[8,331] LIVRE HUITIÈME. Chap. I. Polybe de Mégalopolis racontant, excellent Timocrate, quelle est la félicité dont jouit la Lusitanie, province de l'Ibérie, que les Romains appellent actuellement l'Espagne, nous dit, dans le trente-quatrième livre de ses Histoires, (331a) que l'heureuse température y rend les hommes et les animaux très féconds, et que les fruits ne s'y corrompent jamais. En effet, les roses, les giroflées, les asperges et semblables, n'y cessent que trois mois de l'année. Quant au poisson qu'y fournit la mer, si on le compare avec celui de la nôtre, il l'emporte de beaucoup par sa quantité, sa bonté et sa beauté. Le sicle d'orge, c'est-à-dire, le médimne n'y vaut qu'une dragme ; celui des froments, neuf oboles d'Alexandrie; (331b) la métrète de vin, une dragme; un moyen chevreau, une obole; un lièvre autant; le prix d'un agneau est évalué à trois ou quatre oboles ; un cochon gras, allant à cent livres pesant, cinq dragmes ; une brebis, deux ; le talent pesant de figues, trois oboles ; un veau, cinq dragmes ; un bœuf déjà propre au joug, dix. Quant au gibier, on n'y attache presque aucune valeur pécuniaire ; on le donne comme le par-dessus dans les ventes que l’on fait des autres choses dont je viens de parler : mais l'aimable Larensius nous fait continuellement de Rome la Lusitanie même. Aussi attentif à tout ce qui peut être agréable, qu'à la magnificence, il nous comble chaque jour de toutes sortes de biens, (331c) tandis que nous n'apportons de chez nous que quelques morceaux à lire, ou à réciter. 2. Cynulque paraissait déjà bien fatigué d'entendre parler si longtemps de poissons, lorsque l'aimable Démocrite le prévint, en disant : Messieurs poissons, pour parler avec Archippe, il y a ici quelque omission, car il nous vient encore quelques poissons de surplus ; mais ce sont de ces poissons qu'on a nommés orychthes, et qu'on trouve à Héraclée, ou près de Tion, ville du Pont, et colonie de Milet, selon le rapport de Théophraste. Le même philosophe a aussi parlé de ceux que le froid glace avec l'eau où ils se trouvent pris, et qui ne recouvrent le sentiment et le mouvement que lorsqu'on les fait cuire dans les pots où on les a jetés ; (331d) mais outre ceux-ci, il y a quelque chose de particulier concernant les poissons orychthes de la Paphlagonie. On les tire de terre en creusant profondément dans des lieux où il n'y a ni épanchement de rivière, ni courants d'eau chaude, et cependant on y trouve des poissons vivants. 3. Mnaséas de Patras dit, dans son Périple, que les poissons du fleuve Clitoris font entendre un son de voix, quoiqu'Aristote n'ait dit cela que du sanglier, et du porc fluviatile. Philostephanus, originaire de Cyrène, et ami de Callimaque, rapporte, (331e) dans son Traité des Fleuves extraordinaires, que dans le fleuve Aroanius, qui traverse Phénée, il y a des poissons qui rendent un son de voix semblable à celui des grives, et qu'on les appelle pœciles. Nymphiodore de Syracuse dit, dans son Périple, qu'on voit, dans le fleuve Hélore, des labrax (ou loups) et de grandes anguilles si apprivoisées, que ces poissons viennent prendre le pain qu'on leur présente à la main. Pour moi, j'ai considéré dans l'Aréthuse, près de Chalcis, des muges très familiers, et des anguilles ornées de pendants d'oreille, qui prenaient la nourriture qu'on leur présentait, de même que les entrailles des victimes, et du fromage nouvellement fait : or, plusieurs d'entre vous l'ont peut-être vu comme moi. Le sixième livre de la Déliade de Sémus nous apprend qu'un serviteur qui apportait de l'eau, qu'il venait de puiser dans une aiguière pour les Athéniens occupés d'un sacrifice à Délos, versa des poissons dans la cuvette avec l'eau. Sur quoi un devin, habitant de cette île, prédit aux Athéniens qu'ils auraient l'empire de la mer. [8,332] 4. (332a) Chap. II. Polybe dit, au liv. 34 de ses Histoires, qu'entre les Pyrénées et le fleuve Narbon, il y a une plaine dans laquelle coulent les rivières Ilybernis et le Ruscinon, qui passent le long de villes de même noms, habitées par les Celtes ; et qu'on trouve dans cette plaine des poissons orychthes. Le sol est une terre légère qui produit beaucoup de chiendent. Il coule, sous ce sol sablonneux, à la profondeur de deux ou trois coudées, des eaux qui s'épanchent de ces rivières. (332b) Les poissons qui suivent ces épanchements souterrains, pour venir paître (car ils aiment beaucoup la racine de cette plante), remplissent cette campagne sous terre, et on les en tire en fouillant. Selon Théophraste, il y a dans les Indes des poissons qui passent de l'eau sur terre, et s'en retournent en sautant à l'eau, comme les grenouilles : ces poissons semblent être de l'espèce de ceux qu'on appelle g-maxeinoi. 