,, présen« tes ou futures. » Platon ayant dit : « C'est pourquoi les dieux aussi connaissant les hommes, dé-' livrent plus promptement de la vie ceux qu'ils aiment le mieux ; « Ménandre écrivit : « Celni qui est aimé des dieux meurt jeune. • Euripide ayant dit dans l'Œnomaus : « Nous conjecturons les choses cachées d'après celles que nous voyons ; » Et dans le Phénicien : « Sur des signes vraisemblables, on découvre les choses cachées; » Hypéride écrivit : « Il est nécessaire que ceux qui enseignent cherchent à découvrir par des signes vraisemblables les choses cachées. » Isocrate ayant dit : « Il faut que le passé nous serve à conjecturer l'avenir; » Andocide ne craignit pas de répéter : « Il faut se servir du passé comme d'un flambeau qui éclaire l'avenir. » Théognis ayant dit : « De l'or ou de l'argent falsifié n'est pas un mal sans remède , o Cyrnus ; l'habileté peut aisément découvrir l'altération. Mais si, dans la poitrine d'un homme que vous croyez votre ami, se cache un cœur stérile et desséché ; si dans ce cœur habite la fraude, les dieux n'ont rien donné aux hommes de plus trompeur ; voilà l'imposture la plus difficile à démêler ; » Euripide écrivit : « O Jupiter, toi qui as donné aux hommes des signes évidents pour reconnaitre si l'or est falsifié, pourquoi n'as-tu pas marqué les méchants d'un signe qui les distinguât des autres hommes ? » Hypéride écrivit également : « Les hommes ne portent sur leur visage aucun signe qui révèle leur pensée. » Stasinus ayant dit : « Insensé qui tue le père, et laisse vivre les enfants; » Xénophon écrivit : « Je le vois maintenant, je me suis conduit comme un « homme qui, après avoir tué le père , aurait épargné les en« fants. » Sophocle ayant dit dans son Antigone : « Mon père et ma mère étant morts, comment espérer un « frère ? » Hérodote écrivit : « Mon père et ma mère n'étant plus, il ne me reste aucot « espoir d'avoir un autre frère. » Théopompe ayant dit : « Les vieillards sont réellement deux fois enfants; » Et avant lui Sophocle, dans Pélée : ' Je suis seule maintenant à veiller auprès du vieux Péla, « (ils d'Éaque. Je l'élève de nouveau, si l'on peut ainsi parler; « car la vieillesse est une seconde enfance ; » L'orateur Antiphon reproduisit cette pensée en ces termes : « Les soins qu'il faut prendre d'un vieillard ressemblent à ceoi « que réclame l'enfant. » On lit dans Platon lui-même : « lu « vieillard est deux fois enfant. » Thucydide ayant dit :«Lo « victimes de Marathon bravèrent seules le péril; » Démosthène s'écrie, dans un de ses discours : « J'en jure par les mânes de « ceux qui combattirent à Marathon. » Mais ne laissons point sans les citer les exemples suivants. Cratinus dit le premier, dans la Pijline ' : « Vous connaissez peut-être les mouvements et la cabale ; • L'orateur Andocide en prit occasion de débuter ainsi : • Jo« ges, vous n'ignorez pas pour la plupart les mouvements et « les cabales de mes ennemis. Leur violent désir de me perdre, « vous le connaissez. » Nicias en fait autant dans son discours wntre Lysias, intitulé Le Dépôt : « Juges, vous voyez les mouvements et les cabales de mes adversaires, et leur acharnement pour amener ma ruine. » Écoutons Eschyne maintelant. « Vous avez vu, ô Athéniens, les mouvements et les intrigues de mes adversaires, cette armée de factieux rangée en bataille. » Ailleurs, si Démosthène dit : « J'imagine, ô Athéniens, que vous connaissez toutes les sollicitations empressées et les intrigues qui s'agitent dans cette lutte; » 3hilinus s'emparera de ces paroles pour les reproduire linsi : « Aucun de vous n'ignore sans doute , juges, quel les intrigues s'agitent dans cette lutte, ni quels mouvements ' se donne cette armée de factieux. » Isocrate vient-il àproloncer ces mots : « Comme si elle était la sœur de l'argent » et non pas la sienne ? » Lysias répétera dans ses Orphiques : 1 Bouteille enveloppée d'osier, an dire de Suidas et d'Hésychins ; seioo d'autres , petit tonneau en bois de pin. C'était le titre d'une comédie dt Cratinus. . Il devint manifeste qu'il était le frère de l'or plutôt que des ' hommes. » Homère ayant dit : « O mon ami, si, en nous dérobant aux chances de la guerre, • nous devions toujours vivre affranchis de la vieillesse et de i la mort, tu ne me verrais point ici combattre au premier rang, . ni t'envoyer toi-même au milieu des hasards qui font les • héros. Mais puisque mille morts nous menacent, auxquelles • il est impossible d'échapper, marchons, et illustrons-nous • par la mort de quelque noble ennemi, ou donnons la gloire ' à quelque combattant par notre trépas ; » Théopompe écrit : « Si, en nous dérobant au danger pré • sent, il nous était permis de passer le reste de nos jours dans i une inviolable sécurité, notre attachement à la vie n'aurait rien qui pût surprendre. Mais tant de périls menacent d'ail • leurs notre existence, qu'il paraît plus désirable de succom<• ber dans les combats. » Mais quoi ! le sophiste Chilon, ayant prononcé cette sentence : « Cautionne, mais le malheur est «là ; » Épicharme ne l'a-t-il pas reproduite sous ces termes : • La caution est la fille de la ruine , et mère de l'amende? » ll y a plus ; le médecin Hippocrate ayant écrit : « 1l faut tenir « compte du temps, de la contrée, de l'âge et des maladies ; » Euripide dit dans ses Hexamètres : « Ceux qui veulent opérer de sûres guérisons, ne dotant « entreprendre la cure d'une maladie qu'après avoir étudié le K pays et les mœurs de ses habitants. » Ailleurs, si Homère nous avertit « Qu'il n'est au pouvoir d'aucun homme d'échapper à 11 « mort ; » Archinus en prendra occasion d'écrire que « la mort est me « dette qu'il faut payer, un peu plus tôt, un peu plvutuiDémosthène dira aussi : « La mort est pour tout homme le « terme de la vie ; on n'échappe point à ses coups, même n • se renfermant dans le secret de sa maison. » Hérodote, ayant raconté au sujet du Spartiate Glaucus que la Pythie avait tepondu : « Pour Dieu, dire et faire sont la même chose,' Aristophane a dit : « La pensée et l'acte ne sont qu'une même chose. » Et avant lui on trouvera dans Parménide d'EIée : « Peu» « et être ne sont qu'une même chose, r Platon ayant éerit: « Nous démontrerons, non sans quelque raison peut-être, « que la vue est le commencement de l'amour ,• que l'wpé« rance le développe, que la mémoire le nourrit, et que Ito« bitude l'entretient; » le poète comique Philémon, reproduit cette pensée comme il suit : « Nous commençons par voir; arrive ensuite l'admiratioUi « puis la contemplation , puis enfin l'espérance. De tout «la « nait l'amour. » Démosthèue ayant dit : « Tous les hommes sont condamnes « à mourir, etc, << Phanoclès écrit dans le livre intitulé, Ut Amours, ou la Beauté : » « La trame qu'ourdissent les Parques est inévitable :nul moyen de nous y dérober, tous tant que nous sommes sur la terre. • Si Platon a dit : « Dès que le premier germe d'une plan" « éclot régulièrement, l'embryon renferme en lui-même ses « conditions de développement et de maturité ; » l'histoire répète après lui : « La nature veut que les sucs d'une plante saa« vage, une fois sa première saison écoulée, ne puissent plus « s'adoucir. » Ce passage d'Enopédoele : « J'ai été autrefois un jeune garçon , uue fille , un arbuste, « un oiseau et un poisson des mers, » a fourni ces mots à Euripide dans son Chrysippe : « Rien de ce qui nait, ne meurt ; dans la perpétuelle mo« bilité de la nature, les objets se reproduisent sous des for« mes nouvelles. » Platon veut-il, dans sa République, la communauté des femmes? Euripide d'écrire dans le Protésilas: « Que la couche de l'bymen soit donc commune. » Euripide lui-même ayant écrit : a Le nécessaire suffit à l'homme tempérant ; » Épicure dit formellement : « La richesse la plus grande est de savoir se contenter du « nécessaire. » Aristophane n'a pas plus tôt écrit : « Sois juste ; avec la justice arrivent la stabilité, le repos et « le calme de la vie; » Voilà qu'Epicure nous dit sur ses traces : « Le fruit le plus important de la justice est l'exemption de « toute espèce de trouble. » Ces nombreux exemples, qui attestent le penchant des Grecs à se dérober mutuellement le fond des pensées, suffiront, et audelà, pour porter la lumière dans l'esprit de quiconqueest capable de comprendre. Mais ils ne se contentèrent pas de s'approprier avec le fond de la pensée, l'expression qui la rend, ou de paraphraser leur plagiat, ainsi que nous le démontrerons. Nous allons de plus les convaincre de vols complets. Ils dérobèrent des ouvrages tout entiers qu'ils publièrent sans scrupule sous leur nom. Ainsi firent Eugamon de Cyrène pour un livre enentier des Thesprotes, volé à Musée; Pisandre de Camira, pour l'Héraclée du Lyndien Pisinus, et Panyasis d'Halicarnasse, pour la Conquête de l'Œchalie, que l'on doitàCléophile de Samos. Homère lui-même, ce grand poete, a pris mot pour mot, dans la Mort de Bacchus par Orphée, le fragment de l'Iliade qui débute ainsi : « Semblable à un olivier touffu, que la main du jardinier « cultive avec soin, etc. » Ce qu'Orphée, dans sa Théogonie, applique à Saturne, « Il est étendu sur la poussière, sa tête et son cou robuste « inclinés, comme ceux d'un homme que le sommeil de la mort « a déjà saisi, etc. ; » Homère le transporte dans l ' Odyssée, pour en faire la peinture du cyclope. Hésiode aussi a dérobé textuellement au pocte Musée le fragment sur Mélampous, qui commence par ces mots : « Il est juste que l'homme prête l'oreille au récit de ce qu'ont « fait les dieux, témoignage visible de bien et de mal. » Le poète Aristophane a introduit, dans la Première célébration des Thesmophories, les vers de la comédie des Incendiés par Cratinus. Platon-le-Comique et Aristophane dans le Dédale, se sont pillés mutuellement. Philémon, après avoir opéré quelques changements dans une ingénieuse comédie d'Aristophane, a fait du Cocale de ce dernier sou Enfant supposé. Plus loin les compilateurs Eumélus et Acusilas démembrent les vers d'Hésiode ; et, ainsi réduits en prose, ils les publient comme leur propre ouvrage. Mélésagore est effrontément pillé par les historiens Gorgias deJLéontium et Eudème de Naxos, par Bion de Proconnèse, qui de plus a copié en l'abrégeant l'histoire du vieux Cadmus ; et par Amphiloque, Aristocle, Léandre, Anaximène, Hellauique, Hécatée, Androtion et Philochore. Dieuchidas de Mégare a dérobé à la Deucaliohir, d'Hellanique le commencement du discours par lequel elle débute. Passons sous silence les larcins d'Héraclite d'Ephèse, qui a pris la meilleure partie de son ouvrage dans Orphée. C'est dans Pythagore que Platon a puisé le dogme de l'immortalité de l'âme; Pythagore le tenait des Égyptiens. Un grand nombre de Platoniciens nous ont laissé des écrits dans lesquels il prouvent que les Stoïciens et Aristote ont pris à Platon ses principaux dogmes. 11 y a pins. Ce qui constitue le fond de la doctrine d'Épicure,ce philosophe l'a dérobé ù Démocrite. Contentons-nous de cette rapide nomenclature. La vie ne me suffirait pas, si je voulais entrer spécialement dans tous les larcins qu'un vain amour de soi inspira aux Grecs, et démontrer comment leur ridicule jactance s'ap proprie à titre de richesses nationales les plus beaux dogmes qu'ils ont recus de]nous. CHAPITRE III. Pour établir de nouveau que les Grecs ont tout dérobe' aux Hébreux , l'auteur prouve qu'ils ont transporté dans leur histoire et leur mythologie les miracles racontés, par les saintes Écritures. Les voilà donc convaincus d'avoir dérobé aux Barbares leurs dogmes. Mais ils ne s'en tiendront pas la; les merveilles surprenantes que la puissance divine opéra parmi nous, par l'instrument de quelques justes, pour notre sanctification, vont se dénaturer et alimenter la mythologie de la Grèce. Ici nous leur demanderons d'abord : Les faits que vous racontez sont-il vrais ou faux ? Ils n'oseront jamais en proclamer la fausseté. Comment espérer qu'ils confessent de leur propre bouche une folie qui va jusqu'à inventer des chimères ? Ils soutiendront sans doute que ces écrits portent le cachet de la vérité. A quel titre, dès-lors, repoussent-ils comme indignes de foi les miracles opérés par Moïse et par les autres prophètes ? En effet, le Dieu tout-puissant, dont la bonté veille sur tous les hommes, les conduit au salut, les uns par les préceptes, les autres par les menaces; ceux-ci par les prodiges et les miracles, ceux-là par de consolantes promesses. Une longue sécheresse avait affligé la Grèce. Dans la stérilité et la disette qui en furent la suite, ceux que la faim avait épargnés se rendirent en suppliants à Delphes pour y demander à la prétresse par quel moyen ils pourraient se délivrer du fléau. — Point d'autre remède que de recourir aux prières d'Éaque, telle fut la réponse de la Pythie. Éaque cède aux instances qui lui sont adressées. Le voilà qui gravit une montagne de la Grèce, étend vers le ciel ses mains purifiées, et, invoquant le père commun des hommes, le conjure de venir en aide à la Grèce désolée. Il n'a pas plutôt cessé de prier, que des coups de tonnerre d'un heureux augure se font entendre, et l'air qui l'environne se couvre d'épais nuages. La pluie s'en échappe par torrents prolongés qui remplissent le pays tout entier. De là naît une récolte abondante sur une terre qu'ont labourée les supplications d'Éaque. « Et Samuel cria vers le Seigneur, dit <• l'Écriture ; et le Seigneur fit éclater son tonnerre et tomber la <, pluie an temps de la moisson. » Êtes-vous bien convaincu maintenant qu'il est un, le Dieu qui, par l'intermédiaire des puissances inférieures, « fait pleuvoir sur les justes et sur les « injustes ? » Nos saintes Ecritures sont pleines d'exemples qui représentent Dieu exaucant toutes les prières qui lui sont adressées par la bouche des justes l Les Grecs rapportent encore que les vents étésiens venant autrefois à manquer, Aristée offrit un sacrifice à Jupiter isthnlion dans l'île de Céos. Le désastre était grand. Les productions de la terre étaient déjà consumées par l'excès de la chaleur , dans l'absence des vents qui avaient coutume de rafraîchir les moissons, lorsqu'Aristée obtint facilement le retour des souffles bienfaiteurs. Pendant l'invasion de la Grèce par Xercès, la Pythie de Delphes rendit cet oracle : « Habitants de Delphes, sacrifiez aux vents et tout ira mieux « pour vous. » Les Delphiens, dociles, érigèrent un autel, offrirent un sacrifice aux vents, et les obtinrent pour auxiliaires. En effet, les vents ayant soufflé violemment dans les parages du cap Sépiade, brisèrent le formidable armement de la flotte ennemie. Empédocle d'Agrigente fut surnommé Kolysanémas. ' On raconte qu'un vent impétueux, qui non-seulement apportait des maladies pestilentielles, mais de plus frappait de stérilité le sein des femmes, étant venu à souffler de la montagne d'Agrigente, Empédocle arrêta le fléau. Voilà pourquoi il écrit luimême dans ses vers : « Tu suspendras la colère des vents Infatigables qui se pré« cipitent sur la terre et dessèchent les campagnes. » Et ailleurs : « Tu remplaceras à ton gré les vents par d'autres vents. » Il marchait toujours, accompagné, dit-on, d'une troupe de gens qui consultaient l'avenir ou qui avaient été longtemps en proie à des maladies cruelles. Vous le voyez, ce sont nos saintes Écritures qui ont enseigné aux Grecs que les justes guérissent les maladies et opèrent des signes et des prodiges. Leur fol là-dessus n'a pas d'autre fondement. Veulent-ils se convaincre que des vertus ou des puissances gouvernent les vents et distribuent les ondées? qu'ils écoutent le chant du Psalmiste: « Que vos tabernacles sont aimables, 6 Seigneur des puissan« ces !» C'est du Seigneur des puissances, des dominations et des principautés, que Moïse nous dit, pour nous apprendre à ne point nous séparer de lui : « Ayez soin de circoncire votre < cœur, et ne vous endurcissez pas davantage, parce que votre « Seigneur est aussi le Seigneur des seigneurs et le Dieu des « dieux j le Dieu grand et puissant, etc... » Isaïc dit également : « Levez les yeux et considérez qui a créé toutes cho« ses. » De là l'opinion de quelques-uns qui attribuent les pestes , la grêle, les tempêtes et autres fléaux semblables, non pas seulement au désordre des éléments, mais à la colère des démons ou des mauvais génies. Les mages de Cléones, dit-on, observent attentivement la nature des nuées, et quand ils en aperçoivent qui vont s'ouvrir pour verser la grêle, ils conjurent par des sacrifices et des chants la colère et les menaces des mauvais anges. Les victimes viennent-elles à leur manquer ? Ils font jaillir de leur doigt un sang qu'ils offrent en sacrifice. La prophétesse Diotime, en conseillant aux Athéniens de sacrifier avant l'invasion de la peste, recula de dix ans l'arrivée de la contagion. De même, les sacrifices que prescrivit le Crétois Épiménide retardèrent pendant le même espace de temps la guerre dont les Perses menacaient la Grèce. Que l'on nomme ces âmes des dieux ou des anges , peu importe, disent quelques-uns. En effet, les hommes les plus versés dans cette doc trlne, ont placé dans beaucoup de temples presque tous les cercueils des morts comme autant de statues des dieux, donnant à leurs âmes le nom de génies et enseignant aux hommes à les honorer d'un culte spécial, parce que la Providence , pour les récompenser de la pureté de leur vie, les a investies du pouvoir de parcourir la région qui environne la terre et de veiller aux besoins des hommes. Ils savaient que certaines âmes sont enchaînées par leur nature dans les liens du corps; mais cette question trouvera sa place, quand nous parlerons des anges. Démocrite fut surnommé la Sagesse pour avoir prédit souvent l'avenir par l'observation des phénomènes célestes. Son frère Damasus lui ayant prodigué tons les soins d'une bienveillante hospitalité, fut promptement payé de sa tendresse. Démocrite lui annonça, d'après l'inspection des astres, une pluie violente et prolongée. Ceux qui crurent à ses paroles se hâtèrent de recueillir leurs moissons; et Tété n'était point achevé qu'elles étaient déjà dans leurs granges. Les incrédules, surpris par une pluie soudaine et sans interruption, perdirent toutes leurs récoltes. Pourquoi donc les Grecs refuseraient-ils de croire que Dieu apparut dans sa gloire sur le Siniii pendant qu'une flamme enveloppait la montagne sans consumer aucune des plantes qui la couvraient, et que les éclats de la trompette ébranlaient les airs sans le secours d'ancun instrument ? La descente de Dieu sur la montagne n'est pas autre chose que l'arrivée de la puissance divine, qui parcourt le monde tout entier et annonce la lumière inaccessible. Tel est le sens allégorique de l'Ecriture. Au reste, la flamme mystérieuse fut vue, selon le témoignage d'Aristobule, lorsque le peuple qui ne comptait pas moins d'un million d'hommes, sans y comprendre ce qui n'avait pas atteint l'âge de la puberté, se pressait autour de la montagne ; et le circuit du Sina n'avait pas moins de cinq jours de marche. Tout ce peuple, qui campait autour du lieu où se manifestait la vision, aperçut donc les flammes qui couronnaient la montagne. Dès lors l'apparition divine ne fut point locale : l'immensité de Dieu remplit l'univers. Les historiens rapportent aussi que l'Ile des Bretons renferme une montagne sous laquelle est une caverne profonde qui a son ouverture au sommet. Lorsque le vent s'engouffre dans l'abime et se brise dans les mille sinuosités de ses parois intérieures , on croirait entendre un bruit de cymbales que l'on frappe en cadence. Souvent aussi, dans les forêts, quand l'épaisse rafale mugit à travers les arbres et les feuilles, elle produit des accents qui imitent le concert des oiseaux. Il y a mieux. Ceux qui ont écrit l'histoire de la Perse racontent que, dans les parties les plus élevées du pays des mages, au milieu d'un vaste plateau, se dressent trois montagnes qui se suivent. Le voyageur, arrivé au pied de la première, entend des voix confuses qu'il prend pour les clameurs de plus de cent mille combattants sur un champ de bataille. 11 n'a pas plus tôt atteint la montagne centrale, que l'éclat et l'intensité du bruit redoublent encore. Lorsqu'il approche de la dernière, ce sont alors des chants glorieux et comme des hymnes de victoire. La cause de tout ce bruit, il faut la chercher, selon moi, dans le poli et les cavités des parois. Quand le vent, refoulé d'une caverne où il a pénétré, y rentre une seconde fois, il résonne avec plus de force. Ainsi je m'explique ces phénomènes. Dieu toutefois, auquel rien n'est impossible, peut bien , sans le secours d'aucun agent intermédiaire , produire dans l'oreille la vivante image du son, tout absent qu'il est. Il atteste ainsi sa grandeur, en montrant qu'il lui est facile d'agir contre les lois de la nature, guidé toujours par le désir de convertir aux commandements et à la foi celui qui ne croit pas encore et n'a pas accepté le précepte. Mais il y avait là un nuage ; il y avait une haute montagne. Pourquoi l'air, mis en mouvement par une impulsion puissante, ne pouvait-il produire différents sons? Voilà pourquoi le prophète dit aussi : « Vous avez entendu la voix « de ses paroles, mais vous n'avez aperçu aucune forme. » Vous découvrez maintenant comment la voix du Seigneur, Verbe incorporel, comment la vertu du Verbe, rayonnante parole du Seigneur, la Vérité enfin descendue du ciel dans le sein de l'Église, opérait par l'intermédiaire d'un agent lumineux et immédiat. CHAPITRE IV, Une grande partie des doctrines ersuasion qu'il obtiendra les trésors véritables. Toutes ses prières sont pour que Dieu lui conserve cette foi qui réalisera ses vœux ; il souhaite en outre que le plus grand nombre possible de fidèles soient semblables à lui pour accroitre la gloire de Dieu, qui éclate surtout par la connaissance. Car quiconque ressemble au Sauveur , autant du moins qu'il est permis à la nature humaine d'en approcher, par l'accomplissement irréprochable des divins préceptes, est luimême une sorte de Sauveur. C'est là honorer Dieu par la véritable justice, celle des actions et de la connaissance. Le Seigneur n'attend pas la prière de ce digne serviteur. « Demande, « lui dit-il, et je ferai ; forme un vœu, et je l'accomplirai. » En général, l'immutabilité ne peut prendre pied, ni s'asseoir dans la perpétuelle mobilité. Si ce principe est vrai, la faculté à laquelle appartient l'empire, livrée à de continuels changements, perd son équilibre, et la puissance de se constituer. Je vous le demande, sur ce terrain toujours remué par le ohoc des objets extérieurs, comment parvenir à se constituer et à s'asseoir ; en an mot, comment s'affermir dans la possession de la connaissance ? Au dire des philosophes eux-mêmes, les vertus sont des manières d'être, des dispositions intérieures, des sciences. La science n'est pas innée dans l'homme : elle est fille de l'éducacation, et des relations réciproques. Pour se livrer à nous, elle réclame, dès l'origine, les soins, la culture, et les progrès dn disciple. On ne la possède et on ne s'y affermit d'une manière constante que par une méditation assidue. Il en va de même de la science divine. Quand elle est consommée dans l'intelligence des saints mysteres, la charité l'assied sur un fondement indestructible. En effet, parvenu à cette hauteur, non-seulemeat le Chrétien comprend la cause première, et la cause qui a été engendrée par elle, immuable dans ses convictions, parce qu'elles reposent sur des raisons péremptoires, inébranlables; il a de plus appris de la bouche de la Vérité même sur le bien, sur le mal, sur la création, et, pour le dire en un mot, sur tout ce qu'a révélé le Seigneur, la vérité la plus complète depuis l'origine du monde jusqu'à sa destruction. Que lui importent les probabilités ou les arguments les plus nécessaires de la Grèce ? Il se garde bien de leur accorder plus d'estime qu'à lt vérité. Le langage du Seigneur, obscur pour les autres , est lumineux pour lui. C'est ainsi que lui a été transmise la connaissance universelle ; car les oracles de nos saints livres enseignent l'avenir tel qu'il sera, le présent tel qu'il est, le passé tel qu'il a été. Dans le domaine de la science qui procède par démoustrations , le Gnostique l'emportera par ses lumières sur tous les autres ; la palme lui restera dans toutes les questions du bien et de l'honnête. L'esprit incessamment tourné vers les objets perceptibles uniquement à l'intelligence , c'est d'après ces divius archétypes qu'il réglera sa marche à travers les choses humaines , à peu près comme ces navigateurs qui interrogent l'étoile avant de lancer le navire. Il est toujours prêt à faire le bien ; il s'élève au-dessus des revers qui peuvent troubler l'âme. Fautil endurer quelque tribulation ? Point de témérité dans ses entreprises ; pas un mouvement qui soit en dissonance avec lui-mênw ou avec l'État; prudent et circonspect, indomptable aux voluptés , soit que la veille, soit que le songe essaie de le corrompre. En effet, accoutumé à un régime sévère et frugal, il est tempérant, dispos avec gravité, n'ayant besoin pour vivre que de ce qui est rigoureusement nécessaire, et ne s'occupant jamais du superflu. Ne lui dites même pas que ce nécessaire a son importance; il l'accepte dans sa juste mesure, comme indispensable au soutien de cette vie matérielle, qu'il partage avec le reste des hommes. CHAPITRE X. Il faut s'instruire «gaiement dans les sciences humaines , qui sont les auxiliaires de la foi et preparent l'esprit à la perception des choses divines. La chose vraiment essentielle pour le Gnostique, c'est donc la connaissance. Mais l'estime qu'il a pour elle, l'attache en outre aux sciences qui sont une préparation à la connaissance, et à chacune des quelles il emprunte des armes pour la défense de la vérité. La musique lui enseigne l'harmonie par le rhythme mesuré de ses accords. L'arithmétique, avec ses progressions ascendantes ou descendantes, lui apprend les rapports des nombres, et lui explique que la plupart des choses sont soumises à des proportions numériques. Vient-il à contempler la géométrie dans son essence et ses profondeurs? Il s'accoutume par ces spéculations à concevoir un espace continu, et une essence immuable, différente des corps terrestres. Avec l'astronomie, il monte en esprit audessus de la terre , plane dans les régions célestes, suit les astres dans leurs révolutions, les yeux de l'intelligence toujours attachés sur les merveilles divines, sur l'harmonie qui règne parmi elles.; c'est par la contemplation de ces phénomènes qu'Abraham s'éleva jusqu'à la connaissance du créateur. Le Gnostique ne s'arrêtera point là ; il étudiera la dialectique avec ses divisions de genres et d'espèces ; il apprendra d'elle encore à distinguer les êtres, à les isoler mutuellement ei il remontera par cette voie jusqu'aux substances premières et simples. Il en est un bon nombre qui redoutent la philosophie grecque comme les enfants ont peur des fantêmes. Nous craignons qu'elle ne nous égare, s'écrient-ils. — Si leur foi, car je n'ose pas dire leur connaissance, est assez débile pour que les raisonnements humains puissent la renverser, eh bien ! qu'elle tombe, et que ces pusillanimes Chrétiens confessent par leur chute qu'ils ne possèdent pas la vérité ; car la vérité assurément est inexpugnable : on ne renverse que les opinions fausses. N'est.ce pas après avoir comparé la bonne pourpre avec la mauvaise, que nous déterminons notre choix en faveur de la première? Avonerqoe l'on chancelle dans ses convictions, c'est déclarer que l'on ne possède ni la pierre de touche du changeur, ni te critérium de la vérité. Et comment cet homme inhabile pourra-t-il s'asseoir au comptoir du banquier, s'il est incapable d'éprouver les pièces qu'on lui présente et de discerner la bonne d'avec la fausse monnaie? « Le juste ne sera point ébranlé dans l'éternité, • s'écrie David. Qu'est-ce à dire? Les discours trompeurs,les plaisirs mensongers passeront près de lui sans l'ébranler, d'où l1 suit que rien ne poura l'arracher à l'héritage qui l'attend. « Quelles que soient les menaces qu'on lui adresse , la crainte « n'entrera point dans son cœur. » Que lui font les vaines calomnies et les fausses opinions qui circulent sur son compte? il ne redoutera pas davantage les artifices d'un discours captieux : n'est-il pas capable de surprendre l'erreur dans ses détoun ? n'est-il pas prêt à interroger et à répondre comme il convient? La dialectique, en effet, se dresse comme un rempart qui arrête les sophistes et les empêche de fouler aux pieds la vérité. « ll « faut selon le langage du prophète, que le cœnr de ceux qui « se glorifient dans le saint nom du Seigneur, et qui cherchent « le Seigneur, soit dans l'allégresse. Implorez le Seigneur et sa • force. Cherchez sans cesse et par toutes les voies possibles « sa présence. » Car de ce qu'il a parlé « en diverses occasious « et de plusieurs manières », il résulte qu'il y a plus d'une manière de le connaître. Le véritable Guostique, au lieu de regarder comme des puissances directes, les sciences nombreuses qu'il acquerra, n'y verra que des forces auxiliaires, qui l'aideront à s'élever jusqu'à la vérité, en le mettant à même de discerner ce qui est général d'avec ce qui est particulier. La cause de nos erreurs et de nos fausses opinions, il ne l'ignore pas, vient de ce que nous ne savons pas distinguer quels sont les rapports communs des choses et les points qui les séparent les unes des autres. Laisser flotter le langage à travers les objets sans division , ni catégorie, ce sera confondre sans le savoir, le particu. lier avec le général. Avec cette marche irrégulière, il faudra de toute nécessité que l'on s'égare. Au contraire, distinguez les mots, séparez les choses, vous avez répandu la lumière, même sur l'étude des saintes Écritures. Il est indispensable, en effet, de connaître les termes qui ont plusieurs acceptions, et les termes non moins nombreux qui n'en ont qu'une seule. La justesse et la précision des répliques dépendent de là. Toutefois il faut bien se garder de consumer son temps dans de stériles investigations. Les sciences humaines ne sont pour le véritable Gnostique que des exercices préparatoires qui l'aident , autant qu'il est possible, non-seulement à monter jusqu'à la vérité et à s'affermir sur cette base inébranlable, mais encore à confondre les sophismes qui conspirent contre la vérité. Il ne doit donc rien ignorer de ce qui appartient aux connaissances , dites encycliques, et à la philosophie grecque. Seulement il ne les étudiera point comme essentielles en elles-mêmes ; il n'y verra qu'un accessoire utile, nécessaire même, selon les temps et les circonstances. Armes du mensonge et du mal entre les mains des artisans de l'hérésie, dans les mains du Gnostique elles serviront à la défense du bien et de la vérité. Ainsi, quoique la vérité renfermée dans la philosophie grecque, ne soit que partielle, cependant elle ne laisse pas d'être une vérité. Pareille au soleil qui, en répandant sa lumière sur les couleurs noire ou blanche, les met chacune en évidence, la vérité grecque réfute les arguments trompeurs des sophistes. La Grèce a donc raison de s'écrier elle aussi : « Mère des grandes vertus, vérité, rdne du monde ! » CHAPITRE XI. Le sens mystique des choses divines est renfermé dans les | ils passent devant le rhythme et la mélodie, en se bouc.haut obstinément les oreilles. Une fois qu'ils les auraient ouvertes aux enseignements de la Grèce, ils savent bien qu'ils ne pourraient plus revenir ensuite sur leurs pas. Mais le prêtre qui recueille tout ce qui peut profiter aux Catéchumènes, surtout am Catéchumènes grecs (« la terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur » ) ne doit pas s'interdire l'étude de la science, à b manière de l'animal privé de raison. Loin de là ! Il fortifiera ses auditeurs par tous les secours dont il peut disposer : toutefois il ne s'appesantira sur ces études que le temps nécessaire pour en retirer ce qu'elles ont d'utile, afin que, riche décès documents, il puisse retourner au foyer domestique, c'est-à. dire , à la véritable philosophie, rempart inexpugnable derrière lequel l'âme ne court jamais de danger. Il faut doue apprendre la musique, parce qu'elle orne et adoucit le caractère. C'est ainsi que dans les repas chrétiens nous nous provoquons mutuellement à chanter, comme on passe de main en main la coupe du banquet, éteignant ainsi le désir par l'influence de la musique, et en même temps glorifiant Dieu pour l'abondance des biens qu'il nous a départis, et pour les aliments qu'il nous fournit sans cesse afin d'entretenir les doubles facultés de l'âme et du corps. Mais loin de nous comme vaine et superflue cette musique énervante, qui jette l'âme dans des impressions diverses, tantôt tristes et melancoliques, tantôt impudiques et soulevant les sens, tantôt extravagantes et frénétiques ! L'astronomie a aussi son utilité. D'une part, en nous initiant à la connaissance des phénomènes célestes, en nous enseignant la configuration de la terre, de l'univers, les révolutions du ciel et le mouvement des astres, elle élève notre intelligence jusqu'aux pieds de la vertu créatrice ; de l'autre, elle nous apprend à distinguer sans peine le retour des saisons, les changements de température, le lever et le coucher des constellations. Aussi est-elle d'un grand secours à la navigation et à l'agriculture , de même que l'architecture s'aide de la géométrie pour élever ses monuments ou ses édifices. Cette dernière science aiguise singulièrement les facultés de l'âme, qu'elle rend plus prompte à percevoir et à distinguer la vérité, à réfuter le mensonge et à découvrir les rapports d'homologie et d'analogie. Par elle nous saisissons la ressemblance dans la dissemblance ; par elle nous touvons une longueur sans largeur, une surface sans profondeur, un point indivisible et sans étendue ; par elle enfin, nous nous élevons des choses sensibles aux choses qui ne sont perceptibles qu'à l'intelligence. Les sciences sont donc les auxiliaires de la philosophie, et la philosophie elle-même n'est qu'une aide pour conduire & la vérité. Considérez ce manteau. D'abord ce ne fut qu'une toison; puis la laine fut brisée sous la main du cardcur ; puis on en forma une trame, puis une chaine, puis enfin une étoffe. Avant que l'âme atteigne à la perfection, il lui faut aussi passer par des exercices préparatoires et subir plusieurs épreuves. Car la vérité se compose de deux éléments, la connaissance et les œuvres: or, les œuvres découlent de la contemplation et demandent des efforts, une lutte obstinée et beaucoup d'expérience. De plus, la contemplation a deux objets, le prochain et nommêmes ; d'où il faut conclure la nécessité d'nne érudition appropriée à ce double but. A qui possède suffisamment les sciences préparatoires qui conduisent à la connaissance, il est permis de rester en repos désormais, dirigeant ses œuvres snr la règle que lui révèle la contemplation. Avez-vous dessein d'instruire vos frères par des écrits, ou bien travaillez-vous à lui r ' ;i>: i .tion par un enseignement oral ? les sciences profanes vous sont utiles et la connaissance des saintes Écritures indispensable pour vous servir de démonstration, surtout si Yos discipks sortent des écoles de la Grèce. Le Psalmiste décrit ainsi l'Église : « La reine s'est tenue debout à votre droite, revêtue d'une « robe brodée d'or et bigarrée ; » et ailleurs : n Sa robe est « bordée de franges d'or et bigarrée. » Qu'est-ce à dire, sinon que l'Église est entourée des enfants que lui envoient la Grèce et les autres contrées. « C'est par l'intermédiaire du Seigneur « que l'on connait la vérité. Quel homme, ô mon Dieu, peut pé« nétrervos desseins si vous ne lui avez donné la sagesse, si « du haut des cieux vous ne lui avez envoyé votre Saint-Es« prit, et si, de la sorte, les chemins des hommes n'ont été « redressés, et vos décrets annoncés à la terre, et les peuples « sauvés par votre sagesse ' ? » Par les livres saints, en effet, le Gnostiqne connait le péché, conjecture l'avenir, démêle les subtilités du discours, pénètre le sens des paroles énigmatiques, prévoit les signes, les prodiges, et la marche des événements, comme nous l'avons déjà dit. La sagesse, vous le voyez, est la source d'où jaillissent toutes les sciences. — Mais à quoi bon, s'écrient quelques fidèles, savoir, par exemple, pourquoi et comment le soleil, ainsi que les autres astres, accomplissent leur révolution ? Que nous font et les théorèmes de la géométrie, et les arguments de la dialectique, et « Sageue, VU, 17, 18. les spéculations des autres sciences ? Elles sont impuissantes à nous enseigner nos devoirs. Qu'est-ce que la philosophie grecque , sinon la fille de l'intelligence humaine, incapable d'enseigner la vérité ? — Je réponds à cette objection. D'abord, vous vous trompez sur un point capital, à savoir, la détermination volontaire du libre arbitre. « Car ceux-là seront justifiés, qui auront gardé « saintement les choses saintes, dit la sagesse ; et ceux qui « les auront apprises sauront répondre. » Il est juste, en effet, que le Gnostique soit le seul qui accomplisse saintement le devoir, puisque c'est à l'école du Seigneur qu'il a connu ce qu'il faut faire, quoique cet enseignement lui soit communiqué par une bouche humaine. Écoutez encore les saints oracles : « Nous « sommes dans sa main, » c'est-à-dire, sous l'action de sa puissance et de sa sagesse, « nous et nos paroles, et toute la pru* dence et la science des œuvres. Car Dieu n'aime que celui qui *• habite avec la sagesse. » Vous prouvez en outre que vous n'avez pas lu ce que dit Salomon. Il avait parlé d'un navire : *• L'habileté d'un ouvrier l'a construit, ajoute-t-il, mais votre « providence le gouverne, Seigneur.» Or, je vous le demande, n'est-il pas absurde d'abaisser la philosophie au-dessous de l'art du charpentier ou du constructeur de vaisseaux ? Quand je vois le Seigneur rassasier, avec deux poissons et cinq pains d'orge, la multitude assise sur l'herbe en face de la mer de ïibériade, il me semble qu'il nous désigne indirectement la doctrine préparatoire des Juifs et des Grecs, avant-goût, pour ainsi dire, du divin froment cultivé par la loi. Eu effet, les chaleurs de l'été développent et mûrissent l'orge avant le froment. La philosophie grecque , née et portée sur les eaux de la Gentilité, était figurée par les poissons, qui, distribués à cette multitude encore assise à terre, la nourrirent abondamment, mais dont il ne resta aucun morçeau, comme il en resta des cinq pains. Toutefois, le Seigneur, ayant béni cette multitude, le souffle divin lui communiqua par la puissance du Verbe, la résurrection d'en haut. Êtes-vous curieux, d'autres explications ? L'un des poissons peut représenter les études appelées encycliques le second désignera la philosophie, qui sert d'échelon à la vérité ; les morceaux de pain recueillis seront la parole elle-iuéme du Seigneur '. « Et les poissons muets se précipitèrent en foule, » dit quelque part la muse tragique. « Il faut que je diminue et « que le Verbe du Seigneur, qui est la fin de la loi, croisse senl « désormais, » dit le prophète Jean. Écoutez et comprenez te mystère de la vérité ; mais pardonnez à mes réticences , si je n'ose m'exprimer plus ouvertement, me bornant à proclamer cet oracle : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été « fait sans lui. » Voilà pourquoi le divin apôtre le nomme « It « principale pierre de l'angle. L'édifice posé sur lui, ajoute-t-il, « s'élève et s'accroît jusqu'à devenir un temple consacré au Sei. * gneur. » Laissons de côté pour le moment la parabole de l'Evangile, où il est dit : « Le royaume des cieux est semblable à « un homme qui jette son filet dans la mer, et qui, dans la « multitude des poissons qu'il prend, choisit les meilleurs et « les plus beaux. » De plus , le livre de la sagesse qui est entre nos mains, proclame les quatre vertus cardinales en termes assa clairs pour que les sources des Hébreux aient coulé jusque chez les Grecs. Au reste, le texte parle de lui-même : « Et si quel. « qu'un aime la justice, ses travaux produisent les grandes « vertus ; car la sobriété et la prudence enseignent la justice et « la force , qui sont les choses les plus profitables aux hommes « en cette vie. » Que conclure de tout ce qui précède? Les hommes ne possèdent pas la vertu par un privilège de leur naissance ; ils apportent des dispositions à la vertu et sont propres à l'acquérir. CHAPITRE XII. Les hommes peuvent tous indistinctement arriver à la perfection. Le vrai Gnostique est le seul qui atteigne le but. ce principe tombe l'objection suivante que nous adresse l'hérésie : « Adam fut-il créé parfait ou imparfait ? S'il fut créé « imparfait, comment l'œuvre d'un Dieu parfait est-elle impar« faite, surtout quand il s'agit de l'homme ? Si on dit qu'il fut « créé parfait, comment a-t-il violé les commandements ? » Non, répondons-nous à l'hérésie, Adam n'a pas été créé parfait dans ses facultés ; il a reçu seulement l'aptitude à la vertu ; car autre chose est la possession de la vertu, autre chose la possibilité de l'acquérir. Dieu a voulu que nous fussions personnellement les artisans de notre salut. Notre âme a le privilège de se mouvoir par elle-même. Puis, comme nous avons reçu la raison en partage, et que la philosophie s'appuie sur la raison, nous avons avec la philosophie une sorte de parenté. Cependant ne nousjy trompons pas, l'aptitude est un mouvement vers la vertu, mais non la vertu. Tous les hommes, je le répète, naissent avec des dispositions propres a l'acquérir ; mais ils approchent de la doctrine et de la justice à des degrés bien différents. De là pour les uns la plus haute vertu, pour les autres quelques vertus seulement. Ceux-ci avaient recu la nature la plus heureuse; mais, négligents d'eux-mêmes, l'incurie les égara dans des routes contraires. A plus forte raison, la connaissance, qui l'emporte sur toutes les autres sciences en grandeur et en vérité, sera-t-elle plus difficile à conquérir et demandera-t-elle de longs et rudes labeurs. « Mais ils n'ont pas connu, « ce semble, les secrets de Dieu ; ils n'ont pas su que Dieu a « créé l'homme dans l'innocence, et l'a fait à l'image de sa pro« pré essence. » Au moyen de cette conformité avec celui qui sait tout, le fidèle, investi de la connaissance, de la justice et de la sainteté, s'efforce avec sagesse d'atteindre à l'âge de l'homme parfait. Actions , pensées, discours , tout est pur dans le véritable Gnostique, comme l'atteste cet oracle du Psalmiste : « Vous avez éprouvé mon cœur, dit-il, et vous « m'avez visité pendant la nuit ; vous m'avez fait passer par « le feu de la tribulation, et l'iniquité ne s'est pas troc. « vée en mol. Que ma bouche ne serve pas d'interprète aux « œuvres des hommes ! » Mais que dis-je, les œuvres des hommes ? Le Gnostique connaît le péché lui-même, non point par la voie du repentir, c'est là le propre des Chrétiens vulgaires ; mais il connaît l'essence elle-même du péché i et il condamne non pas tel ou tel péché, mais le péché en général. Quel est le péché commis par tel ou tel invidu ? I! l'ignore; il ne fallait pas le commettre ; voilà ce qu'il sait. Il y a donc deux espèces de repentir , le repentir ordinaire, qui vient à h suite du péché ; l'autre plus relevé qui, connaissant une fois la nature du péché, fait que nous renonçons d'abord au péché , d'où il suit que nous ne péchons plus. Qu'on ne vienne pas nous dire que l'homme, souillé d'Injustices et de péchés, tombe par le fait du démon. Avec un pareil raisonnement, il ne serait pas coupable. Mais le pécheur, choisissant par la transgression ce qu'ont choisi les démons, inconstant comme eux, frivole dans ses désirs comme eux , se transforme en une espèce de démon. Ainsi le méchant, devenu pécheur par sa méchanceté naturelle, s'est rendu lui-même vicieux par la possession de ce qu'il a librement choisi. Intérieurement enclin au mal, le mal passe de son âme dans ses actions , tandis que l'homme de bien agit toujours avec droiture. C'est ce qui fait que nous appelons du nom de biens non seulement les vertus, mais encore les bonnes cenvres. Or, nous distinguons deux sortes de biens ; les uns sont désirables par euxmêmes , tels que la connaissance , par exemple. En effet, aussitôt que nous la possédons, que demandons-nous, sinon de la posséder à tout jamais, de la prendre pour but et ponr cause de nos efforts, et enfin de demeurer établis dans une éternelle contemplation ? Les autres biens sollicitent nos désirs par les conséquences qu'ils amènent avec eux. Ainsi de la foi, par exemple, parce qu'elle nous dérobe an supplice et nous mérite la récompense. La crainte, en effet, est un frein qui arrête beaucoup d'hommes sur la pente du péché, et la promesse détermine l'obéissance qui amène le salut. Le bien le plus parfait, c'est donc la connaissance, puisqu'elle est désirable en ellemême, et conséquemment les œuvres accomplies par elle sont aussi les plus parfaites. Le châtiment infligé au pécheur le redresse et le corrige ; mais pour les hommes dont l'œil voit de pins loin, le châtiment est un exemple qui leur crie : Gardezvous de tomber dans les mêmes fautes. Travaillons donc à l'acquisition de la connaissance, en l'embrassant non pas dans l'espoir des biens qu'elle procure, mais dans le but unique de la posséder. Le premier de ses fruits, c'est une manière d'être gnostique, d'où naissent les voluptés les plus pures, et l'allégresse dans le présent comme dans l'avenir. Or, on définit l'allégresse une joie qu'engendré la méditation de la vertu véritable, et dans les transports de laquelle l'âme s'épanouit et se dilate. Les œuvres qui participent de la connaissance sont les bonnes et les belles actions ; car la véritable opulence consiste dans l'abondance des actions vertueuses, de même que la pauvreté réelle est l'indigence des désirs honnêtes, puisque la possession et l'usage des choses nécessaires , innocents par leur qualité, ne commencent à nuire que par leur quantité, dès lors qu'ils excèdent la mesure. Voilà pourquoi le Gnostique, attentif à circonscrire ses désirs dans la possession et dans l'usage, ne dépasse jamais la limite du besoin. Regardant la vie comme nécessaire pour accroitre ses lumières et monter au faite de la connaissance, il attache un grand prix, non pas à vivre, mais à bien vivre. Ses enfants, son hymen, ses parents, il ne les préfère donc ni à Dieu, ni à la justice de cette vie. Lorsque sa fornme lui a donné des enfants, elle n'est" plus à ses yeux qu'une sœur, issue du même père, et ne se rappelant son mari qu'à l'aspect de ses enfants. Car elle sera véritablement un jour sa sœur, quand elle aura dépouillé ce vêtement de chair qui les distingue l'un de l'autre par le sexe et les empêche de se confondre par la connaissance. Lesâmes, envisagées en elles-mêmes, se ressemblent toutes : elles ne sont ni mâles ni femelles, puisqu'elles n'épousent ni ne sont épousées. Je le demande, une femme qui u'a plus rien de son sexe, virile et parfaite comme l'homme, n'est-elle pas transformée en homme ? Tel fut le rire de Sara lorsque la naissance d'un fils lui fut annoncée. Ce n'était pas, j'imagine, qu'elle fût incrédule aux promesses de l'ange; mais elle rougissait des nouvelles relations conjugales qui devaient la rendre mère d'un fils. Et plus tard ', quand Abraham est appelé en justice * devant le roi d'Égypte à cause de la beauté de Sara, ne la nomme-t-il pas sa sœur, comme née sinon de la même mère au moins du même père ? Ceux qui se repentent de leurs péchés et n'ont pas cru fermement , sont obligés de prier pour obtenir de Dieu ce qu'ils demandent ; mais ceux qui vivent sans transgresser la loi et dans les intuitions de la connaissance, n'ont qu'à former un vœu pour qu'il soit aussitôt accompli. Voyez Anne ! Elle désire un fils; soudain il lui est donné de concevoir Samuel. « De« mande, dit l'Écriture, je ferai : forme un vœu dans ton es« prit, je l'accomplirai. » Nos traditions nous disent, en effet, que « Dieu connaît le fond des cœurs » ; mais il n'a pas besoin, comme les hommes, d'un mouvement de l'âme, pour surprendre ces secrets, ni d'un événement qui les lai manifeste ; il serait ridicule de le penser. Quand Dieu, après avoir créé la lumière, la contemple et dit qu'elle est bonne, il ne ressemble pas non plus à un architecte qui approuve un ouvrage achevé. Avant de faire jaillir la lumière du néant, sachant bien ce qu'elle devait être un jour, il l'approuva telle qu'elle fut plus tard, sa puissance créant ainsi, dans l'éternité de ses conseils, un bien qu'il devait réaliser; c'est ainsi que, cachant la vérité sons la figure que nous appelons hypcrbate, il loue par anticipation la bonté d'un bien à venir. Le véritable Gnostique prie donc, même en pensée, à toute heure du jour, puisque la charité l'unit intimement à Dieu. Ce qu'il demande avant tout, c'est d'obtenir la rémission de ses péchés, puis de ne plus pécher ; en troisième lieu, de faire le bien, et enfin de comprendre la création divine avec les lois qui la gouvernent, afin que, pur de cœur par la connaissance qui vient du fils de Dieu, il soit admis à contempler face à face le mystère de la bienheureuse vision, pour avoir observé ce précepte de l'Écriture : « Le jeûne est « bon avec la prière. » Or, jeûner n'est autre chose que s'abstenir généralement de tout mal, soit en action, soit en parole, soit même eu pensée. La justice est donc un ensemble complet ' dont toutes les parties, semblables à elles-même, se correspondent exactement : paroles, actions, abstinence du mal, bonnes œuvres, connaissance parfaite, rien qui boite en elle ; rien qui blesse l'égalité, ni la droiture. De ce qu'un homme est juste, il est nécessairement fidèle ; mais de ce qu'il est fidèle, il n'est pas à dire qu'il soit juste. Je parle ici de cette justice progressive et consommée par laquelle le nom de Gnostique se confond avec celui de Juste. « C'est ainsi que la foi d'Abraham « lui fut imputée à justice, » parce qu'il s'était élevé à quelque chose de plus grand et de plus parfait que la foi. Car on n'est pas juste pour s'abstenir uniquement du mal. Il faut de plus faire le bien et connaitre pourquoi il est nécessaire de s'interdire telle chose, pourquoi il est nécessaire d'accomplir telle autre. Le juste, selon le langage de l'apôtre, « acquiert l'héritage par « les armes de la justice, par celles de droite, comme par celles « de gauche ; » il se défend avec celles-ci, il frappe avec celleslà ; car les armes défensives et l'abstinence de tout péché sont insuffisantes pour la perfection, si l'on n'y joint les œuvres de la justice et l'énergie du bien. C'est alors que, protégé de toutes parts et monté au faite de la connaissance, le juste ae révèle et que le visage de son âme s'illumine de la même gloire que celui de Moïse, propriété ' qui, nous l'avons dit précédemment , caractérise l'âme du juste. De même que les couleurs de la teinture, en s'imprégnant dans la laine, l'affectent d'une certaine manière pour toujours, et la distinguent des autres laines , ainsi les traces du labeur moral disparaissent promptement de l'âme pour n'y laisser place qu'au bien et à la vertu : d'un autre côté, la volupté qui accompagne une action honteuse passe, et l'ignominie s'imbibe. Telles sont les marques visibles attachées à l'une et à l'autre âmes, sceau de glorification pour celle du juste, de condamnation pour celle du méchant. Il n'en faut point douter. Une vie dont tous les moments étaient consacrés à la justice, et d'augustes familiarités avec le Dieu qui lui parlait face à face, répandaient sur le visage de Moïse une splendeur étincelante qui s'échappait en forme de gloire : de même, par suite de la contemplation, dans la pratique de la prophétie et des bonnes œuvres, je ne sais quelle divine puissance de bonté s'attache à l'âme du juste, et imprime sur sa figure comme un sceau brillant de justice, espèce de rayonnement intellectuel que je comparerais volontiers à la chaleur du soleil, lumière unie à l'âme par la charité indéfectible, qui lui vient de Dieu, et lui apporte quelque chose de Dieu. Ainsi devient semblable au Dieu sauveur le Gnostique véritable, qui s'est élevé, dans la mesure que comporte la faiblesse humaine, jusqu'à la perfection « du Père qui est dans les cieux. » C'est ce Père de miséricorde qui a dit : « Mes petits enfants, encore « un peu de temps, et je suis avec vous. » La bonté que Dieu possède par nature n'est pas la raison pour laquelle il « de« meure éternellement heureux et incorruptible, sans souci • d'aucune affaire, sans susciter aucun embarras à qui que ce « soit % » mais bienfaisant par une propriété de son essence ; Dieu véritable, père tendre, incessamment occupé à faire du bien, tels sont les motifs pour lesquels il demeure éternellement dans le même état de bonté. A quoi servirait une bonté oisive, qui ne se manifesterait point par des actes de bonté ? CHAPITRE XIII. Il y a dans le ciel de hauts degrés de gloire réservé^ aux véritables Gno6ti(jues et correspondant aux dignites d'évéque, .le prêtre et de diacre dans l'Eglise terrestre. L'homme qui, après avoir modéré d'abord ses passions, s'est ensuite exercé à l'impassibilité, puis est monté progressivement jusqu'à la pratique du bien qui constitue la perfection gnostique, devient sur la terre semblable aux anges. Revêtu de lumière et resplendissant comme le soleil par les actes de bonté qu'il produit, il marche par la connaissance qui s'appuie sur la justice et la charité, vers la sainte demeure, à l'exemple des apôtres. Ces derniers n'ont pas été investis de l'apostolat par un privilège inhérent à l'excellence de leur nature ', ni par un droit d'élection antérieure ; car Judas fut choisi comme eux. Mais ils méritèrent l'apostolat anx yeux de celui qui connait d'avance la fin de toutes choses. Aussi voyons-nous Mathias, qui n'avait pas été choisi dans le même temps qu'eux, substitué à Judas, parce qu'il s'était montré digne de cette mission. Il est donc permis, de nos jours encore, à ceux qui se sont exercés dans la pratique des commandements, et qui ont vécu dans la perfection et dans la connaissance, conformément à l'Évangile , d'entrer dans le collège des apôtres '. On est véritablement «< cite aucun embarras à autrni. » Cicéron répete la même formate dans son Traité de la nature des dieux, livre I. Quod bcatum et immortale est, id non habet, nee exhibet cuiquam negotium. 1 Allusion aux hérétiques dont il u réfuté plus h.ml les prétentions. 1 Les premiers Chrétiens appelaient apôtres les évéques qui succédaient an \ apôtres. ( Théodore!. ) prêtre de l'Église, on est diacre dans toute la rigueur de ce mot, c'est-à-dire, ministre de la volonté de Dieu, quand on exécute et que l'on enseigne ce que veut le Seigneur. L'ordination, le sacerdoce, ne font pas la justice. On n'est regardé comme prêtre que parce que l'on est juste. Et bien qu'ici-bas le simple prêtre n'occupe pas le siège d'honneur, « il prendra place sur « un des vingt-quatre trônes, et jugera les peuples, » comme dit Jean dans l'Apocalypse. Car le Testament du salut, qui,"depuis le commencement du monde, est arrivé jusqu'à nous, à travers les générations et les siècles, est Un, quoiqu'il diffère par le mode et l'application. Il suit de là que le don du salut est un et immuable, et qu'il émane d'un seul Dieu par l'intermédiaire d'un seul Seigneur, bien qu'il se soit manifesté de plusieurs manières. Ainsi tombe le mur mitoyen qui séparait te Grec d'avec le Juif pour faire de celui-ci un peuple privilégié '. De la sorte, les deux peuples « se rencontrent dans une même « foi « et se confondent dans un seul peuple d'élus. « Les pre« miers d'entre les élus, dit Jean, sont ceux qui se sont élevés « jusqu'à la perfection de la connaissance, et qui, membres « de l'Église, ont été honorés de la plus grande gloire. Juges « et administrateurs, choisis indifféremment parmi les Juifs et « parmi les Grecs, ils siègent au nombre de vingt-quatre par« ce que le bienfait de la grâce a été doublé '. » La hiérarchie de l'Église terrestre avec son épiscopat, sa prêtrise, son diaconnat, n'est sans doute qu'une image de la gloire angélique, et des rangs divers destinés, suivant les promesses de l'Écriture, à ceux qui, marchant sur les traces des apôtres, auront vécn dans la perfection de la justice, conformément à l'Évangile. L'apôtre les voit enlevés d'abord sur les nuages, puis investis du diaconat, puis franchissant un nouveau degré dans la gloire céleste ( car la gloire diffère de la gloire. ) promus à la prêtrise, et grandissant toujours jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à la plus haute perfection. CHAPITRE XIV. tfne demeure est assignée dans le ciel, selon le me'rite de chacun, à ceux qui aiment la vérité et qui font le bien. Les fidèles qui sont parvenus à ce bienheureux état « repo« seront, suivant le langage de David , sur la montagne sainte « de Dieu, » c'est-à-dire, dans l'Eglise céleste où sont rassemblés les philosophes de Dieu, « les véritables Israélites qui « ont le cœur pur et chez lesquels il n'est point de déguise« ment ; ceux qui, au lieu de s'arrêter dans le repos du septénaire ', devenus semblables à Dieu par l'accomplissement des bonnes œuvres, montèrent jusqu'à l'octonaire, héritage promis à la vertu agissante, tabernacle où ils contemplent sans voile, avec le regard de l'esprit, le divin spectacle dont on ne peut se rassasier. « Et j'ai d'autres brebis, dit le Seigneur, qui « ne sont point de cette bergerie, » ce qui signifie que d'après la mesure de leur foi elles ont été jugées dignes d'un autre bercail et d'une autre demeure. « Mes brebis entendent ma voix ; » c'est-à-dire, comprennent le sens intime de mes préceptes, et dans une interprétation magnifique et pleine de dignité, connaissent le dogme de la rémunération et aperçoivent les rapports mutuels qui enchainent les œuvres les unes aux autres. Lors donc que nous lisons dans l'Évangile : « Votre foi vous a a sauvé, » nous ne supposons pas que le Sauveur ait voulu dire d'une manière absolue que tous ceux qui croiront, n'importe comment, seront sauvés. Nous savons qu'il faut joindre les œuvres à la foi. Car, cette parole, le Sauveur l'adressait aux Juifs seuls qui étaient en possession de la loi, dont la vie était irréprochable et auxquels rien ne manquait, sinon de croire au Seigneur. L'intempérance exclut donc la foi. Il ne suffira pas au fidèle de sortir de la chair : il faudra nécessairement qu'il dépose le fardeau des vices et des passions avant de pouvoir parvenir à la demeure qui lui est assignée. Mais connaitre est plus que croire, de même aussi qu'être jugé digne de recevoir, en outre du salut, les plus grands honneurs que Dieu réserve aux justes, est supérieur au salut lui-même. Lors donc que notre fidèle est arrivé par un long exercice à se dépouiller des infirmités de l'âme, il passe dans un séjour plus heureux que celui où il résidait tout à l'heure, brisé par la douleur, expiant dans la pénitence les fautes qu'il a commises depuis son baptême. Il se punit avec rigueur, soit de n'avoir pas encore atteint, soit de ne pouvoir jamais atteindre le haut degré de gloire anquel il aspire et où d'autres sont déjà parvenus. Ses péchés le couvrent de honte et d'humiliation : il n'éprouve pas de supplice plus cruel ; car la justice de Dieu est pleine de miséricorde, et sa miséricorde pleine de justice. Ce n'est pas tout; après que chacun aura subi la peiue de ses transgressions, et que les supplices auront cessé ', les serviteurs qui n'auront été jugés dignes que d'un tabernacle inférieur, conserveront une douleur inconsolable de ne pouvoir partager la splendeur de leurs frères que Dieu a glorifiés à cause de leur justice. Salomon, désignant le véritable Gnostique sous la dénomination de sage, s'exprime en ces termes au sujet de ceux qui contemplent avec admiration la dignité dont le Chrétien parfait a été revêtu : » Ils verront la fin du sage et ils ne compren" dront pas ce que Dieu a décrété sur lui, et à quoi il l'a dèsci tiué ; » et ils diront de sa gloire : « Le voilà, celui qne nous « avions en mépris et qui était l'objet de nos outrages. Insen• sés que nous étions ! nous avons estimé sa vie une démence « et sa fin un opprobre ! Comment est il compté parmi les fils « de Dieu, et comment son partage est-il entre les saints ? » Ce n'est donc pas seulement le fidèle, mais encore le païen , qui est à juste titre passible du jugement. Sachant, en effet, dans son éternelle prescience que la gentilité ne croirait pas eu lui, Dieu néanmoins, pour l'élever ù la perfection dont elle était susceptible, lui accorda la philosophie, mais seulement comme âne préparation à la foi. Il lui donna pour objets d'adoration le soleil, la lune et les astres, que Dieu a faits pour les nations , dit la loi ', de peur que, vivant sans Dieu et dans une complète impiété, elles ne périssent entièrement. Mais ces peuples ingrats, infidèles au commandement divin, adorèrent des images taillées. Or, si le même repentir ne les purifie pas, ils seront châtiés, ceux-ci, pour n'avoir pas voulu croire en Dieu , lorsqu'ils en avaient le pouvoir ; ceux-là, parce qu'avec la volonté d'être fidèles ils n'ont rien fait pour réaliser leur désir ; quelques autres même aussi, pour ne s'être pas élevés de l'adoration des astres à l'adoration de celui qui créa les astres. Encore un coup, Dieu avait suspendu sur leurs têtes les étoiles comme un chemin qui les conduisait à lui. Mais bien loin de s'en tenir aux corps lumineux qui leur avaient été accordés dans ce^but,j,ils redescendirent des cieux pour s'agenouiller devant le bois et la pierre, « réputés dès lors comme une paille « qu'emporté le vent, dit l'Écriture , comme une goutte d'eau « qui tombe dans le vase ; «c'est-à-dire, estimés inhabiles au salut, et retranchés du corps de l'humanité ! De même qu'opérer son salut simplement est une œuvre moyenne , tandis que le faire dans toute la perfection du devoir est une œuvre entièrement bonne, de même toutes les œuvres du Gnostique sont marquées du sceau de la perfection ; celles du fidèle vulgaire n'ont qu'une bouté moyenne, parce qu'elles ne sont encore ni consommées par la raison ni dirigées par la science. Toutes les actions du Gentil, au contraire, sont des péchés. L'Écriture, en effet, ne nous dit pas simplement : le bien, elle nous recommande eu outre de diriger nos actions vers un but et de leur donner pour principe la raison. Les mains inhabiles sur la lyre ou sur la flûte doivent s'abstenir de ces instruments ; de même ceux qui ne possèdent pas . l a connaissance , et qui ne savent pas comment il faut user des choses de la vie pendant qu'ils sont ici-bas ne doivent pas y toucher Ce n'est pas seulement sur les champs de bataille que les guerriers combattent pour la liberté : quiconque a reçu l'onction du Verbe , rougissant d'une noble honte à la pensée d'être tri. né captif par la volupté, livre de généreux combats sur la couche de sou sommeil, pendant ses repas, à la face des tribunaux. * Je ne vendrai jamais ma vertu pour un injuste gain. • Qu'est-ce que ce gain injuste? Evidemment le plaisir et la douleur, la crainte et l'angoisse, et, pour le dire en un mot, les différentes passions qui travaillent notre âme, douces dans le présent, mais pleines d'amertume le moment d'après, s Que « vous sert, eu effet, de gagner le monde entier, dit le Sti« gneur, si vous perdez votre âme ? » Il est donc manifeste que les hommes, stériles en bonnes œuvres, ne connaissent pas ce qui leur est profitable. S'il en est ainsi, ils ne sont pas même capables de demander i Dieu ce qui est bon, puisqu'ils ignorent quels sont les vrais biens, et ils les recevniient qu'ils Us posséderaient à leur insu, impuissants qu'ils sont à en faire un digne usage, et absolument étrangers par la connaissance à la manière de se servir convenablement des présents de Dieu. Or, le défaut d'instruction est la cause de l'ignorance, et c'est le propre, à mon avis, sinon d'un esprit modeste, au moins d'une bonne conscience, que de s'écrier en présence de la mauvaise fortoue : « Advienne que pourra ! j'ai le bon droit de mon côté : b « justice combattra pour moi, et l'on ne me surprendra jamais « en défaut ', » puisque je fais le bien. Cette bonne conscience maintient l'âme dans un état de sainteté vis-à-vis de Dieu, de justice à l'égard des hommes, en nourrissant sa pureté de pensées honnêtes, de chastes paroles, et de bonnes œuvres. Ainsi revêtue de la force du Seigneur, l'âme, tout entière à la méditation de Dieu, ne reconnait plus d'autre mal que l'ignorance , et les actes qui n'ont pas la saine raison pour mobile, rendant grâces à Dieu toujours et en toutes choses, soit en écoutant les paroles de justice, soit en lisant les divins préceptes, soit en recherchant la vérité, soit en offrant la sainte oblation, soit en vaquant à la prière. Que dirai-je enfin? Elle se répand en louanges, en hymnes, en bénédictions , en chants d'allégresse. Une âme dans ces dispositions n'est jamais séparée un moment de son Dieu. C'est donc avec une profonde sagesse qu'il a été dit : « Et ceux qui se confient « en lui comprendront la vérité, et les fidèles lui obéiront « avec amour. » Vous l'entendez ; ainsi s'exprime la sagesse an sujet des véritables Guosu'ques. Le ciel a donc différentes demeures qui correspondent aux mérites particuliers de chaque fidèle. « Un don choisi sera « la récompense de sa foi, nous dit Salomon, et il obtiendra « une place plus brillante dans la maison du Seigneur. « Plus brillante ! ce comparatif montre qu'il y a dans le temple de Dieu, qui n'est autre que l'Église universelle, des tabernacles inférieurs, et porte en même temps la pensée vers les pavillons les plus relevés où réside la majesté divine. Les nombres 30, Co, et 100, qui se trouvent dans l'Évangile, désignent indirectement ces trois espèces de demeures. L'héritage parfait est le partage de ceux qui, à l'image du Seigneur, sont parvenus à la perfection. Que cette ressemblance consiste dans la forme extérieure de l'homme, ainsi que l'ont imaginé plusieurs, il serait impie de l'envisager de cette manière. Elle n'est pas non plus une assimilation complète avec la puissance qui est l'attribut de la cause première; c'est là l'opinion sacrilège de ceux qui se sont mis à rêver que la vertu de l'homme et celle du Tout-Puissant était la même. « Impie, s'écrie le Seigneur, tu as pensé que je suis semblable « à loi. — Car il suffit au disciple de ressembler à son mai« tre, » dit le maître. Le fidèle que Dieu a honoré dn privilège de son adoption et de son amitié devient donc semblable à Dieu , parce qu'il est le co-héritier des seigneurs et des dieux, pourvu toutefois qu'il soit par venu à la perfecuofi de l'Évangile , selon les enseignements du Seigneur luimême. CHAPITRE XV. Des différents degrés de la connaissance qui conduit à la perfection. Pourquoi l'obscurité et le mysticisme de l'Écriture. Le Gnostique reproduit donc une ressemblance plus immédiate, je veux dire, l'esprit qui animait son maître lorsqu'il instruisait et conseillait les sages ainsi que les prudents. II la reproduit, parce qu'il comprend de la manière que l'a voulu le divin instituteur, et que, sous un aspect plus magnifique encore, par le privilège de son rang, il enseigne sur les toits ' ceux qui veulent être édifiés sur une base élevée; mais il commence par appuyer lui-même ses paroles de l'autorité de ses actions, conformément à l'exemple qu'en a donné notre Seigneur. En effet, il n'a commandé que ce qu'il était possible d'accomplir. Et véritablement ne faut-il pas que celui qui est de naissance royale et porte le titre de chrétien puisse régner et maintenir sa domination ? Nous ne sommes point appelés à exercer l'empire uniquement sur les animaux sauvages du dehors : nous portons an dedans de nous-mêmes, comme autant de bêtes féroces, des passions qu'il faut museler. C'est donc par la science de la bonne et de la mauvaise vie qu'est sauvé le Gnostique, plus intelligent et plus fécond en œuvres « que les Scribes et les Pharisiens. » « Arme-toi, rè« gne et triomphe, écrit David, à cause de la vérité, de la « douceur et de la justice ; et ta droite, c'est-à-dire le Sei« gneur, te conduira merveilleusement. Qui donc est sage, et « pourra comprendre ? intelligent, et pourra connaître ? Les « voies du Seigneur sont droites, » dit le prophète, voulant nous indiquer par là que le Gnostique seul est capable de comprendre et d'expliquer le sens obscur des paroles de l'Esprit. Et » celui qui comprend gardera la science dans ces jours-là, » selon le langage sacré, c'est-à-dire, ne révélera pas les mystères aux indignes. Pourquoi cela ? « Que celui qui a des ' oreilles pour entendre, entende, » dit le Seigneur, parce qu'il n'est pas donné à tous d'entendre ni de comprendre. David écrit : « Il s'est enveloppé des eaux et des nuées. « Aux éclairs de sa face, les nuages se sont ouverts, ils ont « vomi la grêle et les charbons noircis » ce qui signifie que les oracles sacrés sont pleins do mystères. Clairs et lumineux; pour le Gnostique , ils descendent dans son intelligence comme une grêle innocente qu'envoie la miséricorde divine. Ténébreux pour le vulgaire, ce sont des charbons éteints qui ne se rallumeront et ne recommenceront à briller qu'autant qu'une main puissante viendra y réveiller la flamme qui s'en est retirée. « Le Seigneur donc m'a donné la langue de la « science afin que je sache, dans l'occasion, quand il est à « propos de parler, » non pas seulement en portant témoignage devant les tribunaux , mais aussi dans les interrogations et les réponses. « Et la science du Seigneur ouvre ma bou« che. « Le caractère du Gnostique est donc de connaître quand, comment, et devant qui il doit ouvrir la bouche. Lorsque l'apôtre lui-même écrit ces mots : « Selon les princi« pes d'une science mondaine et non selon Jésus.Christ, » il nous apprend que la doctrine des Grecs n'est qu'élémentaire, tandis que celle du Sauveur est parfaite et consommée ; nous l'avons prouvé plus haut. Il y a mieux : voilà que « l'olivier sau« vage participe à la sève qui monte de la racine de l'olivier. » Je me trompe, il naît à peu près dans les mêmes conditions que l'olivier cultivé. La greffe, en effet, s'nlimente de l'arbre sur lequel elle a été introduite, comme l'arbre s'alimente des sucs de la terre. Or, les plantes, quelles qu'elles soient, ne germent que par les ordres de Dieu. Telle est la raison pour laquelle l'olivier, tout sauvage qu'il est, couronue les vainqueurs des jeux olympiques. L'orme aussi, soulevant dans les airs la faiblesse de la vigne, ne lui apprend-il point à être féconde ? Les arbres sauvages, on le remarque, attirent à eux une pins grande quantité de nourriture , parce qu'ils ne peu vent se l'assimiler. Les plantes sauvages absorbent donc moins d'aliment que les plantes cultivées, et l'âpreté de leur nature n'a pas d'autre cause que la privation de la faculté absorbante. L'olivier franc, enté sur l'olivier sauvage, reçoit donc par-là même plus de nourriture ; il s'accoutume à l'absorber en s'assimilant aux sucs de l'arbre cultivé. Eh bien ! l'olivier sauvage est le philosophe de la Gentilité qui renferme en lui-même beaucoup d'aliments mal digérés, et parce qu'il est avide d'investigations, et parce qu'il atteint facilement le but par ses méthodes, et parce qu'il a soif de sucs de la vérité. Mais que la vertu divine vienne habiteren lui parlafoi, alors accru de labonne et savoureuse connaissance, l'olivier sauvage, dans lequel a été implanté le Verbe magnifique et miséricordieux, absorbe aussitôt la nourriture qui lui est offerte et se transforme en olivier de la nature la plus heureuse. C'est qu'en effet la greffe fait d'un arbre inutile un arbre généreux , d'un arbre infécond un arbre fertile. O industrie de l'agriculture ! ô merveille de la connaissance ! Il y a, dit-on, quatre manières différentes d'enter. Par la première méthode, ou introduit la greffe entre le bois et l'écorce : ainsi sont catéchisés les infidèles dont l'esprit n'a point de culture , et qui ne reçoivent le Verbe qu'à la surface. Dans le second système, on fend la tige pour introduire dans l'incision un plant généreux. C'est ce qui arrive à ceux qui se sont adonnés à la philosophie. Après avoir entrouvert leurs dogmes, nous y implantons la connaissance de la vérité, de même que par l'ouverture des anciens livres sacrés, une branche d'olivier nouvelle et généreuse est entée sur le tronc hébreu. La troisième méthode s'applique aux sauvages et aux hérétiques que la force entraîne vers la vérité. Ici, le fer à la main, l'agriculteur dé nude, sans la blesser toutefois, la moelle de deux branches, qu'il réunit l'une à l'autre. La quatrième manière est ce qu'on appelle l'inoculation. Ou enlève sur un tronc généreux un bourgeon qui a été iacisé circulairement, de sorte néanmoins que l'écorce le suive dans la grandeur d'un doigt. Puis on pratique sur la tige étrangère une entaille proportionnée à l'application qu'elle doit recevoir ; on assujettit avec des liens la pièce de rapport, on la revêt d'argile, avec la précaution de laisser l'œil dans toute son intégrité, sans l'altérer le moins du monde. Cette quatrième espèce, la plus utile de toutes pour les arbres fruitiers, s'applique à la doctrine gnostique dont le regard pénètre jusque dans le fond des choses. Assurément la greffe par incision dont parle l'apôtre ' « peut se transformer en oli« vier franc; » qu'est-ce à dire? en Jésus-Christ lui-même, la nature sauvage et infidèle de ceux qui croient au Sauveur, se trouvant ainsi implantée dans le Christ. Mais il vaut mieux que la foi de chacun soit entée sur le propre troue de son âme. Le Saint-Esprit, eu effet, se distribuant à travers toutes les parties de nous-mêmes s'y transplante dans une mesure proportionnée à l'incision, mais iudivisible et sans rien perdre de lui-même. Salomon décrit ainsi la sagesse : « La sagesse est brillante et « ne se flétrit jamais ; elle est connue facilement par ceux qui « l'aiment, et trouvée par ceux qui la cherchent ; elle devance « ceux qui la désirent, pour se montrer à eux la première. Qui « veillera pour elle dès le matin ne se lassera pas. Penser à « elle est une prudence consommée ; veiller pour elle est une « prompte sécurité. Elle va ça et là , cherchant ceux qui sont « dignes d'elle ; » car la connaissance n'appartient pas à tout le inonde. « Dans les chemins, elle se montre à eux avec un vi« sage riant. » Ces chemins sont les règles de la morale et la variété multiple des Testaments. Salomon continue : « Et elle « leur apparait dans toutes les pensées, » envisagée sous des formes diverses, c'est-à-dire au point de vue de toutes les doctrines. L'écrivain sacré, associant à la sagesse la charité qui Li complète, va procéder maintenant par la voie du syllogisme et par un enchaînement lumineux de propositions qui portent avec elles la démonstration et la vérité. « Le commencement « de la sagesse est le vrai désir de l'instruction, •• c'est-à-dire de la connaissance. « La sollicitude pour l'instruction est son « amonr ; l'amour est l'observation de ses lois , la garde de ses « lois, la consommation de l'incorruptibilité : or l'incorropti« bilité approche l'homme de Dieu. Ainsi donc, le désir de la « sagesse nous élève jusqu'à la royauté. » Salomon nous apprend , si je ne me trompe, que l'instruction véritable est une aspiration ardente vers la connaissance. Or, l'instruction se développe par l'amour de la connaissance ; l'amour n'est que l'observation des préceptes qui mènent à la connaissance ; l'observation des préceptes est la fidélité aux commandements de laquelle naît l'incorruptibilité. Or, a l'incorruptibilité nous ap« proche de Dieu. » S'il est vrai que l'amour de la connaissance engendre l'incorruptibilité, et rapproche du Dieu , roi de tort ce qui existe, quiconque est de naissance royale, quelle obligation pour nous de chercher la connaissance, et de la chercher jusqu'à ce que nous l'ayons découverte ! L'investigation est une impulsion de notre âme vers le but qu'elle veut saisir, et qni atteint la vérité par quelques signes démonstratifs. La découverte est le terme et le repos de l'investigation qui est parvenue à la compréhension : cette dernière se confond avec la connaissance. Dans la rigueur du mot, la découverte n'est que la gnose, puisqu'elle est la compréhension de l'objet que poursuivait l'investigation. Les philosophes entendent par signe ' la proposition dominante qui précède, accompagne, ou suit. L'investigation, qui a Dieu pour objet, aboutit donc à la doctrine qui nous vient par l'Intermédiaire du Fils de Dieu. Où est le signe démonstratif que le Fils de Dieu lui-même est notre Sauveur ? Demandez-le aux prophéties qui ont promulgué son avènement bien des siècles avant qu'il s'accomplit ; demandez-le aux témoignages qui attestent sa présence sensible parmi nous ; demandez-le enfin à sa puissance, qui est proclamée solennellement depuis son ascension et que l'on peut toucher du doigt, tant elle est visible ! Que la vérité soit parmi nous, eu faut-il d'autre preuve que celle-ci : le Fils de Dieu lui-même nous a parlé ? En effet, si au fond de toute question vous retrouvez universellement ces deux circonstances, la personne et la chose, il est avéré par là même que la vérité, et ce qui mérite réellement ce nom, n'habite qu'au milieu de nous. La personne ! c'est le Fils de Dieu lui-même; qu'est-ce à dire? l'éternelle vérité qui se révèle à nous. La chose ! c'est la vertu de la foi qui triomphe des résistances , et vaincrait le monde, eût-elle le monde tout entier à combattre. Mais puisque, d'une part, les actions, le langage et la raison se sont accordés dans tous les temps à flétrir l'impiété du misérable qui nie la Providence, et à le châtier au lieu de le réfuter ; puisque, d'autre part, il nous a été montré, là, ce qu'il faut faire et comment il faut vivre pour arriver à la connaissance du Tout Puissant ; ici, par quelle manière d'honorer Dieu nous devenons à nous-mêmes les artisans de notre salut, instruits d'ailleurs de ce qui est agréable à notre maitre, non pas à l'école des sophistes, mais par la bouche de Dieu lai-même, nous Chrétiens ,nous travaillons à marcher dans les voies de la justice et de la sainteté. Ce qui lui est agréable, c'est que nous soyons sauvés : or, le salut est le fruit des bonnes œuvres et de la connaissance qui nous sont enseignées toutes deux par notre Seigneur. S'il est vrai de dire avec Platon que, hormis Dieu , ou les descendants des dieux, personne ne peut révéler la vérité , nous sommes en droit de nous écrier avec un noble orgueil : « Nous possédons la vérité par le Fils de Dieu. Les oracles, « promulgués avant les événements et confirmés depuis par les « événements, sont nos pièces de conviction. » Toutefois) il faut nous garder de rejeter avec dédain les met huiles qui nous facilitent la découverte de la vérité. Assurément lorsque la philosophie proclame qu'il existe une Providence, et assigne des rémunérations pour la vertu aussi bien que des châtiments pour le vice dans un autre monde, elle touche sommairement à la théologie. Mais interrogez-la sur la révélation ; descendez aux détails ; elle ne sait plus répondre. Ignorante du culte qu'il faut rendre à Dieu, elle ne parle pas comme nous du Fils de Dieu , ni de la divine économie de la Providence. Voilà pourquoi les hérésies qui s'élèvent dans le sein de la philosophie barbare, ont beau répéter avec nous qu'il n'y a qu'un Dieu, elles ont beau célébrer le Christ : discours purement humains et auxquels manque la vérité ! Le Dieu qu'elles reconnaissent est un Dieu de leur invention. Le Christ qu'elles professent n'est pas le Christ que nous enseignent les prophètes. Aussi longtemps que leurs dogmes pervers demeurent eu contradiction avec les enseignements de la vérité, ils sont contre nous. Il est bien vrai que Paul, à cause de ceui d'entre les Juifs qui croyaient, donna la circoncision à Timothée. Il craignait que l'abolition d'une pratique, interprétée d'une manière charnelle sous l'empire de la loi, n'écartât de la foi chrétienne It.s néophytes qui venaient du judaïsme. Mais il savait bien que la circoucision était impuissante à justifier. Sa maxime, c'était « de se faire tout à tous » en conservant par condescendance et momentanément les prescriptions en vigueur, « afin de sauver tous les hommes. » Ailleurs, ne voyons-nous pas Daniel porter, sous le roi des Perses, le coltter d'orï La tribulation du peuple ne lui sembla point une considération de médiocre importance. On n'est doue pas coupable de mensonge pour user de condescendance dans un intérêt de salut, ni pour se tromper sur quelque point qui n'est pas capital. Les fourbes et les imposteurs sont ceux qui, attaquant les principaux articles de la foi, rejettent le Seigneur, autant qu'il est en eux, ou au moins renient la véritable doctrine, puisqu'ils expliquent et transmetmettent les Écritures contrairement à la dignité de Dieu et du Seigneur. En effet, l'interprétation et l'observation exacte des Écritures, conforme à la sainte doctrine, et telle que la pieuse tradition des apôtres nous la transmet, est le dépôt que nous rendons à Dieu. « Ce qui vous est dit à l'oreille, » c'està-dire, dans un sens particulier et mystique, car on se sert de cette allégorie pour exprimer l'énonciation d'un mystère, « pu« bliez-le sur les toits, » disent les livres saints. Oui, sans doute ; en recueillant les saints oracles avec une âme généreuse , en les transmettant dans toute leur magnitlcence, en les expliquant d'après la règle de la vérité. En effet, ni les prophètes, ni notre Seigneur lui-même, n'ont divulgué les divins mystères assez clairement pour que le premier venu pût les comprendre. La parabole était la forme sous laquelle ils se cachaient. « Jésus, suivant le langage des apôtres, disait toutes « choses en paraboles, et il ne parlait qu'en paraboles. » Si « tout a été fait par lui, et que rien de ce qui a été fait n'ait « été fait sans lui, » il est donc vrai que la prophétie et la loi remontent jusqu'à lui et que c'est lui qui les a énoncées en paraboles. Au reste, « toutes mes paroles sont droites pour les intelli« gents, » dit l'Esprit saint, c'est-à-dire, pour ceux qui, recevant , d'après la règle de l'Église, l'interprétation des textes sacrés, la conservent telle qu'elle a été manifestée par le Christ lui-même. Or, la règle de l'Église n'est rien moins que l'harmonieux accord de la loi et des prophètes, en conformité avec le Testament que Jésus-Christ nous a légué par sa présence au milieu de nous. La prudence marche à la suite de la connaissance, et la tempérance à la suite de la prudence. On peut dire que la prudence est une connaissance divine qui échoit en partage à ceux qui deviennent dieux ; que la tempérance, au contraire, humaine dans sa nature, est le lot de ceux qui s'adonnent à la philosophie et ne sont pas encore arrivés à la sagesse. Si la vertu est divine, divine aussi doit en être la connaissance; mais la tempérance est une sorte de prudence incomplète, qui aspire à la prudence, dont les œuvres sont pleines de labeurs, plus militante que contemplative. Il en est de même assurément de la justice : humaine dans ses applicaiions, et vulgaire par là même, elle est au-dessous de la sainteté , qui est la justice de Dieu. Voyez l'homme parfait. Il n'attend pas que les règlements civils, ou les prohibitions de la loi le contraignent à la justice : il s'y porte d'un mouvement spontané, et par amour pour Dieu. Les Écritures voilent donc le sens de leurs oracles pour bien des motifs. Elles veulent d'abord que nous examinions scrupuleusement, et que nous tenions constamment notre esprit éveillé pour l'intelligence de la sainte doctrine. Ensuite il n'était pas expédient à tous les hommes de comprendre. Les paroles de l'Esprit saint, destinées au salut , pouvaient se retourner contre les profanateurs qui les accueilleraient avec de coupables dispositions. Voilà pourquoi les saints mystères des prophéties, réservés pour les Élus et pour ceux que leur foi a prédestinés à la connaissance, sont enveloppés de paraboles ; car le style des Écritures est tout parabolique. De là vint que le Seigneur, quoiqu'il ne fût pas de ce monde, conversa au milieu des hommes comme s'il eût été de ce monde. Il fut le modèle vivant de toutes les vertus. L'homme nourri dans ce monde, il l'éleva vers les objets invisibles, essentiels, transportant ainsi le monde dans un autre inonde. Noivelle raison pour les Écritures de recourir à la parabole. Cette forme de langage, qui n'indique pas l'objet lui-même, mais le montre à travers un léger déguisement, conduit l'intelligence au sens propre et véritable ; ou, si l'on veut, la parabole est une manière de parler qui nomme sous d'autres mots le mot propre, dans l'intérêt de notre instruction. Ne voyons-nous pas, en effet, la divine économie de l'Incarnation prédite par les prophètes, demeurer à l'état de simple allégorie pour ceux qui ne connaissent pas la vérité ? Que le Fils du Dieu, qui a créé toutes choses, ait revêtu notre chair; qu'il ait été conçu dans le sein d'une vierge en tant qu'il a pris un corps sensible; que, par suite de sa naissance charnelle, il ait souffert, et qu'il ait ressuscité, mystère que nomme celui-ci, que comprennent ceux-là; « scandale pour les Juifs, « folie pour les Gentils, » selon le langage de l'apôtre ! Mais soulevez le voile des Ecritures ! Qu'elles montrent la vérité à ceux qui ont des oreilles I Dans cette chair qu'a revêtue notre Seigneur et qui a enduré la passion, vous reconnaîtrez aisément la Sagesse et la Vertu de Dieu. Enfin, la forme allégorique remontant à une haute antiquité, comme nous l'avons démontré, il ne faut pas s'étonner qu'on la retrouve fréquemment chez les prophètes. L'Esprit saint se proposait par là de convaincre les philosophes de la Grèce et les sages des autres nations barbares, qu'ils avaient ignoré le futur avènement de notre Seigneur et la doctrine mystérieuse qu'il devait apporter ici-bas. C' est donc à bon droit que la prophétie où était proclamé notre Seigneur, de peur de passer aux yeux de quelques-uns pour blasphématoire, parce qu'elle contredisait les opinions communes, enveloppa la signification réelle sous des expressions qui pouvaient éveiller dans les âmes des conceptions d'une nature différente. De plus, tous les prophètes qui ont prédit l'avènement du Seigneur, et avec cet avènement les mystères qui en étaient la conséquence, endurèrent la persécution et furent mis à mort comme le Seigneur qui leur manifesta les Ecritures. Ses disciples eux-mêmes, qui répandirent par le monde sa parole aussitôt qu'il eut quitté la vie, usèrent, à son exemple, de la parabole. Ecoutons Pierre parlant des apôtres dans sa prédication : « Après avoir parcouru » les livres que nous ont laissés les prophètes, où Jésus-Christ « est nommé tantôt en paraboles, tantôt en énigmes, tantôt sous « des termes formels et incontestables, nous y avons trouvé son « avènement, sa croix, sa mort, tous les supplices dont les Juifs « l'ont accablé, la résurrection et son ascension au ciel, avant « la fondation de la nouvelle Jérusalem, ainsi qu'il est écrit '. » Voilà par quelles tribulations il devait nécessairement passer ; voilà ce qui doit arriver après lui. « Cet examen fait, nous avons « cru en Dieu d'après ce que portent les Écritures à son sujet. » Puis. il ajoute un peu plus bas que les livres saints sont l'œuvre de la divine providence : Nous savions, dit il, que Dieu les « avait réellement ordonnés, et nous n'avançons pas un mot « qui ne s'appuie sur l'Ecriture. » La langue hébraïque, elle aussi, possède quelques propriétés particulières, semblable sur ce point à tous les idiomes en général, et riche en locutions caractéristiques qui sont comme le cachet de la nation. On définit ' une langue une manière de s'exprimer qui se moule sur le caractère du peuple. La prophétie n'a rien qui ressemble aux combinaisons de ces dialectes. Chez les Grecs, les expressions figurées se voilent à dessein, pour mieux imiter celles de nos prophéties. C'est, en vers comme en prose, une déviation volontaire du sens naturel ; car le trope n'est qu'une manière de détourner le mot de son acception propre pour l'appliquer à un sens figuré , dans l'intérêt de la composition, et pour donner aux différentes parties du discours plus de grâce et de mouvement. Mais jamais la prophétie ne recourt aux figures dans le bot d'orner le langage. Comme elle sait que tous ne peuvent porter la vérité, elle se cache sous mille formes diverses et ne fait briller la lumière que pour les fidèles, initiés à la connaissance et conduits à la vérité par l'amour. La philosophie barbare a différentes espèces de prophéties, le proverbe, la parabole, l'énigme. Elle distingue la sagesse comme quelque chose qui diffère de la discipline, puis les paroles de la prudence, les subtilités du langage, la véritable justice, puis encore la science de diriger le jugement, la ruse que la discipline apprend aux simples, le sens et l'intelligence, qui est communiquée au néophyte par les catéchèses. « Le sage, en « écoutant ces prophètes, est-il dit, deviendra plus sage, et « l'homme prudent apprendra l'art de gouverner. Il pénétrera « les paraboles et leurs secrets, les discours des sages, et leurs « mystères. » S'il est vrai qu'Hellène, fils de Jupiter, selon les uns, de Deucalion, selon les autres, donna son nom aux langues helléniques, c'est-à-dire grecques, la chronologie que nous avons exposée plus haut, peut servir aisément à démontrer de combien de générations la langue hébraïque est antérieure aui dialectes de la Grèce. A mesure que nous avancerons dans cet ouvrage, après avoir examiné sous chacune de leurs faces les figures dont parlait le prophète ', nous exposerons avec soin, et selon la règle de la vérité, le régime qui constitue la vie gnostique. Lorsque la Vertu divine apparut à Hermas dans une vision, et sous la figure de l'Église, elle lui remit entre les mains, avec ordre de le transcrire, un livre qu'elle voulait faire connaitre aux élus. « Je l'ai transcrit, dit le Pasteur, lettre par lettre % ne pouvant « découvrir comment s'assemblaient les syllabes. » Cette vision signifiait que l'Écriture, prise dans la simple acception des mots, est claire pour tous, et que la foi joue ici le rôle de l'alphabet. Voilà pourquoi on dit allégoriquement lire d'après la lettre.Au contraire, l'interprétation gnostique, plus intelligente , grâce aux progrès de la foi, est assimilée à la lecture par syllabes. Ailleurs n'est-il pas ordonné au prophète Isaîe3 de prendre le livre nouveau pour y écrire des mots mystérieux ? Le Saint-Esprit désignait, au moyen de ce symbole, la sainte connaissance, qui devait venir par l'explication des Écritures, et dont les livres n'avaient pas encore reçu le dépôt , parce qu'elle était encore ignorée. Le mystère avait été révélé dès l'origine à ceux qui ont l'intelligence. Il y a plus. Depuis que le Seigneur a instruit lui-même ses apôtres, la tradition de l'Écriture nous est transmise maintenant non écrite, gravée qu'elle est par la puissance de Dieu dans des cœurs nouveaux , d'après le Testament nouveau. Voilà pourquoi les plus éclairés d'entre les Grecs consacrent à Hermès, qu'ils disent être la parole, une grenade, en reconnaissance de l'usage de la voix et de son interprétation ; car le discours renferme bien des sens cachés. Il y avait donc une profonde sagesse dans cette vision de Jésus, fils de Navé, quand il aperçut un double Moïse enlevé aux cieux, l'un placé parmi les anges, l'autre debout sur le sommet des montagnes, et bien digne d'avoir encore les anges pour compagnons sur ces hauteurs. Or, Jésus vit ce spectacle d'en bas, transporté en esprit avec Caleb. Toutefois les deux spectateurs ne voient pas de la même manière. Celui-ci descendit promptement, comme impatient de déposer le fardeau qui l'accablait; celui-là, descendu de ces sublimités, raconta dans la suite la gloire dont il avait été le témoin, plus clairvoyant que son compagnon, parce qu'il était plus pur. L'histoire signifie , si je ne me trompe, que la connaissance n'est pas le domaine de tous. Les uns occupés du corps matériel des Écritures , c'est-à-dire, des mots et des noms, n'entrevoient que fe corps de Moïse ; les autres pénètrent le fond de la pensée, et cherchent sous les mots leur signification mystique, poorsmvant avec une avide curiosité le Moïse qui siège à côté des anges. Assurément parmi ceux qui invoquaient le Seigneur luimême, un grand nombre disaient : « Fils de David, ayez pitié de « moi ! » mais combien peu connaissaient le Fils de Dieu, comme Pierre, que son maître proclama heureux , « puisque « ce n'était ni la chair ni le sang qui lui avait révélé le mys« tère, mais le Père qui est dans les deux ! » Il nous apprenait par ces mots, que le véritable Gnostique connaît le Fîb du Tout-Puissant, non point par les yeux de cette chair qui a été formée dans le sein maternel, mais par la vertu du Père lui-même. La possession de la vérité n'est pas une œuvre laborieuse uniquement pour les inexpérimentés et les inhabiles. L'histoire de Moïse fournit la preuve que ceux-là même dont elle est la science particulière, ne jouissent pas de la contemplation dans toute son étendue. Jadis les Hébreux ont vu la gloire de Moïse ; les saints d'Israël ont vu les visions angéliques : il faut attendre que nous puissions, comme eux, contempler face à face les splendeurs de la vérité. CHAPITRE XVI. Le Décalogue pris pour exemple d'interprétation mystique. Le décalogue va devenir en passant un exemple de cette interprétation mystique ; que le nombre Dix soit sacré, j'estime superflu de le dire, pour le moment. S'il est vrai que les tables écrites soient l'ouvrage de Dieu, nul doute qu'elles ne désignent la création de l'univers. Par le doigt de Dieu, on entend la puissance qui forma le ciel et la terre ; les tables de la loi seront le symbole de l'un et de l'autre. En effet, les caractères tracés par Dieu sur la table qui les recoit représentent la création du monde. Or le Décalogue, par une sorte d'image du ciel, renferme le soleil et la lune, les astres et les nuages, In lumière, le vent, l'eau, l'air, les ténèbres, le feu. Voilà le Décalogue naturel du ciel. L'image de la terre renferme les hommes, les bestiaux , les reptiles et les animaux ; parmi ceux qui fendent les eaux, les poissons et les cétacées ; parmi les oiseaux , ceux qui sont carnivores et ceux qui ne le sont pas ; parmi les plantes , celles qui sont fécondes et celles qui sont stériles. Voilà le décalogue naturel de la terre. Quant à l'arche, qui contenait les tables de la loi, ce sera la sagesse et la connaissance des choses divines et humaines. Peut-être aussi que les deux tables sont la promulgation des deux Testaments. Elles ont été mystiquement renouvelées, quand l'ignorance et le péché déborderent à la fois. Les preceptes, à ce qu'il semble, sont écrits deux fois pour les deux esprits, l'un qui commande, l'autre qui obéit, « puisque la chair s'élève contre l'esprit ,fet « l'esprit contre la chair. » Le nombre dix se retrouve aussi dans l'homme : il a cinq sens, il parle, il se reproduit ; au huitième rang se place le souffle vital qui anima son corps dès sa formation ; l'âme à laquelle appartient l'empire arrive la neuvième ; enfln la vertu de l'Esprit saint qui vient se reposer dans l'homme par la foi et lui imprime sa forme et son caractère, complète le nombre dix. Ajoutez que la loi semble imposer ses prescriptions aux dix éléments qui composent l'homme, à la vue, à l'ouïe, à l'odorat, au tact, au goût, et aux organes qui vont par deux et sont les ministres des précédents, à savoir les pieds et les main?. Voilà pour la formation de l'homme. L'âme y est introduite, et, avant l'âme, le principe dirigeant par lequel nous raisonnons, et qui ne doit pas son origine à l'émission de la semence , de sorte que, sans même le compter, on obtient lesdii facultés par lesquelles s'exécute l'universalité de nos actes. En suivant l'ordre de ces phénomènes, l'homme, en effet, aussitôt qu'il est né , débute dans la vie par tout ce qui est soumis am passions. Or, nous tenons la faculté de raisonner, qui domine toutes les autres, pour la cause constituante de l'animal : il y a mieux, nous disons que la partie irraisonnable est animée, et en est une portion. Le principe vital, dans lequel est renfermée la vertu d'accroissement, et, pour le dire en général, de tout mouvement, est échu à l'esprit charnel qui est doué d'une mobilité prodigieuse, qui se porte en tous lieux par les sens et le reste du corps, et s'affecte le premier par le corps. Mais la faculté dominante possède la liberté au fond de laquelle sont l'examen, la règle, la connaissance. 0 merveille ! tout est ordonné par rapport à une seule faculté dominante pour laquelle l'homme vit, et vit d'une certaine façon. C'est donc par l'esprit corporel que l'homme sent, désire, se réjouit, s'irrite, se nourrit, se développe ; par lui qu'il agit conformément à ce que la réflexion a conçu et déterminé. Quand les passions sont vaincues, la faculté dominante triomphe. Ainsi ce précepte : a Tu ne désireras « point, » ne signifie pas autre chose, sinon : Au lieu d'obéir en esclave à l'esprit charnel, tu lui commanderas en maitre, parce que, d'une part, « la chair s'élève contre l'esprit, » rebelle toujours prête à se jeter dans la honte et les excès contraires à sa nature ; et que, de l'autre, l'empire a été donné « à l'esprit « pour gouverner la chair, » afin que l'homme agisse dans tout le cours de sa vie conformément à sa nature. Les livres saints n'ont-ils pas raison quand ils nous disent que « l'homme a été fait à l'image de Dieu? » Il ne s'agit pas, dans cette occurence, de son organisation extérieure. Cette parole signifie qu'à l'exemple de Dieu, qui procède en toutes choses avec la raison de son Verbe, le véritable Gnostique accomplit des œuvres qui tirent leur bonté de la raison par laquelle il est toujours conduit. Les deux tables de la loi, on l'a insinue avec vérité, sont donc le symbole des préceptes qui, donnés aux deux esprits, à celui qui est créé, comme à celui qui gouverne, devancèrent la loi. Ils désignent, en outre, les impulsions de nos sens qui se divisent en deux espèces, selon qu'elles gravent leur empreinte dans notre esprit, ou qu'elles procèdent de l'opération du corps ; double voie pour saisir les objets. Les sens s'appliquent au monde de la matière, l'intelligence au monde de la pensée. Quant aux actions, elles sont aussi de deux sortes ; ici elles naissent de la réflexion, là d'un mouvement physique. Le premier précepte du Décalogue nous met sous les yeux un Dieu unique, tout-puissant, qui tira de l'Égypte le peuple élu, pour le conduire à travers les solitudes dans l'héritage de ses pères. Par le second ', le Créateur veut que les Hébreux, à l'aspect de ces divines merveilles, comprennent, autant qu'il est en eux, la grandeur de sa puissance ; il veut encore que, mettant leur espérance dans le vrai Dieu, ils n'adressent point un hommage idolâtrique à la créature. La majesté de l'Eternel, vraiment digne de tes respects, et qui n'est autre chose que son nom — la multitude ne pouvait alors en connaitre davantage — tu ne la prendras point en vain, pour appliquer cette dénomination auguste aux objets créés et périssables, que la main des hommes a forgés, et sous lesquels ne se trouve pas Celui Qui Est : car, dans l'identité incréée, celui qui est existe seul ; tel est le sens du troisième commandement. Le quatrieme nous annonce que le monde est l'œuvre de Dieu, que Dieu nous a donné le septième jour pour nous reposer, à cause de l'affliction qui travaille notre vie, et des maux auxquels nous sommes sujets. Dieu, en effet, dans son éternelle vigueur et sa sainte impassibilité, n'a pas besoin de repos. Il n'en est pas de même de nous, qui portons le fardeau de la chair. Le septième jour est donc appelé jour de repos, qu'est-ce à dire? abstinence de tout mal, qui prépare en nous ce premier jour, où naquirent toutes choses, qui est véritablement notre repos et auquel remonte la première apparition de cette lumière, dans laquelle vous voyons et possédons l'infini. C'est à dater de ce jour qœ les premiers rayons de la sagesse et de la connaissance nous illuminent , je veux dire l'Esprit du Seigneur, lumière de la vérité, flambeau réel et indéfectible, qui, se distribuant sans se diviser, dans ceux qui ont été sanctifiés par la foi, est le soleil des intelligences éclairant tout ce qui existe. Suivre ses clartés pendant toute la durée de notre vie, c'est nous établir dans une sainte impassibilité. Voilà ce que j'appelle nous reposer. Aussi Salomon nous montre-t-il le Tout-Puissant engendrant, bien des siècles avant le ciel, la terre, et tout ce qui est, la sagesse dont la possession, sinon par essence, au moins par les efforts qui nous élèvent à elle, révèle par voie de compréhension à ceux qui sont ici-bas les lois divines' et humaines. CHAPITRE XVI. Le Décalogue pris pour exemple d'interprétation mystique. Le décalogue va devenir en passant un exemple de cette interprétation mystique ; que le nombre Dix soit sacré, j'estime superflu de le dire, pour le moment. S'il est vrai que les tables écrites soient l'ouvrage de Dieu, nul doute qu'elles ne désignent la création de l'univers. Par le doigt de Dieu, on entend la puissance qui forma le ciel et la terre ; les tables de la loi seront le symbole de l'un et de l'autre. En effet, les caractères tracés par Dieu sur la table qui les recoit représentent la création du monde. Or le Décalogue, par une sorte d'image du ciel, renferme le soleil et la lune, les astres et les nuages, In lumière, le vent, l'eau, l'air, les ténèbres, le feu. Voilà le Décalogue naturel du ciel. L'image de la terre renferme les hommes, les bestiaux , les reptiles et les animaux ; parmi ceux qui fendent les eaux, les poissons et les cétacées ; parmi les oiseaux , ceux qui sont carnivores et ceux qui ne le sont pas ; parmi les plantes , celles qui sont fécondes et celles qui sont stériles. Voilà le décalogue naturel de la terre. Quant à l'arche, qui contenait les tables de la loi, ce sera la sagesse et la connaissance des choses divines et humaines. Peut-être aussi que les deux tables sont la promulgation des deux Testaments. Elles ont été mystiquement renouvelées, quand l'ignorance et le péché déborderent à la fois. Les preceptes, à ce qu'il semble, sont écrits deux fois pour les deux esprits, l'un qui commande, l'autre qui obéit, « puisque la chair s'élève contre l'esprit ,fet « l'esprit contre la chair. » Le nombre dix se retrouve aussi dans l'homme : il a cinq sens, il parle, il se reproduit ; au huitième rang se place le souffle vital qui anima son corps dès sa formation ; l'âme à laquelle appartient l'empire arrive la neuvième ; enfln la vertu de l'Esprit saint qui vient se reposer dans l'homme par la foi et lui imprime sa forme et son caractère, complète le nombre dix. Ajoutez que la loi semble imposer ses prescriptions aux dix éléments qui composent l'homme, à la vue, à l'ouïe, à l'odorat, au tact, au goût, et aux organes qui vont par deux et sont les ministres des précédents, à savoir les pieds et les main?. Voilà pour la formation de l'homme. L'âme y est introduite, et, avant l'âme, le principe dirigeant par lequel nous raisonnons, et qui ne doit pas son origine à l'émission de la semence , de sorte que, sans même le compter, on obtient lesdii facultés par lesquelles s'exécute l'universalité de nos actes. En suivant l'ordre de ces phénomènes, l'homme, en effet, aussitôt qu'il est né , débute dans la vie par tout ce qui est soumis am passions. Or, nous tenons la faculté de raisonner, qui domine toutes les autres, pour la cause constituante de l'animal : il y a mieux, nous disons que la partie irraisonnable est animée, et en est une portion. Le principe vital, dans lequel est renfermée la vertu d'accroissement, et, pour le dire en général, de tout mouvement, est échu à l'esprit charnel qui est doué d'une mobilité prodigieuse, qui se porte en tous lieux par les sens et le reste du corps, et s'affecte le premier par le corps. Mais la faculté dominante possède la liberté au fond de laquelle sont l'examen, la règle, la connaissance. 0 merveille ! tout est ordonné par rapport à une seule faculté dominante pour laquelle l'homme vit, et vit d'une certaine façon. C'est donc par l'esprit corporel que l'homme sent, désire, se réjouit, s'irrite, se nourrit, se développe ; par lui qu'il agit conformément à ce que la réflexion a conçu et déterminé. Quand les passions sont vaincues, la faculté dominante triomphe. Ainsi ce précepte : a Tu ne désireras « point, » ne signifie pas autre chose, sinon : Au lieu d'obéir en esclave à l'esprit charnel, tu lui commanderas en maitre, parce que, d'une part, « la chair s'élève contre l'esprit, » rebelle toujours prête à se jeter dans la honte et les excès contraires à sa nature ; et que, de l'autre, l'empire a été donné « à l'esprit « pour gouverner la chair, » afin que l'homme agisse dans tout le cours de sa vie conformément à sa nature. Les livres saints n'ont-ils pas raison quand ils nous disent que « l'homme a été fait à l'image de Dieu? » Il ne s'agit pas, dans cette occurence, de son organisation extérieure. Cette parole signifie qu'à l'exemple de Dieu, qui procède en toutes choses avec la raison de son Verbe, le véritable Gnostique accomplit des œuvres qui tirent leur bonté de la raison par laquelle il est toujours conduit. Les deux tables de la loi, on l'a insinue avec vérité, sont donc le symbole des préceptes qui, donnés aux deux esprits, à celui qui est créé, comme à celui qui gouverne, devancèrent la loi. Ils désignent, en outre, les impulsions de nos sens qui se divisent en deux espèces, selon qu'elles gravent leur empreinte dans notre esprit, ou qu'elles procèdent de l'opération du corps ; double voie pour saisir les objets. Les sens s'appliquent au monde de la matière, l'intelligence au monde de la pensée. Quant aux actions, elles sont aussi de deux sortes ; ici elles naissent de la réflexion, là d'un mouvement physique. Le premier précepte du Décalogue nous met sous les yeux un Dieu unique, tout-puissant, qui tira de l'Égypte le peuple élu, pour le conduire à travers les solitudes dans l'héritage de ses pères. Par le second ', le Créateur veut que les Hébreux, à l'aspect de ces divines merveilles, comprennent, autant qu'il est en eux, la grandeur de sa puissance ; il veut encore que, mettant leur espérance dans le vrai Dieu, ils n'adressent point un hommage idolâtrique à la créature. La majesté de l'Eternel, vraiment digne de tes respects, et qui n'est autre chose que son nom — la multitude ne pouvait alors en connaitre davantage — tu ne la prendras point en vain, pour appliquer cette dénomination auguste aux objets créés et périssables, que la main des hommes a forgés, et sous lesquels ne se trouve pas Celui Qui Est : car, dans l'identité incréée, celui qui est existe seul ; tel est le sens du troisième commandement. Le quatrieme nous annonce que le monde est l'œuvre de Dieu, que Dieu nous a donné le septième jour pour nous reposer, à cause de l'affliction qui travaille notre vie, et des maux auxquels nous sommes sujets. Dieu, en effet, dans son éternelle vigueur et sa sainte impassibilité, n'a pas besoin de repos. Il n'en est pas de même de nous, qui portons le fardeau de la chair. Le septième jour est donc appelé jour de repos, qu'est-ce à dire? abstinence de tout mal, qui prépare en nous ce premier jour, où naquirent toutes choses, qui est véritablement notre repos et auquel remonte la première apparition de cette lumière, dans laquelle vous voyons et possédons l'infini. C'est à dater de ce jour qœ les premiers rayons de la sagesse et de la connaissance nous illuminent , je veux dire l'Esprit du Seigneur, lumière de la vérité, flambeau réel et indéfectible, qui, se distribuant sans se diviser, dans ceux qui ont été sanctifiés par la foi, est le soleil des intelligences éclairant tout ce qui existe. Suivre ses clartés pendant toute la durée de notre vie, c'est nous établir dans une sainte impassibilité. Voilà ce que j'appelle nous reposer. Aussi Salomon nous montre-t-il le Tout-Puissant engendrant, bien des siècles avant le ciel, la terre, et tout ce qui est, la sagesse dont la possession, sinon par essence, au moins par les efforts qui nous élèvent à elle, révèle par voie de compréhension à ceux qui sont ici-bas les lois divines' et humaines. Parvenus à ce point, puisqu'il a été question du septenaire et de l'octonaire, il nous importe de rappeler brièvement que l'octonaire, absolument parlant, semble n'être que le septenaire, et que dans le même sens le septénaire devient le nombre six, qui lui-même est proprement le jour du sabbat. Le septenaire , ainsi envisagé, est destiné à l'action. En effet, nom voyons la création du monde terminée dans l'espace de siï jours. Le soleil met six mois à compléter sa révolution d'an tropique à l'autre *. Pendant cet intervalle, les feuilles « temps dans le signe du Belier, en automne dans le signe do la Balance, •• atteste magnifiquement la divine majesté du septenaire. Chaque équi« noxe arrive, en effet, au commencement du septième mois. La loi a a placé à ces deux époques les deux fêtes les plus celèbres, etc. » fait le symbole du sabbat et l'allégorique emblème de ce repos « dans lequel on ne se mariera point. » Car ce nombre, qui n'est le produit d'aucun facteur , ne produit aucun des nombres compris entre un et douze. L'octonaire ou le nombre huit, est appelé cube par ceux qui comptent la sphère immobile au nombre des sept planètes, an moyeu desquelles s'accomplit la grande révolution de la grande année, qui verra la rétribution générale et l'accomplissement des promesses '. Voilà pourquoi le Seigneur, étant monté sur le Thabor, lui quatrième % devient bientôt le sixième " et dans la splendeur de sa lumière, laisse échapper les vertus qui partaient de lui, autant du moins que pouvaient les soutenir cm qu'il avait destinés à ce spectacle. Une voix, c'est le septième personnage, le proclama Fils de Dieu. Quevoulait-elle?quese compagnons se reposassent en lui par la fermeté de leurs convictions; et que lui-même, completant l'octonaire par la génération dont le nombre six, avec ses merveilleuses propriétés, était l'emblème, apparût un Dieu incarné, dans tout l'éclat de sa puissance , pris pour un homme véritable, mais ignoré dans le mystère de sa nature4. Six en effet, a son rang parmi les nombres , mais la suite des lettres ne renferme pas le signe qui l'exprime 5. Dans la numération, chaque unité garde sa place jusqu'à sept et huit : dans l'alphabet, au contraire, le titéta est la sixième lettre et l'éta, la septième ; mais le signe numérique ••• s'étant glissé, je ne sais comment, dans l'alphabet, en acceptant ce système , sept devient six, et huit devient sept. Voilà pourquoi il est dit encore que l'homme fut créé au sixième jour, l'homme fidèle à celui que représente la figure 6, ' afin d'être investi sur-le-champ de l'héritage que promet le Seigneur. La sixième heure , qui est celle où se consommèrent l'agonie de I'homme et l'œuvre de notre salut, renferme aussi quelque chose de sacré. Il est donc prouvé que 8 équivaut à 7 et 7 à 6 pour le rang qu'ils occupent. Car c'est dans cet autre sens mystique que le septénaire a glorifié ïoctonaire, et - que les cieux annoncent aux cieux la gloire du Très« Haut. » Leurs figures sensibles sont nos lettres phonétiques. C'est ainsi que le Seigneur lui-même a été appelé l'Alpha et l'Oméga, le « commencement et la fin, —par qui tout a « été fait et sans lequel rien n'a été fait. » Il ne faut donc pas s'imaginer que le repos de Dieu, comme quelques-uns le conçoivent, ait été une suspension d'activité. Bon par son essence, si Dieu venait à cesser de faire le bien, il cesserait au même instant d'être Dieu, parole qui serait un monstrueux blasphème. Il se reposa, qu'est-ce à dire ? il ordonna que l'ordre établi se maintint inviolablement pendant toute la durée des siècles, et que chaque créature se reposât de son antique confusion. Car les créatures qui sortirent du néant à des jours divers s'enchainèrent dans une merveilleuse harmonie, afin que les êtres fussent glorifiés d'après leur antériorité d'apparition , inégaux en honneur, quoiqu'ils aient jailli tous à la fois de la même pensée. La naissance de chacun d'eux n'eût pas été distinctement signalée par la voix du Trèshaut , si la création avait été désignée en masse. Il fallait que le langage procédât par ordre. Voilà pourquoi l'historien sacré nomme une première création, puis une seconde, lorsque néanmoins la souveraine majesté tira simultanément l'universalité des êtres d'une même essgnce. La volonté de Dieu, si je ne me trompe, est une dans son unique identité. Comment, d'ail Jésus-Christ, qui tout à l'heure était le sixième sur le Thabor. leurs, la création se serait-elle accomplie dans le temps. si le temps lui-même eût été contemporain de la création ? Mais que dis-je ? le monde tout entier, La nature vivante, comme la nature inorganisée, mule sur le septenaire. On compte sept anges premiers-nés, chefs de tous les antres, et revêtus de la plus grande puissance. Suivant les astronomes, la terre est gouvernée par sept planètes errantes, auxquelles les Chaldéens prêtent de merveilleuses sympathies avec ce qui nous arrive, et par l'inspection desquelles ils se vantent de connaître l'avenir. An nombre des étoiles axes sont les sept Pléiades. Les deux ourses se composent de sept étoiles qui dirigent l'agriculture et la navigation. La lune aussi change de forme chaque septième jour ; simple croissant dans la première semaine, pleine an bout de la seconde, redevenue simple croissant à la troisième, depuis qu'elle a commencé de decliner, entièrement effacée à la quatrième. Il y a mieux : le mathématicien Séleucus lui assigne sept phases différentes. Invisible d'abord, courbée en croissant, puis demi-pleine, puis entièrement pleine et arrondie; puis déclinant toujours, arrondie, demi-pleine encore une fois et courbée en croissant. < Chantons un hymne nouveau sur les sept tons de notre « lyre, » écrit un pocte qui n'est pas sans gloire, nous apprenant ainsi que la lyre antique avait sept tons. Notre visage porte sept auxiliaires de nos sensations ; deux yeux, deux conduits pour les sons, deux narines, et la bouche qui complète le septénaire. Les élégies de Solou nous avertissent aussi, dans les vers suivants , que le septénaire préside aux diverses périodes de la vie humaine : « Lorsque l'enfant aura vu s'accomplir les sept premières « années de sa vie, tu regarderas dans sa bouche le rempart « de ses dents. Que la Divinité lui donne encore sept années ; « arrive l'époque de la puberté. Quand il aura grandi pendant « sept années nouvelles, ses joues se couvriront d'une barbe « épaisse. Ajoute à son âge un pareil nombre d'années, « que dons toute la vigueur de sa force, il prend rang « les hommes. La présence du cinquième septénaire l'avertit « de chercher une épouse, et de songer à revivre dans sa pos« térité. La sixième révolution est venue : avec elle apparais« sent la prudence , l'habileté, et le dégoût de tout ce qui est « frivole ou insensé. Le septième et le huitième septénaire « brillent par la richesse de l'éloquence et du génie. Dans le « neuvième, la force du corps et de l'intelligence subsiste en« core, mais affaiblie, et incapable de grandes choses : après « la dixième période, l'homme, mûr pour le tombeau, tombe « sous les coups de la mort. » Poursuivons : dans les maladies, le septième et le quatorzième jours sont des jours critiques où la nature est aux prises avec le principe du mal. Hermlppe de Béryte rapporte encore, dans son Traité du septenaire, mille autres propriétés merveilleuses. Mais éco tons le bienheureux David lui-même. Il va découvrir en tern,es formels aux regards du Gnostique une supputation mystique en rapport avec le septénaire et l'octonaire : « Notre vie, dit-Il, est aussi fragile que la toile de « l'araignée. Les jours de nos années, sont soixante-dix an« nées, quatre-vingts pour les forts. Au-delà, c'est régner. » Mais ne nous y trompons pas, le monde a été engendré et non fait dans le temps. Pour nous en convaincre, la prophétie ajoute : « Telle fut l'origine des cieux et de la terre, lorsqu'ils « furent créés, au jour que le Seigneur fit la terre et les cieux. » Ces paroles, lorsqu'ils furent créés, expriment une énonciation indéfinie et que ne limite aucune époque ; mais ces mots, au jour que le Seigneur fit, c'est-à-dire, dans qui et par qui il créa toutes choses, et sans lequel rien n'a été fait, » désignent l'opération qui a lieu par le Fils, dont le Psalmiste a dit : « C'est ici le Joua que le Seigneur a fait; réjouissons« nous en lui et tressaillons d'allégresse? » Quest-ce à dire ? Asseyons-nous au banquet divin par la connaissance qu'il nous a transmise. Le Verbe, en effet, qui illumine les plus épaisses ténèbres, et par l'intermédiaire duquel est arrivée à la lumière et à la vie toute créature, a été appelé notre Jour. En deux mots, le Dccalogue nous montre par la lettre uftale nom de bénédiction par excellence, en nous mettant sous les yeux Jésus ', qui est le Verbe. Le cinquième précepte qui vient après, dans le Décalogue, a pour but l'honneur que nous devons à notre père et à notre mère. Il proclame ouvertement que Dieu est notre père et notre Seigneur ; de là le titre de fils et de dieux donné à ceux qui l'ont reconnu. Notre père, notre Seigneur, c'est donc le créateur de toutes choses. Mais quelle sera notre mère ? La chercherons-nous avec quelques-uns dans la substance dont nous avons été engendrés ? ou bien sera-ce l'Église, comme le veut plus d'un commentateur ? Nullement. Notre mère, « la mère « des justes, » selon le langage de Salomon, c'est la divine connaissauce, la sagesse, qu'il faut choisir pour elle-même. D'ailleurs la connaissance de tout ce qui est beau, de tout ce qui est honorable nous vient de Dieu par le Fils. Suit le précepte qui défend l'adultère. On est coupable d'adultère, lorsque, transfuge de l'Église, de la véritable connaissance, et de la foi à l'existence d'un Dieu, on se jette dans des opinions condamnables ; ou bien quand on érige en Dieu quelque créature , ou bien encore quand ou taille eu forme de simulacre ce qui n'est pas, franchissant ainsi la limite de la connaissance, je me trompe, déserteur de la connaissance. Les opinions erronées sont aussi étrangères au Gnostique que les opinions véritables lui sont habituelles et comme inhérentes. Voilà pourquoi l'illustre apôtre appelle l'idolâtrie une sorte de fornication, d'accord avec le prophète, qui dit : « Il s'est prostitué au bois « et à la pierre. — Il a dit au bois : « tu es mou père ; et à la « pierre : tu m'as engendré. « Vient ensuite le précepte qui défend le meurtre. Le meurtre est une suppression fermement arrêtée. Supprimer, au sujet de Dieu et de sou éternité, la doctrine véritable pour y substituer le mensonge ; dire, par exemple, que nulle Providence ne gouverne l'univers , affirmer que le monde n'a pas été créé, nier enfin quelque dogme sacré dans l'ensemble de la doctrine , c'est faire acte de meurtrier. Le commandement qui suit défend le vol. De même que le ravisseur du bien d'autrui, quand le dommage est considérable, ajustement mérité le supplice qui le frappe, de même les téméraires qui usurpent les attributions divines par la peinture et la sculpture, et se proclament insolemment les créateurs des animaux et des plantes ; de même encore ceux qui imitent la philosophie véritable, sont des voleurs. Agriculteur, père d'un fils, qu'importé? ils sont les ministres de Dieu ', chargés par lui de semer sa parole. Mais Dieu, qui donne l'accroissement, amène chaque plante au point qui convient à sa nature. Un grand nombre des nôtres, semblables là-dessus aux philosophes, attribuent l'accroissement des germes et leurs transformations à l'influence des astres, dépossédant ainsi, du moins autant qu'il en est en eux, le père de tous les êtres de son indéfectible puissance. Les éléments et les astres ! Puissances obéissantes , ils ont été créés par Dieu pour exécuter les plans de sa divine providence, et ils volent en esclaves accomplir les commandements de leur maître, partout où les guide la parole du Seigneur, puisque l'éternelle puissance a coutume d'opérer eu toutes choses par des voies mystérieuses. Vous tous donc qui vous écriez : Nous avons imaginé ou fait quelqu'une des choses qui appartiennent à l'ensemble de la création, vous aurez à rendre compte de votre sacrilège entreprise. Le dixième commandement interdit tous les désirs. Convoiter ce qui est contraire au devoir amène une responsabilité sévère. De même il n'est pas permis de soupirer après ce qui est faux , ni de s'imaginer que les êtres vivants sont capables de sauver ou de perdre par eux-mêmes, tandis que les objets inanimés ne le peuvent en aucune façon. L'antidote ne saurait guérir, ni la ciguë ôter la vie, me dites-vous! Vous êtes la dupe d'un adroit sophisme! Rien n'opère sans le secours de l'intelligence qui emploie la plante et le médicament, pas plus que la hache ou la scie ne fend, et ne coupe sans le bras qui les dirige, Noa sans doute, elles n'agissent point par une] impulsion qui leur est propre ; mais elles sont douées de certaines énergies naturelles qui, appliquées par une main étrangère, consomment leur œuvre spéciale. Il en est de même de la providence générale de Dieu. Elle emploie le ministère des forces plus rapprochées d'elle et plus immédiates pour propager jusqu'aux derniers degrés de l'échelle des êtres l'efficacité de son opération. CHAPITRE XVII. Quoique la philosophie n'ait pas donné la parfaite connaissance de Dieu, elle est cependant un remède pour les âmes. Les philosophes grecs, ne connaissent pas, si je ne me trompe , le Dieu qu'ils nomment, puisqu'ils ne rendent point à Dieu, le culte qui convient à un Dieu. Les doctrines professées dans leurs écoles ressemblent, dit Empédocle, « à ces frivolités qui « passent par les lèvres de la multitude, qui sait si peu de chose « du grand Tout. » Voyez-vous ce vase de verre, rempli d'eau? L'art imagine un procédé par lequel un rayon du soleil produit la flamme en traversant ses parois. Il en est de même de la philosophie. Qu'elle reçoive de la divine Écriture comme une étincelle de feu, la voilà qui rayonne aux yeux de quelques mortels privilégiés. Tous lrs animaux respirent le même air, mais chacun, d'une manière différente et pour une fin spéciale. Il en est de même pour la plupart des hommes : ils approchent de la vérité, disons mieux, des raisonnements qui promettent la vérité. Qu'ils révèlent quelque chose de Dieu, ne le pensez pas ! ils ne font que lui prêter les affections humaines. Ils consument leur vie dans la poursuite de la vraisemblance bien plus que de la vérité. Or, la vérité s'apprend non point à l'école de l'imitation , mais dans les enseignements de la discipline. Notre foi an Christ n'a point pour principe une vaine ostentation de croyance, pas plus que nous n'allons vers le soleil pour paraître uniquement exposés au soleil. Ici, nous cherchons les rayons de l'astre pour nous réchauffer ; là, nous nous efforçons d'être Chrétiens pour être des hommes de bien dans toute la rigueur du mot. Le royaume des deux appartient, en effet, à ceux qui se font le plus de violence, à ceux que l'examen, la discipline et l'exercice parfait investissent des honneurs de la royauté. Imiter une opinion, c'est prouver que l'on en avait quelque préjugé antérieur. Mais qu'on vienne à recevoir une parcelle de la vérité , vivante étincelle que l'on réchauffe au fond de son âme par le pieux désir et par l'enseignement ; on remue ensuite le monde pour monter au faîte de la connaissance. Ce que nous no saisissons point par la pensée, nous ne pouvons, en effet, ni le désirer, ni en tirer quelque profit. Parvenu à ces hauteurs, le Gnostique embrasse, comme point culminant de la perfection , l'imitation de son maître, autant du moins qu'elle est permise à la faiblesse de l'homme, s'imprégnant de la vertu du Seigneur, et se moulant à l'image de Dieu. Mais ignorer la connaissance, c'est n'avoir point de règle certaine pour mesurer la vérité. Renonçons donc pour jamais à participer aux contemplations gnostiques, si nous ne voulons pas vider notre âme de ses conceptions antérieures , car on nomme communément et dans une signification générale du nom de vérité tout ce que perçoivent l'intelligence et les sens. Sans doute, il est facile de distinguer la peinture véritable de la peinture vulgaire, et la musique vertueuse de la musique dissolue. Il y a donc aussi pour le philosophe une certaine vérité qui n'est pas la vérité des autres philosophes et une beauté réelle différente de la beauté adultère. Ce qui appelle nos efforts, ce ne sont point seulement les parcelles de la vérité que l'on décore du nom de vérité ; c'est la vérité elle-même qu'il faut poursuivre, sans nous arrêter à sa ressemblance. Car les paroles qui ont Dieu pour objet ne sont pas unes, mais innombrables. Nommer Dieu, ou ce qui concerne Dieu, est bien différent. En général, dans l'appréciation de toutes choses, il faut distinguer l'essence de ses accidents. Il me suffit assurément de dire : Dieu , c'est le maître de l'univers; mais, dans un sens absolu, je dis le maitre de l'univers sans rien excepter. Toutefois, la vérité se manifestant sous deux formes, à savoir les noms et les choses , bon nombre d'hommes, et ce sont les philosophes de la Grèce, courant après les grâces et la beauté du langage, s'arrêtent aux noms seulement, tandis que nom autres Barbares nous avons le fond des choses. Voilà pourquoi le Seigneur n'a point voulu sans intention descendre à des formes corporelles, humbles et vulgaires. Il craignait qne les auditeurs, distraits par l'éelat de sa beauté, ne laissassent emporter leur esprit loin de ses paroles, et qu'attentifs à des apparences qui ne méritent que le dédain, ils ne fussent arrachés aux perceptions de l'intelligence. Que nous importent donc les accidents du langage? il faut n'en considérer que la signification. Mais la parole de ces hommes ' qui ne sont pas aptes à comprendre, et dont les impulsions ne sont pas dirigées vers la connaissance, ne persuade pas. Les corbeaux n'imitent-fis pas la voix humaine, sans avoir néanmoins la moindre notion de ce qu'ils répètent ? Au contraire, une compréhension intelligente suit de près la foi. « Père des hommes et des dieux, • s'écrie aussi Homère, quoiqu'il ne sache pas quel est le père, ni comment il est père. Mais de même qu'il est naturel aux mains de saisir, à l'œil, qui n'est pas malade, de voir la lumière ; de même quiconque a reçu la foi possède la faculté de participer à la connaissance, pourvu qu'il veuille tailler l'or, l'argent, les pierres précieuses, et bâtir sur les fondements qu'il a posés. Il ne dit point : Je participerai un jour ; il commence à participer. 