[7,0] ÉLOGE DE SÉRÈNE. Dis-moi, Calliope, pourquoi différer si longtemps à couronner des guirlandes du Pinde les vertus de Sérène ? Reine des Muses, crois-tu qu'elles soient indignes d'orner la chevelure de la reine des mortels, que relèvent d'ordinaire les diamants et les richesses de la mer Érythrée, ces fleurs qui, respectées des froidures de l'Aquilon et des ardeurs du Sirius, embellies des charmes immortels du Printemps et sans cesse abreuvées des ondes nourricières du Permesse et d'Aganippe, fournissent à la chaste abeille, dans les prés de l'Hélicon, un miel qu'elle transmet aux siècles futurs ? Quel poète trouva jamais, dans une mortelle, des vertus plus dignes de sa lyre ? Libératrice de son époux, la pudique Alceste consentit à subir son sort et à lui céder les ans qu'elle devait encore vivre ; tel est le récit des Grecs. Pour les Muses latines, elles célèbrent Tanaquil, confidente du Destin ; Clélie, revenant à travers le Tibre dans sa patrie ; et Claudia, traînant avec sa chevelure virginale la statue de Cybèle arrêtée dans ce fleuve. Quel autre sujet retrace, dans le cours de son poème le génie sublime du vieil Homère ? S'il peint Carybde préparant les tempêtes, Circé ses poisons, Scylla déchaînant ses chiens, la voracité d'Antiphate trompée, les rameurs franchissant, l'oreille sourde, les accords attrayants des Sirènes, le Cyclope privé de la lumière du jour, Calypso méprisée, c'est pour Pénélope qu'il bâtit ce monument, c'est à sa pudeur qu'il élève un trophée : les fatigues de la terre et des mers, et autant d'années consumées dans les combats que sur les ondes, ont attesté la fidélité du héros aux lois de l'hymen. Que Claudia jouisse du témoignage de la déesse, et que, prouvant sous ces divins auspices la chasteté de ses moeurs, elle rende au vaisseau le mouvement, en se justifiant elle-même ; que Pénélope trompe par des délais ses poursuivants, et se joue de leur ardeur, en réparant le jour les dommages causés la nuit à son tissu, ces héroïnes n'oseront pas cependant disputer la victoire à Sérène. Si la noblesse ouvre la carrière à tous les éloges, et que l'effet toujours remonte à sa cause, quel sang plus pur, quelle origine plus belle que ceux des monarques ! La maison d'un sujet n'en fut pas le berceau : pareille divinité ne pouvait naître dans un modeste réduit. La grandeur que tu dois à ton oncle, ton aïeul la rehausse encore, ce foudre de guerre, qui porta nos aigles dans les parages de la Bretagne, et repoussa les armes du Gétule. Que Cornélie ne nous parle point de l'illustre famille des Scipions, et cesse de vanter les trophées dont la dota Carthage. Tu montres, toi, à l'univers, les lauriers que cueillirent tes ancêtres sous l'un et l'autre pôle ; tu es entourée des dépouilles que conquit leur valeur dans la froide Calédonie, dans la Libye brûlante. Cette famille n'avait pas encore pris les rênes du monde, quand Lucine accrut de ton éclat l'éclat des astres bienfaisants. Quelle gloire pour toi ! L'instant [7,50] qui te vit naître vit régner Théodose. Espagne fortunée ! Que peut dire la voix d'un mortel qui égale tes merveilles ? C'est de ses mers que l'Inde lance le soleil dans sa carrière ; toi, c'est dans tes ondes qu'au déclin du jour se plonge son char, et que vont respirer les astres fatigués. Riche en coursiers, fertile en grains, précieuse pour tes métaux, féconde en princes vertueux, les siècles te doivent Trajan ; c'est de ton sein que sortirent Adrien et sa postérité, ton vieux père, et ces frères, jeunes souverains de la terre. Pour les autres États, que les traités unirent, ou que les