[5,0] LIVRE CINQUIÈME. [5,1] CHAPITRE PREMIER. Nous avons parlé du Gnostique véritable, comme en courant ; passons maintenant à l'examen des matières qui viennent à la suite, et reprenons la discussion sur la foi. D'après la distinction de quelques-uns, la foi nous révélerait le Fils; la connaissance, le Saint-Esprit. Ils n'ont pas pris garde que s'il faut croire véritablement au Fils, à sa qualité de fils, à son avènement, à son incarnation, à la raison de son incarnation et à ses souffrances, il n'est pas moins nécessaire de connaitre quel est le fils de Dieu. Dès lors, pas de connaissance indépendamment de la foi, pas de foi indépendamment de la connaissance. Mais le Père ne va pas non plus sans le Fils; la paternité renferme l'idée du Fils. Or, le Fils est le seul maitre qui puisse nous révéler le Père. Pour croire au Fils, il faut connaitre le Père, auquel appartient le Fils; et pour connaitre d'avance le Père, il faut croire au Fils, parce que c'est le Fils de Dieu qui nous donne la connaissance de Dieu. En effet, c'est le Père qui, par l'intermédiaire du Fils, nous conduit de la foi à la connaissance. La connaissance du Père et du Fils, qui est conforme à la règle de la gnose, règle véritable de toute connaissance, est l'intelligence et la compréhension de la vérité par la vérité. Le Chrétien conséquemment croit là où le plus grand nombre ignore et ne croit pas; il est éclairé par la connaissance là où les autres ne croient pas et ne connaissent pas. Gnostique véritable, ce n'est pas seulement par la parole, mais par la contemplation qu'il manifeste ses œuvres. « Bienheureux celui qui parle à des oreilles qui l'entendent ! » Or, la foi est l'oreille de l'âme, et c'est à elle que le Seigneur fait allusion dans les mots suivants: « Que celui qui a des oreilles pour entendre, » entende, afin qu'ayant eu foi, il comprenne ce que dit le Seigneur, selon le sens que le Seigneur y attache. Au reste, Homère, le plus ancien des poètes, semble donner aussi au mot entendre l'acception de comprendre, employant ainsi l'espèce au lieu du genre. « Lorsqu'ils entendaient fort bien, dit-il. » En résumé, la foi du maître et celle du disciple tendent à la même fin par leur harmonieux accord. J'en appelle à ce témoignage véridique de l'apôtre : « Je désire vous voir, afin de vous faire part de quelque grâce spirituelle pour vous affermir, c'est-à-dire afin qu'étant parmi vous, nous recevions une mutuelle consolation par la foi qui nous est commune. » L'apôtre ajoute plus bas : « C'est dans l'Évangile que nous est révélée la justice de Dieu, suivant le degré de notre foi. » Paul paraît donc proclamer une double foi, ou plutôt une foi unique, mais susceptible de s'accroître et de se perfectionner. La foi ordinaire est le fondement de la foi plus consommée. A ceux qui soupiraient après la guérison, le Seigneur disait: « Votre foi vous a sauvés, » parce qu'ils arrivaient auprès de lui, conduits par la foi. L'autre foi, plus avancée en science, qui a pour base la foi ordinaire, se complète dans le cœur du fidèle, par celle qui vient de la doctrine et de l'accomplissement des préceptes. Telle était la foi des apôtres, foi « capable de transporter les montagnes et de changer les arbres de place,» selon le langage de l'Évangile. Aussi, dès qu'ils comprennent la grandeur de son pouvoir, ils supplient le Seigneur d'accroître en eux cette foi, qui, pareil au grain de sénevé, jette ses profondes et salutaires racines dans l'âme et y prend un si vaste développement que la connaissance des plus sublimes mystères vient se reposer sous son ombrage. Affirmer que l'on peut connaître Dieu par l'excellence de sa propre nature, comme l'imagine Basilide, en décorant du nom de foi et de royauté céleste sa merveilleuse intelligence, et en élevant la créature, jugée digne de la vie, sinon jusqu'à la puissance de Dieu, au moins jusqu'à son essence, c'est nous vanter, je ne sais quelle nature, quelle substance, quelle beauté suréminente de la créature ; ce n'est pas dire avec nous que la foi est l'assentiment raisonnable d'une âme dans l'exercice de sa liberté. Si je suis sauvé par le droit de ma nature, ainsi que le veut Valentin ; si je suis déjà investi de la foi et assuré de l'élection par le privilège de ma naissance, ainsi que le veut Basilide, à quoi bon dès lors les préceptes du nouveau et de l'ancien Testament ? La nature dégradée ne pouvait-elle pas même, un jour, avec le progrès du temps, se relever et refleurir, sans l'avènement de Jésus-Christ ? Les sectaires diront-ils que l'avènement de notre Seigneur était nécessaire ? Que devient, après cet aveu, le privilège de leur naissance, puisqu'il est vrai que l'élection s'acquiert par la doctrine, par la purification, par les bonnes œuvres, au lieu d'être une prérogative de la nature? Répondez ! Abraham, dont la foi docile crut à la voix qui lui promettait sous le chêne de Mambré « de lui donner à lui et à sa postérité la terre » où il reposait, Abraham était-il alors élu, ou ne l'était-il pas ? S'il ne l'était pas, d'où vient qu'il crut aussitôt, comme par suite d'une inspiration naturelle ? s'il était élu, votre système est ruiné dans sa base, puisque la preuve nous est acquise qu'il y a eu élection et salut avant l'avènement de Notre Seigneur. « Car l'obéissance du patriarche lui fut imputée à justice. » Ici j'entends un disciple de Marcion me crier que, même avant l'avènement du Seigneur, le Créateur sauvait quiconque avait foi en lui, et que les élus étaient sauvés par l'efficacité de la grâce qu'il leur conférait ! — Étrange manière vraiment de préconiser la puissance du Dieu bon ! Quoi ! il ne met la main au salut des hommes que longtemps après ce Démiurge dont les sectaires eux-mêmes sont réduits à louer les bienfaits ; et disciple, ou même vil plagiaire de son prédécesseur, il a besoin qu'on lui fasse la leçon sur ce point ! Mais j'accepte l'explication ; je veux, avec les hérétiques, que ce soit le Dieu bon qui confère le salut. Ce ne sont pas alors ses propres élus qu'il sauve; ce n'est pas avec la volonté du Créateur qu'il les sauve. La violence et la ruse, voilà donc ses armes. Je le demande, à quel titre sera-t-il le Dieu bon, quand il se montre rusé ou violent et qu'il vient le dernier ? Si la demeure du Tout-puissant est différente et bien éloignée de celle du Dieu bon, avouez-le ! la volonté de celui qui confère le salut, et qui en a donné le premier exemple, se rapproche beaucoup de celle du Dieu bon. Il suit de ce qui précède que les incrédules et les hérétiques sont des insensés. « Leurs sentiers se courbent devant eux, dit le prophète, et ils ignorent la paix. Évitez les questions vaines et inutiles, nous recommande le divin Paul ; car elles engendrent les contestations. » Eschyle nous crie : « Ne vous consumez pas inutilement dans de stériles labeurs. » Les investigations qui s'accordent avec la foi et qui élèvent sur le fondement de la foi la magnifique et lumineuse connaissance de la vérité, sont les meilleures, nous le savons. Nous savons encore que les choses évidentes par elles-mêmes ne sont pas l'objet de l'enquête et de l'examen; on ne demande point, par exemple, s'il fait jour, quand il fait jour. On n'applique pas davantage la méditation aux choses incertaines, qui ne peuvent jamais être éclaircies; par exemple, les étoiles sont elles en nombre pair ou impair ? Il en est de même des objets dont la discussion admet le pour ou le contre. Telles sont les questions où chaque adversaire peut, à son gré, soutenir la négative où l'affirmative, par exemple : Le fœtus renfermé dans la matrice est-il un être animé ou inanimé? Reste une quatrième catégorie où cesse toute question, c'est quand l'un des deux adversaires produit un argument irrésistible et sans réponse. Ainsi, dès que toute raison de douter est détruite, la foi s'élève triomphante sur les ruines du doute. Eh bien ! nous produisons à tous un argument décisif, péremptoire, la parole de Dieu qui s'est expliqué lui-même dans les Ecritures sur tous les points qui sont l'objet de mes investigations, quel est l'homme assez impie, assez étranger à Dieu, pour ne pas ajouter foi à la parole d'un Dieu, et lui demander des preuves comme on en demande aux hommes ? D'ailleurs, des différentes questions, les unes manquent de sens, comme celles-ci : Le feu est-il chaud ? La neige est-elle blanche? D'autres, suivant la remarque d'Aristote, méritent le blâme et la réprimande; celles-ci, par exemple : Faut-il honorer ses parents ? D'autres encourent le châtiment; celles-ci, par exemple : Où sont les preuves qui démontrent l'existence d'une Providence ? En face d'une Providence dont on ne peut douter, penser que les prophéties et la sublime économie de l'Incarnation ne sont pas l'œuvre d'une Providence, c'est une impiété. Peut-être même faut-il s'abstenir de démontrer ces hautes vérités, puisque la divine providence s'atteste elle- même dans toutes ses œuvres qui brillent à la fois par la sagesse et par la beauté, et qui sont créées ou manifestées chacune à leur tour. Celui qui nous dispense l'être et la vie, nous a départi également la raison, afin que nous conformions notre conduite aux règles de la raison et du bien. Car le verbe du Créateur de toutes choses n'est pas seulement sa parole produite au dehors ; il est la sagesse et la bonté de Dieu, manifestées dans toutes ses œuvres : puissance infinie, et vraiment divine, intelligible à tous, même à ceux qui la méconnaissent; volonté qui embrasse tout dans sa toute- puissance ! Mais, comme les uns sont incrédules, les autres amis des disputes, tous n'atteignent pas à la perfection du bien. Il nous est impossible d'y arriver sans dessein fortement arrêté d'avance ; d'ailleurs, tout ne dépend pas de notre volonté, tel que l'avenir, par exemple, « car c'est la foi qui sauve, » jamais néanmoins sans le concours des bonnes œuvres. Naturellement destinés au bien, nous devons faire effort pour l'acquérir. Cette recherche demande aussi un esprit sain et droit, qui ne se laisse retarder dans ses poursuites par aucun regret. C'est là surtout que nous avons besoin de la grâce divine, d'une doctrine pleine de sagesse, de dispositions chastes et vertueuses ; là enfin, qu'il faut demander au Père de nous attirer à lui. Enchaînés à ce corps de terre, c'est par les organes du corps que nous saisissons les objets sensibles, tandis que les choses perceptibles à l'intelligence, nous ne les saisissons que par le raisonnement. Espérer que l'on comprendra tout à la manière de ce qui est palpable, c'est s'égarer loin de la vérité. Voilà pourquoi l'apôtre parle de la connaissance de Dieu dans un sens tout spirituel : « Nous ne voyons Dieu maintenant, dit-il, que comme dans un miroir, mais un jour nous le verrons face à face. » En effet, le spectacle de la vérité n'a été donné qu'à peu de mortels. C'est ce qui fait dire à Platon, dans l'Épinomide : « Je n'oserais pas affirmer qu'il soit possible à tous les hommes d'arriver à la félicité et à la béatitude, elles ne sont le partage que d'un petit nombre. Telle sera ma croyance, tant que je serai ici bas ; mais j'ai le bon espoir qu'après ma mort je serai mis en possession de toutes choses. » Ces paroles de Moïse n'expriment-elles pas la même pensée ? « Nul ne verra ma face sans mourir. » Il est clair, en effet, que nul, pendant le cours de cette vie mortelle, ne peut connaitre Dieu complètement. Mais « ceux qui ont le cœur pur verront Dieu, » lorsqu'ils seront parvenus à la perfection suprême. Comme notre âme était trop faible pour comprendre ce qu'il lui fallait comprendre, et qu'elle avait besoin d'un divin instituteur, le Seigneur fut envoyé du haut des cieux à l'humanité, pour lui enseigner le bien, pour la mettre en possession du bien, mystérieux et auguste initiateur dans les grands secrets de la Providence. « Que sont devenus les docteurs de la loi, dit l'apôtre? Que sont devenus les esprits curieux des sciences de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ?» Et ailleurs : « Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants, » c'est-à-dire, de ceux qui se croient sages, et qui se passionnent pour les disputes. Quelle profondeur dans les recommandations de Jérémie! Voici ce que dit le Seigneur : « Allez sur les chemins et interrogez les anciens sentiers pour connaitre la bonne voie et marchez-y, et vous trouverez de quoi purifier vos âmes. » Interrogez, dit-il, ceux qui savent, prêtez l'oreille à leurs paroles, mais avec une docilité ennemie de toute controverse et de toute contestation. Une fois que nous aurons appris quelle est la voie de la vérité, marchons en avant, sans jamais regarder en arrière, jusqu'à ce qu'enfin nous soyons parvenus au terme désiré de nos efforts. Ce fut donc avec raison que Numa, roi des Romains, et sectateur des dogmes de Pythagore, consacra le premier un temple en l'honneur de la Foi et de la Paix. « Abraham croit à la parole de Dieu ; la foi d'Abraham lui est imputée à justice.» Le juste des anciens temps s'adonnait d'abord à la contemplation des phénomènes qui se passent dans l'air, et suivait avec un œil curieux et philosophique, le mouvement des astres qui roulent dans les cieux. Voilà pourquoi on l'appelait Abram, qui signifie père sublime. Un jour qu'il levait les yeux au ciel, soit qu'il eût aperçu en esprit le Fils, comme le veulent quelques-uns, soit que ce fût un ange revêtu de gloire, soit que dans ses sublimes investigations il eût reconnu un Dieu, mille fois plus admirable que toute la création et que l'harmonie de ses œuvres, il accrut son nom de l'alpha, symbole de la connaissance d'un seul et unique Dieu, et au lieu d'Abram, il s'appela Abraham. Tout à l'heure, c'était un philosophe qui sondait les secrets de la nature ; maintenant, c'est un sage et un ami de Dieu. En effet, Abraham signifie père élu, père de la parole retentissante, parce que la parole articulée par la voix a du retentissement. Le père de la parole, c'est l'esprit, et l'esprit de l'homme vertueux est un esprit élu. Je ne saurais donner trop d éloges au poète d'Agrigente, qui célèbre ainsi la foi dans les vers suivants : « Mes bien-aimés, je sais que la vérité réside au fond de mes discours ; mais l'acquiescement à la vérité est chose ardue et laborieuse ; les élans de la foi ne pénètrent que difficilement dans le cœur de l'homme. » Voilà pourquoi l'apôtre aussi nous ordonne « de ne pas établir notre foi sur la sagesse des hommes » qui se vantent de posséder les secrets de la persuasion, « mais sur la puissance de Dieu, » seule capable de conduire au salut par la foi pure et simple, sans le secours d'aucune démonstration. « Qui possédera mieux la science de sauver, dit Héraclite d'Ephèse, que celui dont la vertu a été le plus éprouvée ? Ajoutons que la justice viendra saisir un jour les architectes et les témoins du mensonge ; » car ce philosophe connaissait, pour l'avoir apprise de la philosophie barbare, cette purification par le feu destinée à ceux qui ont mal vécu, et nommée plus tard conflagration par les disciples du Portique. C'est d'après le même philosophe que les Stoïciens enseignent que ceux qui ont eu telle et telle qualité reviendront à la vie, fortifiant par cette déclaration le dogme de la résurrection. Platon dit que la terre est purifiée à certaines époques par l'eau et par le feu ; voici ses paroles : « De tous les fléaux qui ont déjà moissonné la multitude des générations sur la surface de l'univers, l'eau et le feu sont ceux qui en emporteront davantage, quoique de moindre durée que les mille autres calamités de la terre. » Il ajoute un peu après : « La vérité est qu'après un long intervalle de temps et quand s'est accomplie la révolution des astres qui roulent autour de la terre et du ciel, une vaste conflagration porte la ruine sur une partie du globe. » Puis il parle du déluge : « Lorsque les dieux, afin de purifier la terre par l'eau, l'ensevelissent sous quelque cataclysme, les hommes qui habitent les montagnes échappent à la mort ; ce sont les pâtres et les bouviers; mais les habitants de vos cités sont entraînés à la mer par les fleuves. » Nous avons prouvé, dans notre premier livre des Stromates, que les philosophes de la Grèce méritaient le titre de plagiaires, pour avoir dérobé à Moïse et aux prophètes leurs principaux dogmes, et cela sans reconnaître la source de l'emprunt. Nous ajouterons que, parmi les anges auxquels était tombée en partage la demeure du ciel, les uns s'étant abaissés à de honteuses voluptés, révélèrent aux femmes, dont la beauté les avait séduits, les mystères divins, et tout ce qui était venu à leur connaissance, tandis que les autres anges gardèrent le secret de ces mystères, ou plutôt les tinrent en réserve jusqu'à l'arrivée du Seigneur. De là vinrent le dogme de la Providence, et la révélation des choses de Dieu. De plus, la pensée des prophètes avait déjà été livrée aux Grecs par la voie de la traduction. Quand leurs philosophes en abordèrent la partie dogmatique, ils touchèrent parfois le but, parce qu'ils avaient saisi le sens véritable ; mais ailleurs ils s'égarèrent, faute de pouvoir percer le voile allégorique de la prophétie. Notre intention est de faire quelque remarque à ce sujet, aussitôt que nous aurons poursuivi l'examen des questions plus urgentes. Nous le disions, la foi ne doit point marcher isolée et oisive, mais conduite par l'esprit d'investigation. Loin de nous la pensée d'exclure toute recherche : « Cherchez, dit le Seigneur, et vous trouverez. » Selon Sophocle, « la vérité que l'on cherche activement, on peut la découvrir ; elle échappe, si on ne la poursuit qu'avec mollesse. » Même pensée dans Ménandre le Comique : « Tous les sages sont d'avis que ce que l'on cherche réclame du soin et de l'attention. » Mais il faut appliquer à la recherche la faculté clairvoyante de l'âme, écarter tous les obstacles qui pourraient gêner la découverte, et repousser loin de soi les querelles, l'envie et la dispute, un des plus redoutables fléaux de l'humanité. Timon de Phliase a écrit ces paroles pleines de sens et de raison : « Alors accourt la dispute aux paroles vides et sonores ; point de monstre plus cruel. C'est la compagne et la digne sœur de la querelle homicide. Elle s'attaque à tout, et se glisse partout ; puis, affermissant dans le mal l'esprit de l'homme, elle le précipite dans les folles espérances. » Le poète ajoute un peu plus bas : « Qui donc alluma leur fureur ? qui leur mit en main les armes de la cruelle dispute ? La multitude, rivale de la nymphe Echo. Irritée contre le Silence et la Réserve, elle répandit un jour une épidémie de paroles au milieu des hommes, et beaucoup en moururent. » Le poète désigne ici le pseudomène, le dilemme, le dialélèthe, le crocodile, le sorite, l'argument voilé, l'amphilogie, le sophisme. Chercher à approfondir la nature de Dieu, avec le désir de se rapprocher de lui, et non dans un vain amour de dispute, est donc un exercice salutaire, car il est écrit dans David: « Les pauvres mangeront et seront rassasiés. Vous qui cherchez le Seigneur, vous célébrerez ses louanges ; et votre cœur vivra éternellement. » Qu'est-ce à dire? Ceux qui cherchent avec la manière véritable de chercher, les louanges du Seigneur sur les lèvres, seront rassasiés du don de la connaissance qui vient de Dieu, et leur âme vivra. Le saint roi appelle ici allégoriquement du nom de cœur l'âme, principe de notre vie, et leur âme vivra, dit-il, par ce qu'on arrive par le Fils à la connaissance du Père. Faudra-t-il toutefois prêter une oreille confiante à tous ceux qui parlent ou qui écrivent sans la moindre retenue? Gardons-nous en bien. Les coupes que des mains nombreuses prennent par les oreilles, c'est-à-dire par les anses, usées par le frottement, perdent bientôt leurs oreilles, et finissent par se briser elles- mêmes en tombant à terre. Il en va de même de ceux qui prostituent les chastes oreilles de la foi aux mille frivolités du monde; ils deviennent à la fin sourds à la voix de la vérité, et tombent à terre, impuissants désormais pour le bien. La recommandation emblématique que nous adressons aux enfants, « Baisez vos amis et vos proches en leur touchant l'oreille, » est donc pleine de sagesse, puisqu'elle les avertit symboliquement que c'est par l'ouïe que s'engendre dans l'âme le sentiment de la charité « Dieu est amour; » il se donne à connaître à tous ceux qui l'aiment, comme aussi, « Dieu est fidèle, » il se communique aux fidèles par la voie du précepte. II faut que nous nous confondions en lui par les liens de l'amour divin, afin de contempler la sainteté infinie à l'aide de la sainteté qui lui ressemble, ouvrant une oreille docile et sincère à la parole de la vérité, purs et simples comme les enfants qui nous obéissent. Tel était le sens mystérieux de cette inscription, quelle que soit la main qui la grava jadis à l'entrée du temple d'Epidaure. « Il faut être pur pour entrer dans l'enceinte sacrée du temple. La pureté consiste à n'avoir que de saintes pensées. » « Si vous ne devenez, dit le Seigneur, comme ces petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. » En effet, le temple de Dieu repose ici-bas sur trois fondements, la Foi, l'Espérance, la Charité. [5,2] CHAPITRE II. Les écrivains de la Grèce nous ont fourni des témoignages assez nombreux à l'appui de la Foi. Prendre à tâche de rassembler la multitude des passages où ils ont parlé de l'Espérance et de la Charité, ce serait nous jeter dans des commentaires sans fin ; il nous suffira de dire que, dans le Criton, Socrate, préférant à la vie en elle-même une vie et une mort glorieuses, affirme que l'espérance d'une autre vie existe après la mort. J'ouvre le Phèdre : « L'âme, dégagée des sens et vivant de sa propre vie, peut seule participer à la sagesse véritable et supérieure aux forces humaines. Cela arrive quand l'amour de la terre l'élève sur ses ailes jusqu'au ciel, et la conduit par la dilection philosophique à la fin de l'espérance. Alors, dit-il, elle entre dans une autre vie, qui est éternelle. » On lit dans le Banquet : « Tout être porte en soi un amour inné d'engendrer son semblable, l'homme vulgaire d'engendrer un homme, l'homme vertueux un homme qui lui ressemble. Mais l'homme de bien n'y peut parvenir sans les vertus parfaites par lesquelles il instruira les jeunes gens qui viennent à lui. Alors, comme le dit le Théétète, il engendrera et produira des hommes. Car aux uns est donnée la fécondité de l'âme, aux autres la fécondité du corps. » Rien de plus juste; former une âme par l'enseignement de la foi et lui ouvrir les yeux à la lumière véritable s'appelle aussi dans la philosophie barbare la régénérer. « C'est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ, » dit quelque part le divin apôtre. Empédocle inscrit au nombre des principes l'amour dont il fait une force sympathique qui attire et conserve l'harmonie universelle : « Contemple-la, dit-il, avec le regard de l'âme ; mais jamais, enseveli dans la matière, tu ne la verras avec les yeux du corps. » Parménide fait ainsi allusion à l'Espérance, dans son poème : « Considère en esprit les choses absentes avec la même certitude que si elles étaient présentes ; car ton esprit ne séparera jamais ce qui est de ce qui sera, ni les choses disséminées en tous lieux de celles qui sont concentrées sur un seul point. » [5,3] CHAPITRE III. Celui qui croit, comme celui qui espère, ne voient qu'en esprit les choses perceptibles uniquement à l'intelligence et celles que promet l'avenir. Quand nous disons : telle chose est juste; telle autre est belle et honnête; ceci est la vérité ; jamais nous n'avons aperçu avec les yeux du corps, mais seulement avec ceux de l'esprit, ce qui est juste, honnête, vrai. « Je suis la Vérité, nous dit le verbe de Dieu ; c'est donc avec l'œil de l'esprit qu'il faut contempler le Verbe. » Quels sont, à votre jugement, les véritables philosophes ? — Je vous l'ai déjà dit : « Ceux qui s'adonnent à la contemplation de la vérité.» Platon affirme dans le Phèdre que la vérité est l'idée éternelle. Or, l'idée éternelle est l'intelligence de Dieu, ce que les barbares appellent le Verbe de Dieu. Au reste, empruntons au philosophe ses propres paroles : « Il ne faut pas craindre de publier la vérité, surtout quand on parle sur la