LECTURE : Francis BACON (1561 - 1626) : Un général préfère-t-il disposer d'une armée nombreuse ou d'une armée courageuse ? Francs Bacon, De le dignité et de l'accroissement des sciences, VIII, 3 : ... Urbes munitae, plena armamentaria, equorum propagines generosae, currus armati, elephanti, machinas atque tormenta bellica omnigena, et similia; sunt certe ista uniuersa nihil aliud quam ouis induta pelle leonina, nisi gens ipsa stirpe sua et ingenio sit fortis et militaris. Imo, nec numerus ipse copiarum multum iuuat, ubi milites imbelles sunt et ignaui. Recte enim Virgilius : "Lupus numerum pecorum non curat". Exercitus Persarum in campis Arbelae oculis Macedonum, tanquam uastum hominum pelagus, subiiciebatur ; adeo ut duces Alexandri, nonnihil ipso spectaculo perculsi, regem interpellarent, atque ut noctu praelium committeret ei auctores erant; quibus ille, "Nolo (inquit) suffurari uictoriam". Ea autem etiam opinione fuit facilior. Tigranes Armenius, castrametatus in quadam colle cum exercitu quadringentorum millium, cum spectaret aciem Romanorum, quae quatuordecim millia non excessit, contra se tendentem, in dicterio illo suo sibi complacuit : "Ecce (inquit) hominum pro legatione nimio plus quam oportet, pro pugna longe minus". Eosdem tamen, priusquam occubuisset sol, satin multos ad illum infinita strage profligandum expertus est. Innumera sunt exempla, quam sit multitudinis cum fortitudine congressus impar. ... ... Des villes fortifiées, des arsenaux pleins, des races généreuses de chevaux, des chariots armés, des éléphants, des machines de toute espèce. Qu'est-ce au fond que tout cela, sinon la brebis revêtue de la peau du lion, si la nation même n'est, et par sa race et par son génie, courageuse et guerrière ? Je dirai plus : le nombre même des troupes n'y fait pas beaucoup, dès que le soldat est sans force et sans courage; et c'est avec raison que Virgile a dit: "le loup ne s'inquiète guère du nombre des brebis". {Cfr. Virgile, Éclogues, VII, 52} L'armée des Perses campée dans les champs d'Arbelle, sous les yeux des Macédoniens, leur semblait un vaste océan d'hommes; en sorte que les généraux d'Alexandre, un peu étonnés de ce spectacle même, tâchaient de l'engager à livrer la bataille de nuit; non, non, répondit-il, "je ne veux pas dérober la victoire". {Plutarque, Vie d'Alexandre, XXXI : "οὐ κλέπτω τὴν νίκην," } Ce fut une opinion semblable à celle de ces généraux, qui rendit plus facile la défaite de Tigranes. Ce prince étant campé sur une certaine colline avec une armée de quatre cent mille hommes, et considérant l'armée romaine de quatorze mille tout au plus, qui marchait contre lui, dit à ses courtisans : "si ce sont-là des ambassadeurs, c'est beaucoup trop; mais si ce sont des soldats, c'est trop peu", et il se complaisait dans ce bon mot. Cependant avant le coucher du soleil il éprouva qu'il y en avait encore assez pour faire de ses gens un carnage effroyable. Il est une infinité d'exemples qui montrent combien entre la multitude et le courage le combat est inégal. ...