[2,41] 41. Parmi les faits privilégiés nous placerons en dix-huitième lieu les faits de la route, que nous appelons aussi faits itinéraires et articulés. Ce sont ceux qui montrent les mouvements graduellement continués de la nature. C'est un genre de faits plutôt inobservé qu'inaperçu; car les hommes sont à cet égard d'une négligence étonnante : ils observent la nature en courant et à intervalles, lorsque les corps sont achevés et complets, et non dans le travail de leur élaboration. Cependant celui qui veut connaitre les secrets et le talent de quelque.ouvrier habile, ne désire pas seulement voir d'abord les matériaux rudes et grossiers, et ensuite l'ouvrage achevé, mais encore et surtout être présent, lorsque l'ouvrier opère et élabore ses matériaux. C'est la même méthode qu'il faut suivre pour étudier la nature. Par exemple, veut-on étudier la végétation des plantes, il faut la suivre depuis le moment où la graine est semée (ce que l'on peut faire sans difficulté, en tirant la semence de terre tous les jours, aujourd'hui une graine semée de la veille, demain une graine semée depuis deux jours, et ainsi-de suite), épiant l'heure où elle commence à se gonfler et à se remplir, en quelque sorte, d'esprit; observant comme elle rompt son enveloppe, projette ses fibres, en se portant elle-même de bas en haut, à moins que le sol ne lui oppose trop de résistance; comme ses fibres sont projetées, les unes en bas, ce sont les futures racines; les autres en haut, ce sont les futures branches, qui parfois s'étendent horizontalement, si la terre est dans ce sens plus facile à percer; et ainsi en poursuivant, à travers toutes les phases de la végétation. Même méthode pour étudier l'éclosion des oeufs; on peut suivre facilement les progrès de vivification et d'organisation, observer ce qui s'engendre du jaune, ce que devient le blanc, et ainsi de suite, jusqu'à parfait accomplissement. Même méthode pour observer, la production des animaux que la putréfaction engendre. Quant aux animaux d'espèce supérieure, il faudrait extraire le foetus du sein de la mère, et notre humanité répugne à un procédé de cette sorte ; qu'on se résigne donc à compter sur les hasards des avortements, sur ceux de la chasse, et autres semblables. Il faut donc, en tout sujet, faire la garde autour de la nature, qui se laisse bien mieux saisir la nuit que le jour. On peut dire que les observations de ce genre sont nocturnes, car elles percent les ténèbres, à l'aide d'une lumière qui est à la fois très petite et perpétuelle. On doit pratiquer encore la même méthode dans l'étude des substances inanimées; c'est ce que nous avons fait nous-même, en observant les diverses dilatations des liquides sous l'action du feu. Le mode de dilatation varie, en effet, suivant les liquides, eau, vin, vinaigre, opium; les différences en sont plus frappantes pour quelques-uns, comme le lait, l'huile et autres encore. Il est très facile de les constater en faisant bouillir les liquides sur un feu léger, et dans un vase de verre dont la transparence permet de tout observer. Mais nous nous bornons à toucher ce sujet, en passant; nous devons le traiter exactement et longuement; lorsque nous en serons venu à la découverte du progrès latent; d'ailleurs il est bon de ne pas oublier que maintenant nous sommes loin de traiter les sujets, et que nous nous bornons seulement à donner des exemples. [2,42] 42. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en dix-neuvième lieu les faits de supplément ou de substitution, que nous appelons aussi faits de refuge. Ce sont ceux qui nous instruisent, lorsque les sens ne peuvent plus aucunement nous servir, et auxquels par conséquent nous avons recours, lorsque les expériences directes nous manquent. Cette substitution peut se faire de deux manières, ou par gradation, ou par analogie. Par exemple, on ne connatt aucun milieu qui empèche complétement l'action de l'aimant sur le fer ; aucun : ni l'or, ni l'argent, ni la pierre, ni le verre, ni le bois, ni l'eau, ni l'huile, ni le drap, ni les substances fibreuses, ni la flamme. Cependant, au moyen d'une investigation exacte, on découvrirait peut-être quelque milieu, dont l'interposition affaiblirait l'action de l'aimant plus que ne ferait aucun autre; ce qui, permettrait d'établir une table de degrés. On observerait, par exemple, qu'à distance égale l'action de l'aimant est moins énergique en traversant l'or qu'en traversant l'air; à travers l'argent chauffé au rouge qu'à travers le même métal à la température ordinaire, et ainsi pour les autres milieux. Ces expériences, nous ne les avons pas faites, mais il nous suffit de les proposer comme exemples. De même, nous ne connaissons