vérité. L'essence véritable, sans couleur, sans forme, impalpable, ne peut être contemplée que par le guide de l'âme, par le Dieu qui la gouverne. » Ce Verbe, en se produisant au dehors, est l'auteur de la création. Dans la suite des temps, il s'engendra lui-même en s'incarnant pour se rendre visible à nos yeux. Le juste visera donc à ces investigations qui ont leur source dans l'amour, et au terme desquelles on trouve la béatitude. « Frappez, nous dit l'évangéliste, et il vous sera ouvert ; demandez, et il vous sera donné. » Car ceux qui ravissent le ciel, sont les violents, et ils ont pour armes non les sophismes et l'orgueil de la dispute, mais l'infatigable persévérance de la piété. Cette violence qu'ils font au royaume des cieux n'est pas autre chose que l'assiduité de leurs prières qui efface les souillures contractées par les fautes antérieures. « Tu peux, dit le poète, triompher du mal, et de toute sa puissance ; Dieu vient en aide au combattant qui lutte avec courage. « Les faveurs des Muses ne sont pas à la portée du premier venu. Elles demandent des efforts et veulent être emportées d'assaut. » Savoir qu'on ne sait rien, est le premier degré de la science dans celui qui marche selon l'esprit du Verbe. Cet homme ignorait, il a demandé ; après avoir demandé, il a trouvé le maître; après l'avoir trouvé, il a cru ; après avoir cru, il a espéré ; après avoir été conduit de l'espérance à l'amour, il s'assimile à l'objet aimé, en s'appliquant à devenir ce qu'est l'objet de son amour. Telle est à peu près la méthode que Socrate indique à Alcibiade. « Crois-tu, lui demande le jeune Athénien, que je ne puisse savoir d'ailleurs ce que c'est que le juste ? — Tu le sais si tu l'as trouvé. — Et crois-tu que je ne l'aie pas trouvé ? — Tu l'as trouvé si tu l'as cherché. — Penses-tu donc que je ne l'aie pas cherché ? — Tu l'as cherché si tu as cru l'ignorer. » C'est là le sens symbolique de ces lampes que les vierges prudentes allument au milieu des épaisses ténèbres de l'ignorance, que l'Écriture appelle du nom de nuit. Pareilles à des vierges sans tache, les âmes sages et prudentes, à la pensée qu'elles vivent dans la nuit de ce monde, allument leurs lampes, éveillent leur intelligence, éclairent l'obscurité qui les environne, dissipent les ténèbres de l'ignorance, cherchent la vérité et attendent l'avènement du maître. « Il est donc impossible à la multitude, me disais-je, de connaître la philosophie ? » « Beaucoup prennent le thyrse, mais peu sont inspirés par le dieu, » suivant Platon. « En effet, beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. Tous ne sont pas éclairés, dit l'apôtre. Priez pour nous, afin que nous soyons garantis des hommes importuns et méchants ; car la foi n'est pas à tous. » Un philosophe du portique, Cléanthe, exprime la même pensée dans les vers suivants : « Veux-tu arriver promptement à la sagesse ? ne vise point à la renommée. Ne te laisse pas effrayer non plus par l'opinion aveugle et désordonnée de la foule. De jugement et d'intelligence, il n'y en a pas dans la multitude ; à peine rencontreras-tu ce trésor chez quelques mortels privilégiés. » Le poète comique s'énonce avec plus de brièveté et sous une forme plus dogmatique : « Il ne convient pas de livrer au tumulte de la multitude ce qui est beau. » Poètes et philosophes avaient entendu, j'imagine, quelques accents de l'éternelle Sagesse, quand elle nous dit : « Au milieu des insensés, gardez vos paroles pour un autre temps ; mais soyez assidu parmi les sages. » Et ailleurs : « Les sages renferment leur science en eux-mêmes. » Pourquoi cela ? C'est qu'il faut à la multitude des preuves palpables à l'appui de la vérité : le salut qui vient de la foi ne lui suffit pas, s'il est seul. « Il est dangereux de croire à la parole des méchants, quoiqu'ils aient souvent le dessus. Ecoute ce qu'enseigne notre muse : Déchire l'enveloppe du discours ; au fond de ses entrailles est la science. » « C'est en effet la coutume des méchants, dit Empédocle, de vouloir triompher de la vérité par leur incrédulité même. » Que nos doctrines reposent sur des preuves solides et dignes de créance, les Grecs le reconnaitront, s'ils donnent une attention plus sérieuse aux commentaires qui vont suivre. Les semblables, en effet, sont enseignés par les semblables. C'est la pensée de Salomon dans cette maxime : « Réponds au fou ce qui convient à sa folie. » A ceux donc qui demandent une sagesse humaine et dont les éléments sont en eux, il faut offrir des enseignements analogues, et qui leur sont familiers, afin de les amener plus facilement, par les routes qui leur conviennent, à croire aux paroles de la vérité. « Je me suis fait tout à tous, dit l'apôtre, pour les gagner tous. » La pluie de la grâce divine ne tombe-t-elle pas également sur les bons comme sur les méchants ? « Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs, s'écrie l'illustre apôtre ? Ne l'est-il pas aussi des Gentils ? Oui certes, il l'est aussi des Gentils, puisqu'il n'y a qu'un Dieu. » [5,4] CHAPITRE IV. Vous refusez de croire au bien, par des motifs de sagesse, et à la connaissance en tant que voie de salut, dites-vous ? — Eh bien ! adoptons un moment vos dogmes, d'abord parce que tout émane de Dieu, mais surtout parce que vos traditions les plus belles et les plus élevées sont un emprunt que vous nous avez fait, et parlons à vos oreilles le langage qu'elles sont capables d'entendre. Le vulgaire, en général, adopte pour mesure de la sagesse ou de la justice, non pas la vérité elle-même, mais ce qui le flatte ; et rien de plus agréable pour lui que les choses qui lui ressemblent. Tout ce qui est sourd et aveugle, et conséquemment tout ce qui n'a ni l'intelligence, ni le regard ferme et pénétrant de l'âme contemplative, qualité que le Seigneur seul peut donner, n'étant pas encore pur, ni digne de la chaste vérité, mais au contraire demeurant étranger aux lois de l'ordre, de l'harmonie, et toujours plongé dans la matière, doit se tenir hors du chœur divin, comme on écarte un profane de l'entrée des mystères, comme on éloigne des chœurs un homme qui ne sait ni la danse ni la musique. « Nous communiquons les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. » Voilà pourquoi les Égyptiens par leur adyte, les Hébreux par le voile de leur temple figurèrent sous forme de symbole, cette parole sacrée et vraiment divine, cette parole qui nous est si nécessaire, et qui repose dans le sanctuaire de la vérité. Pénétrer dans l'adyte, et soulever le voile mystérieux, n'était permis qu'à ceux qui étaient consacrés, c'est-à-dire voués à Dieu, et qui avaient circoncis leur cœur pour en retrancher les désirs mauvais et n'y laisser de place qu'a l'amour de Dieu. Platon aussi regarde comme un crime « que ce qui est impur touche à ce qui est pur. » Voilà pourquoi les prophéties et les oracles enveloppent leurs réponses de mystérieuses obscurités ; voilà pourquoi on n'admet point le premier venu à la célébration des mystères : l'initiation demande des purifications et des enseignements préparatoires. « La muse n'était pas alors avide de gain, ni descendue au rang de mercenaire. Les doux chants de Terpsichore, avec leur voix de miel, et leur front d'argent, n'avaient pas encore appris à se vendre. » Dans l'éducation égyptienne, le disciple commence par apprendre le système des lettres égyptiennes, que l'on nomme Epistolographiques ; vient ensuite le système des lettres hiératiques, à l'usage des prêtres qui écrivent sur les choses sacrées; on achève par le système des Hiéroglyphiques. Ces dernières se divisent en deux classes; les unes sont élémentaires et destinées à exprimer par les lettres de l'alphabet le sens propre des mots; on les nomme Kyriologiques ; les autres sont appelées Symboliques. La méthode Symbolique se subdivise en trois espèces : l'une représente les objets au propre par imitation ; l'autre les exprime d'une manière figurée ; la troisième se sert entièrement d'allégories exprimées par certaines énigmes. Ainsi, dans l'espèce kyriologique les Égyptiens veulent-ils écrire le soleil, ils font un cercle; la lune, ils tracent la figure d'un croissant? Dans la méthode figurée, changeant et détournant les objets par voie d'analogie, ils les représentent soit en modifiant leur image, soit en lui faisant subir divers genres de transformation. C'est ainsi qu'ils emploient les anaglyphes, ou bas-reliefs, quand ils veulent transmettre les louanges de leurs rois sous forme de mythes religieux. Voici un exemple de la troisième espèce qui met en usage les allusions énigmatiques. Les Égyptiens figurent les autres astres par le corps d'un serpent à cause de l'obliquité de leur marche ; mais ils représentent le soleil sous la forme d'un scarabée, parce que cet insecte, après avoir pétri en masse circulaire la fiente du bœuf, la roule sur lui-même par un mouvement rétrograde. Ils croient qu'il passe six mois sous la terre et qu'il vit sur la surface du sol le reste de l'année. Ils ajoutent qu'il injecte dans le sphéroïde formé par lui un germe spermatique, qu'il se reproduit par cette voie. et qu'il ne naît aucun scarabée femelle. Pour le dire eu un mot, tous ceux qui ont traité des mystères divins, qu'ils soient Grecs, ou qu'ils soient Barbares, ont pris soin de dérober aux yeux du vulgaire les vrais principes des choses. Il n'ont transmis la vérité à la multitude qu'enveloppée d'énigmes, de symboles, d'allégories, de métaphores et de mille autres figures analogues. Tels furent les oracles chez les Grecs. De là vient qu'Apollon Pythien est surnommé Loxias, c'est-à-dire l'oblique. Il en est de même de ces apophtegmes prononcés par les sages de la Grèce, et qui renferment en quelques mois une haute signification. Je prends pour exemple cet adage : « ÉPARGNE LE TEMPS : » soit que notre vie étant courte, il ne faille pas la consumer en extravagances; soit que d'autre part il y ait là un avertissement de modérer nos dépenses privées, afin que le nécessaire ne nous manque jamais, dussions-nous vivre des centaines d'années. Que de choses encore sous cet autre apophtegme : CONNAIS-TOI TOI-MÊME! Sache que tu es mortel, nous dit-il ; que tu es homme, et qu'en face des biens du premier ordre que l'on peut acquérir ici-bas, tu te glorifies du néant en vantant ta gloire et tes richesses; ou bien encore : sache que, nageant dans l'opulence on élevé en honneur, tu ne dois pas te prévaloir des seuls avantages par lesquels tu surpasses les autres. Loin de la! rappelle-toi pour quelle fin tu es né, de qui tu portes l'image, quelle est ta nature, quel est ton Créateur, quels sont tes rapports avec Dieu, et autres choses semblables. L'Esprit saint nous dit aussi par la bouche du prophète Isaïe : « Je te donnerai des trésors secrets et cachés. » Or, les trésors de Dieu, les richesses intarissables, ne sont rien moins que la sagesse, dont l'acquisition demande tant de labeurs. Il y a mieux, les poètes qui ont appris dans les prophètes hébreux ce qu'ils savent des mystères divins, cachent leur pensée sous des formes allégoriques. Cette observation s'applique à Orphée, à Linus, à Musée, à Homère, à Hésiode, et généralement à tous ceux qui ont montré quelque sagesse dans ces matières. L'enthousiasme poétique jette le symbole comme un voile entre soi et la multitude. Sous les songes, sous les allégories, se remue quelque chose de caché, non que Dieu nous dérobe la science; qui pourrait sans crime le supposer accessible aux passions humaines? Il veut seulement que notre intelligence, obligée de pénétrer l'enveloppe mystérieuse, se replie sur elle-même pour découvrir la vérité. Voilà pourquoi nous lisons dans Sophocle : « Jamais cette conviction ne m'abandonnera. Dieu révèle aux sages le sens caché des oracles ; aux âmes communes il ne révèle que le mal. Il enseigne beaucoup de choses en peu de mots » Le poète a dit le mal, pour désigner toute chose vulgaire et sans portée. C'est ce qui a inspiré au prophète roi, dans les Psaumes, la déclaration formelle que l'Écriture tout entière est une parabole. « Écoute ma loi, ô mon peuple ! s'écrie-t-il ; incline l'oreille aux paroles de ma bouche : je te parlerai en paraboles, je te montrerai en figures les choses cachées depuis le commencement. » L'illustre apôtre tient à peu près le même langage : « Nous prêchons néanmoins la sagesse aux parfaits, non pas la sagesse de ce monde, ni des princes de ce monde qui passent ; mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans son mystère, qui était demeurée cachée, que Dieu avant tous les siècles avait prédestinée et préparée pour notre gloire, qu'aucun des princes de ce monde n'a connue, puisque, s'ils l'eussent connue, il n'eussent jamais crucifié le maitre de la gloire. » Les philosophes de la Grèce ne furent pas complices des outrages qui accueillirent l'avènement de notre Seigneur. L'apôtre ne peut donc s'élever ici que contre la vaine science de ceux d'entre les Juifs qui se croyaient sages. Aussi ajoute-t-il : « Nous prêchons la sagesse de laquelle il est écrit, l'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. Mais pour nous, Dieu nous l'a révélé par son Esprit ; car cet esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu.» Il savait bien, l'apôtre des nations, que le disciple de l'Esprit, envoyé par Dieu, et qui est l'intelligence elle-même du Christ, est spirituel et gnostique, tandis que « l'homme animal ne peut comprendre les choses qui sont de l'esprit de Dieu ; elles lui paraissent une folie. » Paul, pour distinguer la perfection gnostique de la foi commune, appelle cette dernière tantôt le lait des faibles, tantôt le fondement de l'édifice. C'est ainsi qu'il écrit: « Et moi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ; et comme à des enfants en Jésus-Christ. Je ne vous ai nourris que de lait, et non pas de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas alors capables ; et à présent même, vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels. En effet, puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'est-il pas visible que vous êtes charnels et que vous vous conduisez selon l'homme. » Telle est, en effet, la route dans laquelle s'engagent volontairement les pécheurs. Ceux, au contraire, qui tiennent leurs pas éloignés de cette route, comprennent les choses divines et participent à la nourriture de la connaissance. « Selon la grâce que Dieu m'a départie, poursuit l'apôtre, j'ai posé le fondement comme un sage architecte. D'autres bâtissent là dessus un édifice d'or, d'argent et de pierres précieuses.» Voilà les édifices que la connaissance élève sur la foi qui est en Jésus-Christ. Le chaume, le bois et le foin sont les masures ruineuses que dresse l'hérésie; « mais le feu mettra l'ouvrage de chacun à l'épreuve. » Dans l'épitre aux Romains, l'apôtre désigne encore indirectement l'édifice de la connaissance: « Je désire vous voir, afin de vous faire participer à quelque grâce spirituelle destinée à vous affermir. » De pareils dons ne pouvaient se communiquer ouvertement par des lettres. [5,5] CHAPITRE V. Pythagore a emprunté ses symboles à la philosophie barbare, avec la précaution toutefois de déguiser ses larcins. Le philosophe de Samos nous dit, par exemple : « N'ayez point d'hirondelle dans votre maison, » ce qui signifie : n'accueillez pas sous votre toit le bavard, dont la langue toujours murmurante n'a pas de frein, et qui est incapable de garder le secret qui lui a été confié. « L'hirondelle, la tourterelle et le passereau des champs savent le temps de leur passage » suivant l'Écriture, et il ne faut pas habiter avec une langue futile. En vérité, c'est avec raison que l'on chasse de son toit la tourterelle dont l'éternel roucoulement rappelle les ingrates récriminations de la plainte. « Ne roucoulez pas sans fin à mes oreilles, » dit le poète. Quant à l'hirondelle, qui la garderait chez soi? Elle nous remet en mémoire la fable où figure la fille de Pandion, avec les crimes abominables exécutés sur elle, s'il en faut croire la renommée, tragiques aventures dont Térée souffrit une moitié, dont il consomma l'autre. Autre raison : l'hirondelle fait la guerre aux cigales, ces musiciennes des champs; il est juste de chasser tout persécuteur de la parole. « Par Junon, dont la main est armée du sceptre et qui contemple sous ses pieds les hauteurs de l'Olympe. dit le poète, une garde fidèle environne ma langue. » « Ma langue est tenue sous clé, » s'écrie Eschyle. Voici venir Pythagore avec ses prescriptions énigmatiques. « — Après avoir enlevé du feu la marmite, n'en laissez pas l'empreinte sur la cendre, mais effacez-la. — Une fois sorti du lit, retournez les couvertures. » Il nous donnait à entendre par-là non seulement qu'il faut détruire tout faste et tout orgueil, mais encore effacer les derniers vestiges de la colère. La fougue de la passion est elle tombée? apaisons la colère elle-même et détruisons au fond de notre cœur jusqu'au souvenir de l'affront. « Que le soleil ne se couche point sur votre colère, » dit l'Écriture. Celui qui a prononcé cet oracle : « Tu ne désireras point, » a supprimé par-là même tout ressentiment de l'outrage que nous avons reçu. Car la colère n'est que l'impulsion du désir, soulevant une âme tout à l'heure tranquille, et la poussant à une vengeance sans mesure comme sans raison. De même, quand Pythagore nous conseille de retourner notre lit, il nous dit tout bas de perdre la mémoire de quelque songe obscène qui souilla notre sommeil du jour, ou d'oublier nos voluptés nocturnes. Peut-être aussi veut-il par là que nous dissipions les ténébreuses chimères de notre imagination par le flambeau de la vérité. « Si vous vous mettez en colère, gardez-vous de pécher, » suivant David. Qu'est-ce à dire ? Combattez les emportements de votre imagination, et ne consommez pas la colère en y ajoutant le sceau d'un fait. « Ne navigue point sur terre » est encore une défense symbolique de Pythagore, comme s'il nous avait dit : Refusez l'office de publicain, et les charges analogues, parce que ces fonctions sont pleines d'incertitude et d'écueils. Voilà pourquoi notre Seigneur nous assure qu'il est difficile aux publicains de faire leur salut. Le philosophe de Samos nous défend encore de porter au doigt des anneaux, ou de graver sur des bagues l'image des dieux. Il ne fait que suivre ici l'exemple que Moïse avait donné bien des siècles avant lui, lorsqu'il interdit par une loi formelle de dresser aucun simulacre de la Divinité, qu'il fût taillé, jeté en fonte, peint, ou modelé. Prohibition pleine de sagesse ! Le législateur voulait qu'au lieu de s'arrêter à la matière, notre esprit s'élevât dans les régions de l'intelligence. Il n'est que trop vrai, la majesté de Dieu perd de son éclat dans les familiarités du regard ; et adorer sous une forme sensible un être incorporel qui n'est perceptible qu'aux yeux de l'âme, c'est le ravaler par l'intermédiaire des sens. Ainsi pensaient les plus sages d'entre les prêtres égyptiens, quand ils décidèrent que le temple de Minerve n'aurait pas de toit. Ainsi pensaient les Hébreux qui érigèrent un temple, vide de simulacres. Mais il y a des hommes qui, pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû, se prosternent devant une image où est représenté le ciel avec les astres, trompés sans doute par ce passage de l'Ecriture : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Il ne sera pas hors de propos de citer ici un mot du pythagoricien Eurysus. Il venait de dire, dans son ouvrage intitule, De la fortune, que le Créateur, en faisant l'homme, l'avait formé sur son modèle ; il ajoute : « Le corps est semblable aux autres créations, comme ayant été formé de la même matière ; mais il 'est sorti des mains d'un ouvrier sublime qui, en créant l'homme, se prit lui-même pour archétype. » En un mot, Pythagore, les disciples auxquels il donna son nom, et Platon, sont, de tous les philosophes, ceux qui ont en le plus de commerce avec le législateur hébreu, ainsi qu'il est facile de s'en convaincre par leurs dogmes. Et lorsque, par une sorte de perspicacité divinatrice, que secondait l'inspiration divine, ils se furent rencontrés avec le sens de certaines prophéties, et qu'ils eurent recueilli quelques parcelles élémentaires de la vérité, ils honorèrent celle-ci d'appellations non équivoques, mais qui n'allaient point au-delà de cette manifestation extérieure, possesseurs de ce qui menait à la vérité plutôt que de la vérité elle-même. C'est pourquoi la philosophie de la Grèce ressemble à la flamme d'une torche que les hommes allument artificiellement avec les rayons dérobés au soleil. Mais une fois que le Verbe fut proclamé, la sainte lumière brilla dans toute sa splendeur. La flamme d'emprunt est sans doute utile pendant les ténèbres dans les édifices ; mais le feu indéfectible éclaire le jour, et la nuit tout entière est illuminée par le soleil des intelligences. Poursuivons. Tout ce que Moïse a dit sur la justice, Pythagore l'a résumé dans cette maxime symbolique : « Ne saute point par-dessus la balance ; » ce qui signifie : Aie soin de ne pas transgresser la loi de l'équité qui doit régner dans tous les partages, et sois fidèle aux réclamations de la justice. « Qui unit les amis aux amis, les cités aux cités, les combattants aux combattants ? La justice. L'égalité est la loi naturelle des hommes. Le plus et le moins sont toujours en lutte ouverte ; de là sont nés les premiers ferments de la haine. » Voilà pourquoi le Seigneur nous dit : « Prenez mon joug, car il est doux et léger. » Voit-il ses disciples se disputer entre eux les premières places, il leur recommande la simplicité et l'égalité, en les avertissant « qu'il leur faut devenir comme de petits enfants. » L'apôtre va se rapprocher du maitre : « En Jésus-Christ, il n'y a plus d'esclave ou d'homme libre, de Grec ou de Juif; car l'homme que le Christ a créé en nous est nouveau, » ennemi des querelles, exempt d'avarice, observateur d'une juste égalité, parce que « l'envie, les rivalités et les soucis sont exclus du chœur des élus. » Aussi les Mystagogues nous disent-ils symboliquement : « Ne mangez pas votre cœur, » pour nous faire entendre qu'il ne faut pas nous ronger l'âme par les soucis et nous attrister des événements qui surprennent notre prudence et notre volonté. Il est en effet bien malheureux, celui qu'Homère aussi nous représente « errant seul et rongeant son cœur. » En outre, quand l'Évangile, les apôtres et tous les prophètes, nous montrent deux voies, l'une qu'ils nomment la voie étroite, parce qu'elle est resserrée entre la défense et le précepte, l'autre qui est opposée à celle-ci, et qu'ils nomment la voie large et spacieuse, parce qu'elle ouvre un libre passage à la colère et à la volupté ; quand de plus ils ajoutent : « Heureux l'homme qui n'est pas entré dans le conseil de l'impie et qui ne s'est pas arrêté dans la voie des pécheurs, » n'est-il pas évident que ces passages ont donné naissance à la célèbre allégorie de Prodicus de Céos où le vice et la vertu se disputent l'âme d'Hercule ? N'est-ce pas d'après eux que Pythagore, en nous défendant de suivre les voies publiques, ne craint pas de nous tenir en garde contre les opinions de la multitude, presque toujours extravagantes et désordonnées ? Aristocrite, dans la première partie de ses Oppositions, dirigées contre Héracléodore, rapporte une lettre ainsi conçue : « Aetéas, roi des Scythes, au peuple de Byzance : Ne mettez aucun empêchement à la levée de mes tributs, sinon mes cavales iront boire l'eau de vos fleuves. » Le barbare leur annonçait, par ce langage figuré, la guerre qu'il irait porter chez eux. Le poète Euphorion met des paroles semblables dans la bouche de Nestor : « Nous n'avons pas encore abreuvé dans les ondes du Simoïs nos chevaux nés aux plaines de la Grèce. » La coutume où sont les Égyptiens de placer des sphinx devant leurs temples n'a pas d'autre origine que le symbole. Ils nous avertissent par là que les doctrines sur la Divinité sont enveloppées d'énigmes et d'obscurités ; peut-être aussi veulent-ils nous faire comprendre qu'il faut en même temps aimer et craindre Dieu ; l'aimer, parce qu'il est bon et favorable à ceux qui l'honorent, le craindre, parce que sa justice châtie sans miséricorde les impies. En effet, le