5. Je n'ignore pas non plus ce que Cléarque le Péripatéticien (332c) a dit, au sujet du poisson qu'on appelle exocet, dans son ouvrage sur les Animaux aquatiques. Je pense tenir encore bien son texte, que voici : « Le poisson exocet, que plusieurs appellent aussi adonis, a eu ce premier nom, parce qu'il va souvent reposer hors de l'eau. Il est d'une couleur tirant sur le roux, et il a de chaque côté, depuis les ouïes, une ligne blanche qui se prolonge sans interruption jusqu'à la queue. Il a le corps rond, sans aucune partie plane. Quant à sa grandeur, elle est la même que celle des petits muges qui fréquentent les rivages. (332d) Or, ceux-ci ont tout au plus huit doigts de long. En général, il est très semblable au petit poisson qu'on appelle tragos, si l’on excepte le noir que celui-ci a sous la gorge, et qu'on appelle barbe de bouc. L'exocet est un des saxatiles, et vit dans les lieux pierreux. Lorsque la mer est calme, il se lance avec le flot, gît longtemps sur les lieux pierreux, où il repose à sec, se tournant et retournant au soleil. Après avoir reposé suffisamment, il revient en se roulant, (332e) jusqu'au flot qui le reçoit et le rend à la mer en refluant. Lorsqu'il est sur terre sans dormir, il est attentif à se garder des oiseaux qu'on appelle pareudiastes, tels sont le kehryle, le trochile, et l’helorios qui ressemble à celui qu'on nomme crex. Or, ces oiseaux étant à paître, pendant le calme, le long de la côte qui est à sec, se jettent souvent sur l'exocet. S'il les aperçoit le premier, il se sauve sautant, se trémoussant jusqu'à ce que ses culbutes l'aient rendu dans l'eau. 6. Mais Cléarque parle encore de ces choses plus distinctement (332f) que Philostephanus de Cyrène, dont j'ai fait mention ci-devant. Or, il dit : « Quelques poissons font entendre un son, quoiqu'ils n'aient pas de larynx, tels que ceux du fleuve Ladon qui coule près de Clitore, ville d'Arcadie, car ceux-ci rendent un son, et qui même est assez fort. » Mais voici ce que raconte Nicolas de Damas dans la cent-quatrième de ses Histoires (ou liv. 104): « Du temps de la guerre de Mithridate, la ville d'Apamée en Phrygie essuya un tremblement de terre. Il parut, dans la contrée voisine, des étangs et des fleuves qui n'y étaient pas auparavant. Les secousses firent ouvrir de nouvelles sources; d'autres disparurent. On y vit sourdre une si grande quantité d'eau salée et verdâtre, [8,333] que tout le sol voisin se trouva plein d'huitres (333a) et de poissons, tels que ceux que produit la mer. » Je sais aussi qu'il a souvent plu des poissons. Phanias au liv. II de ses Prytanées d'Erèse, rapporte qu'il plut des poissons pendant trois jours. Selon Phylarque, quelques personnes ont pareillement vu pleuvoir des poissons en plusieurs endroits; souvent du froment, et même des grenouilles. C'est ainsi qu'il plut dans la Péonie et la Dardanie une si grande quantité de grenouilles, qu'elles remplirent les chemins et les maisons, (333b) selon ce que dit Héraclide Lembos, au liv. 21 de ses Histoires. Pendant les premiers jours on les tua, et l'on tint fermées les portes des maisons ; mais cela fut inutile. Elles remplirent tous les vases, et on les trouvait cuites avec les aliments qu'on préparait. D'ailleurs, il n’était plus possible d'employer les eaux, ni de poser le pied à terre, tant elles étaient amoncelées. Enfin, ne tenant plus à l'odeur infecte des grenouilles mortes, les habitants prirent la fuite, et abandonnèrent le pays. 7. Je n'ignore pas non plus le récit que fait Posidonius le Stoïcien, au sujet d'une quantité extraordinaire de poissons : « Tryphon (333c) d'Apamée, qui s’était emparé du royaume de Syrie, fut attaqué par Sarpédon, général de Démétrius, près de Ptolémaïde. Sarpédon vaincu se retirait dans le centre des terres, tandis que Tryphon, avec sa troupe victorieuse, suivait le bord de la mer, lorsque subitement l'onde s'élève et précipite sur terre un flot énorme qui couvre toute la troupe, la fait périr submergée, et laisse en se retirant un monceau considérable de poissons, avec les cadavres. (333d) Sarpédon et ceux de son parti apprenant cet accident y vinrent pour jouir avec plaisir du spectacle de leurs ennemis morts, emportèrent une grande quantité de poissons, et offrirent devant les faubourgs de la ville un sacrifice à Neptune Tropaios. 