aucun corps qui, approché du feu, ne contracte de la chaleur; mais l'air s'échauffe beaucoup plus vite que la pierre. Voilà ce que nous entendons par faits de substitution de la première espèce, c'est-à-dire par gradation. La substitution par analogie est utile, mais moins sûre; c'est pourquoi il faut l'employer avec prudence. Elle consiste à rendre sensible ce qui est caché, non pas au moyen des opérations visibles du corps insensible, mais par l'examen de quelque corps sensible approchant. Par exemple, se propose-t-on de connaître le mélange des principes spiritueux, qui sont des corps insensibles? On peut croire qu'il y a de l'analogie entre les diverses matières et les aliments de chacune d'elles. L'aliment de la flamme, c'est l'huile ou tout autre corps gras; celui de l'air, c'est l'eau et les substances aqueuses : car les flammes se multiplient au-dessus des exhalaisons de l'huile, l'air au-dessus de la vapeur d'eau. Observons donc les mélanges d'eau et d'huile, qui sont manifestes aux sens, tandis que les mélanges de flamme et d'air nous échappent. Nous voyons que l'eau et l'huile, versées ensemble et agitées, se mêlent très imparfaitement; mais que, dans les herbes, le rang, et toutes les parties des animaux, leur mélange est intime et accompli. Il peut en être de même pour le mélange de ces deux principes spiritueux, l'air et la flamme, qui, par une simple juxtaposition des molécules, ne se mêlent qu'imparfaitement, mais semblent intimement combinées dans les esprits des animaux et des plantes; une preuve en serait que l'esprit animal se nourrit à la fois des deux espèces de matières humides, les aqueuses et les huileuses, qui en sont comme les aliments. Veut-on étudier, non plus la parfaite combinaison des principes spiritueux, mais seulement leurs mélanges mécaniques; veut-on traiter ces questions : les natures spiritueuses s'incorporent-elles facilement les unes aux autres? ou plutôt, pour choisir un exemple, y a-t-il des exhalaisons, des vents, ou autres corps de ce genre qui ne se mêlent pas à l'air atmosphérique, mais qui y demeurent seulement suspendus et flottants, sous forme de gouttes, de globules, et sont plutôt brisés et réduits par l'air que reçus en lui et incorporés à sa substance? C'est là ce que l'obsérvation ne pourrait saisir dans l'air et dans les vapeurs semblables, à cause de la subtilité de ces corps; mais ce dont il serait facile d'apercevoir quelque image dans certains liquides, comme le vif-argent, l'eau, l'huile, dans l'air lui-même, non pas en masse, mais brisé et s'élevant par globules à travers l'eau; dans la fumée un peu épaisse; enfin, dans la poussière soulevée et que l'air tient en suspens : dans toutes ces expériences, on ne voit point d'incorporation. Un tel procédé de substitution serait assez exact, si l'on s'était d'abord assuré qu'il y a entre les esprits les mêmes sympathies et les mêmes répulsions qu'entre les liquides; alors on pourrait, sans manquer à la méthode, substituer aux esprits invisibles les liquides visibles, pour conclure par analogie de ceux-ci à ceux-là. Quant à ce que nous avons dit de ces faits de supplément, qu'il faut leur demander des lumières et recourir à eux, lorsque les expériences directes nous manquent, nous devons ajouter que ces faits sont encore d'un grand usage, lors même que nous possédons des expériences directes et qu'ils fortifient singulièrement. l'autorité de celles-ci. Mais nous en parlerons avec plus de détails, lorsque nous en viendrons à traiter des secours de l'induction. [2,43] 43. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en vingtième lieu les faits qui tranchent, que nous appelons aussi faits stimulants, mais pour une autre raison. Nous les appelons stimulants, . parce qu'ils stimulent l'intelligence ; tranchants, parce qu'ils tranchent en quelque façon la nature; c'est pourquoi nous les nommons aussi quelquefois faits de Démocrite. Ce sont ceux qui nous avertissent des propriétés et des phénomènes les plus extraordinaires de la nature, pour éveiller l'esprit, exciter son attention et l'engager à observer et à étudier. Exemples de faits stimulants: Quelques gouttes d'encre suffisent pour tracer tant de lettres et même tant de lignes ; Un peu d'argent, doré à la surface, peut fournir un fil d'une longueur étonnante et doré dans toute son étendue; Un de ces insectes, à peu près invisibles, qui se logent dans la peau, a cependant en lui-même un esprit animal, une organisation, mille parties diverses; Un peu de safran suffit pour teindre un tonneau d'eau; Un grain de civette ou de tout autre aromate suffit pour parfumer une quantité d'air comparativement énorme; Une très petite quantité de