sphinx, dans sa double forme, représente à la fois l'homme et la bête. [5,6] CHAPITRE VI. Il serait trop long d'expliquer tous les symboles que renferment soit les prophéties, soit les livres de la loi ; car l'Écriture ne manque presque jamais de couvrir ses oracles du voile de l'allégorie. A quiconque est doué d'un esprit droit et sain, il suffira de produire, je l'espère, quelques exemples, pour lui démontrer le fait. Ainsi la destination particulière des sept enceintes du temple antique, consignée aux livres des Hébreux, prouve que la forme allégorique est le caractère des Écritures. Les divers ornements de la robe flottante que revêt le grand-prêtre ne le prouvent pas moins ; emblèmes des phénomènes célestes, ils représentent la formation de l'univers tout entier depuis le ciel jusqu'à la terre. Le rideau et le voile, tissus d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fin lin, signifiaient que la nature des éléments renferme la manifestation de Dieu. En effet, la pourpre vient de l'eau, le lin de la terre ; l'hyacinthe, par sa couleur sombre, ressemble à l'air, comme l'écarlate, au feu. Entre le premier et le second voile, dans l'enceinte qui s'ouvre aux prêtres seuls, était placé l'autel des parfums, symbole de la terre, qui occupe le centre du monde, et de laquelle s'élèvent les vapeurs et les exhalaisons. Le lieu que le grand-prêtre seul avait droit de franchir, à des jours marqués, et qui se trouve entre l'enceinte fermée par le voile et le parvis extérieur destiné à recevoir la multitude des Hébreux, figurait l'espace qui sépare le ciel d'avec la terre. Selon d'autres, c'était le symbole du monde des intelligences et du monde de la matière. Le voile, jeté entre les mystères et l'infidélité du peuple, était tendu devant cinq colonnes, et formait une barrière pour ceux qui se tenaient dans le parvis. N'est-ce pas dans le même sens mystique que cinq pains, rompus par le Sauveur, se multiplient sous les mains de ceux qui l'écoutent ? Car il n'y a que trop de gens qui s'occupent des choses sensibles, comme s'il n'en existait pas d'autres. « Regardez soigneusement autour de vous, dit Platon, de peur que ces révélations n'arrivent aux oreilles de quelque profane. Les profanes sont ceux qui s'imaginent que rien n'existe en dehors de ce qu'ils peuvent saisir fortement avec la main, et qui ne comptent pas au nombre des êtres réels, les actions, la génération, et tout ce qui échappe à la vue. » Tels sont, en effet, ceux qui ne considèrent que les cinq sens. Or, l'ouïe et les organes qui lui ressemblent sont impuissants à percevoir l'idée de Dieu. Voilà pourquoi le Fils est appelé le visage du Père, parce qu'il a voulu se manifester à nos sens ; Verbe incarné, auguste révélateur de l'essence paternelle. « Si nous vivons par l'esprit, conduisons-nous aussi par l'esprit, » nous crie l'illustre apôtre. Les fonctions sacerdotales s'accomplissaient donc à l'ombre du voile, qui séparait de la multitude, placée en dehors, tous ceux qui étaient attachés au ministère sacré. Un second voile dérobait la vue du Saint des saints. Les quatre colonnes qui le soutenaient figuraient les quatre alliances antiques. J'en dis autant du tétragramme mystique, que portaient seuls sur le front ceux auxquels l'entrée du sanctuaire était permise. Ce tétragramme hébreu, en grec g-Iaoue, en français Jéhovah, signifie celui qui est et qui sera. Il y a plus, le mot grec g-theos c'est-à-dire Dieu, se compose aussi de quatre lettres. Le Seigneur, après être demeuré seul dans le monde de l'intelligence, entre dans le monde des corps, avec la connaissance des mystères inénarrables et revêtu d'un nom qui surpasse tout ce que la langue peut exprimer. Le candélabre, placé au côté méridional de l'autel des parfums, représentait le mouvement des sept luminaires qui décrivent des révolutions australes. En effet, à droite et à gauche du candélabre, sortaient six branches, dont chacune soutenait une lampe, parce que le soleil, place comme un candélabre au milieu des autres planètes, distribue la lumière avec une harmonie divine, et à ceux qui sont placés au- dessus de lui, et à ceux qui sont placés au-dessous. Le candélabre d'or cache un autre symbole. Dans cette interprétation, il est le signe non pas seulement de l'éclat extérieur du Christ, mais de cette lumière invisible que, par le ministère des premiers hommes qu'il a régénérés, il envoie en diverses occasions et de plusieurs manières à ceux qui croient et espèrent en lui, à ceux qui ont les yeux tournés vers le flambeau des intelligences. Selon quelques-uns, les sept esprits qui se reposent sur le rejeton en fleurs de la tige de Jessé, sont les sept yeux du Seigneur ; et la table sur laquelle étaient déposés les pains de proposition était placée au nord de l'autel des parfums, parce que les vents qui soufflent avec le plus de violence partent des régions du nord. Peut-être aussi est-ce un emblème du siège distinct des diverses Églises qui, bien que séparées, conspirent à ne former qu'une seule et même Église. Tout ce qui est raconté de l'arche sainte désigne le monde visible à l'intelligence, mais caché et fermé au vulgaire. Les deux statues d'or, ayant chacune six ailes, sont le symbole de la grande et de la petite Ourse, suivant quelques-uns, ou, d'après une interprétation plus heureuse, des deux hémisphères. Le mot de chérubim signifie grande connaissance ! Mais ces chérubins, qui ont douze ailes à eux deux, nous représentent le monde sensible par les douze signes du Zodiaque et par les révolutions du soleil dans ce cercle. C'est dans le même sens, du moins je l'imagine, que la tragédie, portant ses regards sur le domaine de la nature, s'écrie : « Le temps infatigable coule éternellement à pleins bords autour de l'univers. Il n'a d'autre source que lui-même. Et les deux Ourses par le mouvement rapide de leurs ailes, veillent sur le pôle atlantique. » L'impassible Atlas peut figurer le pôle ou bien la sphère immobile, ou mieux encore, l'immobile éternité. Je voudrais cependant attacher une plus noble signification à l'arche, que les Grecs ont appelée g-kibotos, du mot hébreu thébotha, dont la traduction est, un pour un de chaque lieu. Est-elle l'octonaire ? représente-t-elle le monde des idées ? figure-t-elle symboliquement Dieu dont l'immensité embrasse tout l'univers, quoique sans figure et invisible à nos sens ? Ajournons pour le moment cette explication. Nous dirons cependant qu'elle figure le repos dont jouissent les esprits qui glorifient le Seigneur, et dont les chérubins sont ici les emblèmes. N'est-il pas évident que le même Dieu qui a dit : « Tu ne feras aucune image taillée » n'aurait pas ordonné les représentations des chérubins, si elles n'avaient caché un symbole? Il n'y a d'ailleurs dans le ciel aucun être sensible et composé qui leur ressemble. Le visage figure l'âme intelligente ; les deux ailes, les fonctions et les actes élevés qu'accomplissent en nous les organes de notre gauche ou de notre droite ; la voix est l'hymne de gloire qu'entonne l'âme reconnaissante, plongée dans une indéfectible contemplation. Ces interprétations mystiques suffiront, sans qu'il soit nécessaire de les pousser plus loin. La robe trainante du grand pontife est le symbole du monde sensible; les cinq pierres précieuses et les deux escarboucles figurent les sept planètes, mais les deux escarboucles, Saturne et la lune spécialement. Car Saturne occupe la région méridionale; de plus, il est humide, semblable à la terre, et pesant. Quant à la lune, elle est aérienne, semblable à l'air, d'où quelques-uns l'ont appelée Artémise, c'est-à- dire qui fend l'air. (g-aér, air, g-temnô, couper.) Or, l'air est obscur. Moïse nous apprend en outre que les cinq pierres précieuses et les escarboucles, emblèmes des sept anges qui concourent à la génération des choses de notre monde, et que la divine Providence a commis à la garde des sept planètes, sont placés sur la poitrine et sur les épaules, avec l'intention de représenter par leur nombre la première semaine, où l'action créatrice féconda le néant. Ce n'est pas sans raison que la poitrine a été destinée à recevoir cet emblème. La poitrine est le siège du cœur et de la vie. Il se peut aussi que les pierres précieuses, semées ça et là, les unes sur les parties supérieures du corps, les autres sur les parties inférieures, annoncent les différents modes de salut dans quiconque obtient le salut. Les trois cent soixante sonnettes, attachées au bas de la robe flottante du grand- prêtre, représentent la révolution de l'année, l'année de salut et de bénédiction, l'année toute retentissante des paroles qui annoncèrent le miraculeux avènement de Jésus-Christ. De* plus, la tiare d'or, étendue sur la tête du pontife, annonce la puissance royale du Seigneur, puisque le Sauveur est la tête de l'Église. Le signe de la plus haute autorité, c'est assurément une tète que couronne la tiare. Et d'ailleurs, nous savons qu'il a été dit : « Dieu est la tète du Christ » et le père de Jésus-Christ notre Seigneur. En outre, le pectoral se compose de l'éphod, qui est le symbole de l'action, et du rational, symbole de la raison et du Verbe, régulateur universel. Il est l'image du ciel qui fut créé par le Verbe et qui, avec les créations du même ordre et gouvernées par les mêmes lois, se trouve placé au- dessous du Christ, chef de toutes choses. Les deux émeraudes lumineuses qui ornent l'éphod indiquent le soleil et la lune, ces deux auxiliaires de la nature. Or, l'épaule, si je ne me trompe, est l'origine de la main. Les douze pierres précieuses, disposées sur la poitrine par quatre rangs, nous rappellent le cercle du Zodiaque et les quatre saisons de l'année. Ne pourrait-on pas dire aussi que la loi et les prophètes devaient être placés au-dessous de la tête de notre Seigneur, pour indiquer qu'il y a eu des justes dans l'un et l'autre Testament ? En donnant aux apôtres le nom de justes et de prophètes, nous nous serons servis d'une exacte dénomination, puisque c'est le seul et unique Esprit saint qui agit par chacun d'eux. De même que Dieu est au-dessus du monde des corps et par delà le monde des esprits, ainsi le nom gravé sur les lames d'or a été jugé digne de s'élever au-dessus de toute principauté et de toute puissance; auguste emblème, et des commandements écrits, et de la présence divine qui se manifeste en tous lieux. Ce nom a été appelé le nom de Dieu, parce que c'est dans la contemplation éternelle de la bonté du Père, que le Fils agit, le Fils, Dieu nommé Sauveur, principe universel, qui, après avoir le premier et avant les siècles, reproduit dans sa personne l'image du Dieu invisible, forma tous les autres êtres qui ont été faits après lui. Le rational est le symbole de la prophétie qui crie et prêche par la bouche du Verbe ; il annonce également le jugement à venir. N'est-ce pas, en effet, le même Verbe qui prédit, juge et discerne toutes choses ? On veut que la robe longue ait été le symbole prophétique de l'économie de l'incarnation par laquelle le Verbe fut vu de plus près dans le monde. Voilà pourquoi le grand-prêtre, après s'être dépouillé de la tunique sanctifiée, car le monde et les créations de ce monde ont été sanctifiés par celui qui leur donna son auguste approbation quand elles sortirent de ses mains, se lave et revêt l'autre tunique, la tunique du Saint des saints, pour ainsi parler, avec laquelle il entre dans le sanctuaire. Pour moi, je découvre là un symbole sublime. Il me semble que l'homme a la fois prêtre et gnostique, prince en quelque sorte de tous les autres prêtres qui ne sont purifiés que dans l'eau, qui n'ont revêtu que la foi et n'attendent que des tabernacles inférieurs, après avoir discerné du monde des sens le monde de l'esprit, planant au-dessus de tout le collège des prêtres, et s'efforçant de pénétrer jusqu'à l'être qui n'est perceptible qu'à l'intelligence, se purifie de toutes les choses de la terre, sans avoir besoin désormais des ablutions sacerdotales auxquelles il était soumis quand il appartenait à la tribu lévitique. Lorsque le Verbe, principe de toute connaissance, l'a purifié jusque dans le fond du cœur, lorsque sa conduite est sans tache, et qu'il a élevé à un degré plus haut la vie sacerdotale, alors, réellement sanctifié dans toutes les puissances de son être, et par ses œuvres et par ses paroles, nageant dans les magnificences de la gloire, déjà mis en possession de l'ineffable héritage qui attend l'homme spirituel et parfait, héritage « que l'œil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu et que le cœur de l'homme n'a jamais conçu, » devenu fils et ami, il contemple Dieu face à face, et rassasie ses insatiables désirs de contemplation. Mais il vaut mieux laisser ici parler le Verbe lui-même, dont les oracles illuminent bien mieux l'intelligence. Écoutons-le : « Et, se dépouillant de la robe de lin dont il s'était revêtu au moment de son entrée dans le sanctuaire, il la déposera, lavera son corps dans le lieu saint et se revêtira de ses habits.» Mais le Christ, dans le mystère de son incarnation, dépouille et revêt la robe, sanctifiée dans un tout autre sens, et à un autre titre que le prêtre qui a cru par lui. La pensée de l'apôtre est manifeste dans ce passage. C'est de là qu'à l'image du Seigneur, les membres de la tribu sanctifiée que distinguait l' éminence de leurs vertus, étaient promus au pontificat; de là, que l'onction sainte consacrait les élus de la royauté et de la prophétie. [5,7] CHAPITRE VII. Nous trouvons les mêmes précautions chez les Égyptiens. Au lieu de révéler à tous indistinctement le sens de leurs mystères, et de confier aux profanes la connaissance des choses divines, ils n'admettaient à ces initiations que ceux qui étaient destinés à la royauté, et ceux d'entre les prêtres qui avaient pour eux la triple recommandation de l'éducation, de la doctrine et de la naissance. Les symboles de l'Égypte ont donc, par leur sens énigmatique, un grand rapport avec les symboles des Hébreux. L'allégorie égyptienne représente le soleil tantôt sous la forme d'un navire, tantôt sous la forme d'un crocodile. Elle veut indiquer par là que le soleil, traversant l'air doux et humide, engendre le temps dont le crocodile est la figure emblématique, suivant une autre tradition sacerdotale. A Diospolis, ville d'Egypte, on voit, dit on, dans un lieu que l'on appelle le Vestibule sacré, un petit enfant, symbole de la naissance, et un vieillard, symbole de la mort. A côté d'eux, un épervier figure la Divinité, un poisson, la haine. A l'extrémité du tableau allégorique un crocodile exprime l'impudence. L'ensemble du symbole nous parait avoir cette signification : « Ô vous qui naissez et qui mourez, n'oubliez pas que Dieu hait l'impudence. » Les prêtres égyptiens fabriquent encore avec une matière précieuse des oreilles et des yeux, qu'ils consacrent et suspendent dans les temples, sans doute pour avertir les assistants que la Divinité est tout yeux et tout oreilles. Joignez à cela que le lion est chez eux le symbole de la force et du courage ; que le bœuf représente indubitablement la terre, l'agriculture, les aliments; que le cheval est l'emblème du courage et de l'indépendance, et que le sphinx unit la force à l'intelligence, puisqu'il a tout le corps du lion et le visage de l'homme. Veulent-ils désigner la perspicacité, la mémoire, la puissance, l'art et l'industrie? Par un procédé semblable, ils sculptent dans leurs temples l'effigie d'un homme. En outre, dans les banquets des dieux, qu'ils nomment komasies, ils portent autour des tables quatre statues d'or ; la première et la seconde statues représentent un chien, la troisième un épervier, et la quatrième un ibis. Ils appellent ces quatre effigies les quatre lettres. Les deux chiens sont les symboles des deux hémisphères, parce que ceux-ci roulent sur eux-mêmes dans une orbite qu'ils gardent invariablement. L'épervier figure le soleil avec ses rayons enflammés, et sa puissance de destruction ; car les Égyptiens attribuent au soleil les maladies pestilentielles. L'ibis représente la lune ; ses plumes noires rappellent l'ombre, et ses plumes blanches la lumière de cette planète. Selon une autre interprétation, les deux chiens désigneraient les deux tropiques, sentinelles vigilantes qui, placées l'une au seuil des régions australes, l'autre au seuil des régions boréales, surveillent la marche du soleil quand il s'avance vers l'un de ces points. L'épervier serait la ligne équinoxiale, à cause de l'élévation de cette ligne et de la chaleur qui la brûle; l'ibis signifierait le cercle oblique, autrement le Zodiaque. Car c'est l'ibis, parmi les autres animaux, comme le cercle oblique, parmi les autres cercles, qui paraissent avoir conduit les Égyptiens à la découverte de la numération et de l'arpentage. [5,8] CHAPITRE VIII. Ce n'était pas seulement aux plus éclairés d'entre les Égyptiens que l'allégorie était familière ; parmi tous les autres barbares, ceux qui s'adonnèrent à la philosophie adoptèrent également la forme symbolique. L'histoire atteste, ainsi qu'on le voit dans Phérécyde de Syrie, qu'ldanthuras, roi des Scythes, à la nouvelle que Darius avait franchi l'Ister, lui envoya comme symbolique menace de guerre, au lieu d'un message écrit, un rat, une grenouille, un oiseau, une flèche et un soc de charrue. A l'aspect de cet étrange présent, tous, de se demander, comme on pouvait s'y attendre, quelle en était la signification. Un tribun des soldats, Orontopagas, se lève: « Grand roi, dit-il, les Scythes te résignent l'empire ; par le rat, ils te cèdent les maisons, par la grenouille, l'eau ; par l'oiseau, l'air ; par la flèche, leurs armes ; par le soc de la charrue, le pays qu'ils occupent. » Mais Xiphodrès interpréta l'envoi dans un sens tout opposé : « A moins de nous envoler comme les oiseaux, disait-il, de nous cacher sous terre comme les rats, ou sous les eaux, comme les grenouilles, il nous sera impossible d'échapper aux flèches des Scythes ; car nous ne sommes pas maîtres du pays. » Le même historien raconte que, pendant son sommeil, le scythe Anacharsis couvrait de la main gauche l'organe de la virilité, et de la main droite sa bouche, pour faire comprendre qu'il faut réprimer la langue et la volupté, mais plus encore la première que la seconde. Mais qu'est-il besoin de m'arrêter plus longtemps sur les peuples barbares, quand il m'est facile de prouver que les Grecs eux-mêmes ont usé fréquemment de l'allégorie ? Un disciple de Pythagore, Androcide, déclare que les lettres qui portent le nom d'Éphésiennes, et dont la célébrité était fort répandue, étaient de véritables symboles. Askion, par exemple, signifie l'obscurité, (g-A. priv. ; g-skia, ombre ), parce qu'en effet l'obscurité n'a pas d'ombre. Kataskion signifie lumière, parce qu'elle dissipe l'obscurité et les ombres. Aix, chèvre, est l'ancien surnom de la terre ; le mot tétras, c'est-à-dire le nombre quaternaire, désigne allégoriquement l'année à cause des quatre saisons qui la partagent ; Damnaméneus est le soleil, à cause de sa puissance irrésistible (g-Damao, dompter ) et aisia, la parole de vérité, (g-aisa, destin. ) Le symbole n'est autre chose qu'un ornement dont on couvre la science des choses divines, comme les ténèbres, par exemple, comparées avec la lumière, le soleil avec l'année, la terre avec les productions de toute nature. Il y a mieux, le grammairien Denys de Thrace, dans son ouvrage intitulé, le "Symbole des roues expliqué", dit textuellement : « Quelques-uns enseignaient la morale non seulement par la parole, mais encore à l'aide du symbole. Par la parole, ils formulaient des préceptes semblables à ceux que nous connaissons sous le nom de delphiques, et qui étaient conçus en ces termes : — Rien de trop. — Connais-toi toi-même ! A l'aide du symbole, c'était tantôt la roue que l'on fait tourner dans les temples des dieux, et qui est venue d'Égypte, tantôt le rameau, que l'on mettait à la main de ceux qui adoraient. » Orphée de Thrace a dit en effet : « Il en est des labeurs divers auxquels l'homme se livre ici bas comme du rameau. Rien n'occupe une place unique dans l'esprit. Les destinées roulent incessamment autour de loi, sans pouvoir jamais se grouper sur un seul point : les choses conservent la direction qu'elles ont prise dès l'origine. » Le symbole du rameau désigne la première nourriture de l'homme. Peut-être est-il destiné à rappeler à la multitude que le fruit germe, prend de l'accroissement et subsiste pendant de longues années, mais qu'à elle il n'a été donné en partage qu'une existence éphémère. Ce serait pour lui remettre sous les yeux la brièveté de ses jours, que les Grecs auraient inventé ce symbole. Peut-être aussi veut-on lui dire par là : De même que ces rameaux sont jetés au feu et brûlés, de même ceux qui les portent en ce moment, après cette vie d'un jour qu'ils vont bientôt quitter, serviront-ils d'aliment à la flamme. La science du langage symbolique est donc très-utile sous plus d'un rapport, utile pour la saine théologie, utile pour la piété, utile pour exercer la sagacité de l'esprit, utile pour économiser le temps, et pour faire preuve de sagesse et d'intelligence. « Le propre du sage, dit le grammairien Didyme, c'est d'user habilement du symbole, et de saisir le mystère caché sous la forme symbolique. » L'enseignement élémentaire que reçoivent les enfants renferme anssi l'explication des quatre éléments. Il y est dit que les Phrygiens désignent l'eau par le mot de bédy. Orphée a employé le mot dans le même sens : « Les naïades répandent à flots purs bédy de leurs fontaines.» Dyon l'aruspice a dit pareillement : « Prends bédy, épanche-le sur tes mains, puis interroge les entrailles des victimes. » Le poète comique Philydée prend au contraire bédy pour l'air vital : « Fassent les Dieux que je puisse aspirer bédy, principe de la santé. Oui, je leur demande de me donner un air pur et sans mélange. » Cette dernière interprétation est confirmée par Néanthès de Cizique : « Les prêtres macédoniens, nous dit-il, conjurent dans leurs prières bédy de leur être propice à eux et à leurs enfants. Ils entendent par ce mot l'air que nous respirons. » Des interprètes ignorants prétendent que Zaps, qu'ils dérivent du mot Zesis, ébullition, signifie le feu. Il n'en est rien. Zaps est le nom de la mer, comme on peut s'en convaincre par les réponses d'Euphorion à Théoridas : « Zaps, la grande destructrice des navires, le brisa contre les écueils. » Denys, surnommé l'Iambe, emploie le mot dans le même sens ; « Zaps aux ondes amères le presse alors de ses vagues mugissantes. » Un poète comique, Cratinus-le-jeune, dit aussi : « Zaps produit des squilles et de petits poissons. » Enfin on lit dans Simmias de Rhodes : « Zaps aux ondes amères nourrit dans son sein les Ignètes et les Telchines. » Chthôn, est la terre, parce qu'elle est comme répandue en grandeur dans l'espace. (Chuo, répandre, amonceler.) Plectron (archet, fouet) est le pôle, selon quelques uns; suivant d'antres, l'air, ou parce qu'il est le rythme universel, et favorise la génération et le développement de tout ce qui nait dans l'univers; ou parce qu'il remplit l'espace. Mais, pour admettre cette explication, il faut n'avoir pas lu le philosophe Cléanthe, qui appelle positivement le soleil du nom de plectron. Voyez-vous, en effet, le soleil, appuyant son disque sur l'orient, frapper la terre de ses rayons, et dans sa course harmonieuse, distribuer la lumière avec un rythme plein de majesté ? Quant au mot sphinx, (g-sphingô presser, entasser ) il ne signifie pas l'enchainement de toutes choses, ni, comme le veut le poëte Aratus, le mouvement circulaire de notre monde ; j'aimerais mieux y voir une sorte d'harmonie spirituelle qui circule autour du monde et le contient ; ou, pour mieux dire encore, l'air qui enveloppe et presse l'universalité de la création. Empédocle fournit ici son témoignage : « Prêtez l'oreille à mes chants. Je dirai d'abord la naissance du soleil et le principe d'où sortit tout ce que nous voyons, la terre, la mer aux vogues sans nombre, l'air humide, Titan, et l'éther qui embrasse toute la nature dans ses replis.» Apollodore de Corcyre raconte que ces vers furent chantés par le devin Branchus dans les cérémonies expiatoires qu'il prescrivit à