[1,0] DES UNIONS ADULTÈRES. LIVRE PREMIER. Pour quel motif une femme peut-elle se séparer de son mari? - Convient-il que l'époux chrétien quitte son épouse infidèle? [1,1] CHAPITRE PREMIER. 1. Pollentius, mon frère bien-aimé, la première question que vous avez comme traitée dans votre lettre, tout en me consultant, a pour objet ces paroles de l'Apôtre : « Quant à ceux qui sont engagés dans le mariage, j'ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, à la femme de ne point se séparer de son mari ; si elle s'en sépare, qu'elle vive dans la continence ou quelle se réconcilie avec son époux, et que l'homme ne se sépare point de sa femme (I Cor. VII, 10, 11). Doit-on interpréter ces paroles en ce sens que le mariage soit interdit à toute femme qui se sépare, sans que son mari puisse être convaincu de fornication? Vous répondez affirmativement. Quant à moi, dans mes Commentaires du Sermon sur la montagne, tel que le rapporte saint Mathieu, j'ai soutenu que cette défense d'un second mariage a été prononcée contre toute femme qui se sépare légitimement de son mari, c'est-à-dire pour cause de fornication. Vous dites que si une femme, sans y être forcée par la fornication de son mari, se sépare de lui, elle doit s'interdire un second mariage. Vous oubliez donc que si son mari ne se rend coupable d'aucune fornication, il est interdit absolument à cette femme de se séparer, et non seulement de garder la continence; car lorsqu'il est prescrit à celle qui se sépare de rester dans la continence, ce n'est pas le pouvoir de se séparer qu'on lui enlève, mais celui de contracter au nouveau mariage. D'après vos principes, les femmes à qui il plairait de vivre dans la continence pourraient se passer du consentement de leurs époux, sans tenir aucun compte du «précepte imposé à la femme de ne point se séparer de son mari »; puisqu'elles pourraient non pas adopter la continence, mais se permettre un divorce qui les laisserait libres de contracter un nouveau mariage ? Qu'il arrive à une femme de prendre en dégoût le mariage et ses suites, il lui sera donc permis de se séparer de son mari sans avoir à alléguer pour motif la fornication, pourvu que, selon le précepte de l'Apôtre, elle reste dans la continence ? De leur côté, car leur sort ne peut pas être différent, les hommes, s'il leur plaît de se livrer à la continence, pourront quitter leur femme sans avoir obtenu leur consentement, pourvu qu'ils ne contractent pas un nouveau mariage ? Si ce divorce avait pour cause la fornication, vous soutenez qu'on pourrait contracter un nouveau mariage. Quand cette cause n'existe pas, il faut, selon vous, ou ne pas se séparer, ou rester dans la continence, si l'on se sépare, ou renouer le premier mariage. Donc, quand il n'existe pas de fornication, chaque époux peut choisir entre ces trois partis différents : ou bien ne pas se séparer, ou bien si l'on se sépare rester dans la continence, ou bien se réconcilier avec son premier époux, sans en chercher un autre ? [1,2] CHAPITRE II. 2. Est-ce que le même Apôtre ne défend pas aux époux de se refuser le devoir conjugal, si ce n'est que tous deux y consentent, lors même que ce refus ne serait que pour un temps et afin de se livrer à la prière ? Autrement, que deviendraient ces paroles : « Pour éviter la fornication, que chaque homme conserve sa femme et chaque épouse son mari ; que l'homme rende le devoir à sa femme et la femme à son époux; le corps de l'épouse n'appartient pas à elle, mais à son mari ; de même c'est à la femme qu'appartient le corps du mari (I Cor. VII, 2-5) ? » Pour que ces paroles soient vraies, ne faut-il pas que l'un des époux ne puisse, sans le consentement de l'autre, se livrer à la continence ? En accordant à la femme le pouvoir de quitter son mari, et de rester dans la continence, vous lui donnez tout pouvoir sur son propre corps, à l'exclusion de son mari; il faut en dire autant de l'époux. Nous lisons encore. «Celui qui se sépare de sa femme, excepté pour cause de fornication, la rend adultère (Matt. V 32) ». Dans ces paroles, peut-on voir autre chose qu'une défense faite à l'homme d'abandonner sa femme, si aucune fornication ne l'y autorise ? La raison de cette défense, c'est qu'il rend sa femme adultère ; d'où il suit, qu'en contractant un nouveau mariage, une femme se rend coupable d'adultère, non pas seulement quand c'est elle-même qui s'est séparée, mais aussi quand elle a été renvoyée. C'est pour éviter un aussi grand mal, qu'il est défendu à l'homme de renvoyer sa femme, si ce n'est pour cause de fornication. Dans ce dernier cas, il la renvoie adultère, il ne l'expose pas à le devenir. Pouvons-nous regarder comme innocent celui qui nous dirait : Je renvoie ma femme sans aucune cause de fornication, mais je resterai dans la continence? Peut-on tenir ce langage quand on comprend la volonté de Dieu clairement formulée dans les paroles que nous avons citées ? Ne permettre le divorce que pour cause de fornication, c'était le refuser pour cause de continence. [1,3] CHAPITRE III. 3. Revenons à ces paroles de l'Apôtre « Quand à ceux qui sont dans le mariage, j'ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, à la femme ne de ne point se séparer de son mari ; si elle se sépare, qu'elle reste dans la continence ». Qu'il nous permette de l'interroger comme s'il était présent devant nous: Pourquoi, ô Apôtre, ces mots : « Si elle se sépare, qu'elle demeure dans la continence ? » Est-il permis, oui ou non, de se séparer ? Si cela n'est pas permis, pourquoi ordonner à celle qui se sépare de rester dans la continence ? Si cela est permis, cette permission doit assurément avoir quelque raison d'être. Quelle est cette raison ? Je n'en trouve aucune autre que la raison formulée par le Sauveur, je veux dire la fornication. Quand donc l'Apôtre condamne à la continence la femme qui se sépare de son mari, il s'adresse évidemment à celle qui s'en sépare pour le seul motif qui rend cette séparation légitime. En effet voici le précepte : « J'ordonne à la femme de ne point se séparer; si elle se sépare, qu'elle reste dans la continence ». Cette défense doit être respectée par celle qui se sépare; celle-ci doit donc rester dans la continence. S'il n'est pas ici question de la femme qui a le pouvoir de se séparer (et elle n'a ce pouvoir qu'en raison de la fornication de son mari) comment lui ordonner de rester dans la continence si elle se sépare ? Ce serait mettre sur les lèvres de l'Apôtre ce langage absurde si une femme se sépare de son mari sans que celui-ci se soit rendu coupable de fornication, qu'elle reste dans la continence, et cependant il est absolument défendu à une femme de quitter son mari quand il n'est point adultère ! Je pense que vous comprenez maintenant combien votre interprétation est opposée au lien conjugal, puisque le Seigneur n'autorise les époux à embrasser la continence, même pour un temps, que quand tous deux y sont pleinement consentants. [1,4] CHAPITRE IV. 4. Mais insistons encore d'avantage, poussons les choses jusqu'à la dernière évidence. Voici qu'une femme s'éprend d'amour pour la continence, tandis que le mari n'en veut point. La femme se sépare, dans l'intention de rester chaste; en même temps, contre le précepte formel du Sauveur, elle va rendre son mari adultère, car ne pouvant se contenir il cherchera une autre épouse. Quel langage tenir à cette femme, sinon celui-ci que l'Eglise lui adresse avec tant de sagesse : Rendez le devoir à votre époux, de peur que cherchant pour vous-même un plus haut degré de gloire, vous ne lui fassiez trouver pour lui un sujet de condamnation ? C'est là aussi ce que nous lui dirions à lui-même, si, contre votre consentement, il voulait se livrer à la continence. En effet ce n'est plus à vous que votre corps appartient, mais à votre mari; comme c'est vous, et non pas lui, qui avez pouvoir sur son propre corps. Ne vous refusez donc pas réciproquement le devoir, si ce n'est d'un consentement mutuel. Et quand nous aurons fait ces observations et d'autres encore, que penseriez-vous de cette femme, si, s'appuyant sur votre interprétation, elle nous répondait : J'entends l'Apôtre dire : « J'ordonne à la femme de ne point se séparer de son mari ; si elle s'en sépare, qu'elle reste dans la continence ou qu'elle se réconcilié avec son époux » ; or je me suis séparée, je ne veux pas me réconcilier et je reste dans la continence ? En effet l'Apôtre ne dit pas: si elle se sépare, qu'elle reste dans la continence jusqu'à ce qu'elle se réconcilie avec son mari ; mais quelle reste, dit-il, dans la continence ou qu'elle se réconcilie avec son mari. Qu'elle prenne l'un ou l'autre de ces deux partis; car elle a le choix entre les deux, elle n'est pas obligée à l'un plutôt qu'à l'autre. Donc je choisis la continence, et dès lors j'accomplis le précepte. Si je contracte un autre mariage, corrigez-moi alors, prodiguez contre moi les reproches et les menaces, usez de toute la sévérité qu'il vous plaira. [1,5] CHAPITRE V. RÉFUTATION. 