[2,11] On procède ainsi à la recherche des formes : sur la propriété donnée, il faut d'abord faire comparaître devant l'intelligence tous les faits connus qui offrent cette même propriété, quoique dans des matières fort différentes. Il faut faire ce recueil à la façon d'un historien, sans théorie anticipée et sans trop de subtilité. Prenons pour exemple la recherche de la forme de la chaleur. Table de faits positifs, pour la théorie de la chaleur. 1° Les rayons du soleil, surtout l'été et en plein midi. . 2° Les rayons du soleil, réfléchis et concentrés, comme entre deux montagnes, ou par des murailles ou par excellence dans les miroirs brûlants. 3° Les météores ignés. 4° Les foudres brûlantes. 5° Les éruptions des volcans, etc. 6° Les flammes de toute sorte. 7° Les solides en feu. 8° Les bains naturels d'eau thermale. 9° Les liquides bouillants ou chauffés. 10° Les vapeurs et les exhalaisons embrasées ; l'air lui-même, où se développe une chaleur très intense, excessive, quand il est captif, comme dans les fourneaux de réverbère. 11° Certaines températures, où l'air devient moite par la constitution seule, indépendamment de la saison. 12° L'air souterrain, contenu dans certaines cavernes, surtout pendant l'hiver. 13° Toute substance velue, comme la laine, les peaux de bête, le duvet, les plumes, recèle une certaine chaleur. 140 Tous les corps, solides, liquides, pesants, légers (comme l'air), soumis quelque temps à l'action du feu. 15° Les étincelles tirées du caillou, de l'acier, par un choc vif. 16° Tout corps frotté vigoureusement, comme la pierre, le bois, le drap, etc.; c'est ainsi qu'il arrive aux timons, aux essieux de s'enflammer; c'est ainsi que dans les Indes occidentales l'usage était d'allumer le feu par frottement. 17° Les végétaux verts et humides, enfermés et entassés, comme les roses pilées, dans leurs corbeilles; c'est ainsi que le foin rentré trop tôt s'enflamme assez souvent. 18° La chaux vive, arrosée d'eau. 19° Le fer, plongé dans un vase qui contient de l'eau, au moment où il entre en dissolution, sans être aucunement soumis à l'action dû feu; l'étain pareillement, mais avec moins d'intensité. 20° Les animaux, surtout et continuellement à l'intérieur de l'organisation; bien que pour les insectes, à cause de leur petitesse, la chaleur ne soit pas sensible au tact. 21° Le fumier de cheval, et, en général, tout excrément récent. 22° L'huile forte de soufre ou de vitriol produit les effets de la chaleur, en brûlant le linge. 23° L'essence d'origan, et autres de ce genre, produisent les effets de la chaleur en consumant l'ivoire des dents. 24° L'esprit-de-vin bien rectifié produit les effets de la chaleur; c'est ainsi qu'un blanc d'oeuf, qu'on y plonge, prend la consistance et tout l'aspect du blanc de l'ceuf qu'on a fait cuire; c'est ainsi qu'un morceau de pain, qu'on y plonge, devient tout semblable au pain grillé. 25° Les plantes aromatiques, certaines herbes naturellement chaudes, comme l'estragon, le cresson alénois, quand il est vieux, bien que leur chaleur soit insensible à la main (qu'on les manie intactes ou pulvérisées), semblent cependant à la langue et au palais; quand on les a mâchées un peu, non seulement chaudes, mais même brûlantes. 26° Le vinaigre, et tous les acides, appliqués à une partie du corps, qui n'a point d'épiderme, comme l'oeil, la langue, un membre blessé et mis au vif, excitent une douleur fort semblable à celle que produit le feu. 27° Le froid méme, quand il est âcre, et fort intense, produit comme une sensation de brûlure : "Le froid pénétrant de Borée le brûle" (Virgile, Géorgiques, I, v. 93). 28° D'autres encore. C'est là ce que nous appelons table d'étre et de présence. [2,12] Secondement, il faut faire comparaître devant l'intelligence tous les faits où ne se rencontre pas la propriété donnée; car, ainsi que nous l'avons dit, l'absence de la propriété donnée entraîne l'absence de la forme, tout comme la présence de l'une implique la présence de l'autre. Mais citer tous ces faits serait une entreprise infinie. C'est pourquoi il faut rapprocher les faits négatifs des affirmatifs, et rechercher la privation de la propriété dans les sujets seulement qui ont le plus de rapports avec ceux où la propriété existe et apparaît. C'est ce que nous appelons table de disparition ou d'absence dans les analogues. Table de faits négatifs, pour la théorie de la chaleur. 