8. Mais je n'omettrai pas ici les hommes ichthyomantes de Lycie, et dont a parlé Polycharme, au liv. 2 de son Histoire de Lycie; voici ce qu'il dit : « Dès qu'on s'est rendu près de la mer, à l'endroit où est un bocage consacré à Apollon, sur le rivage même, et dans lequel il y a un gouffre au milieu du sable, ceux qui veulent consulter les devins se présentent, tenant deux broches de bois à chacune desquelles (333e) il y a dix pièces de viandes rôties : le prêtre s'assied en silence près du bocage. Alors celui qui consulte jette les deux broches dans le gouffre, et considère ce qui se passe. Or, elles n'y sont pas plutôt jetées, que le gouffre se remplit d'eau de la mer, et qu'il vient une si grande quantité de différents poissons, que la vue seule de ce qui arrive est capable de donner la plus grande frayeur. Il y en a même de si grands qu'il faut être sur ses gardes. Lorsqu'on a dit quels poissons on a vu, le prêtre parle, et celui qui consulte reçoit ainsi de lui la réponse aux choses qu'il désirait connaître. Or, il paraît des orphes, (333f) des glauques; quelquefois des baleines, des souffleurs, plusieurs poissons même qu'on n’avait jamais vus, et d'une forme absolument étrange. » Artemidore, au liv. 9 de sa Géographie, rapporte, d'après les habitants du lieu, qu'il jaillit là une source d'eau douce, d'où il se forme des permis, et qu'il naît de grands poissons dans l'endroit où est le gouffre. Ceux qui font des sacrifices leur jettent les prémices des victimes avec de petites broches de bois dont ils percent les viandes bouillies et rôties, les pains et les mazes : [8,334] (334a) or, le port et ce lieu se nomment Dinos. Je sais aussi que Phylarque, au liv. 3 de ses Histoires, a parlé des grands poissons et des figues que Patrocle, général de Ptolémée, fit passer en même temps au roi Antigonus, comme une déclaration secrète de ses sentiments. Ce fut ainsi que s'étaient comportés les Scythes envers Darius, lorsqu'il alla dans leur pays : ils lui envoyèrent, dit Hérodote, un oiseau, une flèche et une grenouille; mais lorsque Patrocle envoya, comme le dit Phylarque, ces poissons et ces figues au roi Antigonus, ce prince était à boire. Personne ne comprenant ce que signifiaient ces présents, Antigonus dit en riant à ses amis: Je sais ce que veut dire ce qu'on m'envoie à titre d'hospitalité. Patrocle prétend qu'il faut, ou que nous soyons maîtres de la mer, ou réduits à vivre, comme des particuliers, en mangeant des figues. 10. Chap. III. Je n'ignore pas que le physicien Empédocle appelle ces poissons, en général, kamasehnes: voici ce qu'il dit : « Comment de hauts arbres, et les kamasehnes (ou plongeurs) de la mer. » Ni que celui qui a écrit les Cypria (soit que cet homme fût né en Chypre, soit Stasinus (334c) (ou quelque nom qu'il ait eu), feint que Némésis, poursuivie par Jupiter, se métamorphosa en poisson. Voici ses vers : « Il engendra Hélène, qui fut la troisième avec eux, et une merveille pour tous les mortels. Némésis aux beaux cheveux ayant eu accointance avec Jupiter, le roi des dieux, enfanta forcément, car elle avait pris la fuite, se refusant aux embrassements (334d) de Jupiter, arrêtée par le sentiment accablant de la pudeur. Némésis fuyait donc par terre et par mer, tandis que Jupiter, qui la voulait saisir, la poursuivait. Tantôt elle s'élançait impétueusement, métamorphosée en poisson, à travers les flots de la mer mugissante, en parcourait un vaste espace ; tantôt elle se rendait par l'onde de l'Océan aux extrémités de la terre; tantôt elle franchissait le vaste continent, prenant la forme de tous les animaux qu'il nourrit, afin d'éviter Jupiter. 11. (334e) Je sais encore ce qui concerne ce fretin à griller du lac Bolyce, dont Hégésandre parle ainsi, dans ses Mémoires. Il passe près d'Apollonie Chalcidique deux rivières, savoir, l’Ammite et l’Olynthiaque. L'une et l'autre se déchargent dans le lac Bolyce. Sur l’Olynthiaque est le tombeau d'Olynthe, fils d'Hercule et de Bolye. Les habitants disent qu'en novembre et en février Bolye envoie l’apopyris à son fils Olynthe, c'est-à-dire, qu'à ces époques une quantité prodigieuse de poissons quitte le lac, (334f) et remonte l’Olynthiaque. Les eaux de cette rivière sont si basses quelles couvrent à peine la malléole du pied; mais il n'y remonte pas moins une quantité de poisson assez considérable pour que les habitants des environs puissent en saler ce qui leur est nécessaire. Il est assez singulier que ce poisson ne remonte pas au-delà du tombeau d'Olynthe. On dit que les habitants d'Apollonie offrirent d'abord en février les sacrifices funéraires, mais que l'ayant fait ensuite en novembre, les poissons remontèrent, pour cette raison, la rivière dans ces deux mois, époques auxquelles se font ces sacrifices pour les morts. [8,335] 12. Mais en voilà assez sur ce sujet : en effet, vous (335a) avez tout recueilli, et vous nous avez fait servir de nourriture aux poissons, au lieu de nous donner des poissons à manger, en nous racontant plus de choses que n'en ont dit Ichthyas, philosophe de Mégare, et Ichthyon, dont a parlé Téléclide dans ses Amphichtyons. Je vais donc à cause de vous donner à l'esclave qui nous sert, l'ordre qu'on lit dans les Myrmekanthropes de Phérécrate : « Deucalion, ne me sers pas de poisson ; non, ne m'en sers jamais, quand j'en demanderais. » Or, vous devez savoir, comme le rapporte Semus de Délos dans le second livre de sa Déliade, que quand les femmes de cette île sacrifient à Brizoo, elles lui présentent des jattes pleines de toutes sortes de bonnes choses, excepté du poisson, lui demandant, par leurs prières, de s'intéresser