[3,0] LETTRES FAMILIERES - LIVRE III. [3,1] A APPIUS PULCHER IMPERATOR. Rome. La république, si elle pouvait parler ne vous expliquerait point sa situation mieux que ne fera votre affranchi Phanias, tant il y a chez lui de tact, et, ce qui n'est pas un moindre avantage, d'esprit d'observation. Vous saurez tout de sa bouche. Cette voie d'information est la plus courte et la meilleure, sous tous les rapports. Quant à mon affection pour vous, Phanias pourrait bien vous en parler aussi, mais c'est un soin que je me réserve. Oui, je vous aime pour le charme de votre esprit, pour la prévenance et la grâce de vos manières ; enfin pour le prix que vous attachez, comme je le vois dans vos lettres, comme je l'apprends de toutes parts, au peu que j'ai pu faire pour vous. Les droits de l'amitié, dans notre séparation, sont restés longtemps en souffrance. Mais je ferai tant par le nombre et par la valeur des services que je veux vous rendre, que tout cet arriéré s'acquittera. En cela, je ne croirai pas, quoi que vous en disiez, agir malgré Minerve; car si ma Pallas retourne des mains des vôtres dans les miennes, ce n'est plus Pallas, mais Appias que je veux la nommer. — Je ne connaissais pas votre affranchi Cilix; mais son langage, en me remettant votre obligeante et affectueuse lettre, s'est trouvé merveilleusement d'accord avec les sentiments que vous y exprimez. J'éprouvais du bonheur à l'entendre raconter ce que journellement vous avez fait, vous avez dit à mon intention. Enfin, voulez-vous le savoir? en deux jours, il a fait ma conquête, sans préjudice toutefois de Phanias dont j'appelle le retour de tous mes vœux. Lorsqu'il reviendra à Rome, bientôt j'espère, ne manquez pas de lui donner tous vos ordres pour moi. — Je vous recommande instamment le jurisconsulte L. Valérius, et même je vous le recommande jurisconsulte ou non. Car je prétends que ma recommandation ait plus d'effet que ses consultations. Je l'aime beaucoup. C'est un des habitués et des intimes de ma maison. Il vous exprime déjà toute sa reconnaissance. Mais il m'écrit aussi qu'il compte grandement sur le pouvoir d'une lettre de moi. Faites, je vous prie, qu'il n'ait pas eu cette confiance en vain. Adieu. [3,2] A APPIUS PULCHER imperator. Rome. Quand je me trouve, contre ma volonté et mon attente, forcé d'aller prendre le gouvernement de votre province (la Cilicie), au milieu des soucis et des inquiétudes qui m'assiègent, j'ai du moins une consolation; c'est de penser que jamais vous ne pouviez avoir un successeur qui vous aimât davantage, et que moi, je ne trouverais chez personne autant de désir que chez vous, de me remettre le pouvoir dégagé de tout embarras. Si vous comptez également sur moi, vous le pouvez en toute assurance. De mon côté, je vous en conjure, au nom de l'amitié qui nous unit, et par cette générosité qui vous est naturelle, je vous conjure d'agir désormais, autant que vous le pourrez, (et vous pouvez beaucoup), dans mes intérêts. — C'est un décret du sénat, vous le savez, qui me confie la province. Si je la reçois de vos mains libre de toute difficulté, je gagnerai avec moins de peine le terme de mon mandat. Vous êtes seul juge de ce qu'il faut faire : je vous supplie seulement de faire tout ce qui me sera utile. J'insisterais davantage, si votre caractère ne repoussait les longs discours, et si notre amitié ne devait pas s'en offenser. D'ailleurs les mots sont superflus là où les choses parlent d'elles-mêmes. Croyez que vous n'aurez jamais qu'à vous réjouir et à vous féliciter d'avoir écouté ma prière. Adieu. [3,3] A APPIUS PULCHER. Brindes, mai. En arrivant à Brindes le 11 des kalendes de juin, j'ai trouvé Q. Fabius, votre lieutenant, porteur de vos ordres. Il m'apprit que le sénat tout entier, sans même attendre une provocation de ma part, à moi que l'affaire concerne, avait, de son propre mouvement, reconnu la nécessité d'augmenter nos forces dans la province; l'opinion qui prévalait généralement était de recourir à une levée en Italie pour accroître l'effectif de mes légions et de celles de Bibulus. Le consul Sulpicius déclara qu'il n'y consentirait jamais. Je me récriai, mais l'unanimité du sénat désirait si vivement mon départ immédiat, qu'il me fallut obéir, et je partis. Je viens en ce moment vous renouveler les prières que je vous ai adressées dans la lettre dont j'ai chargé vos messagers à Rome. Faites, je vous en supplie, au nom de cette communauté de rapports et de sentiments qui existe entre nous, faites que j'obtienne de vos soins habiles et dévoués, tout ce qu'un gouverneur qui se retire peut faire en faveur d'un ami qui lui succède, afin de montrer à tous et que je ne pouvais rencontrer un prédécesseur plus bienveillant, et que vous ne pouviez, vous, remettre, votre province à un successeur que vous aimiez davantage. — J'avais compris par les lettres dont vous m'avez envoyé copie et dont j'ai, par vos ordres, donné lecture au sénat, que vous aviez congédié une partie de vos troupes. Mais Fabius m'a expliqué que c'était seulement votre intention, et que, lorsqu'il vous a quitté, les rangs étaient encore au grand complet. S'il en est ainsi, obligez-moi d'affaiblir le moins possible les forces déjà si insuffisantes de la province. Vous avez reçu, je le suppose, les décrets du sénat à ce sujet Dans ma profonde déférence pour vous, je ratifie d'avance tout ce que vous ferez. Mais je suis persuadé que vous ne ferez rien qui ne soit parfaitement dans mon intérêt. J'attends à Brindes C. Pomprinius mon lieutenant, j'espère qu'il arrivera avant les kalendes de juin, et au premier vent favorable, nous nous embarquerons. [3,4] A APPIUS PULCHER. Brindes, juin. J'ai reçu votre lettre à Brindes la veille des nones de juin. Vous m'annoncez l'arrivée de L Clodius porteur d'instructions verbales de vous pour moi. Je l'attends avec impatience. Vous connaissez mon affection et mon dévouement-pour vous. Vous en avez déjà reçu bien des gages. Je m'appliquerai surtout à vous prouver combien j'ai à cœur tout ce qui se rapporte à l'honneur de votre nom et de votre caractère. Quant à vos dispositions pour moi, je sais ce que m'en ont dit et Q. Fabius Virgilianus et C. Flaccus, fils de Lucius, et surtout M. Octavius, fils de Cnéus : j'en ai pu juger moi-même par maintes preuves, entre lesquelles je place au premier rang, et comme le plus doux de tous les témoignages, l'envoi du Livre augural que vous m'avez dédié d'une manière si aimable. — Il n'est rien, croyez-le bien, que vous ne deviez attendre de moi. Depuis que vous avez commencé à m'aimer je vous aime chaque jour davantage. D'autres liaisons ont encore resserré la nôtre, celles par exemple que j'ai formées avec deux personnes d'âges bien différents, mais que je chéris au même degré, Cn. Pompée, beau-père de votre fille, et M. Brutus, votre gendre. Nous sommes membres du même collège, et cette