1° fait négatif (opposé au 1e fait positif). Les rayons de la lune, des étoiles, des comètes, n'ont aucune chaleur appréciable au tact; bien plus, c'est pendant la pleine lune que se produisent d'ordinaire les froids les plus intenses. Cependant on croit que les étoiles fixes du premier ordre, quand le soleil est en conjonction avec elles, ou qu'il s'en approche, augmentent la chaleur des rayons solaires; comme il arrive, lorsque le soleil est dans le signe du Lion et pendant les jours caniculaires. 2° (opposé au 2e). Les rayons du soleil ne produisent pas de chaleur dans ce que l'on nomme la région moyenne de l'air; ce que l'on explique assez bien dans les écoles, en disant que cette région n'est assez proche, ni du soleil, d'où les rayons émanent, ni de la terre qui les réfléchit. A l'appui de cette explication, on peut citer les sommets des montagnes (à moins que l'élévation n'en soit extrême) où séjournent les neiges perpétuelles. Quelques voyageurs, en effet, ont remarqué qu'il n'existe point de neige au sommet du Pic de Ténériffe, ni sur les Andes du Pérou, tandis que les flancs de ces montagnes en sont couverts jusqu'à une certaine hauteur. On assure en outre qu'à ces hauteurs extrêmes, l'air n'est nullement froid, mais seulement rare et âcre; c'est par là que, sur les Andes, il attaque et blesse les yeux, et l'estomac qui ne peut garder la nourriture. Les anciens avaient remarqué déjà qu'au sommet de l'Olympe l'air était si rare qu'il fallait, pour y monter, emporter avec soi des éponges imbibées de vinaigre et d'eau, et les approcher souvent des narines et de la bouche, l'air, à cause de sa rareté, ne suffisant plus à la respiration. On ajoute que, sur ce même sommet où ne tombait ni la pluie ni la neige, où le vent ne soufflait jamais, il régnait un tel calme, que les sacrificateurs traçant de leur doigt des caractères avec la cendre des victimes sur l'autel de Jupiter, ces empreintes demeuraient parfaitement intactes jusqu'à l'année suivante. Aujourd'hui encore, les voyageurs qui montent au sommet du Pic de Ténériffe, font leur ascension de nuit et non de jour; aussitôt après le lever du soleil,. leurs guides les engagent à descendre sans délai, à cause, apparemment, du danger qu'il y aurait à respirer un air si rare et suffocant. 3° (opp. au 2e): La. réflexion des rayons du soleil, dans les régions polaires, ne laisse subsister qu'une chaleur très faible et sans action. Des Belges, qui avaient hiverné à la Nouvelle-Zemble {archipel de l'océan Arctique russe}, attendaient la délivrance de leur vaisseau bloqué par les glaces ; mais parvenus aux premiers jours de juillet, sans que leur espérance fût réalisée, ils se virent contraints à se hasarder dans leur chaloupe. Il parait donc que les rayons directs n'ont pas beaucoup d'action, même sur un sol uni; et que les réfléchis n'en acquièrent que par leur multiplicité et leur concentration, ce qui arrive quand le soleil approche du zénith, car alors les rayons incidents font avec les réfléchis des angles très aigus, les uns et les autres sont très rapprochés; tandis que dans les grandes obliquités des rayons solaires, les angles sont très obtus, et, par conséquent, la distance des rayons incidents et des réfléchis, fort considérable. Toutefois, il faut noter qu'il peut y avoir beaucoup d'actions des rayons solaires ou de la chaleur en général, qui échappent à notre sensibilité; de telle sorte que, ne parvenant pas à nous échauffer, ils produisent sur plusieurs autres corps tous les effets de la chaleur. 4° (opp. au 2°). Voici une expérience à faire : Que l'on construise un miroir d'une disposition toute contraire à celle des miroirs brûlants, qu'on le place entre la main et les rayons solaires, et que l'on observe s'il affaiblit la chaleur, comme le miroir brûlant l'augmente. On sait que les rayons de lumière, pour un miroir dont le milieu et les côtés ont des densités différentes, donnent des images ou plus diffuses ou plus réduites. Il faudrait savoir si Ies rayons de soleil sont soumis à une loi semblable. 