[0,0] PRÉFACE. 1. Après avoir gagné la faveur de l'éloquence des hommes, certainement pas par les mérites de la pratique, mais par des échanges de dialogues ou des actes de générosité faits sans arrière-pensée, on a insisté pour que je regroupe en un ouvrage les propos utilisés durant mes diverses fonctions honorifiques, afin de dévoiler la nature de mon travail. De cette façon, je laisserai à la postérité le témoignage de mes travaux harassants, accomplis pour le bien commun, et la conduite incorruptible de ceux qui agirent de bonne foi. 2. J'ai répondu que leur amour serait tout à fait aussi dommageable pour moi, puisque, grâce aux hommes qui m’ont sollicité, il semblerait alors bien insensé de tromper ceux qui me liront plus tard. J'ai ajouté qu'il convient de se rappeler les mots de Flaccus, qui met en garde contre le danger qu’un discours hâtif peut occasionner. 3. On s’aperçoit que tout le monde veut des réponses rapides, et vous me créditez de choses qui ne devront pas être regrettées? Un ouvrage que la réflexion n’a pas orné de choix judicieux ou qui est dévoilé sans aucune subtile sélection de propos apparaît toujours incongru. Nous avons tous le don de la parole: seul le style montre le manque de culture. 4. On accorde neuf années entières aux Auteurs pour composer leurs ouvrages, et je ne puis pas même trouver des moments pour travailler aux miens. Sitôt que j'ai pris la plume, on m'étourdit à force de clameurs, et je me vois pressé de tant d'endroits, que je ne puis achever tranquillement ce que j'ai commencé. L'un me fatigue par des sollicitations importunes, l'autre vient m'accabler du poids de l'extrême misère qui le presse; d'autres mêmes m'environnent et m'assiègent de discours séditieux et pleins de fureur. 5. Parmi tous ces embarras qui me permettent à peine de parler, comment voulez-vous que je trouve le loisir de dicter et d'écrire avec politesse? Des inquiétudes inexplicables ne me laissent pas le moindre repos pendant les nuits, ayant à donner ordre que toutes les villes soient suffisamment pourvues de munitions de bouche. Ainsi je me vois contraint de parcourir en esprit toutes les provinces, et de prendre garde si l'on exécute les ordres que j'ai donnés. Il ne suffit pas de donner des instructions à des fonctionnaires, si la constance du chef ne peut être exigée. 6. Mais au lieu de cela, ils m’ont avancé l’argument suivant : « Tout le monde sait que vous exercez la Préfecture du Prétoire, dignité qui est comme assiégée de tous les soins et de toutes les affaires de la République, qui la suivent partout. Car c'est à un Préfet du Prétoire qu'on s'adresse pour la subsistance des armées et des peuples, en quelque temps que ce soit. Il est encore chargé de l'administration de la Justice, dont le seul poids devrait suffire. Les lois semblent lui avoir imposé un fardeau immense, lorsqu'elles ont ordonné, pour lui faire honneur, que presque toutes choses dépendissent de lui. Quel temps pouvez-vous dérober à ces travaux, que le public exige de vous, renfermant dans vôtre seule tête tous les soins qui concernent le bien public et l'utilité de l'Etat? » 7. Il faut ajouter encore à cela, qu'étant souvent chargé des emplois de la Questure, votre temps est partagé par tous les embarras et toutes les inquiétudes que cette dignité renferme. Vous êtes, par dessus tout cela, obligé à veiller sur la conduite des Officiers qui vous sont soumis ; la confiance que les Princes ont prise en vous, les ayant obligé à mettre sur vos épaules, tout ce qui est de plus difficile dans les autres charges, et ce que ceux qui les exercent ne peuvent pas bien exécuter. C'est de quoi vous vous acquittez parfaitement bien. Tout cela cependant, vous ne le faites pas par avantage ; mais plutôt, en suivant l’exemple de votre père, vous n’acceptez qu’un dur labeur des quêteurs. Ainsi, en accordant cela aux pétitionnaires sans rémunération aucune, vous leur avez donné tout ce à quoi ils avaient droit avec un don d’intégrité. 8. Bien sûr, le glorieux conseil du roi a aussi eu le pouvoir de vous occuper pour le service public pendant la plus grande partie de la journée, de sorte que ce serait un fardeau d’attendre d’hommes inactifs ce que vous fournissez évidemment par un travail incessant. Mais cela ne doit pas vous détourner de mettre au jour ce que nous demandons de vous. Au reste rien ne vous sera plus glorieux, que d'avoir donné au public parmi tant de travaux et d'affaires, des ouvrages aussi dignes d'être lus que les vôtres. 9. C’est pourquoi votre ouvrage pourra sans dommage servir de modèle aux incultes qu’on doit préparer au service de l’Etat avec une éloquence consciencieuse. Ceux qui naviguent en eaux calmes pourront acquérir plus agréablement le style pratiqué quand ils seront ballottés çà et là entre les dangers des différends. De même, et vous ne pouvez l’ignorez en conservant votre habituelle honnêteté, si vous avez permis à des faveurs royales d’être octroyées discrètement, vous avez préféré qu’une hâte généreuse les attribue en vain. Ne faites pas, nous vous en conjurons, retomber dans le silence et l’oubli ceux qui furent dignes de recevoir des honneurs illustres par vos panégyriques. Car vous avez pris soin de les décrire avec une grande justesse, et de les décrire, dans une certaine mesure, orné du pigment de l’histoire. Si vous faites parvenir leur renommée à la postérité, selon la coutume ancestrale, vous annulerez ainsi la mort de ceux qui ont péri glorieusement. 