circonstance, où vous avez trouvé l'occasion d'une distinction si flatteuse pour moi, n'a pas peu contribué à rendre nos rapports plus intimes. Quand j'aurai vu Clodius, je vous écrirai, et je ferai mes dispositions pour vous joindre le plus tôt possible. Vous me charmez, je l'avoue, en me disant que vous n'êtes encore dans la province que par le désir de vous y rencontrer avec moi. [3,5] A APPIUS PULCHER. Tralles. Je suis arrivé à Tralles le 6 des kaendes d'août. J'y ai trouvé L. Lucilius avec vos lettres et vos ordres. Vous ne pouviez choisir personne qui fût mieux disposé pour moi, mieux instruit, ni plus capable de me mettre au fait de tout ce que je désirais savoir. J'ai lu votre lettre avec empressement et prêté grande attention à Lucilius. Quoique sensible aux témoignages de ma gratitude, vous trouvez qu'il était superflu d'évoquer des souvenirs si anciens. Oui, j'en conviens avec vous; une amitié qui a fait ses preuves, une confiance bien établie n'ont pas besoin qu'on énumère leurs titres. Eh bien ! je ne reviendrai plus sur le passé, mais au moins faut-il pour le présent souffrir les remercîments que je vous dois. Car je vois dans vos lettres une attention bienveillante à tout disposer, tout préparer, tout mettre en état, pour me rendre l'administration commode et facile. Ce service me pénètre de gratitude, et la première conséquence à en tirer, c'est que vous n'avez pas et que vous n'aurez jamais de meilleur ami que moi. Chacun pourra le voir, mais je tiens surtout à vous le prouver, à-vous, aux vôtres; si pour certaines gens ce n'est pas encore chose sûre, c'est moins parce qu'ils en doutent que parce qu'ils s'en fâchent. Mais il faudra bien qu'ils se rendent. Les personnes sont en évidence : les choses le seront aussi, et l'on y verra clair. Mais agir en pareil cas vaut mieux que parler ou écrire. — Il paraît que vous doutez, d'après mon itinéraire, que nous puissions nous rencontrer dans la province. Voici comment les choses se sont passées : dans une conversation que j'eus à Brindes avec Phanias votre affranchi, je vins à lui dire que si je savais en quel endroit de la province il vous conviendrait le plus de me voir, je m'empresserais de m'y rendre tout d'abord. Phanias me répondit que votre intention étant de revenir avec votre flotte, Je ne pourrais indubitablement rien faire de mieux pour vous que d'arriver par mer. C'est bien mon intention, ai-je dit. Et je n'y aurais pas manqué sans L. Clodius qui, à Corcyre, me dit de n'en rien faire, et que vous comptiez m'attendre à Laodicée.C'était une voie beaucoup plus courte, et dont je m'arrangeais mille fois mieux du moment qu'elle vous convenait à vous-même. — Mais il parait que depuis vous avez changé d'avis. C'est à vous, maintenant, à voir ce qui est possible, et à vous décider. Voici ma marche. Je serai, je pense, à Laodicée la veille des kalendes d'août. Je m'y arrêterai fort peu ; le temps de recevoir l'indemnité de déplacement qui m'est due. De là, je me rendrai à l'armée, afin de me trouver à Iconium vers les ides d'août. S'il y a quelque mécompte dans mes calculs (songez que je suis loin des affaires et des lieux), j'aurai soin, chemin faisant, de vous tenir, avec autant de célérité et d'exactitude que je le pourrai, au courant de mes journées et de mon itinéraire. Je ne prétends pas que vous vous gêniez pour moi. Je n'ai aucun droit de l'exiger; mais si cela se peut sans déranger votre plan, il nous importe à tous deux d'avoir une entrevue. Si le sort en décide autrement, ne laissez pas de compter sur moi comme si cette satisfaction m'était donnée. Je ne vous parle point de nos affaires, tant que je conserve l'espérance de vous voir. — Vous aviez, dites-vous, prié Scévola de se charger, à votre départ et en attendant mon arrivée, de l'intérim de la province. Je l'ai vu à Éphèse où j'ai passé trois jours avec lui ; il ne m'a pas dit un mot de cette mission. J'aurais bien voulu qu'il lui eût été possible de l'accepter. Je ne saurais expliquer un refus de sa part. [3,6] A APPIUS PULCIIER. De la Cappadoce. Septembre. Quand je compare mes procédés aux vôtres, quelque égale justice que je rende d'ailleurs aux intentions, je ne voudrais pas pour beaucoup changer de rôle avec vous. Je trouve à Brindes Phanias que je vous sais tout dévoué et que je suis fondé à croire fort avant dans votre confiance. Je lui demande par quel point de la province il vous convient le mieux que je fasse mon entrée, comme votre successeur. Il me répond que je ne pourrais rien faire de plus agréable pour vous que de débarquer à Sida. Eu égard au rang, on pouvait certes mieux choisir, et cette direction ne me convenait guère sous beaucoup d'autres rapports. Néanmoins je me décide à la prendre et je le dis à Phanias. Mais voilà que je rencontre, à Corcyre, L. Clodius, dont la liaison avec vous est si intime qu'en lui parlant je crois vous parler à vous-même. Je lui fais part de ma conversation avec Phanias et de mon intention d'entrer dans la province par le point qu'il m'avait indiqué. Clodius me remercie ; mais en m'engageant de la manière la plus pressante à me rendre directement à Laodicée, votre dessein étant, me dit-il, de vous rapprocher de la frontière, afin d'être plus tôt parti ; il ajouta même que si ce n'eût été moi, et le désir que vous aviez de me voir, vous auriez quitté la province sans attendre votre successeur. Les lettres que j'avais reçues de Rome, d'accord sur ce point, témoignaient toutes de votre impatience de revenir. Je répondis à Clodius que je suivrais son avis, et bien plus volontiers que celui de Phanias. Je changeai en effet de plan et je vous en fis part à l'instant dans une lettre de ma main, qui a dû vous arriver à temps, a en juger par votre réponse. — Voilà ma conduite dont je n'ai certes qu'à m'applaudir, car on ne peut faire davantage pour un ami; considérez maintenant la vôtre. Non seulement vous n'avez pas été où nous pouvions nous voir le plus tôt ; mais vous vous êtes éloigné si bien que les trente jours que vous accorde, je crois, la loi Cornélia, pour sortir de la province, ne m'auraient pas suffi pour vous rejoindre. Il en résulte que pour qui ne vous connaît pas, vous aurez agi, et j'adoucis les termes, comme un indifférent qui cherche à éviter une rencontre, et moi, comme un ami aussi tendre qu'empressé. — Cependant, avant d'arriver dans la province, on m'avait remis des lettres de vous qui, tout en annonçant votre départ pour Tarse, me donnaient positivement à espérer que nous nous joindrions quelque part. Là-dessus des malveillants (race qui ne manque guère et se glisse partout), ont trouvé matière à propos. Incapables d'apprécier mes sentiments, ils ont cherché à m'inspirer des préventions contre vous. Vous teniez, disaient-ils, cour de justice à Tarse, faisiez des règlements, rendiez des décrets, prononciez des jugements ; le