Milet pour délivrer cette ville de la famine. En effet, tandis que, la branche de laurier à la main, il allait jetant l'eau lustrale sur la multitude, il entonna le premier l'hymne de supplication qui commençait en ces termes : « Chantez, enfants, chantez le Dieu et la déesse dont la puissance agit de loin. » Et le peuple répondait par ce refrain : "bédy, zaps, chthôn, plêctron, sphinx, knaxzby, chlhyptès, phlegmos, drops". Callimaque rapporte le même fait dans ses iambes. Suivant son interprétation, knazby signifierait maladie par dérivation des verbes knaiô, détruire, consumer, et diapherô, disperser. Chthyptès voudrait dire embraser avec la foudre (g-tuphô, enflammer.) Le poète tragique Thespis parait d'un avis différent dans les vers qui suivent : « Voici que je te présente une libation de knazby blanc, que mes mains ont fait ruisseler des mamelles nourricières d'une vache blanche. Voici qu'après avoir mêlé le fromage chthytès à du miel rouge, ô Pan armé de deux cornes, je dépose le mélange sacré sur tes autels. Voici que j'épanche devant toi le phlogmos brûlant de Bacchus.» Thespis désigne sans doute ici ce premier lait dont se nourrit l'âme, qui se compose dis vingt-quatre signes élémentaires de nos idées, et auquel succède un lait plus substantiel. Le poète termine en désignant le sang de la vigne du Verbe, vin brûlant et mystérieux, allégresse pleine et parfaite, l'allégresse de l'initiation chrétienne. Drops est le Verbe agissant, le Verbe qui, élevant le néophyte des premiers degrés de la catéchèse aux développements de l'homme et à la maturité de l'âge, échauffe et illumine l'intelligence. On cite encore ce troisième symbole destiné à l'éducation de l'enfance : "Marptès, sphinx, klôps, zunchthédon". Il signifie, si je ne me trompe, qu'il faut, des lois qui régissent le monde et les éléments, monter à la connaissance de choses plus parfaites, en conquérant par de vertueux efforts notre salut éternel. Il y a, en effet, dans Marpsai, l'idée de saisir ; sphinx représente l'harmonie du monde ; zunchlhédon désigne les obstacles, et klôps est à la fois le jour et la connaissance cachée des mystères de notre Seigneur. Mais quoi l Epigène, dans son ouvrage intitulé, De la poésie d'Orphée, où il explique les locutions particulières à ce poète, ne dit-il pas que la navette aux pointes recourbées signifie la charrue ; la chaîne, les sillons ; la trame, la semence que jette le laboureur; les larmes de Jupiter, la pluie; les parques, les différentes phases de la lune, le premier quartier, le dernier quartier et la nouvelle lune. Voilà pourquoi, ajoute-t-il, Orphée les appelle leucostoles, c'est-à-dire, vêtues de blanc, parce qu'elles sont des portions de lumière. Chez lui encore, Anthéon (fleuri ) désigne le printemps, saison des fleurs ; il donne à la nuit le nom d'argide (oisive,) parce qu'elle amène les heures du repos ; à la lune l'épithète de gorgonienne, parce que son disque paraît ressembler à une figure de Gorgone; par aphrodite le poète théologien entend l'époque où il faut ensemencer la terre. La secte de Pythagore ne faisait pas un moindre usage du symbole. Écoutons-la. Les planètes sont les chiennes de Proserpine, et la mer, les larmes de Saturne. Si nous parcourons les philosophes ou les poètes, nous trouverons par milliers les expressions et les formes allégoriques. Il y a même des livres tout entiers qui ne présentent que sous des voiles la pensée de l'auteur. Tel est le traité d'Héraclite sur la nature, qui valut à son auteur sa réputation d'obscurité et son surnom de ténébreux. La théologie de Phérécyde le syrien se cache sous la même forme. Comprendre le poète Euphorion, les Causes de Callimaque, l'Alexandra de Lycophron, et les ouvrages écrits dans le même système, demeure pour tous les grammairiens une épreuve et un exercice d'athlète. On ne s'étonnera point après cela que Moïse emploie aussi la forme symbolique. Voici quelques prescriptions communes : « Tu ne toucheras point à la chair du porc, de l'épervier, de l'aigle et du corbeau. » Le pourceau, en effet, animal immonde et voluptueux, représente les désirs sensuels de la gourmandise, les emportements libidineux de la débauche, qui se vautre incessamment dans la fange de la matière, et ne s'engraisse que pour le massacre et la ruine. D'autre part, le législateur permet à son peuple de manger la chair des animaux qui ruminent et qui ont la corne du pied fendue. Qu'a-t-il voulu signifier par là ? Barnabé va nous répondre : « C'est comme si le prophète avait dit : Attachez-vous à ceux qui craignent le Seigneur, qui conservent fidèlement au fond de leur cœur la parole qu'ils ont entendue, qui s'entretiennent des ordonnances du Seigneur, qui les observent et qui comprennent quelle consolation peut trouver une âme dans la méditation continuelle de sa loi. Que signifie l'animal qui a la corne du pied fendue ? C'est que le juste marche dans ce monde terrestre, et qu'il y vit dans l'espérance d'arriver un jour au siècle saint. Considérez donc, ajoute Barnabé, combien était sage et spirituelle la loi donnée par Moïse. Mais d'où les Juifs pouvaient-ils en attendre la véritable intelligence ? Quant à nous, qui l'avons reçue par la pure volonté du Seigneur, nous en parlons selon nos connaissances. Car s'il a circoncis nos oreilles et nos cœurs, c'est pour nous rendre plus capables d'approfondir ce sens mystérieux. Lors donc que Moïse a dit : Vous ne mangerez ni aigle, ni épervier, ni milan, ni corbeau, c'est comme s'il avait dit : Vous ne ferez aucune société avec ces hommes qui ne savent point soutenir leur vie par le travail et par la sueur, mais qui, artisans de rapines et d'injustices, enlèvent aux autres ce qu'ils possèdent. » L'aigle, en effet, est le symbole de la rapine ; l'épervier, de l'iniquité; et le corbeau, de la cupidité. Or, il est écrit : « Avec l'homme innocent, vous serez innocent; avec l'élu, vous serez élu; avec le pervers, vous serez pervers. » Il convient donc de s'attacher aux hommes sanctifiés, parce que ceux qui s'y attachent seront sanctifiés. C'est ce qui a inspiré les paroles suivantes à Théognis : « Dans le commerce des hommes de bien, tu apprendras de bonnes choses. Si tu fréquentes les méchants, tu corrompras tout ce que tu avais d'intelligence. » Quand Moïse s'écrie encore dans le cantique de la délivrance: « Il a fait éclater sa gloire ; il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier, » n'est-ce pas comme s'il s'écriait : II a précipité dans la mer de ce monde, dans ses orages et ses flots tumultueux les mille instincts brutaux de la concupiscence avec le conducteur qui montait l'animal impétueux et lâchait la bride aux voluptés? Platon, dans son Traité de l'âme, nous montre tombants à la fois à terre, et le conducteur et le coursier rebelle, c'est-à-dire la partie irraisonnable de l'âme qui se compose de la colère et du désir. La fable de Phaéton cache le même sens. L'imprudent cocher n'est renversé de son char que pour n'avoir pas su commander à l'intempérance. L'histoire de Joseph est encore une allégorie. Dans la jeunesse de Joseph, ses frères, jaloux de ce que ses prévisions lisaient plus clairement que les leurs dans la connaissance de l'avenir, le dépouillèrent de sa tunique de diverses couleurs, le saisirent et le jetèrent dans une citerne. La citerne était vide et sans eau. C'était le signe de leur injurieux dédain pour les connaissances variées que le vertueux fils de Jacob avait si laborieusement acquises. Ou bien, ces hommes grossiers, qui ne croyaient qu'à la simple lettre de la loi, précipitèrent, d'après le symbole, leur frère dans une citerne vide d'eau, parce qu'ils l'avaient vendu pour l'Egypte, déserte alors de la parole divine. Toujours est-il que la citerne figurait la stupide ignorance de ces traîtres. Il leur semblait que le sage, plongé secrètement dans ces ténèbres, y perdrait ses lumières et deviendrait semblable à eux-mêmes, c'est-à-dire, dénué de connaissance. Une autre interprétation explique la robe de diverses couleurs par le désir qui creuse sous ses pas un gouffre sans fond. « Si quelqu'un ouvre et bâtit une citerne, dit la loi, et ne la couvre pas, et qu'il y tombe un bœuf ou un âne, le maître de la citerne paiera le prix de ces animaux ; mais ce qui est mort lui demeurera. » Joignez à ces paroles celles de la prophétie : « Le bœuf connaît son maitre, l'âne, son étable ; mais Israël n'a pas su qui je suis. » Qu'est-ce à dire? Il se pourrait que des auditeurs grossiers tombent dans l'école que vous ouvrez pour enseigner la connaissance. Incapables de porter la vérité, ils comprendraient mal et trébucheraient a chaque pas. Soyez donc prudent et discret dans l'usage de la parole. A ces profanes qui approchent sans être conduits par la raison, fermez l'entrée de la source qui vit dans les profondeurs, mais livrez les eaux salutaires à ceux qui ont soif de la vérité. Cachez donc la citerne aux esprits qui ne peuvent contenir l'abime de la connaissance. Le maitre de la citerne, le Gnostique lui-même, sera donc châtié, suivant la parole du Seigneur, et portera la peine du scandale. C'est à lui qu'il faut s'en prendre si son frère a été dévoré par la grandeur des doctrines qui lui étaient présentées, parce que le néophyte était mal préparé aux magnificences du Verbe, et qu'un imprudent initiateur l'a introduit dans la contemplation, lorsqu'il n'en était encore qu'aux œuvres, le détournant ainsi à la légère de la foi qui agit par elle-même et sans étude. L'amende qu'il paiera sera le compte qu'il lui faudra rendre à la volonté toute- puissante. Ainsi marchent la loi et les prophètes à travers les figures qui ont continué jusqu'à Jean-Baptiste. Quoique le précurseur s'exprime plus explicitement, puisqu'au lieu de prédire à la manière des prophètes, il montrait du doigt et comme déjà incarné celui que tant de symboles annonçaient depuis le ber ceau du monde, il ne laisse pas de dire néanmoins : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de la chaussure du Seigneur. » Il reconnait humblement qu'il ne lui appartient pas de baptiser une si grande puissance, parce qu'en effet l'œuvre salutaire du purificateur affranchit l'âme des liens du corps et des chaines du péché, comme on délivre le pied de l'entrave qui l'emprisonne. Il ne serait pas impossible qu'en promulguant le dernier bienfait du Sauveur, à notre égard, je veux dire le plus immédiat et le plus rapproché de nous, tous les autres ayant été jusque-là enfermés sous le voile de la prophétie où le Verbe était présent, il ne serait pas impossible que celui qui pouvait dire aux hommes de son temps : « La vertu que la prophétie a nommée tant de fois à travers les siècles, s'est enfin rendue visible ; regardez ! elle est sous vos yeux ; » ait dénoué réellement le nœud des prophéties qui concernaient l'Incarnation, eu dévoilant le sens des symboles. Les formalités en usage à Rome pour la signature des testaments ne sont-elles pas de véritables symboles ? On y faisait figurer la balance et l'as, représentation extérieure de la justice : il y avait un acte d'aliénation ; enfin les assistants se touchaient mutuellement le bout de l'oreille ; la balance et l'as recommandaient l'observation de la justice ; l'aliénation figurait la répartition du prix ; l'oreille touchée avertissait tout témoin qu'il était obligé, dès qu'il en serait requis, de se tenir debout en prêtant l'oreille, et de servir de médiateur et d'arbitre. [5,9] CHAPITRE IX. Je crains bien que le désir de prouver l'universalité du langage symbolique ne m'ait entraîné, à mon insu, dans une trop longue digression. La vie ne me suffirait pas s'il me fallait énnmérer la multitude des philosophes qui ont emprunté cette forme. Aider la mémoire, s'exprimer d'une manière plus concise, aiguiser l'intelligence dans la recherche de la vérité, tel a été le triple but de l'allégorie et du symbolisme chez les Barbares. Le symbolisme n'admet pour auditeurs que des disciples assidus à l'interroger, qui ont déjà payé de leur personne, qui, par la vivacité de leur fol et la pureté de leur conduite, soupirent après la philosophie véritable et la véritable théologie. Il nous rappelle le besoin que nous avons d'un guide et d'un interprète. Par-là, nous apportons plus d'effort à cette étude, et nous ne courons pas risque de nous égarer, puisque la science nous est communiquée par ceux qui la possèdent, et qui nous ont jugés dignes de participer à ces trésors. Ajoutez à cela que la vérité, aperçue à travers un voile, prend un aspect plus auguste et plus grandiose, pareille à ces fruits dont la transparence de l'eau relève la beauté, ou comme ces formes qui se laissent deviner à travers les vêtements qui les recouvrent, tandis que la lumière, en frappant de tous côtés sur un objet, en fait saillir les défauts. Encore une réflexion. Il n'y a qu'une seule manière de comprendre les vérités nues et sans voile. L'homme ayant reçu la faculté de comprendre de diverses manières, comme il arrive, par exemple, pour ce qui est presenté sous des formes emblématiques, l'ignorant et l'inexpérimenté sont inhabiles à pénétrer le mystère, tandis que le Gnostique soulève aisément tous ces voiles. Les dogmes sacrés ne veulent donc pas être livrés inconsidérément entre les mains du premier venu, ni les trésors de la sagesse prostitués à ceux chez lesquels il n'y a rien de pur, pas même le sommeil. De là les recommandations du secret. Est-il juste, en effet, de prodiguer à tous indistinctement des biens si laborieusement conquis, et de révéler aux profanes les mystères du Verbe ? On dit que le pythagoricien Hipparque, accusé par les siens d'avoir divulgué dans ses écrits les dogmes de Pythagore, fut chassé de l'école, et qu'on lui érigea une colonne funéraire comme s'il était mort;. Voilà pourquoi la philosophie barbare, c'est- à-dire, celle des Hébreux et des Chrétiens, appelle du nom de mort quiconque trahit ses doctrines, et asservit son âme à l'empire des passions. En effet, « que peut-il y avoir de commun entre la justice et l'iniquité, s'écrie le divin apôtre? Quelle union entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre Jésus-Christ et Bélial ? Quelle société entre le fidèle et l'infidèle? » Les honneurs réservés aux dieux de l'Olympe ne diffèrent-ils pas des honneurs que l'on accorde aux simples morts ? « C'est pourquoi, retirez-vous du milieu d'eux, dit le Seigneur; séparez-vous d'eux et ne touchez point à ce qui est impur, et je vous recevrai ; et je serai votre père : et vous serez mes fils et mes filles. » Parmi les philosophes de la Grèce, Platon et les disciples de Pythagore n'étaient pas les seuls qui fissent un fréquent usage de la langue symbolique. Les Epicuriens se vantent aussi d'avoir certaines doctrines mystérieuses, et ne permettent pas à tout le monde de lire les écrits où elles sont consignées. Les Stoïciens attribuent au premier des Zénon quelques arcanes qu'ils dérobent soigneusement à la connaissance de leurs disciples, jusqu'à ce qu'ils aient prouvé la sincérité de leur affection pour la philosophie. L'école d'Aristote a des ouvrages de deux espèces : elle appelle les uns, ésotériques, ou secrets; le autres exotériques, c'est-à-dire, ouverts à tous. Ce n'est point assez. Les fondateurs des mystères, adonnés qu'ils étaient a la philosophie, cachèrent leurs dogmes sous des mythes, afin de les soustraire aux yeux de la multitude. Quand nous voyons des hommes envelopper de voiles leurs propres inventions, afin d'en interdire la vue aux ignorants, comment nous étonner ensuite que la sagesse divine ait caché sous des formes symboliques la sainte et bienheureuse contemplation de l'éternelle vérité? Toutefois ni les dogmes de la philosophie barbare, ni les fables de Pythagore, ni celles que Platon raconte dans sa République sur Eros, fils d'Arménius ; dans son Gorgias sur Éaque et Rhadamante ; dans son Phédon, sur le tartare ; dans son Protagoras, sur Promethée et Epiméthée ; dans son Atlantique, sur la guerre qui divisa les Atlantins et les Athéniens, rien de tout cela ne doit être entendu allégoriquement dans toutes ses parties, mais seulement chaque fois que la phrase formule une pensée générale. Nous trouverons toujours ces sortes de pensées revêtues de symboles et cachées sous le voile de l'allégorie. Pythagore avait des disciples classés suivant les degrés de relations et d'intimité. La catégorie qui comprenait le plus grand nombre était celle des Acousmatiques, en français, Auditeurs. L'autre renfermait des disciples de choix, qu'il nommait Mathématiciens, et qui se livraient avec un zèle ardent à l'étude de la philosophie. Que signifiait cette délimitation, sinon qu'il y a des choses accessibles au vulgaire et d'autres choses qu'il tout tenir en réserve ? Il me semble que l'école péripatéticienne, avec ses catégories des choses probables et des choses scientifiques, n'est pas loin de distinguer les opinions humaines de la gloire réelle et de l'immuable vérité. « Ne te laisse point asservir par le désir des honneurs et des récompenses, fleurs d'un jour que distribue la main des hommes. Tes paroles en seront plus droites et plus agréables aux dieux. » Les muses de l'Ionie disent clairement que le vulgaire et les prétendus sages suivent en aveugles les poètes et les lois, tout en sachant bien que le grand nombre en est mauvais, et que de lois et de poètes il y eu a bien peu de bons. Les hommes d'élite, au contraire, recherchent la gloire véritable. « Loin d'imiter la multitude qui s'attache à des choses d'un jour, poursuit le même poète, les hommes d'élite se prennent d'amour pour une gloire immortelle ; mais, semblable aux animaux, la foule ne songe qu'à satisfaire les appétits les plus grossiers. L'intempérance, la débauche, voilà l'unique mesure de son bonheur. » Le célèbre Parménide d'EIée distingue aussi deux voies différentes: « L'une, dit-il, est celle de la vérité, déesse aux paroles persuasives et au cœur immuable. L'autre est celle des opinions humaines, fantômes mobiles, auxquels il est dangereux de se confier. » [5,10] CHAPITRE X. Le divin apôtre a donc eu raison de dire : « C'est par révélation que m'a été découvert ce mystère dont je viens de vous parler en peu de mots, en sorte que vous pourrez voir par la lecture que vous en ferez, quelle est l'intelligence que j'ai du mystère de Jésus-Christ ; mystère qui n'a point été découvert aux enfants des hommes dans les siècles précédents, comme il est maintenant révélé aux saints apôtres du Christ et aux prophètes. » Car il est aussi pour la perfection chrétienne un enseignement particulier qu'il faut reçevoir, que l'apôtre désigne ainsi dans son épitre aux Corinthiens: « Nous ne cessons de prier pour vous et de demander à Dieu qu'il vous remplisse de la connaissance de sa volonté. et de toute la sagesse et de toute l'intelligence spirituelle, afin que vous vous conduisiez d'une manière digne de Dieu, tâchant de lui plaire en toutes choses, portant les fruits de toutes les bonnes œuvres, et croissant en la science de Dieu ; en un mot, afin que vous soyez en tout remplis de force par la puissance de sa gloire ! » L'apôtre ajoute plus bas : « Selon la charge que Dieu m'a donnée pour l'exercer envers vous, afin que je m'acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu, en vous prêchant le mystère qui a été caché dans tous les siècles et dans tous les âges qui ont précédé, mais qui est maintenant découvert à ses saints, à qui Dieu a voulu faire connaître parmi les Gentils les richesses de la gloire de ce mystère. » Ainsi, autres sont les mystères qui sont demeurés secrets jusqu'au temps des apôtres, et dont la connaissance nous a été transmise par ces derniers, tels qu'ils l'avaient reçue du Seigneur, mystères cachés dans l'ancien Testament et aujourd'hui découverts aux saints ; autres sont les richesses de la gloire de ce mystère parmi les Gentils, c'est-à-dire, la foi et l'espérance en Jésus-Christ que l'apôtre appelle ailleurs le fondement de l'édifice. Puis, comme s'il voulait caractériser pleinement la connaissance, il ajoute : « Avertissant tout homme et l'instruisant en toute sagesse, afin de rendre parfait tout hommme en Jésus-Christ. » Remarquons-le bien, tout homme n'a pas ici un sens absolu, parce qu'alors il n'y aurait plus d'incrédules. L'apôtre ne veut pas dire davantage qu'il suffise de croire en Jésus-Christ pour être parfait. Tout homme signifie l'homme tout entier, l'homme purifié dans son corps et dans son âme. Et pour vous convaincre que la perfection n'est pas le partage de tous, écoutez-le : « Afin qu'étant unis ensemble par la charité, ils soient remplis de toutes les richesses d'une parfaite intelligence, qui leur découvre le mystère de Dieu le Père et de Jésus-Christ, en qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science. Persévérez et veillez dans la prière en l'accompagnant d'actions de grâces, » Or, l'action de grâces remercie Dieu non pas seulement pour ce qui regarde l'âme et les biens spirituels, mais aussi pour ce qui regarde le corps et les biens corporels. L'apôtre va nous fournir une preuve encore plus évidente que la connaissance n'est pas le partage de tous : « Priez aussi pour nous, dit-il, afin que Dieu nous ouvre une porte pour annoncer le mystère de Jésus-Christ, pour lequel je suis moi-même dans les chaînes, afin que je le découvre aux hommes, comme il faut le leur découvrir. » Il y avait même, chez les Hébreux, des préceptes qui se transmettaient oralement et sans la voie de l'écriture. « Car, dit l'apôtre, loin d'être maîtres comme vous le devriez, vu le temps depuis lequel on vous instruit, puis que vous avez vieilli dans la doctrine de l'ancien Testament, vous avez encore besoin que l'on vous apprenne les premiers élèments de la parole de Dieu ; et vous êtes devenus tels qu'il ne faut vous donner que du lait, et non une nourriture solide. Or, quiconque n'est nourri que de lait, est incapable d'entendre la doctrine de la justice, parce qu'il est encore enfant, n'ayant reçu que les premiers éléments de la doctrine. Mais la nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l'esprit s'est accoutumé par un long exercice à discerner le bien et le mal. Laissons donc les instructions que l'on donne à ceux qui ne font que commencer à croire en Jésus-Christ ; élevons-nous à ce qu'il y a de plus parfait. » De plus, Barnabé qui fut associé à l'apostolat de Paul dans la prédication du Verbe, s'exprime en ces termes: «Je ne vous écris avec tant de simplicité que pour me rendre plus intelligible.» Un peu plus bas, il indique d'une manière plus explicite encore quelle est la route à suivre dans la tradition gnostique. « Moïse dit aux Hébreux : Voici les paroles du Seigneur : Entrez en possession de cette terre fertile que vous a promise le Seigneur Dieu, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et partagez ce pays où coulent le lait et le miel; je vous le donne en héritage. Voyez ce que la Gnose nous découvre dans les paroles où elle nous dit : Croyez en Jésus Christ qui doit se manifester à vous, revêtu d'une chair mortelle. L'homme n'est qu'une terre que travaille la souffrance; car Adam a été formé d'une argile prise à la surface de la terre. » Et comment s'exprime Dieu : « Dans une terre abondante où coulent le lait et le miel : Béni soit le Seigneur qui nous a donné la connaissance et l'intelligence de ses mystères profonds ! » Et le prophète dit : « Qui comprendra la parabole du Seigneur, sinon celui qui est rempli de sagesse et qui aime son Dieu? » En effet, l'intelligence de ces choses n'est donnée qu'à un petit nombre. Toutefois ce n'est pas en Dieu jaloux, dit encore Barnabé, « que le Seigneur s'écrie dans l'Évangile : Mon mystère est à moi et aux fils de ma maison.» Mais il place les élus dans un asile sûr, à l'abri de toute sollicitude, afin qu'après avoir reçu les conséquences du choix qu'ils ont fait, ils deviennent supérieurs à l'envie. Celui, en effet, qui n'a pas la connaissance du bien, est un méchant, parce qu'il n'y a de bon que le Père. Ignorer le Père, c'est la mort, de même que le connaître c'est la vie éternelle, puisque c'est entrer en communauté de son indéfectible puissance. N'être pas sujet à la mort, c'est participer de la divinité ; mais quiconque s'éloigne de la