armes soumirent aux Romains, ils sont destinés aux divers besoins de cet empire ; les moissons de l'Égypte et les blés de Carthage alimentent les camps ; la Gaule nous fournit de robustes guerriers ; dans nos armées se couvrent de sueur les coursiers de l'Illyrie : l'Ibérie nous donne des Césars ; voilà le noble tribut que seule elle aime à payer aux Latins. Vivres, soldats, métaux nous arrivent de toutes parts ; l'univers les offre à notre choix. Pour des maîtres, c'est l'Ibérie qui les donne à la terre. C'est peu qu'on vante en elle la mère des héros, si elle ne l'emporte encore par ses héroïnes ; aussi, pour briller par l'un et l'autre sexe, a-t-elle produit Flaccille, Marie et la belle Sérène. On dit qu'à ta naissance, le Tage, dans ces plaines fertiles, fit déborder ses flots dorés : la Gallice se couvrit de fleurs ; et le Douro, dont les roses embellissaient les rives, colora de l'éclat de la pourpre la toison des brebis ; l'Océan sema des perles sur le rivage voisin des Cantabres ; et le pâle Asturien cessa d'errer dans les entrailles des montagnes. Pour honorer ce beau jour, toute mine vomit l'or ; les Nymphes des fleuves cueillirent dans les antres des Pyrénées ces pierres qui étincellent des feux de la foudre : docile au cours de l'onde qui recule ou s'avance, on vit les Néréides pénétrer avec elle au sein des fleuves, reconnaître en toi une reine ; et, par leurs applaudissements et leurs accords, préluder à ton futur hyménée. Sous un ciel éloigné croissait alors le jeune Stilicon, étranger encore aux désirs : le Destin lui formait une épouse et préparait, aux dernières limites de l'univers, les noeuds de cette union fortunée. Une nourrice mortelle ne veilla pas sur ton berceau : mais les Heures approchèrent de tes lèvres leurs mamelles odorantes ; les Grâces, sans voiles, t'enlacèrent dans leurs bras, et ta bouche apprit de la leur à bégayer tes premières paroles. Partout où tu jouais en rampant sur le gazon, les roses naissaient, les lis étalaient leur blancheur. Si un doux sommeil te fermait les paupières, la violette purpurine s'élevait en lit de verdure et présentait l'image de la couche des rois. Ta mère, n'osant pas avouer ces présages flatteurs, forme en secret des voeux, et, sous un espoir timide, cache son bonheur. Honorius te pressait dans ses bras paternels ; et Théodose, encore sujet, aujourd'hui sur le trône, lorsqu'il se rendait au séjour de son frère, te couvrait de ses baisers et te portait avec [7,100] transport à son palais. Toi, tournée vers l'auteur de tes jours : « Pourquoi, disais-tu avec de tendres plaintes, me fait-il sans cesse enlever à ma demeure ? » Illusion pleine de présages ! Ta langue enfantine te prédisait ainsi l'empire. Ton père n'est plus : ton oncle t'adopte, et, pour charmer tes douleurs, il montre à la fille du frère que lui a ravi la mort plus de tendresse que s'il lui eût donné la vie. Non ; dans la Laconie, une amitié plus vive n'unit pas les deux fils de Léda. Il impose même à son fils le nom du frère qu'il a perdu, et s'en retrace, autant qu'il peut, la précieuse image. Enfin, quand un auguste choix mit les rênes de l'État en ses mains, il attendit pour témoigner à ses fils son amour que, des champs de l'Ibérie, toi et ta soeur fidèle, vous fussiez revenues aux rivages de l'Orient. Déjà le Tage voit abandonner ses bords, et la nef voler des contrées où règne le Zéphyr vers les cités soumises à l'Aurore : deux jeunes vierges s'avancent, filles d'Honorius, Thermantie le premier, Sérène le dernier fruit de son amour. Étrangères à la déesse de Cythère, l'hyménée n'a pas encore