5° (opp. au 2°). Autre expérience qui exige beaucoup de soin. Il faudrait savoir, à l'aide de miroirs brûlants de la plus grande puissance, si les rayons de la lune, réunis et concentrés, peuvent produire un peu de chaleur à quelque faible degré que ce soit. Peut-être cette chaleur nous serait-elle insensible par son extrême faiblesse; i1 faudrait alors recourir à ces tubes qui indiquent la pression de l'air chaud ou froid; on recueillerait au sommet d'un tube de cette espèce les rayons lunaires concentrés par le miroir brûlant, et l'on observerait s'il y a quelque dépression de l'eau causée par l'échauffement de l'air. 6° (opp. au 2°). Il faudrait aussi faire l'épreuve du miroir brûlant sur la chaleur qui n'est ni rayonnante ni lumineuse, comme celle du fer ou de la pierre échauffés, mais non ardents, ou de l'eau près de bouillir, et autres semblables ; et observer si l'intensité de chaleur s'accroit, comme pour les rayons solaires. 7° (opp. au 2°). Que l'on fasse aussi l'épreuve du miroir brûlant sur la flamme ordinaire. 8° (opp. au 3°). On n'observe pas que les comètes (en supposant qu'il faille les classer parmi les météores) augmentent, par une influence certaine ou manifeste, les chaleurs de l'année où elles paraissent, bien que le plus souvent on ait vu qu'elles produisaient des sécheresses. Bien plus, les météores semblables aux poutres, aux colonnes, aux tourbillons, sont plus fréquents en hiver qu'en été; on les voit surtout quand le froid est très intense et très sec. La foudre, au contraire, les éclairs et le tonnerre, sont rares en hiver et fréquents au temps des grandes chaleurs. Quant aux météores, qui se nomment étoiles filantes, on croit communément qu'ils consistent en une matière visqueuse qui s'allume et brille, et non pas en une substance véritablement ignée. Mais c'est un sujet de recherches ultérieures. 9° (opp. au 4°). Il y a des éclairs qui donnent de la lumière, mais ne brûlent pas; ceux-là ne sont pas accompagnés de tonnerre. 10e (opp. au 5°). Les explosions ou éruptions de flammes ont lieu tout aussi bien dans les régions froides que dans les chaudes; par exemple, en Islande, en Groënland. On voit aussi que les arbres, dans les régions froides, sont plus inflammables, recèlent plus de poix et de résine que dans les régions chaudes; citons comme preuves le sapin, le pin et autres semblables. Mais dans quelle situation, dans quelle nature de terrain ces éruptions se produisent-elles? c'est ce que l'on n'a pas assez étudié pour que nous puissions mettre ici une expérience négative en regard de la positive. 11° (opp. au 6°). Toute flamme est constamment chaude, à un degré plus ou moins élevé, et nous manquons ici d'expérience négative. On dit cependant que le feu follet (comme on le nomme), qui donne quelquefois contre un mur, n'a pas beaucoup de chaleur, semblable en ce point à la flamme de l'esprit-de-vin, qui est douce et inoffensive. Mais il y a une flamme qui nous paraît plus douce encore, celle qui, au rapport de certains historiens graves et dignes de foi, s'est montrée autour de la tête et de la chevelure de jeunes garçons et de jeunes filles, laissant intacte cette chevelure et lui faisant doucement une auréole mobile. Mais un fait hors de doute, c'est que pendant la nuit, par un temps chaud, un cheval qui a couru et qui sue est entouré quelquefois d'une sorte de lueur qui n'a point de chaleur sensible. Il y a quelques années, certain phénomène occupait la curiosité publique et passa presque pour un miracle. Le fichu d'une jeune fille, secoué ou frotté donnait des étincelles; ce qui provenait sans doute de l'alun ou des sels dont on s'était servi pour le teindre, sels adhérents à l'étoffe et brisés par le frottement. Il est certain que le sucre de toute espèce, soit ordinaire, soit candi, dès qu'il est un peu dur, projette une lueur quand on le casse ou qu'on le coupe dans les ténèbres. Pendant les tempètes, l'écume de la mer fortement agitée étincelle dans la nuit; c'est cette lumière que les Espagnols nomment "poumon marin". Quelle sorte de chaleur peut avoir cette flamme nommée Castor et Pollux par les anciens navigateurs, et feu Saint-Elme par les modernes, c'est ce que l'on a négligé d'observer. 