[11] Chacune des enceintes de la Cité a ses cuisines, ses greniers, ses magasins d'ustensiles, ses celliers et ses provisions de bouche. Un vieillard et une femme âgée, tous deux très expérimentés, président à chaque fonction. Ils ont le pouvoir de châtier et de faire châtier ceux de leurs subordonnés qui s'acquittent mal de leur tâche. Ils distinguent et notent avec soin les jeunes gens des deux sexes qui excellent dans chaque partie du service. Le soir, lorsque l'heure du repos est venue, ce maître et cette maîtresse les envoient dans leurs cellules, où ils couchent seuls ou deux ensemble ; le matin encore ils veillent à ce qu'ils se rendent à leurs fonctions, selon la distribution qui en a été faite. Les personnes âgées de plus de quarante ans sont servies par les jeunes gens. Quant à ceux-ci, ils se servent mutuellement, et malheur à ceux qui refusent de le faire ! Il y a les premières et les secondes tables; de chaque côté des tables, est une rangée de siéges, l'une pour les hommes et l'autre pour les femmes. Comme dans les réfectoires des couvents, on observe pendant le repas le plus profond silence, et, du haut d'une chaire, un jeune homme fait à haute et distincte voix une lecture qu'interrompt quelquefois un des dignitaires, pour placer quelque observation sur un passage remarquable. C'est un plaisir de voir cette brillante jeunesse en habits dégagés, faire le service des tables avec une dextérité surprenante, et de contempler la cordialité, la politesse et la modestie qui règnent dans cette réunion d'amis, de frères, de fils, de pères et de mères. Chacun a sa serviette, son couvert et sa portion de nourriture. Ce sont les médecins qui règlent chaque jour de quel mets doit se composer le dîner pour les différents âges et pour les malades. Les magistrats reçoivent une portion plus copieuse et plus délicate ; ils ont l'habitude d'en envoyer une partie aux enfants qui, ce jour-là, se sont le plus distingués par leur ardeur pour l'étude et leur supériorité dans les divers exercices. Cette préférence est considérée comme un grand honneur. Les jours de fête, la musique égaie les repas, et une ou deux voix chantent en s'accompagnant de la lyre. Comme tous rivalisent de zèle dans le service, il est toujours fait d'une manière admirable. Des vieillards experts président à la préparation des aliments. La propreté la plus exquise est observée dans les vêtements, les tapis, les ustensiles, les appartements, les ateliers et les galeries. [12] Les Solariens portent sur la peau une chemise blanche, et immédiatement par dessus un vêtement sans plis qui couvre à la fois la poitrine et les jambes ; ce vêtement est fendu sur les côtés depuis la hanche jusqu'aux pieds ; en devant, une autre fente part de l'ombilic et se porte en arrière jusqu'au bas des reins. Chaque fente est fermée par une rangée de boutons. Leurs pieds sont recouvetrs de chaussons qui ressemblent à des demi-cothurnes, et sont serrés par des lacets. Par dessus cela, ils mettent des souliers. Le tout, comme nous l'avons déjà dit, est caché sous une tunique. Mais ce costume prend si bien le corps que, lorsqu'on enlève la tunique, il en accuse toutes les parties et les dessine dans toute leur vérité. Ils changent d'habillement quatre fois par an, c'est-à-dire lorsque le soleil entre dans les signes du bélier, du cancer, de la balance et du capricorne. C'est le médecin qui décide de l'opportunité de ces changements, et la distribution des habillements est opérée dans chaque enceinte par le chef du vestiaire. Ce qui n'est pas indigne d'attention, c'est que quelle que soit la quantité de vêtements, soit chauds, soit légers, dont on puisse avoir besoin pour les diverses saisons, tout se trouve prêt à la fois. La couleur blanche est la seule usitée. Chaque mois on lessive ou bien on savonne tous les objets d'habillement. Les étages inférieurs sont en entier occupés par les ateliers, les cuisines, les celliers, lès greniers, les offices, les magasins, les réfectoires, les lavoirs. Les lavoirs sont situés près des piliers des péristyles, et l'eau est rejetée dans les cloaques au moyen de canaux. Dans toutes les places, entre chaque enceinte, on a construit des fontaines alimentées par des eaux vives qu'un mécanisme ingénieux élève du pied de la montagne jusqu'à son sommet. Indépendamment de ces eaux de source, il y a encore des citernes où l'eau de pluie est conduite du haut des toits par des canaux remplis de sable. C'est là que l'on se baigne aussi souvent qne le médecin ou le magistrat le juge convenable. C'est sous les péristyles que s'exercent tous les arts mécaniques; mais on se livre aux études spéculatives dans les étages supérieurs, c'est-à-dire sur les terrasses et dans les galeries où se trouvent les peintures qui ont rapport aux sciences. C'est dans le temple seulement que l'on enseigne les choses sacrées. Sur les tours de chaque enceinte, on a placé des