[2,0] De Semiramis, reine des Assiriens. [2,1] Semiramis fut reine des Assiriens, très renommée et si fort antique qu'il ne se trouve point de quel lignage elle soit descendue sinon que les poètes, en leurs fables, ont laissé par écrit qu'elle fut fille de Neptune ; lequel ils pensaient, suivant leur fausse créance, être fils de Saturne et Dieu de la mer. Laquelle opinion montre assez bien, nonobstant qu'elle ne se puisse assurer du tout vraie, que pour le moins cette dame était de très noble race. Au vrai dire, elle fut femme de Ninus, puissant roi des Assiriens, duquel n'eut qu'un seul fils qui fut semblablement nommé Ninus, comme son père. Or, son mari ayant subjugué la plupart de l'Asie, vaincu et surmonté les Bactrians et finalement été tué d'un coup de trait, laissant son fils Ninus encore en âge puérile et Sémiramis, sa femme, en grande jeunesse, elle, se voyant veuve d'un tel mari et lui semblant chose périlleuse de laisser le gouvernement d'un si grand royaume et nouvellement conquis entre les mains d'un enfant, proposa en soi-même, par une hautesse de coeur, de vouloir, toute femme et jeune qu'elle était, prendre la seigneurie de tous ces peuples que son mari Ninus, homme fort superbe, avait conquis par de longues guerres et toujours depuis entretenu par la force et de les gouverner par son sens et conduite. Et, de fait, elle, ayant tout d'un train songé une étrange finesse, pour le premier, trompa l'armée de son mari, en telle sorte. [2,2] Incontinent qu'elle sut la mort de celui-ci, s'étant accoutrée en homme, fit entendre à toute l'armée qu'elle était le fils du roi défunt. Ce qu'elle pouvait aisément faire croire à raison qu'elle avait le trait du visage très ressemblant à celui de son fils, qui, par sa tendre jeunesse, ne montrant encore aucune marque de barbe, avait la voix toute féminine et il était presque de la même stature qu'elle ou bien peu mondre. Davantage, quoique toutes ces choses furent entièrement à son attente, pourtant, afin qu'il n'advînt par succession de temps que sa cautelle se put découvrir, se prit à porter en tête un nouvel accoutrement et à se couvrir les bras et les jambes de certains voiles outre le commun; et parce que telle manière de s'habiller n'avait jamais été vue entre les Assyriens, afin que la nouveauté de l'habit ne fit trop émerveiller les gens, fit commander que chacun se vêtit en telle guise. [2,3] Ainsi donc, ayant déjà été femme du roi Ninus et feignant alors d'être son fils, prit par un merveilleux esprit la seigneurie de tout, tant que tenait son empire, de manière qu'on se faisant obéir et honorer comme roi, elle maintint en son armée l'antique discipline militaire, au point que en se montrant être d'un autre sexe qu'elle n'était, fit de très grands faits et vraiment dignes de quelconque autre vaillant homme. Après que, sans s'épargner à travail aucun et sans fléchir de courage, pour adversité qui lui advint, eut, par ses actes vertueux, satisfait à ceux qui lui eussent pu porter quelque ennui, ne douta point de manifester à chacun qu'elle était femme et pour quelle raison elle avait feint d'être mâle, comme si elle eut voulu montrer par telle feinte que l'entendement et le coeur sont propres à dominer et non pas le sexe. Ce qui fit d'autant plus accroître son empire et majesté que plus il semblait émerveillable à chacun. Elle donc, pour parler un peu plus au long de ses faits mémorables, ayant après cette belle finesse, hardiment pris les armes, non seulement défendit vaillamment l'empire qu'avait laissé son mari mais davantage, non contente de ses limites, affaiblit l'Éthiopie et l'ayant finalement subjugée, après une longue et cruelle guerre, l'annexa à son domaine. Depuis, elle mena guerre aux Indiens contre lesquels nul n'avait jamais osé aller excepté Ninus son mari. [2,4] Outre cela, quand elle eut grandement restauré et accru la ville de Babylone, anciennement édifiée par Nembroth dans les champs de Sennaar, la ferma de murs, faits de mottes cuites par un art très merveilleux et ces murs furent de tel circuit, de telle hauteur et de telle largeur qu'ils méritèrent d'être nombrés entre les sept miracles du monde. Mais, afin que d'une infinité de ses faits admirables nous en racontions un très digne de mémoire sur tous les autres, il faut entendre, comme on l'assure pour chaque chose très vraie, qu'elle, ayant mis bas les armes et se tenant en repos, après avoir entièrement accompli tout ce qu'elle avait eu envie de faire en son grand feu de jeunesse, il advint, pendant qu'elle était encore entre ses damoiselles, qui la peignaient et la coiffaient, à la mode de leur pays, n'ayant finalement qu'une moitié de ces cheveux encore troussés, que nouvelles lui vinrent comme quoi la ville de Babylone s'était révoltée contre elle ; de quoi elle prit un si grand dépit qu'en jettant incontinent le peigne par terre et se tenant debout, se mit en ordre, tout ainsi qu'elle était à demi déchevelée, pour l'aller assaillir. Ceci fait, elle marcha vers ce côté-là menant ses gens devant la ville qu'elel assiégea et jamais ne voulut trousser l'autre moitié de ses cheveux jusqu'au moment, qu'après un long siège, elle eut réduit la ville à son obéissance. Duquel acte si courageux porta longue espace de temps bon témoignage une grande statue de bronze, dressée en la ville, où était formée l'effigie d'une dame qui avait la moitié des cheveux éparpillés et l'autre moitié liée en tresse. [2,5] Au demeurant, elle édifia plusieurs villes et fit beaucoup d'autres très merveilleux actes dont la mémoire est tellement éteinte par l'antiquité qu'il ne se trouve guère autre chose appartenant à sa louange que ce que nous en avons copié ci-dessus ; et encore tels actes, certainement beaux et admirables, non seulement en une femme mais aussi miraculeux et dignes de souveraine louange et de mémoire éternelle en tout vaillant homme que ce soit, furent par elle souillés de ses très déshonnêtes manières de vivre que nous n'avons que faire de raconter présentement. [2,6] (- - -)