LECTURE : Francis BACON (1561 - 1626) à, propos de la troisième période des lettres (suivant celles des Grecs et des Romains) dans laquelle il est impliqué : Francis Bacon, De la dignité et de l'accroissement des sciences, VIII, 3 : ... Sane, cum nobis ante oculos proponamus temporum horum statum, in quibus literae iam tertio ad mortales uidentur rediisse ; et una diligenter intueamur quam uariis iam nos inuiserint instructae praesidiis et auxiliis ; qualia sunt, ingeniorum nostri temporum complurium acumen et sublimitas ; eximia illa monumenta scriptorum ueterum, quae ueluti tot faces nobis praelucent ; ars typographica, libros cuiuscunque fortunae hominibus larga manu suppeditans ; oceani sinus laxati, et orbis ex omni parte peragratus, unde experimenta plurima priscis ignota comparuerunt, et ingens accessit Naturali Historiae cumulus ; otium, quo ingenia optima in regnis et prouinciis Europae ubique abundant, cum negotiis minus his in locis implicentur homines quam aut Graeci propter populares status, aut propter ditionum amplitudinem Romani solebant ; pax qua fruitur hoc tempore Britannia, Hispania, Italia, etiam nunc Gallia, et aliae regiones non paucae ; consumptio et exinanitio omnium quae uidentur excogitari aut dici posse circa controuersias religionis, quae tot ingenia iamdiu diuerterunt a caeterarum artium studiis ; summa et excellens Maiestatis tuae eruditio, cui (tanquam Phoenici uolucres) aggregant se undique ingenia; proprietas denique illa inseparabilis quae Tempus ipsum sequitur, ut ueritatem indies parturiat ; Haec (inquam) cum cogitamus, non possumus non in eam spem animum erigere, ut existimemus tertiam hanc Literarum periodum duas illas priores apud Graecos et Romanos longo interuallo superaturam ; modo saltem homines et uires suas, atque defectus etiam uirium suarum, probe et prudenter nosse uelint ; atque alii ab aliis, inuentionis lampada, non contradictionis torres, accipiant ; atque inquisitionem ueritatis pro incepto nobili, non pro delectamento aut ornamento putent ; atque opes ac magnificentiam impendant in res solidas et eximias, non in peruulgatas et obuias. Ad labores meos quod attinet, si cui libeat in eorum reprehensione aut sibi aut aliis placere, ueterem certe et ultimae patientiae petitionem exhibebunt illi; "Verbera, sed audi". Reprehendant homines quantum libuerit, modo attendant et perpendant quae dicuntur. Appellatio sane legitima fuerit (licet res fortasse minus ea indigebit), si a primis cogitationibus hominum ad secundas prouocetur, et ab aeuo praesenti ad posteros. ... ... Certes, lorsque, mettant sous nos yeux la disposition du temps où nous vivons; temps où les lettres semblent être revenues trouver les mortels pour la troisième fois, et que nous considérons en même temps les grands moyens, les grandes ressources dont elles sont armées dans cette troisième visite; la pénétration et la profondeur qui distingue un si grand nombre de génies de notre siècle; ces monuments admirables que les anciens nous ont laissés dans leurs écrits, et qui sont comme autant de flambeaux placés devant nous pour éclairer notre marche; l'art typographique, qui, d'une main libérale, distribue des livres aux gens de tout état; ces grandes navigations, par lesquelles l'océan a comme ouvert son sein à tous les mortels, voyages auxquels on a dû une infinité d'expériences inconnues aux anciens, et qui ont fait prendre à l'histoire naturelle un accroissement immense; ce loisir et cette tranquillité dont jouissent si complètement les meilleurs esprits dans les royaumes et les différentes provinces de l'Europe; les hommes de cette classe étant aujourd'hui moins embarrassés dans les affaires publiques, qu'ils ne le furent chez les Grecs, dont le gouvernement était populaire ; ou chez les Romains, à cause de l'étendue de leur empire; cette paix dont jouissent, à cette époque, la grande Bretagne, l'Espagne, l'Italie, la France même en ce moment, et une infinité d'autres contrées qui ne sont pas en petit nombre; l'épuisement de tout ce qu'il semble qu'on pouvait imaginer ou dire sur les controverses de religion, qui depuis si longtemps détournaient les esprits des autres genres d'études ; l'éminente et souveraine érudition de Votre Majesté, à laquelle semblent se rallier tous les esprits, comme les oiseaux au phénix ; enfin, cette propriété inséparable du temps, qui lui est comme inhérente, et dont l'effet est que la vérité va se découvrant de jour en jour : quand, dis-je, je réfléchis sur tout cela, il ne se peut que je n'élève assez haut mes espérances, pour penser que cette troisième période des lettres l'emportera de beaucoup sur les deux autres périodes qui eurent lieu chez les Grecs et les Romains; pourvu que les hommes veuillent connaître, avec autant de sincérité que de jugement, et leurs forces réelles, et ce qui leur manque à cet égard; et que, se passant, pour ainsi dire, de main en main, le flambeau des sciences, et non le boute-feu de la contradiction, ils regardent la recherche de la vérité comme la plus noble des entreprises, et non comme un objet d'amusement ou d'ornement; qu'ils signalent leur magnificence et emploient leurs fortunes dans des choses solides et dignes de leur attention, au lieu de les consumer à des choses triviales et qui se trouvent sous la main. Quant à ce qui regarde nos propres travaux, s'il plaisait à quelqu'un d'en faire un sujet de critique, il n'y gagnerait autre chose que de tirer de nous ce mot qui est le témoignage d'une souveraine patience : "frappe, mais écoute". {Pluttarque, Vie de Thémistocle, XI, 3} Que les hommes nous critiquent autant qu'ils le voudront; mais du moins qu'ils prêtent l'oreille, et qu'ils fassent attention à ce que nous leur disons; et ce serait choisir une voie d'appel très légitime (quoique peut-être un tel expédient ne fût pas des plus nécessaires), que d'en appeller des premières pensées des hommes à leurs secondes pensées, et du siècle présent à la postérité. ...