gnomons, des horloges et des girouettes, pour indiquer et les heures et la direction desvents. Il y a aussi des horloges dans les grandes salles. [13] L'Hospitalier. — Parlez-moi de la génération. Le Génois. — L'age exigé pour l'union des sexes, dans le but de la propagation de l'espèce, est de dix-neuf ans pour la femme, et de vingt-un ans pour l'homme. Cette époque est encore reculée pour les tempéraments lymphatiques : en revanche, il est parfois permis à certains individus d'avoir, avant l'âge fixé, commerce avec les femmes, mais seulement avec celles qui sont enceintes ou reconnues stériles, et dans le but d'éviter qu'ils ne se livrent à un commerce contre nature. Des vieillards et des matrones, pourvoient à la satisfaction des besoins de ceux qui sont les plus ardents et les plus portés aux plaisirs de l'amour. Ils reçoivent la confidence secrète de ces jeunes gens, et déjà ils ont pu reconnaître dans les jeux publics la fougue de leur tempérament. Cependant on prend là-dessus l'avis du magistrat préposé immédiatement aux soins de la génération, c'est-à-dire du protomédecin qui n'est subordonné qu'au triumvir AMOUR. Les individus surpris se livrant à la sodomie sont réprimés et condamnés à porter pendant deux jours leurs souliers attachés au col, e qui signifie qu'ils ont renversé l'ordre naturel des choses et mis, comme on dit, les pieds à la tête, En cas de récidive, le châtiment devient plus rigoureux, jusqu'à ce qu'enfin en applique la peine capitale. Ceux au contraire qui ont pu s'absteuir du commerce des femmes jusqu'à l'âge de vingt-un ans ou mieux de vingt-sept ans, sont fêtés publiquement et l'on chante des vers en leur honneur dans les grandes assemblées, La jeunesse des deux sexes se livre aux exercices gymnastiques dans un état complet de nudité, à la manière des Lacédémoniens. Là les magistrats peuvent reconnaître la vigueur respective de chaque individu et les convenances dans la proportion des organes relativement à l'union des sexes. Ce n'est que toutes les trois nuits, et après avoir pris un bain, que l'on peut se livrer aux plaisirs de l'amour. Il est une règle dont on ne se départ jamais, c'est d'unir les femmes remarquables par leur nature ou leur beauté, avec des hommes grands et vigoureux ; les individus qui ont de l'embonpoint avec ceux qui en sont privés, afin que ce croisement perfectionne la race. Le soir, les enfans viennent dresser les lits, puis, sur l'ordre de leur chefs, ils se retirent pour aller eux-mêmes se coucher. Les individus appelés à remplir les fonctions génératrices ne peuvent s'y livrer qu'après que la digestion est faite et qu'ils ont offert leurs prières à Dieu. On a soin de placer dans les chambres à coucher de belles statues représentant les hommes les plus célèbres, pour les livrer à la contemplation dès femmes, qui bientôt portant leurs regards vers le ciel, demandent à Dieu de leur accorder des enfants semblables à ces nobles modèles. Le géniteur et la génitrice, dorment dans des cellules séparées jusqu'à l'heure fixée pour le rapprochement, et à l'instant précis une matroné vient ouvrir les deux portes. L'heurè favorable est déterminée par l'astrologue et le médecin (passage omis). On exige que le géniteur, avant de se livrer à une nouvelle union sexuelle s'en soit abstenu depuis trois jours, qu'il soit pur de toute mauvaise action ou se soit reconcilié avec Dieu. Quant à ceux qui, pour raison de santé ou pour satisfaire un tempérament trop fougueux, ont commerce avec les femmes enceintes, ou stériles, ou viles ; ils ne sont pas astreints à ces formalités. Les magistrats qui, du reste, sont tous prêtres, et les hommes qui s'adonnent exclusivement à l'étude des sciences, ne peuvent se livrer à l'acte de la génération qu'après s'être soumis à une plus longue abstinence et à quelques autres règles qui leur sont particulières. En effet, la continuité des travaux intellectuels et la tension incessante de leur cerveau affectent chez eux le système nerveux, affaiblissent les esprits vitaux, et ne laissent plus en eux aucune virtualité qu'ils puissent transmettre. Ils ne procréeraient donc que des enfants sans vigueur, et l'on fait bien de se prémunir contre cet inconvénient. Aussi, ne les unit-on qu'avec des femmes ardentes, vives et enjouées et d'une grande beauté. Quant aux hommes qui se distinguent par leur activité, leur énergie et un tempérament de feu, on les unit à des femmes de grasse complexion et de moeurs douces. Les Solariens disent que toutes les vertus procèdent d'une bonne organisation et que l'éducation ne peut y suppléer. Ils tiennent que la crainte de la loi ou de Dieu, opposée comme un frein aux natures perverses, pouvant venir à cesser, ces natures, par leur action ou publique ou cachée, corrompent la République. C'est pourquoi, dans les unions qui ont pour but la reproduction de l'espèce, ils pensent qu'il ne faut tenir compte que des qualités naturelles, sans