[0] SERMON X. JUGEMENT DE SALOMON. [1] Deux femmes se disputaient un petit enfant, et l'Écriture rapporte, aux livres des Rois, que Salomon prononça un jugement admirable. Voici l'histoire : « Deux courtisanes se présentèrent au Roi Salomon et s'arrêtèrent devant lui. L'une lui dit : Considérez, Seigneur. Nous demeurions, cette femme et moi, dans une même maison, et j'y suis accouchée. Trois jours après moi, elle-même est accouchée d'un fils. Nous étions ensemble dans cette maison et il n'y avait que nous deux. Le fils de cette femme est mort pendant la nuit, elle l'a étouffé en dormant. Et, se levant au milieu de la nuit, elle a pris mon fils entre mes bras, elle l'a placé sur son sein, et sur le mien son fils qui était mort. Je me levai le matin pour allaiter mon enfant, et il était mort ; je le considérai à la lumière, et ce n'était pas le fils que j'ai mis au monde. —Cette autre femme répondit: Tu n'as pas raison : c'est mon fils qui est vivant et le tien qui est mort. La première répondit à son tour : au contraire, c'est ton fils qui est mort, et le mien qui est vivant. Elles disputèrent ainsi devant le Roi. Le Roi reprit, s'adressant à elles : Tu dis, toi : Voici mon fils qui est vivant et le sien est mort; toi au contraire : Non, c'est le mien qui vit et le sien qui est mort. Apportez-moi une épée, continua le Roi. On apporta une épée en présence du Roi et il dit : Séparez en deux cet enfant qui vit, donniez-en moitié à celle-ci et moitié à celle-là. Alors la femme à qui appartenait le fils qui était vivant répondit, car ses entrailles s'étaient émues pour son fils : Considérez, Seigneur, donnez-lui l'enfant et ne le faites point mourir. L'autre, au contraire: Qu'il ne soit ni à moi ni à elle, mais partagez-le. Le Roi reprit la parole et s'adressant à la femme qui avait dit: Donnez-le lui et ne le faites pas mourir, il déclara : Voilà sa mère. » La divine prudence du Roi Salomon brille dans ce jugement d'un éclat admirable. Laquelle des deux femmes pouvait-on ou devait-on regarder comme étant la vraie mère de l'enfant, sinon celle qui le conçut en quelle sorte de nouveau lorsqu'elle vit qu'on le lui avait enlevé; qui de nouveau souffrit pour lui les douleurs de l'enfantement lorsqu'elle le défendit contre sa rivale, et qui de nouveau le mit au monde en ne le laissant point égorger ? Cependant comme les livres de l'ancien Testament, en rapportant fidèlement un fait accompli, ont l'habitude de faire entendre quelque prophétie mystérieuse; considérons si les deux femmes dont il est ici question signifient et figurent quelque chose. [2] Les deux femmes représentent tout d'abord l'Église et la Synagogue. La Synagogue n'est-elle pas convaincue d'avoir fait périr le Christ, son fils selon la chair, puisqu'il est né des Juifs? Elle l'a fait périr en dormant, c'est-à-dire quand se laissant entraîner aux fausses lumières de cette vie, elle ne vit point la vérité dans l'enseignement du Seigneur. Mais il est écrit : « Lève-toi, toi qui dors; lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera. » Si elles étaient deux et demeuraient seules dans la même maison, n'est-ce point parce que dans tout l'univers il n'y a, en fait de religion, que la Circoncision et la Gentilité ? L'une d'elles alors figurerait le peuple juif, réuni sous la loi et dans le culte d'un seul Dieu; l'autre désignerait tous les gentils, livrés à l'adoration des idoles. Toutes deux étaient des courtisanes car les Juifs et les Gentils, dit l'Apôtre, étaient également sous le poids du péché ; et toute âme qui abandonne l'éternelle vérité pour se souiller dans les plaisirs de la terre, est une vraie prostituée à l'égard de Dieu. Il est évident que l'Église qui s'est formée au sein de la gentilité prostituée n'a point mis à mort le Christ; mais comment peut-on dire quelle aussi soit la mère du Christ ? Il faut l'examiner. Songe donc à l'Évangile, écoute le Seigneur; il y dit: «, Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est ma mère, et mon frère et ma soeur. » Cette mère n'a point étouffé son fils durant son sommeil, mais on a pu le lui enlever