[14,0] Le Livre XIV des Deipnosophistes. [14,1] Chap. I. Ami Timocrate, on dit vulgairement que Bacchus est un furieux ; et c'est parce que ceux qui ont bu beaucoup de vin pur sont tapageurs. C'est pourquoi Homère a dit: « Un vin d'une saveur délicieuse te fait perdre la raison, comme il arrive à tous ceux qui en boivent à grands verres et sans garder de mesure. C'est le vin qui a perdu Eurytion, ce fameux centaure, dans la maison du vaillant Pirithoüs, où il était venu aux noces des Lapithes: troublé par le vin et devenu furieux, il s'y abandonna aux excès les plus violents. » Ainsi, dit Hérodote, à mesure que le vin descend dans l'estomac, il donne lieu à de mauvais propos, qui sont bientôt suivis de fureur. Cléarque le Comique dit aussi à ce sujet dans ses Corinthiens : « S'il arrivait à ceux qui s'enivrent souvent d’avoir mal a la tête avant de boire du vin pur, sans doute qu'aucun de noua n'en boirait ; mais, comme nous en goûtons le plaisir avant d'en sentir le mal, nous ne jouissons pas du bien qu'il pourrait nous faire. » Agésilas, dit Xénophon, pensait qu'il fallait autant être en garde contre l'ivresse que contre la fureur, et s'abstenir de manger d'une manière déréglée autant que de la gloutonnerie. Pour nous, qui ne sommes pas de ces gens qui boivent sans mesure, et qui sont même déjà ivres, lorsque le peuple se rassemble dans la place publique, c'est pour des repas où les muses sont admises que nous nous réunissons. Ulpien, toujours prêt à critiquer, ayant encore ici entendu quelqu'un dire g-exoinos g-ouk g-eimi, c'est-à-dire, je ne suis pas ivre, lui demanda où il avait trouvé cette expression grecque? C’est, lui répond l'autre, dans l’Isoikizomène d'Alexis ; il faisait cela, dit le poète, g-exoinos, ou étant ivre. Mais puisque l'illustre Larensius, qui nous traitait si bien, nous donnait l'occasion de proposer tous les jours quelque nouvelle matière à discuter, faisant venir en même temps différentes troupes de musiciens et de baladins pour nous divertir, disons aussi quelque chose de ces amusements. Je sais cependant que le Scythe Anacharsis se trouvant à un repas où l'on avait introduit des bouffons, ne fit pas même un sourire ; mais, dès qu'on eût amené un singe, il se mit à rire, disant : « Oh! pour celui-ci, la nature l’avait destine à faire rire, et ce n'est que par affectation que l'homme parvient au même but. » Euripide dit à ce sujet dans sa Ménalippe captive : « Nombre de gens s'étudient à faire rire par des saillies spirituelles et piquantes ; pour moi, je hais ces plaisants qui s'amusent, sans égard, aux dépens des sages. Quelques charmes qu'aient leurs railleries, non, je ne les compte point parmi les hommes ; c'est cependant par ce moyen qu'ils se procurent un domicile, et y jouissent de tout ce que la navigation fournit. » Selon Semus, lv. 5 de sa Déliade, Parménïsque de Métaponte, un des premiers personnages de la ville, tant par sa naissance que par sa richesse, étant descendu dans l'antre de Trophonius, ne put rire après en être remonté. Il alla consulter l'oracle à ce sujet, la Pythie lui répondit: « Toi qui ne peux plus rire, tu me consultes, sur le rire, enfant du plaisir ; la mère te rendra cette faculté : rends lui de très grands honneurs.» Il revint donc dans sa patrie, espérant qu'il rirait un jour ; mais il n'en fut rien, et il s'imagina que l'oracle l’avait trompé. Etant ensuite allé par hasard à Délos, il y considéra avec admiration tout ce qu'il y avait dans cette île. Présumant que la statue de la mère d'Apollon lui offrirait quelque chose de merveilleux, il se rendit dans le temple de Latone ; mais n'y voyant qu'une pièce de bois informe, il partit du plus grand éclat de rire, et comprit aussitôt le sens de l'oracle. Délivré de ce défaut accidentel, il rendit de grands honneurs à cette déesse. Anaxandride dit dans sa Gérontomanie, que ce sont Rhadamante et Palamède qui ont donné lieu d'imaginer les saillies propres à faire rire. Voici le passage : « En vérité, nous prenons bien de la peine! Rhadamante et Palamède n'ont-ils pas imaginé que celui qui ne paierait pas son écot, ferait au moins rire par quelque saillie? » Xénophon parle du bouffon Philippe dans son Banquet. Voici ce qu'il en dit: « Philippe le bouffon ayant frappé, à la porte, dit à celui qui l'entendit, allez annoncer qui je suis, et pourquoi je désire entrer ; je viens muni de tout ce qu'il me faut pour souper aux dépens d'autrui, et mon serviteur est accablé de ne rien apporter, et de n’avoir pas dîné. Hippolochus de Macédoine rappelle les bouffons Mandrogène et Straton d'Athènes dans sa lettre à Lancée. Or, il y avait dans cette ville nombre de gens de ce talent. C’était dans le Diomée ou le temple d'Hercule qu'ils se rassemblaient ; ils étaient soixante, de sorte qu'on ne les nommait que les Soixante, et, si l'on venait de leur assemblée, on disait je viens des Soixante. Callimédon surnommé la Langouste, Dinias, étaient de cette société ; Téléphane y joint aussi Masigiton et Ménechme, dans l'ouvrage qu'il a fait sur la ville d'Athènes. Ce désœuvrement leur avait acquis une si grande renommée que Philippe de Macédoine ayant entendu parler d'eux, leur envoya un talent, leur demandant de lui faire passer par écrit toutes les plaisanteries de leurs assemblées. Démétrius le Poliorcète n’avait pas moins de goût pour les propos qui pouvaient faire rire, selon Phylarque, lv. 6 de ses Histoires. « La cour de Lysimaque, disait Démétrius, ne diffère en rien d'un spectacle comique, en ce que l'on n'en voyait sortir que des noms de deux syllabes : (c’était sur Paris et Bithis que tombait particulièrement ce sarcasme; ces deux personnages étant les plus en faveur auprès de Lysimaque), quant à la mienne, on n'y voit que des Peuceste, des Ménélas et des Oxythémis. » Lysimaque répondait à cela : « jamais je ne fais passer une prostituée de la scène tragique à ma cour », faisant allusion à la joueuse de flûte Lamie. Démétrius instruit de cette réponse, répliqua ; « ma courtisane se comporte plus sagement que sa Pénélope auprès de lui. » J'ai déjà dit que Sylla, général romain aimait aussi le mot pour rire. Lucius Anicius, autre général romain ayant vaincu les Illyriens, et fait prisonnier leur roi Gentius avec ses enfants, donna des jeux publics à Rome pour célébrer sa victoire; il n'omit rien de ce qui pouvait faire rire, selon ce que dit Polybe, lv. 30. En effet, il appela de la Grèce les plus habiles artistes, pour construire un vaste théâtre dans le cirque. Il y fit d'abord paraitre ensemble tous les plus habiles joueurs de flûte. C’étaient Théodore le Béotien, Théopompe, Ermippe de Lysimachie, les plus distingués parmi ces musiciens. Les ayant placés à l'avant-scène avec le chœur des danseurs, il leur ordonna de jouer tous en même temps. Déjà les danses s'exécutaient en mesure, et avec tous les mouvements convenables au rythme ; mais il leur envoya dire, que les airs des flûtes ne revenaient pas à son but, et qu'il leur ordonnait de jouer la charge; comme ils ne comprenaient pas ce qu'on voulait dire, un des licteurs leur fit entendre par signe de se séparer pour revenir ensuite les uns contre les autres, afin de représenter ainsi un combat. Les joueurs de flûte ne l'eurent pas plutôt compris, qu'ils prirent un rythme convenable à la licence de leurs jeux ordinaires, et mirent tout en confusion. En effet, les chœurs changèrent de forme, transportant leur milieu aux extrémités ; les musiciens jouèrent des airs de flûte qu'on ne comprit plus, se séparèrent pour revenir tour à tour avec leurs instruments, les uns sur les autres ; les diverses parties du chœur tâchaient d'en suivre et marquer la mesure par le bruit de leurs pieds, et marchant en plusieurs groupes au milieu de la scène, se portaient les unes contre les autres, pour se retirer en tournant le dos. Bientôt un des acteurs du chœur se retirant seul, se présenta en levant les bras, comme pour lutter contre un des musiciens qui vint précipitamment à lui : ce fut alors que les spectateurs jetèrent un cri général, et que tout retentit du bruit qui était l'expression de la joie. Ces deux champions étaient encore aux prises, lorsque deux danseurs parurent à l'orchestre, au son de la symphonie ; quatre pugiles y montèrent aussi au son des cors et des cornets; et tous, luttant ensemble, furent pour l'assemblée un spectacle qu'il est impossible de décrire. Quant aux tragédies, ajoute Polybe, je paraîtrais vouloir me moquer de mes lecteurs, si je rapportais comment on les représenta. » Après ces détails d'Ulpien, et qui firent beaucoup rire la compagnie, tant ils parurent singuliers, on vint à dire quelques mots des Planes, et l'on demanda s'il en existait quelque mention chez les auteurs un peu anciens. Nous en avons déjà parlé. Magnus prit alors la parole. Denys de Sinope fait mention de Céphisodore le Plane, dans sa pièce intitulée l’Homonyme : « Il y avait, dit-il, à Athènes un Plane nommé Céphisodore, qui se faisait un genre de vie de ces bouffonneries ; s'il rencontrait un lieu élevé, il le montait en courant, et en descendait appuyé sur un bâton. » Nicostrate en parle aussi dans son Syrien : « Céphisodore, dit-on, fît un tour assez adroit ; ce fut d'entasser des fagots dans une ruelle, pour empêcher qu'on y passât. » Théognète rappelle Pantaléon dans son Philodespote : « Ce Pantaléon se jouait de tous les étrangers qui ne le connaissaient pas. Il faisait semblant de se réveiller comme un homme encore troublé par les fumées du vin, pour apprêter à rire et s'amusait ainsi beaucoup par ce jeu qui lui était propre. » Voici ce qu'écrit le philosophe Chrysippe, au sujet de ce Pantaléon, dans son Traité de l’Honnête et du Plaisir : « Etant près de mourir, Pantaléon trompa ses deux fils, leur disant à chacun en particulier, qu'il avait enfoui de l'or en tel endroit ; de sorte qu'étant allé pour y fouiller après sa mort, ils s'y trouvèrent ensemble et reconnurent qu'ils étaient joués. » Nous avions aussi à notre table de ces sortes de gens portés à la raillerie. Chrysippe parle encore d'un autre pareil personnage qui, étant près d'avoir la tête tranchée par le bourreau, lui dit, attends, je veux, comme le cygne, chanter avant de mourir; le bourreau lui en donnant le temps, ce railleur se moqua de lui. Myrtile qui avait été souvent exposé à de pareils sarcasmes, s'écrie tout en colère, oui le roi Lysimachus a bien fait. Un de ses officiers, nommé Télesphore, s'avisa un jour de railler, à table, mais d'une manière équivoque, Arsinoé femme de ce prince, sur ce qu'elle était sujette à vomir. C'est donc, dit-il, pour nous mettre mal à l'aise que vous nous amenez g-tehnde g-emousan. Lysimaque entendant ce propos, fit enfermer Télesphore dans une galéagre ou cage, pour y être nourri et porté par tout à sa suite comme une bête féroce ; telle fut la punition dans laquelle il lui fit terminer ses jours. Quant à toi Ulpien, si tu demandes où se trouve le mot galéagre, tu le verras dans l'orateur Hypéride; mais cherche où. Tachos, roi d'Egypte, se moqua d'Agésilas, roi de Lacédémone, lequel était venu comme allié, avec des troupes auxiliaires. Le sujet de la raillerie fut la petite taille d'Agésilas : mais ce roi de Lacédémone s'étant retiré, Tachos fut réduit à la condition de simple particulier. Voici le sarcasme : « Une montagne en travail porta l’effroi jusque dans l'âme de Jupiter; mais elle accoucha d'une souris. » Agésilas indigné du propos, lui répondit : « Je te paraîtrai bientôt un lion. » En effet, les Egyptiens, s'étant révoltés, comme le disent Théopompe et Lycéas de Naucrate dans leurs Histoires d'Egypte, Agésilas lui refusa tout secours, et fut cause qu'il se réfugia chez les Perses, après avoir été détrôné. [14,2] Chap. II. Comme il y a nombre de différences acroames, qu'on met souvent en usage en les variant selon les circonstances, et que d'ailleurs nous en parlâmes beaucoup, je vais faire mention des choses mêmes, sans m'arrêter aux noms de ceux qui en firent mention. Quant aux flûtes, quelqu'un dit que Ménalippide avait très bien tourné en ridicule l'art d'en jouer, par ce qu'il avait rapporté de Minerve : « Minerve jette de sa main sacrée ces instruments qu'elle tenait, en disant: Loin de moi, flûtes qui défigurez le corps! Quoi! je m'appliquerais à contracter des défauts? » Un autre convive d'un avis contraire, répondit : « Mais Téleste de Selinonte s'oppose dans son Argo, à ce que dit Ménalippide, et il s'agit aussi de Minerve. » « Je présume qu'un homme sage fera assez de réflexions, pour ne pas croire que la déesse Minerve ait jeté loin d'elle cet instrument dans les bocages des montagnes, effrayée de la laideur qu'elle contractait en jouant avec ; car il fut la gloire du satyre Marsyas, fils d'une nymphe, tant il en jouait habilement. D'ailleurs, pourquoi Minerve aurait-elle été si jalouse de ménager d'aimables attraits? La Parque n’avait-elle pas arrêté que cette déesse garderait toujours sa virginité, et n'aurait pas d'enfants? Elle n’avait donc pas à craindre de porter atteinte à ses charmes pour ménager le prix de sa virginité. » Le même dit ensuite : « Mais cette tradition contraire au plaisir des chœurs, ne vient que de quelques poètes futiles qui l'ont répandue dans la Grèce, pour décrier parmi les hommes les avantages de cet art. » Après cela, il fait l'éloge de la flûte, et dit: « Bacchus inspiré par le souffle de cette déesse vénérable, acquit ce talent divin, et joignit toutes les grâces à la prestesse d'un jeu aussi rapide que le vent. » Le même Téleste a dit dans son Esculape : « C’est le roi à oreilles d'âne qui montra le premier l'usage de la charmante flûte phrygienne, flûte qui le dispute aux accents de la muse dorienne. Il enferma dans des roseaux le souffle rapide et invisible, susceptible de résonner avec nombre de modications différentes. » Pratinas de Phlionte parlant des joueurs de flûte et des chœurs salariés pour remplir les orchestres, dit que plusieurs personnes désapprouvaient que ce ne fussent plus les musiciens qui réglassent le jeu de leurs flûtes sur le chant des chœurs, selon l'usage, mais les chœurs qui assujettissent leurs chants aux jeux des flûtes. Or, il nous montre par l’Hyporchème suivant, ce qu'il pensait à cet égard. « Quel est donc ce bruit confus? Quelles sont ces danses? Quel trouble retentit à l'orchestre bruyant et bachique? C'est à moi, c'est à moi d'appeler Bacchus ; c'est a moi de faire ce fracas, ce vacarme, courant avec les nymphes sur les montagnes, et chantant, comme le cygne, des airs mélodieux! Que la flûte se taise pendant les éloges de la reine, et qu'après cela, elle se fasse entendre ; car elle ne doit résonner que dans les bruyants plaisirs et dans les combats funéraires qui se font auprès des bûchers, laissant les généraux s'abandonner à leur fureur! Frappe donc! ô Bacchus, cet homme qui préside à la flûte phrygienne; brûle ce roseau qui ne fait que se remplir de salive, en faisant entendre le bruit le plus dissonant ; frappe, dis-je, cet ignorant qui ne sait pas jouer de ce corps formé avec une tarière. Mais moi, je te chante des airs bien faits et infiniment meilleurs que les siens! O roi couronné de lierre, dont les triomphes sont accompagnés de dithyrambes, écoute donc favorablement ma muse dorique. » Quant au jeu réuni des flûtes et de la lyre, comme ce concert nous a souvent charmé, voyons ce qu'en dit Ephippe dans sa Synaulie ou Accord de flûtes: « Jeune homme, nous réunissons dans nos amusements le jeu des flûtes avec celui de la lyre ; car, lorsqu'elles se trouvent entrer par leur accord, dans la manière de sentir des auditeurs » on y goûte le plus agréable plaisir. » Semus de Délos nous apprend ainsi dans sa Déliade, lv. 5, ce que c'est que la synaulie. Comme nombre de personnes ignorent ce qu'on entend par synaulie, je dirai que c'est un accord de flûtes qui changent alternativement de rythme, sans accompagnement de chant. Mais Antiphane nous expose avec grâce ce que c'est que la synaulie, dans son Joueur de flûte : « A. Mais, dis-moi ce que c'est que cette synaulie, car tu la connais? B. Mon ami, ces gens jouaient comme des musiciens bien instruits de leur art ; et tu serais à l'instant ravi du plaisir que font les flûtes, si tu t'y trouvais. A. Eh bien! achève donc? B. Mais outre le plaisir de la flûte, il y a encore bien autre chose de charmant! En effet, quoi de plus agréable, que de voir indiquer à la mesure et au ton de cet instrument, et sans parler, tout ce qu’on veut faire entendre a un autre. » Douris, lv. 2 de son Histoire d'Agathocle, nous apprend que les poètes désignaient la flûte par le nom de Lybys, parce que Sirite, inventeur de cet instrument, était un Lybien Nomade, et que ce fut lui qui chanta le premier sur la flûte les mystères de Cybèle. Voici les noms des airs de flûte, rapportés dans le Nomenclateur de Tryphon, lv. 2, le comus, le boucoliasme, le gingras, le tetracomus, l’épiphallus, le chorius, le callinice, le polémique, l’hédycornus, le sicynnotyrbée, le thyrocopique, qui est le même que le crousithyre, le cnismus, le mothon. Or, tous ces airs se jouaient avec la danse. [14,3] Chap. III. Quant aux noms des chansons ou odes, voici ceux que rapporte le même Tryphon, savoir: « L’himaios qu'on appelait aussi epymilios, et qui se chantait parmi les esclaves qui moulaient les grains. Le mot himaios est peut-être dû au mot himalis, qui chez les Doriens désignait le dieu ou génie g-nostos, et le par-dessus des mesures de farine. » « La chanson des tisserands se nommait élinos, comme le rapporte Epicharme dans ses Atalantes, et celle des ouvriers en laine, Ioulos. » Semus de Délos dit dans son Traité des Pœans, que l'on appelait g-amallai les glanes d'orge prises séparément ; mais Ouloi et Iouloi, lorsque réunies et liées ensemble, elles formaient une gerbe, que Cérès était aussi appelée tantôt Iouloo, tantôt Chloée; qu'ainsi ce fut des découvertes de Cérès, que les grains et les chansons faites en son honneur eurent les noms d’Ouloi et Iouloi; on a dit aussi Demeetrouloi et Calliouloi. Je rappellerai seulement un passage de ces chansons : « Envoie nous, envoie nous abondance d'ioules, abondance d'ioules. » Selon d'autres, l’Ioule était la chanson des ouvriers en laine. Quant aux chansons des nourrices, on les nommait Kalakaukaléseis. Il y avait aussi une chanson en l'honneur d'Erigone, et qu'on chantait à la fête des Eores ; on la nommait la chanson de la vagabonde, (elle était due à Théodore), dont Aristote parle ainsi dans sa République des Colophoniens. « Ce Théodore finit aussi ses jours par une mort violente ; c’était, dit-on, un homme voluptueux, comme on le voit par ses poésies ; et les femmes chantent encore ses vers à la fête des Eores. » Les moissonneurs avaient aussi leur chanson, qu'on appelait Lytierse. Les journaliers qui allaient travailler aux champs, avaient de même leur chanson particulière, selon ce que dit Téléclide dans ses Amphyctyons. Il y en avait aussi une pour les bains, selon les Tolmai de Cratès. Les premières Thesmophores d'Aristophane rappellent la chanson des Pétrisseuses. Nicocharis en fait aussi mention dans son Hercule Chorège. Quant aux pâtres qui gardaient les bœufs, ils avaient leur Boucoliasme, chanson dont l'auteur était le nommé Diome, bouvier de Sicile. Epicharme en parle dans son Alcyon et dans son Ulysse qui fait naufrage. Les chants qui se faisaient entendre au sujet de la mort ou des malheurs, se nommaient Olophyrmes. Quant aux chansons appelées Ioules, elles étaient particulièrement consacrées à Cérès et à Proserpine. Apollon avait pour lui la Philélias, selon Telesille. Les Oupingos étaient consacrées à Diane. Les lois de Charondas se chantaient à table, chez les Athéniens, comme le rapporte Ermippe dans son ouvrage sur les Législateurs, lv. 6. On lit dans les gloses du grammairien Aristophane, « Himaios, chansons des mouleurs de grains ; Hymenaios, chanson des noces; Ialemos, chant de la tristesse. » Le Linos et l’Ælinos se chantaient également et dans la tristesse et dans la prospérité, selon Euripide. Selon Cléarque, lv. 1 de ses Erotiques, certaine petite chanson eut son nom de la nommée Eriphanis, qui faisait des vers lyriques. Voici ce qu'il dit à ce sujet : « Eriphanis qui faisait des vers lyriques, devenue très amoureuse du chasseur Ménalque, s'occupa aussi de la chasse, courant après l'objet de ses feux: errant ainsi au hasard, elle parcourait toutes les forêts des montagnes, faisant tout ce que la fable rapporte de la vagabonde Io: non seulement elle toucha les hommes les plus insensibles, elle arracha même des larmes aux bêtes les plus sauvages, qui pleuraient avec elle sa passion, lorsqu'elles eurent senti quel était l'espoir de l'ardeur qui l'animait. Tel fut donc le motif qui lui fit composer cette petite ode qu'elle alla ensuite chanter de toutes ses forces, dit-on, en parcourant les déserts. On lit dans cette pièce : « Ménalque, ces grands chênes, etc. » Aristoxène, lv. 4 de son Traité de la Musique, dit que les femmes de l'antiquité chantaient certaine chanson intitulée Calyce, faite par Stésichore. Selon cette ode, une fille nommée Calyce, amoureuse du jeune Euathle supplie, dans des vues honnêtes, la déesse Vénus de le lui faire épouser. Mais le jeune homme l'ayant méprisée, elle se précipita du haut d'une roche ; cet événement malheureux, dit-on, arriva près de Leucade. Or, le poète y peint le caractère de la jeune fille avec tous les traits de l'honnêteté. Elle ne veut pas avoir de commerce illégitime avec Euathle, mais, comme jeune fille, s'unir par les liens du mariage avec le jeune homme, ou renoncer à la vie, si elle ne peut y parvenir. Aristoxène dit encore dans ses Extraits, historiques, qu'Iphiclus n'ayant fait aucun cas d'Harpalice qui brûlait d'amour pour lui, elle se donna la mort. Cet événement donna lieu, selon lui, à une assemblée, dans laquelle de jeunes filles disputaient entre elles le prix d'une ode qui eut le nom d’Harpalyce. Nymphis parlant des Maryandiniens dans le lv. 1 de son Histoire d'Héraclée, rapporte ce qui suit: « On peut aussi entendre chez eux quelques chansons qui leur sont particulières, et qu'ils ont coutume de chanter, en rappelant certain personnage antique par le nom de Borcus. Ils disent que cet homme était fils d'un père aussi distingué par son rang que par ses richesses. Ce personnage avait surpassé tous les Maryandiniens par sa beauté et les charmes de sa jeunesse. Etant un jour à la tête des travaux de ses champs, il voulut procurer de l'eau à ses moissonneurs, et alla pour en prendre à une fontaine ; mais il disparut subitement. Les habitants de la contrée allèrent donc le chercher en le rappelant par certaine chanson lugubre, qui est encore en usagé chez eux. Telle est aussi la chanson en usage chez les Egyptiens, et qu'ils appellent Maneros. Il ne nous manqua pas non plus des Rapsodes à notre festin. Larensius aimait beaucoup Homère et même plus que personne; de sorte qu'il l'emportait même à cet égard sur Cassandre, roi de Macédoine, dont Carystius parle ainsi dans ses Commentaires historiques. « Cassandre aimait tellement Homère, qu'il avait toujours à la bouche nombre de passages de ce poète ; il possédait même l'Iliade et l'Odyssée écrites de sa propre main. Or, ces Rapsodes se nommaient aussi Homéristes, selon ce que dit Aristoclès dans son Traité des chœurs. Ce fut Démétrius de Phalère qui introduisit le premier des Rapsodes sur le théâtre. Chaméléon dit dans son ouvrage sur Stésichore, qu'on chantait non seulement les poésies d'Homère, mais même celle d'Hésiode, d'Archiloque, et qui plus est, celles de Mimnerme et de Phocylide. Cléarque, lv. 1 des Griphes dit que Simonide de Zacynthe chantait des Rapsodies des vers d'Antiloque sur le théâtre, y étant assis. Lysanias écrit lv. 1. de son ouvrage sur les poètes ïambiques, que le Rapsode Mnasion déclamait des vers ïambiques de Simonide dans les pompes publiques.