s'inquiéter des dots des femmes et de la noblesse très douteuse de la naissance. Si à la suite d'un premier commerce, une femme n'a pas conçu, elle passe successivement dans les bras d'autres géniteurs, puis elle devient commune, lorsqu'enfin il est constaté qu'elle est stérile ; mais alors elle est privée des honneurs qu'on accorde aux mères de famille dans le Conseil de la génération, dans le temple et à là table commune ; et cela, pour éviter que l'amour des plaisirs ne porte quelques femmes à se rendre volontairement stériles. [14] Les femmes qui ont conçu restent quinze jours dans un repos complet, puis elles se livrent graduellement à des exercices modérés, afin de fortifier leur fruit et d'ouvrir les vaisseaux qui portent la nourriture au foètus. Le régime alimentaire le plus convenable à leur état est prescrit par les médecins. Après leur accouchement elles allaitent et soignent elles-mêmes leurs enfants dans des salles communes destinées à cet usage. L'allaitement dure deux ans ou plus, selon que le médecin le juge convenable. Les enfants une fois sevrés sont confiés, selon leur sexe, aux mains des maîtres ou des maîtresses. A cette époque, réunis aux autres enfants, ils s'exercent à la course, au saut, à la lutte; ils étudient en se jouant la lecture, les langues, et apprennent à connaître ce que représentent Ies peintures historiques et les images qui couvrent les murailles. A la fin de leur sixième année, ils commencent à s'occuper des sciences naturelles, puis passent aux autres sciences et auxa arts mécaniques, selon les aptitudes que les Magistrats leur ont reconnues. Les enfants dont l'esprit est peu délié, sont envoyés à la campagne, dans des villas, et si parmi eux, il en est dont l'intelligence vienne à se développer, ils reviennent à la Cité. Comme presque toujours les individus conçus sous l'influence de la même constellation se ressemblent par les qualités intellectuelles, morales et physiques, ils sont tous unis par une franche amitié, et par un échange mutuel de bons offices, d'où résulte pour le bien de la Républiqüé une concorde inaltérable. Les noms que reçoivent les individus ne sont pas imposés au hasard, mais le MÉTAPHYSICIEN donne à chacun un nom tiré de ses qualités physiques, comme c'était l'usage chez les anciens Romains. En outre, si quelqu'un se distingue par ses vertus, ses actions, son habileté dans les arts ou les sciences, ses exploits guerriers (comme la conquête d'un pays, ou une victoire remportée sur un adversaire redoutable), on lui donne un surnom qui rappelle son titre de gloire. Ce sont les grands dignitaires qui décernent ces surnoms honorifiques, en y joignant ordinairement le don d'une couronne, qui varie selon la nature du titre à la récompense : ces proclamations sont accompagnées de fanfares. L'or et l'argent n'entrent pour rien dans ces distinctions, car ils ne font cas de ces métaux que pour fabriquer les ustensiles ou les ornements communs à tous. L'Hospitalier. — Mais ceux qui n'ont pas été élus aux places qu'ils ambitionnaient, ne sont-ils pas jaloux et mécontents? Le Génois. — Pas le moins du monde ; car on pourvoit non seulement aux besoins, mais encore aux plaisirs de chacun. Quant à ce qui concerne la génération, tout est scrupuleusement réglé dans la seule vue de l'intérêt public et non de l'intérêt privé ; et en cela, il faut se soumettre aux décisions des magistrats. [15] Chez nous, on regarde comme une loi naturelle que chaque homme ait sa demeure à part, s'arroge la possession exclusive d'une femme, connaisse ses enfants et les élève lui-même; les Solariens, au contraire, pensent, comme le dit saint Thomas, que la génération a pour but la conservation de l'espèce, et non la conservation de l'individu. Selon eux, la reproduction de l'espèce intéresse la République et non les particuliers, à qui elle n'importe qu'en leur qualité de membre de celle-ci. Et comme l'effet ordinaire d'une éducation et d'une génération vicieuses est d'abatardir la race au détriment de la communauté, ils commettent religieusement aux magistrats le soin de cette race qui est le premier élément de la République. Il leur suffit d'être assurés que les enfants appartiennent à la communauté, sans s'inquiéter de la certitude de la paternité par rapport à l'individu. On assortit donc les unions des géniteurs et des génitrices les plus distingués d'après les principes de la philosophie. Platon pense que le sort doit décider de la formation des couples, afin d'empêcher que ceux qui se verraient exclus de la possession des femmes les plus belles, ne se révoltent contre les magistrats. Aussi, est-il d'avis que dans le tirage au sort, les magistrats doivent user de ruse pour tromper ceux qui ne sont pas dignes d'avoir commerce avec les femmes les plus désirées, et pour qu'a ceux-là il ne puisse échoir que celles dont le magistrat juge convenable de leur accorder la possession. Mais, dans