plein de vie et mettre à sa place un enfant mort. Où donc s'est-elle endormie ? Le sacrement de la circoncision était comme mort pour les Juifs qui l'envisageaient charnellement; il ne vivait pas pour ces malheureux qui avaient mis à mort le Christ, la vie de tous les sacrements, car pour y puiser la vie il fallait comprendre dans un sens spirituel ce qui s'y faisait d'une manière visible ce sacrement de la circoncision était donc un corps sans âme. Or les Juifs voulurent y amener les Gentils convertis au Christ, comme il est écrit dans les Actes des Apôtres; ils assuraient qu'il était impossible d'être sauvé sans se faire circoncire : mais ils ne réussirent qu'auprès de ceux qui ignoraient la loi. N'était-ce point en quelque sorte profiter des ténèbres de la nuit pour substituer l'enfant mort ? Et la partie de l'Église des gentils qui se laissa persuader, n'était-elle point comme assoupie dans le sommeil de la déraison? Aussi l'Apôtre semblé la réveiller de ce sommeil lorsqu'il s'écrie : « O Galates insensés, qui vous a fascinés? » et un peu après: « Êtes-vous si insensés , qu'ayant commencé par l'esprit, vous finissiez maintenant par la chair?» Comme s'il disait : Êtes-vous si insensés qu'après avoir reçu un sacrement spirituel et vivant, vous en fassiez le sacrifice pour recevoir ensuite, des étrangers, un sacrement sans vie ? C'est en effet le même Apôtre qui dit ailleurs: « L'esprit vit à cause de la justification ; » et encore: «La prudence de la chair est la mort. » Ces paroles et d'autres semblables éveillent cette mère; la lumière du matin frappe ses yeux, lorsque la parole de Dieu, c'est-à-dire le Christ qui se levait ou qui parlait dans Paul, dissipe les ombres de la Loi. N'était-ce pas les dissiper que d'écrire : « Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n'avez-vous pas lu la loi? Car il est écrit Abraham eut deux fils, l'un de la servante et l'autre de la femme libre. Mais celui de la servante naquit selon la chair, et celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Ce qui a été dit par allégorie. Car ce sont les deux Alliances: « l'une sur le mont Sina, engendrant pour la servitude, est Agar, puisque Sina est une montagne d'Arabie qui se rattache à la Jérusalem actuelle, laquelle est esclave avec ses enfants; tandis que la Jérusalem d'en haut est libre. » Les œuvres mortes font mourir et les œuvres spirituelles font vivre. Est-il donc étonnant que le mort appartienne à la Jérusalem d'en bas, et que le vivant soit citoyen de celle d'en haut ? Le lieu des morts, l'enfer, n'est-il pas en bas ? La patrie des vivants, le ciel, n'est-il pas en haut? A cette lumière, comme à celle du matin, l'Église voit le prix de la grâce spirituelle. Aussi elle rejette, comme l'enfant mort de l'étrangère, les œuvres charnelles de la loi et revendique pour elle la foi vivante, celle dont vit le juste, comme il est écrit : Elle l'a obtenue au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit : aussi reconnaît-elle avec certitude ce fils de trois jours, elle ne souffre pas qu'on le lui ravisse. [3] Que la Synagogue crie maintenant que l'Évangile est à elle, qu'il lui est dû, qu'elle l'a comme enfanté. C'est ce qu'au milieu des débats disaient aux Gentils les Juifs charnels qui osaient se proclamer Chrétiens; ils prétendaient qu'ils avaient mérité l'Évangile par leur oeuvres de justice. Mais il ne leur appartenait pas, puisqu'il ne l'entendaient point dans le sens spirituel. Ainsi donc en se prétendant Chrétiens, ils se glorifiaient d'un nom qui n'était point le leur, et comme cette femme qui réclamait le fils qu'elle n'avait point mis au monde, ils osaient plaider. Après avoir exclu toute signification spirituelle des observances légales et avoir ainsi fait disparaître l'âme, après avoir éteint l'esprit de vie dans les oracles des prophètes, ils s'en tenaient aux œuvres mortes, c'est-à-dire aux œuvres qu'ils n'entendaient point au sens spirituel, et ils voulaient les faire adopter aux gentils pour leur enlever le nom chrétien, comme un fils plein de vie. L'Apôtre les réfute de la manière suivante d'après son