asservi leur tête à son joug : toutes deux ont les yeux brillants d'un modeste éclat, toutes deux par leurs attraits font battre les coeurs. Telles, vers le palais du monarque des eaux, leur oncle, marchent la fille de Latone, et Pallas sortie du cerveau de Jupiter ; les montagnes d'écume s'abaissent, respectueuses, sous les pas de ces chastes déesses ; Galatée oublie ses jeux folâtres ; le voluptueux Triton n'ose effleurer Cymothoë : la Pudeur, sur l'étendue des mers, impose ses austères lois ; et Protée interdit aux monstrueux habitants des mers d'impures caresses. Telles se dirigent les filles d'Honorius vers la demeure de leur auguste parent : à leur entrée dans ce royal séjour, Théodose les embrasse avec la tendresse d'un père ; mais c'est vers toi surtout que l'entraîne son penchant. Souvent, quand accablé du poids des affaires, il revenait la tristesse sur le front, l'âme brûlante de colère, que des fils fuyaient un père, et que Flaccille même redoutait les transports d'un époux, seule, tu pouvais, ô Sérène, calmer sa fureur ; seule, tu savais l'apaiser par la douceur de ton langage : aussi se plaisait-il à tes entretiens : silencieuse et discrète, une réserve, digne des temps anciens, devance en toi les années. Telle n'était pas la fille d'Alcinoüs, qu'Homère, dans ses éloges, égale à Diane : occupée d'étendre sur le rivage d'humides vêtements, de former avec ses suivantes des danses enjouées, et de lancer un palet doré dans les airs, elle pâlit à l'aspect d'Ulysse,sortant du feuillage épais où le sommeil lui avait fait oublier son naufrage. Tu te plais aux travaux des neuf Soeurs, aux vers des antiques poètes ; et, parcourant les livres que Smyrne a produits, que nous a donnés Mantoue, tu condamnes Hélène et ne peux pardonner à Didon. De plus nobles exemples occupent ton esprit, ami de la pudeur : [7,150] c'est Laodamie qui suit Protésilas à son retour parmi les ombres ; c'est l'épouse de Capanée, s'élançant sur un bûcher pour mêler sa cendre à celle de son époux ; c'est encore Lucrèce qui, se laissant tomber sur l'instrument vengeur de la chasteté, prouva par une mort volontaire le crime du tyran, arma pour les combats le juste courroux de sa patrie, ravit à Tarquin son empire, et, succombant avec gloire, vengea du même coup son honneur et la liberté. Voilà les faits que tu aimes à relire ; mais en toi un destin plus heureux couronne des vertus aussi pures. Déjà l'âge t'invite à l'hymen, Théodose balance indécis. La cour forme des voeux, ne sachant quel mortel entrera dans ta couche fortunée. Les récits des poètes nous montrent, dans l'antiquité, des monarques imposant à des amants la cruelle condition de conquérir des épouses dans les hasards d'une lutte dangereuse, s'applaudissant, ô barbarie, de les voir, pour obvenir leurs filles, ambitionner la mort. Sur un char, présent de Neptune, Pélops évita les traits du roi de Pise, Oenomaüs, dont un essieu mal fixé par l'infidélité de Myrtile trahit l'espérance. Hippomène, haletant, triompha, à l'aide d'une pomme d'or, de la fille de Schoenée qui, d'une course légère et le glaive àla main, s'élançait sur ses pas. Du haut de ses remparts, Calydon vit la lutte engagée entre Alcide et l'Acheloüs : pressé dans les bras du héros, le fleuve respirait à peine : il recule ; de sa tête une corne tombe, le sang rougit les eaux, et les nymphes bandent ses plaies : Déjanire était le prix du vainqueur. Pour toi, ô Sérène, ce n'est pas aux pommes des Hespérides, à la défaite d'un fleuve, à des roues trompeuses, c'est à sa valeur éprouvée en cent batailles, c'est au choix de Théodose que Stilicon doit ta main : le héros a conquis le diadème du prince. Souvent un général décerna une couronne au mérite guerrier. Murale, elle honore celui qui emporta un rempart ; civile, celui qui sauva un citoyen ; navale, le vainqueur d'une flotte ennemie : seul, pour récompense de ses exploits, récompense inestimable, Stilicon a reçu de la main de Théodose la couronne de l'hyménée. Thermantie, dans son oncle, trouva le même attachement : elle s'unit à un guerrier : mais combien ton sort efface le sort de ta soeur ! Le salut de Rome allume à d'autres feux ton flambeau nuptial : ton hymen est pour ton époux la source des honneurs. Veiller sur les jeunes élèves que des cavales phrygiennes, nourries dans les pâturages de l'Argée, produisent avec l'étalon de la Cappadoce, pour les crèches royales, voilà son premier pas : bientôt, avec une double puissance, il commande les armées ; et, tel est son zèle à justifier la confiance du monarque, qu'après avoir reçu beaucoup, on lui doit encore plus. Si quelque orage annonce les combats, on voit des guerriers, ses supérieurs en droits ainsi qu'en âge, et blanchis dans le commandement des cavaliers et des fantassins, remettre en ses mains la conduite de la guerre ; [7,200] et, sans être arrêtés ni par leur vieillesse ni par leurs dignités, consentir à marcher sous ses lois. Ainsi, quand le vent est léger et la mer tranquille, chacun aspire à s'emparer du gouvernail : mais que l'Auster orageux se déchaîne et que la vague fatigue les deux flancs du navire ; toute querelle cesse ; heureux d'obéir à une main plus habile, les nautoniers confient à l'autorité d'un seul leur vie et le vaisseau : la crainte rend hommage au mérite, et la tempête met un terme à la brigue. Ainsi, lorsque l'orage de la guerre éclate sur la Thrace, tous les rivaux s'éloignent, et Stilicon seul est élu général. Juge infaillible, l'effroi réunit tous les suffrages : à la vue du péril, l'ambition est muette, et la crainte impose silence à l'envie. Quel frisson circulait dans tes membres, que de larmes coulaient sur ton visage, quand les clairons l'appelaient aux combats ! Tournant vers ta demeure d'humides regards, tu réclamais son retour et dérobais à la hâte, à travers le casque menaçant qui couvrait sa tête, des baisers à ton époux. Mais quels étaient aussi tes transports, lorsque, au son de la trompette, tu le recevais, vainqueur et chargé encore de la cuirasse, dans tes bras éblouissants, et que, pendant les doux loisirs de la nuit, tu lui faisais redire, loin des dangers, la suite de ses exploits !Jamais, pendant qu'il va combattre, tu ne soignes ta belle chevelure, jamais tu ne l'ornes de diamants, ta parure ordinaire. Mais tu passes tes jours en voeux et en prières, balayant les temples de ta chevelure suppliante. Ton éclatante beauté, négligée dans l'absence de ton époux, ne doit s'épanouir de nouveau qu'à son retour. La tendresse cependant ne languit pas, oisive dans ton âme. La prudence, cette arme de ton sexe, remplace le courage guerrier. Tandis que ton époux combat les Barbares, tu veilles sans relâche ; tu crains que ces éternelles ennemies des Vertus, l'Envie, ou la Calomnie toujours injuste, ne viennent à l'attaquer pendant son absence ; tu crains que, déposant au loin les armes, la trahison n'épie furtivement le moyen de le perdre dans Rome. Toi encore, au moment où Rufn, dans de criminels projets, conspirait la mort de Stilicon et soudoyait les Gètes conjurés contre les armes romaines, seule, tu pénétrais ses complots ténébreux, et transmettais, par des messages et des écrits, tes craintes à ton époux.