10. Et là encore, vous utilisez l’autorité du roi pour corriger les mauvais défauts, vous secouez l’insolence des délinquants, vous restaurez le respect dû aux lois. Alors pourquoi hésiter à publier ce qui de toute évidence peut être d’une telle utilité ? Car, si je puis dire, vous cacheriez également le reflet de votre propre pensée, dans laquelle chaque âge à venir pourrait vous découvrir. Bien souvent, en effet, l’homme engendre des fils différents d’eux ; mais il est dur de trouver quelqu’un qui ne se conforme pas à sa personnalité. Le propre choix d’un enfant est alors, le plus certain, car on suppose que ce qui est né près du lieu secret du cœur est la véritable progéniture des parents. 11. En outre, vous avez souvent prononcé des panégyriques pour rois et reines sous une admiration unanime; vous avez écrit l’Histoire des Goths en douze volumes, faisant l’anthologie de leurs gloires. Comme les circonstances vous furent favorables à ces occasions, et qu’on sait que vous avez déjà composé des pièces d’essai d’oratoire, pourquoi hésiter à publier aussi celles-là ? 12. J’ai été vaincu, je le reconnais à ma grande honte. Je n’ai pu résister à de tels sages, lorsque je me suis vu réprouvé par amour. Maintenant, ô lecteurs, pardonnez-moi ; et s’il existe quoi que ce soit d’inconsidéré et d’erroné, signalez-le à mes conseillers ; j’adopterai l’opinion de mon accusateur. 13. J'ai ramassé tout ce que j'ai trouvé dans des actes publics que j'avais dictés du temps de mes magistratures de questeur, maître des offices et préfet. Tout cela figure en douze livres, afin que, même si l’intérêt du lecteur soit stimulé sur des sujets divers, son esprit, néanmoins, puisse en réalité être pris quand il approche de la fin. 14. Je n’ai maintenant pas permis aux autres de supporter ce vers quoi je me suis précipité dans l’attribution des honneurs : la hâte et le manque de préparation de mes propos, si vite exigés qu’ils ont eu du mal à être écrits. Et par conséquent j'ai recueilli dans les livres six et sept les formules de toutes les dignités afin que puisse faire pour moi une réflexion tardive et apporter une aide rapide à mes successeurs. Ce que j'ai dit des choses passées conviendra aussi aux choses futures. Je n'ai rien dit des personnes ; mais j'ai expliqué ce qui paraissait convenable aux endroits où j’en parlais. 15. Maintenant, comme titre des livres, index de l'ouvrage, table des matières du contenu, sommaire de tout ce traité, je lui ai donné le nom de "Variae" ; car en effet, comme j’ai eu à mentionner diverses personnes, j’ai dû adopter plus d’un style. Il est une manière par laquelle on doit persuader et intéresser les gens rassasiés de lecture ; une autre façon de les asticoter avec un peu de piment ; une autre est destinée aux assoiffés de littérature, de sorte que ce peut être parfois une sorte de don que d’éviter ce qui plairait aux gens cultivés. 16. Par conséquent, la belle règle de nos ancêtres indique qu’il faut parler avec une telle habileté pour influencer les espérances déjà conçus par les lecteurs. Aussi n’est-ce pas en vain que la prudence des anciens a défini trois types de style oratoire. Le style humble exprime des pensées simples en rampant sur le sol avec douceur. Le style moyen a des limites qui empêchent son être d’être infatué de sa propre importance, voire reculé dans l'insignifiance. Le troisième style est bien le sommet de l'art oratoire, employant tous les moyens de lutter pour une exquise sensibilité d'expression. De fait, diverses personnes peuvent ainsi apprécier l’éloquence qui leur convient ; et bien qu’elle provienne d’un seul sein, elle se propage par divers courants. Car personne ne peut être qualifié d’éloquent sans être auparavant doté de ces trois facettes du style, pour faire face, comme n’importe quel homme, à toute éventualité qui puisse se présenter. 17. En plus, je m’adresse parfois aux rois, parfois aux hauts fonctionnaires, parfois au peuple de bas rang ; à ces derniers, certaines de mes paroles peuvent être rapidement adressées, mais pour d’autres je réfléchis d’abord. C’est pourquoi un ouvrage d’une telle diversité doit être intitulé "Variae". J’espère cependant, après avoir de toute évidence reçu ces styles de la part des anciens, que même par cela ils puissent valoriser les mérites de la composition promise. 18. Je promets donc modestement d’utiliser l’humble ainsi que le moyen sans malhonnêteté; quant au style élaboré qui, en raison de sa noblesse même, n’est utilisé que pour les compositions solennelles, je ne crois pas l’avoir atteint. Mais puisque je dois être lu, cette défense préliminaire infondée doit cesser. Il est en effet inconvenant de polémiquer sur moi-même ; je préfère me soumettre à votre jugement.