enseignement, ils ont d'autant moins droit à la grâce chrétienne qu'ils la revendiquent avec plus d'orgueil comme étant due à leurs oeuvres. « A celui qui travaille, dit-il, le salaire n'est point attribué comme une grâce, mais comme une dette. Au contraire, à celui qui ne fait pas les œuvres, mais qui croit en Celui qui justifie l'impie, la foi est imputée à justice. » C'est pourquoi il les retranche du nombre même des Juifs qui avaient cru et s'attachaient à la foi vivante et spirituelle. Il dit de ceux-ci qu'ils sont le reste sauvé du peuple juif, quand la multitude s'est perdue. « De même donc aussi en ce temps, dit-il, un reste a été sauvé selon l'élection de la grâce. Mais si c'est par la grâce ce n'est point assurément par les oeuvres : autrement la grâce ne serait plus grâce. » Il veut ainsi exclure de la grâce ces superbes qui revendiquent l'Évangile comme une récompense due et accordée à leurs œuvres. La Synagogue semblait crier : C'est mon fils ; mais elle mentait. Elle aussi l'avait reçu; mais elle l'avait mis à mort dans son sommeil, c'est-à-dire dans son orgueilleuse raison. Cependant la vraie mère était éveillée déjà; femme de mauvaise vie, elle comprenait que ce n'était pas à cause de ses mérites, mais uniquement par grâce, que Dieu lui avait accordé un fils, le don de vivre selon la foi de l'Évangile, qu'elle désirait faire vivre sur son coeur. Ainsi l'une cherchait la gloire des hommes en s'appropriant un fils qui n'était pas à elle, et l'autre conservait pour son propre fils toute l'affection de son coeur. [4] Que nous apprend le jugement prononcé par le Roi sur ces deux femmes ? Évidemment à combattre pour la vérité; à repousser, comme une fausse mère, l'hypocrisie qui veut se jeter, comme sur l'enfant d'une autre sur les dons spirituels de l'Église, et à ne pas souffrir qu'incapable de conserver la grâce qui lui a été accordée, elle reçoive le pouvoir de la dispenser aux fidèles. Cette défense et ce combat ne doivent pas aller néanmoins jusqu'au schisme. En ordonnant de partager l'enfant, Salomon ne rompit pas l'unité, il éprouva l'amour maternel. Aussi son nom, dans notre langue, signifie-t-il Pacifique. Ce Roi pacifique ne met pas en lambeaux les membres dont l'unité et la concorde maintiennent l'esprit de vie : par ses menaces il découvre quelle est la mère véritable, et par sa sentence il éloigne celle qui ne l'est pas. Si donc nous sommes exposés à voir quelquefois se briser l'unité de la grâce chrétienne, apprenons à dire : « Donnez-lui l'enfant, qu'il vive au moins! » Une mère véritable ne cherche point son propre honneur mais le salut de son fils. Le pur amour que lui porte sa mère fait que ce fils est plus à elle, en quelque lieu qu'il soit, qu'il n'appartient à celle qui s'est emparée de lui. [5] Ces deux femmes dans une même maison représentent aussi, je le vois, deux classes d'hommes dans la même Église: dans les uns règne la vraie charité; dans les autres domine l'hypocrisie et nous pouvons considérer, comme deux femmes, la charité et la dissimulation, laquelle n'est autre chose que l'imitation menteuse de la charité. Aussi l'Apôtre recommande-t-il de l'éviter : « Que la charité, dit-il, soit sans dissimulation. » Elles habitent la même demeure tant que les filets évangéliques sont encore sur la mer, tant qu'ils renferment encore les poissons bons et mauvais que l'on traîne vers le rivage; chacune d'elles cependant agit à sa manière. Toutes deux ont mené mauvaise vie, puisqu'il n'est personne qui ne renonce à l'amour du siècle pour s'attacher à la grâce de Dieu et qui se puisse réellement glorifier des mérites acquis antérieurement. Si une femme s'abandonne au crime, c'est son fait; si elle met au monde un fils, elle le doit à Dieu. C'est que tous les hommes sont formés par un même Créateur; et il ne faut pas s'étonner que Dieu tire le bien du péché des hommes. N'est-ce pas de, l'horrible trahison de Judas que notre Sauveur a fait jaillir le salut du genre humain? Mais ici quelle différence! Quand Dieu tire le bien du mal, c'est souvent malgré le coupable. Celui-ci en péchant n'avait pas