12° (opp. au 7°). Tout corps soumis à l'action du feu et porté jusqu'au rouge même sans flamme, est inévitablement chaud; ici point d'expérience négative, contraire à la positive. Toutefois, ce qui en approche beaucoup, c'est le fait du bois pourri qui s'éclaire pendant la nuit, sans manifester aucune chaleur; même phénomène pour les écailles de poisson putréfiées ; enfin, le ver luisant et l'espèce de mouche qu'on nomme luciole, ne nous semblent pas chauds au toucher. 13° (opp: au 8°). Dans quelles conditions, dans quelle espèce de terrain prennent naissance les eaux thermales? c'est ce que l'on n'a pas bien étudié. Nous ne proposerons donc pas ici d'ex- périence négative. 14° (opp. au 9°). A l'expérience des liquides bouillants, nous opposons comme fait négatif la nature même du liquide. Nous ne connaissons en effet aucun liquide, qui soit naturellement ou reste constamment chaud; on communique la chaleur aux liquides pour un temps, c'est pour eux une propriété d'emprunt; à tel point que ceux auxquels il appartient de produire au plus haut degré les effets de la chaleur, comme l'esprit-de-vin, les huiles essentielles de plantes aromatiques, l'huile de vitriol, l'esprit de soufre et autres semblables, dont l'application va bientôt nous brûler, sont froids au premier contact. L'eau thermale, reçue dans un vase, et observée hors de la source, se refroidit comme l'eau que nous retirons d'un foyer. Il est vrai que les corps huileux sont un peu moins froids au toucher que les corps aqueux; l'huile est moins froide que l'eau, de même que la soie est moins froide que le linge. Mais c'est un sujet qui appartient à la table des degrés du froid. 15° (opp. au 10°). De même, à l'expérience positive de la vapeur chaude, correspond à titre de négative la nature de cette même vapeur, telle qu'on la trouve ordinairement. Les exhalaisons des corps huileux, bien que facilement inflammables, n'ont aucune chaleur, si ce n'est quand elles émanent nouvellement d'un corps chaud. 16° (opp. au 10°). De même, à l'expérience positive de l'air chaud nous opposerons la nature même de l'air. Naturellement l'air n'est pas chaud ; il ne le devient qu'en étant renfermé, agité violemment ou soumis à l'action du soleil, du feu, de quelque autre foyer de chaleur. 17° (opp. au 11°). Nous proposons comme négatif le phénomène des températures plus froides que ne le comporte la saison, comme il arrive quand soufflent les vents de l'est et du nord, tandis que les températures contraires sont déterminées par les vents du sud et de l'ouest. Une température tiède nous menace de la pluie, surtout en hiver; le froid au contraire annonce la gelée. 18° (opp. au 12°). Fait négatif : la température de l'air enfermé dans les souterrains pendant l'été. Mais l'air renfermé, en général, doit être l'objet d'une étude expresse. Premier problème, difficile à résoudre : Quelle est, au juste, la nature de l'air par rapport au chaud et au froid? D'un côté, la chaleur dans l'air provient manifestement de l'influence des corps célestes ; de l'autre, le froid pourrait bien y venir de l'exhalaison terrestre, et pour la région moyenne, de l'influence des glaciers et des neiges, de telle sorte que l'air extérieur et libre, tel que nous pouvons l'observer, ne nous donnera pas la solution du problème, et qu'il faut recourir à l'air enfermé. On comprend d'ailleurs qu'il devrait être enfermé dans un vase tel et d'une telle substance, que l'air captif n'en subisse aucune influence du chaud ni du froid, et que toute communication avec l'air extérieur soit empêchée. Que l'on fasse l'expérience avec un pot de terre fermé très exactement par plusieurs bandes de cuir; que l'on garde l'air ainsi clos pendant trois ou quatre jours, et qu'ensuite, ouvrant le vase, on constate tout à coup la température, soit à la main, soit à l'aide d'un instrument très soigneusement gradué. 