à tout ce qui concerne l'Etat, et, en particulier, à la conservation de leurs barques. Cette déesse Brizoo est celle qui fait connaître l'avenir en songe. (335b) Son nom vient de brizein, qui, chez les anciens, signifie dormir, comme dans ce vers : « Nous y attendîmes la brillante aurore, après avoir dormi. » 13. Messieurs, j'ai toujours été admirateur de Chrysippe, ce Coryphée de la secte Stoïcienne, mais je le loue encore plus de ce qu'il a mis Archestrate, si célèbre par son Opsologie, au même rang que Philænis, à qui l'on attribue un ouvrage des plus libres sur les jouissances de l'amour. (335c) Cependant Eschrion, le poète iambique, de Samos, dit que c'est le sophiste Polycrate qui l'a fait pour décrier la réputation de cette femme qui fut très sage. Voici les vers d'Eschrion : « Moi, Philænis, célèbre parmi les hommes, je repose ici, après une longue vieillesse. O! Nautonnier insensé, en doublant ce cap, ne fais pas de moi un sujet de plaisanterie, de risée insultante, car, j'en atteste Jupiter et les deux jeunes frères qui viennent tour à tour ici bas, je n'ai jamais eu de commerce illicite avec les hommes, ni vécu en femme publique. (335d) C'est Polycrate d'Athènes, cet imposteur, cette mauvaise langue qui a écrit tout ce qu'on dit que j'ai écrit; car pour moi je n'en sais rien. » Mais cet admirable Chrysippe dit encore, dans le liv. 5 de son Traité de l’Honnête et de la Volupté : — « Et les livres de Philænis et la Gastronomie d'Archestrate, et ceux qui traitent des qualités alimentaires, aphrodisiaques, et pareillement ces servantes qui sont maîtresses dans l'art des postures et des mouvements, et qui s'exercent à les pratiquer avec succès. » (335e) Il dit ailleurs : « Ces gens apprennent de telles choses, se procurent les livres que Philænis, Archestrate ont faits à ce sujet, et les ouvrages de ceux qui ont écrit de pareilles choses. » Il dit encore au liv. 7 : « Comme la lecture des écrits de Philænis, et de la Gastronomie d'Archestrate, ne peut apprendre à bien vivre. » 14. Or, Messieurs, en nous rappelant si souvent le nom d'Archestrate, vous, avez lâché la bride à tous les désordres dans ce repas. En effet, ce poète épique a-t-il omis une seule des choses qui peuvent corrompre le cœur et l'esprit? (335f) lui qui seul s'est fait honneur de devenir l'émule de Sardanapale, fils d'Anakindaraxès, moins connu lorsqu'on y joint le nom de son père, que quand on le nomme seul, dit Aristote. Voici même son épitaphe telle que le rapporte Chrysippe : [8,336] (336a) « Persuadé que tu es né mortel, livre-toi à la joie, te divertissant à des repas, car après la mort il n'y a plus de bien pour toi. Vois! je suis cendre, moi qui régnai sur la grande Ninive. Je n'emporte que ce que j'ai mangé, que le plaisir de ma vie licencieuse, et celui que m'a procuré l'amour. Mais tout le reste de mon bonheur s'est évanoui. C'est le sage conseil que je te donne pour vivre ; (336b) je ne l'oublierai jamais: possède qui voudra des monceaux d'or. » Homère fait aussi dire aux Phéaciens : « Nos plaisirs continuels sont la table, la musique, la danse, une riche garde-robe, les bains chauds et les femmes. » Un autre écrivain, assez semblable à Sardanapale, donne le conseil suivant à ceux qui veulent prendre leurs ébats : « Je conseille à tout mortel de vivre chaque jour dans les plaisirs; car un mort n'est plus rien qu'une ombre en terre. (336c) Il faut donc profiter d'un instant qu'on a à vivre. » Amphis le comique dit, dans son Ialème : « Celui qui étant né mortel ne cherche pas à se rendre la vie agréable, laissant toute autre chose de côté, est un sot, selon moi, et selon tous ceux qui ont le jugement sain ; et un homme haï des dieux. » Il parle de même dans sa pièce intitulée l’Empire des Femmes : « Bois, joue ; ta vie te mène à la mort, tu n'es que peu de temps sur terre; la mort devient l'immortalité, lorsqu'on est une fois mort. » (326d) Bacchidas, qui a vécu en Sardanapale, fit mettre cette épitaphe sur son tombeau: « Bois, mange, satisfais tes désirs. Je ne suis plus ici qu'une pierre au lieu de Bacchidas. » 15. Je vais citer à ce sujet un passage du Maître de débauches d'Alexis, sur le rapport de Sotion d'Alexandrie. C'est dans son ouvrage sur les Silles de Timon, que Sotion nomme cette pièce; car pour moi je n'ai jamais eu occasion de la voir, quoique j'aie lu plus de huit cents pièces de la moyenne comédie, dont j'ai même fait des extraits; mais cet asotodidascale ne m'est jamais tombé dans les mains. Je ne sache même pas qu'on en ait porté le titre dans les index. (336e) Au moins ne le voit-on pas dans ceux de Callimaque, d'Aristophane, ni de ceux qui ont recueilli à Pergame les titres des comédies. Selon Sotion, l'auteur introduit sur la scène un serviteur, nommé Xanthias, qui exhorte les esclaves, ses camarades, à se livrer aux plaisirs ; en leur disant : « Pourquoi toutes tes inepties, et ce