5. Quelle autre réponse pourrai-je faire, que celle-ci : Vous ne saisissez pas bien le sens de l'Apôtre ? En ordonnant à la femme, qui se sépare de son mari de rester dans la continence, il s'adresse à la femme qui a le pouvoir de s'en séparer ou qui s'en sépare légitimement, c'est-à-dire pour cause de fornication. Il est vrai qu'il ne mentionne pas ici ce motif, mais c'est uniquement parce qu'il est trop connu. C'est là, en effet, la seule cause mentionnée par le Sauveur; quand il parlait de la séparation des époux, il laissa tirer la conclusion facile que le sort de la femme n'était pas différent de celui du mari, puisque chacun des deux époux a cessé d'avoir droit sur son propre corps, pour avoir droit sur le corps de son époux. Voici donc que vous ne pouvez convaincre votre mari du crime de fornication, et vous pensez qu'en vous abstenant de contracter un. nouveau mariage, vous justifiez pleinement votre séparation d'avec un mari qu'il vous est absolument défendu de quitter? -En entendant notre réponse je pense bien que vous ne souffrirez pas que cette femme nous abjecte, qu'elle demeure dans la continence, parce qu'elle s'est séparée de son mari, sans aucune cause de fornication; carte serait lui donner le droit d'ajouter que si son mari eût commis la fornication, non-seulement elle aurait pu se séparer mais encore contracter un nouveau mariage. [1,6] CHAPITRE VI. 6. Mais sans doute qu'elle n'oserait pas porter jusque-là sa témérité, car vous avez rougi vous-même de donner aux femmes cette autorisation. En effet, voici vos paroles : « Si un homme se sépare de sa femme surprise en adultère, et en épouse une autre, toute la honte rejaillit sur la femme coupable. Mais si une femme se sépare d'un mari adultère et en épouse un autre, l'ignominie retombe à la fois sur elle et sur son premier époux ». Vous donnez ensuite la raison suivante de votre sentiment - « En effet, ajoutez-vous, on dira de cette femme qu'elle n'a quitté son mari que pour en épouser un autre, qui peut-être ne ressemblera que trop au premier ; car la pente de l'adultère est si facile aux hommes ! Si donc elle abandonne le premier et en épouse un autre, on conclura de plus en plus qu'elle recherche la pluralité des époux ». Puis vous concluez et vous dites : « Tout cela étant bien pesé et discuté, il faut que la femme tolère son mari ou quelle reste dans la continence ». Quel bon conseil vous donnez aux femmes ! Vous leur avez permis, si elles se séparent de maris adultères, de contracter de nouveaux mariages, mais vous les en détournez pour leur épargner la honte d'une telle conduite; vous leur conseillez de tolérer la présence de leur mari adultère, plutôt que de paraître rechercher la pluralité des époux; car il leur serait difficile de ne pas s'exposer aux mêmes inconvénients, puisque l'adultère est une maladie si commune parmi les hommes. Ainsi nous adressant à cette femme, qui se sépare d'un mari adultère, nous lui disons, nous, qu'un second mariage lui est défendu; et vous, vous lui dites que ce mariage lui est permis, mais ne lui est pas avantageux; malgré la différence du motif, nous sommes d'accord tous les deux pour lui dire qu'elle ne doit point contracter un nouveau mariage. Cependant il est entre nous une grande différence. En effet, quand les deux époux sont chrétiens, nous déclarons à la femme dont le mari est coupable d'adultère, qu'elle peut se séparer de lui, mais qu'il lui est défendu d'en épouser un autre; et à celle dont le mari n'est pas fornicateur qu'elle ne peut pas le quitter. Vous, au contraire, vous permettez à une femme dont le mari n'est pas adultère de s'en séparer, mais en lui rappelant qu'un précepte lui défend de contracter un nouveau mariage; et si son mari est adultère, en lui reconnaissant le droit absolu, de se remarier, vous le lui défendez non pas en vertu d'un précepte, mais au nom de l'opprobre dont elle se couvrirait. Donc, pourvu qu'une femme veuille rester dans la continence, vous lui permettez de se séparer de son mari, qu'il soit adultère ou innocent, peu importe. [1,7] CHAPITRE VII. 7. Or l'Apôtre, ou plutôt le Seigneur lui-même, par l'organe de l'Apôtre, défend absolument à une femme de se séparer de son mari, quand il n'est pas adultère. Reste à montrer que dans le cas où la séparation est permise, un second mariage est absolument défendu. Cette démonstration est facile, car il est dit de celle qui se sépare qu'elle ne doit point se remarier; on ne lui permet de se séparer qu'à la condition qu'elle ne se remarie pas. Si donc elle est bien résolue à ne pas se remarier, rien ne l'empêche de se séparer, C'est ainsi que l'on dit de celle qui ne peut pas rester dans la continence, qu'elle peut se marier (I Cor. VII, 9) ; il lui est permis de ne pas garder la continence, mais à la condition qu'elle se marie. Si donc il lui plaît de se marier, il n'y a pas de raison pour la forcer à rester dans la continence. De même que l'on prescrit le mariage à celle qui est incontinente, afin que son incontinence ne lui soit point une cause de damnation; de même la femme qui se sépare de son mari, est obligée de rester dans la continence, afin que sa séparation ne lui devienne pas une occasion de crime. Or, c'est un crime de se séparer d'un mari qui n'est pas adultère, lors même qu'on resterait dans la, continence. C'est donc uniquement pour celle qui se sépare d'un mari adultère qu'est formulé le précepte de rester dans la Continence. Donner au texte de l'Apôtre une interprétation différente, ce serait dire aux femmes : « Gardez-vous de vous séparer de vos époux fidèles; pourtant, si vous voulez vous en séparer, prenez soin de rester dans la continence. Sur une telle proposition, toutes celles à qui la continence sourirait, sans attendre aucun consentement de leurs époux, se croiraient autorisées à s'en séparer. Evidemment ce serait là un crime; d'où je conclus que le précepte imposé à celle qui se sépare, de rester dans la continence, s'applique uniquement et directement à celle à qui seule la séparation est permise, en raison de l'infidélité de son époux. Professer une autre doctrine, ce serait jeter le trouble dans les mariages chrétiens, sous prétexte de se livrer à la continence; ce serait précipiter dans l'adultère une foule d'hommes incontinents, abandonnés, contre le précepte miséricordieux du Seigneur, par leurs épouses continentes, ou de femmes incontinentes, délaissées par leurs maris capables de continence. [1,8] CHAPITRE VIII. 8. Nous lisons, non plus dans le sermon sur la montagne, mais dans un autre passage, les paroles suivantes : « Tout homme qui abandonne sa femme, à moins que ce ne soit pour cause de fornication, et en épouse une autre, commet un adultère (Matt. XIX, 9) ». Si on interprète ces paroles en ce sens que l'on peut abandonner sa femme pour cause de fornication et en épouser une autre sans se rendre coupable d'adultère, il devient nécessaire de conclure que sur le même point la condition de la femme est inférieure à celle de l'homme. En effet, tandis que la femme qui se sépare de son mari pour cause de fornication et en épouse un autre, commet un adultère, le mari qui abandonne sa femme pour la même raison, peut, sans se rendre coupable d'adultère, épouser une autre femme. Au contraire, si la condition est la même pour tous les deux, tous les deux commettent l'adultère en contractant un nouveau mariage, lors même que la séparation aurait pour cause la fornication. Or, l'apôtre saint Paul établit la similitude parfaite de condition pour l'homme et pour la femme, dans ce passage que nous devrons citer très-souvent : « La femme n'a plus pouvoir sur son propre corps, ce pouvoir appartient au mari; de même le mari n'a plus pouvoir sur son propre corps, ce pouvoir appartient à la femme ». [1,9] CHAPITRE IX. 9. Mais pourquoi, me dites-vous, le Seigneur a-t-il mentionné spécialement la fornication, plutôt que de dire d'une manière générale: tout homme qui se sépare de sa femme et en épouse une autre, se rend coupable d'adultère, puisque c'est s'en rendre coupable que de contracter un nouveau mariage après avoir renvoyé sa femme pour cause de fornication? Je réponds, le Seigneur a voulu exprimer le cas du péché le plus grave. Comment nier, en effet, que l'adultère que l'on commet en renvoyant une femme innocente, pour en épouser une autre, ne soit pas frappé d'un caractère plus profond d'indignité que celui que l'on commet en renvoyant une femme infidèle pour en épouser une autre?