matière brûlée produit un très grand nuage de fumée; Les plus légères différences de sons, comme celle des sons articulés, sont transmises par l'air en tous sens, passent à travers les fissures et les pores les plus réduits du bois et de l'eau, sont répercutées avec une promptitude et une précision merveilleuse ; La lumière et la couleur, franchissant de si grands espaces avec une telle rapidité, traversent ensuite les masses compactes du verre, de l'eau, y font paraître une multitude d'images d'une finesse exquise, y subissent cependant une foule de réflexions et. de réfractions; L'aimant opère à travers les milieux de tout genre, même les plus compactes; Enfin, ce qu'il y a de plus admirable, toutes ces opérations s'effectuant à travers un même milieu, l'air atmosphérique, aucune d'elles ne fait obstacle sensible à une autre ; au même moment, à travers la même région aérienne, se transmettent une multitude d'images, de sons articulés, d'odeurs différentes, celles de la violette et de la rose, par exemple; la chaleur et le froid, les influences magnétiques; transmissions innombrables et simultanées, dont aucune ne fait obstacle à une autre, comme si chacune d'elles avait ses routes particulières, ses passages propres-et distincts, leur évitant à toutes des rencontres et des chocs. Nous rapprochons ordinairement avec avantage des faits qui tranchent les faits que nous appelons limites de la dissection: ainsi, dans les exemples que nous avons cités; une action d'un certain genre ne trouble ni ne contrarie une action d'un autre genre, tandis que dans un même genre, une action surmonte et détruit l'autre; la lumière du soleil fait évanouir l'éclat du ver luisant; le bruit du canon, celui de la voix; une forte odeur, une plus douce; une chaleur intense, une moins élevée; une lame de fer, interposée entre l'aimant et le fer, amortit l'effet de l'aimant. Mais il sera toujours plus à propos de parler de ces faits lorsque nous traiterons des. secours de l'induction. [2,44] 44. Voilà ce que nous avions à dire des faits qui aident les sens; ils sont surtout utiles pour la partie théorique : car c'est dans les données des sens que la saine théorie a ses racines. Mais la fin dernière de tout l'ouvrage est dans la pratique; on débute par l'une pour aboutir à l'autre. C'est pourquoi viennent maintenant les faits les plus utiles pour la pratique. Il y en a sept espèces, qui se divisent en deux ordres; nous les appelons tous d'un nom commun faits pratiques: Les opérations pratiques peuvent avoir un double inconvénient, c'est pourquoi les faits pratiques doivent offrir un double avantage. Une opération peut être ou décevante ou onéreuse. Une opération est décevante (principalement quand on a étudié avec soin les diverses natures), parce que les forces et les actions des corps ont été mal déterminées et mesurées. Les forces, et les actions des corps sont circonscrites et mesurées; ou par l'espace, ou par le temps; ou par des rapports de quantité; ou par la supériorité d'une puissance sur les autres; et, si ces quatre conditions ne sont exactement et diligemment calculées, les sciences pourront offrir de belles spéculations, mais, à coup sûr, elles seront stériles. Nous appelons d'un seul nom les quatre espèces de faits relatifs à ces conditions, faits mathématiques ou faits de mesure. La pratique devient onéreuse, soit à cause de certains travaux inutiles, soit à cause de la multiplicité des instruments ou de la quantité de matière requise pour l'opération. C'est pourquoi, l'on doit faire beaucoup de cas des faits qui dirigent l'opération vers les fins les plus utiles aux hommes, et de ceux qui enseignent à faire économie d'instruments et de matière première. Nous nommons d'un nom commun ces trois espèces de faits, faits propices et bienveillants. Nous parlerons de chacune de ces sept espèces de faits en particulier, et avec eux nous mettrons fin à cette partie de notre ouvrage sur les prérogatives; et les privilèges des faits. [2,45] 45. Parmi les faits privilégiés, nous placerons en vingt-et-unième lieu, les faits de la verge ou du rayon, que nous appelons aussi faits de transport ou de non-ultra. Les puissances et les mouvements des choses opèrent et s'exécutent dans des espaces, non pas indéfinis et fortuits, mais fixes et déterminés; et il est fort important, pour la pratique, d'observer et de noter ces conditions précises dans chacune des natures étudiées, non seulement pour qu'elle n'échoue point dans chacune de ces rencontres, mais encore pour qu'elle soit plus puissante et plus riche. Car souvent il est donné à l'homme d'augmenter la portée des forces naturelles et de rapprocher les distances, comme font les instruments d'optique. Il est des puissances en grand nombre qui n'opèrent que par un contact manifeste, comme on le voit dans le choc des corps, la force d'impulsion ne s'exerçant que si le moteur touche le mobile; les remèdes que l'on applique au dehors, comme les onguents, les emplâtres, n'ont d'efficacité qu'à la condition du contact. Enfin, les objets des deux sens du tact et du goût, ne font leur impression qu'en touchant nos organes. Il est d'autres puissances qui opèrent à distance, mais à de très petites distances. Ces puissances n'ont été jusqu'ici observées qu'en petit nombre; elles sont en réalité beaucoup plus nombreuses qu'on ne le soupçonne vulgairement. Pour choisir un exemple parmi les phénomènes bien connus, c'est ainsi que le succin et le jais attirent les pailles; que les bulles approchées se dissolvent mutuellement; que certaines substances purgatives nous tirent les humeurs du cerveau, et autres faits semblables. La vertu magnétique par laquelle le fer et l'aimant, ou deux aimants se portent l'un vers l'autre, opère dans une certaine sphère d'une étendue médiocre; mais si il existe une vertu magnétique exercée par la terre elle-même (ayant sans doute son foyer à l'intérieur du globe), par exemple sur une aiguille de fer qu'elle polarise, une telle puissance opère certainement à une grande distance. De plus, s'il existe une vertu magnétique qui opère par une sorte d'affinité entre le globe de la terre et les graves, ou entre le globe de la lune et les eaux de la mer (ce que semblent démontrer les phénomènes constants du flux et reflux), ou entre la voûte étoilée et les planètes (dont cette hypothèse expliquerait l'apogée), toutes ces vertus opèrent évidemment à une très grande distance. On a de plus l'expérience de certaines matières qui prennent feu à de grandes distances, comme on le rapporte de la naphte de Babylone. La chaleur, on le sait, se communique à de grandes distances; il en est de même du froid, comme l'éprouvent les habitants des côtes au Canada; car les masses de glace qui se détachent des régions polaires, et flottent vers l'Amérique à travers la mer du Nord et l'Atlantique, se font sentir et répandent le froid de très loin. Les odeurs aussi (bien qu'elles ne se produisent qu'avec des effluves corporels), agissent à des distances considérables, comme nous le rapportent les navigateurs qui longent les côtes de la Floride ou certains rivages d'Espagne, où il y a des forêts entières de citronniers, d'orangers, et d'autres arbres odoriférants, ou des champs de romarin, de marjolaine, et d'autres plantes semblables. Enfin, la lumière et le son produisent leurs effets à de très grandes distances. Mais toutes ces puissances, qu'elles opèrent à de faibles ou à de grandes distances, opèrent certainement à des distances déterminées et connues de la nature, et leur sphère d'action a une limite fixe; laquelle est en raison composée de la masse ou de-la quantité des corps, de la force ou de la faiblesse des puissances, des facilités ou des obstacles apportés par les milieux, toutes choses dont on doit tenir un compte fort exact. Il faut même mesurer jusqu'aux mouvements violents (ainsi qu'on les nomme), comme sont ceux des flèches, des projectiles, des roues et autres choses semblables, car ils ont, eux aussi, des limites déterminées. Contrairement aux puissances qui agissent au contact et non à distance, il en est d'autres qui agissent à distance et non au contact, et qui, mieux encore, ont une action plus faible à une plus petite distance, plus forte à une distance plus grande. Le fait de la vision s'opère mal au contact; il faut, pour bien voir, quelque distance et un milieu. Cependant un homme digne de foi nous dit un jour, qu'au moment où on l'avait opéré de la cataracte (opération qui consiste à introduire une petite aiguille d'argent sous la première membrane, à repousser ensuite dans un coin de l'oeil la petite peau qui forme obstacle à la vision), il avait vu très distinctement l'aiguille se mouvoir sur la pupille. Quand même ce fait serait vrai, il n'en est pas moins certain que les corps un peu considérables ne sont vus bien distinctement qu'à la pointe du cône formé par les rayons émanant des différents points de l'objet, et par conséquent à une certaine distance. Nous savons de plus que les vieillards voient mieux les objets éloignés que proches. Quant aux projectiles, le coup qu'ils frappent est plus fort à une assez grande distance. Voilà des observations qu'il faut recueillir avec soin, quand on étudie l'effet des mouvements et les actions à distance. Il est un autre genre de mesures de mouvements qu'il ne faut pas négliger : ce sont celles des mouvements