bavardage que tu nous fais sur le Lycée, l'Académie, les portes de l'Odeum, les rêveries des Sophistes? Il n'y a rien qui vaille à tout cela. Buvons, buvons jusqu'à la dernière goutte, (336f) Sicon, mon cher Sicon! Toi, Manès, livre-toi à toute la joie! Est-il rien de plus agréable que le ventre? Seul, il est ton père, il est ta mère : toutes les vertus, tous ces honneurs d'ambassade, ces commandements d'armée, ne sont qu'une jactance bruyante semblable à des songes. Le sort te glacera au terme fixé ; tu n'auras de bien que ce que tu auras bu et mangé : du reste, les Périclès, les Codrus, les Cimons ne sont que poussière. » 16. Mais, dit Chrysippe, il serait mieux de lire ces vers de Sardanapale ainsi changés : [8,337] (337a) « Persuadé que tu es né mortel, perfectionne tes facultés intellectuelles, en prenant plaisir aux sciences. Il ne te reste aucune utilité d'avoir bien mangé. Pour moi, je suis un lâche qui ai beaucoup mangé, pris beaucoup de plaisir; mais il ne me reste rien que ce que j'ai appris, que les réflexions sensées que j'ai faites, et que le bien qui m'en est résulté; quant à tous les autres plaisirs, ils ont disparu. » Timon disait très sensément: « Le premier de tous les maux est la cupidité. » 17. Cléarque dit, dans son ouvrage sur les Proverbes, qu'Archestrate eut pour maître (337b) Terpsion, qui écrivit une gastrologie, et qui indiquait à ses disciples de quels aliments il fallait qu'ils s'abstinssent. Ce Terpsion disait aussi par manière de proverbe, au sujet de la tortue : « Ou en manger, ou n'en pas manger. » Mais d'autres rapportent ainsi le propos : « Il est agréable(46) de manger de la chair de tortue, ou de n'en pas manger. » 18. Chap. IV. Mais, Messieurs, comment vous est-il venu dans l'esprit de citer Dorion comme écrivain culinaire, tandis que je sais qu'on l'a nommé comme joueur d'instrument, et amateur de poisson, non pas comme écrivain. (337c) En effet, Machon le rappelle comme musicien dans ce passage-ci : « Le Kroumatopoios Dorion étant venu un jour à Mylon, et n'y trouvant pas à loger pour de l'argent, alla s'asseoir dans un lieu consacré, qu'on avait bâti par hasard devant les portes de la ville. Voyant ensuite le gardien du temple faire un sacrifice : — Par Minerve, et par tous les dieux, lui dit-il, apprenez-moi, mon cher, à qui ce lieu est consacré. — Cet homme lui répond : Etranger, c'est à Zénoposeidon. Dorion lui répartit : Comment donc trouver ici (337d) à loger, puisque les dieux habitent ici deux à deux? » Lyncée de Samos, disciple de Théophraste, et frère de l'historien Duris, qui se rendit tyran de sa patrie, rapporte ceci dans ses Apophtegmes : « Quelqu'un disant à Dorion, La raie est un excellent poisson; Oui, répondit-il, c'est comme si l'on mangeait un vieux manteau bouilli. » (337e) Un autre vantant les bas-ventres des thons: — « Tu as raison, dit Dorion ; mais pour les trouver bons, il faut les manger comme moi. — Comment, repartit l'autre? — Comment? avec délices. » Dorion disait qu'il y avait trois avantages dans la langouste ; l'amusement, la bonne-chère, et de quoi contempler. Se trouvant en Chypre, à la table de Nicocréon, il aperçut un gobelet dont il fit l'éloge : Eh! lui dit Nicocréon, si tu en veux un autre, le même ouvrier te le fera. A vous, repartit Dorion ; et en attendant, donnez-moi celui-ci. Cette réponse n’était pas sotte pour un joueur de flûte, car on sait ce que dit le vieux proverbe : « Les dieux n'ont pas soufflé d'âme dans le corps d'un joueur de flûte; (337f) ou, pour mieux dire, un joueur de flûte la fait envoler lorsqu'il souille dans son instrument. » 19. Voici ce qu'Hégésandre dit de Dorion, dans ses Commentaires : Dorion voyant que son esclave ne lui avait pas acheté de poisson, le fit flageller, et lui ordonna de dire les noms des meilleurs poissons. [8,338] (338a) L'esclave nomma, par ordre, l’orphe, le glaucisque, le congre, et autres semblables. — Mais, lui dit Dorion, je t'ai ordonné de me nommer des poissons, non pas des dieux. Dorion, se moquant de la tempête qui est dans le Nauplie de Timothée, dit qu'il en avait vu une plus grande dans une marmite qui bouillait. Aristodème rapporte, au liv. 2 de son Recueil de bons mots, que Dorion qui avait le pied-bot, ayant perdu, dans un festin, le sabot du pied dont il boitait, se contenta de dire : « Tout le mal que je veux à celui qui l'a volé, c'est que ce sabot aille à son pied. » (338b) La pièce du comique Mnésimachus, intitulée Philippe, prouve que ce Dorion était renommé comme grand mangeur de poisson. « Ils ne sont pas beaux; d'ailleurs, nous avons ce soir au logis Dorion, qui souffle alors dans les plats. » Je sais en outre ce que Lasus d'Hermione a dit en plaisantant sur les poissons. Chameléon d'Héraclée l'a rapporté dans l'ouvrage qu'il a fait concernant ce Lasus : « Cet homme, dit-il, soutenait un jour que le poisson cru était optos. » Plusieurs personnes