-Mais le Rapsode Cléomène récita aux jeux olympiques les Lustrations d'Empédocle, selon le rapport de Dicéarque, dans son Olympique. Jason, lv. 3 de son ouvrage sur les Temples d'Alexandre, dit que le comédien Hégésias déclama des morceaux d'Hérodote sur le théâtre, et Ermophante, des morceaux d'Homère. [14,4] Chap. IV. Nous voyons aussi tous les jours de ces gens qu'on appelle vulgairement Hilarodes, ou, selon quelques-uns, Simodes. Aristoclès, lv. 1 de son ouvrage sur les Chœurs, dit qu'ils furent ainsi nommés de Simus le Magnésien qui surpassa tous les poètes Hilarodes. Le même nous donne les noms dans son ouvrage sur la musique : il y écrit en outre que le Magode est le même que le Lysiode. Selon Aristoxène, on appelait Magode celui qui jouait un rôle d'homme sous l'habit de femme, et Lysiode, celui qui jouait un rôle de femme sous l'habit d'homme. Du reste, ils chantaient des vers de même espèce, et ne différaient pas à d'autres égards. On a donné le nom d'Ionique au style licencieux de Sotades et à tous les ouvrages de ce genre, qui l’avaient précédé; tels que ceux qui sont attribués à Pyrète de Milet, Alexandre d'Etolie, Alexus et autres semblables. Cet Alexus fut même surnommé le Cynédologue. Or, Sotades s'est distingué dans ce genre surtout, comme le dit Carystius de Pergame, sur l'ouvrage de Sotades. Apollonius, fils de ce poète l'assure aussi dans le Commentaire qu'il a écrit sur les poésies de son père. On y voit aussi quelle était l'effronterie téméraire de Sotades, qui osait mal parler du roi Lysimaque dans Alexandrie, et déchirait Ptolémée Philadelphe auprès de Lysimaque ; sans épargner davantage d'autres rois dans plusieurs villes où il se trouvait. Aussi fut-il puni comme il le méritait. Voici ce qu'Hégésandre rapporte à ce sujet dans ses Commentaires : « Sotades s’était sauvé d'Alexandrie par mer, s'imaginant qu'il avait ainsi évité le danger auquel l'exposaient les sarcasmes violents qu'il avait lâchés contre Ptolémée. Au moment que ce prince épousait Arsinoé sa propre sœur, il lui dit entre autres : « Tu pousses ta tanière dans un trou que tu ne peux toucher sans crime. » Patrocle, un des généraux de Ptolémée ayant été à la poursuite de Sotades, l'atteignit et le prit dans l'île de Caune ; aussitôt il le fît clore dans une boîte de plomb, le ramena à la mer, et l'y noya. Tel était donc le genre de poésie de Sotades. Voici ce qu'il écrivit sur Philène, père du joueur de flûte Théodore : « Celui-ci ayant forcé l'ouverture étroite d'une ruelle de derrière, a fait éclater, d'une crevasse couverte d'une forêt, un vain coup de tonnerre semblable à celui que lâche un vieux bœuf en labourant. » Mais l'Hilarode est un poète plus honnête que les précédents. Il ne fait entendre rien qui sente une mollesse efféminée; il porte un habit d'homme et blanc, et même une couronne d'or. Autrefois il chaussait des souliers, maintenant il ne met que des sandales ; un homme ou une femme l'accompagne avec un instrument à corde, comme l’Aulède est accompagnée d'une flûte. On donne pour récompense une couronne à l'Hilarode et à l'Aulède, mais non au musicien qui accompagne l'Hilarode, ni à l’Aulète. Quant à celui qu'on appelle Magode, il a avec soi des tambours, des cymbales et tous les habillements de femme qui lui conviennent. Il affecte un chant mol et efféminé, ne gardant aucun décorum. Il joue les rôles tantôt d'une femme, tantôt d'un adultère, tantôt d'un croupier, tantôt d'un homme ivre, ou qui va faire une partie de débauche avec la courtisane qu'il aime. L'Hilarodie, selon Aristoxène, avait, à certain degré, la gravité de la tragédie ; mais la Magodie se rapprochait du caractère de la comédie. Souvent les Magodes prenaient pour leurs spectacles des sujets de comédie qu'ils représentaient selon leur genre, et avec l'appareil qui leur était particulier. Or, la magodie fut ainsi nommée de ce que les acteurs y entremêlaient une espèce de magie, et y faisaient paraître le merveilleux des enchantements. Il y avait à Sparte, dit Sosibius, une espèce de divertissement comique fort ancien, mais d'un appareil fort simple et conforme en cela au génie des Spartiates qui ne voulaient rien d'affecté. En effet, c’était, dans ces farces, un homme qui volait des fruits, un médecin étranger qui tenait le langage du bas peuple, et parlait, comme on le voit, dans ce passage, de la Femme enthousiaste d'Alexis : « Si un médecin de ce pays-ci dit : donnez à cet homme une coupe de gruau d'orge mondée le matin, sur le champ, nous le regardons avec mépris; mais s'il dit : du gruau et une coupe, nous l'admirons. S'il dit : seutlion (de la bête), nous ne faisons aucun cas de lui ; mais dit-il : teutlion, oh! pour lors nous l'entendons volontiers: De bonne foi! seutlion et teutlion ne sont-ils pas la même chose! Les Lacédémoniens appelaient ceux qui s'occupaient de cette sorte de divertissement, Dicelistes, ce qui répond à g-skenopoioi et à g-mimeetai. Mais les Dicelistes étaient nommés différemment, selon les différents lieux où ils se trouvaient. Les Sicyoniens les appelaient Phallophores ; d'autres leur donnaient le nom d’Autocabdeeloi, les Grecs de l'Italie les appelaient Phlyaques, en nombre d'autres lieux, on les désignait par le nom de Sophistes. Les Thébains qui affectaient des dénominations particulières, appelaient ces gens Ethélontes. Que les Thébains aient toujours affecté des dénominations singulières, on le voit dans les Phénisses de Strattis. « Vous tous habitants de Thèbes, vous n'avez pas le sens commun! D'abord vous appelez la sèche opitthotila au lieu de seepia ; chez vous, le coq ou alectryoon est un ortalichon, le médecin ou iatros est un sacta ; le pont ou gephyra est un phlephyra ; les figues ou syca sont des tyca ; les hirondelles ou chelidones sont des cotilades ; la bouchée trempée ou enthesis est un acolos ; vous dites criademen pour gelan rire ; et un soulier ressemelé ou neocattytos est chez vous un soulier neaspatootos. » Selon Semus de Délos, dans son ouvrage sur les Pæans, « Ceux qu'on appelait Autocabdeeloi se couronnaient de lierre, et prononçaient leurs rôles avec certaine lenteur accompagnée de grâces. On les appela ensuite Iambes, eux et leurs pièces. Quant aux Ithypalles, ils se mettaient des masques de gens ivres ; des manches toutes couvertes de fleurs leurs tombaient sur les mains. Ils avaient des tuniques bigarrées, moitié de blanc, et fixaient avec une ceinture une tarentine qui les couvrait, en descendant, jusqu'aux talons ; en entrant par la grande porte, ils marchaient en silence ; et lorsqu'ils s’étaient avancés jusqu'au milieu de l'orchestre, ils se tournaient vers le théâtre, et disaient : « Rangez-vous, faites place au dieu, car le dieu veut passer droit au milieu, sans s'incliner. » « Les Phallophores, dit le même, ne mettaient point de masque; ils se ceignaient un plastron fait d'un tissu de serpolet, surmonté de feuilles d'acanthe ; ensuite ils se mettaient une couronne épaisse entrelacée de lierre et de violettes, et paraissaient vêtus d'une caunace, s'avançant les uns par l'entrée ordinaire, les autres par le milieu des chœurs, et en mesure, disant: « Bacchus, c'est à toi que nous consacrons ces chants, variant nos accents sur un rythme simple ; mais ces chansons seraient peu convenables devant des vierges. Quoiqu'il en soit, nous ne ferons entendre aucune de ces chansons triviales; mais nous allons commencer un hymne nouveau. » Après ce début, ils s'avançaient en courant, et persifflaient qui bon leur semblait, mais en s'arrêtant à une place. L'acteur Phallophore marchait tout droit et tout barbouillé de suie. » Mais, puisque nous en sommes sur ce chapitre, je crois ne devoir pas omettre ce qui arriva au citharède Amoibée qui vivait de notre temps. C’était un homme très instruit de tous les différents nomes de la musique. Venant un jour un peu tard pour souper avec nous, et apprenant des serviteurs, que l'on avait fini, il se mit à réfléchir sur le parti qu'il pouvait prendre ; Sophon le cuisinier, passant près de lui, récita ces vers de l’Augée d'Eubule, et assez haut pour que nous l'entendissions. « Malheureux! pourquoi restes-tu encore à la porte? Que n'entres-tu? Les convives ont déjà troussé avidement des cuisses d'oie toutes chaudes; on a démembré des échines de petits cochons; on a avalé la fressure, toutes les issues sont dévorées ; une longue andouille se trouve empilée ; un grand calmar grillé a été grugé; neuf ou dix poitrines sont englouties. Si tu veux donc avoir quelques bribes à manger, ça, entre sur le champ, de peur d'être obligé de te sauver bouche béante, comme il arrive souvent au loup qui manque sa proie. » « Pour nous, rien ne nous manque, et nous pouvons dire avec le Thébain du charmant Antiphane : « A. Il y a une anguille, béotienne comme la maîtresse du logis, coupée par tronçons au fond de la casserole; elle y fait mille sauts dans le bouillon, sur le feu qui la pénètre partout: et il faudrait avoir un nez de bronze pour entrer ici et en sortir, tant cette anguille frappe agréablement les narines. B. Mais, dis-tu vrai, cuisinier? A. Oui ; et près d'elle, il y a un muge qui a jeûné le jour et la nuit; on l'a écaillé, il a la plus belle couleur sur les côtés; et après avoir été bien retourné, il achèvera le reste de sa course, et ne s'avisera plus de grogner. Un valet a soin de l'arroser de vinaigre; une tige de silphion de Libye bien séchée au soleil, est toute prête. Qu'on dise à présent que les enchantements n'ont pas de vertu! En effet, je vois déjà trois mets prêts à manger, pendant que tu retournes ces autres choses là, savoir, cette sèche grégale qui a le dos arrondi, et qui est désarmée par des mains munies de couteau ; un calmar qui a changé sa blancheur éclatante ; un sarge rôti par l'activité de la braise ; fier de l'odeur qui s'exhale de tout son corps doré au feu, il semble provoquer la faim des convives en préludant au repas. Ainsi entre, point de retard ; avance car s'il y a quelque catastrophe à essuyer, il vaut mieux l'essuyer le ventre plein. » « Mais Amoibée qui s’était trouvé à sa rencontre, lui répondit fort à propos par ce passage du Citharède de Cléarque: « Dévore un congre blanc avec toutes ces substances visqueuses ; cela fortifie la poitrine, et nous rend la voix très claire. » Tout le monde applaudit à ce récit, et, de concert, on appela le musicien; il entra, but un coup, prit sa cithare, et nous fit tant de plaisir, que nous admirions également, et la rapidité du jeu de sa cithare, et l'accord harmonieux de sa voix. Pour moi, il me semble ne le céder en rien à l'ancien Amoibée qui demeurait à Athènes, et qui, selon ce que dit Aristias, dans son ouvrage sur les Citharèdes, habitait près du théâtre. Or, toutes les fois, ajoute-t-il, que cet Amoibée sortait pour aller chanter, il gagnait un talent attique dans sa journée. [14,5] Chap. V. Plusieurs convives avant ainsi parlé de la musique, et d'autres différemment, tous les jours de nos assemblées, mais tous approuvant généralement cet art agréable, Masurius prit la parole. C’était un excellent homme, rempli de connaissances, versé autant que personne dans la jurisprudence, s'occupant d'ailleurs fréquemment de la musique ; et jouant de divers instruments. Mes amis, dit-il, Eupolis le Comique a écrit que : « La musique est un art profond et des plus difficiles, présentant toujours quelque découverte nouvelle à faire aux génies inventifs. » C'est pourquoi Anaxilas dit dans son Hiacynthe: « Par tous les dieux! il en est de la musique, comme de la Lybie, elle enfante tous les jours de nouveaux prodiges. Aimables convives, la musique, selon le Citharède de Théophile, « Est un grand trésor et même un bien très solide pour ceux qui l'ont apprise à fond ; en effet, elle sert à former les mœurs, elle modère les caractères trop vifs, et ramène l'homme de ses écarts. » Si l’on en croit Caméléon du Pont, Clinias, philosophe Pythagoricien, recommandable tant par la régularité de sa vie, que par la pureté de ses mœurs, prenait sa cithare, en jouait aussitôt qu'il se sentait un mouvement de colère, et il répondait à ceux qui lui demandaient pourquoi? Je me calme. Achille, dans Homère, s'adoucit aussi au son de la lyre que le poète lui laisse seule des dépouilles d'Eétion, et qui devenait le moyen de calmer son caractère bouillant. Théophraste dit dans son Traité sur l’Enthousiasme, que la musique peut guérir des maladies; la sciatique, par exemple, si l'on joue sur le mode phrygien pour enchanter le mal, et que pendant ce temps-là les malades ne sentent plus leur douleur. Ce mode a eu ce nom des Phrygiens qui l'ont inventé et l'ont mis les premiers en usage. Voilà aussi pourquoi les noms des joueurs de flûte sont tous Phrygiens chez les Grecs, et noms d'esclave ; tels sont, par exemple, Sanebas, Adon et Telos dans Alcman, et dans Hipponax, Kion, Kodale et Babys qui a donné lieu à ce proverbe, au sujet de ceux qui jouent toujours de mal en pis ; le voici : « Il joue encore plus détestablement que Babys. » Aristoxène rapporte l'invention du mode Phrygien à Hyagnide de Phrygie ; mais Héraclide du Pont, lv. 3 de la Musique, dit qu'il ne faut pas appeler (harmonie) mode, l'invention des Phrygiens, ni celle des Lydiens, parce qu'il n'y a proprement que trois (harmonies) ou modes chez les Grecs, comme il n'y eut que trois races primitives parmi eux, savoir les Doriens, les Eoliens, les Ioniens, races dont les caractères ne différaient pas ou peu. Les Lacédémoniens sont ceux des Doriens qui ont le plus conservé les usages qu'ils tenaient des Doriens leurs ancêtres. Les Thessaliens, nation qui rapporte son origine aux Eoliens, vivent à peu près de même que ceux-ci ; mais il est arrivé des changements chez la plupart des Ioniens, parce qu'ils ont été comme obligés de sympathiser avec les barbares dont ils subissaient la loi. On appela donc Dorien, le mode musical que ceux-ci inventèrent ; Eolien, celui sur lequel chantaient les Eoliens; enfin Ionien, celui sur lequel on entendit chanter les Ioniens. Le mode Dorien manifeste quelque chose de viril et de majestueux; loin d'y sentir une molle gaieté, on y remarque un sentiment sévère et violent, mais on n'y trouve ni mélange, ni variété dans le caractère du chant. Le caractère du mode Eolien est fier et enflé ; mais il joint à cela certaine légèreté agréable. C'est en effet ce qui convient à des gens qui vont souvent à cheval, et qui se font un plaisir de recevoir chez eux les étrangers. Il réunit la franchise à l'élévation et à la hardiesse. Voilà pourquoi les Eoliens sont particulièrement adonnés au vin, à l'amour et en général à une vie mêlée de plaisirs. Les Eoliens renferment en partie dans leur mode le caractère de celui qu'on a nommé Dorien, ce qui a fait nommer le leur hypodorien ; or, suivant Héraclide, c'est proprement celui qu'on appelle Eolien ; et Lasus d'Hermione le fait aussi entendre dans l'hymne qu'il a composé en l'honneur de Cérès d'Hermione. Voici le passage : « Je chante un hymne à Cérès et à sa fille Mélibée, femme de Clymène, en le récitant sur le ton grave et bruyant de l'Eolie. » Ils chantent tous ces vers hypodoriens, or, le mode du chant étant hypodorien, le poète a donc eu raison de dire que le mode de son chant était éolien. Pràtinas dit aussi quelque part : « Ne suis pas un mode trop sévère, ni trop relâché, tel que l'ionien, mais prenant un juste milieu, règle tes chants sur le mode éolien. » Il s'explique encore plus clairement ensuite, lorsqu'il dit: Le mode éolien convient particulièrement aux jeunes gens qui sont avides de chansons.» On voit donc par ce que je viens dire, qu'on appela d'abord ce mode éolien et ensuite hypodorien, et, selon quelques-uns, il convient particulièrement à la flûte, qu'ils pensent ne pouvoir servir au Dorien proprement dit. Pour moi, je présume que les Grecs de ces temps-là sentant certaine élévation, mais en même temps quelque chose qui se rapprochait d'un caractère tempéré dans la marche de ce mode, ne l'ont pas regardé comme véritablement dorien, mais approchant de ce mode-ci; c'est pourquoi ils le nommèrent hypodorien, comme nous appelons hypoleukon ou blanchâtre, ce qui approche du leukon ou blanc, et hypoglyky ou douceâtre, ce qui approche du glyky ou doux; de même aussi hypodorien désigna ce qui n’était pas tout à fait dorien. Considérons à présent quel est le caractère de la musique des Milésiens : les anciens Ioniens nous le montrent. C’étaient des gens fiers de leur force et de leur belle stature, emportés, vindicatifs, querelleurs, en qui on ne remarquait ni politesse, ni gaieté ; et qui, au contraire, paraissaient incapables d'un sentiment d'amitié ; enfin, des gens absolument durs et grossiers. C'est pourquoi il n'y avait rien de fleuri, ni de gai dans le caractère de la musique ionienne ; tout y était d'une extrême sécheresse ; cependant on y trouvait certaine élévation assez noble, ce qui la rendait propre aux chants des tragédies. Mais les mœurs des Ioniens actuels, sont efféminées, et le caractère de leur musique diffère infiniment de ce qu'il fut d'abord. On dit que Pytherme de Théos avait fait des pièces lyriques pleines de méchanceté, adaptées à ce genre de musique ; et que ce poète, étant ionien, donna lieu de l'appeler mode ionien. C'est ce Pytherme dont Ananius a fait mention. Hipponax le rappelle aussi dans ce passage de ses iambes : « Ce que dit Pytherme est de l'or ; de sorte que rien ne peut entrer en comparaison. » Hipponax indique que les poésies de Pytherme étaient infiniment précieuses, en les comparant à l'or. D'après ces réflexions, il est donc vraisemblable que Pytherme ne fit qu'inventer une espèce de poésie lyrique adaptée aux mœurs des Ioniens ; et je conclus de là, qu'il n'y a pas eu de mode ionien particulier, mais comme une espèce de mode qui a certain point, méritait d'être entendu avec admiration. Laissons donc là ces gens qui, incapables de distinguer les différentes espèces de modes, et qui, uniquement guidés par les sons graves ou aigus, veulent nous introduire un mode hypermixolydien, et même un autre encore au-dessus de celui-ci. En effet, je ne vois pas que le prétendu mode hyperphrygien même ait un caractère particulier ; quoique d'autres le supposent, en disant qu'on a inventé depuis peu un autre mode qui a été nommé hypophrygien. Un mode doit faire sentir une passion ou un caractère particulier dans la manière d'être; tel était celui des Locriens. On l’avait adopté dans quelques endroits du temps de Simonide et de Pindare ; mais ensuite on n'en fit aucun cas. Il n'y a donc que trois modes, selon ce que j'ai dit plus haut, comme il n'y a eu que trois peuples primitifs chez les Grecs. Quant, au lydien et au phrygien, qui sont dus aux Barbares, ils n'ont été connus en Grèce que par la transmigration des Lydiens et des Phrygiens, qui passèrent dans le Péloponnèse, sous la conduite de Pélope. Les Lydiens l’y suivirent, parce que Sipyle était une ville de Lydie. Quant aux Phrygiens, ils y sont venus, non qu'ils fussent limitrophes des Lydiens, mais parce qu'ils étaient soumis à l'autorité de Tantale. On voit même encore par tout le Péloponnèse, surtout dans la Laconie, de grands tertres qu'on appelle les tombeaux des Phrygiens qui sont venus avec Pélope. C'est donc d'eux que les Grecs ont appris ces espèces de modes étrangers ; et voilà pourquoi Téleste de Selinunte a dit: « Ce furent les compagnons de Pélope qui firent entendre les premiers, aux repas des Grecs la musique phrygienne de Cybèle, avec des flûtes ; ils y fredonnèrent aussi, en frappant sur leurs pectides aiguës, une chanson lydienne. Mais, dit Polybe de Mégalopolis, il ne faut pas s’imaginer avec Ephore que la musique ait été introduite parmi les hommes pour tromper, et pour être employée à des prestiges. Ne croyons pas non plus que les Crétois et les Lacédémoniens des temps reculés aient introduit au hasard le jeu de la flûte et le rythme, au lieu de la trompette, dans toutes leurs expéditions militaires. Ce n'est pas non plus sans raison que les premiers Arcadiens mêlèrent la musique à toutes leurs institutions politiques ; car ils voulaient que l’on s'en occupât, non seulement dans l'enfance, mais même sans interruption dans l'âge adulte, jusqu'à trente ans, quoiqu'ils vécussent d'ailleurs avec beaucoup d'austérité. C'est donc chez les Arcadiens seuls que les enfants sont accoutumés dès l'enfance à chanter sur certain nome, des hymnes, des pæans, dans lesquels chacun d'eux célèbre, selon les usages de la patrie, les héros et les dieux de leurs pays. Après cela, ils apprennent les nomes de Timothée et de Philoxène, et ils montent tous les ans sur les théâtres pour former des chœurs de danses, au son des flûtes, le jour de la fête de Bacchus. Les enfants y disputent le prix avec les enfants ; les jeunes gens, avec les hommes faits. Pendant toute leur vie, ils assistent ainsi aux assemblées publiques, s'instruisant les uns les autres au chant, et non par le moyen d'histrions étrangers. Ce n'est pas un sujet de honte pour eux, que de s'avouer ignorants en telle ou telle autre science ; mais ils se croiraient déshonorés, s'ils convenaient qu'ils ne sont pas instruits dans l'art de chanter. Ils s'exercent à marcher avec gravité et lenteur, en marquant la mesure des sons de la flûte. Après s'être ainsi bien formés à la danse par les soins et aux frais de l'État, ils paraissent ainsi tous les ans sur les théâtres. Leurs ancêtres les ont formés à ces usages, non dans des vues voluptueuses, ni pour leur procurer le moyen de devenir riches, mais pour adoucir l'austérité de leur manière de vivre, et la dureté de caractère qui leur serait naturelle, en conséquence de l'air froid et épais qui règne sans cesse dans leur contrée. Or, notre caractère est toujours analogue aux qualités de l'air ambiant dans lequel nous vivons, et la différente position des peuples sur le globe établit aussi une très grande différence entre eux, tant à l'égard du caractère, que de la figure et de la couleur. Outre cela, il était d'usage chez eux que les hommes et les femmes chantassent certaines odes, et offrissent des sacrifices en commun. Il y avait aussi des danses communes à la jeunesse des deux sexes, et dont le but était d'adoucir la dureté naturelle du caractère, et de le rendre plus liant par ces exercices d'usage. Les Cinèthes les négligèrent absolument; mais, comme ils habitaient le pays le plus rude de l'Arcadie, et ne respiraient qu'un air très grossier, les querelles auxquelles ils s'abandonnèrent par un esprit de rivalité, aboutirent enfin à les rendre si féroces, qu'ils commirent les plus grands crimes, et furent, parmi les Arcadiens, seuls coupables de ces excès. En effet, s'étant jetés sur plusieurs villes d'Arcadie, ils y égorgèrent tant de monde, que les autres habitants de la contrée se réunirent pour les bannir du pays. Lors même qu'ils se furent retirés, les Mantiniens en purgèrent la ville par des expiations et des sacrifices, après en avoir mené les victimes tout autour de leur territoire. Le musicien Augéas disait que le styrax qu'on brûle aux orchestres les jours des Dionysiaques, frappait l'odorat d'une odeur phrygienne. [14,6] Chap. VI. Anciennement la musique avait pour but d'animer la valeur des guerriers. Le poète Alcée, excellent musicien s'il en fut jamais, préfère tout ce qui concerne la valeur guerrière aux charmes de la poésie ; mais avouons qu'en cela, il est lui-même un peu trop guerrier. C'est donc dans cet enthousiasme qu'il écrivait: « Ma vaste maison brille partout de l'éclat de l'airain ; le toit en est même orné de tout l'appareil de Mars, de casques étincelants, surmontés de touffes de crin blanc qui s'y agitent, et faits pour décorer noblement la tête d'un homme; des bottines luisantes, à l'épreuve du javelot, y sont suspendues tout au tour à des chevilles qu'on n'aperçoit pas. On y voit aussi des cuirasses faites de lin cru; en outre, des boucliers concaves jetés çà et là. Auprès, sont des sabres de Chalcis, des baudriers, des soubrevestes qu'il ne faut pas oublier, car c'est la première pièce de l'armure pour aller combattre. » Peut-être convenait-il mieux que la maison fût pleine d'instruments de musique ; mais les anciens mettaient la valeur au premier rang des vertus civiles, et la regardaient comme le véritable appui de tout gouvernement, abstraction faite des autres. C'est aussi dans le même principe, qu'Archiloque, poète d'un vrai mérite, se vantait de pouvoir combattre pour les intérêts de la patrie, et ne mit qu'au second rang le talent qu'il avait à faire des vers. « Je suis, disait-il, un des suppôts du redoutable Mars, mais n'ignorant pas l'aimable talent de la poésie » Eschyle, qui s’était acquis autant de gloire par ses vers, préféra de même que sa valeur fut rappelée dans son épitaphe. « Mon glorieux courage aura pour témoins éternels le bocage de Marathon et le Perse chevelu qui l'a éprouvé. » C'est en conséquence de ces effets de la musique, que les valeureux Lacédémoniens marchent au combat au son de la flûte ; les Crétois, au son de la lyre; les Lydiens, aux sons réunis des syringes et des flûtes, comme le dit Hérodote. Plusieurs peuples parmi les Barbares, font même accompagner leurs députés avec des flûtes ou des cithares, afin de se concilier plus facilement l'esprit de leurs ennemis. C'est à ce sujet que Théopompe dit, lv. 46 de ses Histoires, que les Gètes se munissent de cithare, et en jouent dans leurs députations. C'est par ce même motif qu'Homère, qui suit toujours les anciens usages des Grecs, parait avoir dit de la lyre : « Les dieux l'ont faite pour être l'amie et la compagne des festins « voulant indiquer par-là de quel avantage était la musique pour les convives ; et c'est en conséquence que cet usage était devenu généralement une espèce de loi. La musique fut donc introduite dans les repas; d'abord, afin que ceux qui se repaissaient et buvaient sans assez de retenue, y trouvassent un remède qui arrêtât toute violence et toute malhonnêteté de leur part ; ensuite, parce que la musique réprime cette confiance hardie que donne le vin ; et que d'ailleurs, elle ne fait cesser une humeur sombre et agreste, que pour y faire succéder une joie douce et libre de toute autre passion. Voilà pourquoi Homère nous représente les dieux, lv. 1 de l'Iliade, comme faisant usage de la musique, après le différend qui était survenu au sujet d'Achille. « Ils écoutaient donc attentivement la très belle lyre dont jouait Apollon, et les muses qui, de leurs voix mélodieuses, se répondaient alternativement. » En effet, il fallait qu'ils terminassent alors leurs débats et leur dissension, comme je l'ai dit. Il paraît donc qu'en général on a réuni l'exercice de cet art aux assemblées convivales pour en corriger les abus, et y être ainsi très utile. Mais les anciens n’avaient admis tant par l'usage que par des lois positives, que des hymnes en l'honneur des dieux, pour les chants de leurs festins, afin qu'on s'y tînt toujours dans les bornes de la décence et de la modération. Les éloges des dieux étant ainsi réunis à des chants mesurés, donnaient à chaque convive une élévation mêlée de respect. Philochore nous apprend même que les anciens n'employaient généralement pas les dithyrambes dans leurs libations, mais qu'ils les réservaient pour celles qu'ils faisaient à Bacchus, ayant la tête échauffée par les fumées du vin. S'ils célébraient Les louanges d'Apollon, c'était paisiblement et avec le plus bel ordre. Archiloque dit à ce sujet : « Oui, je sais entonner un brillant dithyrambe en l'honneur du roi Bacchus, lorsque j'ai le cerveau foudroyé par le vin. » Epicharme dit aussi dans son Philoctète : « Il n'y a pas de dithyrambe où l'on ne boit que de l'eau. » Il est donc évident, par ce que nous venons de dire, que la musique ne fut pas d'abord admise aux festins, pour être employée à des plaisirs grossiers et vulgaires, comme quelques-uns l'ont pensé. Les Lacédémoniens ne nous apprennent pas s'ils étudiaient la musique ; cependant il paraît par leur témoignage, qu'ils savaient bien juger de l'art. Ils disent même qu'ils l'ont sauvée trois fois de sa perte. La musique n'est pas moins utile, considérée comme exercice, et pour aiguiser l'esprit ; et c'est aussi dans ces vues que chaque peuple de la Grèce, et ceux des Barbares que nous connaissons, font usage de cet art. Damon l'Athénien disait même avec assez de raison que l'on ne peut ni chanter, ni danser, sans que l'ame soit en mouvement, et que les chansons ou les danses sont belles et bien exécutées, si ceux qui les font ont de belles âmes ; que le contraire arrive dans une supposition contraire. Clisthène, tyran de Sicyone donna à cet égard la preuve d'une belle éducation et d'un esprit fort délié. Voyant Hippoclide d'Athènes, un de ceux qui recherchaient sa fille, danser sans aucune grâce, « Il dit aussitôt, Hippoclide dédanse son mariage » ; présumant, comme il paraît, que cet homme avait une âme analogue à son maintien. En effet, si un beau maintien et les grâces flattent dans celui qui danse, rien ne choque tant qu'un air gauche et grotesque. Voilà pourquoi les poètes ne chargèrent d'abord d'exécuter les danses, que des gens d'une condition libre, et bien élevés ; et ils leur donnaient des figures pour indiquer uniquement les mouvements qui, dans la danse, devaient répondre à l'expression des paroles chantées ; observant que tous ces mouvements fussent exécutés avec grâce et noblesse. C'est là ce qui a fait nommer ces danses hyporchèmes. Mais si quelqu'un exécutait les mouvements prescrits par les figures, sans correspondre à l'expression du chant, ou si en chantant, il ne s'accordait pas avec les gestes et les mouvements de la danse, on le persiflait avec mépris. C'est pourquoi Aristophane ou Platon le comique a dit dans ses Tentes, selon Caméléon : « De sorte que si quelqu'un dansait bien, il attirait tous les regards; mais à présent, ces danseurs ne sont plus rien: on dirait, à les voir, qu'ils ne font que hurler, aussi raides que des pieux. » Il faut observer que la danse des chœurs s'exécutait alors avec beaucoup de grâce et de noblesse, et qu'elle était une exacte imitation de toutes les évolutions militaires. Voilà pourquoi Socrate dit dans ses vers, que ceux qui dansent le mieux, sont les meilleurs guerriers. Voici le passage: « Ceux qui honorent le mieux les dieux dans les chœurs de danses, sont les plus braves militaires. » En effet, la danse était autrefois une espèce d'exercice militaire, et non seulement la preuve manifeste du bon ordre qu'on observait en tout, mais même du soin qu'on prenait de se tenir le corps en bon état. Amphion de Thespie dit, lv. 2 du Musée de l'Elicon, qu'on y exerçait beaucoup les enfants à la danse, et il cite cette ancienne épigramme) à ce sujet: « J'ai eu l'un et l'autre talent, savoir de danser et d'apprendre cet art aux hommes dans le Musée. Celui qui jouait de la flûte, était Anacus de Phialée ; mais moi je suis Bacchidas de Sicyone, et c'est aux dieux et à Sicyone, que j'ai fait hommage de l'avantage de mon talent. » Caphésias, le joueur de flûte, voyant un de ses disciples s'efforcer de tirer un son très grand de la flûte, et ne s'occuper que de cela, lui dit à propos, en frappant du pied, ce n'est pas dans le grand qu'est le bien, mais le grand est toujours dans le bien. Les statues que nous ont laissées les anciens maîtres sont des monuments de la danse antique. C'est dans ces vues que les statuaires s'attachaient à bien représenter les positions des mains. En effet, les danseurs s'étudiaient surtout à des attitudes libres et gracieuses, parce qu'ils ne trouvaient le grand que dans le bien. On fit passer ces attitudes dans les chœurs, et des chœurs dans la palestrique. On voulait que la valeur se montrât autant par la musique, que par l'habileté dans les exercices du corps. On se formait en chantant, les armes à la main, à tous les mouvements des évolutions militaires. [14,7] Chap. VII. C'est à ces exercices que sont dues les danses appelées pyrrhiques, et toute autre espèce de danse, dont les différentes dénominations sont assez nombreuses : telles que l’orsite et l’épicrédios, chez les Crétois, l’apokinos qu'on appela par la suite maktrismos. Il est fait mention de cette danse dans la Némésis de Cratinus, les Amazones de Céphisodore, le Centaure d'Aristophane, et dans plusieurs autres auteurs. Nombre de femmes la dansaient, et en avaient le nom de Marcupies, comme je l'apprends. Mais, quant aux danses ou plus graves, ou plus variées dans les figures, ou plus simples, ce sont le dactyle, l'iambique, la molossique, l'emmêlée, la cordax, la sicinnis persique, le nicatisme phrygien, le calabrisme thrace, la télésias, ainsi nommée de Télesias qui la dansa le premier, étant armé. C’est une danse macédonienne, et que Ptolémée venait de danser lorsqu'il tua Alexandre, frère de Philippe, selon le rapport de Marsyas, lv. 3 de ses Macédoniques. Il y a aussi des danses comme maniaques ; telles que la cemophore, la moggas, la thermaustris. Le peuple avait aussi sa danse Anthème ou fleur; on la dansait au son de la flûte, et avec un mouvement rapide, en disant, « où sont mes roses, où sont mes violettes, où est mon beau persil? » On dansait à Syracuse, et au son de la flûte la chitonée, en honneur de Diane adorée sous cette dénomination. Les Ioniens avaient une danse bachique ; on la dansait entre deux vins. Elle est rappelée dans ce passage : « Ils exécutaient avec beaucoup de justesse la danse angélique ou du message. » Il est aussi une autre danse qu'on appelle l’embrasement du monde : Ménippe le cynique la rappelle dans son Banquet. Certaines danses n’étaient destinées qu'à faire rire; comme l'igdis, le mactrisme, l'apocine et le sobas, et même le morphasme, la chouette, le lion, la farine répandue, la diminution des dettes, les éléments, la pyrrhique. On dansait au son de la flûte, la celeuste, et celle qu'on appelait la pinacide. Quant aux attitudes figuratives des différentes danses, il y avait celles qu'on appelait le xiphisme, le calathisme, les callabides, le scops ou scopeume. Le scops avait ce nom de ce que ceux qui; prenant cette attitude, regardaient en posant la main courbée au haut du front. Eschyle rappelle les scops dans ses Théores: « Tu vois donc ce que c’étaient que les anciens scopeumes. » Les callabides sont nommés dans les Flatteurs d'Eupolis. « Il marche en callabides, et rend une vrai sésamide à la selle. » La thaumastris, les caterides, le scops, la main posée à plat sur les mains, le médipodisme en prenant un bois, l'épaukonisme, le calathisme, le strobile. Il y a aussi une danse appelée Télésias. C'est une danse militaire qui eut ce nom de Télésias, qui la dansa le premier armé, comme le dit Ippagoras, lv. 1 de sa République de Carthage. Quant à la danse satyrique, on l'appelle aussi la sicinnis, selon Aristoclès, lv. 8 des Chœurs, et les satyres en ont eu le nom de sicinnistes. Quelques écrivains disent qu'elle fut imaginée par certain Barbare ou étranger nommé Sicinnus ; d'autres prétendent que cet homme était de Crète : or, les Crétois sont tous danseurs, selon Aristoxène. Scamon, lv. 1 des Inventions, dit qu'on appela cette danse sicinnis du mot grec g-seiein agiter, et que ce fut Thersite qui la dansa le premier; On s'occupa du mouvement rythmique des pieds avant de songer à celui des mains; parce que dans l'antiquité, on exerçait beaucoup plus les pieds dans les jeux gymniques et à la chasse. Or, les Crétois sont tous chasseurs et rapides à la course. D'autres disent que cette danse eut le nom de sicinnis par inversion poétique pour cinesis qui signifie mouvement : or, les satyres la dansent avec un mouvement très rapide ; mais comme elle ne caractérise aucune passion, elle n'est pas en vogue. Tous les spectacles satyriques ne consistaient anciennement qu'en chœurs, de même que la tragédie de ces temps-là : voilà pourquoi il n'y avait pas d'acteurs particuliers. Les danses scéniques ou théâtrales se réduisent à trois, la tragique, la comique et la satyrique. Il en est de même de la danse qui se joint à la poésie lyrique. On la distingue en trois : savoir, la pyrrhique, la gymnopédique et l'hyporchématique. La pyrrhique ressemble à la satyrique; car la vitesse en est le caractère : en outre, la pyrrhique paraît être une danse militaire, puisque ce sont des enfants armés qui l'exécutent; or, il faut de la vitesse à la guerre, soit afin de poursuivre ou de presser l'ennemi, soit afin de fuir en cas de défaite, « Et de ne pas s'obstiner à résister dans la crainte de passer pour lâche.» La gymnopédique est analogue à la tragique, qu'on appelle emmêlée. Dans l'une et l'autre, il faut que le spectateur aperçoive quelque chose de grave et de majestueux. Mais l'hyporchématique ressemble à l'espèce comique qu'on appelle cordax ; l'un et l'autre ne sont que des farces. Quant à la pyrrhique, Aristoxène dit qu'elle fut ainsi nommée de certain Pyrrhique de Laconie ; que d'ailleurs, ce mot est encore un nom lacon. Cette danse paraît être toute militaire, étant une invention des Lacédémoniens. On soit que les Laons sont des gens guerriers, et que leurs enfants aiment à apprendre les chansons embatéries, autrement appelées chansons de l'armure. Les Lacons eux-mêmes rappellent au combat les poèmes de Tyrtée, et en suivent le rythme pour régler les mouvements de leur attaque. Si l'on en croit Philochore, les Lacédémoniens s'étant rendus maîtres des Messéniens, sous la conduite de Tyrtée, établirent pour loi que toutes les fois qu'ils seraient à souper, et qu'ils chanteraient des pæans dans leurs expéditions militaires, ils chanteraient aussi les uns après les autres des vers de ce poète ; et que le général donnerait de la viande pour prix: à celui qui aurait le mieux chanté. Cette danse pyrrhique n'est plus en usage en Grèce que chez les Lacédémoniens ; mais si elle est tombée en désuétude, il en est aussi résulté que les guerres ont enfin cessé. Elle n'est même plus, chez les Lacédémoniens qui l'ont conservée, que comme une espèce de prélude militaire pour la guerre ; car tous leurs enfants apprennent à danser la pyrrhique, dès l'âge de cinq ans. Mais notre pyrrhique actuelle a plutôt l'air d'une danse bachique ; car les mouvements en sont bien moins vifs que ceux de l'ancienne. Les danseurs ont à présent des demi-piques, au lieu de thyrses; ils se les jettent les uns aux autres : ils ont aussi des férules, des torches; et ils figurent dans leurs danses les exploits de Bacchus, son expédition aux Indes, et la mort de Penthée. On ne peut adapter à cette danse que de très beaux vers et des tons fort élevés. La gymnopédique est analogue à là danse que les anciens appelaient anapalée. Les enfants y dansent nus, interrompant en cadence plusieurs de leurs mouvements ; gesticulant des mains avec un air libre et gracieux ; donnant à leurs pieds les positions convenables, en suivant strictement la mesure, de manière à présenter aux spectateurs le véritable tableau de la lutte et même du pancrace. Du reste, cette danse s'exécutait comme celles des oschophories et les bachiques. Voilà pourquoi on la rapportait aussi à Bacchus. Selon Aristoxène, les anciens, avant de paraître sur le théâtre, s'exerçaient d'abord à la gymnopédique, et ensuite passaient à la pyrrhique ; celle-ci s'appelait aussi chironomie, ou la gesticulation des mains. L'hyporchématique est celle que le chœur exécute en chantant. C'est pourquoi Bachilide dit : « Ce n'est pas l'ouvrage des gens assis, ni lents. » Pindare la fait exécuter par « Une troupe de vierges lacédémoniennes. » Ce sont aussi, dans ce même poète, des Lacons qui la dansent ; et elle peut s'exécuter avec des hommes et des femmes. Les modes les plus parfaits des chants sont ceux qui peuvent être accompagnés de la danse ; or, ce sont les prosodiaques et les apostoliques : on les appelle aussi parthéniques, de même que leurs analogues. Parmi les hymnes, on chantait et dansait les uns ; mais on ne faisait que chanter les autres. C'est ainsi que les hymnes en l'honneur de Vénus, de Bacchus et d'Apollon étaient tantôt chantés et dansés, tantôt ne l’étaient pas. Il y a chez les Barbares, comme chez les Grecs, des danses de certain mérite, d'autres fort méprisables. La cordax de ceux-ci, par exemple, est fort grossière, mais leur emmêlée est au contraire très belle. On doit en dire autant de la cidaris des Arcadiens, et de l'alétère chez les Sicyoniens, danse qui a aussi le même nom à Ithaque, selon le rapport d'Aristoxène, lv. 1 de ses Comparaisons. Voilà donc ce que je me proposais de dire sur la danse. La musique n’avait anciennement pour règle générale que le beau, et l'art savait donner à chaque partie l'ornement qui lui convenait. Voilà pourquoi il y avait des flûtes particulières pour chaque mode, et chaque musicien qui allait disputer le prix aux jeux publics, se munissait des flûtes convenables pour exécuter les pièces faites sur les modes particuliers. Mais Pronomus de Thèbes imagina des flûtes avec lesquelles on pouvait jouer indifféremment des pièces faites sur les modes quelconques. Aujourd'hui on fait de la musique au hasard et sans jugement. C’était autrefois une preuve d'impéritie, que d'être approuvé par le vulgaire : voilà pourquoi un joueur de flûte ayant été fort applaudi de la foule, Asopodore de Phliase, qui n’était pas encore sorti de l’hyposcène, dit aussitôt : « Pourquoi donc tout ce bruit? certes il faut qu'il y ait ici quelque chose de bien mauvais dans ce qu'on a entendu ; autrement cet homme n'aurait pas mérite tant d'approbations. » Je sais cependant que quelques écrivains prêtent ce propos à Antigenide. De nos jours, on s'imagine être parvenu au suprême degré de l'art, si l'on a eu quelques succès au théâtre. C'est pour cette raison, dit Aristoxène, dans ses Mélanges bachiques, que nous agissons comme les Posidoniates qui habitent sur les bords de la mer de Toscane. Après avoir été originairement Grecs, ils sont devenus Toscans ou Romains, c'est-à-dire, Barbares; ils ont perdu