non plus progressifs, mais sphériques, qui étendent les corps dans une plus grande sphère, ou les resserrent dans une plus étroite. Il faut rechercher, en étudiant la mesure des mouvements, quelle contraction et quelle extension les corps (suivant leurs diverses natures) peuvent facilement subir, et à quelle limite ils commencent à réagir, jusqu'au degré extrème qu'ils ne souffriraient pas de passer. C'est ainsi qu'une vessie gonflée d'air peut être comprimée et souffre cette compression de l'air qu'elle renferme, jusqu'à de certaines limites; si on les excède, l'air résiste et rompt la vessie. Nous avons fait, pour établir ce principe, une expérience plus délicate et plus concluante. Nous nous sommes servis d'une petite cloche de métal, très- mince et très légère, telle que sont ordinairement nos salière s. Cette cloche fut plongée dans un bassin d'eau de manière à porter avec elle jusqu'au fond du bassin l'air qu'elle contenait dans sa concavité. On.avait d'abord placé une balle au fond même du bassin, où devait étre descendue la cloche. Nous fîmes, dans ces conditions, deux expériences fort différentes: quand la balle était petite en comparaison de la concavité de la cloche, l'air se resserrait dans l'espace laissé libre, il se contractait seulement et ne sortait pas de la cloche ; quand la balle était plus grosse, et que l'espace manquait à l'air, alors sous cette compression trop forte, il soulevait la cloche d'un côté ou de l'autre, et s'élevait sous forme de bulles. Pour mettre en évidence l'expansion de l'air, comme nous avions démontré sa compression, nous imaginâmes l'expérience que voici : nous prîmes un oeuf en verre, percé d'un petit trou à l'une des extrémités; une partie de l'air fut extraite par ce trou, au moyen de la succion, et tout aussitôt le trou fermé avec le doigt; l'oeuf ensuite plongé dans l'eau, et le doigt retiré, l'air, qui était demeuré dans l'oeuf, et qui, en conséquence de la succion, s'était notablement dilaté, éprouvant dès lors une tendance à reprendre son premier volume (si l'oeuf eût été placé dans l'atmosphère, et non pas dans l'eau, une certaine quantité de l'air extérieur serait entrée avec un sifflement), l'eau pénétra dans le verre autant qu'il le fallut pour. que cet air dilaté reprît son premier volume. Il est donc certain que les corps d'une très faible densité, comme l'air, peuvent subir une contraction assez sensible ; tandis que les corps plus denses, comme l'eau, se contractent beaucoup plus difficilement, et dans une proportion bien moindre. Quelle est au juste cette dernière contraction, c'est ce que nous avons recherché, en faisant l'expérience suivante. Nous fîmes préparer un globe de plomb creux, de la contenance d'environ deux pintes, et de parois assez épaisses pour qu'on pût le soumettre à une action très énergique. Ce globe fut rempli d'eau, au moyen d'une ouverture qu'on avait pratiquée; cette ouverture fut ensuite fermée avec du plomb fondu, qui se souda très exactement au reste du métal. L'eau ainsi enfermée, nous aplatîmes le globe de deux côtés, en le frappant avec un gros marteau; comprimant ainsi l'eau, de toute nécessité, puisque la forme sphérique est celle qui, toutes choses égales d'ailleurs, a le plus de capacité. Lorsque le marteau ne produisit plus d'effet, à cause de la résistance de l'eau à une pression plus forte, le globe fut soumis à une presse très puissante, jusqu'à ce qu'enfin l'eau, ne pouvant supporter une compression plus forte, s'échappa à travers les parois de métal sous la forme d'une rosée fine. En dernier lieu, nous déterminâmes par le calcul la diminution de volume que l'intérieur du globe avait subie, et nous sûmes ainsi quelle avait été la compression de l'eau; mais pour la comprimer de cette faible quantité, quelle violence n'avait-il pas fallu lui faire ! Les corps plus compactes, les solides, les matières sèches, comme les pierres, les bois, les métaux, ne subissent qu'une compression, ou une extension moindre encore et presque imperceptible ; on les voit se soustraire à la violence qui leur est faite, soit en se brisant, soit en se portant en avant, soit par des accidents d'une autre nature. Nous en avons assez d'exemples dans les pièces de bois, dans les lames de métaux courbés avec effort, dans les horloges qui se meuvent au moyen d'une pièce de métal repliée sur elle-même, dans les projectiles, dans les travaux de nos forges, et dans une multitude d'autres expériences. Tous les changements de volume doivent être observés attentivement, mesurés exactement par le physicien ; qu'il en obtienne, s'il le peut, la mesure mathématique; à défaut, qu'il ait recours du moins aux estimations ou aux comparaisons.