en vue la justice que la divine Providence fait jaillir de son péché : Judas ne livra point le Sauveur avec l'intention qui porta le Christ à se laisser livrer. De plus quand le pécheur connaît l’effet qui résulte de son acte et qui traverse ses desseins, il s'en afflige plutôt qu'il ne s'en réjouit. Ainsi un misérable veut donner du poison à son ennemi malade, mais il se trompe et lui présente un remède salutaire. Dieu a voulu dans sa bonté faire sortir la santé du crime et le malade est guéri. Mais le coupable, en l'apprenant, souffre de la guérison qu'il a involontairement procurée. Arrive-t-il au contraire que la femme de mauvaise vie s'estime heureuse d'avoir conçu un fils, et qu'elle évite de le détruire, sans égard pour la passion, pour le désir d'un honteux salaire ni pour les embarras que lui cause la fécondité? On désignera alors sous le nom d'amour et non plus de convoitise, cette convoitise qui se donnait à tous et qui s'attache maintenant à l'enfant que Dieu lui a donné. On peut donc voir dans cet enfant la grâce accordée à la pécheresse. Mais il faut le pardon des péchés pour que l'homme nouveau naisse de l'ignominie du vieil homme. [6] Considérez par exemple tous les disciples du Seigneur. Tous ont été choisis par les pécheurs: néanmoins il a choisi ceux d'entre eux qui devaient persévérer dans la charité avant de choisir l'hypocrite Judas. L'histoire ne dit pas dans quel ordre ce dernier a été appelé ; il est sûr néanmoins, que les bons furent choisis avant lui, et s'il est nommé le dernier, ce n'est pas sans motif. Le Saint-Esprit, après l'Ascension du Seigneur fut envoyé comme il avait été promis et il se répandit dans tous ceux qu'il trouva réunis au cénacle : ainsi les premiers membres étaient bons, leur charité sans dissimulation. Plus tard seulement l'hypocrisie se révéla par ses oeuvres au sein de la société chrétienne. C'est pourquoi la charité enfanta la première et pendant trois jours son fruit se développa suffisamment pour que l'on put voir en lui continence, justice, attente des biens futurs. La dissimulation enfanta à son tour, c'est-à-dire qu'elle se réjouit un moment du pardon de ses péchés: mais bientôt, comme abattue par le sommeil de l'amour du siècle, elle se détache de l'espoir des récompenses célestes, laisse son coeur appesanti s'affaisser dans le repos de la terre, et comme endormie alors elle étouffe le pardon qu'elle avait mérité par sa foi. Ces hommes préfèrent à la réalité le nom de la justice; et par des fourberies cachées, comme à l'aide des ténèbres de la nuit, ils essaient de s'attribuer menteusement le fils vivant, les mérites d'autrui. Non contents de revendiquer les bonnes oeuvres des autres, ils vont jusqu'à reprocher à leurs frères leurs propres crimes ? N’est-ce pas substituer l'enfant mort ? [7] A quelle époque la dissimulation pourra-t-elle, sans obstacle, se glorifier sous le nom menteur de la justice ; s'attribuer par orgueil le titre usurpé de mère et les oeuvres spirituelles et vivantes quelle n'a point produites, qu'elle avait conçues pourtant, puis étouffées sous le poids d'un cruel sommeil ; accuser enfin les bons et les innocents des crimes commis par elle ? A quelle époque la dissimulation règnera-t-elle ainsi ? N'est-ce pas à l'époque où l'iniquité abondera, c'est-à-dire où les œuvres de ténèbres prévaudront comme à l'aide de l'obscurité d'une nuit sombre; et où la charité de beaucoup se refroidira, c'est-à-dire où cette mère des oeuvres spirituelles s'endormira comme s'est endormie la mère du fils vivant ? Ce refroidissement de la charité sera une diminution d'ardeur; car il n'est pas dit qu'elle s'éteindra, qu'elle ne sera plus. Ainsi la mère de l'enfant s'endormit sans faire périr son fils, pourtant elle donna lieu aux feintes de la dissimulation. Mais à son réveil elle entendra les impies lui reprocher l'impiété qui est leur œuvre et non la sienne ; elle verra la dissimulation se glorifier des oeuvres spirituelles de la grâce qu'elle-même a conservée avec soin, se dire la mère des bonnes oeuvres et l'accuser même d'injustice : alors elle implore le