connaissance de Dieu marche à la mort. « Je te donnerai des trésors cachés, mystérieux, invisibles, afin qu'on sache que je suis le Seigneur Dieu,» dit encore le prophète. David s'écrie également dans ses Psaumes : « Mais vous, Seigneur, vous aimez la vérité; vous m'avez manifesté les secrets de votre sagesse. Le jour annonce au jour la parole,» c'est-à-dire, ce qui a été écrit sans mystère ; « et la nuit révèle à la nuit la science,» c'est-à-dire, la connaissance cachée sous les svmboles mystiques ; « et il n'est point de discours, point de langage, dans lequel leur voix ne soit entendue ; » entendue par le Dieu qui a prononcé ces paroles : « Si quelqu'un agit dans les ténèbres, ne le verrai-je pas ? » Voilà pourquoi la doctrine est appelée illumination, parce qu'elle manifeste les mystères cachés, le maître n'ayant entrouvert que le couvercle de l'arche, bien différent de ce Jupiter que la fable nous représente fermant le tonneau d'où coulent les biens et ouvrant celui qui contient les maux. « Je ne doute pas que, venant chez vous, la plénitude de la bénédiction ne m'accompagne,» dit l'apôtre. La grâce spirituelle, et la doctrine de la connaissance qu'il brûle de communiquer de vive voix et face à face aux Romains, car il lui était impossible de le faire par lettres, il les appelle l'une et l'autre la plénitude du Christ, « parce que toutes deux contiennent la révélation du mystère qui, après être demeuré secret dans tous les siècles passés, a été découvert maintenant par les oracles des prophètes, et a été connu de tous les Gentils, selon l'ordre du Dieu éternel, pour qu'ils obéissent à la foi ;» de tous les Gentils, c'est-à-dire de ceux qui croient en Dieu. Or, le sens du mystère n'est révélé qu'à un petit nombre de Gentils. Les recommandations de Platon sont donc pleines de sagesse, lorsque traitant de la divinité il dit dans ses lettres : « Sers-toi de formules énigmatiques afin que si tes tablettes viennent à s'égarer sur terre ou sur mer, celui qui les lira ne puisse les comprendre. » En effet, comment définir, avec le secours de l'écriture, le Dieu de l'univers, le Dieu supérieur à toute expression, à toute pensée, à toute intelligence, puisque la parole est impuissante à exprimer l'immensité de la puissance ? C'est l'idée qui frappait Platon dans les mots suivants : « Prends garde que tu n'aies à te repentir un jour d'avoir laissé tes tablettes tomber entre des mains indignes. Le meilleur moyen de prévenir ce malheur, c'est de ne rien écrire, mais de confier tout à sa mémoire ; car il est impossible, oui, il est impossible que les choses écrites ne passent pas entre des mains étrangères. » Le saint apôtre Paul, qui demeure fidèle au symbolisme des prophètes et des anciens jours où la Grèce a puisé ses dogmes les plus beaux, va presque parler le langage de Platon : « Nous prêchons néanmoins la sagesse aux parfaits, dit-il, non pas la sagesse de ce monde, ni des princes de ce monde qui passent ; mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans son mystère, laquelle était demeurée cachée. » Plus bas, il va nous apprendre qu'il ne faut pas nous exprimer ouvertement en face de la multitude. « Et moi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes charnelles. Comme des enfants en Jésus-Christ, je ne vous ai nourris que de lait, et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas encore capables ; et à présent même, vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels.» Puisque le lait est la nourriture des enfants, selon les expressions de l'apôtre, et les viandes solides la nourriture des adultes, il convient de comprendre, par le lait, cette première nourriture de l'âme que l'on distribue aux Catéchumènes, et par les viandes solides, la contemplation la plus haute, la chair et le sang du Verbe, qu'est-ce à dire ? la perception de la puissance et de l'essence divine. « Goûtez et voyez que le Seigneur est le Christ, » dit le prophète. C'est, en effet, de la sorte que le Seigneur se communique lui-même à ceux qui participent en esprit à cette nourriture, puisque, d'après Platon, ce zélé partisan de la vérité, l'âme se nourrit elle-même. Car la chair et le sang du Verbe divin, c'est la connaissance de l'essence divine. Voilà pourquoi Platon écrit dans son second livre de la République : « Ne nous mettons à la recherche de Dieu qu'après avoir sacrifié, non pas un vil pourceau, mais quelque grande et précieuse victime ! » Ecoutons l'apôtre à son tour : « Et Jésus-Christ, notre agneau pascal, a été immolé ! » Grande et précieuse victime en effet que le fils de Dieu s'offrant en sacrifice pour nous ! [5,11] CHAPITRE XI. Un sacrifice de bonne odeur pour Dieu, c'est de nous séparer sans retour du corps et de toutes les affections charnelles. De culte véritable et solide il n'y en a pas d'autre. N'est-ce pas là ce qui a inspiré ces sages paroles à Socrate? «La philosophie est la méditation de la mort. » En effet, n'admettre dans le travail de la pensée, ni l'intervention de la vue, ni celle d'aucun autre sens, mais appliquer à l'examen des choses la vision de l'intelligence, dégagée de toute influence étrangère, n'est-ce pas être dans la voie de la philosophie véritable ? Voilà quel était le but de ce silence de cinq ans que Pythagore prescrivait à ses disciples, afin que détournés du monde de la matière, ils contemplassent la Divinité uniquement avec le regard de l'esprit. Traditions merveilleuses, mais qui sont autant de larcins faits à Moïse par les philosophes les plus éclairés ! « La peau de l'holocauste enlevée, dit le législateur des Hébreux, tu en couperas les membres. » C'est qu'après avoir dépouillé de l'enveloppe matérielle l'âme qui possède la connaissance, une fois libre des chimères corporelles et des passions qu'enfantent les opinions vaines et mensongères, délivrée enfin de tous les désirs charnels, il faut la consacrer à la lumière. Mais la plupart des hommes, s'enveloppant de la matière, comme les limaçons de leurs coquilles, et se roulant dans leurs passions charnelles comme les hérissons sur eux-mêmes, n'ont pas de la Divinité, l'être bienheureux et incorruptible par excellence, des pensées plus relevées que s'il s'agissait de l'homme. Bien qu'ils soient nos frères, ils ignorent que Dieu nous a départi une foule de choses qu'il ne partage point avec nous. Il nous a donné par exemple la naissance, bien que lui-même n'ait jamais été engendré ; la nourriture, bien qu'il n'ait pas besoin d'aliment ; l'accroissement, quoiqu'il demeura immuable; une heureuse vieillesse et une douce mort, bien qu'il ne soit soumis ni à la vieillesse ni à la mort. N'allons donc pas nous imaginer que les Hébreux, en parlant des mains du Tout- Puissant, de ses pieds, de sa bouche, de ses yeux, de son arrivée, de son départ, de ses colères, de ses menaces, aient voulu dire que Dieu connaissait nos passions. Il n'en est rien. La piété ne voit dans ces expressions que des allégories dont nous expliquerons le sens quand l'occasion s'en présentera. « De tous les remèdes, le plus salutaire c'est la sagesse, » dit Callimaque, dans ses Epigrammes. — « Pas de sage qui n'ait appris d'un autre la sagesse ; c'est une loi du passé comme du présent, dit Bacchylide dans ses Pœans; car il n'est pas facile de trouver seul la clé des paroles secrètes et mystiques. » Ainsi, on ne peut que louer Isocrate, lorsque dans le début de son Panathéné, après s'être posé cette question : « A qui donnerai-je le nom de sage? » il répond : « A ceux qui tournent à bien les événements de chaque jour, et dont la sagacité juge sainement les circonstances, et atteint le plus souvent le but qu'il fallait frapper; à ceux qui apportent dans les relations de l'amitié, la droiture du cœur et la justice la plus sévère; toujours patients et résignés dans les ennuis ou les indignités que les autres peuvent leur faire souffrir, tandis qu'ils veillent eux-mêmes à ne montrer à ceui qui les fréquentent, que l'humeur la plus égale et la plus grande modération possible ; à ceux qui, déjà vainqueurs des voluptés, au lieu de se laisser abattre par le malheur, font face à la mauvaise fortune, avec un courage digne de la noblesse de notre nature ; à ceux, enfin, et cette dernière classe est la plus relevée, à ceux que la prospérité ne peut ni corrompre, ni changer, ni enorgueillir, mais qui se maintiennent invariablement dans le cercle de la sagesse. » L'orateur arrive ensuite a la conclusion de son discours : « Quant à ceux qui, par leurs habitudes et leur manière d'être, accomplissent, sans se démentir, non-seulement un de ces devoirs, mais l'ensemble de ces devoirs, je les appelle des hommes éclairés et parfaits, des hommes doués de toutes les vertus. » Entendez-vous les Grecs eux-mêmes, tout ignorants qu'ils sont de la manière dont il faut savoir déifier, pour ainsi dire, la vie qui se règle sur la connaissance ? Qu'est-ce que la connaissance ? ils n'en ont pas l'idée, même en songe. Si donc il est avoué unanimement parmi nous que connaitre c'est se nourrir du Verbe, bienheureux sont réellement, selon les paroles de l'Evangile, ceux qui ont faim et soif de la vérité, parce qu'ils seront rassasiés de l'aliment incorruptible ! C'est une chose admirable que d'entendre Euripide, ce poète qui a fait monter la philosophie sur la scène tragique, s'accorder exactement avec ce que nous venons de dire, et désigner, par je ne sais quelle secrète inspiration, le Père et le Fils tout à la fois. « A toi, s'écrie-t-il, à toi, roi suprême, cette libation et ce gâteau sacré ! A toi, Jupiter, ou Pluton, si ce dernier nom te plait davantage ! Recois avec faveur cette précieuse offrande qui se compose de fruits de toute nature, ainsi que cette coupe pleine jusqu'aux bords. » Le Christ, en effet, est une oblation rare et auguste dans laquelle se résument toutes les perfections et qui s'est offerte pour nous à son Père. Les vers qui suivent prouvent plus clairement encore que le poète, à son insu, parle du Sauveur lui-même : « Car, de la même main qui parmi les dieux du ciel porte le sceptre de Jupiter, tu tiens les rênes de l'empire terrestre et infernal. » Puis Euripide ajoute clairement : « Envoie la lumière aux âmes des mortels qui désirent savoir d'où sont nés les luttes et les combats, quelle est la racine des maux, et auquel des bienheureux il faut sacrifier pour obtenir le repos de ses labeurs. » Ce n'est donc pas sans raison que les purifications expiatoires sont les premières cérémonies dans les mystères de la Grèce, de même que le baptême ouvre la porte de la vie chez les Barbares. Puis viennent les petits mystères qui servent d'enseignement fondamental et de préparation aux grands mystères. Arrivé aux dernières épreuves, il ne reste plus rien à apprendre sur l'ensemble des choses : l'esprit n'a d'autre tâche que de se livrer à de hautes contemplations, et d'embrasser dans ses intuitions et la nature et les choses. Quant à nous, le mode de nos cérémonies expiatoires est la confession, et nous nous élevons a la contemplation par la voie de l'analyse. Par l'analyse nous montons de dégré en dégré jusqu'à l'intelligence première, en partant des êtres qui lui sont subordonnés, et en dégageant les corps des propriétés physiques qui leur sont inhérentes. Nous en retranchons, par exemple, les trois dimensions, la profondeur, la largeur, la longueur. Ce qui reste après cela est l'unité réduite, pour ainsi-dire, à un point sans étendue. Supprimez ce point lui-même, vous tombez dans l'abstraction de l'unité. Si donc, écartant des corps les propriétés qui leur sont inhérentes et celles que l'on nomme incorporelles, nous nous précipitons dans les grandeurs du Christ, et qu'à force de sainteté, nous nous élevions ensuite jusqu'à son immensité, nous parviendrons en quelque sorte à connaître le Tout- Puissant, moins toutefois pour le comprendre dans ce qu'il est, que dans ce qu'il n'est pas. Mais que ces expressions des livres saints, figure, mouvement, état, siège, lieu, main droite, main gauche, soient littéralement applicables au Créateur de l'univers, il ne faut pas même le penser. Quel est le sens de ces mots ? Nous le montrerons en son lieu, suivant notre promesse. La Cause première ne se trouve donc pas renfermée dans un lieu. Elle est au-dessus des lieux, au-dessus du temps, au-dessus du langage et de l'intelligence. Voilà pourquoi Moïse lui-même s'écrie : « Montrez-vous à moi ! » témoignant par là bien clairement que Dieu, impossible à enseigner et à exprimer par la parole humaine, ne peut être connu que par la vertu qui émane de lui. Car en vain vous cherchez ; pas de forme à saisir; rien qui tombe sous les sens. Mais la grâce de la connaissance de Dieu vient de Dieu par l'intermédiaire de son Fils. Salomon va nous appuyer de l'évidence de son témoignage : « La prudence de l'homme n'est pas en moi, dit-il, mais Dieu me donne la sagesse, et je connais la science des saints. » L'arbre de vie, planté dans le paradis, est encore une figure par laquelle Moïse désigne la divine providence ; et le paradis à son tour peut représenter le monde dans lequel naquirent toutes les œuvres de la création. Dans le monde aussi brilla et porta des fruits le Verbe fait chair; dans le monde, il vivifia ceux qui goûtèrent la douceur de ses fruits. N'est-ce pas, en effet, par l'arbre du salut qu'il s'est manifesté à nous ? « L'auteur de notre vie n'a-t-il pas été suspendu pour exciter en nous la foi ? » Salomon nous dit encore : « La sagesse est l'arbre de vie pour ceux qui l'embrassent et s'y attachent. » De là, les paroles du Tout Puissant à Israël : « Voilà que j'ai mis devant tes yeux la vie et la mort; tu es libre d'aimer le Seigneur ton Dieu, et de marcher dans ses voies et d'obéir à ses commandements, et de croire en la vie qu'il te promet. Mais si tu violes les préceptes et les lois que je t'ai données, tu périras. Car chérir le Seigneur ton Dieu, voilà ta vie et la longueur de tes jours. » — Abraham, est-il dit encore, s'achemina vers le « lieu où Dieu lui avait ordonné d'aller, et, le troisième jour, levant les yeux, il vit ce lieu de loin. » En effet, le premier jour est rempli par l'admiration de ce qui est beau, le second par les nobles désirs de l'âme, et dans le troisième, l'intelligence pénètre les choses spirituelles, après que les yeux de la pensée ont été ouverts par le maitre qui est ressuscite le troisième jour. Ces trois jours peuvent encore signifier le mystère du sceau sacré par lequel le néophyte croit au Dieu véritable. Abraham, par conséquent, vit le lieu de loin. C'est qu'il est difficile de pénétrer dans la région de ce Dieu que Platon appelle la région des idées, après avoir lu dans Moïse qu'il renferme en lui la plénitude et l'universalité des choses. Abraham le voit de loin; expression pleine de justesse ! car le patriarche est encore retenu dans les liens du corps, et il lui faut un ange pour l'introduire dans la connaissance du mystère. Voilà pourquoi l'apôtre a dit. : « Nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir ; mais alors nous le verrons face à face; » c'est-à-dire, par la seule force de nos facultés intellectuelles, sans l'obstacle du corps et de la matière. Nous pouvons néanmoins deviner et entrevoir Dieu par la méditation si, dégageant notre âme de l'empire des sens, nous nous élançons, par le seul effort de la raison, vers chaque être isolément, sans jamais quitter les choses avant de nous être élevés aux régions qui les dominent, avant d'avoir saisi avec l'intelligence elle-même le bien véritable, qui est la fin suprême du principe intelligent, comme le dit Platon. Il y a mieux. Moïse, ne permettant pas d'élever des temples et des autels en des lieux divers, mais érigeant lui-même un temple unique en l'honneur de Dieu, ne déclare-t- il pas que le monde est l'œuvre d'un seul créateur, ce qu'avoue Basilide, et qu'il n'y a qu'un seul et même Dieu, ce que n'avoue pas Basilide ? Moïse. en véritable Gnostique, sait bien qu'il ne peut circonscrire dans un lieu l'Être sans bornes. Il ne présentera donc à l'adoration du peuple aucune image taillée, pour montrer par là que Dieu est invisible et infini. Il élève la pensée d'Israël et ll la conduit pour ainsi dire jusqu'à Dieu, en ne livrant à ses hommages que le nom sacré qui remplit l'intérieur du temple. Le Verbe d'ailleurs, en défendant qu'on érigeât des temples ou qu'on immolât des victimes, ne donne-t-il pas à entendre que la majesté du Tout-Puissant n'est pas enfermée dans un lieu? « Quel palais pouvez-vous me bâtir, dit le Seigneur? Le ciel est mon trône. » Et à l'occasion des sacrifices : « Je ne veux ni du sang des taureaux, ni de la graisse des agneaux » et tout ce que le Saint-Esprit répudie ensuite par la bouche du prophète. Admirables paroles avec lesquelles s'accorde Euripide dans les vers qui suivent : « Quel temple, bâti de main d'homme, pourra contenir la Divinité dans son enceinte de pierre ? » Il dit pareillement des sacrifices : « Dieu n'a pas besoin de ces oblations, puisqu'il est le roi de l'univers. Chimères et inventions des poètes, que tout cela. » « Car Dieu, au jugement de Platon, n'a point créé le monde pour en tirer quelque profit, ni pour recueillir les hommages des hommes, des dieux et des génies, sorte d'impôt qu'il lèverait sur tout ce qu'il appelle à la naissance ; tribut de fumée de la part des mortels, d'honneurs et de services de la part des dieux et des génies. » Elles sont donc d'un haut enseignement, ces paroles de Paul dans les Actes des Apôtres : « Dieu, qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite point dans des temples bâtis par des hommes ; il n'est point honoré pour les œuvres des mortels, comme s'il avait besoin de quelque chose, lui qui donne tout à tous, et la vie et la respiration. » Zénon, chef de l'école stoïcienne, dit dans son "Traité de la République" qu'il ne faut ni ériger des temples, ni dresser des statues, parce que rien de ce que bâtissent les hommes, n'est digne des dieux. Mais écoutons-le parler lui-même. Il n'a pas craint de s'exprimer ainsi : « Il ne sera pas besoin d'élever des temples; car il ne faut pas regarder un temple comme une chose sainte et d'un grand prix. Rien de ce qui sort de la main d'un maçon et d'un artisan grossier ne peut être saint et précieux. » C'est donc avec beaucoup de sagesse que Platon aussi, persuadé que l'univers est le temple de Dieu, destine aux citoyens un endroit de la cité, où ils devront exposer leurs simulacres. Mais il défend à qui que ce soit, homme ou femme, d'avoir des chapelles domestiques. « Que personne autre, dit-il, ne consacre des temples aux dieux. Dans les autres états, l'or et l'argent qui brillent dans les maisons particulières et dans les temples, excitent l'envie. L'ivoire dépouillé d'un corps séparé de son âme, n'est point une offrande qui puisse être agréée. Le fer et l'airain sont destinés à être les instruments de la guerre. Que chacun présente donc comme offrande, dans les temples communs, l'ouvrage qu'il lui plaira, en bois ou en pierre, pourvu qu'il soit fait d'une seule pièce. » Le même philosophe a donc encore raison de dire dans sa grande lettre : « Le mystère de l'essence divine ne peut s'exprimer par le langage humain à la manière des autres sciences. Mais, après avoir longtemps concentré notre intelligence sur lui, et avoir vécu avec lui dans une sorte de commerce intime, la lumière, comme échappée d'un flambeau, jaillit dans notre âme et se nourrit d'elle-même.» Ces paroles ne rappellent-elles pas celles du prophète Sophonie : « Et l'esprit me saisit, et il m'enleva dans le cinquième ciel, et je contemplais les anges que l'on appelle seigneurs; et leur diadème était posé sur l'Esprit-saint ; et le trône de chacun d'eux était sept fois plus éclatant que la lumière du soleil à son lever, et ils habitent dans les temples du salut, et ils chantent le Dieu ineffable et très-haut ? » [5,12] CHAPITRE XII. « Découvrir le père et le créateur de cet univers, n'est pas chose facile, et quand vous l'aurez découvert, il vous sera impossible de le révéler à tous. Car le mystère de son essence ne peut s'exprimer par des paroles, » dit Platon, ce sincère ami de la vérité. Il n'avait pas vainement appris que Moïse, en qui résidait toute sagesse, prêt à gravir la montagne pour y contempler face à face le plus sublime des mystères que puisse percevoir l'intelligence, a été forcé de défendre à tout le peuple de le suivre dans ces ineffables révélations. Et quand l'Écriture dit : « Moïse entra dans la nuée où était Dieu, » ces paroles signifient, pour qui est capable de comprendre, que Dieu ne peut être vu par les yeux, ni exprimé par la bouche de l'homme. La nuée, qu'est-ce à dire ? l'incrédulité et l'ignorance de la plupart des mortels offusquent la splendeur de la vérité. Le théologien Orphée, après avoir dit en s'inspirant des traditions de Moïse : « Un être existe qui porte sa cause en lui. Tout a été fait par la main d'un seul ; » On est né d'un seul ; car il y a des textes qui portent cette seconde version, ajoute : « Pas un mortel qui le voie, et lui, il les voit tous. » Mais le poète va s'exprimer plus clairement encore : « Je ne le vois pas, car son trône immuable est assis au milieu des nuages, et les débiles paupières des hommes, qui ne sont qu'os et que chair, ne sauraient percer dans ces profondeurs. » L'apôtre fortifiera ce qui précède de l'autorité de son témoignage : « Je connais un homme en Jésus-Christ, qui fut ravi jusqu'au troisième ciel et de là, dans le paradis. Et il y entendit des paroles mystérieuses qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter. » L'apôtre donne ainsi à entendre que la langue humaine est impuissante à exprimer Dieu. Il n'est pas permis, ajoute-t-il. Non qu'en se taisant il obéisse à quelque loi ou à quelque défense ; il veut seulement nous indiquer que la sainteté elle-même ne pourrait énoncer l'idée de Dieu, puisque ce n'est qu'au-dessus du troisième ciel qu'il commence à être nommé, comme il est permis aux anges qui l'habitent d'initier anx saints mystères les âmes des élus. A propos de ce troisième ciel, l'Écriture pourrait me suggérer ici une foule de témoignages empruntés à la philosophie barbare. Ils attendront, conformément à mes promesses, le moment que je leur ai assigné. Qu'il nous suffise pour le présent d'un passage de Platon. Ayant mis en question, dans le Timée, s'il y avait plusieurs mondes, ou s'il n'y en avait qu'un seul, celui que nous habitons, le philosophe emploie indifféremment le mot de ciel et celui de monde. Au reste, laissons-le parler lui-même : « Avons nous eu raison de dire qu'il n'y avait qu'un ciel, ou bien qu'il y, en avait plusieurs et dans un nombre infini ? Il valait mieux nous en tenir à un seul, puisqu'il a été fait d'après le type unique ? » Il est écrit dans l'épître de l'Église romaine aux Corinthiens : « Un océan sans bornes et les mondes qui sont au-delà. » C'est pour cela que le divin apôtre s'écrie : « O profondeur des trésors de la sagessse et de la science de Dieu ! » N'est-ce donc pas là le symbolique avertissement que donnait le prophète, lorsqu'il prescrivait de pétrir des paint azymes, et de les cuire sous la cendre ? C'était nous indiquer que la parole vraiment sacrée et mystique qui traite de l'être incréé et de ses attributs, doit être recouverte d'un voile. L'apôtre, dans son épître aux Corinthiens, va nous fortifier de l'évidence de son témoignage. « Nous prêchons la sagesse aux parfaits, non la sagesse de ce monde, ni des princes de ce monde qui passent ; mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans son mystère, laquelle était demeurée cachée. » Et ailleurs : « Pour arriver à connaître le mystère de Dieu en Jésus-Christ, en qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science. » Le Sauveur sanctionnera lui-même les paroles de l'apôtre. « Il vous est donné, dit-il, de connaître les mystères du royaume des cieux. » L'Évangile dit encore que notre Seigneur « a parlé à ses disciples en termes mystérieux. » Car c'est lui que le prophète désigne par ces mots : « Il ouvrira la bouche pour parler en paraboles, et il publiera les choses cachées depuis la formation du monde. » La parabole du levain est encore dans la bouche du Seigneur une allusion au symbolisme : « Le royaume des