demeurant étonnées, il fit ce raisonnement: « Ce qu'on peut entendre est akouston ; ce qu'on peut comprendre est nœeton; (338c) par conséquent, dit-il, ce qu'on peut voir est opton. Il prit un jour, en plaisantant, quelque poisson à des pêcheurs, et le donna à l'un de ceux qui se trouvaient-là. Le pêcheur se fâchant, Lasus jura qu'il ne l’avait pas, et ne savait pas non plus qu'aucun autre l'eût pris. Or, c’était lui qui l’avait pris, et un autre qui l’avait. Celui-ci, instruit par cette réponse de ce qu'il avait à dire, jura aussi qu'il ne l’avait pas pris, et qu'il ne savait pas qu'un autre l'eût. En effet, c’était Lasus qui l’avait pris, et lui qui l’avait. » Épicharme plaisante pareillement, de manière qu'un mot présente un double sens: « A. Jupiter vient de m'appeler, en donnant un repas (g'eranon) à Pélope. B, C'est un fort mauvais plat qu'une grue (geranos). A. Je ne te parle pas de grue (geranon) ; je dis un repas, eranon. » 21. Alexis, dans son Démétrius, se moque sur la scène d'un nommé Phaylle, comme amateur de poisson. « Autrefois on ne manquait de poisson au marché que quand il soufflait un vent violent du nord ou du sud ; (338e) mais actuellement Phaylle est survenu à ces vents comme une troisième tempête. En effet, toutes les fois que cet homme se précipite, comme un tourbillon qui fond des nuées, sur le marché, il achète le poisson, s'en va, emportant tout ce qui avait été pris, de sorte qu'il n'y a plus de disputes que pour les herbages. » Antiphane rapporte, dans sa Pêcheuse, le nom de plusieurs personnes qui faisaient un délice du poisson. Voici ce qu'il dit : « A. Donne d'abord des sèches. Par Hercule elles sont tout souillées : Jette-les donc vite à la mer, et lave-les, de peur qu'on ne dise que tu as péché (338f) des doorias, et non des sèches. Çà, donne des langoustes, outre les mendoles. O Jupiter, quelle est dodue! O Callimédon ! quel est celui de tes amis qui va te manger! Certes, personne ; à moins qu'il ne donne son symbole. Mais vous autres surmulets, je vous place ici à ma droite, comme le plat favori du charmant Callisthène qui a dissipé tout son bien pour un des vôtres : [8,339] (339a) et ce congre de Sinope, qui a déjà les épines fort dures, quel est celui qui se présentera le premier pour le prendre? Smigolas ne tâte guère de ces poissons ; mais à peine voit-il un cithare qu'il l'empoigne, et ne le quitte plus. En effet, avec quel acharnement ne s'attache-t-il pas, sans qu'il y paraisse, à tous les citharèdes. Quant à cet honnête homme de Gobios (Goujon), il faut que je l'envoie tout frétillant à la belle Pythionice ; mais tout gras qu'il est, elle ne voudra pas en tâter, (339b) car elle donne actuellement dans les salines. Mettons à part ce fretin d'aphyes, et une pastenaque pour (la petite) Théano, si cependant il s'en trouve une qui ne pèse pas plus qu'elle. » 22. Antiphane, outre cela, s'est moqué fort adroitement de ce Smigolas, sur le théâtre, comme passionné pour les citharèdes, et les citharistes qui avaient un joli minois. Voici ce que l'orateur Eschine en dit dans son discours contre Timarchus : « Athéniens, Misgolas, fils de Naucrate, de la tribu kolyte, est du reste un homme d'honneur, à qui personne n'a jamais eu rien à reprocher ; (339c) quoiqu'à l'égard de ce dont il s'agit il soit extrêmement passionné, et qu'il ait toujours auprès de lui des citharèdes ou des citharistes. Ce que je dis n'est pas pour le blâmer, mais afin que vous connaissiez quel est le personnage. » Timoclès en parle aussi dans sa pièce intitulée Sapho : « Ce Smigolas ne paraît pas te faire sa cour, lui qui n'a d'appétit que pour les jolis minois de son sexe, à la fleur de l'âge. » Alexis dit, dans son Agoon, ou Chevalet : « O! ma mère! non, ne me commettez pas avec Smigolas, car je ne suis pas Citharède. » 23. (339d) Chap. V. Il dit aussi que Pythionice aimait les salines, parce qu'elle avait pour galants les fils de Chéréphile, marchand de salines. Ce que confirme Niocles dans ses Acaries : « Lorsque le gras Anytus vient manger chez Pythionice, car on dit qu'elle l'invite, lorsqu'elle traite les deux grands maquereaux de Chéréphile dans une partie de plaisir. » Il écrit encore ailleurs: « Pythionice te recevra très volontiers, et mangera peut-être tout le bien que nous t'avons donné, car elle est insatiable; (339e) quoi qu'il en soit, dis-lui de te procurer des sargins salés, car elle est dans l'abondance depuis qu'elle se trouve liée avec deux saperdes hideux, à larges narines. » Avant eux, elle avait pour galant un nommé (Gobios) Goujon : 24. quant à Callimédon la Langouste, (339f) Timoclès nous dit, dans son Curieux, que cet homme était amateur de poisson, et louche : « Ensuite s'approcha subitement Callimédon la Langouste, qui paraissait me regarder en parlant à un autre ; mais ne comprenant rien, comme de raison, à ce qu'il disait, je lui faisais des signes de tête, quoique