-Je ne dis pas que dans cette dernière hypothèse il n'y ait pas d'adultère, je soutiens seulement qu'il est plus excusable que dans la première supposition. L'apôtre saint Jacques emploie à peu près cette formule de langage quand il écrit : « Celui qui connaît le bien qu'il doit faire et ne le fait pas, se rend coupable de péché (Jacq. IV, 17) ». Est-ce que nous regarderons comme innocent celui qui, ne sachant pas faire le bien, ne le fait pas? Assurément celui-là même est coupable, mais il l'est moins que celui qui, le sachant, ne le fait pas; il n'y a qu'une différence du plus au moins. Rapprochons maintenant ces deux propositions : De même que tout homme qui renvoie sa femme, sans le motif de fornication, et en épouse une autre, commet l'adultère, de même quiconque connaît le bien qu'il doit faire et ne le fait pas, commet un péché. Dira-t-on que celui qui ignore ce qu'il doit faire ne pèche point en ne le faisant pas? Comme principe, cette proposition est fausse, car il y a des péchés commis dans l'ignorance, quoiqu'ils soient moins coupables que quand ils sont accompagnés d'une pleine connaissance. De même, il serait faux de dire : celui qui, pour cause de fornication, abandonne sa femme et en épouse une autre, ne commet point l'adultère. En effet, l'adultère s'applique aussi à ceux qui épousent d'autres femmes, après avoir abandonné la première pour cause de fornication; toutefois cet adultère est en eux moins criminel qu'il ne l'est pour ceux qui n'ont pas même à alléguer comme excuse la fornication de leur femme. De même donc que nous disons : « Celui qui « sait le bien et qui ne le fait pas, commet un « péché », ainsi nous disons: celui qui renvoie sa femme sans le motif de fornication et en épouse une autre, commet un adultère. De même encore nous pouvons affirmer que celui qui épouse une femme qui a été abandonnée par son mari véritable sans le motif de fornication commet un adultère, et en cela nous sommes dans le vrai; mais ce n'est pas pour nous une raison de conclure que celui qui épouse une femme abandonnée pour cause de fornication ne commet point d'adultère; loin de là nous les déclarons tous les deux adultères. De même nous condamnons comme adultère celui qui, sans cause de fornication; se sépare de sa femme, et en épouse une autre; mais de là nous ne concluons pas l'innocence de celui qui renvoie sa femme pour cause de fornication et en épouse une autre. Tous deux, à nos yeux, sont véritablement adultères, quoique d'une culpabilité différente. Quelle absurdité n'y aurait-il pas à justifier d'adultère celui qui épouse une femme abandonnée de son mari pour cause de fornication, tandis qu'on déclare adultère celui qui épouse une femme abandonnée sans cause de fornication? Tous deux sont adultères, et celui qui, après avoir abandonné sa femme sans cause de fornication, en épouse une autre, et celui qui après l'avoir abandonnée pour cause de fornication, contracte un nouveau mariage. Quand nous parlons de l'un des deux, nous ne voulons pas qu'on interprète nos paroles en ce sens, que l'accusation d'adultère, que nous portons contre l'un des deux soit une justification de l'autre. 10. Nous convenons que saint Matthieu, en ne mentionnant que l'une des deux espèces d'adultères, a enveloppé ce passage d'une certaine obscurité; mais les autres évangélistes, en traitant cette matière dans un sens plus général, en ont rendu l'application plus facile à chacun des deux cas particuliers. Nous lisons dans saint Marc: « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet contre elle un adultère; et si une femme se sépare de son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère (Marc, X, 11, 12) ». Saint Luc écrit : « Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère; et celui qui épouse une femme abandonnée par son mari, commet aussi un adultère (Luc, XVI, 18)». Eh ! qui sommes-nous pour nous donner le droit de dire : de deux hommes qui abandonnent leur femme et en épousent une autre, l'un est coupable, l'autre ne l'est pas, quand l'Evangile affirme que quiconque agit ainsi commet un adultère? Si donc tout homme qui abandonne sa femme et en épouse une autre commet un adultère; sans aucun doute cette proposition générale s'applique et à celui qui abandonne sa femme sans cause de fornication, et à celui qui l'abandonne pour cause de fornication. Cette vérité découle des termes eux-mêmes « Quiconque, tout homme qui..... » [1,10] CHAPITRE X. 11. Je ne sais pourquoi vous supposez que, citant l’Evangile de saint Matthieu, j'ai passé sous silence ces paroles : « Et épousera une autre femme » ; pour dire aussitôt : « Il devient adultère». Il s'agissait d'expliquer alors le texte du long discours du Seigneur sur la montagne. Or, on y lit exactement ce que j'ai rapporté, savoir : « Quiconque renvoie sa femme, excepté pour cause de fornication, la fait tomber dans l'adultère; et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari devient adultère». Je sais que certains exemplaires présentent une version un peu différente quant aux termes, mais le sens est toujours le même. Ainsi dans les uns on lit : « Quiconque renverra » ; dans d'autres : « Tout homme qui aura renvoyé » ; ici : «Excepté pour cause de « fornication » ; là : « Sans aucune cause de « fornication »; enfin on lit dans les uns « Celui qui épousera une femme séparée de « son mari » ; et dans d'autres : « Celui qui épousera une femme renvoyée par son mari, devient adultère». Pouvez-vous, je le demande, ne pas remarquer la similitude parfaite qui existe entre tous ces passages? Il faut avouer cependant que ce dernier texte : « Celui qui épouse une femme renvoyée par son mari devient adultère », tiré du sermon sur la montagne, ne se trouve pas dans un certain nombre d'exemplaires grecs et latins. Mais l'idée n'y est pas moins exposée tout entière dans ces mots qui précèdent : « Il la rend adultère». Car comment la femme renvoyée peut-elle, en se mariant de nouveau, devenir adultère, sans que celui qui l'épouse ne le devienne lui-même? [1,11] CHAPITRE XI. 12. Afin de prouver que celui qui, pour cause de fornication, répudie sa femme et en épouse une autre n'est pas coupable d'adultère, vous citez des paroles peu claires, et je ne m'étonne pas que le lecteur soit réduit à faire de grands efforts pour les comprendre. Mais ces paroles ne se trouvent pas dans le texte du sermon de la montagne, et c'est ce texte que je commentais et qui vous a ému. En effet, saint Matthieu met ces paroles sur les lèvres du Seigneur, non plus pendant le sermon de la montagne, mais quand il lui fut demandé par les Pharisiens s'il était permis de renvoyer sa femme pour toute sorte de cause. Or ce qui ne se comprend que difficilement, dans saint Matthieu, devient d'une clarté évidente dans les autres évangélistes. Ainsi nous lisons en saint Matthieu : « Quiconque renvoie sa femme sans le motif de fornication et en épouse une autre, se rend coupable d'adultère »; n'allons pas en conclure aussitôt que celui qui répudie sa femme pour cause d'adultère et en épouse une autre, n'est point adultère; pour sortir de cette ambiguïté consultons les autres évangélistes. Qu'est-ce qui empêche de supposer que saint Matthieu, sur le point qui nous occupe, n'a exprimé qu'une partie de la vérité, de manière que cette partie suffit pour faire conclure le reste tandis que saint Marc, et saint Luc, voulant exposer toute la vérité, ont formulé la pensée tout entière ? Après avoir reconnu l'absolue vérité de ces paroles de saint Paul : « Quiconque renverra sa femme sans cause de fornication et en épousera une autre, devient adultère », demandons si le péché d'adultère ne frappe que celui qui, après avoir renvoyé sa femme sans cause d'adultère, en épouse une autre ; ou bien s'il frappe indistinctement