cieux, dit-il, est semblable au levain qu'une femme prit et cacha dans trois mesures de froment, jusqu'à ce que toute la masse eût fermenté.» En effet, l'âme, avec ses trois facultés, obtient le salut, pour salaire de son obéissance, de deux manières différentes. Ou bien elle est sauvée, grâce à la puissance spirituelle qui a été cachée en elle par la foi ; ou bien la force que le Verbe nous a communiquée, abrégée et puissante qu'elle est, agissant sur quiconque l'a recue et la possède au dedans de soi-même, l'attire mystérieusement à elle et confond dans l'unité toutes les forces morales de son être. Solon s'exprime donc avec beaucoup de sagesse sur Dieu dans les vers suivants : «Il n'est pas facile de connaître la mesure cachée de la science qui seule embrasse les dernières limites de toutes choses. » Car le poète d Agrigente a dit : « Levez les yeux, étendez la main tant que vous le voudrez, jamais vous ne pourrez atteindre à la Divinité. La foi est comme le grand chemin par lequel Dieu descend dans l'esprit de l'homme. » « Nul ne vit jamais Dieu. Le Fils unique, qui habite dans le sein du Père, est celui qui nous en a donné connaissance, dit aussi l'apôtre Jean. » Dans le sein de Dieu ; quelques uns se sont autorisés de ces paroles qui désignent l'invisible et l'ineffable, pour appeler Dieu le profond, attendu qu'il renferme et embrasse toutes choses comme dans le sein de son immensité, être infini et sans bornes que nul ne saurait atteindre. Il est certain que la discussion présente, qui a Dieu pour objet, se hérisse de difficultés. S'il est constaté que découvrir le principe de quoique ce soit est chose laborieuse, à plus forte raison, le premier et le plus ancien de tous les principes, celui par lequel les autres existent et continuent d'exister, sera-t-il difficile à démontrer ? De quel nom appeler, en effet, celui qui n'est ni genre, ni différence, ni espèce, ni individu, ni nombre, ni accident, ni soumis à rien d'accidentel ? Direz-vous qu'il soit un tout ? L'expression demeure imparfaite, puisque un tout est une quantité mesurable, et que Dieu est le père de l'universalité des êtres. Lui donnerez-vous des parties diverses? Non, sans doute ; car ce qui est un est indivisible. Voilà pourquoi il est infini, non pas dans ce sens que la pensée humaine le conçoit comme impossible à embrasser; mais parce qu'il n'admet point de dimension et ne connaît point de bornes. Aussi n'a-t-il pas de formes, et ne peut-il être nommé. Et si nous le désignons quelque fois par ces termes, le Dieu un, le Dieu bon, l'Esprit, l'Être par excellence, le Père, le Dieu, le Créateur, le Seigneur, ce sont là des dénominations dépourvues de justesse et impuissantes à le caractériser. Nous ne recourons à ces mots dignes de respect que par indigence du nom véritable, pour fixer notre pensée et l'empêcher de s'égarer sur d'autres appellations qui dégraderaient l'Éternel. Aucun de ces termes, pris séparément, n'explique Dieu ; réunis ensemble, ils indiquent sa toute-puissance. On connaît les choses ou par leur propre nature, ou par le rapport qu'elles ont les unes avec les autres. Ici rien de tout cela ne convient à Dieu. La démonstration elle-même est inhabile à le découvrir, puisqu'elle repose sur des principes antérieurs et des notions premieres. Or, rien n'a existé avant l'Être incréé. Il ne nous reste donc, pour nous faire comprendre le Dieu inconnu, que sa grâce et son Verbe, ainsi que Luc nous le montre dans les Actes des Apôtres, quand il met ces mots dans la bouche de Paul : « Athéniens, il me semble qu'en toutes choses vous êtes très religieux. Car, en passant et en voyant les statues de vos Dieux, j'ai trouvé même un autel où il est écrit : AU DIEU INCONNU. Ce Dieu donc, que vous adorez sans le connaitre, est celui que je vous annonce. » [5,13] CHAPITRE XIII. Ainsi, tout ce qui peut se nommer, qu'on le veuille ou non, a été engendré. Soit donc que le Père lui-même attire à lui quiconque a vécu sans tache et s'est élevé jusqu'à la notion de la nature bienheureuse et incorruptible; soit que le libre arbitre, que nous portons en nous-mêmes, parvenu à la connaissance du souverain bien, s'élance et franchisse le fossé, selon le langage de la gymnastique, ce n'est jamais néanmoins sans le secours d'une grâce particulière que l'âme reçoit des ailes, dépose la lourde enveloppe du corps pour le rendre à la poussiere, sa sœur, et prend son vol par de-là les régions supérieures. Platon aussi déclare dans le Ménon que la vertu est un don de Dieu, comme l'attestent ses paroles : « Il paraît donc d'après ce raisonnement, ô Ménon, que la vertu vient par une influence divine à ceux qui la possèdent. » Je le demande, cette influence divine dans la bouche de Platon, ne semble-t-elle pas désigner ici la lumière et la connaissance qui sont le patrimoine de tous? Le philosophe est plus explicite encore : « Si dans le cours de cette discussion nous avons examiné et traité la chose, comme nous le devions, il s'ensuit que la vertu n'est point naturelle à l'homme, ni ne peut s'apprendre, mais qu'elle arrive par une influence, divine à ceux en qui elle se rencontre, non sans intelligence de leur part. » Ainsi donc la sagesse, qui est le don de Dieu et la vertu du Père, d'une part, sollicite l'action de notre liberté, de l'autre accueille la foi, et récompense les œuvres du zèle par la faveur suprême de l'élection. Et ici je vous citerai le témoignage de Platon lui- même, qui déclare formellement qu'il faut ajouter foi aux enfants de Dieu. Il venait de discourir dans le Timée sur les dieux invisibles et engendrés ; il ajoute : « Parler de ceux qu'on nomme Génies et connaître leur origine, c'est un effort qui surpasse notre intelligence. Il faut donc, sur cette matière, nous en rapporter aux premiers hommes, qui étant nés des dieux, comme ils le disaient eux-mêmes, ont dû connaître parfaitement leurs pères.Et véritablement, il est impossible de ne pas croire les enfants des dieux, quand même ils n'apporteraient à l'appui de leurs paroles aucun motif de conviction ou de vraisemblance.» Je doute que la Grèce puisse nous fournir un témoignage plus décisif que notre Sauveur et tous ceux qui ont recu la consécration prophétique ; notre Sauveur, à titre de fils légitime, les prophètes, à titre de fils adoptifs, sont des témoins irrécusables sur les merveilles divines. Croyons-les donc, ajoute Platon, ils sont inspirés de Dieu. Que si quelqu'un vient nous crier avec une sorte de dignité tragique : « Je ne puis croire ; Car ce n'est pas Jupiter lui-même qui m'a parlé ; » Qu'il ne l'oublie pas, c'est Dieu lui-même qui a promulgué les saintes Écritures par la bouche de son Fils. N'est-il pas digne de foi, celui qui annonce les choses dont il est le maître et qui lui sont personnelles, puisque « nul, selon l'oracle du Seigneur, ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils l'aura révélé. » Il y a donc nécessité de croire, même sans autre élément de conviction et de vraisemblance, c'est Platon qui le déclare, quand la vérité nous est prêchée par l'ancien et le nouveau Testament. Pourquoi cela ? « Si vous ne croyez pas, dit le Seigneur, vous mourrez dans vos péchés. » Au contraire, « celui qui croit possède la vie éternelle. Heureux donc tous ceux qui ont placé leur confiance dans le Seigneur! » La confiance est un degré de plus que la foi. En effet, sais-je convaincu par la foi que le maître dont j'écoute la parole est le fils de Dieu, alors j'ai une ferme confiance dans la vérité de sa doctrine ? De même que l'enseignement et la méditation, au jugement d'Empédocle, augmentent la sagesse, de même la confiance dans le Seigneur augmente l'intensité de la foi. Nous le déclarons formellement, blâmer la philosophie et attaquer la foi, vanter l'injustice et placer le bonheur dans la satisfaction de tous les désirs, c'est une perversité qui se rencontre dans les mêmes hommes. La foi néanmoins, pour être un assentiment volontaire de notre âme, ne laisse pas d'opérer les bonnes œuvres, et d'être le fondement de toute action où resplendit la justice. Mais le mot faire, nous objecte ici le subtil Aristote, se dit des bêtes et des choses inanimées, tandis que le mot agir s'emploie pour ce qui concerne l'homme. Eh bien ! qu'Aristote réforme donc les poètes de sa nation qui disent de Dieu qu'il a fait toutes choses. « Toute action, dit-il, est bonne ou nécessaire. Commettre l'injustice n'est donc pas chose bonne ; car personne n'est injuste, sinon pour quelque motif en dehors de l'action même. Dans les choses nécessaires, rien qui soit libre. Or, commettre l'injustice est un acte volontaire : donc il n'est pas nécessité. L'homme de bien diffère du méchant surtout par le but de ses actions et par la pureté de ses désirs. Tout vice de l'âme est fils de l'intempérance, et agir par passion c'est agir par intempérance et par malice. » Aussi qu'elle est admirable dans toutes ses parties, cette déclaration du Sauveur ! « En vérité, en vérité, je vous le dis : celui qui n'entre pas par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui s'y introduit par une autre voie, est un voleur et un brigand. Celui, au contraire, qui entre par la porte est le pasteur des brebis ; le portier ouvre à celui« là. » Ensuite le Seigneur, poursuivant la même comparaison : « Je suis, dit-il, la porte des brebis. » Il faut conclure de là que pour être sauvé il est nécessaire d'avoir appris la vérité de la bouche du Christ, quand même on se serait élevé jusqu'aux maximes de la philosophie grecque. Car il est enfin dévoilé, « le mystère qui n'avait point été découvert aux enfants des hommes dans les siècles précédents, comme il a été révélé de nos jours. » En effet, l'idée de Dieu, en tant qu'unique et tout-puissant, résida toujours par une sorte de révélation naturelle dans les esprits droits, et la plupart de ceux qui ne dépouillèrent pas tout respect pour la vérité, participèrent à l'éternel bienfait de la divine Providence. Ainsi, pour nous renfermer ici dans quelques exemples abrégés, Xénocrate de Chalcédoine ne répugne point à croire que l'idée de Dieu soit commune, même aux animaux dépourvus de raison. Démocrite est d'un avis contraire ; mais la force des principes qu'il a posés l'entrainera malgré lui dans les mêmes aveux. Car, d'après son système, ce sont les mêmes images, qui, parties de l'essence divine, vont frapper les organes des hommes et ceux des animaux. Et comment l'homme n'aurait-il pas l'idée de Dieu, quand la Genèse nous le représente recevant le souffle de la vie et formé d'une essence plus pure que celle de toutes les autres créatures? Voilà pourquoi Pythagore déclare que l'intelligence arrive à l'homme par une influence divine. Platon et Aristote s'accordent là-dessus avec Pythagore. Pour nous, Chrétiens, nous disons que le souffle de l'Esprit saint est envoyé à celui qui possède la foi. Suivant les Platoniciens, l'intelligence est une émanation de l'influence divine ; l'âme est sa demeure comme le corps est la demeure de l'âme. En effet, Joël, l'un des douze prophètes, dit formellement : « Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront. » Qu'on ne s'imagine pas néanmoins que l'Esprit soit en chacun de nous comme une parcelle de la Divinité. Comment a lieu cette répartition ? Qu'est-ce que l'Esprit- saint ? Nous l'expliquerons quand nous viendrons à traiter de la prophétie et de l'âme. Terminons par ce mot d'Héraclite : « L'incrédulité n'est bonne qu'a dérober aux regards la profondeur des mystères; l'ignorance, en effet, se retranche derrière l'incrédulité. » [5,14a] CHAPITRE XIV. Il est temps d'aborder les matières qui suivent et d'étaler au grand jour les vols que la Grèce a faits à la philosophie barbare. Et d'abord les Stoïciens définissent Dieu de même que l'âme, un corps et un esprit existant de sa propre nature. Ouvrez les livres saints ; vous y trouverez cette définition mot pour mot. N'interrogeons point encore ici, avec le flambeau de l'exégèse érudite et véritable, le sens allégorique des livres saints, et ne cherchons point à voir si, à la manière des habiles lutteurs, ils ne cachent pas quelquefois une intention secrète sous les démonstrations du dehors. Les Stoïciens veulent que l'âme de Dieu soit répandue dans toute la nature, tandis que nous l'appelons, nous, l'unique Créateur de toutes choses et créateur par le ministère du Verbe. Ils ont été trompés par cet oracle de la sagesse : « Elle pénètre et atteint partout à cause de la pureté,» sans comprendre qu'il était ici question de la sagesse, qui fut la première création de Dieu. — « Fort bien, me direz-vous ! Mais tous les philosophes comptent la matière au nombre des principes ; pas un qui admette un principe unique. L'école du Portique, Platon, Pythagore et Aristote le péripatéticien sont unanimes sur ce point. » — Et moi, je vous réponds à mon tour, que ce que vous appelez la matière et auquel vous refusez toute qualité sensible, toute forme déterminée, Platon, plus hardi que vous, le nomme un je ne sais quoi ou ce qui n'est pas. Ces paroles si profondément mystiques, qu'on lit dans son Timée, ne sont-elles pas d'un homme convaincu qu'il n'y a qu'un seul principe ? « Maintenant donc voici notre pensée : en ce qui touche le principe ou les principes de l'univers, ou quelle que soit notre opinion là dessus, il faut la renvoyer à un autre moment et cela sans autre motif, sinon qu'avec le mode de discussion présente, il nous serait difficile de nous expliquer à cet égard.» Au reste, ce texte du prophète : « Et la terre était invisible et sans forme » a donné occasion aux philosophes d'imaginer cette matière. Qui a pu suggérer à Épicure son système d'un monde fortuit et livré aux caprices du hasard ? Ces paroles de l'ÉccIésiaste, qu'il lisait sans les comprendre : « Vanité des vanités ; et tout est vanité ! » D'où vient qu'Aristote limite l'action providentielle au globe lunaire ? Il a mal interprété l'exclamation du Psalmiste : « Seigneur, votre miséricorde est haute comme les deux, et votre vérité, comme les nuages ! » C'est qu'en effet, avant l'avènement du Seigneur, le sens des mystères cachés dans les prophéties, n'était pas encore manifesté. Le dogme des châtiments après la mort, ces expiations par le feu, sont encore des emprunts que la muse des poètes, en tous lieux, et en Grèce la philosophie a faits à la philosophie des barbares. Je lis ces paroles solennelles dans le dernier livre de la République de Platon : « En ce moment, des hommes qui paraissaient être de feu, et dont le visage respirait la férocité, répondant à l'appel de l'abime, apparurent tout à coup. Ils commencèrent par emmener à l'écart les nouveau-venus. Puis ils se saisirent d'Aridée et de quelques autres, leur lièrent la tête, les mains, les pieds, les étendirent par terre, leur arrachèrent la peau, et les trainèrent dehors, en leur déchirant les membres sur des pointes d'aspalathes qui bordaient le chemin.» Je le demande, ces hommes au visage de feu ne représentent-ils pas les mauvais anges qui saisissent les coupables pour les torturer, suivant cette parole de l'Écriture : « Qui fait de ses anges l'esprit des tempêtes et de ses ministres la flamme dévorante. » Il résulte de ces aveux que l'âme est immortelle. En effet, la substance qui est châtiée ou instruite, sensible qu'elle est, doit vivre nécessairement, quoique dans un état de souffrance. Mais quoi! Platon n'a-t-il point connu des fleuves de feu, et ce gouffre que les Barbares nomment Géhenne et auquel il a donné le nom poétique de Tartare? N'est-ce pas lui qui a introduit dans la morale le Cocyte, l'Achéron, le Pyriphlégéthon, enfin tous les genres de cachots et de supplices destinés à punir ou à purifier les criminels ? S'agit-il des anges qui voient Dieu, conformément à l'Écriture, et sont attachés à la garde des petits enfants et des moindres créatures humaines ; ou bien, veut-il désigner la tendresse vigilante de nos anges gardiens? Il n'hésite point à dire : « Aussitôt que les âmes ont embrassé le genre de vie, qui leur est échu en partage, elles vont trouver Lachésis; celle-ci les envoie sur la terre avec le génie particulier dont chacune a fait choix. Il veillera sur sa compagne et va devenir son guide. Pas une de ses actions dans laquelle il ne la seconde. » Le génie familier de Socrate n'avait pas sans doute une autre signification. Poursuivons. Les philosophes n'ont énoncé le dogme de la création du monde qu'après l'avoir puisé dans Moïse. Le même Platon dit formellement : « Le monde a-t-il toujours existé, ou bien est-il sorti d'un principe antérieur? Il a eu un cornmencement. De ce qu'il est visible, ou peut le toucher. De ce qu'on peut le toucher, il a un corps. » Je lis ailleurs: « Découvrir le Créateur et le père de l'univers est chose difficile » Platon établit non-seulement que le monde a été engendré, mais qu'il n été engendré par Dieu. comme un fils l'est par son père. « Le père du monde a reçu ce nom, ajoute-t-il, parce qu'il a fait naitre le monde de lui seul et l'a créé de rien. » Les Stoïciens professent aussi l'opinion que le monde a eu un commencement. Il y a plus. Le diable, dont il est question à chaque page de la philosophie barbare sous le nom de prince des démons, Platon l'appelle, dans son dixième livre des Lois, l'âme malfaisante. Voici ses propres paroles : « Ne faut-il pas convenir encore que l'âme qui habite en tout ce qui se meut, et en gouverne les mouvements, régit aussi le ciel ? — Oui. Cette âme est-elle unique, ou bien y en a-t-il plusieurs? Je réponds pour vous qu'il y en a plus d'une. N'en mettons pas moins de deux, l'une bienfaisante, l'autre qui a le pouvoir de faire du mal. » Il dit également dans le Phèdre : « Il est encore d'autres maux ; mais à la plupart d'entre eux un démon a mêlé des joies et des plaisirs d'un moment. » Il va encore plus loin dans le dixième livre des Lois, où il semble commenter les paroles de l'apôtre: « Nous avons à combattre non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés, contre les puissances et contre les esprits répandus dans l'air. » Laissons parler le philosophe lui-même : « En effet, puisque nous sommes demeurés d'accord que l'univers était plein de biens et de maux, en sorte que la somme des maux surpasse celle des biens, il doit exister entre les uns et les autres une guerre immortelle qui exige une vigilance étonnante.» [5,14b] La philosophie barbare distingue aussi deux mondes, l'un perceptible à la seule intelligence, l'autre visible aux yeux du corps, le premier ayant servi d'archétype, le second formé sur cet admirable modèle. Elle rapporte à l'unité ce premier monde qui n'est connu que par l'intelligence; au nombre six, celui qui frappe nos sens. Chez les Pythagoriciens, en effet, le mariage est désigné par le nombre six, parce que c'est un nombre générateur. La philosophie révélée place donc dans l'unité ce ciel qui ne tombe pas sous nos sens, cette terre sacrée, et cette lumière qu'on ne voit qu'avec les yeux de l'âme. En effet, « au commencement, dit-elle, Dieu créa le ciel et la terre. Or, la terre était invisible. » Elle ajoute : « Et Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut. » Or, dans la création du monde sensible, Dieu fait le ciel solide, car ce qui est solide tombe sous les sens, la terre visible et la lumière palpable à notre œil. Eh bien ! Platon, laissant dans le monde intellectuel les idées des êtres vivants, et plaçant ici-bas les formes sensibles, moulées pour ainsi dire sur les divers types spirituels, ne suit-il pas encore les traces de Moïse ? Le législateur hébreu a donc raison de nous apprendre que ce corps, appelé par Platon une tente terrestre, a été pétri du limon de la terre, tandis que l'âme douée de raison, a été répandue sur la face de l'homme par le souffle de Dieu. Le visage, en effet, passe pour le siège de cette faculté dominante dans l'opinion qui explique de la sorte l'entrée de l'âme dans le premier homme par la voie des sens. Voilà pourquoi, ajoute-t-on, l'homme a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieu. Car la raison divine et royale, l'homme inaccessible aux passions, est l'image de Dieu, mais l'âme humaine n'est que l'image de l'image. Voulez-vous envisager cette ressemblance sous une autre dénomination ? Moïse va la caractériser, en disant qu'elle consiste à suivre Dieu. « Suivez le Seigneur votre Dieu, dit-il, et gardez ses commandements. » C'est qu'en effet on suit et on adore Dieu, quand on pratique la vertu. Telle est la raison pour laquelle les Stoïciens déclarent que la fin de la philosophie est de vivre conformément aux lois de sa nature. Platon, lui, la place dans la ressemblance même avec Dieu, ainsi que nous l'avons montré dans notre second livre des Stromates. Zénon le stoïcien, d'après Platon, et Platon lui-même, d'après la philosophie barbare, disent que tous les hommes de bien se chérissent mutuellement. « Il n'a pas été permis, dit Socrate dans le Phèdre, que le méchant fût ami du méchant, ou que l'homme de bien ne fût pas l'ami de l'homme de bien. » Il démontre longuement la même proposition dans le Lysis, où il conclut qu'il ne peut exister d'amitié durable entre l'injustice et la perversité. Citons encore les paroles de l'hôte athénien : « Mais qu'elle est la conduite agréable à Dieu ? une seule, fondée sur ce principe ancien, que le semblable plaît à son semblable quand l'un et l'autre sont dans le juste milieu ; car toutes les choses qui sortent de ce milieu ne peuvent ni se plaire les unes aux autres ni à celles qui ne s'en écartent point. Or, Dieu est pour nous la juste mesure de toutes choses. » Platon ajoute : « Suivant ce principe, l'homme de bien ressemble donc à l'homme de bien ; par là même il se rapproche de Dieu, et n'est plus seulement l'ami de tout homme de bien, mais de Dieu lui-même. » Ce passage me rappelle à la mémoire les derniers mots qui terminent le Timée ; « Il faut que l'être intelligent, conformément aux lois de son principe primitif, tâche de s'assimiler l'idée qu'il a comprise. Quand il s'est élevé jusque là, il a obtenu la perfection de cette vie vertueuse que les dieux proposent aux hommes, et qui ne se borne pas au présent, mais embrasse encore les siècles à venir. » Paroles qui, selon moi, ont la même signification que celles-ci : « Quiconque cherche ne s'arrêtera pas avant d'avoir trouvé ; une fois qu'il aura trouvé, il sera dans l'admiration ; après avoir admiré, il régnera; après avoir régné, il se reposera. » Mais quoi ! les réponses de Thalès empruntées aux livres saints, ne sont-elles pas le lumineux commentaire de ces expressions : « Dieu est glorifié d'âge en âge ? — » « Dieu connaît le fond des cœurs. » On demandait à Thalès : « Qu'est-ce que Dieu ? C'est répondit-il, ce qui n'a ni commencement, ni fin. » Un autre lui adressait la question suivante : L'homme peut-il cacher ses actions aux regards de la Divinité ? — « Comment y parviendrait-il, puisqu'il ne peut pas même lui dérober ses plus secrètes pensées ?» La philosophie barbare a su, elle aussi «qu'il n'y a de bon que ce qui est honnête, et que la vertu suffit pour être heureux, quand elle a dit : « Voici que j'ai placé devant tes yeux le bien et le mal, la vie et la mort. Choisis la vie. » Le bien, elle le nomme la vie. Le choix que nous faisons du bien, c'est le beau selon elle; le choix contraire, c'est le mal. Or, au bien comme à la vie, il n'y a qu'une seule et même fin : aimer Dieu. « Car ta vie et la longueur de tes jours » n'ont d'autre but que d'aimer la vérité et ce qui conduit. A la vérité. Mais voici des témoignages plus manifestes. Le Sauveur, après nous avoir presscrit d'aimer Dieu et le prochain, » ajoute : « Ces deux commandements renferment la loi et les prophètes. » Ces dogmes sont familiers aux Stoïciens, et avant eux Socrate avait terminé le Phèdre par cette prière : « Ô Pan, et vous, divinités qu'on honore en ce lieu, donnez-moi la beauté intérieure de l'âme. » Il dit formellement dans le Théétète : « L'orateur vertueux possède à la fois la bonté et la beauté. » Dans le Protagoras, il avoue aux amis de Protagoras qu'il vient de s'entretenir avec un homme qui était plus beau qu'Alcibiade, s'il est vrai que l'homme le plus sage soit aussi le plus beau. Selon lui, la vertu était la beauté de l'âme, comme le vice es était la laideur. Antipater le stoïcien, qui a écrit trois livres sur cette maxime de Platon : Il n'y a de bon que ce qui est honnête, prouve aussi que la vertu, comme l'a dit le même philosophe, suffit pour être heureux ; et il expose plusieurs autres principes qui s'accordent avec ceux du Portique. D'après Antipater, Aristobule, qui vécut sous le règne de Ptolémée-Philadelphe, et dont parle l'historien des Machabées, composa beaucoup de Traités où il démontre que la philosophie péripatéticienne s'est inspirée de la loi de Moïse et des autres prophètes. Que cette vérité reste donc solidement établie. Platon va nous fournir la preuve irrécusable que nous sommes frères, comme étant les fils du même Dieu et les disciples du même maître. Laissons le parler lui-même : « Habitants de cette ville, leur dirons-nous sous forme d'apologue, vous êtes tous frères. Mais le Dieu qui vous a faits a mêlé d'or, au jour de votre naissance, le germe dont furent produits ceux d'entre vous qui étaient destinés au commandement. De là vient qu'ils sont entourés de considération. Les défenseurs de l'état ont été mêlés d'argent à leur origine. La classe des laboureurs et des artisans a recu dans ses veines du fer et de l'airain. De là, poursuit Platon, il suit nécessairement que les premiers recherchent et embrassent ce qui est du domaine de la connaissance, et les autres ce qui est du domaine de l'opinion. » Peut-être le génie de Platon a-t-il pressenti cette nature d'élite qui a soif de la connaissance; à moins que par ces trois catégories de nature il n'ait voulu caractériser, comme plusieurs le soupçonnent, les trois espèces de gouvernements : l'argent désignerait la théocratie des Juifs ; le fer et l'airain, la démocratie des Grecs; et l'or, la monarchie chrétienne dans les membres de laquelle est répandu le Saint- Esprit, cet or vraiment royal. Toujours est-il que le philosophe a décrit la vie des Chrétiens dans les paroles suivantes, que j'emprunte au Théétète: «Parlons-en donc, mais des coryphées seulement; car qu'est-il besoin de faire mention de ceux qui s'appliquent à la philosophie sans génie et sans succès ? Le vrai philosophe ignore, dès sa jeunesse, le chemin de la place publique ; il ne sait où est le tribunal, ou est le sénat, et les autres lieux de la ville où se tiennent les assemblées. Il ne voit ni n'entend les lois et les décrets prononcés ou écrits ; les factions et les brigues pour parvenir au pouvoir; les réunions, les festins, les divertissements avec des joueuses de flûte, rien de tout cela ne lui vient à la pensée, même eu songe. Vient- il de naitre quelqu'un de haute ou de basse origine ? le malheur de celui-ci remonte-t- il jusqu'à ses ancêtres, hommes ou femmes? il ne le sait pas plus que le nombre des verres d'eau qui sont dans la mer, comme dit le proverbe. Il ne sait pas même qu'il ne sait pas tout cela ; à vrai dire, il n'est présent que de corps dans la ville. Son âme se promène de tous côtés, mesurant, selon l'expression de Pindare, les profondeurs de la terre; s'élevant jusqu'aux cieux pour y contempler la course des astres, portant un œil curieux sur la nature intime de toutes les grandes choses dont se compose cet univers, et ne s'abaissant à aucun des objets qui sont tout près d'elle. » A cette parole du Seigneur : « Que votre discours soit, oui, oui; non, non; » on peut opposer celle-ci : « Il ne m'est pas permis de souscrire au mensonge, ni d'étouffer la vérité. » Si le serment nous est interdit, j'entends Platon me dire pareillement au dixième livre des Iois : « Abstiens-toi en toutes choses de la louange et du serment. » Que dirai-je enfin? Pythagore, Socrate et Platon qui, selon eux, entendent la voix de Dieu quand ils contemplent la merveilleuse structure de l'univers, que la main divine a si habilement formé et qu'elle conserve tous les jours, n'avaient-ils pas recueilli de la bouche de Moïse ces mots : « Il a dit, et cela fut; » par lesquels l'historien sacré annonce qu'il suffit à Dieu de parler pour exécuter? S'agit-il de la création de l'homme qui a été formé du limon de la terre ? les philosophes lui donnent partout un corps formé de terre. Homère n'hésite point à s'écrier en guise d'imprécation: « Puissiez-vous, tous tant que vous êtes, devenir terre et eau !» « Que votre pied les foule comme la boue,» dit aussi le prophète Isaïe. Callimaque écrit positivement : « C'était le temps où les oiseaux, les poissons et les quadrupèdes parlaient comme la fange pétrie par Promethée. » On lit ailleurs dans le même poète : « Si c'est bien Prométhée qui t'a façonné, et tu n'es pas issu d'une autre fange que la sienne. » Hésiode s'exprime ainsi à l'occasion de Pandore : « Il ordonne à l'illustre Vulcain de détremper un peu de terre dans de l'eau, et de placer dans le mélange la voix et l'intelligence de l'homme. » [5,14c] Les Stoïciens définissent la nature un feu intelligent qui circule pour la génération par des voies mystérieuses. Or, l'Écriture appelle dans son langage allégorique Dieu et son Verbe du nom de feu et de lumière. Mais quoi ! Homère ne décrit-il pas la séparation de l'eau d'avec la terre et l'apparition de l'aride, quand il rappelle le divorce de Thétys et de l'Océan ? « Depuis longtemps la même couche ne les voit plus s'unir dans de tendres caresses. » En outre, les plus savants d'entre les Grecs attribuent à Dieu la souveraine puissance sur toutes choses. Qu'on en juge par le pythagoricien Épicharme : « Rien ne peut échapper à l'œil de Dieu ; ne l'oublie jamais, son regard est continuellement sur nous. A lui seul rien n'est impossible. » Écoutons le poète lyrique : « Dieu peut rappeler les clartés du jour des profondeurs de la nuit, et couvrir de ténèbres la pure clarté du jour.» « Celui, dit-il ailleurs, qui du jour peut faire la nuit, voilà le Dieu. » Aratus dans son poème des Phénomènes, débute par cette invocation : « Commençons par Jupiter ; son nom doit retentir à jamais dans la bouche des mortels. Les rues, les places publiques, les ports, l'immensité de l'Océan, tout est plein de sa majesté. Le bras secourable de Jupiter nous soutient et nous conserve. » Le poète va en donner les motifs : « C'est que nous sommes tous ses enfants. » Oui, par la création. « Il nous signale sa bienveillante protection par les œuvres de sa main, et anime au travail la multitude des peuples. N'est-ce pas lut en effet qui a placé des signes dans le ciel, qui a distribué avec sagesse et affermi les astres pour présider a l'ordre des saisons et féconder régulierement la terre? Aussi est-ce toujours à Jupiter que s'adressent nos premiers et nos derniers hommages. Salut à toi, père des humains, être merveilleux dans ta grandeur, et source de tous les biens pour l'homme ! » Avant Aratus, Homère, s'inspirant de Moïse, avait déjà figuré sur le bouclier forgé par Vulcain un tableau de la création du monde. « L'ouvrier divin y avait représenté, dit-il, la terre, le ciel, la mer et tous les astres qui couronnent le ciel. » Le Jupiter, tant célébré par les poctes et les orateurs, n'est pas autre que le Dieu véritable. Démocrite, dont il faut citer aussi le témoignage, dit : « Il est peu d'hommes sous le soleil qui étendent leurs mains vers celui que nous autres Grecs nous appelons Air aujourd'hui. C'est Jupiter qui révèle tout, qui connait tout, qui donne et enlève tout : il est le roi de l'univers. » Pindare le thébain s'exprime d'une manière encore plus mystique, en sa qualité de sectateur de Pythagore : « Une est la race des hommes ; une est la race des dieux. Les uns et les autres nous avons recu d'une seule mère le souffle qui nous anime. Cette mère, c'est, la matière. » Le lyrique ajoute que le Créateur des dieux et des hommes est un. Il le nomme « le Père, le sage et sublime ouvrier, qui nous élève graduellement et selon nos mérites vers la Divinité. » Laissons de côté le témoignage de Platon qui, dans sa lettre à Éraste et à Corisque, désigne clairement, d'après les livres hébreux, et avec une merveilleuse précision, le Père et le Fils: « Voulez-vous faire des serments avec un zèle qui ne soit point aveugle et avec la doctrine sœur du zèle ? Jurez par le Dieu auteur de toutes choses, et par le Seigneur, père de celui qui est à la fois cause et directeur universel. Vous le connaitrez infailliblement, si vous suivez la route de la véritable philosophie. » Un passage du Timée donne aussi au Créateur le nom de Père : « Dieux, fils des dieux dont je suis le père et le créateur, ainsi que de toutes choses. » De même quand Platon dit encore : « Tout est soumis au roi de toutes choses. C'est par lui que l'ensemble de l'univers existe : il est l'auteur de tout bien. Les choses qui tiennent le second rang relèvent du second ; les troisièmes du troisième; » je ne puis voir dans ces paroles que l'énonciation du mystère de la sainte Trinité; le troisième désigne le Saint-Esprit, et le second représente le Fils par lequel tout s'exécute d'après la volonté du Père. Dans son dixième livre de la République, Platon parle d'un certain Éros, fils d'Arménius, et originaire de Pamphylie, qui n'est autre que Zoroastre. Ce Zoroastre parle ainsi de lui-même: « Zoroastre, fils d'Arménius, et originaire de Pamphylie, est l'auteur de cet ouvrage. Mort dans le combat, il apprit des dieux infernaux, les révélations que voici. » Suivant Platon, ce même Zoroastre revint à la vie, douze jours après sa mort, et lorsqu'il était déjà étendu sur le bûcher. Peut-être le philosophe désigne-t-il en cette rencontre la résurrection ; peut-être aussi annonce-t-il énigmatiquement que les âmes sont obligées de traverser les douze signes du zodiaque avant d'être reçues dans le ciel, de même qu'elles descendent par cette voie sur la terre, au moment de la naissance. Il ne faut pas chercher une autre explication aux douze travaux d'Hercule, après lesquels l'âme est délivrée des angoisses de ce monde. Je ne veux pas laisser échapper l'autorité d'Empédocle. Selon ce physicien, la rénovation de l'univers s'accomplira quelque jour, par la transformation de toutes choses en feu. Héraclite d'Éphèse est évidemment de la même opinion, lorsqu'il distingue deux mondes, l'un éternel, l'autre périssable, mais uniquement dans sa forme et son organisation extérieure, et ne différant pas du premier sous plus d'un rapport. Qu'il attribue l'éternité à celui qui, composé de l'immuable nature des choses, demeure toujours semblable à luimême, il le déclare formellement par ces paroles : « Le monde qui embrasse l'universalité des êtres, ce n'est ni un Dieu, ni un homme, qui l'a fait. Il a été, il est, et il sera toujours un feu éternellement subsistant, qui tour à tour s'allume et s'éteint avec mesure. » Voulez-vous de plus la preuve qu'il regarde comme soumis à la corruption et à la mort le monde qui a été créé? vous la trouverez dans les lignes suivantes : « Voici les diverses transformations du feu : il devient d'abord l'eau de la mer ; la moitié de celle-ci se convertit en terre ; puis la moitié de la terre s'évapore en tourbillon igné. » Déclarer que ces modifications s'accomplissent par la puissance, c'est dire, à mon avis, que la vertu de ce Verbe et de ce Dieu, par qui sont réglées toutes choses, transforme dans l'air le feu en une substance humide, qu'il appelle mer, vaste laboratoire d'où sortirent les magnificences de notre monde, le ciel, la terre, et tout ce qui est contenu dans leur sein. Mais comment le monde redevient-il semblable à lui- même pour s'embraser de nouveau ? Héraclite nous l'expose clairement en ces termes : « La mer se répand de la même manière et dans la même mesure qu'avant la formation de la terre. Et ainsi des autres éléments. » Les Stoïciens les plus habiles professent des opinions semblables sur la conflagration et sur le gouvernement du monde, sur le monde et sur l'homme proprement dits, enfin sur l'immutabilité de notre âme, au milieu de ces vicissitudes. Dans le septième livre de la République, Platon appelle le jour qui nous éclaire ici-bas une lueur nocturne, sans doute à cause des princes de ce monde ténébreux. » Ailleurs, marchant sur les pas d'Héraclite, il dit que la descente de l'âme dans le corps qu'elle vient animer, est un sommeil et une mort. L'esprit qui inspirait David n'a-t-il pas prédit quelque chose de pareil à l'occasion du Sauveur? « Je me suis couché et je me suis endormi. Et je me suis réveillé, parce que le Seigneur est mon appui.» Il y a ici une double allégorie. La résurrection du sauveur est son réveil, de même que son incarnation est son sommeil. Voilà pourquoi le Christ nous recommande de veiller, c'est-à-dire : songez à vivre, et travaillez sérieusement à séparer l'âme des embrassements du corps. Platon prédit le jour du Seigneur dans son dixième livre de la République : « Quand chacun, dit-il, est demeuré pendant sept jours dans la prairie, il faut enfin partir, le huitième jour, et arriver au but après quatre jours de marche. » J'entends par cette prairie la sphère immobile, douce et paisible demeure des saints, et par les sept jours, les divers mouvements des sept planètes, et tout mode d'action qui gravite vers le tenue du repos. La route qui s'ouvre par delà les planètes est celle qni conduit au Ciel, figuré par le huitième mouvement et le huitième jour. Le voyage de quatre jours n'est rien moins que la route à travers les quatre éléments. Le septième jour est tenu pour sacré, non pas seulement chez les Hébreux, mais encore chez les Grecs, parce qu'il vit le monde accomplir sa première révolution avec l'universalité des animaux et des plantes qui le peuplaient. C'est ce qui inspire ces paroles à Hésiode : « Le premier, le quatrième et le septième jours de la lune sont sacrés. » Et ailleurs : « Déjà brillait, au septième jour, la lumière d'un soleil heureux. » Homère dit aussi : « Le septième jour rallume son tlambeau sacré pour les mortels. » Et: « Le septième jour fut sacré. » Et encore : « Alors se leva le septième jour, dans lequel tout fut consommé. » Enfin : « A la septième aurore nous abandonnâmes les rives de l'Achéron. » Le poète Callimaque est d'accord avec les témoignages qui précèdent : — « Déjà brillait le septième jour dans lequel toutes choses furent achevées. » — « Le septième jour est favorable; c'est le jour de la naissance. » — « Le septième jour est à la fois le premier et le dernier. » — « Tous les astres qui roulent dans les plaines de l'air et accomplissent leur révolution annuelle, ont été créés en sept jours. » Les élégies de Solon relèvent la dignité du septième jour. Mais quoi ! Ne voilà-t-il pas que conformément à ces paroles de l'Écriture : « Retranchons le juste du milieu de nous, parce qu'il nous est à charge, » [5,14d] Platon en vient presque, dans son second livre de la République, à prophétiser la salutaire économie de la passion de notre Seigneur? « Le juste dans cet état, sera flagellé, torturé, chargé de chaînes; on lui arrachera les yeux ; enfin, après avoir enduré toutes les ignominies possibles, il sera mis en croix. » Ecoutons Antisthène, il va commenter le mot de l'Écriture : « A qui me comparerez-vous, dit le Seigneur? « Dieu, s'écrie le disciple de Socrate, n'est semblable à personne, parce que nulle image ne peut le faire connaître à personne. » L'athénien Xénophon va se rapprocher de ces idées : « Celui qui ébranle l'univers et le raffermit, manifeste par là même sa grandeur et sa puissance. Mais quelle est sa forme? Elle échappe aux regards de l'homme. Le soleil lui- même, qui répand sa lumière sur toute la nature, ne se laisse pas regarder impunément. Quiconque fixe sur lui un œil téméraire, perd la vue. » « Quel œil de chair pourrait appercevoir le Dieu immortel, le Dieu qui habite le ciel, et dont le trône est placé sur les pôles du monde ? Mortel, tu veux contempler la Divinité ! Et ton regard ne peut supporter un moment l'éclat des rayons qu'en voie le soleil. » Ainsi chantait la Sibylle antique. C'est donc avec une raison pleine de sagesse que Xénophane de Colophon, pour nous avertir qu'il n'y a qu'un Dieu et qu'il est incorporel, finit par ces mots : « Le Dieu qui commande aux dieux et aux hommes, est un. Il n'a point un corps comme les mortels ni un esprit semblable au leur. » Il ajoute : « Les hommes s'imaginent que les dieux sont engendrés; ils leur donnent une forme, une voix, un corps, comme à eux-mêmes. » Et ailleurs : « Donnez des mains au bœuf et au lion ; qu'ils puissent peindre ou sculpter à la manière des hommes : le cheval représentera Dieu sous la forme d'un cheval ; le bœuf sous la forme d'un bœuf. Que dire enfin ? chaque animal revêtira la Divinité du corps qui lui appartient. » Écoutons le lyrique Bacchylide parlant à son tour de la nature divine : « Inaccessible aux maladies, pure de toute faute, rien qui ressemble aux mortels. » Cléanthe le stoïcien s'exprime ainsi dans son hymne a la Divinité : « Quel est le bien suprême, dis-tu ? Apprends-le de ma bouche ! c'est ce qui est réglé, juste, saint, pieux, maître de soi, utile, beau, convenable, austère, rigide, toujours avantageux ; supérieur à la crainte, exempt de douleur, étranger à la souffrance, salutaire, agréable, d'accord avec soi-même, illustre, vigilant, doux, permanent, inimitable, éternel. » Puis, blâmant indirectement l'idolâtrie du vulgaire : « Esclave, s'écrie-t-il, que celui qui s'attache à l'opinion ! L'insensé pense vainement en retirer quelque profit. » II ne faut plus aller demander au vulgaire ce qu'on doit penser au sujet de Dieu : « Non, je ne croirai jamais que prenant la figure d'un adultère il se soit glissé furtivement dans ta couche, comme un lâche criminel, » dit Amphion à Antiope. Sophocle néanmoins ne laisse pas d'écrire formellement : « Jupiter entra dans la couche de celle qui fut la mère d'Amphion, non pas sous la forme d'une pluie d'or, ni sous le plumage d'un cygne, comme au jour où il rendit mère la vierge de Pleurone, mais sous les apparences d'un homme véritable. » Poursuivant la même infamie, il ajoute : « L'adultère franchit d'un pas rapide les dégrés de la chambre nuptiale. » Puis il raconte en termes plus clairs encore l'incontinence effrénée du Dieu, « Qui, sans prendre de nourriture, sans se laver les mains, plein de sa passion, s'élance vers la couche adultère, et satisfait pendant toute la nuit sa fièvre de volupté.» Mais abandonnons ces turpitudes à l'extravagance des théâtres. Héraclite dit en termes formels : « Les hommes ne comprennent l'éternelle raison, ni avant de l'entendre, ni après l'avoir entendue. » La lyre de Mélanippide fait entendre ces accents: « Ecoute mes vœux, ô Père, objet de l'admiration des hommes, toi qui gouvernes l'âme toujours vivante ! » Le grand Parménide, ainsi que l'appelle Platon dans le Sophiste, s'exprime ainsi sur Dieu : « Il n'a point commencé, il n'aura jamais de fin ; unique, non engendré, universel, inébranlable. » Selon Hésiode : « Vous êtes le roi et le souverain de tous les immortels. Qui pourrait vous disputer l'empire ? Personne. » La tragédie elle-même arrache l'homme au culte des idoles et l'enseigne à lever ses regards vers le ciel. Sophocle, en effet, au rapport de l'historien Hécatée, dans son livre intitulé : "Abraham et les Egyptiens", s'écrie du haut de la scène tragique : « Dans la vérité, il n'y a qu'un Dieu qui a fait le ciel et la terre, et la mer azurée et les vents impétueux. Faibles mortels que nous sommes, dans l'égarement de notre cœur, nous dressons aux dieux des statues, comme pour trouver dans ces images de bois, d'airain, d'or, d'ivoire, une consolation à nos maux. Nous leur offrons des sacrifices; nous leur oonsacrons des jours de fête, nous imaginant qu'en cela consiste la piété. » Euripide va prêter le même langage à la tragédie : « Vois-tu l'air qui s'étend au-dessus de nos têtes, libre, immense, sans bornes, et enveloppant la terre de ses humides embrassements. Dis-toi à toi-même : Voilà Jupiter; voilà Dieu. » Le même poète laisse échapper ces accents dans sa tragédie de Pirithoüs. « Je t'invoque, Être né de toi-même, toi qui entraînes toute la nature dans le tourbillon de l'éther, toi que la clarté du jour et les ténèbres de la nuit et le chœur innombrable des astres environnent sans cesse de leur pompeux cortège. » Par ces mots être né de toi-même, le poëte entend l'intelligence créatrice. Les vers qui suivent s'appliquent au monde, théâtre où l'ombre lutte contre la lumière. Eschyle, fils d'Euphorion, définit Dieu avec une majestueuse gravité : « Zeus est l'air; Zeus est la terre; Zeus est le ciel ; Zeus est tout, et s'il y a quelque chose de plus grand encore, c'est Zeus. » Platon vient confirmer également le témoignage d'Héraclite qui dit : « L'Etre qui possède seul la sagesse ne se contente pas d'être appelé l'Unique; il aime aussi le nom de Zeus. » — « La loi, dit-il ailleurs, c'est d'obéir aux préceptes de l'Être unique. » « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! » Voulez-vous pénétrer dans le sens profond de cette maxime des livres saints ? Vous la trouverez ainsi commentée par le même Héraclite d'Ephèse : « Ceux qui entendent sans comprendre ressemblent a des sourds, et ils justifient le proverbe : Absent quoique présent. » Voulez-vous maintenant que les Grecs proclament un seul principe ? Timée de Locres va vous dire textuellement, dans son Traité de la nature : « Le principe de toutes choses est un et incrée. Supposez-le né de quelque autre principe, il cesserait à l'instant d'être principe pour céder la place à qui lui aurait donné l'être. » Doctrine conforme à la vérité, et qui découle de ces paroles de la Bible : « Écoute, ô Israël ! le Seigneur ton Dieu est unique, et tu ne serviras que lui seul. » « Voici qu'il se révèle à tous, et qu'il dissipe les images de l'erreur, » s'écrie la Sibylle. Homère aussi, par une heureuse inspiration, semble deviner le Père et le Fils lorsqu'il met ces mots dans la bouche des Cyclopes : « Puisque Personne te fait violence dans ta solitude, il n'est pas possible d'écarter les maux que t'envoyé le grand Jupiter. — « Car les Cyclopes ne s'inquiètent point de Jupiter. » Et avant Homère, Orphée, traitant du sujet qui nous occupe, s'écriait : « Fils du grand Jupiter, père de Jupiter qui porte l'égide. » Quand Xénocrate de Chalcédoine distingue deux Jupiter, l'un qu'il nomme le suprême, l'autre qu'il appelle le dernier, ne paraît-il pas nous donner une image du Père et du Fils ? Mais voici qui est plus étrange encore. Homère lui-même, qui nous montre les dieux dominés par les mêmes passions que les hommes, et qui a essuyé là-dessus les reproches d'Épicure, semble connaître la Divinité. Toujours est-il qu'il écrit ces paroles : « Pourquoi, fils de Pélée, mortel que tu es, poursuis-tu d'un pas rapide un Dieu que la mort ne peut atteindre ? N'as-tu donc pas encore reconnu ma divinité ? » Le poète nous déclare ainsi que les pieds, les mains, les yeux, tous les organes de l'homme enfin, sont impuissants pour atteindre ou saisir la Divinité. « A qui avez-vous comparé le Seigneur, dit l'Écriture? quels traits ont formé son image ? L'ouvrier n'a-t-il pas fait vos statues ? l'orfèvre ne les a-t.il pas dorées ? etc. Le poète comique Épicharme désigne clairement dans sa République, le Verbe divin : « La Raison et le Nombre sont absolument nécessaires à la vie de l'homme. » Ailleurs : « Nous ne vivons que par la Raison et le Nombre. Rien autre qui soit capable de nous sauver. » Puis il ajoute avec plus de précision encore : La Raison gouverne les hommes et conserve les mœurs. » Enfin : « Il y a le raisonnement humain et la raison divine. Le raisonnement humain veille aux nécessités matérielles de la vie. Mais la raison divine est la mère et l'inventrice des arts ; c'est elle qui enseigne personnellement à chacun de nous ce qui lui est utile. Car ce n'est pas l'homme qui a inventé l'art : il vient de Dieu, et de Dieu seul ; la raison de l'homme n'a pas d'autre source que la raison divine. » Poursuivons. Vous avez entendu l'Esprit saint s'écrier par la bouche d'lsaïe : « Quel fruit me revient-il de la multitude de vos victimes ? Je suis rassasié de vos holocaustes et de vos boucs ; je ne veux plus de la graisse de vos agneaux, ni du sang de vos taureaux. » Puis il ajoute un peu plus bas : « Lavez-vous, purifiez-vous, et faites disparaître la malice de vos pensées, etc. » Eh bien ! le comique Ménandre va presque reproduire les mêmes expressions : « Si quelqu'un, ô Pamphile, croit, par de nombreux sacrifices de taureaux, de chevreaux, et de victimes semblables, ou par quelque précieux ouvrage sorti de ses mains, tel qu'une chlamyde tissue d'or ou de pourpre, ou des statues d'ivoire et d'émeraude, se rendre Dieu favorable, il s'abuse, et son esprit est aveuglé. Le devoir de l'homme, c'est d'être bon, de respecter la pudeur des vierges et des épouses, de s'abstenir du meurtre et du vol, de ne pas même désirer la plus petite partie du bien d'autrui, ô Pamphile ! Car Dieu est près de vous ; il vous voit. » — « Je suis le Dieu de près et non pas seulement le Dieu de loin. Si quelqu'un agit dans les ténèbres, ne le verrai-je pas, » dit Dieu par la bouche de Jérémie. Ménandre va encore commenter cette parole de l'Écriture : « Offrez à Dieu le sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. » Ecoutons le poète : « O mon ami, ne convoite pas même la plus petite parcelle du bien d'autrui ; car Dieu aime les œuvres justes, il déteste l'iniquité. Il ne permet d'accroître sa fortune que par un travail assidu. Sois donc juste jusqu'à la fin, et sacrifie toujours à Dieu, non point avec la richesse et la pompe des vêtements, mais avec la pureté de l'âme. Le tonnerre vient-il à gronder, ne fuis pas, ô maître ! si ta conscience te rend un bon témoignage. Car Dieu te voit ; il est à tes côtés. » — « Tandis que tu parleras encore, suivant la promesse de l'Écriture, je dirai : Me voici. » Le poète comique Diphile mentionne aussi le dernier jugement : « Pensez-vous, ô Nicérate, que ceux dont la vie s'est écoulée dans les festins et dans les plaisirs, puissent échapper après leur mort à la justice divine ? L'œil de la justice est là qui voit tout. Nous savons qu'il existe deux chemins à l'entrée des enfers, l'un qui conduit au séjour des justes, et l'autre à la demeure des impies, quoique la terre les recouvre éternellement. Allez donc, dérobez, ravissez, ne respectez rien ; mais ne vous y trompez pas, il y a un jugement dans l'enfer, un jugement qu'exercera Dieu, le maitre souverain de l'univers, dont je n'oserais prononcer ici le nom formidable. Il prolonge quelquefois la vie du méchant : que le méchant ne pense pas pour cela que ses crimes de tous les jours lui soient cachés ou qu'il les regarde avec indifférence ; car cette pensée serait un nouveau crime. La main de la justice retarde la vengeance. Vous qui croyez que Dieu n'est pas, prenez garde ! Il existe, oui, il existe un Dieu ! Si quelqu'un, né mauvais, a fait le mal, qu'il profite du temps qui lui est laissé ; car plus tard il subira des châtiments terribles. » Même langage de la part de la tragédie. « Un jour viendra, jour triste et lamentable où l'éther déchainera les tourbillons de feu qui couvaient dans son sein ; alors la flamme dévorera tout ce qui peuple la terre et le ciel, et il n'y aura point de borne à sa fureur.» Et quelques vers plus bas : « Et quand tout sera consommé, l'abime de l'océan sera désert; la terre sera désolée : plus de tribus ailées qui s'envolent de sa surface aride vers les hauteurs du ciel ; puis ce qui avait été détruit renaîtra. » -Les poèmes orphiques nous offrent des idées analogues : « Tout ce qu'il avait enseveli dans son cœur sacré, il le rendit à la lumière brillante du soleil, sous une forme plus belle que par le passé. » Si nous vivons dans l'innocence et la justice, nous serons sans doute heureux ici bas, mais nous le serons mille fois davantage au sortir de ce monde, puisque au lieu de la félicité du temps, nous jouirons de l'éternel repos, « Partageant la demeure et la table des immortels, délivrés à tout jamais des maux et des douleurs qui affligent l'humanité,» comme nous le promet la muse philosophique d'Empédocle. [5,14e] Ainsi donc, même selon la croyance des Grecs, il n'y aura pas d'hommes assez grands pour s'élever au-dessus du tribunal suprême, assez petits pour se dérober aux yeux du juge. Le même Orphée nous parle en ces termes. : « Tiens toujours les regards fixés sur le Verbe divin sans jamais les en détourner ; et attentif à sonder les replis de ton âme, marche d'un pas ferme dans la voie droite, ne contemplant jamais que le roi immortel de l'univers.» Ailleurs, il nomme Dieu l'invisible. Il ne s'est révélé, ajoutet-il, qu'à un seul homme d'origine chaldéenne, soit qu'il désigne ici Abraham, soit qu'il veuille parler de son fils. Citons-le textuellement : « Il ne s'est révélé qu'au descendant d'une famille chaldéenne. Ce sage connaissait le cours du soleil, et la révolution qu'il accomplit autour de la terre, entrainant avec lui la sphère des deux, et roulant sur son axe. Il savait quels sont les esprits qui gouvernent le monde, parcourent les airs et descendent dans les profondeurs de l'abime. » Puis, comme pour expliquer ces paroles des livres saints : « Le ciel est mon trône, et la terre mon marche-pied », il ajoute : « Inébranlable, éternel, il siège au plus haut des cieux sur un trône dor. La terre est son marche-pied. Sa droite touche aux extrémités de l'océan. Le souffle de sa colère ébranle jusque dans leurs fondements les montagnes qui ne peuvent supporter le poids de sou courroux. Il habite en tout lieu, quoique le ciel soit sa demeure. Rien de ce qui se fait sur la terre ne se fait sans lui ; car il est le commencement, le milieu et la fin de toutes choses. Que dis-je ? Il n'est pas même permis de le nommer. A sa seule pensée, mon corps tremble et frissonne. Des hauteurs où il réside, il gouverne tout ici bas, etc. » Magnifique langage, qui rappelle manifestement ces paroles du prophète : « Si vous ouvrez le ciel, les montagnes tremblent et se fondent devant votre face, comme la cire devant le feu ; » et celles-ci d'Isaïe : « Qui, de sa main étendue a mesuré le ciel ? Qui a pésé l'univers dans le creux de sa main? » On retrouve le même fonds d'idées dans cet autre fragment d'Orphée: « Monarque du ciel et des enfers, monarque de la terre et des ondes, toi qui ébranles l'olympe par la voix du tonnerre, toi que redoutent les génies, que craint la foule des dieux ; toi auquel obéissent humblement les Parques, inexorables pour tout autre, Être éternel que nous honorons sous le double titre de Père et de Mère, ta colère secoue le monde entier; tu déchaînes les vents, tu enveloppes la nature d'épais nuages, et tu déchires les airs par les sillons de ta foudre. Les astres accomplissent leurs révolutions suivant tes lois immuables. Auprès de ton trône étincelant est rangée la multitude des anges, dont la tâche est de veiller aux besoins des mortels et à l'exécution de tes commandements. Le printemps, avec les fleurs nouvelles dont il se couronne, est à toi. L'hiver, avec sa ceinture de glaces et de frimats, est à toi. C'est à toi que nous devons et les présents de la vigne et les fruits de l'automne. » Puis, le poète proclamera en termes non équivoques la toute-puissance de Dieu : « Inaccessible aux atteintes de la mort, les immortels, eux seuls, ont le droit d'articuler son nom. Descends, ô le plus grand des dieux ! Viens, accompagné de l'inflexible nécessité ; viens, Dieu formidable, invincible, grand, immortel, toi qui as les cieux pour couronne ! » Par cette expression, que nous honorons sous le double nom de Père et de Mère, (en grec Métropator), Orphée désigne la création des êtres que Dieu a tirés du néant. Je ne serais pas étonné que ce passage n'ait fourni aux partisans des Émanations et des Aeons, l'idée de donner une épouse à Dieu. Au reste, le poète, va commenter les paroles d'Isaïe : « Voici celui qui condense la foudre et qui crée les tempêtes, et dont les mains ont formé la milice du ciel ; » et les paroles que Dieu prononça par la bouche de Moïse : « Voyez, voyez que je suis l'Unique et qu'il n'y a point d'autre Dieu que moi. C'est moi qui tue et moi qui fais vivre; moi qui frappe et qui guéris : nul ne peut s'arracher de ma main. » « Aux douceurs de la joie il fait succéder les angoisses de la tribulation, les horreurs des combats, et les lamentables destinées. » Ainsi chante Orphée. Archiloque de Paros, s'écrie également : « Ô Jupiter, le ciel est ton empire. Mais du haut de ta demeure tu vois ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. » Écoutons encore une fois le chantre de la Thrace ; sa lyre nous répète : « Sa droite touche aux extrémités de l'océan ; la terre est son marche-pied.» L'imitation est ici palpable; elle rappelle les paroles suivantes : « Le Seigneur préservera de tout danger les villes des nations, et il prendra l'univers tout entier dans sa main comme un nid. » — « C'est le Seigneur qui a fait la terre par sa puissance, et qui a mis l'univers en équilibre, » dit Jérémie. Joignons aux témoignages profanes celui de Phocylide, qui donne aux anges le nom de génies, et les distingue en bons et en mauvais, parce que nos traditions lui ont parlé des anges rebelles. « Des démons différents agissent d'une manière différente sur les hommes ; les uns sont chargés d'éloigner d'eux les maux qui les menacent...» Le poëte comique Philémon battait donc en ruine l'idolâtrie, quand il disait: « La fortune n'est pas un dieu. Non, elle n'est pas un dieu; tout ce qui nous arrive inopinément et par hasard, nous l'appelons du nom de fortune. » Même éloge pour Sophocle : « Tout ne va point au gré des dieux. Jupiter seul a le gouvernement suprême ; il est le principe et la fin de toutes « choses.» Orphée dit aussi : « Il n'y a qu'une puissance, qu'une Divinité suprême dont la lumière rayonne dans les cieux. Tout a été fait par elle, tout se meut dans sou mouvement, la terre, l'eau, le feu. ». Le lyrique thébain, dans l'enthousiasme qui le transporte, s'écrie : « Qu'est-ce que Dieu ? — L'univers. » « Dieu est le créateur de tous les mortels, » dit-il encore ; et ailleurs : « Homme, pourquoi attends-tu de l'homme un peu de sagesse ? Sonder les conseils des dieux est une entreprise difficile à l'intelligence humaine. L'homme est né d'une mere mortelle. » Cette dernière maxime n'est que l'écho d'Isaïe : « Qui a connu la pensée du Seigneur ? qui a été son conseiller ? » Hésiode parle aussi comme le prophète : « Il n'est aucun devin, parmi les enfants des hommes, qui puisse connaitre la pensée du puissant Jupiter. » L'athénien Solon a donc raison de dire, après Hésiode, dans ses élégies : « La pensée des immortels est un profond mystère pour les hommes. » [5,14f] L'Écriture avait prédit que la femme, en expiation de sa désobéissance, enfanterait dans la douleur et les angoisses. Un poète dont le nom n'est pas sans gloire a dit : « Travailler et pleurer le jour comme la nuit, voilà quel est son triste lot. Jamais les Dieux ne cesseront de lui envoyer de nouvelles douleurs. » Quand Homère nous montre le Tout-Puissant « Tenant dans sa droite la balance d'or, » il nous parle symboliquement de la justice de Dieu. Ménandre va rendre témoignage à sa bonté : « Aussitôt qu'un homme vient à naitre, un bon génie descend auprès de lui, bienveillant initiateur qui l'introduira dans les mystères de l'existence. Que ce soit un génie fatal, chargé de l'enlever à une vie vertueuse, on ne saurait le penser. » Puis il termine par des mots qui, dans leur combinaison grammaticale, peuvent signifier à la fois, ou que tout Dieu est bon, ou ce qui est plus probable, que Dieu est bon en toutes choses. Le tragique Eschyle, essayant de définir la puissance divine, ne craint pas d'appeler Dieu le Très-Haut : « Garde-toi de confondre Dieu avec les mortels, et ne va point t'imaginer qu'il est de chair comme eux. Tu ne le connais pas, dis-tu. Tantôt il éclate sous la forme d'un feu qui ne se laisse pas toucher ; tantôt c'est une vague et tantôt un brouillard. Parfois il prend la ressemblance d'une bête féroce ; c'est le vent qui siffle, le nuage qui passe, l'éclair qui brille, le tonnerre qui gronde, le torrent qui se déchaine. La mer, les rochers, les lacs lui obéissent. Tout tremble sous un de ses regards, et la face de la terre, et les gouffres de l'océan et la cime des montagnes les plus élevées. Car toute- puissante est la gloire du TRES-HAUT. » Ce passage ne vous semble-t-il pas le commentaire de cette parole : « Devant la face du Seigneur la terre tremble? » II y a mieux. Apollon lui-même, si célèbre par sa connaissance de l'avenir, rend témoignage à la gloire de Dieu, contraint qu'il est de déclarer que, pendant l'invasion des Mèdes en Grèce, Minerve, divinité suppliante, a invoqué le secours de Jupiter en faveur de l'Attique. Ainsi parle l'oracle : « Les prières et l'habileté de Pallas ont été vaines ; rien n'a pu fléchir la volonté de Jupiter olympien. Il se prépare à livrer aux flammes plusieurs temples consacrés aux immortels, qui déjà tremblent d'épouvanté et se couvrent d'une sueur glacée. » Théaridas écrit dans son Traité de la Nature : « Le principe de cet univers, le véritable principe, est un ; car il est éternel et dès lors unique. » « Rien n'existe sans la volonté du monarque suprême, » dit Orphée. Le poète comique Diphile, marchant sur les traces d'Orphée, écrit avec un sens profond : « Le père de toutes choses, l'auteur et le créateur de tous les biens qui t'environnent, adore-le constamment ; adore-le lui seul. » C'est donc à bon droit que Platon accoutume les natures d'élite « à s'approcher de la science que nous avons reconnue déjà pour la plus sublime, à contempler le bien par excellence et à graviter vers lui par un effort soutenu. Il ne s'agit point ici d'une révolution indifférente et passagère, comme dans les jeux de l'enfance, mais d'un mouvement régulier qui sort l'âme de l'espèce de jour nocturne où elle était ensevelie, et la tourne vers la lumière de la vérité par la voie que nous appellerons dès lors la véritable philosophie. » Et ceux qui s'engagent dans ces routes, Platon les regarde comme appartenant à la race d'or. « Vous êtes tous frères, » dit-il. Or, tous ceux qui appartiennent à cette race d'or ont la faculté de juger sainement de toutes choses. [5,14g] Ainsi donc, tous les êtres possèdent par une force instinctive, et sans le secours de l'éducation, le sentiment de l'existence de leur père et créateur commun. Des rapports de sympathie unissent la nature inorganique à la nature animée. Parmi les êtres vivants, les uns jouissent déjà de l'immortalité, les autres s'agitent et peinent encore tout le long du jour sur la terre. Parmi les mortels, ceux-ci sont livrés à d'aveugles terreurs et enfermés dans le sein qui les porte ; ceux-là se meuvent dans le libre exercice de leur indépendance. Puis la grande famille humaine se divise en Grecs et en Barbares. Dans ce nombre, pas une peuplade de laboureurs, pas une tribu nomade, pas une nation enfermée dans des cités qui puisse vivre et se maintenir sans une foi instinctive à un être supérieur. Aussi, courez de l'orient à l'occident, du nord au midi, partout vous trouverez une seule et même prénotion an sujet du monarque suprême, parce que les effets universels de cette puissance créatrice embrassent également tous les lieux. Les philosophes de la Grèce, avec leur soif d'investigations, soutenus d'ailleurs par leurs communications avec la philosophie barbare, allèrent plus loin que leurs contemporains. Ils attribuèrent les soins providentiels au Dieu invisible et unique, au Créateur suprême et à la cause immédiate des choses les plus belles. Toutefois les conséquences de leurs doctrines leur échappent, si nous ne leur venons en aide pour les leur découvrir ; ils ne savent pas même comment il a été donné à cette nature de connaitre Dieu. Mais, nous l'avons déjà dit, ils le définissent par des circonlocutions voisines de la vérité. L'apôtre a donc eu raison de dire : « Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs ? ne l'est-il pas aussi des Gentils ? » entendant par là, que ceux d'entre les Grecs qui croient parviendront à la connaissance de Dieu. Non ; ce n'est point ici une simple prophétie. Il déclare que sous le point de vue de l'autorité Dieu est le Seigneur de tous les hommes, et qu'il est réellement tout-puissant, tandis qu'envisagé sous le rapport de la connaissance, il n'est pas le Dieu de tous. Les Gentils, en effet, ne connaissent ni ce qui est, ni comment le Seigneur est le père et le créateur, ni les autres mystères qui constituent la vérité chrétienne, s'ils n'ont été formés à son école. La prophétie parle le même langage que l'apôtre. Écoutons Isaïe : « Nous mettons notre espérance dans le Seigneur notre Dieu, me dites vous ! Et moi, je vous dirai : Rendez-vous donc à mon seigneur, le roi des Assyriens. » Isaïe ajoute : « Croyez-vous que ce soit sans la volonté du Seigneur que nous avons apporté la guerre dans ce pays ? » Une autre bouche inspirée, Jonas, laisse entendre quelque chose de semblable : « Et le pilote s'approcha de lui, et lui dit : Pourquoi dors-tu ? Lève-toi ! invoque ton Dieu afin qu'il nous sauve et que nous ne périssions pas. » Ces mots, ton Dieu, adressés à Jonas, qui avait la connaissance de Dieu, et ceux- ci, afin que Dieu nous sauve, désignent le consentement unanime des nations qui, avant les lumières de la foi, avaient élevé leur intelligence vers le Dieu tout-puissant. Poursuivons avec Jonas : « Et il leur dit : Je suis le serviteur du Seigneur, et j'adore le Seigneur, le Dieu du ciel. Ils s'écrièrent, c'est encore Jonas qui raconte, nous vous supplions, Seigneur, de ne pas nous faire périr à cause de la vie de cet homme. » Le prophète Malachie fait parler ainsi le Seigneur : « Je n'accepterai pas de sacrifices de votre main. Car depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon nom est glorifié parmi les nations, et en tous lieux on m'offre des victimes ; car je suis le grand roi, dit le Seigneur tout-puissant, et mon nom est grand parmi les nations. » Quel est ce nom ? Pour ceux qui ont la foi, c'est le Fils, signifiant implicitement le Père; pour les Gentils, c'est le Dieu créateur. Platon désigne en ces termes le libre arbitre : « La vertu ne connaît point de maître. Suivant qu'on l'honore ou qu'on la néglige, on se l'attache plus ou moins. Chacun est responsable de son choix ; Dieu en est innocent. » Platon a dit vrai; Dieu n'est jamais la cause du mal. — « Belliqueux Troyens, s'écrie le lyrique, Jupiter qui règne dans les cieux, et dont les regards embrassent la nature, n'est point la cause des maux qui pèsent sur les mortels. Mais la faculté a été laissée à tous de suivre la sainte et pure justice, compagne de l'Équité et de la prudente Thémis, ô heureux enfants, trois fois heureux de la posséder au milieu de vous comme une chaste sœur ! » Sous la figure de Jupiter sauveur épousant Thémis, Pindare va caractériser indirectement le Roi, le Sauveur et le Juste : « Les Parques placent la sage Thémis sur un char que trainent des coursiers aux ailes d'or. Ensuite elles conduisent la déesse près du rivage escarpé de l'océan, vers le seuil de la route splendide qui mène à l'olympe, afin qu'elle soit à tout jamais la vénérable épouse de Jupiter sauveur. De cette union naquirent les Saisons, déesses bienfaisantes, qui relèvent leur chevelure avec une bandelette d'or, et dont les mains sont chargées de fruits précieux. » Celui donc qui ne croit pas à la vérité, mais qui s'enorgueillit de la science humaine, est un infortuné qui, pour emprunter à Euripide ses expressions, « au lieu de s'élever à Dieu par la vue de ce spectacle, dispute de ce qui se passe dans les hautes régions de l'air, et sème les sophismes qu'une langue infatigable et pleine d'extravagances décoche au hasard, ignorante de ce qui est caché. » Que le disciple désireux de posséder la véritable doctrine s'approche, afin d'écouter les promesses que lui fait Parménide d'Élée : « Tu connaitras les propriétés de l'air, tous les astres qui roulent dans l'espace, et l'action invisible de la lumière pure et sacrée du soleil : toules choses pleines de mystères, mais dont l'origine te sera révélée ! Tu sauras encore quelle est la marche circulaire de la lune, tu perceras les secrets de la nature ; tu verras le ciel envelopper l'univers dans ses contours. Tu assisteras à sa naissance, le jour où une puissance supérieure l'enchaina sur nos têtes afin qu'il reçût les astres et leurs révolutions. » Écoutons encore Métrodore. Quoique disciple d'Éplcure, il ne laisse pas de dire avec une sagesse presque divine : « Ménestrate, puisque tu es né mortel, et que tes jours sont comptés, souviens-toi de t'élancer avec ton âme bien loin de la terre jusqu'à ce que t'apparaissent l'infini et l'éternité, l'éternité avant toi, l'éternité après. » Ce moment fortuné arrivera lorsque, suivant le langage de Platon, « nous pourrons contempler sans voiles, avec le chœur des bienheureux, l'ineffable spectacle dont ils jouissent, et qu'entrainés, nous sur les pas de Jupiter, les autres sur les pas d'autres dieux, nous célébrerons, s'il est permis de nous exprimer ainsi, les mystères suprêmes de la félicité divine, lavés désormais de toute souillure et affranchis de tous les maux qui nous étaient réservés dans l'autre monde. Plus d'obstacle qui arrête notre vue ! Nous contemplerons sans ombre, et dans des flots de pure lumière, l'éternelle essence, purs nous-mêmes et dégagés de cette enveloppe qu'il nous faut promener partout, appelée le corps, et dans laquelle nous vivons emprisonnés ici-bas comme l'huître dans sa « double écaille. » Les Pythagoriciens donnent au ciel le nom d'Antichtône, c'est-à-dire terre opposée à la nôtre; contrée magnifique dont le Seigneur a dit par la bouche de Jérémie : « Je vous placerai au nombre de mes fils, et je vous donnerai la terre d'élection, héritage du Dieu tout-puissant.» Et ceux qui en hériteront seront les rois de la terre. Des milliers d'exemples de même genre se présentent encore à mes souvenirs. Mais l'harmonie qui doit présider aux proportions de l'ouvrage m'avertit de cesser; sans quoi l'on pourrait m'appliquer les reproches qu'on lit dans le poète tragique Agathon : « Ils traitent l'accessoire avec le même soin que le principal, et le principal avec la négligence de l'accessoire. » Maintenant qu'il a été démontré avec la dernière évidence, du moins j'aime à le croire, dans quel sens il faut entendre cette parole de notre Seigneur : « Les Grecs sont des voleurs, je laisse de côté, sans le moindre scrupule, les dogmes des philosophes. S'il me fallait examiner une à une leurs diverses maximes, ces commentaires, si étendus qu'on les suppose, ne suffiraient jamais à démontrer que toute la sagesse de la Grèce a son origine première dans la philosophie barbare. Toutefois nous reviendrons sur ce point, selon que le besoin s'en fera sentir, lorsque nous recueillerons les opinions des Grecs sur les principes. Ce qui précède peut servir d'avertissement indirect pour nous signaler dans quel esprit doit lire les ouvrage* des Grecs quiconque se sent capable de naviguer sur cette mer, fertile en écueils. « Heureux qui possède les richesses de l'intelligence divine! » s'écrie Empédocle: « Malheureux, au contraire, qui se complaît dans les opi« nions ténébreuses au sujet des dieux ! » Enseignement divin par lequel le poète nous apprend que la connaissance et l'ignorance ont pour fin suprême la félicité et l'infortune. Car il faut, selon Héraclite, que le philosophe sache une infinité de choses ; et vraiment il est de toute nécessité « Que le zélateur de la vertu marche à travers toutes les déviations de la science. » Il résulte évidemment de ce qui vient d'être dit que la bonté de Dieu est éternelle, que la justice naturelle se répand sur l'universalité des créatures, selon le mérite et la dignité de chacune, et que cette justice procède du principe incréé, quoiqu'elle même n'ait jamais eu de commencement. Dieu, en effet, n'a jamais commencé d'exister, ni d'être bon, puisqu'il est éternellement ce qui est. L'action de sa bienfaisance ne s'arrêtera qu'au jour où il aura conduit l'ensemble de son œuvre à sa fin. Chacun de nous participe à ses largesses dans la mesure qu'il a choisie lui-même ; car le mérite du choix et la fidélité de la pratique établissent seuls des différences dans l'élection. Terminons ici notre cinquième livre des Stromates, consacrés aux commentaires sur la véritable philosophie gnostique.