[61] Nous avons aussi, comme vous pouvez le penser, des novices, ou élèves, pour perpétuer notre ordre, qui, sans cette précaution, s'éteindrait bientôt, ainsi qu'un grand nombre de domestiques et d'aides, tant d'un sexe que de l'autre. Nous avons aussi des assemblées et des délibérations, dont l'objet spécial est de désigner les observations, les expériences et les inventions qui doivent être publiées, et celles que nous devons nous réserver; car tous les membres de l'institut s'obligent avec serment à garder le plus rigoureux secret sur toutes les vérités dont la publication nous paraît dangereuse. Cependant, parmi celles de cette dernière espèce, il en est que nous révélons au prince et au sénat; mais d'autres encore que nous ne communiquons à qui que ce soit. [62] Quant à ce qui regarde nos rites, nos coutumes et nos dispositions, nous avons deux galeries fort belles et fort spacieuses, où sont rongés avec ordre des modèles des inventions les plus utiles et les plus dignes de fixer l'attention des observateurs. Dans l'autre, on voit les statues des inventeurs les plus distingués. Par exemple , on y voit celle de votre Christophe Colomb, de ce pilote génois qui découvrit le premier les Indes occidentales; celle de l'inventeur de l'art nautique; celle du moine, inventeur des armes à feu et de la poudre à canon; celles des inventeurs de la musique, de l'art d'écrire, de l'art typographique, de l'astronomie, de la métallurgie, de l'art de faire le verre, de l'art de nourrir et éleves les vers à soie, et d'employer leur fil précieux; de celui de faire le vin; de l'agriculture; surtout de l'art de cultiver le blé, et de faire le pain; celles des inventeurs de tous ces arts qui ont pour objet les métaux, le verre, la soie, le vin, le pain, le sucre, etc. Or, cet honneur, cet hommage perpétuel que nous leur rendons, ce n'est point au hasard, mais d'après des traditions plus certaines et plus authentiques que les vôtres. Dans cette même galerie, on voit aussi les statues de nos propres inventeurs les plus distingués. Mais comme vous n'avez pas encore vu ces inventions, je crois devoir vous épargner de longues et fastidieuses descriptions, qui ne suffisent pas pour vous en donner une juste idée. Quoi qu'il en soit, lorsque quelqu'un parmi nous invente quelque chose de vraiment utile, nous lui érigeons peu de temps après une statue, et nous lui assignons une pension assez forte. De ces statues, les unes sont de bronze, les au-tres de marbre; d'autres, de parangon (pierre de touche) ; quelques-unes, de cèdre, ou d'autres bois précieux, mais dorées et enrichies d'autres ornements. II en est aussi de fer, d'argent et d'or. [63] Nous avons des hymnes et une liturgie, consacrés pour rendre journellement hommage au souverain auteur de ces ouvrages admirables, qui sont l'objet de nos contemplations, et pour chanter cette bonté inépuisable dont le caractère est empreint dans toutes les parties de l'univers. Nous avons aussi des prières spécialement destinées à implorer son secours dans nos travaux philosophiques, à le supplier d'éclairer notre marche, et à lui demander toutes les connaissances nécessaires pour appliquer toujours nos inventions à de louables et saints usages. [64] Enfin, nous parcourons successivement toutes les villes de ce vaste empire; nous y publions, à mesure que l'occasion s'en présente et que la nécessité l'exige, toutes les inventions que nous jugeons pouvoir leur être utiles. Nous leur prédisons (prédictions toutefois qui n'ont pour base que des indications purement physiques); nous leur annonçons, dis-je, les événements et les phénomènes qui peuvent les intéresser, tels que maladies épidémiques, pestes, multiplication excessive des insectes nuisibles, famines, tempêtes, ouragans, tremblements de terre, vastes et longues inondations, comètes; la température qui sera dominante dans l'année commune et une infinité d'autres choses de cette nature. Et nous prescrivons aux habitants de ces villes les mesures à prendre, soit pour prévenir ces fléaux, soit pour remédier à leurs funestes effets. » [65] Lorsque le personnage qui m'adressait ce discours, eut cessé de parler, il se leva; je me mis à genoux, comme on m'avait averti de le faire; et imposant sa main sur ma tête, il me dit, d'un ton tout à la fois affectueux et solemnel « que le souverain auteur de toute sagesse daigne bénir et ta personne et cette relation que tu viens d'entendre. Je te permets de la publier pour l'utilité des autres nations; car, pour nous qu'elle regarde, nous sommes ici dans le sein de Dieu, et dans une terre tout-à-fait inconnue. » Après quoi il me quitta; mais j'appris ensuite qu'il avait donné ordre de compter a moi et a mes compagnons deux mille ducats; car ils font de grandes largesses dans tous les lieux où ils se trouvent, et dans toutes les circonstances qui l'exigent.