tous ceux qui renvoient leur femme et en épousent une autre, même quand la première a été convaincue de fornication. Or, voici que saint Marc semble nous répondre : pourquoi demander lequel des deux est adultère, puisqu'il est dit d'une manière générale : « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère? » Saint Luc vient à son tour nous dire: pourquoi la moindre hésitation à admettre que celui qui renvoie sa femme pour cause de fornication et en épouse une autre, devient adultère ? Lisez plutôt « Tout homme qui répudie sa femme et en épouse une autre, est adultère ». Si donc il n'est pas permis de supposer que les évangélistes, tout en se servant sur le même sujet d'expressions différentes, n'avaient pas la même pensée et différaient d'opinions; il ne nous reste plus qu'à conclure que saint Matthieu, tout en ne s'occupant que d'un cas en particulier, admettait comme hors de doute que quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, devient adultère, sans que l'on puisse admettre de distinction entre la renvoyer sans ou pour cause de fornication. [1,12] CHAPITRE XII. 13. Comment reconnaître la vérité de cette parole de saint Luc : « Celui qui épouse une femme renvoyée par son mari devient adultère?» Comment devient-il adultère; si ce n'est parce que la femme qu'il a épousée reste, pour lui une femme étrangère, tout le temps que vit celui qui l'a renvoyée ? Si cette femme lui appartenait, en la connaissant il n'aurait aucun commerce avec une étrangère, et dès lors il ne serait point adultère; cependant il l'est; donc cette femme reste pour lui une étrangère; d'où il suit nécessairement qu'elle appartient toujours à celui qui l'a renvoyée lors même que ce serait pour cause d'adultère. Si elle avait cessé d'appartenir à son premier mari, par le fait même elle appartiendrait au second, et alors ce dernier, loin d'être adultère, serait le mari légitime. Non, dit l'Ecriture, il n'est point mari mais adultère: n'est-ce pas dire en d'autres termes que cette femme reste l'épouse de celui qui l'a renvoyée ? Si elle reste son épouse, elle est nécessairement adultère en s'unissant à un autre mari, et par là même celui-ci devient à son tour adultère. [1,13] CHAPITRE XIII. 14. Examinons maintenant ces autres paroles de l'Apôtre: « Quant aux autres, je leur dis, moi, et non pas le Seigneur ». Il s'agit ici des mariages où les deux époux ne sont pas chrétiens. Voici donc l'avertissement que l'Apôtre me semble leur donner. La partie fidèle peut licitement répudier la partie infidèle ; mais l'Apôtre et non pas le Seigneur lui conseille de ne pas user de son droit. En effet, ce que Dieu défend, ne peut jamais être permis. L'Apôtre leur fait donc remarquer que les époux fidèles en restant avec les époux infidèles, quoiqu'ils puissent s'en séparer, se procurent l'occasion d'en gagner beaucoup d'entre eux à Jésus-Christ. De votre côté, vous prétendez que les époux chrétiens n'ont pas le droit de se séparer des époux infidèles, parce que l'Apôtre défend cette séparation : et moi je soutiens qu'ils en ont le droit, parce que le Seigneur ne le défend pas; mais j'ajoute que d'après l'Apôtre il ne leur est pas expédient d'en user, et voici la raison qu'il en donne : « Eh ! savez-vous, ô femme, si vous ne sauverez pas votre mari; et savez-vous, ô mari, si vous ne sauverez pas votre femme? » Un peu plus haut, il avait dit : « Car le mari infidèle est sanctifié par la femme, et la femme infidèle est sanctifiée par son frère », c'est-à-dire par le mari chrétien; « autrement vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints (I Cor. VII, 12-16) ». Ainsi l'Apôtre appuie son avertissement sur l'espérance de gagner à Jésus-Christ les époux et les enfants; et sans doute que des exemples étaient là pour fortifier sa parole. Ainsi donc, nous trouvons formellement exprimée dans ce passage la raison pour laquelle il n'est point avantageux que les époux chrétiens répudient les époux infidèles. Il ne s'agit point sans doute de conserver le lien conjugal, mais de gagner ces époux à Jésus-Christ; voilà pourquoi l'Apôtre défend de les renvoyer. [1,14] CHAPITRE XIV. 15. La loi ne commande pas un grand nombre d'actes que nous devons librement accomplir par esprit de charité; et ces oeuvres volontaires sont pour nous les plus méritoires; nous sommes libres de ne point les accomplir, et cependant nous les accomplissons par charité. C'est ainsi que le Seigneur, après avoir montré qu'il n'était point obligé de payer le tribut, le paya cependant pour ne point scandaliser ceux au salut desquels il s'était consacré en se faisant homme (Matt. XVII, 23-26). Ecoutons ensuite l'Apôtre traitant le même sujet: « Etant libre à l'égard de tous, je me suis rendu serviteur de tous, pour en gagner un plus grand nombre à Jésus-Christ ». Un peu plus haut il avait dit : « N'avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire? N'avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une soeur, comme font les autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas? Serions-nous seuls, Barnabé et moi, qui n'aurions pas le pouvoir d'en user de la sorte ? Qui donc va jamais à la guerre à ses dépens ? qui plante une vigne et n'en recueille pas les fruits? qui paît le troupeau et ne se nourrit point du lait du troupeau »? Un peu plus loin il ajoute: « Si d'autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi n'en userions-nous « pas de préférence ? Mais nous n'avons point usé de ce pouvoir, et nous souffrons au contraire toute sorte d'incommodités, pour n'apporter aucun obstacle à l'Evangile de Jésus-Christ ». Enfin il ajoute : « Quelle est donc ma récompense? c'est d'évangéliser gratuitement, afin de ne jamais abuser du pouvoir que j'ai dans la prédication de l'Evangile (I Cor. IX, 4-19)». C'est alors qu'il prononce ces paroles par lesquelles j'ai commencé cette citation: « Etant libre à l'égard de tous, je me suis rendu « serviteur de tous, afin d'en gagner un plus « grand nombre à Jésus-Christ ». Dans un autre endroit, parlant de ce qui regarde la nourriture, il s'exprime ainsi : « Tout m'est permis, mais tout n'est point avantageux ; tout m'est permis, mais je ne me rendrai esclave de rien; les viandes sont pour l'estomac et l'estomac pour les viandes mais un jour Dieu détruira l'un et les autres (I Cor. VI, 12, 13) ». Il revient encore sur la même pensée : « Tout m'est permis, mais tout n'est point avantageux ; tout m'est permis, mais tout n'est pas édifiant. Que personne ne cherche ses intérêts; mais le bien des autres ». Pour mieux préciser son idée il ajoute: « Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous informer d'où cela vient, par scrupule de conscience (I Cor. X, 22-25) ». Et cependant il ne craint pas de dire ailleurs : « Je ne mangerai jamais de « chair, pour ne pas scandaliser mon frère (I Cor. VIII, 13) ». Ailleurs encore : « Toutes les viandes sont pures, mais un homme fait mal d'en manger lorsque par là il scandalise ses frères (Rom. XIV, 20) ». « Tout est permis », signifie ici : « Toutes les viandes sont pures » ; « Tout n'est point avantageux » ; est synonyme de « un homme fait mal d'en manger si par là il scandalise ses frères ». Dans tout ce qui précède, l'Apôtre prouve donc clairement que beaucoup d'actions qui ne sont l'objet d'aucun précepte de la loi, tombent directement sous les conseils de la charité. Et c'est la pensée exprimée dans la parabole du blessé de Jéricho, que le Samaritain confie à un maître d'hôtel, en lui disant qu'il se charge des dépenses qui seront jugées nécessaires, en plus de ce qu'il a avancé (Luc, X, 33-35). On dit de ces actions qu'elles ne sont pas commandées par le Seigneur, mais en même temps on nous avertit de les lui offrir; comme pour nous montrer qu'elles lui sont d'autant plus agréables qu'elles sont plus libres de notre part. [1,15] CHAPITRE XV. 16. En parlant des oeuvres permises, mais qui sont désavantageuses, on ne peut pas toujours dire : Ceci est bien, mais cela est meilleur, comme dans ce passage de l'Apôtre « Celui qui marie, fait bien; mais celui qui ne marie pas, fait encore mieux (II Cor. VII, 38) ». En effet, marier et ne pas marier sont deux choses permises, et tantôt c'est l'une qui est utile, tantôt l'autre. Pour ceux qui ne peuvent observer la continence, le mariage est utile, dès lors le mariage leur est à la fois utile et permis; quant aux personnes qui ont voué la continence, le