11 ne remet point sa gloire aux chances de l'avenir : roi, lumineux , Gnostique, il l'est déjà. Il ne se contente point du nom : il atteint jusqu'aux choses elles-mêmes. La bonté de Dieu, en effet, magnifique envers le roi de la création, et désireuse de son salut, dirigea tout le reste vers cette fin. D'abord elle le gratifia dès l'origine du bienfait de l'existence. Qne l'existence soit préférable au néant, personne qui le conteste. Puis la Pro 1 Nous avons adopté la correction de Potter. vidence fait passer chacun dans la mesure qui lui est propre de ce qui est bon à ce qui est meilleur pour lui. N'allons donc point trouver étrange que la philosophie elle-même ait été donnée par la bonté souveraine afin de servir d'introduction à la perfection qui nous vient du Christ, pourvu que la philosophie ne rougisse point de dire à la connaissance barbare : Conduis-moi vers la vérité. Les cheveux de notre tête sont comptés. Nos plus légers mouvements sont inscrits. Pourquoi la philosophie n'aurait-elle point aussi sa valeur ? Il fut accordé à Samson une force qui résidait dans ses cheveux , afin de le convaincre que les arts superflus qui ont pour objet la vie matérielle et qui, mourant avec le corps, se déposent dans le même tombeau, après la séparation de l'âme, ne peuvent s'acquérir sans le secours d'en haut. La divine dispensation de la Providence part des points culminants, nous disent les livres saints, pour s'épancher sur toutes les créatures , semblable « au parfum qui coula de la tète d'Aaron sur « son visage et se répandit sur le bord de ses vêtements. » D'Aaron, c'est-à-dire du pontife suprême, « par lequel tout « a été fait et sans lequel rien n'a été fait. « Sur le bord des vêtements et non sur le monde des corps : la philosophie du peuple en dehors du Juif et du Chrétien, n'est, à vrai dire, qu'un vêtement extérieur. Ainsi les philosophes qui, exercés au sens propre par l'esprit d'intelligence, se sont laborieusement appliqués, non point a une portion, mais à l'ensemble de la philosophie, après avoir dépouillé tout orgueil et s'être laissés guider par l'amour de la vérité A laquelle ils rendent témoignage; qui ont profité de tout ce que les doctrines hétérodoxes renferment de bon pour s'élever à la compréhension par cette divine et ineffable bonté qui mène chaque nature, dans la limite du possible, vers ce qui lui est le meilleur ; qui ensuite ont eu commerce avec les Grecs, commerce avec les Barbares, ces philosophes passent en vertu de cet exercice commun, dans le domaine de la foi, et du domaine de la foi dans celui de l'intelligence particulière. Avec la vérité pour point d'appui, ils acquièrent une faculté plus large d'investigation et de progrés. Dès lors, apprendre fait toutes leurs délices. Avides de connaitre, ils marchent à grands pas dans les voies du salut. Voilà pourquoi il est dit dans l'Écriture que l'esprit d'intelligence a été donné par Dieu aux Mt vriers de l'arche. Que faut-il entendre par là, sinon la prudence, faculté de l'âme qui contemple ce qui est, qui distinpe et compare ce qui suit, appercoit les ressemblances ou les dissemblances, divise, ou rassemble, commande et interdit, et enfin s'élance dans l'avenir par ses conjectures? La prudence w se borne point seulement aux arts : elle gouverne la philosophie elle-même. Mais pourquoi la prudence est-elle assignée au sapent lui-même ? C'est qu'il y a au fond du maléfice enchainement, appréciation, plan , conjecture de l'avenir. Le mystère dans lequel restent ensevelis la plupart des crimes n'a pas d'autre motif. Le méchant se précautioane contre le supplice par toutes les combinaisons de son entendement. Comme la prudence apparait sous des formes diverses, répandue qu'elle est partout l'univers et opérant dans chacune des actions humaines, elle change de dénomination dans chacune de ces occurences. S'applique-t-elle à sonder les causes premières, elle s'appelle l'intelligence. Porte-t-elle la lumière dans les âmes par le raisonnement et la démonstration, alors c'est la connaissance, la sagesse, la science. Tout entière aux choses qui concourent à la piété, vient-elle à recevoir sans la contemplation , et par le maintien de son opération intérieure, le Verbe, raison primordiale, elle prend le nom de foi. Dans le monde sensible, a-t-elle démêlé ce qui lui semble le plus vrai, c'est alors l'opinion droite. Si elle réussit aux ouvrages mécaniques, elle reçoit la dénomination d'art. Que plus loin, laissant de côté la contemplation pour s'attacher aux analogies et recueillir des faits, elle forme des désirs ou des entreprises, elle se transforme en expérience. Son caractère spécial, c'est l'esprit qui préside à tout et qui descend, par la miséricorde divine, dans l'âme du néophyte après que la foi s'est affermie. Ainsi lorsque la philosophie a participé de cette intelligence supérieure, comme le prouve ce qui précède, elle entre elle-même en partage de la prudence. Si par un enchaînement de principes et de déductions méthodiques elle disserte sur ce qui est perceptible nniquement à l'intelligence, c'est alors la dialectique dont le bat est de rendre la vérité sensible par l'argumentation et de résoudre les difficultés qui se présentent. Soutenir avec quelques-uns que ce n'est point Dieu qui a envoyé d'en haut sur notre terre, la philosophie, c'est affirmer , ce me semble, que Dieu ne peut point voir le détail, et qu'il n'est point la cause première de tous les biens, puisque chacun d'eux, pris à part, est un bien isolé, et que rien de ce qui est n'existe sans la volonté de Dieu. Dieu l'a voulu. Donc la philosophie émane de Dieu ; donc il l'a voulue telle qu'elle a été, dans l'intérêt des nations qui n'avaient pas d'autre frein pour s'abstenir du mal. Rien, en effet, n'échappe aux regards de Dieu, ni le présent, ni l'avenir, ni la manière dont chaque être doit exister. Lisant d'avance quels seront les moindres mouvements de ses créatures, « Il voit tout, il entend tout1, » ll regarde à nu dans le fond de toutes les âmes, il a de toute éternité la connaissance la plus lumineuse de chaque individu, attentif à ce qui se passe sur la scène du monde, et dans toutes les parties de la scène. D'un regard il embrasse simultanément l'ensemble et le détail. Tel est Dieu. Néanmoins, quoiqu'il apperçoive d'un seul et même regard tous les êtres à la fois, son opération n'est pas toujours directe ni dominante. Combien de choses dans la vie naissent des combinaisons humaines, après que la main divine y a déposé le germe primitif l La médecine vous rend la santé ; l'huile du gymnase entretient les forces de votre corps ; les spéculations du commerce accroissent votre fortune. De qui tenez-vous ces biens? De la Providence sans doute, mais d'une providence qui laisse sa part à l'œuvre de l'homme. Eh bien t l'intelligence vient aussi de Dieu. Le libre-arbitre de l'homme vertueux obéit surtout à la volonté divine. Le méchant a beau partager avec le juste une multitude d'avantages, ces avantages ne profitent qu'à l'homme vertneni dans l'intérêt duquel Dieu a tout fait. Oui, c'est pour l'usage des hommes vertueux qu'est née l'énergie des dons sacré. Il y a mieux ; les pensées des hommes de bien s'engendrent par une sorte d'inspiration divine, l'âme étant disposée d'une certaine façon et la volonté divine se communiquant à l'âme humaine, par le ministère d'agents spéciaux qui l'assistent dans ces opérations. Les gouvernements des anges sont répartis entre les nations et les cités : peut-être même des anges particuliers sont-rls préposés à chacune d'elles. Le pasteur dow prend soin des brebis une à une ; mais les soins de la provideoK s'étendent plus immédiatement sur ceux que distinguent leurs lumières et qui peuvent être utiles à leur nation. Chefs et instituteurs du genre humain, ils sont appelés à mettre en Inmière les bienfaits de la bonté souveraine, quand elle vert se manifester à la terre par la voie de la doctrine, du gouvernement , ou de l'administration. Quand elle veut se manifester, disons-nous ! Telle est sa volonté constante, et voilà pourquoi elle suscite les instruments les plus capables d'exécnter tout ce qui peut concourir au règne de la paix , de la vertn, de la bienfaisance. Tout ce qui est vertueux en soi découle de la vertu, se rapporte à la vertu, et nous est donné, ou pour nous rendre bons, ou pour que, vertueux déjà, nous usions des avantages que nous a départis la nature. Encore un coup, la Providence nous vient en aide dans l'ensemble comme dans les détails. Maintenant, je le demande, n'est-ce point une grossière inconséquence d'attribuer à celui que l'on proclame le père do désordre et de l'iniquité, l'invention de la philosophie, c'est-àdire d'une chose honnête et vertueuse ? A ce compte, le démon aurait travaillé à l'amélioration morale des Grecs avec un soin plus miséricordieux que la divine Providence elle-même. Telles ne sont pas mes pensées. Le caractère de la loi et de la droite raison, c'est, à mon avis, de rendre à chacun es qtri lui convient, ce qui lui est propre, ce qui lui appartient. An joueur de guitare, d'animer la lyre ; aux doigts expérimentés sur la flûte, de manier cet instrument. De même les présents du ciel sont les possessions de l'homme vertueux, comme il est naturel à l'âme bienfaisante de faire du bien, au feu d'échauffer , à la lumière d'éclairer. La vertu ne commettra jamais le mai, pas plus que de la lumière ne sortiront les ténèbres, ni du feu le froid. Au contraire, vous ne verrez jamais le vice produire la vertu : il est condamné à produire le mal, comme les ténèbres, à confondre les couleurs. La philosophie qai conduit l'homme à la vertu, n'est donc pas l'œuvre du vice. Il ne reste plus qu'à faire remonter son origine jusqu'à Dieu, dont la bonté est le sublime privilège. Tout ce que Dieu donne est donné et reçu dans l'ordre du bien. D'ailleurs la philosophie n'a point été l'apanage des méchants; ce sont les plus vertueux et les plus illustres d'entre les Grecs qui l'ont possédée : nouvelle preuve qu'elle émane d'une divine Providence dont l'abstinence du mal est toute la justification, afin que, supérieurs à cette perfection vulgaire qui est en eux, vous puissiez aussi aimer le prochain et lui faire du bien, vous ne serez point les disciples de la loi royale '. En effet, l'accroissement de la justice qui vient de la loi est comme le sceau du Gnostique. Ainsi quand le fidèle sera placé sur le chef qui gouverne son corps, et qu'il sert parvenu au faite de la foi, je veux dire, sur les hauteurs de cette connaissance elle-même qui renferme toute intelligence, il obtiendra du même coup l'héritage suprême. Que la connaissance occupe le premier rang, l'apôtre l'atteste à quiconque sait voir , lorsqu'il.écrit ces mots aux Grecs de Corinthe : « Nous espérons que, votre foi croissant de pins es « plus, nous étendrons suivant la règle notre partage beau« coup plus loin, en portant l'Évangile au-delà de vous. » Son dessein n'est pas de désigner ici l'extension ultérieure de son apostolat, par rapport au lieu, puisque la foi, dit-il, abondait en Achaïe. Il y a mieux j les Actes des apôtres nous le montrent annonçant le Verbe à Athènes. Paul nous apprend par là que la connaissance, qui est la perfection de la foi, va plus loin que la catéchèse, conformément à la majesté de la sainte doctrine et à la règle de l'Église. Voilà pourquoi il ajoute un peu plus bas : « Si je suis grossier et - peu instruit pour la parole, il n'en est pas de même pour « la science. » Au reste, vous autres Grecs qui possédez, dites-vous, la vérité, parlez ; de qui vous glorifiez-vous de l'avoir apprise ? Que Dieu ait été votre maître, vous n'oseriez le répondre. Nous la tenons des hommes, vous écriez-vous ? S'il en va ainsi, ou vous l'avez apprise bien tardivement de vous-mêmes, comme quelques-uns d'entre vous le proclament orgueilleusement, ou bien vous l'avez apprise de vos semblables. Mais ignorez-vous donc que personne n'est digne de foi quand il parle de Dieu en son propre nom ? Le moyen que l'homme argumente convenablement sur Dieu, la faiblesse et la mort sur l'être incorruptible , éternel ; la créature sur le Créateur ! Ce n'est pas tout. Quand l'homme ne peut pas même bégayer la vérité sur sa propre nature, faudra-t-il souscrire à ses prétentions d'expliquer Dieu? Autant l'homme, en effet, s'abaisse au-dessous de la puissance divine,, autant son langage est faible, lors même que, sans vouloir s'élever jusqu'à la personne de Dieu, il parle de Dieu et de son Verbe divin. Telle est l'impuissance naturelle de nos discours qu'elle ne saurait énoncer Dieu. Il ne s'agit pas ici de proférer son nom, qui est sur les lèvres de tous les philosophes et même de tous les poctes, encore moins d'approfondir son essence, cela est impossible; mais décrire les attributs et les merveilles de Dieu, nous ne le pouvons pas. Ceux-là même qui se proclament instruits par Dieu parviennent difficilement à la notion de Dieu, soutenus par la grâce qui développe en eux une connaissance bien faible encore, quoique accoutumés à contempler la Volonté par la Volonté, et l'Esprit-saint par le Saint-Esprit, « parce que l'Esprit pénètre même les profon« (leurs de Dieu. Mais l'homme animal n'est point capable des « choses qui sont de l'esprit de Dieu. » La sagesse dont les Chrétiens sont dépositaires est donc la seule qui ait été transmise par Dieu : d'elle seule jaillissent Uwtes les sources de sagesse qui aboutissent à la vérité. Point de doute. L'avènement de notre Seigneur, qui descendait parmi les hommes pour les instruire, fut prophétisé de mille manières différentes : messagers, héraults, introducteurs, précurseurs , tous se donnent la main depuis le berceau du monde, pour prédire par des actes ou par des paroles la venue da Sauveur, le mode de son apparition et les prodiges qui accompagneraient cette merveille. La loi et les prophéties le signalent de loin. Puis le Précurseur le montre du doigt déjà présent; après le Précurseur, les apôtres prêchent ouvertement la vertu de l'Incarnation. Les philosophes n'ont plu qu'aux Grecs, et seulement à quelques Grecs. Platon avoue Socrate pour son maitre ; Xénocrate choisit Platon; Théophraste jure par Aristote; Cléanthe obéit à Zénon. Ces chefs n'ont persuadé que leurs disciples. Mais la parole de notre maitre n'est point restée captive dans l'enceinte de la Judée comme la philosophie dans celle de la Grèce. Répandue par tout l'univers, elle a persuadé simultanément chez les Grecs et les Barbares, nations, bourgades, cités, maisons, individus ; elle a vaincu quiconque l'a ecoutée; elle a fait plus : elle a conduit à la vérité bon nombre de philosophes. Que la philosophie grecque soit entravée par les menaces des magistrats, la voilà qui s'évanouit soudain. Mais notre doctrine à nous, depuis la première fois qu'elle a été prêchée, a vu se soulever contre elle, rois, tyrans, princes, gouverneurs, magistrats. Ils lui ont déclaré la guerre avec une armée de satellites et de complices de tout genre, afin de nous anéantir autant qu'il est en eux. Qu'est-il arrive? La sainte doctrine fleurit de jour en jour ; car elle ne peut mourir à la manière des inventions humaines, ni languir comme un don dépourvu de vigueur : tous les dons de Dieu sont marqués de sa force. Elle demeure donc victorieuse de tous les obstacles, mais n'oubliant pas la promesse de l'oracle divin : Tu souffriras toujours la persécution. Ensuite Platon a dit de la poésie ' : « Le poète est chose légère et sacrée : il « lui est impossible de faire des vers s'il n'èst touché par le « souffle de Dieu, et s'il n'est hors de lui-même. » Démocrite tient un langage semblable : « Tout ce que le pocte écrit sous « le souffle de Dieu et de l'Fsprit sacré est merveilleusement « beau. » Ce que disent les poêles, nous le savons. Et personne ne s'extasierait d'admiration devant les prophètes du ToutPuissant, qui furent les organes de la voix divine 1 Attentif à reproduire l'image du Gnostique, nous avons tracé, comme dans un tableau, la grandeur et la beauté de sa vie morale. Comment se gouverne-t-il dans sa manière d'envisager les objets naturels ? Nous le montrerons, quand nous traiterons de l'origine du monde.