[3,0] III. Les cyclopes, ou les ministres de terreur. Les poètes ont feint que Jupiter, indigné de la barbarie et de la férocité des cyclopes, les précipita dans le Tartare et les condamna ainsi à une éternelle prison; mais la déesse Tellus (la terre) lui persuada de les élargir et de les employer à fabriquer ses foudres. Le dieu ayant suivi ce conseil, ces cyclopes se mirent aussitôt à fabriquer des foudres et autres instruments de terreur, en travaillant sans relâche et avec un bruit menaçant. Mais dans la suite des temps, Jupiter, irrité contre Esculape, fils d'Apollon, parce qu'il avait ressuscité un homme par le pouvoir de son art, mais comme il cachait avec d'autant plus de soin cette colère (qui, n'étant excitée que par une action très louable en elle-même et qui avait été célébrée comme elle méritait de l'être, lui paraissait injuste à lui-même), il déchaina contre lui, par ses secrètes instigations, les cyclopes, qui obéirent aussitôt à ses ordres et fulminèrent Esculape. Apollon tira vengeance de ce meurtre en les perçant de ses flèches sans que Jupiter s'y opposât. Cette fable parait désigner allégoriquement la conduite de certains rois; car quelquefois les princes de ce caractère châtient et dépouillent de leurs emplois des ministres cruels et sanguinaires; mais ensuite, abusés par les conseils de Tellus, c'est-à-dire par des conseils peu généreux et peu honorables, soit pour ceux qui les donnent, soit pour ceux qui les suivent, ils rappellent ces ministres disgraciés et les emploient dans les occasions où ils croient avoir besoin d'exacteurs impitoyables et de sévères exécuteurs de leurs volontés. Ces derniers, qui sont cruels de leur nature et de plus aigris par le souvenir de leur disgrâce, ne manquent pas d'exécuter de tels ordres avec tout le zèle et toute la diligence possibles; mais comme ils manquent ordinairement de prudence et se hâtent trop d'exercer ce dangereux office pour se remettre en faveur tôt ou tard, excités par la connaissance qu'ils ont des intentions du prince, mais sans avoir reçu des ordres précis à ce sujet, ils se rendent coupables de quelque barbare exécution qui excite l'indignation universelle. Alors les princes, pour décliner l'odieux attaché à de telles actions, le rejettent sur ces ministres, les abandonnent tout-à-fait, et les laissent ainsi' exposés au ressentiment, aux délations et à la vengeance des parents ou des amis de ceux contre lesquels ils ont exercé leur cruauté. Enfin ils les livrent à la haine publique, et alors tout le peuple applaudissant, par de bruyantes acclamations, à la conduite du prince qui semble n'avoir d'autre but que celui de faire justice, et faisant mille voeux pour sa prospérité, ces ministres de terreur subissent, quoiqu'un peu tard, la peine qu'ils ont méritée.