mariage est à la fois défendu et désavantageux. Or il est permis de se séparer d'un époux infidèle, mais cette séparation est nuisible, tandis qu'il est à la fois et permis et avantageux de cohabiter avec lui, s'il y consent ; si cette cohabitation n'était pas permise, elle ne serait point avantageuse. Une chose peut donc être permise et ne pas être utile; mais ce qui n'est pas permis n'est jamais avantageux. Ainsi, pour être racheté par le sang de Jésus-Christ, il faut être homme, et cependant il n'est plus vrai de dire que tous les hommes sont sauvés par le sang de Jésus-Christ. De même ce qui n'est pas permis n'est jamais avantageux; mais il ne suffit pas qu'une chose soit désavantageuse pour en conclure qu'elle n'est point permise. Car il y a réellement des choses permises qui ne sont point pour cela avantageuses, comme l'Apôtre vient de nous l'apprendre. [1,16] CHAPITRE XVI. 17. Il est très difficile de préciser rigoureusement, dans une proportion générale, la différence qui existe entre ce qui, étant défendu, ne peut être avantageux, et ce qui, étant permis, n'est pas avantageux. Il est facile de faire, comme plusieurs le font, le raisonnement suivant : Ce qu'il n'est pas avantageux de faire est un péché, or tout péché est défendu, donc ce qui n'est pas avantageux est défendu. Mais s'il en est ainsi, comment l'Apôtre parle-t-il de certaines choses qu'il n'est pas expédient de faire, quoiqu'elles ne soient pas défendues? D'un côté cependant nous n'oserions taxer saint Paul de mensonge, et de l'autre nous rougirions de dire qu'il y a des péchés permis. Il faut donc avouer qu'il y a des choses que l'on peut faire sans péché, quoiqu'il ne soit pas expédient de les faire, et que des lors on doit éviter. Verra-t-on une absurdité à dire qu'il y a des choses qu'il n'est pas expédient de faire et que cependant l'on peut faire sans péché ? Avec un peu de réflexion, on comprendra que l'absurdité ne se trouve que dans la forme du langage. C'est ainsi qu'en parlant des animaux sans raison nous disons qu'ils méritent d'être frappés quand ils pèchent; cependant le pouvoir de pécher n'appartient qu'à l'être qui possède le libre arbitre, et parmi les animaux mortels il n'y a que l'homme qui jouisse de cette prérogative. Dans le langage ordinaire il faut donc distinguer le sens propre et le sens figuré. [1,17] CHAPITRE XVII. 18. Si je veux préciser cette différence, voici ce que ma raison me dicte. Je regarde comme étant permis, mais devant être évité, ce qu'autorise en soi la justice à l'égard de Dieu, mais ce qui doit être évité dans la crainte de scandaliser le prochain et de nuire au salut d'autrui. D'un autre côté, je regarde comme n'étant pas permis, et par conséquent comme devant être absolument évité, ce que la justice même défend, d'une manière si rigoureuse, que dans aucun cas cela ne soit ni bon, ni digne d'éloge. D'où il suit que le Seigneur ne défend rien qui ne soit véritablement illicite; quant à ce qui est licite sans être expédient, il doit être évité, non pas en vertu d'une loi, mais par l'inspiration libre d'une charité bienveillante. 19. Si donc il n'était pas permis de répudier un époux infidèle, c'est que le Seigneur aurait défendu cette répudiation, et alors l'Apôtre, la défendant à son tour, ne serait pas admis à dire: « Je dis, moi, mais non pas le Seigneur (I Cor. VII, 12)». S'il est permis à l'homme de se séparer de son épouse à cause de la fornication de la chair, combien plus ne doit-on pas détester dans son épouse la fornication de l'esprit, c'est-à-dire l'infidélité ou l'idolâtrie dont il est dit: « Voici que ceux qui s'éloignent de nous périront; vous perdez celui qui se rend coupable de fornication envers vous (Ps. LXXII, 27) ». [1,18] CHAPITRE XVIII. Toutefois cette répudiation, quoique permise, n'est point expédiente, car les hommes blessés de cette séparation des époux pouvaient prendre de là occasion de haïr la doctrine du salut, dans laquelle ce qui est illicite est défendu ; ce qui les aurait exposés à s'aveugler toujours davantage et à mourir dans leur infidélité. Voilà pourquoi l'Apôtre intervient, et en avouant que cette séparation est permise, il la défend comme dangereuse. De cette manière, il est vrai de dire qu'il n'y a point de loi divine qui interdise aux maris ou aux femmes chrétiennes de se séparer de leurs époux infidèles, comme il n'y a point de loi qui leur ordonne cette séparation. Car si elle était ordonnée par une loi, le conseil de l'Apôtre serait inutile et coupable, puisque un bon serviteur ne peut jamais défendre ce que le Maître ordonne. 20. Autrefois, par l'organe du prophète Esdras, le Seigneur commanda cette séparation, et elle se réalisa. Les Israélites qui avaient épousé des femmes étrangères durent les renvoyer (II Esd. X, 11, 12), car elles étaient pour eux une tentation séduisante vers l'idolâtrie, tandis qu'eux ne pouvaient rien pour gagner leurs femmes au vrai Dieu. Car, à cette époque, la grâce du Sauveur ne brillait pas encore dans tout son éclat; d'un autre côté la multitude judaïque ne soupirait qu'après les promesses temporelles contenues dans l'Ancien Testament; or ces Juifs, voyant que les idolâtres étaient comblés de ces biens temporels qu'ils regardaient comme la plus grande récompense qu'ils pussent attendre du Seigneur, conservaient d'abord, grâce aux caresses de leurs femmes, une grande crainte d'offenser les dieux étrangers, puis ils se laissaient amener insensiblement à les adorer. Voilà pourquoi le Seigneur avait défendu à son peuple, par l'organe de Moïse, d'épouser des femmes étrangères (Deut. VII, 3). Le Seigneur n'était donc que juste en leur ordonnant de quitter ces femmes qu'ils avaient épousées malgré sa défense. Mais quand l'Evangile commença à se répandre parmi les nations, il trouva naturellement des mariages où les deux époux étaient idolâtres. Si l'un d'eux seulement embrassait la foi, et que la partie infidèle consentit à cohabiter, la partie fidèle ne trouvait aucune loi divine qui lui défendit ou lui ordonnât de se séparer. Aucune défense d'abord ; car la justice permet de se séparer en cas de fornication ; or le coeur de l'homme infidèle est coupable de la plus grande fornication; et de plus on ne peut pas dire que ses relations avec son épouse sont vraiment pures, puisque « tout ce qui ne se « fait point selon la foi est péché (Rom. XIV, 23) ». Au contraire la partie fidèle trouve dans le mariage une sainteté qui n'appartient pas à la partie infidèle. Il suit de là qu'aucune loi ne pouvait ordonner non plus aux époux chrétiens de se séparer des époux infidèles, puisque, dans le principe, leur mariage n'avait pas été contracté contre les ordres de Dieu. 21. C'est donc parce que le Seigneur n'a ni ordonné ni défendu à l'époux chrétien de se séparer de la partie infidèle, que l'Apôtre déclare que c'est lui et non le Seigneur qui leur défend de se séparer; et en cela il était animé de l'Esprit-Saint, par qui dès lors il pouvait donner un conseil sage et salutaire. Après avoir dit de la femme dont le mari est mort : « Elle sera plus heureuse si, selon mon conseil, elle persévère dans la continence », il ajoute aussitôt : « C'est là ma pensée, et en cela je possède l'Esprit de Dieu », comme s'il eût craint que le conseil qu'il donnait ne parût venir de l'homme et non pas de Dieu, et par là même ne fût digne de mépris. Comprenons dès lors que quand, en dehors d'un précepte formel de Dieu, son fidèle serviteur nous donne un conseil, il le donne d'après une inspiration réelle du Seigneur. Un catholique dira-t-il que quand l'Esprit-Saint conseille, ce n'est pas Dieu qui conseille ? Le Saint-Esprit cesse-t-il d'être Dieu, ou les oeuvres de la Trinité ne sont-elles pas inséparables ? Or l'Apôtre nous dit : « Quant aux vierges, je n'ai point reçu de précepte du Seigneur; je donne seulement un conseil ». Et aussitôt, pour nous faire entendre que ce conseil lui est inspiré par Dieu, il ajoute «Comme ayant obtenu moi-même miséricorde, afin que je fusse fidèle (I Cor. VII, 40, 25) ». C'est donc selon Dieu qu'il donne ce conseil fidèle dans le Saint-Esprit dont il dit : « Or je pense que je possède l'Esprit de Dieu. » 22. Cependant autre chose est un commandement formel de Dieu, autre chose un conseil donné par un de ses serviteurs, quand il suit en cela l'inspiration de la charité, qui lui a été donnée par le Seigneur dans sa miséricorde. On ne peut aller contre un précepte, mais on peut résister à un conseil, en observant toutefois que ce qui est permis est tantôt expédient et tantôt ne l'est pas. Ce qui est licite est aussi expédient, quand non seulement il est permis par les règles de la justice divine, mais encore quand il n'apporte aucun obstacle au salut de nos frères. Tel est par exemple le conseil donné par l'Apôtre à une vierge de ne pas s'engager dans le mariage; ce n'est qu'un conseil, car il avoue lui-même qu'il n'y a aucun précepte à ce sujet; le mariage est donc permis, c'est même un bien en soi, quoique la virginité soit préférable; et ce mariage permis en soi est même expédient; car il est permis de chercher dans un mariage honnête à retenir l'inclination maladive de la chair vers des actes coupables et défendus, sans nuire au salut de personne; bien que d'un autre côté cependant il serait plus méritoire à une vierge d'embrasser le conseil, là où le précepte ne l'oblige pas. Au contraire, ce qui est licite n'est pas expédient, quand, quoique permis en soi, il devient par l'usage qu'on en fait un obstacle au salut de nos frères. Telle est dans le sujet qui nous occupe la séparation d'un époux chrétien d'avec son conjoint infidèle. Le Seigneur ne défend pas cette séparation, parce que devant lui elle n'est pas une injustice; mais l'Apôtre la défend au nom de la charité, parce qu'elle est un obstacle au salut des infidèles. Ceux-ci effectivement en sont scandalisés et offensés ; ensuite ceux qui sont ainsi répudiés contractent ordinairement un nouveau mariage du vivant de leur première épouse, et ces unions adultères ne se rompent ensuite que très difficilement. [1,19] CHAPITRE XIX. 23. S'il est dit dans l’Ecriture : « Celui qui marie, fait bien, mais celui qui ne marie pas, fait mieux » ; on ne peut pas dire de même : celui qui renvoie une partie infidèle, fait bien, mais celui qui ne la renvoie pas, fait mieux; la raison en est qu'ici ce qui est permis n'est pas expédient. Au contraire, quand il s'agit du mariage et de la virginité, ces deux états étant permis, aucun précepte du Seigneur n'oblige à l'un, à l'exclusion de l'autre; bien plus, chacun de ces deux états est expédient, l’un moins, l'autre plus, et c'est à celui des deux qui l'emporte sur l'autre que l'Apôtre nous invite par un conseil qu'il n'est pas donné à tous de comprendre. Mais quand il s'agit de, renvoyer ou de conserver une épouse infidèle, si les deux alternatives sont permises devant Dieu, qui n'a interdit ni l'une ni l'autre, elles sont loin d'être avantageuses, à raison de l'infirmité humaine; voilà pourquoi l'Apôtre défend ce qui, à ses yeux, n'est pas expédient. De plus, en portant cette défense, l'Apôtre ne faisait qu'user de la liberté qu'il tenait du Seigneur, puisque Dieu ne défend pas ce que l'Apôtre conseille, et l'Apôtre ne défend pas ce que Dieu ordonne: Autrement l'Apôtre se fût abstenu de conseiller quoique ce soit contre, la défense divine, et de prohiber, quoique ce soit contre l’ordre divin. Enfin, dans le rapprochement de ces deux propositions, l'une regardant le mariage et la virginité, et l'autre regardant le renvoi ou la conservation d'un époux infidèle, nous trouvons des similitudes et des différences. « Je n'ai pas reçu de précepte de la part du Seigneur, c'est seulement un conseil que je donne ; » ces paroles ont pour pendant celles-ci : «C'est moi qui le déclare, et non le Seigneur ». Un effet, c'est la même chose de dire : « Je n'ai pas reçu de précepte du Seigneur, c'est un conseil que je donne»; et de dire : « ce n'est pas le Seigneur qui le déclare, c'est moi-même». Maintenant, voici des différences : en parlant du mariage ou de la virginité, on peut dire: le premier est bon, la seconde est meilleure, puisque ces deux états sont expédients, l'un plus, l'autre moins; mais quand il s'agit de renvoyer ou de conserver un époux infidèle, comme le second parti seul est expédient; on ne peut pas dire : celui qui renvoie fait bien, mais celui qui ne renvoie pas fait mieux. On ne peut que lui défendre de renvoyer, en raison même des inconvénients qu'il y aurait à renvoyer l'époux infidèle; quoiqu'en soi ce renvoi soit permis. Nous pouvons donc dire qu'il est mieux de ne pas renvoyer la partie infidèle, quoiqu'à la rigueur on ait le droit de le faire. Le mieux, c'est donc aussi ce qui est tout à la fois permis et expédient, et non ce qui, étant permis, n'est pas expédient. [1,20] CHAPITRE XX. 24. Voilà pourquoi, en expliquant le grand sermon sur la montagne, lorsque je fus arrivé à la question du divorce et que j'eus invoqué le témoignage de l'Apôtre, je déclarai que saint Paul ne formulait qu'un conseil et non pas un précepte quand il s'écriait : « C'est moi qui déclare et non pas le Seigneur », que ceux qui ont des époux infidèles ne doivent pas les renvoyer s'ils consentent à la cohabitation. Je dis que c'était là un conseil, non pas un précepte, parce que les choses permises, quoiqu'elles ne soient pas avantageuses, ne peuvent pas être prohibées aussi absolument que les choses illicites. Si dans d'autres passages l'Apôtre semble n'exprimer qu'un conseil, là où il faudrait un ordre, c'est qu'il a voulu user d'indulgence à l'égard de la faiblesse humaine, plutôt que de préjuger par un commandement formel. Nous l'entendons s'écrier : « Ce n'est pas pour vous confondre que je vous écris ces choses, mais je vous avertis comme des enfants bien-aimés (I Cor. IV,14) ». Est-ce dire : « C'est moi qui décrète et non le Seigneur? » De même quand il écrit aux Galates : « Voici que moi, Paul, je vous enseigne que si vous vous croyez encore tenus à la circoncision, le Christ ne sera plus pour vous d'aucune utilité (Gal. V, 2) » ; est-ce comme s'il disait : « C'est moi qui vous le déclare et non le Seigneur? » Si donc l'Apôtre ne formule qu'un avertissement là où le Seigneur a formulé un ordre, pourquoi y chercher une contradiction? Eh ! ne pouvons-nous avertir ceux qui nous sont chers d'observer les préceptes ou les ordres de Dieu? Mais quand nous lisons : « C'est moi qui vous le dis, et non le Seigneur », nous voyons clairement que l'Apôtre défend ce que le Seigneur n'avait pas défendu ; or, le Seigneur l'aurait défendu si t'eût été illicite. De là je conclus, comme je l'ai déjà fait plus longuement, que la séparation est licite au point de vue de la justice, mais qu'elle ne l'est pas au point de vue d'une libre bienveillance. [1,21] CHAPITRE XXI. 25. Mais vous êtes d'un avis différent, car vous soutenez que l'on doit s'interdire et regarder comme aussi défendu ce que l'Apôtre défend, que si Dieu lui-même l'eût défendu. Aussi, lorsque vous avez voulu expliquer le sens de ces paroles de l'Apôtre, s'adressant aux fidèles mariés à des infidèles : « C'est moi qui vous le dis, et non le Seigneur » ; vous avez dit expressément : « C'est que le Seigneur a interdit le mariage entre religions différentes » ; vous citez ensuite ce témoignage de l'Apôtre : « Tu ne prendras point pour ton fils une femme parmi les filles étrangères, de crainte qu'elle ne l'entraîne au culte de ses dieux et que son âme ne périsse (Deut. VII, 3, 4) ». Vous ajoutez encore ces paroles du même Apôtre : « La femme est liée pendant toute la vie de son époux. Si ce dernier vient à mourir, la femme est libre de se marier de nouveau, mais dans le Seigneur (I Cor. VII, 39) », ce que vous expliquez en disant que ces mots : « Dans le Seigneur », signifient à un chrétien. Vous concluez ainsi : « Tel est donc le précepte du Seigneur, soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament : tes époux doivent avoir la même religion et la même foi ». Mais si dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, c'est un précepte formel du Seigneur, clairement enseigné par l'Apôtre, de fonder l'union du mariage sur l'unité de foi et de religion, comment donc, contrairement au précepte du Seigneur, contrairement à sa doctrine, contrairement à l'Ancien et au Nouveau Testament, l'Apôtre ordonne-t-il que les époux qui ont une foi différente, restent cependant unis ? « C'est parce que, dites-vous, saint Paul, prédicateur et apôtre des nations, s'adressant à ceux qui sont déjà dans le mariage, non seulement conseille, mais ordonne que, si l'un des deux époux devient chrétien et que l'autre reste païen, l'époux chrétien ne doit pas user du divorce quand l'autre partie consent à la cohabitation ». Ces paroles montrent évidemment que vous voyez ici une différence importante. En effet, il s'agit d'abord des mariages à contracter ; or, ils sont soumis à la loi qui défend à chacune des deux parties de s'unir à un époux de culte différent; « car, dites-vous, il y a sur ce sujet un précepte formel porté par Dieu, par l'Apôtre et par les deux Testaments ». Mais comment ne pas convenir que ce qui s'applique aux mariages à contracter ne peut pas s'appliquer aux mariages déjà contractés ? Quand les deux époux se sont unis, ils étaient tous deux infidèles ; puis est venue la prédication de l'Evangile, l'un des deux s'est converti, l'autre est resté dans l'infidélité. Pourquoi donc le Seigneur n'a-t-il pas ordonné, comme l'a fait saint Paul, que l'époux fidèle demeurât avec la partie infidèle ? Ne serait-ce pas le lieu d'appliquer ces paroles de l'Apôtre : «Voulez-vous faire l'épreuve de celui qui parle en moi, c'est-à-dire du Christ (II Cor. XIII, 3) ? » Or, le Christ n'est-il pas le Seigneur ? Comprenez-vous la portée de mes paroles? Dois-je m'expliquer plus longuement? 