leur langue, oublié leurs usages, et ne font plus qu'une des fêtes de la Grèce, s'y rassemblant pour se rappeler encore une fois par an les noms antiques des choses et des lois de leur pays. Mais ils se séparent après des gémissements, des cris, et après avoir mêlé leurs larmes les uns avec les autres. Il en est de même de nous actuellement ; nos théâtres sont devenus barbares, et notre musique prostituée au bas peuple, ne ressemble plus, pour ainsi dire, à l'ancienne, dont peu de gens parmi nous sont encore jaloux de se rappeler le caractère. » Ainsi s'explique Aristoxène. [14,8] Chap. VIII. Ces réflexions semblent m'amener naturellement à disserter sur la musique. En effet, ne voyons-nous pas que Pythagore de Samos, philosophe si renommé, s'est occupé avec beaucoup de soin de la musique; et les preuves en sont assez nombreuses. Il assurait même que tout l'univers était arrangé selon les proportions les plus exactes de la musique. On peut dire aussi que l'ancienne sagesse de la Grèce était particulièrement livrée à l'étude de la musique. Voilà pourquoi on jugea pour lors qu'Apollon était le plus habile musicien et le plus sage parmi les dieux, comme Orphée parmi les demi-dieux ; c'est même pour cette raison qu'on appela sophistes, c'est-à-dire, savants, ceux qui s'occupaient de cet art. Eschyle rappelle ce mot dans ce vers. « C'est donc un sophiste qui joue habilement de la chelis. « Or, que les anciens aient eu beaucoup de goût pour la musique, c'est ce qu'on voit par les vers d'Homère qui, pour donner à toute sa poésie la mélodie la plus délicate, fit sans balancer, nombre de vers avec quelque temps de moins, soit au commencement, soit au milieu, soit à la fin. Mais Xénophane, Solon, Théognis, Phocylide, et même Périandre, poète élégiaque de Corinthe, et plusieurs autres peu jaloux de donner à leurs vers cette savante mélodie, ont tous fait leurs vers avec le nombre précis des temps et l'ordre des mètres, ne voulant pas que leurs vers fussent défectueux dans aucune de leurs parties, comme le sont ceux d'Homère, au moins en apparence. Or, on appelle acéphales ceux qui clochent au commencement : tel est ce vers, « g-Epeideh g-nehas g-te g-kai g-Hellehsponton g-hikonto. » « Lorsqu'ils furent arrivés aux vaisseaux et à l'Hellespont. » Et cet autre, « g-Epitonos g-tetanysto g-boos g-iphi g-ktamenoio. » « Le lien du bœuf violemment tué fut tendu. » On appelle lagares ceux qui clochent au milieu: tel est ce vers, « g-Aipsa g-d’ar g-Aineian g-hyion g-philon g-Agchisao. » « Aussitôt Enée le cher fils d'Anchise. » Et cet autre, « g-Ton g-auth’ g-hehgehsthehn g-Askleepiou g-duo g-paides.» « Les deux fils d'Esculape les conduisaient. » On appelle meioures ceux qui clochent au dernier pied : tel sont ces vers, « g-Trœs g-d'errigehsan g-hopohs g-idon g-aiolon g-ophin. » « Les Troyens frissonnèrent en voyant ce serpent bigarré. » « g-Kaleh g-Kassiepeia g-theois g-demas g-eoikyia. » « La belle Cassiopée semblable aux divinités par son port. » « g-Tou g-pheron g-emplehsas g-askon g-megan g-ende g-kai g-ehia. » « J'en emplis une grande outre ; et dedans des provisions. » Les Lacédémoniens ont été particulièrement attachés à la musique, et en ont fait le plus d'usage. Ils ont aussi eu parmi eux nombre de poètes lyriques, et ils conservent encore avec soin les anciennes odes de leur pays, les étudient scrupuleusement, et n'y souffrent aucun changement. Voilà pourquoi Pratinas a dit: « Le lacon est une cigale faite pour les chœurs. » Aussi leurs poètes appelaient-ils l'ode, « Le président des chansons enchanteresses. » Et les vers lyriques, « Les traits ailés des muses.» Ils passaient volontiers d'une vie sobre et austère aux plaisirs de la musique, art qui a tout ce qu'il faut pour charmer ; ainsi ceux qui l'entendaient ne pouvaient que se réjouir. Démétrius de Byzance, lv. 4 du Poème, observe qu'on appelait alors chorèges, ceux qui étaient à la tête des chœurs, en réglaient les chants, de manière que personne ne fît pas de dissonance, et ne s'écartât pas des lois de l'ancienne musique. Aujourd'hui, on donne le nom de chorège à celui qui fait les frais de l'appareil d'un spectacle théâtral. Les Grecs aimaient passionnément la musique, dans l'antiquité, mais assujettie à des règles précises. Le désordre s'y étant introduit par la suite, et presque tous les anciens usages étant tombés en désuétude, le système de la musique se perdit; on introduisit des modes vicieux, et l'on vit succéder parmi ceux qui en faisaient usage, la mollesse à une aimable douceur, l'effronterie et la licence à une grave modération. Ce désordre ira peut-être en augmentant, si quelqu'un ne rappelle l'ancien système de la musique de nos pères. De leurs temps, les exploits des héros, les louanges des dieux étaient les seuls objets des chants. C'est pourquoi Homère dit : « Achille chantait les glorieux exploits des héros. » Il dit ailleurs que : « Phémius savait nombre de chansons capables de charmer, tant sur les hauts faits des hommes, que sur ceux des dieux, et que les chantres célébraient dans leurs vers. » Cet usage s'est aussi conservé chez les Barbares, comme le rapporte Dinon dans ses Persiques : en effet, ce furent des chantres qui prédirent la valeur du premier Cyrus, et la guerre qu'il devait déclarer à Astyage. « Lorsque Cyrus, dit Dinon, s'en retourna en Perse, il avait été mis à la tête des Rabdophores, ensuite il avait eu le commandement des Oplophores ; et ce fut à cette époque qu'il partit. Astyage qui était alors à table avec ses amis, fait venir Augarès un des plus célèbres chantres de sa cour. Le musicien se rend à l'ordre, entre et chante quelques morceaux d'usage en pareille circonstance ; mais en finissant, il dit: « On lâche dans le marais une grande bête plus hardie qu'un sanglier; et qui, après s'être approprié les lieux où elle se jettera, combattra facilement, avec un petit nombre, les plus nombreux ennemis. » Astyage lui demandant quelle était cette bête, le chantre répondit : C’est Cyrus le Persan. Astyage réfléchissant que ce soupçon pouvait être bien fondé, envoya du monde pour ramener Cyrus : ce fut sans succès. J’avais encore beaucoup de choses à dite sur la musique ; mais le bruit des flûtes me frappe les oreilles. Je vais donc finir mes longs détails à ce sujet, après avoir ajouté quelques vers du Philaule de Philétère. « Oh! Jupiter! Oui, il est bien glorieux de mourir au son de la flûte; il n'est permis qu'à ceux qui meurent ainsi, de jouir des plaisirs de l'amour dans le tartare : mais, pour ces gens grossiers que l'art de la musique n'a point polis, on les condamne au tonneau percé. » Après cela, on vint à demander ce que c'était que la sambuque. « La sambuque, dit Masurius, est un instrument d'un son aigu ; Euphorion, qui est aussi poète épique, en a donné les détails dans son Traité des Jeux isthmiques. Selon lui, elle est en usage chez les Parthes et chez les Troglodytes ; et c'est un instrument à quatre cordes. Il cite à ce sujet le témoignage de Pythagore qui en a, dit-il, parlé dans son ouvrage sur la mer rouge. On donne aussi le nom de sambuque à une des machines poliorcétiques, dont Biton a décrit la figure et la construction dans le Traité des Machines qu'il a dédié à Attalus. Selon André de Païenne, cette machine s'approchait des murs des ennemis par le moyen de deux tréteaux, et on l'appelait sambuque, parce que, étant dressée, le vaisseau et l'échelle ne font qu'une figure ; or, cette figure est presque celle de la sambuque. Selon Moschus, lv. 1 des Machines, la sambuque poliorcétique est due aux Romains, et c'est Héraclide de Tarente qui en imagina la forme. Selon Polybe, lv. 8 de ses Histoires, Marcellus fort maltraité au siège de Syracuse par les machines que faisait agir Archimède, qui, dit-il, se sert de mes galères comme de cyathes, pour puiser à la mer, et faisant trébucher mes sambuques par les coups dont il les frappe, il les chasse honteusement du lieu où l'on boit. Emilianus, à ces mots, prit la parole : « mon cher Masurius, amateur de la musique autant que je le suis, je me demande souvent à moi-même, si, ce qu'on appelle magadis, est une espèce de flûte ou de cithare? Car le charmant Anacréon dit quelque part : « O Leudaspis! je joue de la magadis à vingt cordes; mais toi, tu, es tout fier de la beauté de ta jeunesse. » Et d'un autre côté, Ion de Chio parle de cet instrument comme d'une espèce de flûte, dans son Omphale. Voici le passage : « Que la magadis, flûte de Lydie prélude aux chants. » [14,9] Chap. IX. Aristarque le grammairien, expliquant cet iambe, dit formellement que la magadis est une espèce de flûte. C'est cet Aristarque que Panætius, philosophe de Rhodes appelle devin, vu la sagacité avec laquelle il saisissait le sens des ouvrages poétiques. Mais ni Aristoxène n'a dit cela dans son Ouvrage sur les Joueurs de Flûte, ou sur les Flûtes et les Instruments; ni même Archestrate, dans les deux livres qu'il a écrit sur les Joueurs de Flûte ; ni Pyrandre, ni Phyllis de Délos, dans leurs Traités sur le même sujet ; ni Euphranor. Cependant Tryphon, lv. 2 des Dénominations, s'exprime ainsi : « mais la flûte qu'on appelle magados;» et dans un autre passage : « la magadis fait entendre en même temps un son grave et un son aigu ; ce qui est conforme à ce que dit Alexandride dans son Oplomaque: « Je babillerai d'un ton aigu et grave comme la magadis. » Mon cher Masurius, il n'y a que toi ici qui puisse me résoudre cette difficulté. Masurius lui, répond : « Ami Emilien, Didyme le grammairien, dans son Commentaire corrigé sur Ion, entend par magadis une flûte citharistrie, dont Aristoxène fait mention, § 1 de la Perforation des Flûtes. Or, il y reconnaît cinq sortes de flûtes, les parthénies, les pédiques, les citharistries et les complètes. Il faut donc qu'il manque ici quelque chose qui fasse la suite du discours d'Ion ; de sorte qu'il y soit dit, la magadis est une dure qui se joue pour accompagner la magadis. En effet, la magadis est un instrument psaltique, selon Anacréon, et de l'invention des Lydiens. C'est aussi pourquoi Ion donne l'épithète de psaltries aux Lydiennes, dans son Omphale. Voici le passage : « Mais vous Lydiennes psaltries, qui répétez les vieilles chansons, faites honneur cet étranger. » Théophile, poète comique, dit dans son Néoptolème, magadizer, pour chanter accompagné de la magadis. Voici le passage : Ce coquin de fils, le père, la mère peuvent magadizer, assis sur la roue ; mais aucun de nous ne chantera cette chanson. » Euphorion dit dans son Traité des Jeux isthmiques, que la magadis est un instrument fort ancien dont la forme fut changée assez tard, et qu'on l'appela dès lors sambuque. Cet instrument était, ajoute-t-il, d'un grand usage à Mitylène; et Lesbothémis, ancien statuaire, y avait fait une statue représentant une des muses avec une magadis à la main. Selon Ménechme, dans son ouvrage sur les artistes, ce fut Sapho qui inventa la pectis, même instrument que la magadis. Aristoxène écrit que la magadis et la pectis se jouent sans plectre, mais en pinçant les cordes en même temps que l’on chante; que c'est pour cette raison que Pindare, dans un scolie en l'honneur d'Hiéron, appelle la magadis, pseaume antiphtongue, parce que l'on faisait entendre en même temps sur cet instrument un accord d'octave, en accompagnant des enfants et des hommes qui chantaient de même. Phrynicus a dit aussi dans ses Phénisses: « Chantant des airs, et faisant les uns le dessus, les autres la contrepartie. » Sophocle écrit dans ses Mysiens : « Mais nombre de triangles phrygiens faisaient la basse, en résonnant de concert avec les cordes de la pectis lydienne. » Quelques-uns demandent comment la magadis n'existant pas encore du temps d'Anacréon, ce poète a pu en faire mention en ces termes : « O Leucaspis! je chante en faisant résonner ma magadis à vingt cordes. » En effet, les instruments à un grand nombre de cordes, ne se sont vus que fort tard. Mais Posidonius assure qu'Anacréon entend seulement parler des trois modes sur lesquels il jouait, savoir, le phrygien, le dorien et le lydien, dont chacun exigeait le nombre de sept cordes; qu'ainsi le poète a eu raison de dire qu'il jouait avec vingt cordes, en omettant une pour faire un nombre rond. Néanmoins Posidonius semble ignorer que la magadis est un instrument ancien ; car Pindare dit clairement que Terpandre avait imaginé le barbitos qui s'accordait en partie avec la pectis, qui était d'usage chez les Lydiens. Voici le passage du poète : « Terpandre de Lesbos l'imagina comme un instrument d'un son correspondant avec la pectis lydienne, dont il avait entendu le son noble dans quelques repas. » Or, la pectis et la magadis sont le même instrument, selon ce que disent Aristoxène et Ménechme de Sicyone dans son Traité des Artistes. Ménechme assure même que Sapho, qui est plus ancienne qu'Anacréon, joua la première de la pectis. Mais Terpandre est aussi plus ancien qu'Anacréon: en voici la preuve. « Ce fut Terpandre qui remporta le premier le prix à la fête des Carnées, comme le rapporte Ellanicus, dans ce qu'il a écrit sur ces jeux, tant en vers qu'en prose. Or, les Carnées furent établis vers la vingt-sixième olympiade, selon la chronologie de Sosime. » Mais, d'un autre côté, Hiéronyme dit dans son Livre sur les Citharèdes, (qui est le cinquième qu'il ait écrit sur les poètes,) que Terpandre était contemporain du législateur Lycurgue : or, celui-ci, de l'aveu de tous les historiens, fixa avec Iphitus d'Elée, la première époque des jeux olympiques. Euphorion dit aussi que les instruments à un grand nombre de cordes ne diffèrent que de nom, et que l'usage en est extrêmement ancien. Mais Diogène le tragique dit que la pectis diffère de la magadis. Voici le passage; il est de sa Sêmélée. « Mais j'ai ouï dire que des femmes, nées de riches Phrygiens, et ornées des bandelettes de Cybèle asiatique, chantent des hymnes à l'honneur de cette déesse, sage et habile en médecine, en s'accompagnant du bruit des tambours, et du son grave des cymbales d'airain, qu'elles frappent les unes contre les autres de leurs mains ; cependant j'ai ouï dire aussi que des vierges de la Lydie et de la Bactriane, lesquelles habitent près du fleuve Halys, révèrent Diane, déesse du Tmole, sous l'ombrage épais d'un bocage de lauriers, faisant retentir des triangles et des pectides en contrepartie, accompagnées des fredons de la magadis, tandis qu'une flûte joue de concert avec les danses, selon l’usage de la Perse. » Phyllis de Délos met de la différence entre la pectis et la magadis, comme on le voit par ce passage de son livre 2 de la Musique. « Les phénices, dit-il, les pectis, les magadis, les sambuques, les iambiques ; les triangles, les clepsiambes, les ennéacordes. On appelait iambiques les instruments avec lesquels on accompagnait en accord le chant des iambes, et clepsiambes, ceux qui accompagnaient ces mêmes chants, mais sans en suivre précisément la mesure. Les magadis servaient à faire les octaves, et se montaient de manière à être à l'unisson de la voix des chanteurs. Il y avait encore d'autres instruments, tels que le barhitos ou le barmos, et nombre d'autres, tant à cordes, que pour rendre seulement un son quelconque. Car, outre ceux à vent et ceux qui étaient garnis de cordes, on en avait de disposés uniquement pour faire du bruit, telles étaient les crembales, dont parle Dicéarque, dans son ouvrage sur la manière de vivre de la Grèce, disant : « Certains instruments qui font un bruit sonore, touchés avec les doigts, furent-autrefois d'un usage très commun parmi les femmes, pour danser et accompagner la voix ; c'est ce qu'on voit manifestement dans l'hymne en l'honneur de Diane, et qui commence ainsi : « Diane! j'ai le dessein d'entonner à ta gloire une hymne qui te plaise, pendant que cette autre (femme) fera, retentir dans ses mains ces crembales d'airain doré. Ermippe s'est servi du mot cremboliser dans ses Dieux, pour agiter les crembales. Voici le passage : « Ils crembalisent avec des lepas qu'ils ont arrachés des roches. » Didyme dit que quelques-uns ont coutume de faire à ceux qui la dansent certain bruit mesuré, en agitant l'un contre l'autre des coquillages de moules ou d'huitres, au lieu de jouer de la lyre, comme le rapporte aussi Aristophane dans ses Grenouilles. On lit dans Artemon, lv. 1 de la Colonne sépulcrale de Denys, que Timothée, selon plusieurs personnes, s'étant servi d'une magadis où il y avait plus de cordes qu'aux autres, fut dénoncé chez les Lacédémoniens, comme ayant porté atteinte à l'ancienne musique : quelqu'un allant même couper les cordes qu'il avait de surplus à son instrument, il leur indiqua chez eux un petit Apollon qui avait une lyre garnie d'autant de cordes ; et il fut absous. Si l'on en croit Douris, Traité de la Tragédie, la magadis fut ainsi appelé du nom de certain Magdis, Thrace de nation. Apollodore dit, dans sa réponse è la lettre d'Aristoclès, que la magadis était ce qu'on appelle actuellement psaltérion ; mais que pour le clépsiambe, le triangle, l'élyme et l'ennéacorde, ces instruments ne sont presque plus d'usage. Alcman a dit: « Renoncer à la magadis. » Sophocle écrit dans sa pièce intitulée Thamyras : « Des pectes (pectides), des lyres et des magadis, et tout ce qu'il y a (d'instruments) d'un son agréable, chez les Grecs. » Téleste nous apprend ainsi dans son Dithyrambe nuptial, que cet instrument avait cinq cordes. « Mais un autre frappant l'air d'une voix aussi bruyante que le son d'un cornet, animait le jeu de sa magadis, faisant aller et venir avec rapidité sa main flexible sur tout l'espace des cinq cordes très tendues. » Je sais aussi que les rois de Thrace faisaient jouer d'un instrument particulier lorsqu'ils étaient à table: c'est Nicomède qui le rapporte dans son ouvrage sur Orphée. Quant à l'instrument appelé phénix, il eut ce nom des Phéniciens qui en furent les inventeurs, selon ce que disent Ephore et Scamnon, dans leurs ouvrages sur les Inventions. Mais Sémus de Délos, lv. 1 de sa Déliade, dit que ce fut parce que les coudes en avaient été faits du palmier qui était à Délos. Il dit encore que ce fut une sibylle qui se servit la première d'une sambuque : Scamnon que je viens de citer est de cet avis. Semus ajoute qu'elle eut ce nom de certain Sambyx qui l'imagina. Il est un autre instrument de musique nommé trépied, sur lequel Artémon déjà cité s'exprime ainsi: « Ce qui nous laisse ignorer si plusieurs des instruments dont on parle ont vraiment existé : tel, par exemple, le trépied de Pythagore de Zanthe. Comme il n'a été que peu de temps en vogue, peu de personnes l'ont connu, soit parce qu'il était difficile à manier, soit qu'on l'ait abandonné peu après son invention pour une autre raison quelconque. Ce trépied était analogue à celui de Delphes, et en avait eu son nom. Il tenait lieu de trois cithares. Les pieds étant placés sur une base facile à tourner, on donnait à ce trépied les positions qu'on voulait, comme aux sièges tournants. Quant aux trois intervalles qui se trouvaient entre les pieds, il y plaçait en haut dans chacun, ce que l'on appelle le coude, et en bas, une traverse parallèle au coude. Il fixait les cordes au coude, et les bandait aux traverses avec des chevilles. Au dessus des coudes, il terminait le haut du trépied par une espèce de ciel qui couvrait en même temps le bassin fixé aux trois pieds, et les cordes tendues sur les côtés ; ce qui donnait à l'instrument une forme élégante, et faisait rendre un son plus fort. Quant aux cordes des intervalles, il les avait tendues, dans l'un, sur le ton dorien, dans l'autre, sur le lydien, et dans le troisième, sur le phrygien, et jouait ainsi sur les trois modes. Pour cet effet, il s'asseyait sur un siège placé à une distance convenable de l'instrument qu'il saisissait de la main gauche au besoin, et se servait du plectre avec la droite. Pour jouer sur le mode qu'il lui plaisait, il faisait tourner avec le pied la base qui obéissait facilement ; et prenant tantôt un côté, tantôt l'autre, il en usait à son gré. Le mouvement de la base, qui cédait facilement à l'impulsion du pied, lui amenait avec rapidité sous la main l'un des trois systèmes qu'il désirait. Enfin, il avait accoutumé sa main à changer de position si légèrement, qu'une personne qui n'aurait pas vu ce qui se passait, et n'en aurait jugé qu'à l'oreille, aurait cru entendre trois citharistes jouer chacun avec un instrument monté sur un mode différent. Mais ce trépied qui fut si fort admiré pendant la vie de Pythagore, fut bientôt abandonné après sa mort. Quant à l'art de jouer de la cithare simple, Ménechme dit qu'il est dû à certain Aristonique, Argien qui demeurait dans l'île de Corfou, et contemporain d'Antiochus. Mais selon Philochore, lv. 3 de son Attique, Lysandre, cithariste de Sicyone changea le jeu de la cithare simple, en prolongeant les tons grêles, et les rendant plus pleins ; de sorte qu'il rendit, les sons de cet instrument analogues à ceux d'une flûte : invention dont Epigone propagea le premier l'usage. Lysandre, ôtant donc cette dureté: sensible au jeu de la cithare simple, fit apercevoir sur la cithare des sons dont les nuances se fondaient agréablement les unes dans les autres, et il fut le seul qui ôta à l'iambique et à la magadis, instruments qui lui étaient antérieurs, cette espèce de son sifflant qu'on y remarquait : il perfectionna même l'art, jusqu'à imaginer de joindre des chœurs au jeu des instruments. Ménechme dit encore que Dion de Chio joua le premier, sur la cithare, les chants des libations qu'on fait aux fêtes de Bacchus. Selon les Cypriaques de Timomachus, Stésandre de Samos perfectionna aussi beaucoup l'art, et chanta le premier à Delphes, en s'accompagnant de la cithare, les combats écrits par Homère, commençant par ceux de l'Odyssée. D'autres disent que les premiers chants qu'on accompagna de la cithare, furent les chansons amoureuses, et qu'Amétore d'Eleuthèrne, dont les descendants s'appellent encore aujourd'hui les Amètor, imagina cet accompagnement. Mais Aristoxène dit que comme on imagina les parodies des vers hexamètres pour faire rire, de même Œnopas imagina les citharédies ; en quoi il fut imité par Polideucte l'achéen, et par Dioclès de Cynèthe. Il y eut aussi des gens qui firent des chansons dans le langage du bas peuple. Phanias d'Eresse en parle ainsi dans son ouvrage contre les Sophistes : « Télénice de Byzance et Argus, poètes qui ont parlé le langage des halles dans leurs vers, ont réussi dans ce genre de poésie qui allait bien à leur caractère; mais ils n'ont jamais approché en rien des noms de Terpandre, ni de Phrynis. Alexis a fait mention d'Argus dans son Apobate, en ces termes : « A. Quelle espèce de chansons a-t-il faites? B. D'admirables. A. Approche-t-il d'Argus? B. Oh! il est bien au-delà, ma foi! » Anaxandride dit dans son Hercule : « A. Cet homme me paraît avoir de l'esprit ; avec quelle manière aisée il a pris son instrument ; avec quelle prestesse il a joué ce qui lui venait en tête! Quel jeu! quelle adresse! B. En voilà autant qu'il m'en faut; ainsi je veux, après cette épreuve, t'envoyer t'exercer chez Argus, afin que tu y apprennes à vaincre » les grands maîtres : entends-tu l'ami? » L'auteur des Pauvres, pièce attribuée à Chionide, fait mention de certain Gnésippe qui s'est exercé dans le genre de la poésie badine. Voici ce qu'il en dit: « Par Jupiter! ni Gnésippe, ni Cléomène ne sauraient nous faire trouver quelque plaisir à cela, avec leurs instruments à neuf cordes. » Celui qui a fait la pièce des Ilotes, dit : « C'est aux anciens poètes Simonide, Alcman, Stésichore qu'il appartient de chanter ; mais à Gnésippe d'écouter, lui qui n'a su faire que des chansons nocturnes aux adultères pour aller appeler les femmes, en s'accompagnant de l'iambique et du trigone. » Cratinus écrit dans ses Onanistes : « A. Que me demandes-tu? B. Rien, Gnésippe. Pour moi! ... Car j'y rage!... Non, je n'ai jamais rien vu de si fou, ni de si vide de sens. » Il se moque aussi de ses poésies dans ses Bouviers : « Lorsque Sophocle demandait le chœur, cet homme ne l'a-t-il pas cédé à Cléomaque, lui à qui je ne voudrais pas permettre de donner une pièce, même aux fêtes d'Adonis, si j'étais Archonte. » Et dans ses Heures : « Qu'il aille paître, lui qui fait jouer la tragédie de Cléomachus, avec des épileuses, et, formant ses chœurs de femmes qui ne font qu'arracher comme poil à poil, de pitoyables vers sur le ton lydien. » Téléclide en effet nous apprend dans ses Sterroi, que ce poète avait commis nombre d'adultères. Quant aux poésies érotiques et à celles qu'on appelle locriques, Cléarque dit qu’elles ne différaient pas des poésies de Sapho et d'Anacréon. Il y a aussi dans les poésies d'Archiloque, et dans les Epicichlides d'Homère beaucoup de morceaux auxquels le mètre poétique donne un caractère passionné. Ce qu'a même écrit Asopodore sur l'amour, et en général le ton des lettres érotiques ont une teinte de poésie, quoique ce ne soit que de la prose. [14,10] Chap. X. Lorsque Masurius eut achevé ces longs détails, on apporta les secondes tables qu'on rangea à la ronde. C'est ce qui se fait souvent chez nous, et non seulement aux Saturnales, jour auquel les Romains ont coutume de régaler leurs esclaves, et d'en faire toutes les fonctions. Or, cet usage vient des Grecs. La même chose se fait aussi en Crète, le jour des Ermées ou fête de Mercure, comme le dit Caristius dans ses Commentaires historiques : « Les maîtres y servent les esclaves qui sont à table. » Il y a pareillement à Trézène une assemblée dans le mois gérestion ; elle dure plusieurs jours. Pendant un de ces jours-là, les serviteurs jouent aux osselets avec les citoyens, et les maîtres leur donnent un repas, selon le même Carystius. Bérose écrit lv. 1 de ses Histoires de Babylone, que tous les ans, le 16 du mois loüs, on fait une fête appelée sacée, qui dure cinq jours entiers. Il est alors d'usage que les esclaves commandent à leurs maîtres. On en sort un de la maison, vêtu d'un habit semblable à celui du roi, et on l'appelle Zogane. Ctésias rappelle cette fête, lv. 2 de ses Persiques. Les habitants de Coos au contraire, dit Macaréus, lv. 3 de ses Coaques, n'admettent pas leurs esclaves au repas, lorsqu'ils offrent leur sacrifice à Junon. C'est pour cette raison que Philarque a dit: « Il n'y a chez les Nysiriens que les hommes libres qui sacrifient; ce ne sont non plus, chez les habitants de Chos, que ceux de condition libre qui ont part au sacrifice ; mais aucun esclave ne peut absolument y assister. » Baton, rhéteur de Sinope montre clairement dans son ouvrage sur la Thessalie et l'Hémonie, que les Saturnales sont une fête qui vient de la Grèce, ajoutant qu'on l'appelle Pélorie chez les Thessaliens. Voici ce qu'il dit : « Les Pélasges étaient à faire des sacrifices communs, lorsqu'un homme nommé Pélore vint annoncer à l'un d'entre eux, que de grandes secousses de tremblement de terre avaient entr'ouvert les lieux appelés Tempée ; l'eau s'étant alors jetée par cette ouverture, des marais qu'elle formait, dans le lit du Pénée, laissa découverte toute la contrée qui n'était que des lagunes auparavant. Les terrains s'étant ensuite desséchés, on n'y vit plus que des champs d'une beauté étonnante, et très vastes. Le Pélasge apprenant cette nouvelle, présente à cet homme la table qui lui avait été servie, à lui-même. Tous les autres lui font le même accueil, lui apportent chacun ce qu'il a de meilleur, et le lui mettent sur sa table. Le Pélasge le sert avec empressement ; ses compatriotes les plus distingués montrent, le même zèle à le servir selon la circonstance ; et c'est, dit-on depuis qu'ils ont pris possession de ces terrains, que se fait chez eux tous les ans un sacrifice à Jupiter Péloré. On y sert ensuite des tables splendides ; tout se passe avec la plus grande humanité dans l'assemblée ; on y admet les étrangers à table ; on délivre les prisonniers; les esclaves sont traités et servis même par leurs maîtres, jouissent de la plus grande liberté; enfin les Thessaliens célèbrent encore aujourd'hui les pélories qui sont la plus grande de leurs fêtes. Comme on nous servait souvent des épidorpismes, selon l'usage que je viens de rapporter, quelqu'un des convives cita ces vers des Crétoises d'Euripide; « Les secondes pensées se trouvent quelquefois meilleures. En effet, que manque-t-il sur la table? De quoi n'est-elle pas comme surchargée? Elle est couverte de toutes sortes de mets de la mer; on y voit de la chair tendre de veau, des gâteaux, des craquelins bien imprégnés du suc de l'abeille aux ailes jaunes. » Eubule parle ainsi dans sa Olbia : « On vous vendra de tout ensemble dans le même endroit; je veux dire Athènes. N'y trouve-t-on pas des huissiers, des raisins, des raves, du persil, des pommes, des témoins, des roses » des nèfles, magistrats faites au sort, de la jacinthe, des agneaux, des clepsydres, des lois, des dénonciations? » Pantien allait parler sur chacune des choses qu'on nous servait; mais Ulpien s'écrie, non, nous ne l’écouterons pas là-dessus, avant qu'il ait dit ce que c'est que les épidorpismes. Pontien reprend, on entend par là les desserts; car c'est ainsi, dit Cratès, que l'indique Philippide, dans son Philargyre ou Amateur d'argent. Voici le passage : « Des galettes, des épidorpismes, des œufs, du sésame. Enfin, je n'aurais pas assez de la journée pour vous détailler tout. » Diphile dit aussi dans son Télésias : « Des friandises, des baies de myrte, de la galette, des amandes ; oh! voilà ce que je mange volontiers à l’épidorpisme. » Sophile écrit dans son Dépôt : « Il est toujours agréable de se trouver à table avec les Grecs ; rien même de plus charmant! Personne n'y crie : Verse à celui-ci deux cyathes, car il faut qu'il aille faire une riote chez la Tanagrique, pour y épidorpiser, étendu sur un lit, des friandises d'âne. » Platon les appelle métadorpies dans son Atlantique. « La terre produisait aux habitants toutes sortes de parfums, des fruits exquis tant à pulpe qu'à écorce dure, et tout ce qui peut flatter le plus aux métadorpies. » [14,11] Chap. XI. On disait anciennement g-epidorpisasthai pour g-entragein, manger, et pour g-epideipneesai, manger ce qui est servi après le repas. C'est ce qu'Archippe appelle epiphorèmes dans ce passage du Mariage d'Hercule, « La table était pleine d'itrions et d'autres epiphorèmes. » Hérodote écrit aussi lv. 1 : « Ils se font servir peu de mets, en revanche ils consomment beaucoup d’epiphorèmes. » Quant au proverbe g-epiphorehma g-abydehnon, on doit l'entendre d'un tribut qu'on payait au port, comme Aristide l'explique lv. 3. des Proverbes, Selon Denis, fils de Tryphon : « Anciennement, avant que les convives entrassent dans le triclin, on servait à chacun sa portion sur une table particulière ; et lorsqu'il l'avait mangée, on lui apportait (g-epipheresthai) quantité de choses différentes ; et c'est de ce verbe qu'on a pris le mot epiphorèmes, pour désigner cela. C'est dans ce sens que Philyllius dans son Phréohryque a nommé epiphorèmes ce qu'on sert (apporte) après le repas. « Des amandes, de petites noix epiphorèmes. » Platon, dans son Ménélas, les nomme g-epitrapezohmata, comme autant d'aliments qu'on apporte par surcroit sur la table. Voici le passage : « Il m'a dit qu'il restait peu des epitrapezohmes, parce que ce scélérat les avait dévorés. » Aristote dit dans son Traité de l'Ivresse, que les tragèmes se nommaient chez les anciens trohgalia, mot qui désigne ce qu'on appelle autrement épidorpismes. C'est Pindare qui a dit : « Il est agréable à la fin du repas de voir encore du dessert (trohgalion), et beaucoup à manger autour de l'esclave qui sert » En effet il suffît de considérer tout ce qui est servi, pour dire avec Euripide : « Voyez combien la vie est charmante à une bonne table! » Pindare nous montre dans ses Olympiques, avec quelle somptuosité les secondes tables étaient servies, lorsqu'il dit, au sujet des mets qu'on avait faits de Pélope : « A la fin du repas, on servit ta chair et on en mangea. Mais à peine osé-je dire qu'un seul des dieux ait été si vorace! « Mais les anciens appelaient simplement tables, nos secondes tables ; comme on le voit dans ce passage de l’Hercule satyrique d'Achée : « A. Oh! d'abord nous allons nous réjouir en bien mangeant; car on a servi. B. Et comment me régalerez-vous ensuite? A. Je t'oindrai tout le corps d'un parfum exquis! B. Mais, vous ne me donnerez pas auparavant de l'eau pour me laver les mains? A. Oui certes ; et aussitôt on enlèvera la table. » Aristophane dit dans ses Guêpes : « De l'eau sur les mains; apporter les tables. » Aristote, dans son Traité de l'Ivresse, nous indique de même les secondes tables par ce passage : « En général il faut admettre entre les mots tragème et brohma la même différence qu'entre trohgalion et edesma ; c'est le vrai mot qu'emploient les Grecs ; car on sert des brohmes parmi les tragèmes. » C'est pourquoi celui qui a dit le premier des secondes tables, n'a pas mal parlé. En effet l’épidorpisme est une espèce de tragématisme, où l'on sert comme un second souper. Mais voici ce que dit Dicéarque, lv. 1 de la Descente dans l'Antre de Trophonius : « On servit la seconde table, qui donne lieu à une grande dépense aux repas: il y avait des couronnes, des parfums, des fumigations d'odeurs exquises, et tout ce qui s'en suit. On servait aussi à la seconde table, des œufs, et mêmes des lièvres, des grives avec des pâtisseries au miel, comme le dit Antiphane dans son Leptinisque: « A. Boirais-tu du vin de Thase? B. Oui, si on m'en versait. A. Et les amandes, comment t'en accommodes-tu? B. Passablement. A. Bien douces, n'est-ce pas? B. Oui, et assez douces pour le disputer au miel. A. Si ou te servent de la pâtisserie? B. J'en mangerais, certes ; j'avalerais même aussi un œuf; mais rien de plus. » Et dans ses Ressemblantes : « Ensuite il fit entrer un chœur de danse, avec la seconde table, qui était chargée de toutes sortes de pâtisseries. » [14,12] Chap. XII. Amphis dit dans sa Gynékomanie : « A. As-tu jamais entendu parler de la vie heureuse? Eh! bien, demande-la, et certainement tu l'obtiendras. Tu auras donc gâteaux, vin charmant, galettes au sésame, parfums, couronnes, joueuse de flûte; ô Dioscures, raves, persil, pommes, raisin, grenades! B. Ma foi, tu nous nommes là les douze dieux. » Anaxandride dit dans ses Campagnards : « Dès que j'eus mis ma couronne, on apporta la table : elle était couverte de tant de bonnes choses (brohmata), que jamais, j’en jure par les dieux et les déesses, je ne vis, ni n'entendis rien dire de pareil ; non, je n'avais jamais fait si bonne chère. » Cléarque dans sa Pandrose : « A. Lave-toi les mains. B. Point du tout ; elles sont propres. A. Lave-toi, te dis-je ; cela n'en sera pas plus mal. Voici le valet qui couvre déjà la table de noix, de tragèmes » Eubule écrit dans son Campylion : « A. Tiens, voilà déjà la table pleine de tragèmes. B. Oh! je ne me sens pas toujours de goût pour ces friandises. » Alexis dans sa Polyclée : or ce nom est celui d'une grisette. « Oh! le charmant homme que celui qui a imaginé les tragèmes! Car il a trouvé de quoi prolonger à l'aise la conversation des repas, sans laisser cependant les mâchoires oisives.» Et dans sa Ressemblante, pièce qu'on attribue aussi au poète Antidote. « A. Par Esculape! Non, je n'aime pas à souper. Je préfère beaucoup les tragèmes. B. Fort bien, des tragèmes! A. Mais j'entends tout ce qu'il est d'usage de donner aux jeunes époux qui vont trouver ... B. La nouvelle mariée, n'est-ce pas? A. Comme des gâteaux, du lièvre, des grives; or, voilà ce que j'aime. Mais ces mets si recherchés, ces sauces ... Oh! fi-donc! » Apion et Diodore, selon le rapport de Pamphile, disent qu'on appelle épaiclées, les tragèmes qu'on sert après le repas. Ephippe dit dans ses Ephèbes :. « Après cela, il vint du gruau d'orge, du parfum d'Egypte ; on ouvrit un broc de vin de palmier; ensuite on servit les tragèmes, savoir, des itrions, des pyrames, des amès, une hécatombe d'œufs; et nous avons grugé, dévoré tout ce que nous avions en deux tours de dents ; car nous avions parmi bous de voraces parasites à remplir. » Et dans son Cydon. « Après le repas, on servit des grenades, des pois chiches, des fèves, du gruau, du fromage, du miel, des gâteaux au sésame, du marc de raisin, des croquets, des darioles, des pyramides, des pommes, des noix, du lait, des cannabides, des conques, des coulis, de la cervelle de Jupiter. » Alexis dans son Philisque. « Il faut ôter la table, donner de l'eau pour les mains, apporter des couronnes, du parfum, de quoi faire la libation ; de l'encens, un réchaud, donner ensuite des tragèmes, goûter aux gâteaux.» Mais Philoxène de Cythère, en faisant mention des secondes tables dans son souper, a nommé la plupart des choses qui nous sont servies; rappelons-les avec lui. « Ils rentrèrent avec ces porthmides tout brillants de graisse, qui avaient déjà paru ; ils étaient remplis de toutes sortes de bonnes choses. Les mortels appellent ces vaisseaux, tables, mais les dieux, cornes d'Amalthée. Au milieu était placé solidement une moelle blanche et savoureuse, délices des mortels! elle s'enveloppait d'un tissu aussi fin qu'une toile d'araignée, n'osant se montrer à découvert par pudeur ; elle avait abandonné malgré elle, depuis quelque temps le troupeau de brebis qui se reproduit aux champs dans le parc errant du berger Aristée. On l’avait donc appelée mouëlle. De leurs mains vigoureuses, les esclaves servirent un pot à large bouche, qui avait reçu pour les rendre, des friandises qu'on y avait fait sécher. Ensuite ils apportèrent dans un large plat, et en abondance, des pois chiches qui en grillant, avaient bruï sur le feu ; et de l'acanthias. Plusieurs pâtisseries délicates suivirent, parmi des rayons de miel apyre (vierge). Il survint des coquillages tout ouverts, qui bruissaient encore en sortant tout jaunes de l'huile où on les avait fait frire. Cela était flanqué de tranches de porc frais, grillées, d'une odeur charmante. Il parut nombre de mélipectes où l'on n'avait rien plaint ; des gâteaux pétris d’olyre, et des galettes qui sortaient de l'huile bouillante. Il y eut aussi des pâtisseries au sésame ; des amandes a écorce tendre, et qui fleurissent aux premiers beaux jours du printemps, se trouvaient mêlées avec quelques graine de carthame et de térébinthe: on n’avait pas omis les noix que les enfants mangent avec tant de plaisir, ni rien de ce qu'il faut servir à un festin dans une maison riche. Le vin alla son train, on joua au cottabe, on jasa beaucoup, on parla nouvelles, et le divertissement fut des plus agréables. » Tel est donc le détail de Philoxène qu'Antiphane loue dans ce passage de son Tritagoniste. « Que Philoxène l'emporte sur tous les autres poètes! D'abord il n'emploie jamais de mots vulgaires : c'est toujours chez lui le mot propre. Ses détails sont partout parsemés de figures, de couleurs si bien nuancées, qu'on ne peut s'empêcher de dire : Oui Philoxène est un dieu parmi les hommes; c'est lui qui soit vraiment la musique. Mais nos poètes actuels! Ils ne font qu'entrelacer du lierre dans leurs vers ampoulés, nous parler de fontaines, et larder leurs expressions ineptes de passages qu'ils volent à d'autres. » [14,13] Chap. XIII. Plusieurs écrivains nous ayant laissé une nombreuse nomenclature de ce que nous appelons placous ou gâteau en général, je veux aussi vous en faire part. Je sais que Callimaque a rangé dans son recueil alphabétique d'ouvrages en tout genre, ce qu'Egimius, Hégésippe, Metrobius et Phétus ont écrit sur l’art de ces sortes de pâtisseries: mais moi je ne vous présenterai que les noms que j'en ai recueillis; et il n'en sera pas de ces gâteaux, comme de celui qu'Alcibiade envoya à Socrate, et au sujet duquel Xantipe s'étant mise à rire, ce philosophe lui dit : « Eh! bien, tu n'en tâteras pas. » C'est Antipatre qui rapporte ce fait, lv. 1 de la Colère. Comme j'aime beaucoup les gâteaux, je ne verrais pas indifféremment qu'on parlât mal de cet aliment divin. Platon le comique les rappelle ainsi dans son Poète : « Serai-je le seul qui ferai un sacrifice aux mânes, sans avoir part aux entrailles, ni au gâteau, ni à l'encens? » Mais je n'oublierai pas non plus la bourgade nommé Placous, que Démétrius de Scepse dit lv. 12 de l'Armement contre Troie, n'être éloignée que de six stades de Thèbes Hypoplacie. Lorsqu'on dit placoûs au nominatif, il faut y mettre un circonflexe, parce que ce mot est contracté de placœis, comme tyrous de tyrœis, et sesamous de sesamœis ; et l'on sous-entend en outre artos ou pain. Or, les voyageurs assurent qu'on mange de belles placoûntes à Parium, ville de l'Hellespont ; car Alexis s'est trompé en écrivant Paros pour Parium, dans ce passage de son Archiloque : « O! vieillard fortuné qui habitez l'heureuse Paros, pays qui produit deux des plus excellentes choses, savoir; une pierre pour être l'ornement des riches, (du marbre) et des placoûntes pour les mortels. » Mais les placoûntes de Samos étaient aussi excellentes, comme l'assure Sopatre, poète badin, dans les Courtisans de Bacchis. « Samos surnommée la faiseuse de placoûntes. » Enchytes. Ménandre en fait mention dans son Faux Hercule. « Tu ne fais plus de candyles, ni de tout ce que tu avais coutume de si bien assaisonner avec du miel, de la semoule, des œufs. Tout se fait à rebours aujourd'hui : le cuisinier s'occupe des enchytes, des placoûntes frites, du gruau; ensuite il sert les salines ; après cela les thrions, le raisin. La démiourge au contraire, fait tout ce qu'elle ne devrait pas ; elle rôtit les viandes, les grives. » Euangelus dans son Anacalyptomène : « A. Vous m'avez dit quatre tables pour les femmes, six pour les hommes. B. Oui, et que le repas soit bien complet ; qu'il n'y manque rien, car nous voulons des noces splendides. A. Oh! je n'ai besoin d'ordre que de vous. J'ai vu tout ce qu'on a acheté. B. Le voici : différentes huiles ; tu en prendras ce que tu voudras. Après cela, tu as un veau, un cochon de lait, de jeunes porcs, des lièvres. A. Que voila un maudit bavard bien fier! B. Ensuite des thrions, du fromage, des enchytes; entends-tu Dromon? des œufs, de l'amyle : du reste la table aura trois coudées de haut, de sorte que chaque convive soit obligé de se lever, lorsqu'il voudra toucher aux plats. » Amées. C'est une espèce de placoûs. Antiphane la nomme, « Des amètes, des amyles. » Ménandre dit dans son Supposé : « Tu tressaillais de joie, si je pétrissais une amète. » Silène dit, dans ses Gloses, que les Ioniens disent amée pour amèès, et que quant aux plus petites, ils les appellent amétisques. Téléclide écrit: « Les grives tombaient d'elles-mêmes dans le gosier avec des amétisques. » Diacomon. Phérécrate rappelle cette espèce. « Il fut assez gourmand pour manger un diacomon, tandis qu'il avait un amphiphon. » Amphiphohn. C'est une espèce de placoûs qu'on offrait à Diane, ayant tout autour de petites torches allumées. Philémon dit dans son Pauvre ou la Rhodienne : « Diane, ma chère maîtresse, je t'offre, ô déesse vénérable, cet amphiphon, et ces libations. » Diphile en fait aussi mention dans son Hécate. Mais Philocore écrit que ce gâteau s'appelle amphiphon, et qu'on l'offre dans les temples de Diane et dans les carrefours, parce que ces jours-là le soleil se levant et répandant sa lumière au moment où celle de la lune cesse, le ciel est toujours éclairé. Basynia. Selon Semus, lv. 2 de sa Déliade, les habitants de Délos offrent à Iris dans l'île d'Hécate les gâteaux qu'ils appellent basynia. C'est de la pâte faite de farine de froment avec du miel. Ils y joignent en outre des coccores, que l'on fait d'une figue sèche et de trois noix. Streptes, néélates, Démosthène en parle dans son discours contre Ctésiphon, au sujet de la couronne. Epichytes. Nicocharès les rappelle dans ses Mercenaires : « Mais moi, j'ai des pains, de la maze, de la bouillie, de l'orge broyé, des collices, des oublies, un gâteau au miel, des epichyles, du brouet d'orge, des placoûntes, des dendalides et des tagénies. » Mais Pamphile dit que l'épichyte est ce que l'on appelle autrement attanite : or, Hipponax parle de l’attanite dans ce passage: « Non en grugeant des ramiers, des lièvres, non en assaisonnant de sésame quelques tagénies, et sans tremper des attanites dans des rayons de miel. » Creiohn. C’était une placoûs ou fouasse, qu'on portait au marié chez les Argiens, de la part de la mariée; on la faisait cuire sur la braise, et on invitait les amis à venir en manger avec du miel, comme le dit Philétas dans ses Atactes. Glycinas. C’était, selon les Gloses de Seleucus, une placoûs qui se faisait chez les Crétois, avec du vin doux et de l'huile. Empeptas. C’était, selon le même, un pain creux, de certaine grandeur et de la forme d'un soulier, et dans lequel on mettait cuire de petites placoûnles faites avec du fromage. [14,14] Egkrides. C’était une petite pâtisserie qu'on faisait frire dans l'huile, après quoi on la frottait de miel. Stésichore en parle ainsi : « Du gruau des encrides, et autres pâtisseries, et du miel tout récent. » Il en est aussi fait mention dans Epicharme et dans les Mercenaires de Nicophon. Aristophane dit dans ce passage de ses Danaïdes. : « Le même ne peut être poète, et en même temps vendeur d'encrides. » Epicyclios. C’était le nom d'une placoûs chez les Syracusains : Epicharme en parle dans la Terre et la Mer. Gouros. Solon montre dans ses ïambes, que c’était une espèce de placoûs. « Ils boivent, mangent, les uns, des itrions ; les autres, du pain ; ceux-là, des goures mêlés avec des lentilles ; là, on a des pâtisseries à foison ; enfin on a de tout ce que la terre noire produit en abondance pour les hommes. » Kyribanas. C’étaient des placoûntes de la forme d'une mamelle, selon Apollodore dans Alcman. Sosibius dit aussi dans son lv. 3 concernant Alcman, qu'elles étaient mastoïdes, que les Lacédémoniens les font pour les festins des femmes, et qu'on en sert à la ronde, lorsque les jeunes filles qui accompagnent la jeune épouse, chantent ses louanges en chœur. Crimnite. C'est une sorte de placoûs faite de farine non blutée, comme le marque Iatroclès dans son Traité des Placoûntes. Staititas. Espèce de placoûs faite avec de la farine et du miel. Epicharme en fait mention dans les Noces d'Hébé. Mais selon Hiéroclès, on entend par stais une farine délayée que l'on verse dans la poêle, et par-dessus laquelle on répand du miel, du sésame et du fromage. Charisios. Aristophane parle de celle-ci dans ses Détalées. « Oui, j'enverrai ce soir, pour nous deux, une placoûs charisios. » Eubule dit dans son Ancylion, comme s'il parlait de pain : « Tu as pétri deux petits pains en voulant pétrir le charisios. » Epidaitron. C’était une espèce de petite placoûs, qu'on grugeait par-dessus le repas, comme le dit Philémon dans son Traité des noms attiques. Nanos. Pain de la nature des placoûntes, préparé avec du fromage et de l'huile. Psohthia; autrement psatyra comme Phérécrate l'écrit dans ses Crapatalles. « Il recevra en enfer un crapatalle de trois oboles, et des psohthies. » Mais Apollodore l'Athénien, et Théodore dans ses Gloses attiques, disent qu'on appelle psohthies les baisures du pain, que d'autres nomment attaragues» Itrion. Pâtisserie mince qui se fait avec de la farine, du sésame et du miel. Anacréon en parle dans ce passage : « J'ai diné en rompant un petit morceau d'itrion, mais en buvant un cade de vin. » Aristophane dit dans ses Acharnes : « Des placoûntes faites avec du sésame, des itrions. » Et Sophocle dans son Iris : « Mais moi je suis encore affamé, et je te vois déjà aux itrions ». Amorai. Pâtisseries au miel, selon les Atactes de Philétas. « Les gâteaux au miel sont déjà pétris. » Tagenitehs. C'est une placoûs frite dans l'huile. Magnés ou celui qui a fait les comédies qu'on lui attribue, dans son Bacchus remis au théâtre : « Tu as considéré sans doute ces tagénies tout chauds, tout pétillants, lorsque tu y jettes du miel! « Cratinus dit dans ses Lois : « Un tagénie qu'on met tout chaud le matin à l'air, pour être rassis. » Elaphos. Espèce de placoûs que l'on faisait pour la fête des elaphébolies, avec de la farine, du miel et du sésame. Nastos. Espèce de placoûs dans lequel il entre du coulis qu'on appelle caryca. Chorie. Manger qui se fait avec du miel et du lait. Amoibilehs. Espèce de placoûs en Sicile. Mais selon d'autres, ce sont les petites placoûntes que les liabitans de Coos appellent paisa, selon le rapport d'Iatroclès. Sehsamides. Ce sont des pâtisseries faites en boule avec du miel, du sésame mêlées ensemble, et de l'huile. Eupolis dit dans ses Flatteurs : « Ses urines sont un parfum exquis, sa démarche, celle des callabides ; ses selles, des sesamides, et ses crachats, des pommes. » Antiphane dit dans son Deucalion : « Des sesamides ou des gâteaux au miel, et autre chose semblable. » Ephippe en parle dans son Cydon. Le passage a été cité. Mylloi. Héraclide de Syracuse rapporte ce qui suit, dans son Traité des Rites religieux : « Le jour des grandes Thesmophories, on fait à Syracuse avec de la farine, du miel et du sésame, la figure de la partie sexuelle d'une femme, que l'on porte en pompe, pour l'offrir aux déesses. On l'appelle mylle par toute la Sicile. » Echinos. Lyncée de Samos s'explique ainsi, en faisant le parallèle de ce qu'il y a d'excellent en Attique avec les meilleures choses de Rhodes : « A la fameuse amète (Attique), Rhodes oppose pour nouvel antagoniste son hérisson qu'elle fait servir aux secondes tables. Il suffît à présent d'en dire ces deux mots. Mais lorsque tu seras venu, et qu'on en mettra un sur table, fait à la manière des Rhodiens, j'essaierai d'en dire davantage, dès que j'en aurai mangé. « Cotylisques. Héracléon d'Ephèse dit que l'on appelle ainsi certaines placoûntes qui se font avec le tiers d'un chénix de farine. Coirinai. Iatroclès en fait mention dans son Traité des Placoûntes, après avoir dit que la placoûs appelée pyramoûnte diffère de la pyramide. Car selon lui, la coirine se fait de blé rôti et arrosé de miel, et on la donne pour prix à ceux qui passent la nuit, sans s'endormir aux veilles. [14,15] Chap. XV. Mais voici les noms des placoûntes que Chrysippe de Tyane rapporte dans son Art de faire le pain. « La tarentine, la crastianne de Sicile, la croûte julienne, l'apicienne, la canopienne, la diaphane, la cappadocienne, Phédylie, la marypte, la plicienne, la gouttate et la montiane. Or, vous ferez, dit-il, cette dernière, en la pétrissant avec du vin et moitié de fromage : elle est alors plus savoureuse ; la croûte curienne, la croûte en mître, la croûte taboniaque, les mystacées qu'on fait avec du miel délayé dans du vin, les mystacées au sésame, la croûte furienne, la gosgloanie, la paulienne. Selon lui, les placontères suivantes se font avec du fromage ; savoir, l'enchyte, la scriblite, la subitylle qui se fait aussi de gruau, la spire où il entre pareillement du fromage, les luculles, l’argyrotryphème, le libum, le cirque, l'æxaphas, la croûte galette ; mais on fait, dit-il, aussi des gâteaux de riz. Quant à la phthois, on la fait de cette manière : pressez du fromage, écrasez-le, passez-le dans une passoire de cuivre, et jetez-y du miel, une hemine de belle farine, et malaxez le tout pour l'incorporer. Mais le pot orné, selon le langage des Romains, se fait ainsi : prenez des laitues, lavez-les et grattez-les bien, puis pilez-les dans un mortier en y versant du vin, tirez-les de là pour en exprimer le jus auquel vous mêlerez de la belle farine, laissez reposer le tout quelque temps, broyez le ensuite en y jetant un peu d'axonge de porc et du poivre ; peu après triturez encore, retirez alors la pâte, aplatissez-la bien au rouleau, coupez-la par bandes, jetez-les dans de l'huile très chaude, et en les retirant, faites-les bien égoutter dans une passoire. Voici encore d'autres espèces de placoûntes: l'ostracite, l'attacite, l'amyle, la tyrocoskine qui se fait ainsi : pressez bien du fromage, mettez-le dans un vase, et ensuite sur une passoire de cuivre, faites-le passer à travers; lorsque vous serez près de le servir, jetez dessus du miel suffisamment. Les hypotyrides se font ainsi : jetez du miel dans du lait, mêlez-les bien, jetez-les dans un vase, laissez-les coaguler ; si vous avez de petites passoires, renversez-y le caillot pour laisser couler le serum, lorsque vous présumerez que le caillot sera bien ferme, prenez le vase, et survidez dans un argyrome, de sorte que l'opsis se trouve en haut ; si vous n'avez pas de passoires, usez de claies d'osier toutes neuves, avec lesquelles on souffle le feu, car elles vous serviront de même. Koptoplacoûs. On fait, (dit encore Chrysippe,) dans l'île de Crète une espèce de placoûs qu'on appelle gastrids ou ventrue. En voici le procédé : prenez des noix de Thase, du Pont, des amandes, de la graine de pavot que vous ferez griller avec attention ; broyez-les bien ensuite dans un mortier propre, mêlez ces trois fruits ensemble, triturez-les en y jetant du miel despumé, du poivre, et incorporez bien le tout : cela deviendra noir à cause du poivre ; aplatissez cette pâte en carré, ensuite broyez du sésame blanc, malaxez-le avec du miel despumé, pour en faire deux galettes entre lesquelles vous placerez la pâte noire précédente, en l'ajustant bien au milieu. Tels sont les détails du savant Chrysippe sur les différentes espèces de gâteaux, galettes et autres semblables. [14,16] Chap. XVI. Harpocration de Mende, dans son Traité des Placoûntes, appelle pancarpie, celle qui se faisait à Alexandrie. Quant aux Itrions, c'est de la farine d'orge que l'on pétrit et fait cuire avec du miel, et après la cuisson, on en forme des boulettes, et on les enveloppe de papyrus pour les tenir bien compactes. Polte: Alcman fait ainsi mention du polte : « On vous fournira du polte de fèves, du grain de bled non mûr, blanc, et de la dépouille cérine. » Quant au pyamon, comme le dit Sozibius, c'est un mélange de toutes sortes de semences cuites dans du vin doux. Mais on entend par chidros, du froment grillé, et par dépouilles cérine, du miel. Epicharme a dit dans sa pièce intitulée la Terre et la Mer : « Faites votre polte le matin. » Phérécrate rappelle ainsi dans ses Fugitifs, ce que l’on appelle mêlicérides. « La mélicéride donne à la bouche une odeur de chèvre. » Après ce discours, le sage Ulpien prit la parole, et dit : O très savants grammairiens, d'où et de quelle bibliothèque, vous êtes-vous procuré ces fameux écrivains Chrysippe et Harpocration, pour déshonorer les noms de deux illustres philosophes par l'identité de la nomenclature? et qui jamais parmi les Grecs s'est servi du nom hemine, et qu'est ce qui a fait mention de l'amyle? Larensius lui répond : Ceux qui ont fait les poèmes attribués à Epicharme, connaissaient l'hémine, et il est dit dans la pièce intitulée Chiron : « Il faut boire de l'eau chaude, le double, c'est-à-dire, deux hemines. » Quant à ceux qui ont fait les poèmes faussement attribués à Epicharme, ils sont de gens illustres, savoir, en partie de Chrysogone, joueur de flûte, qui comme le rapporte Aristoxène, lv. 8 des Lois politiques, a écrit l'ouvrage intitulée Politique. Quant aux canons et aux sentences, Philocore dit dans son Traité de la Divination, que c'est l'ouvrage d'Axiopiste Locrien ou Sicyonien. Apollodore rapporte la même chose. Quant à l'amyle, Téléclide en fait ainsi mention dans ses Sterres : « J'aime une placoûs chaude, je n'aime pas les poires sauvages, je mange avec plaisir du lièvre servi sur de l'amyle » Ulpien entendant ce discours, leur dit : Puisqu'il y a certaines choses que vous appelez coptes, et que j'en vois une servie à chacun sur la table, dites-moi, vous autres friands, quel est donc le fameux auteur où se trouve ce mot? Démocrite prit la parole : « Diomède d'Ityque dit, lv. 7 des Géorgiques, que le porreau marin s'appelle copte. Quant au melipecte qu'on nous a servi, Cléarque de Soli en fait mention dans son Traité des Griffes, en ces termes : « Comme il ordonna de nommer les ustensiles de cuisine, voici ceux qu'on rappela ; un trépied, une marmite, un chandelier, une grugeoire, un marchepied, une éponge, une chaudière, une jatte, un mortier, une burette, une corbeille de jonc, un grand couteau, un plat, un gobelet, une lardoire. » Quant aux différents mets, en voici l'ordre : de la purée, des lentilles, des salines, du poisson, des raves, de l'ail, de la chair, du thon, de la saumure, de l'oignon, de l'artichaut sauvage ou scolyme, des olives, des câpres, des truffes, des champignons. Quant aux tragèmes, il en parle ainsi : « Des amètes, des placoûntes, des entiltes, de l'itrion, des roses, des pois chiches, du sésame, des coptes, du raisin, des figues sèches, des poires, des dattes, des pommes, des amandes. » Tels sont les détails de Cléarque. Sopatre poète badin dit dans son drame intitulé les Portes : « Qui est celui qui a imaginé les coptes, où il entre des graines innombrables de pavots? qu'est ce qui a mélangé ces desserts de graines délicieuses de Carthame? » Tu as donc à présent, mon cher raisonneur Ulpien, la copte que je te conseille d’g-apesthiein sans tarder. Ulpien prend la copte et la mange ; tout le monde s'étant mis à rire Démocrite lui dit, mais charmant éplucheur de mots, je ne t’avais pas ordonné de la manger, je voulais au contraire que tu ne la mangeasses point, et c'est en ce sens que Théopompe le comique s'est servi du mot g-apesthiein dans son Phinêe : « Jeune homme cesse de jouer aux dés, et, du reste mange, de la betterave ; car tu as le ventre resserré. Abstiens-toi de manger de ces petits poissons de roche. La lie de vin est excellente pour suggérer de bonnes réflexions, bois-en, et tu te trouveras plus aisé dans tes affaires. » Mais le mot g-apesthiein est aussi d'usage pour signifier manger de quelque chose, comme Ermippe l'employé dans ses Soldats : « Hélas! que je suis malheureux ; il me mord; oui, il me mord et me ronge même (g-apesthiei) un bout de l'oreille. » Notre Syrien réfuté par ces passages, et vivement piqué, dit : Eh! bien, voilà des pistaches qu'on nous a servies sur la table ; or, si tu me dis dans quel auteur se trouve ce mot, je te donnerai non pas dix statères d'or, comme dit ce bavard du Pont, mais ce vase à boire. Démocrite garde le silence; « Puisque tu gardes le silence, reprend Ulpien, je vais te dire où se trouve ce mot. Nicandre de Colophon parle de ce fruit dans ses Thériaques, disant : « Les pistachiers ont un branchage semblable à celui des amandiers. » Mais une autre leçon porte : « Les pistaches semblent être des amandes. » Posidonius le Stoïcien en parle ainsi, lv. 3 de ses Histoires : « L'Arabie et la Syrie portent le persea et l'arbre que l'on appelle bistakion ou pistachier ; cet arbre produit son fruit en grappes d'une écorce blanche, et long, semblable à des larmes ; ce fruit est posé l'un à côté de l'autre, comme le seraient des grains de raisins. L'intérieur est verdâtre et moins savoureux que les pignons, mais plus odorant. Les frères qui ont écrit les Géorgiques s'expriment ainsi lv. 3 : « Et le frêne et le terminthe et ce que les Syriens appellent à présent pistachiers; car ils écrivent ce nom par un p : mais Nicandre l'écrit par un phi en aspirant, et Posidonius par un b. Ulpien ayant jeté les yeux sur toute la compagnie qui le loua de ses détails, reprit la parole « Eh! bien, Messieurs, je vais vous parler à présent de tout ce que l'on a servi sur la table, et j'espère que vous admirerez mon érudition. Je vais vous parler d'abord de ce que les Alexandrins appellent connare ou paliure. Agatocle de Cyzique les rappelle en ces termes, lv. 3 de l'Histoire de sa patrie : « La foudre étant tombée sur le sépulcre, il poussa de ce monument un petit arbre qu'ils nommèrent connare. Ce petit arbre est de la grandeur d'un ormeau ou de la pesse; il a des branches nombreuses allongées et un peu épineuses; la feuille en est tendre, verte et de forme ronde ; il porte du fruit deux fois l'an, savoir, au printemps et en automne; ce fruit est fort doux, de la grandeur d'une olive phaulie, et lui ressemble tant par la pulpe que par le noyau; cependant il en diffère par son suc ; on le mange lorsqu'il est encore vert, lorsqu'il est desséché, on en fait de la farine; on foule cette farine avec les pieds, au lieu de la pétrir; on n'y verse point d'eau, mais on l'emploie simplement telle qu'elle est. Euripide dans son Cyclope a dit : « Un rameau de paliure. » Théopompe en fait mention dans sa 21e Philippique ; de même que Diphile de Siphne, le médecin, dans son Traité de la Diète des gens en santé, et de celle des malades. Or, Messieurs, je vous ai parlé d'abord de ces fruits, non qu'on nous en ait servi, mais parce que j'en ai vu souvent servir aux secondes tables dans la belle ville d'Alexandrie où j'en ai mangé : c'est donc là que j'en ai connu le nom, et comme je suis tombé sur le livre où j'en avais pris note, je vous en ai récité l'article. Je vais vous parler à présent de cette espèce de fruit qu'on nous a servi, et que l'on appelle des poires ; car c'est de ce mot apios ou poires, que le Péloponnèse fut aussi nommé Apia, parce que suivant les Argotiques d'Istrus, cet arbre y vient en grande quantité. Or, Alexis nous apprend dans sa pièce intitulée l'Abbruze, que l'on servait les poires aux repas, dans de l'eau. « A. As-tu jamais vu servir à des gens affamés des paires dans beaucoup d'eau? B. Oui, et fart souvent. Quoi, chacun ne choisit-il pas la plus mûre de celles qui s'y trouvent! A. Sans doute. » Les amamallides ne sont pas des poires, comme quelques-uns le pensent, mais quelque autre fruit plus agréable et sans pépin. Aristomène dit dans son Bacchus : « Ne sais-tu pas que Cée produit des amamallides. » Or, Eschylide nous montre lv. 3 des Géorgiques, que c'est un autre fruit que la poire, et plus agréable. Voici donc ce qu'il dit, en parlant de l'île de Cée : « Cette île produit d'excellentes poires d'une saveur analogue au fruit que l'on appelle amamallides en Ionie ; elles sont sans pépin, d'une saveur agréable et douce. » Ethlius, lv. 5 des Limites de Samos, si ce livre est vraiment de lui, les appelle homomelides ; mais Pamphile, dans son Traité de l’idiotisme et des noms, les appelle epimelides, disant que c'est une espèce de poires. Antiphon dans son Traité des Géorgiques, dit que les Phocides sont une espèce de poires. Aristophane rappelle celles qui sont apyrènes ou sans pépin, dans ses Laboureurs et dans son Anagyre. « Des apyrènes ou sans pépin ; du gruau et des grenades ou rhoas. » Mais Antiphane dans sa Béotienne s'est servi du mot g-rhoidion, comme on a dit g-boidion en diminutif, pour désigner une vache. « Apporte-moi des champs quelques grenades arhoidiohn, à pépins durs. » Mais Epilicus dans son Phoralisque, se sert du mot rhoa. « Des pommes et des grenades, (rhoas), dis tu? » Alexis dit dans ses Amants : « Il leur prit des grenades, rhoas, à la main. » Mais Agatharcide, lv. 9 de ses Histoires d'Europe, dit que les Béotiens appellent les grenades, sidai. Voici le passage : « Les Athéniens étant en dispute avec les Béotiens, sur la propriété d'un territoire que l'on appelait sida. Epaminondas, pour prouver le droit des Béotiens, prit subitement, de sa main gauche, une grenade qu'il y avait cachée ; puis la montrant, il demanda aux Athéniens, comment ils l'appelaient dans leur langue? Rhoa, répondent-ils. Eh! bien, nous, leur dit-il, nous l'appelons sida, fruit qui croît en abondance dans ce lieu-là, et duquel il a pris originairement son nom ; or, ce mot sida nous est particulier. » Par ce moyen, il gagna le procès. Ménandre nomme aussi les grenades, rhoidia, dans son Autontimoroumène. « Moi, leur ayant servi des amandes après le diner, et lorsque nous eûmes mangé des grenades, rhoidia. » On appelle encore sidee, une autre plante dont le fruit est semblable à la grenade, et qui croît dans l'eau du marais qui est près d'Orchomène; les brebis en mangent les feuilles, et les cochons les boutons, comme le rapporte Théophraste, lv. 4 des Plantes. Il ajoute qu'il en croît une semblable dans le Nil, et sans racine. Phoinikes ou dattes. Voici ce que Xénophon dit à ce sujet, dans son Anabase : « Il y avait beaucoup à manger, du vin de palmier, du vinaigre qui était tiré de ce fruit qu'on fait bouillir pour cet effet. Quant aux glands des palmiers, tels qu'on en voit en Grèce, ils avaient été mis de côté pour les esclaves; mais ceux qu'on servait aux maîtres avaient été choisis, et ils étaient aussi beaux que gros, et à la vue semblable à l’électre. On en fit sécher certaine quantité pour les servir comme dessert ; quant au vin de palmier qu'on servait, il était fort agréable au goût, mais capiteux. » [14,17] Chap. XVII. Voici en outre ce qu'Hérodote dit à ce sujet, lv. 1, en parlant de Babylone: « Il y a là des palmiers qui poussent par toute la plaine, et dont la plupart portent du fruit. On en tire du pain, du vin et du miel; on tient pour cet arbre le même procédé que pour le figuier, c'est-à-dire, qu'on prend le fruit des palmiers qu'on appelle mâle, et on le lie autour de ceux qui portent les glands, afin qu'un petit ver les fasse mûrir en s'y introduisant, et que le fruit du mâle ne se perde pas comme en coulure, car les palmiers mâles portent des vers comme les olynthes ou figues sauvages. Polybe de Mégalopolis, témoin oculaire, parle presque comme Hérodote, lv. 12. de ses Histoires, au sujet de l'arbre qu'on appelle lotus en Libye. « Le lotus, dit-il, est un arbre qui ne vient pas haut; son branchage est rude et épineux, sa feuille est verte, analogue à celle du rhamnus plus petite, cave et plus large: le fruit est d'abord presque de la même couleur et de la même grandeur que les baies de myrtes blancs, parvenues à leur grosseur ; mais à mesure qu'il augmente en volume, il prend une teinte cramoisie, et acquiert la grosseur des olives rondes; le noyau en est cependant fort petit. Lorsqu'il est mûr, on le cueille et on le triture avec du gruau, pour le tasser ainsi dans des sacs, et on le réserve pour la nourriture des esclaves ; on ôte le noyau à celui qui doit servir d'aliment aux gens libres, et on l'arrange de même pour le garder. Cet aliment a presque la saveur de la figue et de la datte ; mais l'odeur en est plus agréable. En l'écrasant et en l'arrosant avec de l'eau, on en fait du vin d'un goût agréable et d'un assez bon usage, analogue à l’œnomèle, pris sans mélange d'eau. Comme il ne peut se garder que dix jours, on n'en fait qu'une petite quantité pour l'usage journalier ; on en tire aussi du vinaigre. Mélanippide de Milet, dans ses Danaïdes, appelle ce fruit phénice, dans le passage où il en fait mention. « Ces femmes avaient une figure infernale et non humaine ; leur voix n’était pas celle d'une femme : mais elles s'exerçaient sur des chars garnis de sièges à deux places, récréant leurs esprits impitoyables, comme le font souvent des bêtes féroces; foulant la larme sacrée de l'encens, les dattes (phonikas), la cannelle et le tendre térébinthe de Syrie. » Aristote dit dans son Traité des Plantes : « Des phénices anorques, (dattes sans noyau) que d'autres appellent eunuques, et quelques-uns apyrènes. Hellanicus appelle aussi Phenice, le fruit du palmier, dans son Voyage au Temple d'Ammon, si cependant cet ouvrage est de lui. Phormus le comique s'exprime de même dans son Atalante. Quant aux phénices ou dattes de Nicolas, que l'on apporte de Syrie, voici ce que j'ai à vous en dire : elles ont eu ce nom de l'empereur Auguste qui les aimait beaucoup, et à qui Nicolas son ami en envoyait toujours : ce Nicolas était de la secte des Péripatéticiens : il a beaucoup travaillé sur l'histoire. Figues sèches. Les figues sèches de l'Attique étaient fort estimées. Voici ce qu'en dit Dinon dans son Histoire de Perse : « On servait sur la table du roi, de tous les aliments que produisaient les pays de sa domination, et c’étaient comme les prémices de chacun. Le roi qui fonda cet empire, pensait qu'il ne devait user d'aliment ni solide, ni fluide, tiré de l'étranger; et cet usage devint ensuite une loi positive dans ses états. Mais un de ses eunuques lui ayant servi des figues sèches parmi les desserts, le roi demanda de quel pays elles venaient. Dès qu'il eut su qu'elles venaient d'Athènes, il donna ordre à ses pourvoyeurs d'en acheter, jusqu'à ce qu'il lui fût possible d'en manger sans les payer. On dit que l'eunuque qui lui en avait servi, ne l’avait fait que pour lui rappeler le souvenir de déclarer la guerre aux Athéniens. Alexis dit dans son Pilote : « On apporta des figues sèches armoiries de l'Attique, et de petites bottes de thym. » Lyncée de Samos dit dans sa Lettre à Posidippe : « Parmi les poètes tragiques, je pense qu'Euripide ne le cède pas à Sophocle ; mais parmi les figues sèches, celles de l'Attique l'emportent de beaucoup, selon moi, sur toutes les autres. » Voici ce qu'il dit encore dans sa lettre à Diagoras : « Ce territoire oppose aux figues sèches chelidoniennes celles qu'on appelle brigindarides, (nom barbare, il est vrai) ; mais elles n'ont pas moins l'agréable saveur de celles de l'Attique. » Phénicide parle ainsi dans sa Misomène, (odieuse): « Ils vantent beaucoup leurs myrtes et leur miel, les denrées de leurs propylées, et quatrièmement leurs figues sèches. Dès que je fus débarqué, j'en goûtai, de même que des marchandises des propylées ; mais j'ose assurer que rien de tout cela n'a voit une saveur, un goût comparable au fumet d'une gelinotte. » Observons en passant l’allagen ou gelinotte dont il parle. Philémon écrit dans son Traité des Noms attiques, que les figues sèches nommées aigilides sont les plus belles. Or, Aigila est une bourgade de l'Attique, ainsi appelée de certain héros Aigilos. Il dit en outre que les chelidoniennes sont celles qui ont une couleur rouge mêlée d'une teinte noirâtre. Mais Théopompe dit dans sa Paix, en faisant l'éloge des figues sèches tithrasiennes : « Des mazes, des placoûntes, des figues sèches tithrasiennes. » Les figues sèches étaient généralement recherchées par tout le monde, et Aristophane a bien dit: « Il n'y a rien de si doux que les figues sèches. » C'est pourquoi Amitrocate, roi des Indes, selon le rapport d’Hégésandre, demanda par une lettre au roi Antiochus du vin cuit, des figues sèches et un sophiste dont il lui paierait le prix; Antiochus lui répondit: Je puis bien t'envoyer des figues sèches, du vin cuit, mais, pour un sophiste, les lois défendent d'en vendre. On mangeait aussi des figues sèches grillées, comme Phérécrate le montre dans ce passage de sa Corianne. « Mais choisis-moi des figues sèches grillées. » Et peu après il dit : « Ne m'apporteras-tu pas des figues sèches noires? entends-tu bien? » « Chez les Mariandyniens qui sont des Barbares, on appelle des figues sèches noires, des chytres ou marmites. » Je sais aussi que Pamphile a nommé certaines figues prosknides. [14,18] Chap. XVIII. Raisins. Le mot g-botrys est commun, comme on le sait ; mais celui de staphylee est aussi en usage, quoiqu'il paroisse être asiatique. Cratès dit, lv. 2 du Dialecte attique, qu'on trouve le mot g-staphyleh, pour g-botrys dans les hymnes anciens. « Ils avaient la tête ornée de staphyles noires. » Or, tout le monde sait que ce mot se trouve aussi dans Homère. Platon, lv. 8 des Lois, se sert des mots botrys et staphyleh, pour indiquer le raisin : « Si un campagnard goûte des fruits, soit raisins, soit figues, avant que le temps de la vendange soit arrivé, époque qui concourt avec l'arcture, soit qu'il le fasse dans ses propres terres, soit dans celles d'autrui, il sera condamné à cinquante drachmes, adjugées au temple de Bacchus, si c'est de son propre terrain qu'il en cueille ; et si c'est de celui de ses voisins, il paiera une mine ; si c'est de celui de tout autre, il paiera les deux tiers d'une mine. Quant à la staphyleh ou raisin surnommé noble, ou quant aux figues surnommées nobles, si l’on veut en cueillir, on peut en prendre sur son propre terrain, autant qu'on veut et quant on le veut; mais si on veut en cueillir dans le terrain d'autrui, en manquant à la loi qui défend de toucher à ce que l’on n'a pas planté, dans tous les cas, on sera mis à l'amende. » Voilà donc ce que dit le divin Platon. Je voudrais savoir ce que Platon entend par raisins nobles et figues nobles ; mais vous aurez le temps d'y penser d'ici à ce que j'aie fini de parler sur tout ce qui nous est servi. Non, dit Masurius, « Il ne faut point différer, ni remettre cela au lendemain, ni au surlendemain. » Le philosophe appelle noble, ce qui est de bonne race, comme Archiloque a dit : « Il passa un homme, g-gennaios, ou de bonne famille. » Ou bien le philosophe entend par ce mot des fruits qui sont entés ; car Aristote appelle poires epembolades, celles qui viennent de greffe. « Démosthène, reprend Ulpien, dans son discours pour Ctésiphon, nomme ensemble des figues, des raisins, (botrys) et des olives. Xénophon dit dans son Œconomique : « Les staphyles ou raisins mûrissent par la chaleur du soleil. » Nos ancêtres connaissaient aussi les raisins confits dans le vin ; c'est pourquoi Eubule dit dans son Catacollomène : « Mais prends-le, ébranle-lui le cerveau avec du vin pur, en lui donnant plusieurs coups à boire, et force-le de manger beaucoup des raisins confits dans du vin. » Celui qui a fait le Chiron que l'on attribue à Phérécrate, dit aussi : « On servit des amandes, des pommes, des arbouses, des baies de myrtes, de l’ache, des raisins confits dans du vin, et de la moelle.» Les fruits duraient toute l'année à Athènes, comme l'atteste Aristophane dans ses Saisons. Qu'y a-t-il donc d'étrange à dire avec Ethlius de Samos, lv. 5 des Limites de Samos, que les figues, les raisins, les homomelides, les pommes et les roses se reproduisaient deux fois l'an dans cette contrée-là? Lyncée dans son épitre à Diagoras, fait l'éloge du raisin appelé Nicostrate, qui croît dans l'Attique, et lui oppose ceux de Rhodes. « On y cultive, dit-il, un raisin appelé hipponion, et qu'on peut mettre en parallèle avec le raisin nicostrate de l'attique; or, cet hipponion persévère dans sa bonté, depuis le mois ecatombæon, comme un bon serviteur. » [14,19] Chap. XIX. Puisque vous avez parlé souvent des viandes, des oiseaux, des différentes espèces de pigeons, je vais maintenant vous détailler ce qu'une grande lecture m'a fourni, outre tout ce qui a été dit. Le mot peristerion pour signifier un pigeon, se trouve employé dans la Griselle de Ménandre. « Après que tu te seras un peu arrêté, recommence à courir, je t'ai acheté des peristerion. » Nicostrate dit aussi : « Voilà les choses délicates que j'aime, soit-de petits oiseaux, soit des peristerion, soit des panses d'animaux. » Anaxandride dit dans son Anteros : « Car en faisant servir des peristerion et des moineaux. » Phrynicus a employé ce mot dans ses Tragodes : « Mais prends pour lui quelques peristerion de trois oboles. » Phaisan. Le roi Ptolémée, lv. 12 de ses Commentaires, parlant des palais royaux d'Alexandrie, et des animaux qu'on y nourrit, dit ce qui suit, touchant les faisans que l'on appelle aussi tetraons, selon lui. "Non seulement, dit-il, Ptolémée en fit venir de la Médie, mais il se procura aussi des œufs qu'il fit couver par des pintades; il les multiplia même au point de pouvoir en manger à son gré. Or, c'est un mets qu'on regarde comme très somptueux. " Ce que dit ici l'illustre roi, auteur de ces Commentaires, semble être l'aveu formel qu'il n’avait pas auparavant mangé de cet oiseau, mais qu'il en nourrissait alors, comme quelque chose de fort précieux. S'il avait vu ceux qu'on nous a servis à chacun, outre ceux que l’on a déjà mangés, il aurait ajouté un autre livre comme supplément aux vingt-quatre de ses célèbres Commentaires. Aristote ou Théophraste dit dans ses Commentaires : « La chair des faisans mâles est bonne, même au delà de toute expression. » Paons. Mais si ce prince, dont je viens de parler, avait vu la quantité prodigieuse des paons qui sont à Rome, il se serait sans doute sauvé dans l'assemblée sacrée du sénat, comme s'il eût été chassé de son trône, une seconde fois, par son frère. En effet, il y a tant de paons à Rome, qu'Antiphane semble avoir prédit que cela arriverait infailliblement. C'est dans son Soldat ou Tychon. « Lorsque l'on n'eût apporté qu'une paire de paons, cet oiseau fut regardé comme une grande rareté; il y en a présentement en Grèce, plus que de cailles. Mais, si quelqu'un cherchait un honnête homme, et venait à le trouver, il ne tarderait pas à voir cinq enfants pervers, nés de ce bon père. » Alexis dit dans sa Lampas : « Moi, manger tant d'argent, non, certes! quand je serais assez riche pour avoir du lait de lièvre, et dévorer des paons. » Mais on en avait aussi de privés au logis, comme le montre Strattis dans ce passage de son Pausanias: « Oui, tout cela vaut autant que vos bagatelles et les paons! que vous nourrissez chez vous, à cause de leurs ailes rapides. » Anaxandride dit dans son Mélilot : « N'est-ce pas une folie de nourrir des paons au logis et qui coûtent autant qu'il faudrait pour acheter deux statues! » Anaxilas dit dans ses Ornithocomes ou Oiseliers : « Et, outre cela, un chien de paon privé, qui ne fait que criailler!» Ménodote de Samos dit, dans l'ouvrage qu'il a fait sur les choses qui sont dans le temple de Junon, de cette ville-là : « Il y a des paons consacrés à Junon ; peut-être même sont-ce les premiers que l'on vit à Samos, et qui y furent apprivoisés : de là ils se répandirent dans d'autres contrées éloignées, comme on vit les premiers coqs en Perse, et les premières méléagrides (pintades) en Etolie. C'est pourquoi Antiphane dit dans ses Compatriotes : « On dit que le Phénix naquit à Héliopolis, les chouettes à Athènes; Chypre est fière de ses belles colombes. Mais la Junon de Samos s'est approprié l'espèce dorée des oiseaux, je veux dire les paons, dont la figure est si belle, si digne d'être considérée. » C'est aussi ce qui a fait mettre un paon sur les monnaies de Samos. Méléagrides. Comme Ménodote a parlé des méléagrides, disons en aussi quelque chose. Voici donc ce que Clytus de Milet, disciple d'Aristote écrit à ce sujet, lv. 1 de son Histoire de Milet : « Il y a dans l'île de Leros, près du temple de Minerve des oiseaux qu'on appelle méléagrides; l'endroit où on les nourrit est marécageux. Cet oiseau ne montre aucune attache pour son engeance, et s'inquiète peu de ses petits ; de sorte que les prêtres du temple sont obligés d'en prendre soin. Il est de la grosseur d'une forte poule ; il a la tête petite proportionnellement à son corps, et sans plumes; elle est surmontée d'une crête charnue, dure, ronde, de couleur de bois, et qui s'élève sur la tête, comme une cheville. Sur les côtés de la face, au défaut de la bouche, commence à régner, au lieu de barbillons, une partie charnue qui se prolonge, et qui est d'un rouge plus foncé que celle des poules. Mais cet oiseau n'a pas celle qui se trouve sous le bec des poules, et qu'on appelle barbe. C'est pourquoi il semble qu'il soit mutilé à cette partie-là. Il a le bec plus aigu et plus grand que celui de la poule; son cou qui est plus court, se trouve aussi plus épais et noir ; son corps est tout bigarré: cependant le fond de la couleur est le noir partout le corps, quoique divisé par de petites taches blanches très rapprochées et plus grandes que des lentilles. Or, ces taches circulaires se trouvent dans les losanges noirs qui se présentent sur tout le plumage ; c'est pourquoi les losanges forment une bigarrure dans laquelle on voit du noir qui renferme une couleur d’autant plus blanche, et une couleur blanche qui renferme une couleur d'autant plus noire. Quant aux ailes, il les a bigarrées de blanc et de vergetures dentées de couleur de feu, et ces couleurs s'y fondent et s'y délayent l'une dans l'autre. Il n'a pas d'ergot aux jambes, comme les coqs; la femelle en est semblable au mâle ; c'est pourquoi il est difficile de distinguer la pintade mâle de la femelle. » Tels sont les détails que le philosophe péripatéticien nous donne sur les méléagrides. Cochons de lait rôtis. Epicrate en fait mention dans son Négociant: « C'est à moi, qu'il faut donner cette commission ; non, la Sicile ne pourra pas se vanter d'avoir dans son sein un tel cuisinier, ni une si habile main pour assaisonner du poisson. L'Elide même doit se taire ici! Je viens de la cuisine, et j'y ai vu la chair des cochons de lait prendre la plus belle couleur devant le feu. » Alexis dit dans sa Méchante : « Quand il conviendra de servir de la jeune chair de cochon rôti, achetée trois oboles, et bien chaude, bien succulente. » Lorsque les Athéniens sacrifient aux saisons, ils ne font pas rôtir, mais bouillir les viandes, dit Philochore; ils demandent à ces divinités de les garantir des chaleurs qui dessèchent et brûlent tout ; mais de faire mûrir les productions de la terre par une chaleur modérée, des pluies convenables dans chaque saison. Suivant eux, les viandes rôties sont moins avantageuses ; l'ébullition, au contraire, en ôte la crudité, amollit la dureté de la fibre, et tout se trouve ainsi cuit à point ; en outre l'aliment qui a bouilli est plus doux et plus salubre ; c'est pourquoi l'on dit communément, ne faites pas rôtir, ni bouillir ce qui a été bouilli : car, selon Aristote, ce serait résoudre et détruire ce qui s'y trouve de meilleur. En général, les viandes rôties sont plus crues, et ont la fibre plus dure que celles qui ont été bouillies. Les viandes rôties sont aussi appelées phlogides ou grillades, c'est pourquoi Strattis dit dans son Callipide, en parlant d'Hercule : « Sur le champ, il a pris des tronçons de saline, des phlogides toutes brûlantes de sanglier, et a dévoré tout cela ensemble. » Archippe dit aussi dans ses Noces d'Hercule : « Des issues de porc bien accommodées, de petites phlogides de bœufs aux cornes aiguës, et de longues phlogides de sanglier. » Perdrix. Mais que me reste-t-il à vous raconter sur les perdrix, après tout ce que vous en avez dit. Cependant je ne passerai pas sous silence le fait que rapporte Hégésandre dans ses Commentaires: « Des Samiens, dit-il, s'embarquent pour Sibaris, descendent sur le territoire de Siris ; mais des perdrix s'envolent, font beaucoup de bruit ; aussitôt ces Samiens effrayés prennent la fuite, se rembarquent et s'en vont. » [14,20] Chap. XX. Lièvres. Voici le trait que Caméléon rapporte au sujet de Simonide, en parlant des lièvres. Ce poète soupait un jour chez Hiéron ; il avait vu servir du lièvre à tous les convives; et lui, on l'oubliait ; cependant Hiéron lui en servit quelques moments après. Alors le poète fit cet impromptu : « Quelque large qu'il fût, il ne pouvait s'étendre jusqu'à moi. » Simonide était vraiment un homme sordide et tirant de tout, le gain le plus honteux, si l'on en croit Caméléon. « Ce poète, dit-il, étant à Syracuse, Hiéron lui envoyait chaque jour de quoi vivre largement; mais Simonide en vendait la plus grande partie, ne se réservant que peu de chose pour lui. Quelqu'un lui en demandant la raison. C'est, répondit-il, afin qu'on connaisse la noble libéralité d'Hiéron, et ma sobriété. » Tétines. Téléclide en fait mention dans ses Sterres : « Comme je suis femelle, j'emporte avec raison cette tétine. » Mais Antidote l'appelle hypogastre ou bas-ventre, dans sa Boudeuse. Volailles engraissées. Matron rappelle ces volailles engraissées dans ses Parodies. « Il parla ainsi, les autres se mirent à rire, et à l'instant on apporta des poulardes sur des plats d'argent ; elles étaient sans plumes, de même âge, et leurs dos ressemblaient à des gâteaux. » Petits cochons engraissés. Sopatre, cet auteur de poésies badines, parle aussi de ces cochons dans ses Noces de Bacchis : « S'il y avait quelque part un four, un petit cochon engraissé y grognait beaucoup. » Eschine s'est servi du mot delphakia, dans son Alcibiade : « Comme les hôtelières, dit-il, engraissent de petits cochons ou delphakia. Antiphane emploie le même mot dans son Physionomiste. « Car ces femmes engraissent de force de petits cochons, delphakia. » Il dit encore dans son Protreptique : « Nourris en place de petits cochons, delphakiohn. » Platon le comique a dit delphaca au masculin, dans son Poète : « Un cochon, delphaca, bon à tuer. » Sophocle dans sa pièce intitulée l’Injure: « Je veux manger le cochon, delphaca. » Cratinus dans ses Ulysses, dit : « De grands cochons, delphacas. » Mais Nicocharès le fait féminin. «. Une cochonne pleine, g-delphaca g-kyousan. » Eupolis dans son Age d'or: « Il régale d'une cochonne de lait; qui n'a pas encore de dents, et fort belle. » Platon dans son Io : « Apporte donc ici la tête de cette jeune cochonne.» Théopompe dit dans sa Pénélope : « Ils nous immolent aussi une petite cochonne qu'ils ont vouée. » Théopompe fait mention d'oies engraissées et de veaux gras dans sa Treizième Philippique, et lv. 11 de ses Helléniques, où il montre quelle était la sobriété et la retenue des Lacédémoniens. « Agésilas arrivant chez les Thasiens, ceux-ci lui envoyèrent toutes sortes de bestiaux et de jeunes bœufs bien nourris ; ils y avaient joint des pâtisseries et différentes espèces de tragèmes. Agésilas reçut les bestiaux et les bœufs; quant aux friandises, il ne les aperçut pas d'abord, parce qu'elles étaient couvertes. Dès qu'il les eut vues, il ordonna aux Thasiens de les remporter, disant qu'il n’était pas permis aux Lacédémoniens d'user de pareils aliments. Les Thasiens insistent. Agésilas leur répond, en montrant les Ilotes: « Emportez-les et donnez-les à ces gens-là ; il vaut mieux qu'ils les mangent et se corrompent ainsi, que moi et les Lacédémoniens qui m'accompagnent. » « Quant aux Ilotes, les Lacédémoniens les traitaient avec beaucoup de dureté. Voici ce qu'en dit Myron de Priène, lv. 2 de ses Messéniaques : Ils leur font porter, en vertu d'une loi, un bonnet de peau de chien, et un habit de peau garnie de son poil. Tous les ans, ces Ilotes sont obligés de recevoir certain nombre de coups, sans même avoir fait la moindre faute, afin de se familiariser à l'esclavage. Si quelque Ilote s'avise de paraître penser au dessus de son état servile, il est condamné à mort, et son maître à une amende, s'il ne tue pas cet esclave parvenu à l'âge viril. En remettant un terrain à ces esclaves, les maîtres les chargent de certain tribut qui doit être payé tous les ans. » Pour revenir aux oies, je dirai que du mot g-chehn, oie, on a fait le mot g-chehnizein, en parlant des joueurs de flûte ; ainsi, g-chehnizein a signifié jouer de la flûte. C'est ainsi que Diphile a dit dans son Attelage ou Char à deux chevaux : « Tu as chehnizé, c'est ce que font tous ceux qui se trouvent chez Timothée. » Jambon. Mais, puisqu'on nous a servi à chacun une tranche de jambon, disons-en quelque chose, et voyons qui en a parlé. Les jambons des Gaules sont excellents; cependant ceux de Cibyre, ville d'Asie, et de Lydie ne leur cèdent en rien. Il en est fait mention dans le troisième livre de la Géographie de Strabon, écrivain qui n'est pas des plus modernes ; car il dit, lv. 7 du même ouvrage, avoir connu le philosophe Stoïcien Posidonius qui fut lié avec Scipion, celui qui prit et ruina Carthage. Voici le passage de Strabon : « Il y a en Espagne du côté de l'Aquitaine une ville appelée Pompelou, c'est-à-dire Pompeïopolis, dans laquelle on fait des jambons qui le disputent à ceux de Cibyre. « Halipastes ou mets salés. Aristomène, poète comique en parle ainsi dans son Bacchus : « Je vous sers ces mets macérés dans le sel. » Et dans ses Prestigiateurs : « Que le valet mange toujours des huîtres salées halipastes. » [14,21] Chap. XXI. Fromages, trophalis. Mes amis, voici un fromage qui fait l'honneur de la Sicile, et il me donne envie de parler des fromages, (tyrohn) en général : or, voici ce que dit Philémon dans son Sicilien : « Pour moi, je pensais d'abord que la Sicile ne s'occupait particulièrement que de faire des fromages ; mais j'ajouterai ce que j'ai appris depuis. Le fromage de Sicile est excellent, j'en conviens ; cependant les pigeons de cette île ne le sont pas moins : que serait-ce donc, si on parlait de ses étoffes chamarrées ; et je dirai de plus qu'on y fait des vases et des meubles magnifiques. » Mais le fromage de Tromélie est aussi fort renommé. Démétrius de Scepse en parle ainsi, lv. 2 de l'Armement de Troie : « Tromélie est une ville d'Achaïe, près de laquelle il y a du fromage de chèvre excellent, auquel on ne peut comparer aucun autre ; on l'appelle tromélique. Simonide en fait mention dans la pièce iambique qui commence ainsi : « Télembrote, on a déjà apprêté beaucoup de choses d'avance ; il y a mon fromage tromilie, ce fromage admirable que j'ai apporté d'Achaïe. » Euripide, dans son Cyclope, appelle opias le fromage piquant dont le lait a été caillé avec le suc de figuier. » « Il y a du fromage opias et du lait de Jupiter. « Mais, comme j'ai fait du tromilie, un apotragème ou relief, après vous avoir parlé sur tout ce qu'on nous a servi, je finirai, en m'arrêtant seulement au mot apotragème, dont s'est servi Eupolis pour désigner les reliefs des desserts et de tout ce qu'on gruge. Ce poète se moquant de certain Didymias, l'appelle apotragème de renard, soit qu'il voulut le plaisanter sur sa petite taille, soit au sujet de ses méchancetés et de ses ruses, selon le rapport de Dorothée d'Ascalon. Les Crétois appellent thalies, les fromages minces et larges, selon Seleucus ; et ce sont ceux qu'ils offrent dans quelques sacrifices. Philippide, dans ses Flûtes, fait mention de periephthes ; c'est ainsi qu'on appelle les fromages faits du premier lait des bestiaux qui ont mis bas, et qu'on fait réduire sur le feu. Voici le passage de Philippide : « Ayant ou tenant à la main les periephthes et ces herbages. » Tout ce dont nous venons de parler, est peut-être ce que les Macédoniens appellent epideipnides ; car ce sont autant de choses faites pour ranimer l'envie de boire après le repas. Ulpien parlait encore, lorsqu'un de ces fanfarons cuisiniers survint et nous annonça un myma ; tout le monde se taisant à ce mot, ce cuisinier continua et nous dit : « Evémère de Coos, lv. 3 de son Histoire sacrée, nous apprend, d'après les Sidoniens, que Cadmus, cuisinier du roi de Sidon, prenant avec lui Harmonie, joueuse de flûte de ce souverain, s'enfuit avec elle. Or, je m'enfuirai aussi, d'autant mieux que je suis libre; je ne me rappelle même pas aucun cuisinier que vous puissiez me dire avoir été mis sur la scène comme esclave, si ce n'est dans Posidippe. En effet, ce sont les Macédoniens qui ont les premiers chargé des esclaves de faire la cuisine, soit qu’ils l’aient fait pour insulter à leurs prisonniers de guerre, soit pour soulager le malheur de ces mêmes captifs, dans les villes qu'ils avaient réduites en esclavage. Les anciens donnaient le nom de Mœson aux cuisiniers de la ville, et celui de tettix ou cigale au cuisinier du dehors. Or, Chrysippe le philosophe pense que moeson a été formé de masaohn qui signifie mâchant, comme si l'on eût voulu indiquer un ignare esclave de son ventre. Ce philosophe ignorait qu'il y eut un acteur comique nommé Mœson, natif de Mégare, et que ce fut lui qui inventa le masque qui en porta ensuite le nom. C'est ce que rapporte Aristophane de Byzance, dans son Traité des Masques ; il ajoute même qu'il imagina aussi le masque de valet et celui de cuisinier. C'est donc encore avec raison, qu'on appelle mœsoniques, les plaisanteries qu'on met dans la bouche de ces personnages : or, vous savez combien de fois, on fait plaisanter les cuisiniers sur la scène. Je vous rappellerai ici Ménandre, dans ses Tuteurs, et Philémon qui dit quelque part: « J'ai amené chez moi un sphinx mâle, non un cuisinier. Car je jure que je n'entends pas un seul mot de ce qu'il me dit, tant il est abondant en nouveaux termes. » Quant à la ville de Mégare, d'où était Mœson, Polémon dit en parlant à Timée, que c’était celle de Sicile, et non celle des Niséens. Mais voici comment parle Posidippe dans son Excluse, au sujet des cuisiniers esclaves. « Oui, les choses sont telles ; mais il va m'arriver quelque diablerie aujourd'hui, en servant mon maître : c'est que je vais risquer d'être surpris, en dérobant de la viande. » Et dans ses Syntrophes: « A. Quoi, tu es cuisinier, et tu as passé le pas de la porte, à jeun? B. Oui, je l'étais. A. Mais, où allais-tu donc? B. Oh! j'ai de l'occupation au marché pour un homme que je connais, du même métier, et qui m'a loué. » Il n'est pas étonnant que les anciens cuisiniers aient été experts dans la manière d'immoler les victimes; c'est pourquoi, ils étaient pour ainsi dire, les présidents des sacrifices, comme ils le sont réellement encore des noces. Aussi Ménandre fait-il tenir le discours suivant au cuisinier qui sert les tetradistes à la fête de Vénus, courtisane. C'est dans son Flatteur. A. Donnes-moi les libations et les entrailles, et suis-moi. Où regardes-tu? B. Je porte ces libations et plusieurs autres choses consacrées aux libations. A. Fort bien. B. Prie donc les dieux de l'olympe. A. Oui, prions tous les dieux, toutes les déesses de l'olympe, (pendant ce temps-là, fais silence) ; prions-les, dis-je, de nous donner à tous le salut, la santé, beaucoup de biens, et la jouissance avantageuse de ceux que nous avons actuellement. » Un autre dit dans Simonide : « Combien n'ai-je pas fait griller de viandes ; combien n'en ai-je pas coupé par morceaux et avec art? Car, quelle chose ne sais-je pas faire adroitement! » La lettre qu'Olympie écrivit à Alexandre prouve encore l'expérience des cuisiniers. Alexandre lui ayant mandé de lui acheter un cuisinier expert dans les procédés des sacrifices, sa mère lui répondit : « Reçois de ta mère le cuisinier Pilégnas; car il sait tous les rites des sacrifices de tes ancêtres, ceux des orgies et des fêtes de Bacchus. Il n'ignore pas non plus les rites des sacrifices qui préludent aux jeux olympiques. Qu'il ne te soit pas indifférent; reçois le bien au contraire, et réponds-moi au plus tôt. » [14,22] Chap. XXII. Les Céryces d'Athènes prouvent que la fonction de cuisinier était autrefois honorable; car ces Céryces faisaient la cuisine, et immolaient les victimes, comme le dit Clidème, lv. 1 de sa Protogénie. Homère se sert du mot g-rhezein (faire), pour g-thyein, sacrifier, et du mot g-thyein, pour désigner la cérémonie de brûler les gâteaux faits d'huile et de farine, qu'on offrait aux dieux, après les repas. Les anciens employaient aussi le mot g-dran, pour g-theyein, dans le sens de sacrifier. Les Céryces faisaient ainsi depuis longtemps la fonction d'immoler les victimes, de les arranger, de les couper par morceaux, et de verser le vin. Ils eurent le nom de Céryces, c'est-à-dire de hérauts, de la plus noble partie de leurs fonctions. On ne lit nulle part, qu'il était assigné chez les anciens un salaire au cuisinier, mais au héraut. Agamemnon, tout roi qu'il est, immole les victimes, dans Homère. En effet le poète écrit: « Il dit ; et il coupa la gorge aux agneaux, avec un airain impitoyable ; il les posa ensuite à terre, tout palpitants et expirants : car l'airain leur avait ôté la vie. » C’est ainsi que Thrasymède, fils de Nestor, prenant une hache, en frappe le bœuf, parce que son père trop âgé ne pouvait plus le faire. Ses frères le secondent même dans ce travail. On voit donc par-là, qu'on attachait le plus grand honneur à la profession de cuisinier. Chez les Romains, nous voyons les censeurs, emploi des plus honorables, aller immoler les victimes avec la hache, vêtus d'une robe de pourpre, et la couronne sur la tête. Ce n'est pas non plus au hasard, que les hérauts sont chargés de confirmer les serments des traités, en immolant les victimes; ce qui suppose que cette fonction leur était attribuée depuis longtemps. « Hector, dit le poète, envoya deux hérauts à la ville, pour y aller prendre deux agneaux, et faire venir Priam. » Et ailleurs, « Mais l'excellent Agamemnon envoyé auparavant Talthybius aux vaisseaux, lui ordonnant d'en apporter un agneau. » Et « Talthybius qui parlait comme un dieu, présente à ce chef des peuples un chevreau qu'il tenait dans ses mains. » Clidème, lv. 1 de son Attique, nous fait connaître une tribu de cuisiniers, qui présidaient aux pompes publiques, et que le peuple devait seconder dans leurs fonctions. Ce n'est donc pas mal à propos qu'Athénion dans ses Samothraces, fait paraître sur la scène un cuisinier qui parle ainsi en physicien, selon Juba. « A. Ne sais-tu donc pas que l'art de la cuisine a le plus contribué à la piété? B. Comment. A. Le voici, barbare que tu es! C'est elle qui nous a tiré de cette vie féroce et sans foi, de ce malheureux usage de nous manger les uns les autres ; qui nous a ramenés à certain ordre, et nous a fait embrasser le genre de vie que nous suivons à présent. B. Comment donc cela? A. Ecoute, je vais te le dire : les hommes se mangeaient les uns les autres, un déluge de maux avait couvert la terre ; heureusement il parut un homme de bon sens, qui le premier offrit un animal en sacrifice, et en fit rôtir les chairs. Or, ces chairs ayant paru meilleures que celles des hommes, on ne se mangea plus l'un l'autre ; mais on fit rôtir des viandes. Dès qu'on eut une fois goûté le plaisir de cet aliment, on partit de là pour perfectionner peu-à-peu l'art de la cuisine; et si l'on fait aujourd'hui rôtir les entrailles des victimes, sans y avoir mis du sel, c'est par un ancien usage dont on a perpétué le souvenir : car, dans ces temps reculés, on n’avait pas pensé à s'en servir ; mais le sel ayant plu par la suite, on en a introduit l'usage dans les assaisonnements. On écrivit les règles qu'il fallait observer dans les sacrifices, en se conformant aux usages de chaque pays; et c'est à tout cela que nous sommes redevables de notre salut. Enfin, le plaisir que procurèrent les assaisonnements, inspira aussi le désir de perfectionner notre art. » « B. Par ma foi, voilà un nouveau Paléphate! A. Après cela, quelqu'un devenu plus habile avec le temps, servit la panse d'un animal, assaisonnée de toutes sortes d'ingrédients ; on hasarda de présenter un chevreau cuit avec art entre deux plais, et qui fondit sous la dent. Mêlant bien ensuite du hachis, il contrefit un poisson en roulant avec des herbages qui ne furent pas aperçus. Ensuite on introduisit dans les mets les salines précieuses, le gruau, le miel ; de sorte que, pour jouir des plaisirs dont je parle, on s'abstint de tuer un homme, et d'en manger le cadavre: tous pensèrent qu'il fallait vivre ensemble; la foule se réunit ; on vit s'élever des villes habitées, grâces à l'art de la cuisine, comme je le dis. B. Adieu l'ami, et moque-toi de ton maître. » « A. C'est nous, oui, c'est nous autres cuisiniers qui préludons aux cérémonies ; c'est nous qui sacrifions ; c'est nous qui faisons les libations; aussi, c'est nous, surtout, que les dieux exaucent, parce que nous avons imaginé ce qui contribue le plus à rendre la vie heureuse. D. L'ami, laisse de coté la religion. A. Oh! oui, je me trompe. D. Çà, viens prendre un morceau avec moi, et songe à bien tout apprêter au logis. » Alexis prétend prouver dans sa Petite Marmite, que l'art de la cuisine est une occupation convenable aux gens bien nés. En effet, il introduit sur la scène un cuisinier qui a l'air d'un homme bien élevé. Mais Héraclide et Glaucus de Locres qui ont écrit sur la cuisine, disent que cet art ne convient même à aucune personne de condition libre. Cratinus le jeune, relève beaucoup cet art dans ses Géants: « A. Sens-tu combien l'odeur de ce terrain est agréable, et quelle vapeur balsamique il s'en exhale! Il semble qu'il y a dans cette crevasse, un marchand d'encens, ou un cuisinier de Sicile. B. Tu as raison. L'odeur de l'un est aussi bonne que celle de l'autre. » Antiphane fait l'éloge des cuisiniers de Sicile, dans son Infortuné, en disant : « C'est par l'art des Siciliens, que les tourtes des repas ont été apprêtées comme il faut. » Ménandre dit dans sa Vision ou son Spectre : « Faites-nous savoir si les apprêts sont bien variés, et à la mode de Sicile. » Posidippe écrit dans son Anablepohn, (qui recouvre la vue.) « Pour moi, j'ai amené un cuisinier, mais qui m'a fait connaitre tous les défauts des autres. Entreprennent-ils un repas? Oh! dit mon cusinier, l'un n'a pas l'odorat assez fin pour flairer les mets; l'autre a le goût dépravé; celui-ci s'est gâté la langue à de sales plaisirs ; celui-là pèche toujours par trop de sel ou de vinaigre, en assaisonnant ; tel est gourmand ; tel autre laisse brûler ses viandes ; un autre ne peut pas souffrir la fumée, le feu. Mais en me dévoilant ainsi les défauts des autres, ils ont passé du feu à tirer les couteaux, de sorte que l'un d'eux, en se querellant, est allé du feu au bûcher, moyennant les couteaux. » Antiphane dit dans sa Philotis, en détaillant le talent des cuisiniers : « A. Ne t'ai-je pas dit de bien retourner ce petit glauque dans la saumure, comme il est d'usage ; de faire rôtir ce loup marin, de faire bouillir ce chien de mer dans un coulis? Cette anguille demande du sel, de l'origan, de l'eau ; ce congre pareillement. Voila une raie, de fines herbes, un tronçon de thon ; tu feras rôtir ce morceau de chevreau, et qu'il le soit également des deux côtés ; mais que la rate au contraire ne soit pas trop grillée. Farcis bien ce boyau. B. Juste ciel! cet homme me tue de son babil. » Batton rappelle les noms des plus célèbres inventeurs en cuisine. Voici à ce sujet le passage de ses Bienfaiteurs. « A. Çà, ma chère Sybinna, nous avons assez mal dormi cette nuit, et nous n'avons rien écrit ; cependant notre lampe brûle; nous avons le livre en main, et nous cherchons quelque ingénieuse invention, telle, par exemple, que celles que nous ont laissées Actide de Chio, Tyndarique de Sicyone, ou Zopyrinus. B. Eh bien! toi, as-tu trouvé quelque chose? A. Oui, certes, et comparable à tout ce que les morts ont imaginé de plus excellent. » Or, messieurs, c'est le myma, ce mets par excellence, que je vous présente ici. Artemidore, disciple d'Aristophane nous dit dans ses Termes culinaires, qu'il se prépare avec des viandes du sang, en y joignant beaucoup d'assaisonnements. Mais Epenète écrit dans son Traité de la Cuisine : « Le myma se fait avec toutes sortes de viandes et de volailles. » Cependant il faut, selon lui, prendre des viandes tendres, les hacher ensemble bien menues, les viscères avec l'intestin ; bien pétrir cela avec le sang, et y mettre pour assaisonnement du vinaigre, du fromage grillé, du suc de laser, du thym vert et sec, de la sarriette, du coriandre vert et sec, de la ciboule, de l'oignon sans pellicule, et grillé, ou de la graine de pavot, et du raisin sec, du miel, des grains acides de grenades. Selon lui, le myma tient lieu de tout mets. Mais, tandis qu'Ulpien broyait toutes ces choses, et en même temps nos oreilles, il entra un autre valet qui nous apporta la mattya. A ce mot, il s'éleva une nouvelle question sur ce que c’était que la mattye. Mars Ulpien citant un passage des termes culinaires d'Artémidore dont je viens de parler, Emilien prit la parole : « Il y a un traité attribué à Dorothée d'Ascalon, intitulé sur Antiphane, et sur la mattye, dont parlent les poètes de la moyenne comédie. Or, selon cet ouvrage, la mattye est une invention des Thessaliens. L'usage en fut introduit à Athènes, à l'époque de l'empire des Macédoniens. Les Thessaliens passent généralement pour avoir été les plus somptueux des Grecs, tant à l'égard de la mise, que de la table : c'est même ce qui leur a donné lieu d'attirer les Perses contre la Grèce, parce qu'ils voulaient imiter leur luxe et leur magnificence. Cratinus a parlé de la somptuosité des Thessaliens, dans l'ouvrage qu'il a écrit sur leur gouvernement. Quant à la mattye, Apollodore d'Athènes dit lv. 1 àe ses Etymologies, que ce mot vient de g-masasthai, qui signifie mâcher. Il en déduit aussi le mot mastic, et nous en avons aussi déduit le mot maàstax, qui signifie la bouche. C'est encore de là que vient le mot maza ou miche ; de même que chez les Cypriens, le mot magis ou pétrin, huche, et le mot hypermazan, pour tryphan, ou se livrer à la volupté, au plaisir de la table. On appela d'abord maze la nourriture ordinaire du peuple, qui la faisait de simple farine ; et l'on a dit g-mattein, dans le sens de pétrir pour la préparer. Mais les hommes variant ensuite de différentes manières et sans retenue, la nourriture qu'ils prenaient, changèrent un peu, par affectation, ce nom en celui de mattye, par lequel ils désignèrent tout aliment somptueux. Alors on fît aussi le mot g-mattyazein, pour dire, préparer ces aliments; soit poisson, soit volaille, soit légume, soit viande, soit ce qu'ils, nommèrent aussi myma ou mymation. Or, c'est ce qui paraît manifestement par le passage qu'Artémidore cite d'Alexis. En effet, Alexis voulant montrer l'excès de délicatesse de cette préparation, a joint le mot g-lepesthai à ce qu'il dit. Voici donc ce que porte la citation prise du Démétrius de ce poète, remis au théâtre : « Femmes, prenez le poisson qu'on vous envoie, apprêtez-le, faites bombance, buvez des santés, g-mattyazete ou livrez-vous à la bonne chère ; g-lepesthe, plongez-vous dans les plus impures voluptés.» Les Athéniens se servent du mot g-lepesthai, pour caractériser les plaisirs aphrodisiaques les plus impurs et les plus grossiers. Artémidore montre dans ses Termes culinaires que mattya est le nom commun de tous les aliments somptueux. Voici ce qu'il dit : « Si l'on veut faire une mattye de volaille, il faut la tuer, en lui faisant entrer la pointe du couteau par le bec, jusque dans la tête, et la garder ainsi jusqu'au lendemain, comme la perdrix. Si l'on veut la manger comme elle est, on lui plumera d'abord les ailes, et on la laissera ainsi aller jusqu'au lendemain pareillement. Exposant ensuite la manière de l'assaisonner et de la faire cuire, il dit : « Faites cuire au bouillon la pintade grasse et ceux de ses petits qui font déjà entendre leur cri naturel que nous exprimons par g-kokkyzein, (si cependant vous voulez la manger dans une partie de bouteille) ; ensuite tirez du pot les herbes avec lesquelles elle aura été cuite, et servez la chair de cette poule sur ces herbes que vous aurez mises dans un plat. En été, vous ferez bouillir dans la sauce une grappe de verjus, telle quelle est, au lieu de vinaigre. Lorsque cette sauce aura bouilli assez, retirez-la du feu, avec la grappe, avant que les pépins s'en détachent; écrasez bien alors les herbes, et vous aurez une mattye des plus savoureuses. » Il est donc évident que ce mot désignait tous les aliments les plus somptueux ; mais Philémon dit dans son Enlevé ou Ravi, que le repas où on la servait, avait aussi ce même nom. « Il ordonnait à un homme nu de faire le guet ; mais lui, il se, réjouissait le cœur avec trois bons gobelets de vin et une mattye. » Et dans son Homicide : "Qu'on nous verse à boire, et qu'on fasse au plus tôt une mattye. » Alexis à dit avec équivoque dans son Pyraune ou Réchaud: « Les ayant vus oisifs, je m'écriai, quoi personne ne nous donnera une mattye? » Il semble qu'il ait voulu parler du repas même; mais on peut l'entendre aussi avec vraisemblance, et même proprement des aliments. Machon de Sicyone doit être rangé parmi les poètes comiques, selon Apollodore de Caryste. Il est vrai qu'il n'a pas fait jouer ses pièces à Athènes, mais à Alexandrie; cependant il mérite d'être regardé comme bon poète, autant que qui ce soit, après ceux de la Pléiade. C'est pourquoi le grammairien Aristophane ne négligea rien dans sa jeunesse pour se lier avec lui. Or, voici ce que Machon écrit sur la mattye, dans sa pièce intitulée l’Ignorance : « Je ne trouve rien de plus agréable que la mattye, je ne sais si ce sont les Macédoniens ou tous les dieux ensemble qui nous ont appris à nous autres Athéniens, à la faire. Au reste, l'inventeur était vraiment un homme de génie. » Nicostrate, dans son Expulsé, dit que c’était le dernier de tous les mets qu'on servait. C'est, dans ce passage, un cuisinier qui raconte le somptueux appareil et la belle ordonnance des mets qu'il a apprêtés pour un festin; mais il a auparavant exposé ce qu'on doit entendre par dîner et par souper. Alors il fait mention d'un troisième repas, et il ajoute : « Çà, messieurs, allons, courage! je vais après cela vous faire servir une mattye, contre laquelle je crois que cet homme n'aura rien à dire. » Et dans son Cuisinier : « Il n'a jamais connu ni candyle, ni thrion, ni rien de ce qu'il faut pour la mattye. » Un autre dit : "Présenter à la ronde ou des petits pieds, ou une panse juteuse, et peut-être même de truie. » Denys, dans son Acontizomène, fait dire à un cuisinier; « De sorte qu'un jour faisant une mattye, la précipitation avec laquelle je servis, me fit commettre une erreur, et je portai le mets des morts au mort. » Philémon dit dans sa Femme pauvre : « Tandis qu'il était facile de se bien remplir la panse, puisqu'il faisait et servait là des mattyes, pendant toute la journée. » Molpis de Laconie dit que ce que les Spartiates appellent epaiclées, c'est-à-dire, epideipnides, ou surcroît du repas, est ce que d'autres nomment mattye. Voici ce que le cynique Ménippe écrit dans son Arcésilas : « Plusieurs personnes s’étaient réunies pour faire ensemble une débauche ; une femme de Lacédémone ordonna qu'on servît une mattye : aussitôt on servit à la ronde quelques perdreaux et des oisons rôtis, avec force galettes à croustiller. Les Athéniens appellent épidorpisme cette partie du repas: chez les Doriens, c'est l’epaiclée ; mais la plupart des autres Grecs appellent cela les epideipnes. Après tous ces longs détails sur la mattye, nous jugeâmes à propos de nous retirer, car il se faisait déjà tard, et nous nous séparâmes ainsi.