tout sachant bien que vous étiez actuellement remplacé. Or cela ne se fait guère du moment qu'on attend un successeur. Rien de tout cela n'a fait impression. Il y a mieux, je vous le jure, je me regardais comme exonéré d'autant par votre activité officieuse, et au lieu d'une année, terme déjà si long, je me réjouissais de n'avoir plus que onze mois de charge, puisque le travail d'un mois aurait été fait avant mon arrivée. Mais ce qui me touche beaucoup, je le dis avec sincérité, c'est de ne point trouver dans une province déjà si dégarnie les trois meilleures cohortes, et d'ignorer même où elles sont. Enfin il est pénible pour moi au dernier point de ne savoir où vous joindre; et je n'ai tardé à vous écrire que parce que j'attendais cette satisfaction de jour en jour. Vous m'avez laissé sans lettres, et dans une ignorance absolue de ce que vous faites, du lieu où je dois vous rencontrer. Dans cette situation, je vous ai envoyé Antoine, préfet des rappelés, brave soldat et qui a toute ma confiance. Il a mission de recevoir de vous les cohortes, si vous jugez à propos de les lui remettre. Mon intention serait de profiter du reste de la campagne pour tenter quelque expédition. Vos lettres me font espérer à cet égard le secours de vos conseils et de votre bonne amitié. Je n'en désespère pas encore, mais si vous ne m'écrivez quand et où je puis vous voir, je ne saurais le deviner. Amis ou ennemis, personne, je vous le garantis, ne se méprendra sur ma vive amitié pour vous. Peut-être avez-vous donné quelque lieu à nos ennemis de suspecter vos sentiments pour moi. Je vous saurai un gré infini de leur ôter cette pensée ; et pour vous donner la possibilité de me voir sans violer la loi Cornélia, je n'ai mis le pied dans la province que la veille des kalendes de septembre ; je me rends en Cilicie par la Capaddoce; enfin j'ai levé mon camp d'Iconium, la ville des kalendes de septembre. Maintenant, si d'après les calculs des jours et des distances, vous croyez une entrevue possible, c'est a vous de choisir et de m'indiquer et le jour et le lieu. [3,7] A APP1US PULCHER. Laodicée, janvier. Vous aurez une plus longue lettre, quand j'aurai plus de loisir. Je vous écris bien vite aujourd'hui pour profiter des esclaves de Brutus que je rencontre à Laodicée et qui se rendent, disent-ils, à Rome en toute hâte. Je ne leur remets de lettres que pour vous et pour Brutus. - Les députés Appiens m'ont adressé tout un volume de plaintes fort injustes sur ce que j'arrête la construction de leur édifice. Vous me demandez de lever l'interdiction au plus vite, afin que l'hiver ne survienne pas durant les travaux. Et là-dessus vous êtes venu à bout de me faire un crime d'avoir suspendu toute perception jusqu'à autorisation donnée par moi en connaissance de cause ; ce qui ne serait qu'un calcul pour tout empêcher, mes informations ne pouvant être prises avant l'hiver, époque où j'aurais quitté la Cilicie. J'ai répondu à tout ; et vous verrez comme vos récriminations sont justes. En premier lieu, on est venu à moi se plaindre d'impôts intolérables. Ai-je eu tort de suspendre jusqu'à examen le recouvrement de ces impôts? Mais je ne pouvais sciemment, ce sont vos termes, procéder à cet examen avant l'hiver. Était-ce donc à moi d'aller chercher les renseignements, ou était-ce à eux de me les apporter? Il y a si loin? direz- vous. Eh quoi! quand vous leur remettiez une lettre pour me prier de ne point les empêcher de bâtir avant l'hiver, supposiez- vous qu'elle ne me parviendrait point? Elle m'est parvenue en effet, mais c'était une dérision ; car les premiers froids s'étaient déjà fait sentir quand ils sont venus, cette lettre à la main, me demander la permission de bâtir pendant l'été. Or, vous saurez que ceux qui refusent l'impôt sont bien plus nombreux que ceux qui y consentent. Mais je n'en tâcherai pas moins de vous complaire en cela. Voilà pour les Appiens. — J'ai entendu dire à Pausanias, affranchi de Lentulus et mon accensus, que vous vous étiez plaint à lui de ce que je n'avais pas été au-devant de vous. J'aurais cru déroger sans doute, et l'on n'est pas plus hautain que moi. Lorsque votre esclave vint, presqu'à la seconde veille de la nuit et qu'il m'annonça que vous comptiez être à Iconium avant le jour, sans me dire quelle route vous suiviez (il y en a deux), j'envoyai à votre rencontre d'un côté Varron votre ami, de l'autre Q. Lepta, intendant de mes ouvriers, avec ordre à chacun de revenir me donner avis de votre rencontre, pour que je pusse me porter moi-même au-devant de vous. Lepta revint tout courant m'annoncer que déjà vous aviez laissé le camp derrière vous. Je me rendis à l'instant à Iconium, vous savez le reste. Moi, ne pas aller au-devant de vous! Au devant d'Appius; d'un impérator, quand c'est un usage immémorial, et surtout quand cet Appius, cet imperator est un ami? moi qui dans ces circonstances vais toujours au delà de ce qui convient à mou rang et à mon caractère. Je n'en dirai pas plus. Pausanias ajoute qu'il a entendu ces mots de votre bouche : comment ! Appius va au-devant de Lentulus; Lentulus au-devant d'Appius; et Cicéron ne se dérange pas pour Appius ! Mais dites-moi, je vous prie, vous que je reconnais pour un homme si sage, si instruit, vous qui avez surtout cette connaissance du monde, que les Stoïciens ont bien raison d'appeler une vertu, est-ce que vous croyez que l'avantage de s'appeler ou Appius ou Lentulus, que toute cette friperie de noms passe à mes yeux avant le mérite propre de l'individu? Avant même que j'eusse atteint ce qui est au-dessus de tout dans l'opinion des hommes, je n'étais pas ébloui de tous vos grands noms ; j'en reportais la gloire à ceux qui vous les ont laissés. Aujourd'hui que j'ai obtenu et exercé les plus hauts emplois de manière à ce qu'il ne me reste rien à acquérir, ce semble, en fait de distinctions comme de gloire, je me flatte d'être devenu non pas votre supérieur sans doute, mais bien votre égal. Et certes, je ne connus jamais d'autre manière de voir ni à Cn. Pompée, le premier des humains, ni à Lentulus que je mets bien audessus de moi. Si ce n'est pas la vôtre, vous ne feriez pas mal de relire avec soin ce qu'en dit Athénodore, fils de Sandon. Vous y apprendrez ce que c'est que naissance et ce que c'est que noblesse. — Revenons. Soyez persuadé que j'ai pour vous de l'amitié, beaucoup d'amitié. Toute ma conduite vous le prouvera à n'en pas douter. Quant à vous, si vous ne jugez pas devoir en mon absence faire autant pour moi que j'ai fait pour vous, mettez-vous l'esprit en repos là-dessus. — « Assez d'autres s'occuperont de moi, et Jupiter lui-même sera mon conseiller. » S'il est dans votre humeur de vous plaindre; vous aurez beau faire, vous ne changerez pas mes dispositions à votre égard. Il arrivera seulement que je montrerai plus d'indifférence sur la manière dont vous prenez ce qu'on fait pour vous. Je vous ai parlé avec liberté, parce que j'ai la conscience des bons sentiments qui m'animent. Ces sentiments, je les ai pris avec réflexion, et ils vous sont acquis pour aussi longtemps que vous voudrez. [3,8] A APPIUS PULCHER. Mopsuheste, octobre Je vois par votre correspondance que vous ne lirez guère cette lettre qu'à votre station près de Rome, alors qu'il ne sera plus question des vains propos de la province. Mais vous insistez tant sur ces insinuations malveillantes que je crois vous devoir quelques mots d'explication. Je me trouve d'abord comme forcé de laisser sans réponse les deux premiers griefs énoncés dans votre lettre : c'est quelque chose de trop peu précis et de trop vague que d'accuser d'inimitié mon visage ou mon silence, et d'alléguer le témoignage de gens qui m'ont vu à mon tribunal ou parfois à table. Il est clair qu'au fond de cette accusation, il n'y a rien, et à rien je ne sais que répondre ; je sais seulement qu'on aurait pu vous rapporter avec plus de vérité une foule de mots qui ont eu de l'éclat, que j'ai dits, soit officiellement, soit en conversation, et qui tous déposaient de ma haute estime et de l'amitié qui nous unit. En ce qui concerne les députations, n'était-il pas à la fois de bon goût et conforme à la stricte justice, d'en alléger les charges pour les villes les plus pauvres, sans aucun préjudice de l'honneur qu'on voulait vous faire; surtout quand je ne faisais que céder aux instances de ces villes elles-mêmes? Je ne connaissais pas encore la pensée de ces députations dont vous étiez l'objet. J'étais à Apamée lorsque les chefs d'un grand nombre de villes me firent représenter que les allocations faites aux députés étaient excessives et que les villes étaient hors d'état de payer. — Une foule de réflexions me vinrent à l'esprit. Appius, me dis-je surtout, homme sage, Romain de la ville, suivant l'expression du jour, ne peut avoir un goût si prononcé pour ces ambassades. Je me souviens d'avoir développé cette thèse à Synnade en plein tribunal. Je soutins premièrement que l'éloge d'Appius Claudius devant le sénat et le peuple romain avait été fait spontanément, et non sur le témoignage des habitants de Méda, comme on l'a consigné dans les registres de cette ville, et que, parmi beaucoup d'ambassades de ce genre que j'avais vues à Rome, il n'y en avait pas une seule, à mon souvenir, qui eût jamais obtenu d'audience ou prononcé l'allocution laudative; je rendis d'ailleurs hommage au zèle et aux inspirations de la reconnaissance, tout en déclarant en fait les députations complètement inutiles. J'ajoutai toutefois que si quelques personnes tenaient à vous témoigner leurs sentiments, je les louerais de faire le voyage à leurs frais; que je donnerais même les mains à toute indemnité raisonnable et légitime ; mais que je m'opposerais aux folles dépenses. Qu'y a-t-il à à me reprocher? mais, dites-vous, quelques personnes ont vu dans mon édit une intention réfléchie d'empêcher les députations. Eh bien, je le déclare, ceux qui articulent une accusation de ce genre me font moins injure à moi-même qu'à celui qui ouvrira les oreilles pour l'entendre. J'avais fait mon édit à Rome. Je n'y ai rien ajouté, si ce n'est quelques articles que les publicains m'ont prié à Samos de transporter du vôtre dans le mien. L'article qui traite de la diminution des charges des villes a été de ma part l'objet d'un soin tout particulier. Il contient des dispositions neuves, fort importantes pour les villes ; et je m'en applaudis vivement. Ce qu'il y a de bon, c'est que les choses dont on s'empare pour m'accuser sont littéralement transcrites de vous. Car je n'irai pas sans raison supposer des vues personnelles, un intérêt particulier, autre chose enfin que l'intérêt public à des députations adressées à un homme public, quand elles avaient mission avouée de vous complimenter, non pas, certes, en tête-à-tête, mais bien dans l'assemblée des maîtres du monde, je veux dire dans le sénat. Et il est vrai que la prohibition que j'ai portée contre toute députation non autorisée comprend même ceux qui étaient, selon vous, dans l'impossibilité de venir à mon camp, au delà du mont Taurus, me demande l'autorisation. J'ai souri, je le confesse, à ce passage de votre lettre, et il y avait de quoi. Qui donc en effet, je vous le demande, aurait pu avoir besoin de venir dans mon camp et de passer le Taurus, quand de Laodicée à Iconium j'avais réglé ma marche de manière que magistrats et députés pussent venir à moi de tous les districts et de toutes les villes en deçà du Taurus? Dira-t-on que les députations n'ont commencé qu'après que j'eus laissé la montagne derrière moi? C'est une erreur. J'ai été à Laodicée, à Apamée, à Synnade, à Philomèle, à Iconium ; j'ai fait séjour partout; partout déjà les députations étaient organisées. Cependant, je le répète, pour que vous le sachiez bien, il n'y a pas eu une seule de mes décisions pour modération ou suppression des frais qui n'ait été provoquée par les chefs des villes, dont toutes les prétentions tendent à ce qu'on n'aggrave pas, par des exactions en pure perte, l'abus du trafic des impôts, et ces taxes déjà si oppressives par tête et par maison dont vous connaissez bien les effets. Une fois décidé par esprit de justice aussi bien que par pitié à pourvoir au soulagement de ces villes écrasées, et écrasées surtout par le fait de leurs magistrats, je ne pouvais faire bon marché d'une dépense qui, je le répète, n'a rien de nécessaire. Si on vous a fait des rapports a ce sujet, vous ne deviez point y ajouter foi, et si vous prenez simplement plaisir à dire à vos amis tout ce qui vous passe par la tête, c'est mal entendre l'amitié. Avec la pensée de vous nuire dans la province, je n'aurais pas été conférer avec votre gendre Lentulus, ni avec votre affranchi à Brindes, ni avec le chef de vos ouvriers à Corcyre, pour me faire assigner un rendez-vous à votre seule convenance. Croyez-moi, et je m'autorise ici de l'avis de savants auteurs qui ont écrit de si beaux livres sur l'amitié, entre nous plus de cette forme d'argumentation. Tu dis blanc, je dis noir. Tu affirmes, je nie.