26. Eh bien ! rendons cette vérité aussi sensible et évidente que possible. Voici deux époux, tous deux victimes d'une même infidélité ; ils en étaient là quand ils se sont unis. Sur ce point, aucune difficulté, car il n'y avait pas lieu de leur appliquer la défense portée par le Seigneur, la doctrine formulée par l'Apôtre, ni le précepte de l'Ancien et du Nouveau Testament qui interdit à un époux fidèle de s'unir à une épouse infidèle. Les voilà mariés et tous deux sont encore infidèles comme ils l'étaient avant leur mariage. Survient la prédication de l'Evangile; l'un des deux embrasse la religion chrétienne, et la partie restée infidèle consent à la cohabitation. Le Seigneur défend-il à l'époux chrétien de quitter l'autre époux, ou n'y a-t-il aucune défense ? Si vous dites que le Seigneur le défend, l'Apôtre réclame : « C'est moi, dit-il, qui le « déclare et non pas le Seigneur ». Si vous dites que le Seigneur ne le défend pas, j'en demande la raison. Vous ne donnerez pas celle que vous avez écrite dans vos lettres, à savoir que le Seigneur défend aux chrétiens d'épouser des infidèles. Cette raison est ici sans valeur, puisqu'il ne s'agit pas de mariages à contracter, mais de mariages déjà contractés. Il est possible que vous n'ayez pas trouvé la raison pour laquelle le Seigneur s'abstient de défendre ce que défend l'Apôtre, mais toujours est-il que vous comprenez fort bien que cette raison ne peut être celle que vous aviez d'abord alléguée. Voyez donc si ce motif n'est pas celui-là même que je vous ai signalé, et que je maintiens, quand j'affirme que le Seigneur parle lui-même, lorsqu'il énonce ce que prescrit à ses yeux l'inviolable justice, quand il ordonne ou qu'il défend sans permettre d'agir jamais d'une manière différente; lorsque, au contraire, il laisse libre de faire ou de ne pas faire sans qu'il y ait prévarication, il permet à ses serviteurs de conseiller ce qui leur paraîtra le plus expédient. [1,22] CHAPITRE XXII. 27. Le grand principe à suivre, c'est donc d'éviter ce qui est illicite. Mais quand deux choses opposées sont l'une et l'autre permises, la règle à observer c'est de faire ce qui est expédient on le plus expédient. Lorsque le Seigneur parle comme maître souverain, en d'autres termes, lorsqu'il prescrit quelque chose, non pas sous la forme de conseil, mais avec l'empire de son autorité, il n'est pas permis de ne pas obéir; ne pas obéir ne serait jamais avantageux. Or voici ce que le Seigneur prescrit : « Que la femme ne se sépare pas de son mari; si elle s'en sépare », même pour le motif qui rend la séparation licite, « qu'elle « reste dans la continence, ou qu'elle se réconcilie avec son époux (I Cor. VII, 10, 11) ». En effet « la femme est sous le joug de la loi à l'égard de son mari jusqu'à la mort de celui-ci, et pendant la vie de son mari elle sera adultère si elle connaît un autre homme (Rom. VII, 2, 3) » ; parce que « la femme est liée tant que vit son mari (I Cor. VII, 39). - Si », donc « une femme abandonne son mari et en épouse un autre, elle est adultère (Marc, X, 1. 2) ; et celui « qui épouse une femme abandonnée par son mari est coupable aussi d'adultère (Matt. XIX, 9) ». En vertu de ce même précepte du Seigneur : « Que l'homme n'abandonne point sa femme (I Cor. VII, 11)», car « celui qui, en dehors du motif de fornication, abandonne sa femme, la rend adultère (Matt. V, 32)». Et s'il l'abandonne pour cause de fornication, il doit lui-même vivre dans la continence, car « quiconque abandonne sa femme et en épouse une autre commet l'adultère (Luc, XVI, 18) ». Ce sont là tout autant de commandements formulés par le Seigneur, on doit les observer sans aucune restriction. Que les hommes approuvent, que les hommes désapprouvent, peu importe: il suffit que la souveraine justice se soit prononcée, pour qu'on soit obligé de les accomplir, dût-on alléguer que les hommes en sont scandalisés, qu'ils y trouvent un prétexte pour refuser le salut que Jésus-Christ leur apporte. Quel chrétien d'ailleurs oserait dire : Pour ne pas offenser les hommes, ou pour les gagner à Jésus-Christ, je rendrai ma femme adultère, ou je le deviendrai moi-même ? 28. Il peut arriver qu'après avoir renvoyé sa femme pour cause d'adultère, un chrétien se trouve épris du désir d'épouser une autre femme encore païenne, mais qui, désireuse de contracter ce mariage, lui promet sincèrement de se faire chrétienne si cette union se réalise. L'époux hésite peut-être, mais voici le tentateur qui lui dit : Le Seigneur a formulé cette sentence : « Quiconque, ayant renvoyé sa femme sans le motif d'adultère, en épouse une autre, la rend coupable d'adultère » pour vous qui avez renvoyé la vôtre pour cause d'adultère, vous ne serez pas coupable en contractant alliance avec une autre. A cette suggestion, il doit répondre avec une conviction inébranlable, que celui qui ayant renvoyé sa femme, sans l'avoir convaincue d'adultère, en épouse une autre, se rend coupable d'un crime plus grand, mais que celui qui renvoie sa femme adultère et en épouse une autre, n'en est pas moins coupable d'adultère. De même celui qui épouse une femme renvoyée sans aucun motif d'adultère, se rend certainement coupable d'adultère, ce qui n'empêche pas que celui qui épouse une femme renvoyée pour cause d'adultère ne soit coupable encore. Car si le passage de saint Matthieu est enveloppé d'une certaine obscurité, parce que la partie y est prise pour le tout, les autres évangélistes, en traitant cette question d'une manière générale, n'ont laissé place à aucun doute. Ainsi nous lisons dans saint Marc : « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère » ; et en saint Luc : « Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère ». Il n'y a pas ici à distinguer entre ceux qui sont adultères et ceux qui ne le sont pas ; la sentence est absolue : « quiconque renvoie sa femme » ; donc tout homme, sans exception, qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère. [1,23] CHAPITRE XXIII. 29. Admettons que le mari dont nous parlons a répondu au tentateur qu'il lui est permis de renvoyer sa femme adultère, mais qu'il lui est défendu d'en épouser une autre. Voici le tentateur qui lui réplique : Commets ce péché; afin de gagner à Jésus-Christ l'âme de cette femme encore ensevelie dans la mort de l'infidélité, mais qui est résolue à se faire chrétienne si tu l'épouses. A cela que répondre, sinon qu'une telle conduite lui attirerait toutes les rigueurs du jugement dont parle ainsi l'Apôtre : « N'en est-il pas qui disent : faisons le mal afin qu'il en résulte du bien ; ils s'attirent par là un juste jugement (Rom. III, 8) ? » Eh ! de quoi servira-t-il à une femme d'être chrétienne, si son mariage la rend adultère? [1,24] CHAPITRE XXIV. 30. Il est donc bien établi que tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, se rend coupable d'adultère, lors même qu'il ne l'épouserait que dans l'intention de la rendre chrétienne. Bien plus, celui qui, resté vierge, a voué à Dieu sa continence, doit être persuadé qu'il ne trouvera jamais aucune compensation au péché qu'il commettrait en se mariant, lors même qu'il n'aurait en cela d'autre but que de rendre sa femme chrétienne, et qu'il en aurait déjà obtenu formellement la promesse. Avant son voeu, le mariage lui était permis; il ne l'est plus depuis ce voeu. Nous supposons toutefois que la matière de son vœu est légitime. Mais il est permis de vouer la virginité perpétuelle, ou même la continence, soit après la dissolution du mariage, soit par suite du consentement réciproque des deux époux qui s'engagent à vivre dans la chasteté; car ce vœu serait interdit, si les deux époux ne prenaient les mêmes engagements chacun de son côté. Or toutes les fois qu'un voeu est revêtu de toutes les conditions nécessaires, on ne doit plus le rompre pour quelque motif que ce soit. Le Seigneur n'a-t-il pas dit : « Vouez au Seigneur votre Dieu et accomplissez vos engagements (Ps. LXXV, 12) ? » L'Apôtre parlant de certaines femmes qui avaient voué la continence et qui après voulaient se marier : « Elles sont», dit-il, «dans un état de damnation, parce qu'elles ont violé leurs premiers engagements (I Tim. V, 12) ». 