[8,0] VIII. Du mouvement violent; les corps ne cèdent à l'impulsion ou à la percussion qu'à cause de la pression des molécules, bien que ce phénomène soit invisible. [8,1] Le mouvement violent, selon l'expression reçue, au moyen duquel les traits, les pierres, les flèches et les boulets volent dans les airs, est de tous les mouvements le plus vulgaire. Et cependant les hommes ont mis une négligence incompréhensible et inexcusable à en observer et à en rechercher la cause. C'est se rendre coupable d'une grave omission que de ne pas en étudier la nature et la puissance, puisque la connaissance de ce mouvement est d'une utilité sans bornes, et qu'elle est en quelque sorte l'âme et la vie de l'artillerie; des machines et de toute la science mécanique. Un grand nombre de philosophes croient que c'est avoir suffisamment approfondi le sujet qu'avoir trouvé la dénomination de mouvement violent et établi une distinction entre celui-ci et le mouvement naturel. S'appliquer à nommer les choses et non à les expliquer; enseigner à se tirer d'embarras par l'affirmation ou la négation, et à l'exprimer sans réfléchir ni se comprendre, voilà bien le caractère et le système particulier d'Aristote et de son école. D'autres montrent moins de légèreté, et, s'appuyant sur le principe que deux corps ne peuvent occuper la même place, ils disent que celui qui est le plus fort doit donner l'impulsion, et que celui qui est le plus faible y obéit; que cette obéissance ou fuite, si elle est produite par une force moins grande, ne dure qu'autant que la première impulsion est continuée, comme dans le broiement; mais que si l'on emploie une force plus grande, quand même le corps qui aura produit l'impulsion aura cessé d'agir, le mouvement se prolonge jusqu'à ce qu'il se ralentisse peu à peu, comme dans le jet du javelot. Ensuite, par une autre coutume de la même école, ils recherchent bien les principes de la chose, mais ils s'inquiètent peu de sa suite et de sa fin, comme si tous les autres points étaient une conséquence du premier. Il arrive de là que, par une impatience précipitée, ils abandonnent bientôt leur sujet. Ils parlent, il est vrai, de la cause qui fait que les corps obéissent au choc ; mais, après que le corps qui produit l'impulsion s'est éloigné, de sorte que la nécessité de la confusion des corps a entièrement cessé, ils ne disent pas pourquoi le mouvement continue, et ne semblent guère le comprendre eux-mêmes. D'autres enfin, qui ont mis plus de soin et de persévérance dans leurs recherches, ayant remarqué dans les vents et autres causes semblables la force de l'air, qui est capable de renverser les tours et les arbres, ont pensé que cette force, qui lance et accompagne les projectiles après la première impulsion, doit être attribuée à l'air, parce qu'il est agité en masse et avec violence derrière le corps qui est entrainé par son mouvement, comme, par exemple, un vaisseau l'est par un courant d'eau. Ceux-ci n'abandonnent pas leur sujet; ils l'examinent jusqu'au bout, mais pourtant ils s'écartent continuellement de la vérité. Voici comment le phénomène s'opère. Le mouvement principal semble exister dans les parties du corps même qui est soumis à l'impulsion, mouvement qui, à cause de son extrême rapidité, n'est pas perceptible et échappe à des observateurs trop peu attentifs et qui se contentent d'un examen trop superficiel. Mais, pour quiconque y apporte une sérieuse attentiop, il est évident que les corps durs se laissent difficilement comprimer, et qu'ils jouissent en quelque aorte d'une sensibilité très délicate; et ce fait est si vrai que, pour peu qu'on les fasse sortir de leur état naturel, ils tendent avec une grande force à recouvrer leur liberté et à retourner à leur ancien état. Pour y arriver, toutes les parties, à commencer par celle qui la première a reçu l'impulsion, se poussent et s'aident naturellement comme par une force extérieure, et il se fait un ébranlement et une commotion continuels et très intenses des parties, quoique ces impressions ne soient nullement visibles. Nous voyons ce phénomène s'opérer dans le verre, le sucre, et dans les substances fragiles du même genre, qui, lorsqu'on les coupe ou les sépare par un instrument tranchant ou un fer pointu, se brisent aussitôt dans les autres parties éloignées du trajet que parcourt le tranchant. Ce fait démontre d'une manière évidente la communication du mouvement de pression sur les parties subséquentes. Ce mouvement, après s'être communiqué à toutes les parties et en avoir mesuré la force, opère la solution dans la partie qui, d'après la disposition antérieure du corps, était moins compacte. Cependant ce même mouvement, tant qu'il parcourt toutes les parties et y porte le trouble, n'est point perceptible aux yeux, qui ne le perçoivent que lorsque la rupture ou solution de continuité s'est effectuée. Nous avons encore d'autres exemples : qu'on courbe et qu'on saisisse fortement, entre le pouce et l'index, par les extrémités, un fil de fer, une baguette, une partie dure d'une plume, ou tout autre corps, pourvu qu'il soit flexible et qu'il offre quelque résistance, on les verra s'élancer sur-le-champ aussitôt que cessera la pression. La cause de ce mouvement n'est certainement pas dans les extrémités qui sont serrées entre les doigts; mais elle est dans la partie moyenne qui supporte l'effort, et c'est pour s'en délivrer que ce mouvement se produit. Cette expérience démontre péremptoirement que la cause du mouvement que l'on tire de l'impulsion de l'air ne saurait être admise; car il ne se fait pas de percussion qui émette de l'air. Ceci se démontre encore par un exemple des plus simples : lorsque nous prenons des noyaux de prunes frais et encore visqueux, et que nous pressons un peu les doigts, nous les lançons ainsi à une grande distance. Dans ce nouvel exemple, la compression remplace la percussion. L'effet de cette sorte de mouvement se montre clairement par les conversions et les rotations continuelles des projectiles pendant leur course. Ils avancent, il est vrai, mais leur marche s'opère en décrivant des spirales, c'est-à-dire par un double mouvement de progression et de rotation sur eux-mêmes. Et ce mouvement spiral, tout rapide et néanmoins libre et commun aux objets qu'il puisse être, nous a fait douter s'il ne dépendait pas d'un principe plus élevé. Mais nous pensons qu'il n'a pas d'autre cause que celle dont nous nous occupons en ee moment ; car la pression d'un corps excite assez le mouvement dans ses parties ou dans ses molécules pour qu'elles s'échappent et se mettent en liberté par tous les moyens possibles. Le eorps n'est donc pas seulement poussé et lancé en ligne droite, mais il tente encore de s'échapper dans tous les sens, et de là sa rotation; et les deux moyens lui servent également a se délivrer. Il se passe dans les corps solides quelque chose d'insaisissable et de caché qui est évident et pour ainsi dire palpable dans les corps mous. En effet, de même que la cire ou le plomb, ou tout autre corps de ce genre, lorsqu'ils sont frappés du marteau, cèdent non seulement dans la direction du coup, mais encore sur les côtés et en tous sens, de même les corps durs et élastiques cèdent en droite ligne et en rond. Cette obéissance générale dans les corps mous, et particulièrement dans les corps durs, s'explique facilement; et cette propriété du corps dur, lorsqu'il court et s'élance, s'observe aisément dans la forme du corps mou. Qu'on n'aille pas toutefois penser qu'outre ce mouvement, qui est la cause première, nous n'attribuions pas quelque influence à l'air qui sert de véhicule, et qui peut seconder le mouvement principal, l'empêcher, le détourner ou même le diriger. Son influence est en effet très grande. L'interprétation du mouvement violent ou mécanique qu'on a négligée jusqu'ici est une source inépuisable pour la pratique.