la Cité du Soleil, on n'a pas besoin de recourir à cette fraude afin que les gens disgraciés de la nature ne puissent s'unir qu'entr'eux ; car on n'en trouve pas chez les Solariens. En effet, `par l'habitude d'une vie active les femmes acquièrent un teint coloré, des membres vigoureux et agiles, une taille élevée : là, c'est la réunion de ces qualités qui constitue la beauté. On punirait de la peine capitale la femme qui se farderait pour embellir son visage, qui se servirait de chaussures élevées pour paraître plus grande, ou porterait des robes traînantes pour cacher des pieds disgracieux. Bien plus, lors même qu'elles le désireraient, elles ne pourraient recourir à de pareils déguisements : qui donc leur en fournirait les moyens ? Selon les Solariens, l'oisiveté et la paresse dans laquelle croupissent nos femmes ont engendré ces abus; c'est la paresse qui décolore leur teint, pâlit leur visage, flétrit leurs chairs, et rabougrit leur taille. Elles sont donc obligées de recourir au fard, aux chaussures élevées, et de tirer leur beauté non de la vigueur du corps, mais de la molle délicatesse des formes ; et c'est ainsi qu'elles ruinent leur constitution et celle des enfants qu'elles mettent au jour. Quelqu'un devient-il éperdument épris d'une femme et cette femme se sent-elle le même penchant pour lui? il leur est permis de s'entretenir, de jouer ensemble, et de se témoigner leur passion en s'adressant des vers, et en s'offrant des guirlandes de fleurs ou de feuillages. Mais si ce couple ne réunit pas les conditions exigées pour les unions sexuelles, tout commerce charnel lui est absolument interdit, à moins que la femme n'ait été déclarée stérile, ou ne soit déjà enceinte d'un autre, ce que l'amant attend lui-même avec impatience. Au reste, l'affection qui unit les deux amants naît rarement d'une concupiscence charnelle, mais d'un sentiment plus noble et plus élevé. [16] Les exigences de la vie matérielle sont ce qui préoccupe le moins les Solariens, parce que chacun reçoit en proportion de ses besoins. Par une exception purement honorifique, on est dans l'usage d'offrir aux héros et héroïnes, dans les solennités publiques, des présents qui consistent en guirlandes magnifiques, ou en vétemens plus somptueux, et dans les festins, on leur sert des mets plus recherchés. Quoique les Solariens ne soient vêtus que de blanc durant le jour et dans l'enceinte de la Cité, ils portent des vétements rouges pendant la nuit et hors de la ville. Les étoffes dont ils s'habillent sont de laine ou de soie. Ils abhorrent le noir, comme étant le rebut de la nature, et détestent les Japonais, grands amis de cette couleur. L'orgueil est à leurs yeux le vice le plus exécrable, et tout acte d'orgueil est réprimé par l'humiliation la plus dure; aussi personne ne regarde comme abject le service des tables, des cuisines et des infirmeries. Tout service est une fonction publique. A leur avis, il n'y a pas plus de honte à marcher avec les pieds "et culo cacare", qu'à voir avec les yeux et parler avec la bouche ; car la fin de tous ces organes est également de sécréter, celui-ci la salive, celui-là les larmes, et cet autre les matières fécales, selon les besoins du corps. C'est pourquoi, quelle que soit la fonction dont un Solarien est chargé, il la tient pour fort honorable. Ils n'ont pas de serviteurs à gages qui corrompent les moeurs : car, en toute chose, ils se suffisent à eux-mêmes et au-delà. Mais hélas ! il n'en est pas de même chez nous : sur soixante-dix mille habitants que renferme Naples, il en est à peine dix ou quinze mille qui travaillent ; ces travailleurs, en conséquence, sont condamnés à des fatigues excessives et continues qui les épuisent et abrègent leur vie. Quant aux oisifs eux-mêmes, ils sont rongés par la paresse, l'avarice, la cupidité, la luxure, les maladies ; ils pervertissent et corrompent la classe nombreuse de ceux que la misère contraint à être leurs serviteurs et leurs flatteurs, et tous ces infortunés se trouvent bientôt atteints par la contagion des vices de leurs maîtres. Voilà comment les fonctions vraiment utiles à l'état sont en souffrance, et comment tous les travaux de l'agriculture, de l'industrie, de la guerre, sont ainsi abandonnés à un petit nombre d'hommes, qui s'en acquittent sans zèle et avec dégoût. Mais dans la Cité du Soleil, tous ayant une tâche quelconque à remplir, quatre heures de travail au plus suffisent à chacun : le reste du temps se passe .à étudier, à lire, à écrire, à conter des histoires, à discuter amicalement, à se promener, en un mot, à exercer tour à tour le corps et l'intelligence sans éprouver un moment d'ennui. Tous les jeux sédentaires ou de hasard sont prohibés; lies jeux ordinaires sont la paume, le palet, le sabot, la lutte, l'arc, le javelot et l'arquebuse. La pauvreté est, selon eux, la mère de la fourberie, de la ruse, du mensonge, de la bassesse, du vol, du faux témoignage, de l'indifférence pour la patrie ; la richesse, de son côté, rend les hommes insolents, orgueilleux, vantards, perfides, injurieux, ignorants et présomptueux sur ce qu'ils ignorent, incapables d'affection. Dans la communauté, tout individu est a-la-fois riche et pauvre ; riche, puisqu'il possède tout ; pauvre, puisqu'il n'a rien en propre. Dans la communauté, chaque homme jouit de tout, comme le ferait un propriétaire, sans être esclave de la propriété. C'est sous ce rapport que les Solariens louent la vie des religieux chrétiens et surtout celle des apôtres. [17] L'Hospitalier. — L'organisation de cette société est sans doute admirable de sagesse ; mais la communauté des femmes est un point qui me parait bien scabreux. Saint Clément de Rome dit que, selon les institutions des apôtres, les femmes doivent être communes, et il loue Platon et Socrate d'avoir été de cet avis; mais la Glose explique que cette communauté des femmes ne doit pas s'entendre des unions charnelles ; et Tertullien d'accord en cela avec la Glose, écrit que les premiers chrétiens mirent tous leurs biens en commun excepté les femmes, dont les services seuls appartiennent à la communauté. Le Génois. — Quant à moi, je ne suis guère versé dans ces matières ; je puis seulement vous affirmer que chez les Solariens, la communauté des femmes est établie jusqu'au lit, mais pas toujours et surtout à la manière des animaux, qui prennent la première femelle venue, puisque les Solariens doivent se conformer aux règles qui ont été prescrites en vue de la génération. J'estime qu'ils ont tort, mais ils s'appuient sur l'autorité de Socrate, de Caton, de Platon et de saint Clément auxquels ils donnent sans doute, comme vous le faites observer, une fausse interprétation. Ils disent aussi que saint Augustin est grand partisan de la communauté, mais non de celle des femmes sous le rapport charnel, parce que c'est l'hérésie des Nicolaïtes. Selon les Solariens, l'Église a permis la propriété privée pour éviter un plus gand mal et non pour introduire un plus grand bien. Il se pourrait qu'un jour les Solariens abolissent la communauté des femmes, car dans les pays qui leur sont soumis, bien qu'ils aient toujours la communauté des biens, ils se sont bornés à n'établir la première que sous le rapport des services et des travaux. Toutefois les Solariens regardent cette restriction comme une concession faite aux préjugés de gens, qui ne sont pas encore assez philosophes: Cette opinion qu'ils ont de l'infériorité des étrangers ne les empêche pas d'envoyer perpétuellement des missions pour étudier les moeurs des autres peuples, et cette connaissance leur sert à se perfectionner eux-mêmes. L'éducation des femmes les rend aussi-propres à la guerre qu'aux autres fonctions. Je suis complétement, sur ce point, de l'avis der Platon, et je ne saurais trop approuver les raisons par lesquelles notre grand philosophe Cajetan appuie cet usage ; mais je repousse complétement les arguments contraires d'Aristote. [18] Ce qu'il y a surtout d'admirable chez les Solariens, ce qu'on devrait partout imiter, c'est qu'il n'est pas un seul individu infirme dont on ne sache tirer parti. J`e n'en excepte que les vieillards décrépits, qui, parfois encore, sont utiles par leurs conseils. Le boiteux peut servir de factionnaire ; l'aveugle est employé à carder la laine et à trier les plumes pour les matelas et les coussins. Celui qui a perdu ses yeux et ses bras, peut consacrer au service de la République son ouïe ou sa voix ; ne restât-il à un individu qu'un seul membre, il peut encore être employé dans la campagne comme surveillant ; enfin, les infirmités de ces malheureux ne les empêchent pas d'être aussi bien traités que les autres citoyens. [19] L'Hospitalier. — Passons maintenant à la guerre; puis, vous me parlerez de la manière dont les Solariens se nourrissent, de leurs arts, de leurs sciences et enfin de leur religion ? Le Génois. — Le triumvir PUISSANCE a sous ses ordres le maître de l'artillerie, de la cavalerie, de l'infanterie, des architectes, des mineurs, et à chacun de ces maîtres sont subordonnés d'autres officiers et un grand nombre de fonctionnaires qui excellent dans chaque spécialité. Le triumvir-a encore sous son autorité les athlètes ou instructeurs chargés d'enseigner à tous les citoyens les exercices militaires. Lorsque l'âge a rendu les instructeurs extrêmement prudents, ils sont chargés de dresser au maniement des armes les enfants qui ont plus de douze ans, et qui, sous la direction de maîtres subalternes, se sont déjà exercés à la lutte, à la course, etc. Mais maintenant il s'agit de leur apprendre à frapper un adversaire, à manier l'épée, la lance, le javelot, la fronde, à monter à cheval, à se porter en avant, à battre en retraite, à manoeuvrer en ordre rangé, à secourir un compagnon d'armes, à surprendre et à vaincre l'ennemi. A l'exemple des Lacédémoniennes et des Amazones, dont les vertus guerrières reçoivent chez eux les plus grands éloges, les femmes participent également à l'éducation militaire, afin qu'elles puissent au besoin voler au secours des hommes dans une bataille qui ne se livrerait pas à une trop grande distance de la Cité, et défendre les remparts de la ville, si l'ennemi venait à faire une invasion subite dans leur pays. Elles savent fondre les balles, sont très habiles à tirer de l'arquebuse, lancent des pierres du haut des créneaux et soutiennent avec fermeté l'assaut de l'ennemi. Elles sont inaccessibles à la crainte, et celle qui montrerait de la faiblesse, serait punie avec la plus grande sévérité. Les Solariens ne redoutent pas la mort,parce qu'ils croient que notre âme est immortelle, et qu'en abandonnant notre corps, elle va, selon ses mérites dans la vie présente, se joindre à des esprits bons ou méchants. Quoiqu'ils aient adopté les dogmes des Brachmanes et des Pythagoriciens, ils pensent que le lieu de la transmigration des âmes est déterminé par un jugement de Dieu. Ils regardent les ennemis de leur République et de leur religion comme indignes de pitié. Tous les deux mois, on passe l'armée en revue, et tous les jours les citoyens s'exercent au maniement des armes ou à l'art de l'équitation, soit dans la campagne, soit dans l'enceinte de la ville. On étudie aussi la théorie de l'art militaire; on fait la lecture des guerres de Moise, Josué, David, des Machabées, de César, d'Alexandre, de Scipion, d'Annibal, etc. ; chacun des assistants donne ensuite son avis, motivé sur la manière dont les expéditions ont été dirigées et sur les dispositions prises dans les combats. Ensuite le professeur prend la parole et décide de la valeur des observafions faites par les élèves. L'Hospitalier. — Avec quel peuple les Solariens peuvent-ils être en guerre? et s'ils sont aussi heureux que vous le dites, quels peuvent être les prétextes de leurs hostilités? Le Génois. — Lors même qu'ils n'auraient jamais l'occasion de faire la guerre, ils ne s'en livreraient pas moins aux exercices militaires et aux fatigues de la chasse, dans le but de ne pas s'amollir et d'être prêts à tout événement. Au reste, il y a dans leur ile quatre autres royaumes, très jaloux de la félicité des Solariens, parce que leurs habitants désirent vivre sous les lois de cette République et obéir à ses chefs plutôt qu'à leurs propres rois. Ces rois attaquent donc souvent la Cité du Soleil, et les prétextes de ces agressions sont tantôt une prétendue usurpation de frontière, tantôt l'accusation d'impiété, car, à la différence des peuples voisins, les Solariens n'adorent pas d'idoles et rejettent les superstitions des anciens Gentils ou des anciens Brachmanes. Ils ont à la fois pour ennemis et les Indiens, auxquels ils étaient d'abord soumis et aux yeux desquels ils passent pour des rebelles, et les habitants mêmes de l'lle où ils se sont réfugiés, et qui furent d'abord leurs auxiliaires. Mais la victoire est toujours favorable aux Solariens. Sitôt qu'ils ont reçu une injure de quelque sorte qu'elle soit, sitôt que leurs amis sont inquiétés, ou que des villes opprimées par la tyrannie les invoquent comme des libérateurs, le grand-conseil s'assemble sur-le-champ, et, après qu'ils ont demandé à Dieu d'éclairer leurs esprits, la question est examinée et la guerre est décidée. Ils envoient immédiatement un prêtre, qu'ils nomment Forensis, pour sommer l'ennemi de rendre le butin, de cesser toute hostilité avec les peuples alliés de la Cité du Soleil, ou d'abolir le gouvernement tyrannique qui pèse sur les villes qu'elle prend sous sa protection. En cas de refus, ils déclarent la guerre, en appelant la vengeance de Dieu sur la tête de ceux qui défendent une cause inique. Si l'ennemi ne répond pas sans délai, le député lui donne une heure pour se décider, s'il a affaire à un roi, et trois heures s'il a affaire avec un gouvernement républicain. La guerre est ainsi déclarée contre les contumaces, selon les règles du droit naturel et religieux. Une fois cette décision prise, PUISSANCE charge de l'exécution son lieutenant. Ce triumvir, comme les dictateurs romains, ne prend conseil que de lui-même, afin d'éviter une lenteur souvent nuisible ; mais dans les affaires d'une importance majeure, il en délibère avec le MÉTAPHYSICIEN, assisté de SAGESSE et AMOUR. Mais au préalable, dans le grand-conseil où entrent tous ceux qui ont plus de vingt ans, un orateur expose la cause de la guerre et démontre la justice de l'expédition projetée. On fait ensuite les préparatifs nécessaires. Nous avons déjà dit que leurs arsenaux sont remplis d'armes de tout genre, que tous les citoyens ont appris à manier dans des combats simulés. Les murailles extérieures de chaque enceinte sont garnies de bombardes, avec des artilleurs habitués à les servir. Ils ont encore une autre espèçe de bombardes montées sur des roues et appelées canons, qu'ils traînent avec eux sur le lieu du combat. Ils chargent sur des mulets, des ânes et des chariots les munitions et les provisions nécessaires à l'armée. Dès qu'ils se trouvent en rase campagne, ils se forment en carré et placent au centre les munitions, les chars, les échelles, les canons et les machines de guerre. Alors s'engage un combat long et acharné. Bientôt, par un mouvement rétrograde, chaque combattant rejoint son drapeau. L'ennemi, trompé par ce mouvement, croit qu'on lui abandonne le champ de bataille et qu'on se prépare à la retraite : il se lance à la poursuite des Solariens ; mais ceux-ci, se repliant sur leurs ailes, reprennent un instant baleine. L'artillerie, démasquée par cette manoeuvre, vomit une grêle de projectiles et porte le désordre dans les rangs de l'ennemi. A cet instant les deux ailes se portent en avant, et achèvent la déroute. Ils ont à leur usage une foule de manoeuvres semblables car, en fait de stratagèmes et de ruses de guerre, les Solariens n'ont pas de rivaux. Ils disposent leur camp à la manière des Romains, et après avoir dressé leurs tentes, ils les entourent d'une palissade et d'un fossé. Tous ces travaux sont faits en un clin-d'oeil, sous la direction de chefs spéciaux; d'ailleurs tous les soldats savent manier la houe et la hache. L'armée est commandée par cinq, huit ou dix généraux experts dans l'art militaire, qui forment entre eux un conseil de guerre, et font ensuite exécuter à leurs légions les différents mouvements dont ils sont convenus. Une troupe d'enfants armés et montés sur des chevaux, accompagne l'expédition. Ils s'instruisent ainsi dans l'art de la guerre, et s'habituent à la vue du sang, comme les petits des loups et des lions ; mais, au moment du péril, ils se retirent à couvert. Au bataillon des enfants, est jointe une nombreuse troupe de femmes armées. Après le combat, les femmes et les enfants félicitent les guerriers tout en pansant, soignant les blessés et les reconfortant par leurs caresses et leurs éloges. On ne saurait croire quels effets admirables produit cet usage ! En effet, les soldats, pour déployer leur courage aux yeux de leurs femmes et de leurs enfants, ne connaissent aucun péril, et l'amour les rend vainqueurs. Celui qui le premier a escaladé les murs d'une ville ennemie reçoit après le combat une couronne de gazon. Cette récompense glorieuse lui est décernée aux applaudissements de tous les citoyens. Une couronue civique de chêne est le partage de celui qui a sauvé son compagnon d'armes. Celui qui a tué un tyran, en consacre dans le temple les dépouilles opimes. Le SOLEIL lui impose un surnom qui rappelle ce haut fait. En un mot, il y a des couronnes différentes pour chaque genre d'exploits. Chaque cavalier est armé d'un glaive et d'un poignard. Aux arçons de la selle sont attachés deux pistolets d'un fort calibre et à balle forcée, ce qui fait qu'aucune cuirasse ne peut leur résister. La grosse cavalerie est armée d'une massue de fer ; si les armures défensives de l'ennemi sont impénétrables à l'arme blanche et aux balles, les cavaliers pesamment armés font alors usage de la massue, pour attaquer et terrasser leur adversaire, comme dans le combat d'Achille et de Cygnus. De la tête de la massue partent deux chaînes de six palmes de longueur auxquelles sont suspendues deux boules de fer ; ces deux boules étant lancées contre un combattant, les chaînes s'enroulent autour de son col, et le cavalier; en retirant brusquement son bras pour produire une violente secousse, renverse son antagoniste et s'en rend maître. Pour se faciliter le maniement de .la massue, ce n'est pas avec la main, mais avec les pieds que les cavaliers gouvernent leurs chevaux : à cet effet, les rênes se croisant sur les arçons de la selle, l'extrémité de chaque courroie descend s'attacher non au pied- du cavalier, mais seulement à l'étrier : ces étriers figurent à l'extérieur une sphère de fer, et un triangle à leur partie inférieure, de sorte que le pied en tournant imprime un mouvement de rotation à la sphère; et par le moyen de celle-ci, les rênes sont tendues ou relâchées avec une célérité merveilleuse. Ainsi le mouvement du pied droit fait tourner le cheval à gauche, et le pied gauche imprime à l'animal une direction contraire. Les Tartares eux-mêmes ne connaissent pas ce procédé ; car quoiqu'ils se servent des pieds pour guider leur cheval, ils ne savent cependant pas resserrer, relâcher, et tourner les rênes à droite ou à gauche, au moyen de la poulie des étriers. La cavalerie légère engage, d'abord le combat avec l'arquebuse ; puis viennent les phalanges avec leurs lances, et les soldats armés de frondes qui manoeuvrent comme la navette sur le métier d'un tisserand ; les uns se portant en avant et les autres se retirant tour à tour. Des bataillons armés de longues piques, à la manière des phalanges macédoniennes, servent de corps de réserve. Enfin, c'est corps à corps et l'épée à la main que se décide la bataille. La guerre terminée, les Solariens célèbrent leurs triomphes à la manière des Romains, mais avec plus de pompe encore. Le général en chef monte au temple : là, on rend grâces à Dieu d'avoir protégé la République, et un poète ou un historien qui, selon l'usage, a suivi l'expédition, fait le récit des belles ou des mauvaises actions qui ont eu lieu pendant la guerre : puis le Soleil ceint lui-même d'une couronne de laurier le front du général victorieux, et décerne des honneurs et des récompenses aux guerriers qui se sont le plus distingués. On accorde quelques jours de repos aux individus qui ont reçu des récompenses; mais comme l'oisiveté leur est à charge, ils s'amusent à aider leurs amis dans leurs travaux. On réprimande sévèrement les généraux qui ont été vaincus par leur faute, ou qui n'ont pas su profiter de la victoire. Le soldat, qui le premier a pris la fuite, ne saurait échapper à la peine capitale, si l'armée entière ne demande sa grâce, et ne s'engage à réparer le tort que peut avoir causé la faute qu'il a commise ; mais une pareille indulgence est rare, encore faut-il qu'un grand nombre de circonstances militent en faveur du coupable. On fait passer par les verges celui qui n'a pas secouru à temps son compagnon d'armes ou son ami. Les actes d'insubordination sont punis par l'exposition aux bêtes : on descend le condamné armé simplement d'un bâton, dans une fosse où se trouvent des lions et des ours; et il rentre en grâce, si, par impossible, il parvient à les vaincre. On établit immédiatement le régime de la communauté des biens dans les villes conquises, ou qui se sont soumises volontairement. Elles acceptent pour les gouverner les chefs que leur envoient les Solariens, et s'habituent peu à peu aux usages et aux moeurs de la métropole. Elles y envoient même leurs enfants pour y être élevés, et la Cité du Soleil se charge seule des frais de leur éducation. Il serait trop long de vous entretenir des factionnaires, des vedettes, des stratagèmes de guerre et des autres détails militaires : vous pouvez facilement les concevoir. Toutes les fonctions sont distribuées aux citoyens dès leur enfance, en ayant égard à leurs propensions naturelles et à l'influence des constellations qui ont présidé à leur naissance. Aussi les travaux de chacun étant conformes à ses goûts et à ses aptitudes naturelles, tous s'en acquittent avec habileté et avec plaisir. Les quatre portes de la Cité sont jour et nuit gardées par des sentinelles. On en pose encore sur les fortifications et les retranchemens de la septième enceinte, sur les tours et, les ouvrages avancés. On prend toutes ces précautions dans la crainte de quelque surprise, et pour que les habitants ne perdent pas l'habitude de la vigilance. Le jour ce sont les femmes, et la nuit ce sont les hommes qui sont en vedette. On les relève, comme nos soldats, toutes les trois heures. C'est au coucher du soleil et au son des tambours et des instruments de musique que les hommes armés viennent occuper les postes. Les Solariens s'adonnent aux plaisirs de la chasse, qui est l'image de la guerre, et dans certains jours de fête, fantassins et cavaliers se livrent des simulacres de combats; une musique guerrière accompagne ces jeux. Ils pardonnent volontiers à leurs ennemis les insultes et les dommages qu'ils en ont reçus, et après la victoire ils comblent de bienfaits les peuples qu'ils ont subjugués. S'il a été décidé qu'on démantelerait les places conquises ou qu'on mettrait à mort les chefs du parti ennemi, l'une ou l'autre exécution a lieu le jour même de la victoire ; cet acte une fois consommé, ils ne cessent de travailler au bonheur des peuples vaincus ; car, selon eux, le but de la guerre n'est pas de les exterminer, mais de les rendre meilleurs. [20] Lorsqu'une querelle vient à éclater entre deux Solariens, soit pour une insulte, soit pour tout autre motif (et il est rare qu'elle ait une autre cause qu'une rivalité d'honneur), le triumvir et les magistrats réprimandent en secret le coupable, si dans un premier mouvement de colère il s'est porté à quelque voie de fait ; mais si la rixe s'est bornée à des paroles injurieuses, les magistrats remettent leur décision au jour du combat, en disant que c'est sur l'ennemi seul qu'un Solarien doit décharger sa colère. En conséquence celui des contendants qui s'est le plus signalé par ses exploits, est réputé avoir eu le bon droit de son côté, et gagne sa cause. Les peines infligées sont proportionnées aux délits ; mais le duel n'est jamais permis ; c'est à celui qui se prétend, le plus courageux, à le prouver en face de l'ennemi. L'Hospitalier. — Cet usage doit en effet empêcher la formation de ces partis et la naissance de ces guerres civiles qui ruinent les États et favorisent si souvent l'élévation des tyrans, comme le prouve l'exemple de Rome et d'Athènes. Parlez-moi des travaux.