— Croyez-vous donc qu'on ne m'ait pas fait de rapports à moi ? qu'on ne m'ait pas fait remarquer par exemple que, quand vous m'engagiez à venir à Laodicée, vous passiez déjà le Taurus? que quand vous me donniez rendez - vous à Apamée, à Synnade, à Philomèle, vous étiez à Tarse? Je n'en dis pas plus. Je ne veux pas avoir l'air de vous chercher querelle par voie de représailles. Je vous dirai ce que je pense : si vous êtes persuadé vous-même de ce que vous avez entendu dire aux autres, vous êtes très-coupable. S'il n'en est rien, c'est déjà un tort que d'y prêter l'oreille. Dans ma conduite, vous reconnaîtrez l'ami fidèle et sérieux. Veut-on que j'aie joué au plus fin? La belle finesse! Je vous aurais constamment défendu pendant que vous étiez absent, sans même songer à la possibilité d'un échange de position ; et de gaieté de cœur j'irais vous donner le droit de m'abandonner quand je suis absent à mon tour ! — Je ne nie pas cependant qu'il n'ait été tenu certains propos assez indifférents pour vous, je crois. On a pu médire de quelqu'un de vos lieutenants ou préfets. Mais il n'a jamais été dit, moi présent, rien de plus fort ni de plus sale que ce qui m'a été rapporté par Clodius à Corcyre, où je l'entendis se lamenter sur ce que la conduite de certaines gens vous avait fait souffrir. Des propos de ce genre étaient dans toutes les bouches, mais n'y trouvant rien qui pût porter atteinte à votre réputation, je ne les ai encouragés ni réfutés. Croire qu'il n'est point de réconciliation sincère, c'est moins accuser autrui que faire un retour sur soi ; et celui qui en dirait autant de la nôtre témoignerait aussi peu d'estime pour vous que pour moi. S'il y a des gens à qui mes règlements déplaisent, et qui s'irritent de quelque différence qu'ils peuvent offrir avec les vôtres, sans considérer que tous deux nous avons fait le bien, et que l'un n'était pas obligé de copier l'autre, ces gens-là, je le déclare, ne sont pas pour être de mes amis. — La générosité qui vous est propre, et qui va si bien à un homme de votre noblesse, a éclaté au loin dans la province. Je suis plus serré que vous ; vous même, grâce à la misère des temps, avez en dernier lieu un peu rabattu de vos manières grandes et libérales. Il ne faut donc point s'étonner qu'ayant toujours été ménager du bien d'autrui et sensible à tout ce qui peut toucher autrui, j'aie adopté pour devise : - d'être sévère avec moi-même pour être bien « avec ma conscience. » — Je vous remercie beaucoup et des nouvelles de Rome que vous m'avez données et de votre sollicitude pour mes recommandations. Ce que je vous demande par-dessus toutes choses, c'est de veiller à ce qu'on n'ajoute rien au fardeau de mon emploi ni à sa durée. Dites à Hortensius, notre collègue et ami, que si jamais il lui vint une bonne pensée pour moi, que si jamais il m'a rendu quelque service, il doit renoncer à l'idée de deux années, car il ne se peut rien faire de plus contraire à mes intérêts.— J'ai quitté Tarse aux nones d'octobre; je marche vers le mont Amanus. Aujourd'hui, second jour après mon départ, je campe sous les murs de Mopsuheste. Si je fais quelque chose, vous le saurez. Je n'écrirai pas une seule fois chez moi sans donner une lettre pour vous. Je crois que les Parthes, dont vous me demandez des nouvelles, ne se sont montrés nulle part. Les Arabes qui avaient fait quelque démonstration, avec leurs accoutrements à demi-Parthes, se sont, dit-on, retirés. On assure enfin que nous n'avons pas un seul ennemi dans la Syrie. Vous me ferez un grand plaisir de me donner souvent des nouvelles de tout ce qui vous touche, de ce qui peut m'intéresser moi-même, et de l'ensemble de notre situation. Je suis plus inquiet de la république depuis que je vois par vos lettres que notre ami Pompée doit aller en Espagne. [3,9] A APPIUS PULCHER. Clicie, février. Enfin voici une lettre digne d'Appius Clodius, une lettre pleine d'amabilité, de bienveillance, d'affection. On dirait que la vue de la ville vous a rendu tout d'un coup votre urbanité d'autrefois. Je n'avais pas été content, je l'avoue, des deux lettres que vous m'avez écrites en route avant de quitter l'Asie, l'une sur les députations auxquelles j'ai fait défense de partir, l'autre sur ces travaux de constructions des Appiens suspendues par mon ordre. Aussi, fort de mes sentiments, ai-je mis quelque vivacité dans ma réponse. Il m'est démontré aujourd'hui par la lettre dont vous avez chargé mon affranchi Philotime qu'il y a plus d'une personne dans la province qui voudrait nous voir en toute autre disposition l'un pour l'autre, et que, vous trouvant aujourd'hui à portée de Rome et en rapport avec les vôtres, vous avez appris d'eux quelle avait été mon attitude pendant votre absence, et quel zèle, quel dévouement j'avais montrés pour vous en toute occasion. Ah! combien me sont précieuses ces paroles que je lis dans votre lettre : » que si jamais l'occasion se présente de me rendre la pareille, si toutefois la pareille est possible, vous vous garderez d'y manquer. » Rien ne vous sera plus facile, je vous assure. Car il n'est rien qu'on ne puisse accomplir avec le zèle, l'affection, et, pour tout dire, avec l'amitié. — Mon opinion était faite sur votre triomphe et ma correspondance particulière me laissait chaque jour moins d'incertitude à cet égard. Cependant j'éprouve une joie infinie en voyant dans votre lettre votre confiance plus forte et même tout à fait établie. Non que je m'en applaudisse, au moins comme d'un antécédent favorable; je ne suis pas si Epicurien. Mais, par Hercule, j'aime tout ce qui vous honore et vous élève. Comme vous avez plus d'occasions que personne pour ma province, étant comme le centre des communications, faites-moi la grâce de m'écrire un mot, dès que vous aurez atteint le but de vos espérances et de mes vœux. La sage lenteur et la maturité des longs bancs, comme Pompée les appelle, pourront bien vous faire perdre une journée ou deux. Mais c'est le plus. Et le jour de l'honneur aura bientôt son tour. Si vous m'aimez et si vous voulez que je vous chérisse, faites que j'en aie la joie le plus vite possible. — J'attends encore de vous l'acquittement d'une promesse et le complément d'une dette dont je ne vous ferai pas grâce, par Hercule. Outre que je tiens à connaître le droit augural, je mets trop de prix à vos attentions et à vos dons. Quant au retour que vous me demandez, rien de plus juste. Mais il faut qu'il vous prouve toute ma reconnaissance, et l'écrivain que vous avez parfois la bonté d'admirer, et qui met quelque amour-propre à bien faire, tient surtout à ne pas compromettre sa réputation dans une circonstance où le crime de l'ingratitude viendrait se joindre au crime d'un mauvais livre. Je passe à un autre point. — Vous m'avez promis et je vous demande, au nom de votre loyal dévouement, au nom de notre amitié, qui n'est pas d'hier, et qui se fait déjà vieille, je vous demande d'employer tous vos soins, tous vos efforts, pour que les supplications me soient décernées avec le plus d'éclat et de promptitude possible. J'ai présenté ma demande beaucoup plus tard que je ne voulais : la mer a été d'abord véritablement odieuse. Puis, je crains que ma lettre ne soit tombée juste au moment où le sénat était dispersé. J'ai agi d'ailleurs sous l'influence de votre exemple et de votre conseil ; et je crois qu'il était plus sage de ne pas écrire au moment où l'on me proclamait imperator, et d'attendre que de nouveaux faits, et les résultats de la campagne, vinssent corroborer mes premiers titres. Veuillez prendre bonne note de tout ceci comme vous m'eu témoignez l'intention. Je me recommande à vous, moi, mes intérêts et mes amis. [3,10] A APPIUS PULCHER. Laodicée, mai. J'ai été d'abord étourdi à la nouvelle d'une agression aussi téméraire : c'est la chose du monde à laquelle assurément je m'attendais le moins. Mais après m'être remis, j'ai compris que vous en auriez facilement raison, car ma foi est grande en vous et en vos amis, et je vois plus d'un motif de penser que cette épreuve tournera même à votre honneur. Ce qui m'afflige profondément, c'est de voir l'envie arracher de vos mains un triomphe aussi certain que mérité. Cependant si vous voyez ces choses-là du même œil que moi, vous agirez en homme sage, et, victorieux de vous-même, vous remporterez en même temps sur la haine de vos ennemis le plus beau triomphe. Vous avez, j'en suis sûr, tout ce qu'il faut d'énergie, de prudence et de ressources pour faire repentir vos ennemis de cet excès d'audace. Quant à moi, je vous le jure, et j'en prends à témoin tous les Dieux, il n'y aura ville de cette province, que vous commandiez naguères, où je n'aille pour votre honneur (la vie n'est pas en question) supplier en défenseur, solliciter en parent, faire appel aux sentiments des peuples à mon égard, et, s'il le faut, à l'autorité dont je suis investi. Demandez, exigez, je suis prêt à répondre à votre attente, à aller même au delà. — Q. Servilius m'a remis votre lettre qui est très-courte et qui m'a paru trop longue. Me prier, c'est me faire injure. Je regrette la circonstance qui veut que j'aie à vous prouver mon estime pour vous, pour Pompée qui est à mes yeux le premier des hommes; pour Brutus en un mot. Ces preuves seront de tous les jours, et l'avenir vous en réserve encore; mais puisque cette malheureuse occasion se présente, je consens, si j'y fais faute, à ce que le crime en reste à ma mémoire et le déshonneur à mon nom. Pomptinius, que vous avez traité avec une si grande et si particulière faveur, et dont je connais mieux que personne les obligations envers vous, vient de vous donner une preuve de sa reconnaissance et de son dévouement. Rappelé par des affaires personnelles de la plus haute importance, il avait pris congé de moi, à mon grand déplaisir. Mais quand il a su qu'il y allait de votre intérêt, quoique déjà à bord, il est revenu d'Ephèse à Laodicée. Quand je vois de pareils dévouements à votre service, et l'on ne saurait les compter, je ne puis douter que tout ce qu'on a fait contre vous n'ait pour effet de vous grandir. Si vous parvenez à faire créer des censeurs, et à exercer la censure d'une manière digne de cette haute fonction et de vous-même, je suis persuadé que vous vous placerez pour toujours dans une position inexpugnable pour vous et les vôtres. Luttez, combattez pour que j'échappe à toute prorogation, afin qu'après avoir satisfait ici à ce que je vous dois, je puisse aller aussi là-bas mettre pour vous la main à l'œuvre. — Ce que vous me mandez des témoignages qui éclatent à votre occasion dans le public et dans tous les ordres me charme en vérité, mais ne me surprend pas le moins du monde. Les lettres de mes amis m'en disent autant. N'est-ce pas en effet une joie pour moi qui vous aime, et qui prends tant plaisir à vous aimer, de voir que l'on vous rend justice? n'est-ce pas une joie pour moi qui ai toujours placé là le prix de mes travaux et de mes veilles, de voir qu'il se trouve encore à Rome un semblable concert en faveur des hommes de cœur et de capacité? Ce qui me passe, c'est l'audace de ce jeune homme, dont j'ai à grand' peine deux fois sauvé la tête, dans les luttes judiciaires, et qui, au mépris de ce qu'il doit au protecteur de sa fortune et de son existence, s'en va prendre parti contre vous; songeant peu à tout ce qu'il y a de consistance et de dignité dans l'homme auquel il s'attaque, lui qui ne remplit guères ces conditions, pour ne rien dire de plus. Je savais déjà quelque chose de ses propos extravagants et de ses étourderies. Mon ami M. Célius m'en parlait dans ses lettres, et les vôtres m'en ont souvent entretenu. Son hostilité gratuite envers vous me porterait plutôt à rompre les relations établies qu'à en contracter de nouvelles. Car vous ne doutez pas de mon dévouement. Il a suffisamment éclaté aux yeux de tous et à Rome et dans la province. — Cependant je vois percer le soupçon, le doute au moins dans votre lettre. Ce n'est pas le moment de me plaindre. Mais je ne puis remettre à me disculper. Quand me vit-on jamais empêcher l'envoi d'une députation en votre honneur? Et pouvais-je, ennemi déclaré, vous faire moins de mal ? ennemi secret, me démasquer plus étourdiment? Eussé-je même été aussi perfide que ceux qui nous suscitent ces querelles, au moins ne serais-je pas stupide au point de trahir le secret de ma haine. et de montrer la dernière envie de nuire, sans nuire effectivement. Je me souviens qu'on est venu à moi, notamment de la ville d'Epictète, pour réclamer contre l'exagération des sommes allouées aux députations. J'ai moins prescrit que recommandé de se renfermer autant que possible dans les termes de la loi Cornélia, et la preuve que je n'y ai pas même tenu la main bien strictement se trouve dans les comptes de plusieurs villes, où l'on voit porté en dépense tout ce qu'il leur a plu d'accorder à vos députés. — De combien de mensonges ne vous a-t-on pas chargé, et avec quelle inconséquence ! Les allocations ont été rayées, ont-ils dit ; on a même exigé des restitutions des fondés de pouvoirs de députés déjà en route; et beaucoup de députations ont ainsi manqué. Je pourrais me plaindre et récriminer, si je n'avais dit tout à l'heure que, dans la position où vous êtes, me justifier est bien plus digne. Deux mots seulement sur les raisons que vous aviez de ne pas tout croire aussi implicitement que vous l'avez fait. Si vous m'avez toujours connu pour homme de bien, fidèle aux études et aux doctrines qui m'ont occupé dès l'enfance, pour un homme qui a quelque élévation dans l'âme, et dont l'intelligence n'est pas trop au-dessous des plus grandes affaires, vous devez tenir ces qualités pour incompatibles non-seulement avec la perfidie, la trahison, la duplicité, mais avec tout ce qui dénote platitude d'esprit ou sécheresse de cœur. Voulez-vous au contraire que je sois un homme astucieux et caché? qu'y a-t-il alors de plus opposé à ce caractère que de mépriser les bontés d'un homme puissant, d'attaquer sa réputation en province, après avoir chanté ses louanges à Rome? de montrer une velléité de nuire, sans nuire en effet; une perfidie qui éclate en démonstrations, et en résultat ne sait être qu'inoffensive? Où aurais-je pris contre vous ce ressentiment implacable? moi qui sais par mon frère que vous n'étiez pas mon ennemi alors même que vous étiez, par position, presque tenu de le paraître. Plus tard eut lieu cette réconciliation de tous deux désirée. Depuis, et pendant votre consulat, avez-vous en vain réclamé de moi une seule démarche, un témoignage quelconque? Lorsque, vous faisant cortège à Pouzzol, je fus chargé de vos volontés, en est-il une seule dont l'accomplissement n'ait été au delà de votre attente ? Si c'est le propre de l'adresse de chercher toujours son intérêt, quoi de plus utile et de plus favorable pour moi, je vous prie, qu'une liaison avec l'homme le plus noble et le plus honoré; avec l'homme qui par ses richesses, son esprit, ses enfants, ses alliés, ses proches, peut si efficacement me servir, soit en ajoutant à l'éclat de mes dignités, soit en me protégeant contre mes ennemis? En recherchant votre amitié, je me suis proposé tous ces avantages, il est vrai ; mais ce n'était pas un crime d'égoïsme, c'était une inspiration de sagesse. Que dirai-je de tant de liens qui font ma joie en m'attachant à vous? conformité de goûts, douceur de commerce, charme du savoir vivre, intimité des entretiens, sympathies littéraires ; voilà pour les rapports privés. Parlerai-je de nos liens politiques? de cette réconciliation au grand jour dont je ne pourrais enfreindre les droits, même à mon insu, sans passer pour un traître; de cette confraternité du plus grand des sacerdoces, dans le sein duquel la moindre atteinte aux droits de l'amitié passait pour crime chez nos ancêtres ; auquel même, de leur temps, nul n'eût songé à prétendre, pour peu qu'il fût en inimitié avec un seul membre du collège? — Je passe sur une foule d'autres considérations capitales. Mais est-il quelqu'un au monde qui par inclination, comme par devoir, honore autant que moi Cn. Pompée, le beau-père de votre fille? A ne voir que les services, je lui dois d'avoir retrouvé ma patrie, mes enfants, mon existence, mes dignités ; de m'être retrouvé moi-même enfin. Parlons-nous de penchant? où trouver dans nos annales un seul exemple d'union si intime entre deux consulaires? De témoignages d'affection? qu'a-t-il eu de secret, de caché pour moi ? Quel autre a-t-il jamais choisi pour le représenter près du sénat en son absence? A qui voulut-il jamais plus de bien? Quelle condescendance, quels procédés pour moi, quand je mettais dans la défense de Milon une chaleur qui contrariait ses vues ! Et craignant les ressentiments de parti, quels soins n'a-t-il pas pris de me protéger contre toute atteinte, en me plaçant sous l'égide de ses conseils, de son nom et même de ses armes? Il poussa la noblesse, la magnanimité à cette époque, jusqu'à fermer l'oreille à toute insinuation maligne, lors même qu'elle émanait des sources les plus respectables. Ce n'était pas pour donner crédit à des propos de Phrygiens, de Lycaoniens, comme vous l'avez fait au sujet des députations! Eh bien ! son fils est votre gendre ; je sais que, indépendamment de ce lien, Pompée vous chérit et vous recherche; quels sentiments, je vous le demande, ne dois-je pas avoir pour vous? Ajoutez qu'il m'a écrit des lettres qui m'auraient désarmé, n'eussé-je dans le cœur qu'aversion pour vous au lieu de tendresse, et qui, venant d'un homme à qui je suis si redevable, auraient en un clin d'œil opéré en moi une complète révolution. Voilà bien des paroles; en voilà trop peut-être. Connaissez maintenant ce que j'ai fait, ce que je me propose de faire. {lacune}. Voilà ce que j'ai fait, ce que je me propose de faire encore, dans la vue de vous honorer bien plus que de vous défendre ; car j'espère, au premier jour, apprendre que vous êtes censeur; et je suis bien d'avis que les devoirs de cette magistrature, qui exige tant de courage et de sagesse, méritent autrement d'attention et de soin de votre part que le peu que je fais pour vous. [3,11] A APPIUS PULCHER (CENSEUR, J'ESPÈRE). Cilicie, juin, J'étais dans mon camp, près du fleuve Pyrame, lorsque j'ai reçu à la fois deux lettres de vous que Q. Servilius m'a envoyées de Tarse. L'une est datée des nones d'avril; l'autre, que je crois plus récente, est sans date. Je répondrai d'abord à la première où vous m'annoncez que vous avez été absous du crime de lèse-majesté. Je le savais déjà par ma correspondance, par les courriers et par la renommée elle-même, car rien n'a fait plus de bruit. Non qu'il y eût deux opinions à votre égard, mais quand il s'agit de personnages aussi illustres, il y a toujours du retentissement. Cependant votre lettre est venue ajouter à ma joie, et parce que mes nouvelles n'étaient ni aussi précises ni aussi détaillées, et parce qu'en tenant le récit de vous-même, je me surprenais a vous féliciter à chaque instant. — Je vous ai embrassé par la pensée. J'ai pressé votre écriture contre mes lèvres et je me suis moi-même félicité. C'est peut-être une illusion d'amour-propre ; mais quand je vois le peuple, le sénat, les juges rendre hommage au caractère, au talent, à la vertu, je m'imagine qu'il y a quelque chose de tout cela à mon adresse. Ce qui m'étonne au surplus, ce n'est pas la glorieuse issue de votre procès, c'est la méchanceté de vos accusateurs. Mais qu'importe, direz-vous, que je sois acquitté de l'accusation de lèse-majesté, si je ne le suis point sur l'accusation de brigue? L'objection est sans application ici, puisque d'un côté vos mains sont pures de toute brigue, et que, de l'autre, ces mêmes mains ont accru et non lésé la majesté romaine. Cette loi cependant, quoi qu'en ait fait Sylla, peut servir aussi à défendre l'honnête homme des attaques des pervers. Quant à la brigue, elle procède si ouvertement qu'il faut bien du front, soit pour accuser, soit pour se défendre. Est-ce que chacun ne sait pas bien, si l'argent a été distribué ou non ? Or dans le cours de vos honneurs, s'est-il élevé contre vous un soupçon ? Pourquoi n'étais-je pas là? Ah! que j'aurais fait rire à leurs dépens ! —Deux choses m'ont charmé dans votre lettre. D'abord la république, dites-vous, a pris elle-même votre défense. C'était de droit en vérité, eût-elle en profusion les hommes d'honneur et de courage. Mais quand l'espèce est si rare dans tous les rangs, aussi bien que dans tous les âges ; pauvre orpheline qu'elle est, la cité ne doit-elle pas tout faire pour se conserver de pareils tuteurs ? Le second article de votre lettre se rapporte à Pompée et à Brutus, que vous dites avoir été admirables de loyauté et de dévouement pour vous. Je me réjouis de cette fidélité à la vertu et au devoir chez deux de vos plus proches alliés, de mes meilleurs amis; dont l'un est le premier homme de tous les siècles et de toutes les nations, et dont l'autre, dès longtemps le modèle de notre jeunesse, deviendra bientôt, j'espère, le modèle de la cité tout entière. Les témoins gagnés seront signalés dans les villes auxquelles ils appartiennent. Déjà Flaccus a dû s'en occuper ; à son défaut j'y veillerai moi-même à ma prochaine tournée en Asie. —J'arrive à votre seconde lettre, à cette peinture