secours du juge pacifique, du vrai Salomon. Salomon rend deux sentences. La première semble dénoter, qu'il ignore la vérité ; la seconde témoigne qu'il prononce avec une parfaite connaissance. La première propose le combat à la piété, la seconde décerne la couronne au vainqueur. Dans la première se révèle la véritable mère, dans la seconde elle est comblée de joie. Dans la première elle abandonne en pleurant le fruit de ses entrailles, â la seconde elle rapporte ses gerbes avec une vive allégresse. Ceci fait allusion, dans la vie de l'Église, à deux temps que règle Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Juge pacifique : l 'un est le présent, l'autre l'avenir: l'un est le temps de l'épreuve, l'autre celui du couronnement. [8] Mais la charité ne saurait se révéler, dans l‘Eglise du Christ, d'une manière plus éclatante, qu'en méprisant même l'honneur humain, pour ne pas diviser les membres de l'enfant et ne point déchirer les chrétiens faibles en déchirant l'unité. L'Apôtre en effet a dit qu'il a été une mère pour ces petits du Christ au milieu desquels il avait répandu la bonne semence de l'Évangile, non pas lui toutefois, mais la grâce de Dieu avec lui. Car cette courtisane n'avait à elle que ses péchés;. sa fécondité était un don de Dieu; don qui devait l'attacher d'autant plus au Bienfaiteur, qu'elle ne méritait que le supplice ; aussi le Seigneur a dit d'elle avec raison : « Celle à qui on remet davantage, aime davantage. » L'apôtre Paul dit donc : « Je me suis fait petit parmi vous, comme une nourrice qui soigne ses enfants.» Mais lorsqu'en recherchant une gloire qui ne lui est pas due, la Dissimulation expose l'enfant à être partagé et ne craint pas de rompre l'unité; que pour conserver tous les membres et la vie à son fils, la mère sache alors mépriser son honneur personnel. Ne pourrait-il pas arriver qu'en revendiquant avec trop d'opiniâtreté sa gloire de mère, elle donne lieu à la Dissimulation de diviser par le glaive les membres délicats du nouveau-né ? Qu'elle dise donc alors avec sa maternelle affection : « Donnez-lui l'enfant. — Qu'importe! pourvu que le Christ soit annoncé, ou par occasion, ou par un vrai zèle. » N'est-ce pas cette Charité qui crie dans Moïse « Seigneur, pardonnez-leur ou effacez-moi du livre de vie ? » C'est la Dissimulation au contraire qui dit par la bouche des Pharisiens : « Si nous le laissons, les Romains viennent, ruinent notre pays et notre nation. » Ce qu'ambitionnaient ces Pharisiens, ce n'était pas d'être, mais de paraître justes ; ils voulaient par le mensonge obtenir l'honneur qui n'est dû qu'à la justice. Dieu permit toute fois que la Dissimulation qui régnait en eux s'assit sur la chaire de Moïse, et le Seigneur put enseigner: « Faites ce qu'ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Il voulut que jouissant d'une considération imméritée, ils nourrissent les petits et les faibles de la vérité des Écritures. De la Dissimulation même vient le crime d'avoir étouffé dans la pesanteur de son sommeil l'homme nouveau qu'elle avait reçu de la grâce divine : mais le lait de la foi est en elle sans venir d'elle ; car après le meurtre de son enfant, symbole de la vie nouvelle, la Dissimulation, malgré ses mauvaises moeurs, conserve dans sa mémoire comme dans de fécondes mamelles, les enseignements de la foi et la doctrine que le Christ fait distribuer à tous ceux qui s'approchent de l'Église ; et la marâtre même pouvait donner de ce lait de la vraie foi à l'enfant étranger qui prenait son sein. Ce qui rassure la mère véritable, c'est que les hypocrites même dans l'Eglise, nourrissent son enfant du lait de la toi catholique et des divines Écritures, c'est qu'en s'opposant au partage elle a conservé l'unité, c'est que la dernière sentence du juge, emblème du jugement suprême du Christ, a mis en relief sa charité, cette charité qui n'a pas craint de céder devant la Dissimulation, pour conserver la vie de l'enfant et, affermir l'unité, pour maintenir en lui l'amour vivifiant et les pieux embrassements de sa mère, pour lui assurer enfin la jouissance de son éternel bonheur.