34. Ce qui est illicite n'est donc jamais avantageux, et tout ce que Dieu défend, est par le fait même illicite. [1,25] CHAPITRE XXV. Quant aux actions qui ne sont pas l'objet d'un précepte du Seigneur, et sur lesquelles nous conservons notre liberté, écoutons les avertissements de l'Apôtre qui, inspiré du Saint-Esprit, nous conseille de tendre à ce qui est plus parfait ou d'éviter ce qui n'est pas expédient. Ici il nous dit : « Je n'ai point à formuler un précepte du Seigneur, mais je donne un conseil » ; et encore : « C'est moi qui parle et non le Seigneur ». Ailleurs invitant à choisir le plus parfait : « Que celui qui n'est pas marié ne cherche point d'épouse ; cependant en se mariant il ne pèche pas » ; plus loin, il conseille de rester vierge « Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux, et celui qui la marie fait bien ». En parlant de la femme qui a perdu son mari, il proclame qu'elle sera plus heureuse en restant dans la continence ; cependant elle peut se marier, « pourvu que ce soit dans le Seigneur ». Cette dernière parole peut avoir ce double sens que la femme susdite demeurera chrétienne, ou se mariera à un chrétien. En effet, je ne sache rien qui indique clairement, ni dans l'Evangile, ni dans les lettres apostoliques, que, depuis la promulgation de l'Evangile, le Seigneur ait défendu le mariage entre fidèle et infidèle, quoique saint Cyprien soutienne ouvertement que cette défense a été portée sous peine de péché grave, et qu'il voie dans ce mariage un acte qui prostitue aux gentils les membres de Jésus-Christ. La question est différente quand il s'agit des mariages déjà contractés ; à ce sujet, écoutons encore ces paroles de l'Apôtre : « Si un de nos frères a une épouse païenne qui consent à habiter avec lui, qu'il ne la renvoie pas ; et si une femme chrétienne a un mari infidèle qui consent à habiter avec elle, qu'elle ne s'en sépare pas (I Cor. VII, 12, 13, 25, 27, 38, 39) ». Cependant comme cette séparation n'est l'objet d'aucune défense de la part du Seigneur, elle est licite, mais on ne doit pas se la permettre, puisqu'elle n'est pas avantageuse. En effet, comme nous l'avons prononcé plus haut, l'Apôtre enseigne clairement que tout ce qui est permis n'est pas pour cela avantageux. Quel que soit donc le genre de fornication, que ce soit la fornication de la chair par l'adultère, ou celle de l'esprit par l'infidélité, après avoir renvoyé son mari, il n'est pas permis d'en épouser un autre, et après avoir renvoyé sa femme, il n'est pas permis d'en épouser une autre non plus, car le Seigneur a dit sans restriction possible : « Si « une femme renvoie son mari et en épouse « un autre elle, est adultère; » et : « quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère ». [1,26] CHAPITRE XXVI. 32. Outre ces questions que j'ai traitées selon mon faible pouvoir, je n'ignore pas que la matière des mariages est très obscure et très compliquée. Loin de prétendre avoir éclairci toutes les difficultés qui l'entourent, soit dans cet ouvrage, soit dans tout autre, je n'oserais même affirmer que je pourrais les résoudre. Mais il est une autre question que vous m'avez proposée dans un autre billet; je la résoudrais dans un ouvrage spécial si j'étais d'un autre sentiment que vous ; mais comme nous sommes parfaitement d'accord, je m'exprimerai en peu de mots. 33. Si donc des catéchumènes se trouvent en danger de mort et incapables, à raison de la maladie ou d'un accident quelconque, de demander le baptême ou de répondre aux questions qui leur sont faites à ce sujet; comme pendant leur catéchuménat ils ont donné des preuves de leur foi et de leur volonté chrétienne, je dis qu'on peut les baptiser puisqu'on baptise les enfants qui n'ont pu encore donner aucun signe de volonté. Cependant nous ne devons pas condamner ceux qui agissent avec plus de réserve et de timidité que nous ; autrement on pourrait nous accuser de juger avec plus de sévérité que de prudence la conduite de nos frères à l'égard du dépôt qui leur est confié. C'est le lieu de nous rappeler cette parole de l'Apôtre : « Chacun de nous rendra a compte à Dieu de lui-même (Rom. XIV, 12) ». Ne nous jugeons donc pas les uns les autres. Il y a effectivement des hommes qui croient devoir observer dans ces circonstances et dans d'autres, cette défense du Sauveur : « Gardez-vous de donner ce qui est saint aux chiens, et de jeter vos perles aux pourceaux (Matt. VII, 6) ». Appuyés sur ces paroles, ils n'osent baptiser ceux qui ne peuvent répondre pour eux-mêmes, dans la crainte de faire violence à leur libre arbitre. Ceci ne peut assurément s'appliquer aux enfants qui n'ont pas encore l'usage de la raison. Mais refuser de baptiser un catéchumène qui est en danger de mort, n'est-ce pas une chose incroyable? Admettons même que nous ne sachions pas quelle est sa volonté, est-ce qu'il n'est pas plus sage de donner le baptême à un homme qui le refuse, que de le refuser à un homme qui le désire, quand on ne peut connaître ni le refus de l'un ni la volonté de l'autre, et que l'on a toutes les raisons possibles de croire qu'il veut recevoir ces sacrements, dont il a appris à croire qu'on doit les recevoir pour mourir ? [1,27] CHAPITRE XXVII. 34. Si ces paroles du Seigneur : « Gardez-vous de donner aux chiens ce qui est saint », devaient être interprétées dans le sens de nos adversaires, Jésus-Christ aurait-il donné la communion à l'Apôtre qui le trahissait et pour qui la communion devait être une cause de ruine ? Il est certain cependant que le sacrilège de Juda ne peut retomber sur le Sauveur. Il est donc bien plus naturel de penser que, par ces paroles, le Seigneur voulait nous faire entendre que les coeurs impurs sont impuissants à porter la lumière spirituelle de l'intelligence. Supposez que cette lumière jaillisse à leurs yeux des lèvres d'un docteur, comme ils ne peuvent la recevoir, ou ils la déchirent avec une sorte de rage, ou ils la foulent aux pieds avec mépris. Si donc le bienheureux Apôtre ne donnait aux enfants, quoique déjà renouvelés en Jésus-Christ, que le lait de la doctrine et non une nourriture solide : « car vous ne pouviez pas la supporter, dit-il, et aujourd'hui encore, vous ne le pouvez pas (I Cor. III, 2)»; si le Sauveur lui-même dit à ses Apôtres, après leur élection : « J'ai encore beaucoup d'autres choses à vous dire, mais pour le moment vous ne pouvez les entendre (Jean, XVI, 12) » ; combien moins l'esprit impur des impies peut-il supporter les enseignements de la lumière spirituelle ! [1,28] CHAPITRE XXVIII. 35. Mais terminons plutôt par où nous avons commencé. Je dis donc qu'en danger de mort on ne doit pas refuser le baptême aux catéchumènes, fussent-ils engagés dans des mariages adultères. Il en serait autrement s'ils étaient en santé; mais si leur vie nous paraît en grand danger, lors même qu'ils ne pourraient répondre pour eux-mêmes, je crois qu'on doit les baptiser, afin que ce péché, comme les autres, se trouve effacé dans le bain de la régénération. Comment savoir, en effet, si ces malheureux n'avaient pas résolu de ne s'abandonner que jusqu'au baptême, aux séductions de la chair; si après avoir recouvré la santé, ils accompliront leur résolution et si, avertis de ce qui s'est passé, ils se rendront à leurs devoirs, ou bien, contempteurs de la grâce reçue ils seront traités comme on traite ceux qui se livrent au mal après leur baptême? Ce que nous disons du baptême, nous devons le dire de la réconciliation, quand la mort menace de frapper un pénitent. Notre mère, la sainte Eglise, ne doit pas vouloir le laisser partir non plus, sans lui conférer le gage de la paix véritable. 1. . - 2. .