fort inutilement. [8,340] Assurément ses prunelles (ses yeux) (340a) regardent ailleurs que vers l'endroit où elles paraissent tournées. » Alexis écrit, dans son Kratéuas, ou Apothicaire: « A. Voilà déjà quatre jours que je traite les korai de Callimédon. B. Quoi! a-t-il donc de jeunes filles (korai)? B. Je parle des korai de ses yeux, que Mélampus même ne pourrait mettre à leur place naturelle, lui qui seul a pu guérir la manie des filles de Prœtus. » Il s'en moque pareillement, sur le théâtre, dans ses Concurrents ; mais il le raille dans son Phédon, ou sa Phèdrie, sur sa passion avide pour le poisson. « A. Plaise au ciel que tu sois Édile, afin d'arrêter ce Callimédon qui fond toute la journée comme la tempête sur le poisson! Que je t'en saurai de gré! B. Tu parles là d'une entreprise qui n'est pas d'un Édile, mais bien d'un Souverain, car cet homme n'est pas poltron ; d'ailleurs il rend service à l'Etat. » Ces vers iambiques se retrouvent dans la pièce intitulée (340c) au Puits, mais on lit, dans sa Mandragorizomene « Si j'aime d'autres étrangers plus que vous, que je devienne Anguille, et que Callimédon la Langouste m'achète! » Le même dit, dans son Kratéuas : « Et Callimédon la Langouste avec Orphe. » Antiphane dit, dans son Gorgythe : « Je renoncerai moins au parti que j'ai pris, que Callimédon n'abandonnera une hure de glauque. » (340d) Eubule dans ses Sauvés : « D'autres jeunes grivois se trouvent réunis en compagnie, avec la Langouste, qui seul, oui seul de tous les mortels, peut avaler les tronçons de salines, sortants de la casserole, toute bouillante, et les empiler de manière qu'il n'en reste rien. » Mais Théophile le raille, tant lui-même que ses froids discours, dans sa pièce intitulée le Médecin: « L'esclave servit avec empressement une anguille au jeune homme; pour le père, (340e) ce fut un bon calmar. Papa, dit-il, comment vous sentez-vous disposé pour la langouste? Oh! cela est si froid, répond-il : non, je ne touche pas aux orateurs. » Voici un passage du transfuge de Philémon : « A. Argyrius ayant aperçu la langouste qu'on lui servait, dit aussitôt : Bon jour, cher papa! B. Que fit-il ensuite? A. Il mangea son papa. » Hérodicus, disciple de Cratès, montre dans ses Mélanges critiques, que Callimédon avait un fils nommé Argyrius. 25. Mais voici plusieurs personnages amateurs de poisson. (340f) Selon Hégésandre, le poète Antagoras ne voulait pas que son esclave oignît son poisson d'huile, mais qu'il l'y fît baigner. Comme il faisait cuire à l'armée un plat de congre, ayant son habit retroussé, le roi Antigonus survint, et lui dit : Antagoras, penses-tu donc qu'Homère a écrit les exploits d'Agamemnon en faisant bouillir des congres? Antagoras lui répondit ingénieusement, pensez-vous, prince, qu'Agamemnon a fait ces exploits en cherchant qui faisait cuire des congres dans son camp? Le même poète, ayant une poule qui cuisait, dit qu'il ne voulait pas aller ce jour-là au bain, parce qu'il craignait que ses esclaves n'en avalassent la sauce. Votre mère la gardera, lui dit Phylocide. [8,341] (341a) Qui? moi! répond-il, je confierais la sauce de ma poule à ma mère! Androcyde de Cyzique, peintre, aimait beaucoup le poisson, et fut si voluptueux qu'il peignit, avec le plus grand soin, les poissons des eaux de Scylla. 26. Mais voici ce que Machon le comique écrit au sujet de Philoxène de Cythère, le poète dithyrambique. « On dit que Philoxène, poète dithyrambique, aima (341b) passionnément les poissons. Ayant un jour acheté, à Syracuse, un polype de deux coudées, il l'arrangea, et mangea tout, excepté la tête, et se trouva très mal d'indigestion : un médecin étant venu le visiter, le trouva dans l'état le plus critique, et lui dit : Philoxène, si tu as chez toi quelques affaires qui ne soient pas en règle, mets-y ordre, et le plus promptement, car tu ne passeras pas une heure après-midi. (341c) J'ai tout achevé, répondit-il, et mis ordre à tout il y a longtemps. Grâce au ciel! je laisse mes dithyrambes bien mûrs, et au plus haut point de perfection : j'en fais même un hommage aux Muses avec qui j'ai été élevé. Bacchus et Vénus en seront les tuteurs, comme mon testament le déclarera : ainsi, le Charon de la Niobé de Timothée ne permettant pas de tarder, et me criant que la barque lève l'ancre, (341d) vu d'ailleurs que la parque ténébreuse, qu'il faut nécessairement écouter, m'appelle, afin que j'emporte chez les ombres tout ce qui m'appartient ; donnez-moi, je vous prie, tout ce qui reste de mon polype. » Il dit dans un autre passage : « Philoxène de Cythère souhaita, dit-on, avoir un gosier de trois coudées de long; c'est, disait-il, afin que je mette le plus de temps possible à la déglutition, et que tous les aliments me fassent plaisir en même temps. » (341e) Diogène le cynique, ayant dévoré un polype cru, mourut d'un violent cours-de-ventre. Sopatre, le poète parodique, parle