19° (opp. au 13°). On peut demander si la tiédeur de la laine, des peaux, des plumes et de tout ce qui est du même genre, provient d'une faible portion de chaleur qui leur est inhérente, en leur qualité d'excrétions d'êtres vivants, ou d'une certaine graisse et d'un principe huileux auquel la chaleur appartient en propre, ou de l'air enfermé et fouetté dans leurs replis, comme nous l'expliquions dans l'article précédent. Il parait, en effet, qu'une partie d'air quelconque, ne communiquant plus avec la masse de l'atmosphère, contracte une certaine chaleur. Il y aurait une expérience à faire sur des tissus de lin, par exemple, et non de laine, ou de plumes, ou de soie, qui sont des excrétions animales. Notons que les poudres, où il y a manifestement de l'air captif, sont toujours moins froides que les substances d'où on les tire ; et suivant nous, la mousse, qui contient une certaine quantité d'air, doit être moins froide que le liquide d'où elle sort. 20° (opp. au 14°). Ici, point de négative. Nous ne connaissons aucune espèce de substance, qui, approchée du feu, ne prenne point la chaleur. Il y a cependant une différence à noter : c'est que les unes s'échauffent promptement, comme l'air, l'huile et, l'eau; les autres, lentement, comme la pierre et les métaux. Mais ce sujet appartient à la table des degrés. 21° (opp. au 15°). Ici, comme expérience négative, nous n'avons rien à proposer, si ce n'est ce fait digne d'attention, que l'on ne tire des étincelles du caillou, de l'acier ou de toute autre substance dure, qu'en détachant de menues parcelles de la substance même. Le froissement. de l'air ne suffit pas pour produire des étincelles, comme on le croit vulgairement; on voit d'ailleurs les étincelles descendre plutôt que monter, ce qui s'explique par le poids des particules détachées; et quand l'éclat a cessé, on trouve un certain résidu fumeux. 22° (opp. au 16°). Il ne nous parait pas qu'il y ait ici de négative possible. Tous les corps que nous connaissons s'échauffent, d'une manière sensible par le frottement ; ce qui avait fait imaginer aux anciens que si les corps célestes ont la vertu d'échauffer, c'est par le frottement de l'air, effet de leur rotation rapide et précipitée. Mais en cette matière il faudrait de nouveaux éclaircissements ; on devrait examiner si les corps projetés par des machines, tels que les boulets et les balles, ne reçoivent pas de la percussion même quelque degré de chaleur; et, en conséquence, au moment de leur chute ne manifestent pas un certain échauffement. Cependant, l'air en mouvement rafraîchit plutôt qu'il n'échauffe; exemples le vent, les soufflets, le souffle de la bouche contractée. Il est vrai qu'un mouvement de ce genre n'est pas assez rapide pour produire la chaleur, et que c'est un mouvement unique, d'ensemble, et la résultante d'une multitude de mouvements partiels; par là, rien d'étonnant s'il ne produit pas de chaleur. 23° (opp. au 17°). Cette expérience doit être soumise à un contrôle fort exact. Il semble en effet que les herbes et tous les végétaux verts et humides recèlent en eux-mêmes quelque quantité de chaleur occulte. Cette quantité est si faible, qu'elle ne s'aperçoit pas au toucher dans chacun des pieds; mais dès qu'ils sont entassés et renfermés de sorte que leurs émanations ne se dissipent pas dans l'air, mais se concentrent et se fortifient mutuellement, alors se dégage une chaleur manifeste, quelquefois même la flamme dans une matière qui peut lui servir d'aliment. 24° (opp. au 18°). Cette expérience aussi doit être soumise à un contrôle très exact. Dans la chaux, arrosée d'eau, la chaleur se développe, soit à cause de la concentration du calorique auparavant dispersé (comme nous le disions des herbes entassées), soit à cause de l'excitation et d'une sorte d'exaspération de l'esprit de feu par l'eau, provoquant ainsi une lutte et un antagonisme. Pour discerner la cause véritable, il serait bon d'employer l'huile au lieu de l'eau. L'huile, en effet, aurait la méme efficacité pour concentrer la chaleur diffuse, mais non pour déterminer l'excitation. Il serait bon, d'ailleurs, de procéder à ces expériences sur une plus grande échelle, en essayant diverses espèces de cendres et de chaux, et d'une autre part diverses sortes de liquides. 25° (opp. au 19°). A l'expérience du fer et de l'étain, opposons comme négative celle des autres métaux qui se liquéfient plus facilement. Que l'on fasse dissoudre des feuilles d'or dans l'eau régale, on ne constatera aucun dégagement de chaleur; de même pour le plomb dans l'eau-forte; de même pour le mercure (si ma mémoire est exacte) ; l'argent dégage un peu de chaleur, le cuivre pareillement ; l'étain en produit beaucoup plus, mais il est encore loin, sous ce rapport, du fer et de l'acier, qui, dans la dissolution, produisent non seulement une forte chaleur; mais encore une violente ébullition. Il semble donc que la chaleur soit l'effet d'un conflit, l'eau-forte pénétrant, perçant, déchirant les corps, ceux-ci résistant. Lorsque les corps cèdent facilemènt, il ne se dégage presque point de chaleur. 26° opp. au 20°). A l'expérience positive de la chaleur des animaux, on n'oppose aucune négative, si ce n'est, comme on l'a dit, la température des insectes, conséquence de leur petitesse. Comparez les poissons aux animaux terrestres, vous aurez à noter plutôt la présence que l'absence de la chaleur. Les végétaux au contraire ne nous offrent aucune chaleur appréciable ; ni leurs organes, ni leurs gommes, ni leurs moelles récemment ouvertes. Il est vrai que dans le règne animal, la diversité est grande, relativement à la chaleur ; soit quant aux membres (le foyer de chaleur est au coeur pour certaines espèces, au cerveau pour d'autres, pour d'autres encore aux parties extérieures), soit quant aux accidents, comme dans l'exercice violent, dans la fièvre. 27° (opp. au 21°). Il serait difficile de citer ici une expérience contraire. Bien plus, les excréments d'animaux, même d'ancienne date, ont encore de la chaleur en puissance, comme on le voit dans l'action fécondante du fumier. 28° (opp. aux 22° et 23°). Les liquides (désignés sous les noms d'eau ou d'huile) qui ont beaucoup d'âcreté, produisent les effets de la chaleur, en dissolvant les corps, et en les brûlant après un certain délai ; et cependant, au toucher ils paraissent froids dès l'abord. Ils agissent d'ailleurs suivant leur affinité avec la substance qu'ils attaquent, et en raison de ses pores ; c'est ainsi que l'eau régale dissout l'or, et non pas l'argent ; que l'eau-forte, au contraire, dissout l'argent et non pas l'or ; ni l'une ni l'autre ne dissout le verre; et ainsi des autres dissolvants. 29° (opp. au 24°). Il serait, bon d'étudier les effets de l'esprit-de-vin sur le bois, sur le beurre, la cire, la poix ; d'observer s'il en détermine jusqu'à un certain point la liquéfaction, car la 24° expérience nous montre qu'il produit les effets de la chaleur dans les incrustations ; il faudrait savoir s'il en est de même pour la liquéfaction. Autre expérience à faire : qu'on prenne un tube gradué, à la manière des thermomètres, mais qui soit concave extérieurement à son sommet; qu'on verse dans cette concavité extérieure de l'esprit-de-vin bien rectifié, et qu'on la ferme d'un couvercle, pour que la chaleur ne se dissipe pas; que l'on voie ensuite, si par la chaleur de l'esprit-de-vin, l'eau a baissé dans le tube. 30° (opp. au 25e). Les aromates et les plantes qui sont âcres au palais excitent une sensation de chaleur, surtout quand on les prend intérieurement. II faudrait savoir quels autres effets de la chaleur il appartient encore à ces plantes de produire. Les navigateurs rapportent que lorsqu'on met la main à un dépôt de plantes aromatiques, enfermées depuis longtemps, il y a péril pour ceux qui, les premiers, procèdent à leur extraction, de contracter des fièvres ou des maladies inflammatoires. On ferait bien aussi d'expérimenter si les poudres des plantes de cette espèce sèchent le lard et les viandes suspendues, à l'instar de la fumée de nos foyers. 31° (opp. au 26°). L'âcreté ou la vertu dissolvante n'appartient pas moins aux liquides froids, comme le vinaigre et l'huile de vitriol, qu'aux liquides chauds, comme l'huile d'origan et autres semblables. Les uns et les autres provoquent la douleur dans les êtres animés, et dans les inanimés opèrent la séparation des parties, et ensuite la destruction. A cette expérience positive on ne peut en opposer de négative. Or, dans les êtres animés la douleur n'existe jamais sans une certaine sensation de chaleur. 32° (opp. au 27°). Le chaud et le froid produisent un assez grand nombre d'effets semblables, bien que ce soit par des procédés tout différents. Ainsi la neige semble, au bout d'un certain temps, brûler la main des enfants; le froid préserve les viandes de la corruption aussi bien que le feu ; la grande chaleur contracte quelquefois les corps, ce qui est l'effet propre du froid. Mais ces observations et d'autres semblables trouveront plus convenablement leur place dans l'étude expresse du froid.