frappante de notre époque et de la situation de la république. Je reconnais et j'aime la haute intelligence qui en a saisi les traits. J'y vois le danger moindre que je me le figurais, et les ressources plus considérables, s'il est vrai, comme vous me l'écrivez, que toutes les forces de l'État tendent à se concentrer dans les mains de Pompée. J'y vois en même temps l'esprit confiant et résolu qui vous anime pour défendre la république. Enfin c'est un bonheur inexprimable pour moi de songer qu'au milieu de vos immenses occupations, votre bonté n'a voulu s'en remettre à personne du soin de me faire connaître toute notre position. Réservez vos livres de droit augural pour le temps où nous aurons l'un et l'autre des loisirs. Lorsque j'insistais, dans mes lettres, sur l'accomplissement de votre promesse, je vous croyais entièrement oisif à Rome. Provisoirement, à la place de ces livres, envoyez-moi tous les discours que vous avez prononcés et que vous m'avez offerts. Tullius qui a des commissions pour moi n'a pas encore paru ; et je n'ai plus personne des vôtres auprès de moi, si ce n'est tous les miens qui tous sont vôtres assurément. Je ne sais quelles sont ces lettres où j'ai, dites-vous, trop pris la mouche. Je ne vous en ai écrit que deux où je me justifiais avec soin, mais ne vous accusais que bien doucement de vous être laissé trop facilement prévenir. J'ai cru ne me plaindre qu'en ami ; si le ton vous en a déplu, je m'en abstiendrai à l'avenir. Les lettres étaient-elles mal écrites? Oh ! alors elles n'étaient pas de moi. Aristarque déclare que tout vers d'Homère qui ne lui plaît pas n'est pas d'Homère. De votre côté, (il faut bien rire un peu) si quelque chose n'est pas de bon style, comptez que ce n'est pas de moi. Adieu, et si déjà vous êtes censeur, comme je l'espère, songez sans cesse, dans l'exercice de votre charge, à la censure de votre bisaïeul. [3,12] A APPIUS PULCHER. Sida, août. Les félicitations d'abord ; c'est l'ordre. Plus tard, je parlerai de moi. Je vous félicite, et bien vivement, du résultat de votre procès de brigue. Je ne parle pas de votre absolution dont personne n'a douté un instant. Mais plus vous êtes bon citoyen, homme illustre, ami fidèle, plus votre vertu, vos talents, ont d'éclat et de lustre, et plus il faut admirer que l'envie n'ait glissé dans les secrets de l'urne aucun bulletin contre vous. Voilà qui n'est certes ni de notre temps, ni des hommes, ni des mœurs d'aujourd'hui. Jamais je ne fus plus étonné.— Pour parler de moi, mettez-vous un instant à ma place, et figurez-vous que vous êtes Cicéron. S'il vous est facile alors de trouver des paroles, allez, et soyez sans pitié pour mon embarras. Puisse-t-il se réaliser l'aimable vœu que votre amitié exprime ! Puissions-nous, moi et ma Tullie, nous bien trouver de ce que les miens ont fait a mon insu ! Et puisse la coïncidence n'avoir rien que d'heureux ! Je le souhaite et je l'espère ; mais à cet égard, je compte moins sur les circonstances que sur votre raison et sur votre bonté. Me voilà engagé dans des réflexions dont je ne sais plus comment sortir. Je ne puis rien dire de fâcheux d'un événement dont vous voulez bien tirer l'augure le plus heureux. Cependant il me reste encore un scrupule: je crains que vous n'ayez pas bien compris que tout s'est fait par des intermédiaires; et qu'attendu mon éloignement, ceux-ci avaient reçu de moi pouvoir d'agir, sans m'en référer, d'après ce qu'ils jugeraient convenable. Ici on peut m'objecter, mais, vous présent, qu'eussiez-vous dit? Oui, quant au fait. Quant à l'époque, je n'eusse agi qu'avec votre aveu et par vos conseils. Vous le voyez; depuis une heure je sue sang et eau pour défendre les points défendables de la cause, sans vous donner sujet d'irritation. De grâce, venez à mon aide. Jamais plaidoirie ne me coûta davantage. Écoutez cependant ce que j'ai a vous dire. J'ai rempli jusqu'à présent à votre égard les devoirs d'une amitié attentive; et l'on pouvait, je crois, défier mon zèle d'aller plus loin ; cependant, à la nouvelle de cette alliance, je sentis le besoin, non pas de faire pour vous davantage, mais de donner à ce que je fais plus d'éclat, plus de publicité— J'étais en route (mon année de gouvernement venant d'expirer), et je débarquais à Sida, vers les nones d'août; Servilius était avec moi, quand je reçus de ma famille la lettre qui me donnait avis de tout. Je dis aussitôt à Servilius, qui paraissait assez ému, que mes obligations envers vous venaient de grandir. Que vous dirai-je? Mon affection ne s'est pas accrue sans doute, mais je tiendrai bien plus a vous en fournir les preuves. Déjà j'étais excité par le souvenir môme de nos différends, à ne pas souffrir que de ma part la réconciliation parût suspecte. Eh bien ! cette alliance est pour moi un avertissement nouveau, et je ne permettrai à personne de croire que mes sentiments en aient reçu la moindre altération. [3,13] A APPIUS PULCHER. août. Était-ce par pressentiment, et pour me créer un titre à la réciprocité de vos bons offices, que je me dévouais avec tant de zèle à vous faire rendre les honneurs qui vous sont dus pour votre administration? Cependant je dois à la vérité de le dire ; vous aviez moins reçu que vous n'avez donné. De quel côté ne m'est-il pas revenu que vous n'aviez rien laissé à faire pour personne, et par l'autorité de votre parole, et par votre suffrage (je n'eusse pas demandé plus d'un homme tel que vous), que dis-je? par votre coopération personnelle, par vos conseils, par vos démarches ; jusqu'à venir chez moi, aller vous-même trouver mes amis? De pareils témoignages valent plus à mes yeux que l'avantage même qu'ils m'ont procuré. Il n'est pas rare d'obtenir, sans être vertueux, les distinctions de la vertu. Mais ce n'est que pour la vertu qu'un homme comme vous se passionne ainsi. Aussi, je ne me propose d'autre prix de notre amitié que cette amitié même ; amitié qui fructifie si heureusement quand on a les goûts que nous avons tous deux. Oui, je vous le déclare, la conformité de nos sentiments pour la république nous a rendus amis politiques. Mais l'amitié de tous les moments est liée du rapport de nos esprits et de nos études. Je n'ai qu'un vœu à adresser à la fortune : c'est qu'elle vous donne un jour pour tous les miens les mêmes dispositions que j'ai moi-même pour les vôtres. Si j'en crois je ne sais quelle divination qui se manifeste en moi, je ne dois pas en désespérer. Mais je ne puis rien vous demander à cet égard. C'est une conquête dont j'ai seul à faire les frais. Soyez seulement convaincu, je vous en conjure, que cette alliance nouvelle, loin d'altérer mes sentiments pour vous, ne fait au contraire que les accroître, chose que j'aurais crue impossible. Au moment où je vous écris, vous êtes censeur, j'espère. J'abrège donc ma lettre ; on ne saurait trop s'observer avec le magistrat des mœurs.