ainsi de Philoxène. « Assis entre deux charges de poissons, il portait ses regards sur le milieu du mont Ætna. » 27. L'orateur Hypéride aimait aussi le poisson, comme le dit Timoclès le comique dans sa Délos, en rapportant les noms de ceux qu'Harpalus avait gagnés par des présents. Voici ce qu'il écrit : « A. Démosthène a reçu cinquante talents ; « B. Il est heureux, s'il n'en donne rien à personne. « A. Métroclès a aussi reçu beaucoup d'or : « B. Fou qui l'a donné! sage qui l'a reçu! « A. Démon et Callisthène ont aussi eu quelque chose : « B. Ils étaient pauvres! ainsi je le leur pardonne. « A. Le grand orateur Hypéride a eu sa part : [8,342] (342a) « B. Oh! lui, il enrichira nos poissonniers, car c'est un grand amateur de poissons ; ainsi les Mouettes n'ont plus qu'à se faire Syriennes. » Le même poète dit, dans ses Icariens: « Tâche de gagner Hypéride (ce fleuve qui roule de nombreux poissons), en t'y prenant d'un ton mielleux, mais avec réflexion. C'est un homme dont la bouche fait entendre de grands mots entassés comme un flot qui bouillonne sur l'autre, mais il est séduisant. Les conditions qu'il a eu soin de faire d'avance, lui ont procuré une récompense : aussi, devenu mercenaire d'Harpalus, est-il forcé d'en arroser le jardin. » Philétaire assure, dans son Esculape, qu'Hypéride, comme l'orateur (342b) Callias, aimait autant les jeux de hasard que le poisson. Chap. VI. Voici un passage du Phileuripide d'Axionicus, dans lequel ce poète fait le même reproche à Callias. « Il est venu, apportant avec soi, du Pont, un autre poisson qui se fiait sur sa grandeur dans ces lieux-là : c’était un galeus glaucus, manger fait pour les amateurs de poissons, et les délices des gens les plus friands. Je l'apporte, dit-il, sur mes épaules; mais ordonnez à quel sauce je le mettrai. Le plongerai-je dans un coulis aux herbes, ou l'enduirai-je d'une saumure grasse et piquante, pour le faire cuire ensuite. On dit que (342c) Moschion, le joueur de flûte, le mange tout simplement dans une saumure. Mais toi, Calaide! on peut te reprocher particulièrement de faire ton délice des figues et des salines, tandis que tu ne veux pas tâter d'un excellent plat de poisson cuit dans la saumure. » Il lui reproche des figues, comme pour le traiter de sycophante, ou calomniateur : quant aux salines dont il lui fait un crime, c'est peut-être quelque vice infâme qu'il veut faire entendre. Hermippus dit, dans le liv. 3 de son ouvrage sur les Disciples d'Isocrate, qu'Hypéride ne manque pas de faire un tour de bon matin dans le marché au poisson. 28. Timée de Taormine parle aussi d'Aristote, le philosophe, comme d'un amateur de poisson. Matron le Sophiste l'aimait de même avec passion. C'est ce que montre (342d) Antiphane dans son Citharède, qui commence ainsi : « Il ne ment pas; quelqu'un lui a arraché un œil, en approchant, comme Matron arrache ceux des poissons. » Anaxilas dit, dans son Monotrope : « Matron s'est saisi de la hure du muge, et l'a dévorée, tandis que je meurs de faim. » C'est sans doute l'excès de la gloutonnerie que d'enlever les mets à table, et surtout une hure de muge, (342e) à moins que ceux qui ont le goût raffiné à cet égard, ne trouvent quelque chose d'utile dans la hure du muge. La friandise d'Archestrate le prouverait peut-être. 29. Voici les noms de plusieurs personnages qui ont aimé le poisson, tels que les rapporte Antiphane dans ses Riches : « Euthynus, parfumé, en sandales, et muni de son cachet, revoit à je ne sais quelles affaires. (342f) Phénicide et Tauréas mon intime ami, tous deux fort âgés, et si avides de poisson qu'ils avaleraient toutes les salines du marché, considérant ce qui arrivait, en mouraient de chagrin, ne pouvant voir sans douleur une disette absolue de poisson, ils réunissaient donc le peuple autour d'eux : or, voici ce qu'ils dirent. [8,343] Non, il n'y a plus moyen de vivre! cela est insoutenable! Quoi! quelques-uns d'entre vous accapareront la mer, emploieront pour cela des sommes immenses, (343a) et il ne nous viendra pas seulement l'apparence d'un poisson? De quoi nous sert-il donc d'avoir l'empire des îles? Oui, on doit arrêter ce désordre par une loi, et faire abonder le poisson au marché. Mais, au contraire, Matron s'empare de tous nos pêcheurs, et Diogiton, juste ciel! leur persuade de porter toute leur capture chez lui. Assurément ce n'est pas agir en républicain, que d'avaler tant de provisions. On dirait que ce sont des noces continuelles, et c'est à qui dépensera le plus à ces repas. » (343b) Euphanès dit, dans ses Muses : « Phénicide voyant au milieu d'une troupe de jeunes gens une casserole bouillante, remplie d’enfants de Nérée, retint cependant ses mains; quoique tout en colère, il fut près de les lâcher dessus. Quel homme! s'écria-t-il, toujours prêt à vivre sur le commun. Quel homme fait à enlever d'une marmite les morceaux tout bouillants? Où sont, dis-je, