[1,37,0] LETTRE XXXVII. LE ROI THÉODORIC A CRISPIANUS. [1,37,1] Cassation d’un jugement d’homicide justifiable (adultère). [1,37,2] 1. Quoique tout acte d’homicide est odieux dès qu’il est connu et que les yeux se détournent de la main ensanglantée dans un jugement, parce qu'il est toujours plus facile d’apporter sa miséricorde aux esprits bons, cependant il y a lieu d'équilibrer, par considération de la justice, à cause de laquelle l'injure faite à quelqu'un devient un crime détestable, ce qui a été commis par un nouveau malheur de la fortune : ce fait sera alors détestée par tous, s'il devait rester impuni. Car qui peut supporter de traîner en justice un homme qui a tenté de violer ses droits matrimoniaux? 2. Il est au fond de tous, même chez les animaux, de devoir défendre leur reproduction, même par des conflits meurtriers, car ce qui est condamné par la loi naturelle est odieux à tous les êtres vivants. Nous voyons les taureaux défendre leurs vaches par des luttes de cornes, les béliers se battre avec leurs têtes pour leurs moutons, les chevaux défendant à coups de pied et de morsures leurs femelles; de sorte que même ceux-là, qui ne sont mus par aucun sentiment de honte, donnent leur vie pour leurs compagnes. 3. Comment alors un homme pourrait-il supporter de laisser impuni l'adultère, qui est considéré comme commis pour son opprobre éternel? Et si vous avez fait très peu de fausses déclarations dans la pétition que vous proposez, et si vous avez en effet seulement lavé la tache de votre lit conjugal par le sang de l'adultère, pris en flagrant délit, et si vous souhaitez revenir de votre exil, qui n'a évidemment pas été infligé en raison d'un esprit sanguinaire, mais à cause de votre sentiment de honte, nous vous autorisons à revenir d'exil, puisque pour un mari, utiliser l'épée pour l'amour de son sens de l'honneur, n’est pas renverser les lois, mais les établir. 4. Cependant, si l’accusateur se montre régulier, vous serez à nouveau entendu sur l’explication de vos actes ; afin que, s’ils sont justifiables, l’accusation soit frappée d’un interdit public. Si, de façon malheureuse, l’étreinte de l’adultère a été rompue par la mort de ceux qui l’ont commis, on considérera qu’il s’agit plus d’une vengeance que d’une faute. 5. Si quelqu’un vous a porté préjudice par la calomnie, ainsi qu’à Agnellus, comme vous le dites, le Vicaire ou son bureau ayant mis sous séquestre l’argent versé par votre garant, notre décision convenue, selon la loi, est que ce qui a été emporté soit restitué. En effet, nous ne voulons pas qu’une somme soit dérobée à un tiers, alors que notre intention est de le gracier par sentence. Aussi, dans le futur allons-nous vous protéger contre les assauts hostiles de Candax (plus proche parent de l'homme assassiné) ; afin que ni la loi ne vous trahisse, ni d’autres faits puissent s’exercer contre le droit public. [1,38,0] LETTRE XXXVIII. AU SÉNATEUR COÏON, LE ROI THÉODORIC. [1,38,1] Le jeune Virilianus est autorisé à entrer en possession de ses biens. [1,38,2] Il n’y a pas d'avantage à offrir à regret : cela ne semble utile à personne, ni quand c’est accordé à contrecœur. Par conséquent, Ta Respectabilité sait que de graves plaintes ont été déposées par le jeune Virilianus, ton neveu, consistant dans le fait tu gères les biens de son père, non pas en les faisant prospérer, mais en les dilapidant. Par conséquent, selon le droit connu, tout ce que tu sais détenir, doit lui être restitué sans aucun retard afin que Virilianus puisse disposer des biens de ses parents selon son souhait, parce que nous considérons comme capables, en fait, ceux qui réussissent à progresser après avoir obtenu le droit d'administrer ce qui leur appartient. L’aigle, le plus généreux de tous les oiseaux, nourrit ses petits jusqu’a ce que le temps ait fait succéder à la faiblesse de sa première plume, des ailes fortes & vigoureuses : mais à peine ont-ils le vol assuré qu'ils accoutument leurs jeunes griffes à une proie tendre, & vivants de leur propre chasse ils n'ont pas besoin de l’aide d'autrui. Ainsi il serait honteux d'estimer indignes de gouverner leur bien & d'en disposer ceux qui sont déjà propres aux fonctions des armes, & de croire qu'étant capables d’un si pénible exercice, ils ne le fussent pas de la conduite de leurs affaires. L’âge se règle chez les Goths par la force corporelle, & celui qui dans un juste combat peut défaire son ennemi se peut bien défendre de toutes les autres surprises. [1,39,0] LETTRE XXXIX. A L’ILLUSTRE PATRICE FESTUS, LE ROI THÉODORIC. [1,39,1] Les neveux de Philagrius doivent être retenus à Rome. (Extrait) [1,39,2] Nous accueillons volontiers les suppliques raisonnables puisque nous pensons à la justice même sans être sollicité. Jour et nuit, nous n'avons qu'une pensée : veiller à la conservation de notre Etat par le respect le plus absolu de l'équité, comme nous le défendons par nos armes. Le très honorable Philagrius, longtemps membre de notre cour, a conduit de Syracuse à Rome les jeunes fils de son frère pour qu'ils y fissent leurs études, et, forcé aujourd'hui de retourner en Sicile pour ses affaires, il désire que ses enfants soient retenus à Rome. De par mon ordre, Ton illustre Magnificence devra donc veiller à ce qu'ils n’en sortent pas sans ma permission, à moins qu’un second ordre de moi n’ait été émis pour la seconde fois. Car ainsi, Rome sera utile à leur intelligence, tant que le calcul de notre intérêt sera respecté. Un homme ne doit pas ressentir comme un fardeau ce qu’il devrait souhaiter. Tout le monde est heureux d’être à Rome, cette mère fertile de l’éloquence, ce vaste temple des vertus, cette cité qu’on ne peut appeler étrangère. Tout cela doit être pleinement apprécié : c’est en fait une faveur que d’être assigné à une telle résidence ; ce peut être profitable à ceux qui de temps à autres peuvent quitter leur patrie, cela permet d’acquérir quelque sagesse. Ulysse d’Ithaque ne serait très probablement jamais devenu célèbre, s'il était resté dans sa maison ; lui dont la sagesse a été chantée par le noble poème d'Homère et qui erra parmi de nombreuses villes et nations ---. [1,40,0] LETTRE XL. A L’ILLUSTRE COMTE ASSUIN, LE ROI THÉODORIC. [1,40,1] Entraîner les habitants de Salone. [1,40,2] Nos ordres ne doivent souffrir aucun retard, car ce qu’on sait être des dispositions salutaires, ne doit encourir aucun obstacle à cause d’un retard déplorable. Et c’est pourquoi avant de distribuer des armes, ce que peuvent exiger les circonstances et la nécessité, il faut le plus possible se préparer suivant les ordres. En effet, l'art de combattre, s’il n'est pas exercé, ne pourra être présent en cas de besoin. C’est pourquoi vous aurez à envoyer aux jeunes hommes de Salone les armes et tout ce dont ils auront besoin pour se former à leur métier, afin que la république les trouve prêts le jour venu. C’est par les exercices en temps de paix qu’on se forme à la guerre. Tous ne trouvent pas immédiatement le courage de prendre les armes, excepté ceux rendus confiants par un précédent entraînement. Ainsi nous l’enseignent les jeunes taureaux qui préludent en se jouant aux combats sérieux; les chiens s'amusent lors de nouvelles chasses. Et jusqu’aux feux que nous essayons de démarrer avec des brindilles tendres; en outre, on emploie une bûche pour obtenir la première étincelle, en soufflant pour entretenir la flamme. Alors l’esprit humain, s’il n’a pas été éduqué en douceur, peut se révéler inadapté à ce vers quoi on le dirige. Les débuts sont toujours timides et ce n’est que par l’usage des armes qu’on prend la confiance de s’en servir. [1,41,0] LETTRE XLI. A AGAPITUS, L’ILLUSTRE PRÉFET DE LA VILLE, LE ROI THÉODORIC. [1,41,1] Demandes de renseignements sur la personne du jeune Faustus. [1,41,2] Le respect de votre ordre nous fait prendre des mesures minutieuses, et l’honneur sénatorial nous oblige à réfléchir soigneusement à l’admission dans la révérende assemblée, car non seulement nous voulons que son nombre de citoyens augmente, mais qu’elle soit ornée d’une plus grande lumière de mérites. A moins peut-être qu’un autre ordre reçoive des médiocres, le sénat repousse sans concession ceux qui ne sont pas estimés. D’ailleurs où trouver un meilleur collègue pour la noblesse que dans la veine des nobles, qui se promet d’abhorrer les mœurs perverses que la vilénie cache dans son sang ? Voilà pourquoi Ton Illustre Magnificence décide d’attribuer à Faustus, fils maintenant grand de l’Illustre Faustus, ce que l’ordre ancien a désigné de faire pour tous ceux qui doivent entrer à la Curie. En effet, en recommandant cela, nous n’ôtons rien de son autorité habituelle de jugement à l’ordre sacré, quand la gloire d’une sentence prononcée est plus grande pour les nobles, après le jugement royal. C’est en effet un honneur pour eux-mêmes, si nous ordonnons de faire ce qu’eux seuls peuvent élire ; et si nous les pressons vivement de ce qu’on leur demande tous les jours. [1,42,0] A ARTEMIDORE, L'ILLUSTRE PRÉFET DE LA VILLE, LE ROI THÉODORIC. [1,42,1] Il lui est conféré la préfecture de la ville et il est honoré de très grand éloges. [1,42,2] (sans traduction française). [1,43,0] LETTRE XLIII. LE ROI THÉODORIC AU SÉNAT DE LA VILLE DE ROME. [1,43,1] Artémidore, Préfet de la Ville. [1,43,2] 1. Vous savez, sénateurs, que votre génie est le plus haut degré des dignités: vous savez que le fait que Nous nous distinguions dans l’honneur des faisceaux vous est utile. En effet, quelle que soit la charge assumée par chacun, c’est le Sénat qui en tire bénéfice. Ce que Nous pensons en effet de vous, vous le savez, puisque la récompense que Nous accordons à des hommes que leur long labeur a fait connaître est de mériter de faire partie de votre corps. 2. En effet, voici un homme qui, ayant abandonné la douceur du sol natal, a préféré s’attacher à Nous, et bien qu’il se soit distingué dans sa patrie, il a cependant choisi de partager notre destin, dépassant la force de la Nature par la grandeur de son amitié, alors qu’il trouvait sa joie non seulement de la bienveillance du prince Zénon, mais aussi de sa parenté par alliance avec lui. Et quel honneur n’aurait-il pu obtenir de la faveur d’un parent dont bénéficient aussi facilement des étrangers ? Mais son affection immense méprise tout cela, si bien que Nous-mêmes, pour lesquels on sait qu’il a agi ainsi, c’est à bon droit que l’on nous voit ébahis que dans l’amitié d’un seul tant d’avantages désirables aient été méprisés. 3. Il a en outre ajouté à cette extraordinaire fidélité le réconfort que nous apportent les entretiens que nous avons ensemble, au point d’aplanir souvent par la suavité de ses paroles les rudes soucis de l’État que Nous supportons selon les nécessités des affaires qui surviennent. Séduisant par sa conversation, patron loyal envers ceux qui le supplient, ne sachant pas accuser, osant recommander, il s’est fait connaître par une grande pureté d’esprit, de telle sorte que, comme il méritait des dignités auliques à nos côtés, il a revendiqué pour lui l’organisation des spectacles comme une charge le remplissant de joie, de sorte qu’on le vit désirer servir librement sous l’apparence du plaisir, certes en modérant sa peine mais sans jamais se séparer de Nous. 4. Bien plus, convive joyeux, il a orné aussi la table royale, s’appliquant à se joindre à Nous, là où Nous sommes assurés de trouver de la joie. Mais qu’y a-t-il d’autre à dire au sujet des mœurs, de cet homme auquel suffit, pour recevoir notre total assentiment, le fait qu’il a mérité conserver notre amour pour toujours ? Il n’existe pas de meilleur mérite que d’avoir gagné l’amitié de ceux qui règnent : en effet, à ceux-ci la loi divine permet de chercher les meilleurs de tous, et ils semblent toujours avoir choisi ceux qui le méritent. 5. Et pour cette raison, en évaluant la récompense à ses travaux, Nous avons concédé les faisceaux de la préfecture de la Ville à Artémidore, de rang illustre. Donc, sénateurs, favorisez par vos paroles, favorisez par vos collèges, cet homme qui brille par d’aussi grands et nombreux mérites. Votre bienveillance aura aussi ce mérite quand consacrant votre charité à ceux qui en sont dignes, vous inciterez tous les autres à suivre leur exemple. [1,44,0] LETTRE XLIV. AU PEUPLE DE LA VILLE DE ROME, LE ROI THÉODORIC. [1,44,1] A propos de la nomination d’Artémidore aux fonctions de préfet de la ville de Rome. [1,44,2] Nous avons pour vous la plus grande affection et vous en avez pour garant le soin que nous prenons de vous. On montre sa sollicitude envers ceux qu’on aime en ne leur épargnant pas les avertissements. La prudence produit l’affection et voilà pourquoi ceux qu’on aime le mieux sont aussi ceux qu’on suit de plus près ; c’est pourquoi nous avons nommé préfet de la ville l’illustre Artémidore qui a appris dès longtemps à nous obéir. Par ce moyen dans les séditions qui viennent trop souvent troubler le repos de la ville les innocents auront un protecteur aux mains pures et les coupables un juge équitable. Voilà pourquoi nous l’avons choisi nous qui sommes l’ami des gens de bien. Et quelque pouvoir qui s’attache à la préfecture de la ville nous l’avons spécialement augmenté. Au nom de notre autorité le préfet osera frapper les séditieux. Que les esprits se calment. Ces biens de la paix qui avec l’aide de Dieu et par nos soins vous sont acquis pourquoi les gâter par des séditions criminelles. Les mœurs ne sont jamais plus gravement atteintes que lorsque la gravité romaine prête place au reproche. Que cette illustre cité retrouve son antique modestie. Il est honteux de dégénerer de ses ancêtres surtout pour vous qui avez, vous le savez bien, un prince qui récompense les citoyens tranquilles et punit les turbulents. [1,45,0] LETTRE XLV. A L’ILLUSTRE PATRICE BOÈCE, LE ROI THÉODORIC. [1,45,1] La clepsydre et le cadran solaire destinés au roi des Burgondes. [1,45,2] Il ne faut pas rejeter les demandes honnêtes que nous font les Rois nos voisins, puisque les plus petits présents, qui sont fait, de bonne grâce, sont plus estimés que les grandes libéralités. On gagne souvent plus par ces adresses, que par la force des armes, et c'est par des curiosités et par des bagatelles données à propos que l'on s'insinue dans les esprits pour traiter après sérieusement les plus importantes affaires. Le Roi des Bourguignons nous a fait demander, avec de grands instances, que nous lui envoyassions des horloges et des Cadrans, avec des maîtres habiles, qui en puissent faire chez eux et leur en apprendre l'usage, afin que ce qui nous est ordinaire et familier, soit admiré parmi ces peuples comme une merveille capable de les surprendre, parce qu'ils n'ont encore rien vu de pareil, enfin, il désire de voir, ce qu'il a appris par ses ambassadeurs, être parmi nous une espèce de prodige. Je sais que vous avez une parfaite connaissance de toutes choses, dont vous avez appris la science des Athéniens, et vous avez tellement joint l'étude de la philosophie à celle de la jurisprudence, qu'il n'y a rien dans les livres des grecs que vous n'ayez rendu commun aux Romains. Il n'y a rien dans la théorie et dans la pratique des plus sublimes disciplines que vous ignoriez, et vous avez enrichi Rome et le sénat, de toutes les dépouilles de l'ancienne Grèce. Vos savantes traductions font parler Pythagore; et les Dames Romaines peuvent maintenant apprendre sa musique. Les Italiens lisent par votre moyen, les ouvrages astronomiques de Ptolémée, l’arithmétique de Nicomaque, la géométrie d'Euclide, la théologie de Platon, et la logique d'Aristote, aussi bien que les mécaniques d'Archimède. Enfin qu'y a-t-il à présent dans les arts et dans les sciences que Rome et l'Italie puissent envier à la Grèce, après vos savantes traductions, si justes, si exactes, et si élégantes, que ces auteurs s'ils les voyaient, seraient en peine de déterminer a quoi l'on devrait s'en tenir, ou à leurs originaux, ou à vos traductions, s'ils entendaient. Il n'est aucune des quatre parties de la mathématique, que vous n'ayez pénétré, vous êtes entré dans tous les secrets de la nature. Vous démontrez facilement les principes et les usages des choses les plus surprenantes, et qui passent pour des miracles dans l'opinion des hommes. Les yeux ont peine à croire ce qu'ils voient dans les changements qui se font en la nature. On élève les eaux, et après avoir fait des fontaines jaillissantes, on les fait précipiter par cascades. On fait courir le feu ; et on lui fait enlever des masses pesantes, qu’il fait voler en l'air, on fait parler les instruments, et l'on fait chanter des roseaux, suivant les règles de l'harmonie. Que ne voyons nous pas encore par le moyen des mathématiques? On fortifie les villes, on les met en état de défense, et souvent celles qui n'étaient pas en état de résister par la force deviennent imprenables par l'adresse des machines. On sèche les nouveaux bâtiments avec de l'eau de la mer, on amollit les corps les plus durs : on fend les métaux, on les fait tonner et foudroyer, les oiseaux de Diomède sonnent la trompette en cuivre et en airain, les serpents sifflent, les oiseaux gazouillent avec ces âmes de métail, et ceux mêmes à qui la nature a refusé l'usage de la voix, le reçoivent par le moyen de l'art. Mais pourquoi nous arrêter sur de si petites choses, quand nous parlons d'un art, qui a trouvé le moyen de représenter le ciel, et d'en exprimer tous les mouvements? Ne voyons-nous pas un second soleil, avoir son cours réglé dans la sphère d'Archimède, et l'adresse des hommes n'a-t-elle pas su faire un autre zodiaque semblable à celui du ciel ? N'a-t-on pas représenté toutes les phases de la lune, ses accroissements, et ses décours ? Enfin n'a-t-on pas trouvé l'artifice de faire un ciel portatif, en une petite machine qui renferme tout un monde, qui le fait voir en abrégé, et qui est un fidèle miroir de toute la nature, dont elle exprime tous les mouvements, par une mobilité aussi aisée que celle de l'air, et plus incompréhensible par les merveilleux artifices qui conduisent ces mouvements. Le mouvement des astres y trompe tellement nos yeux, que quoique nous les voyons avancer, nous n'en saurions apercevoir la marche ; leur passage d'un degré à un autre, est un espèce de repos, et vous ne sauriez distinguer le mouvement de ces corps que vous savez d'ailleurs se mouvoir avec beaucoup de rapidité. Jusqu'où va l'adresse de l'homme, de pouvoir rendre sensible, ce qui est même difficile à concevoir ? C'est pourquoi, puisque vous avez de si rares talents, envoyez-nous au plutôt des horloges, faites à nos frais, et des deniers publics, sans qu'il vous en coûte rien que le soin et la peine de les commander, et de les faire promptement exécuter, envoyez m'en de deux espèces. Premièrement, un cadran au soleil, dont le style marque les heures par le moyen de l'ombre, et par une verge immobile égale le cours du soleil, et le suit fidèlement en toutes ses démarches sans se mouvoir. Si les astres avaient du sentiment, ils envieraient sans doute cet artifice qui pourrait les faire agir sans jamais quitter leur repos, ou peut-être ils affecteraient de changer l'ordre de leur marche, pour ne pas être exposées à se voir ainsi jouées par les artifices des hommes, car où sont à présent ces miracles de la nature, qui par la distribution de la lumière nous marquent la différence des heures, si l'ombre a le même avantage? Que trouvera-t-on de si surprenant dans les circulations journalières et constantes des sphères célestes, si les métaux peuvent les exprimer sans jamais changer de place. O vertu incomparable de l’art de pouvoir en se jouant découvrir les secrets de la nature qui paraissent les plus cachés. [1,46,0] LETTRE XLVI. A GONDEBAUD, ROI DES BURGONDES, LE ROI THÉODORIC. [1,46,1] Théodoric envoie deux horloges, une solaire et une à eau, fabriquées par Boèce, avec leurs dispositifs. [1,46,2] Nous devons accueillir avec plaisir ces présents qui sont évidemment très convoités, car les choses qui peuvent satisfaire notre désir ne sont pas à mépriser. En effet, le seul but de certains objets précieux est de remplir un manque. C’est pourquoi je vous salue de mon amitié habituelle et j’ai décidé, pour réjouir votre intelligence, de vous envoyer tel et tel, porteurs de cette missive, avec des horloges et leurs mécanismes. L’une d’elle semble incarner l’ingéniosité humaine, parce que, comme on le sait, elle couvre l’espace de tout le ciel ; l’autre n’a pas besoin du soleil, les heures sont marquées bien distinctement par le moyen de l’eau qui s’écoule goutte à goutte. Que votre patrie possède ce que vous avez admiré dans une cité romaine. Il convient que nous vous fassions part de ce que nous possédons nous-mêmes, puisque nous sommes unis par les liens de la parenté. Que la Bourgogne se familiarise sous votre règne avec ces inventions merveilleuses, et qu'elle apprenne à rendre grâce à l'antiquité. Ce pays dépouillé par vos soins de ses coutumes d'autrefois, et voyant la prudence de son roi, désire naturellement posséder les ouvrages des sages. Cet instrument distingue les moments du jour, il marque exactement les heures, sans quoi tout se confond dans la vie humaine; les bêtes ne connaissent l'heure qu'à leur ventre qui crie la faim, et il est évident que ne pas avoir de certitude s’est incorporé aux besoins de l’homme.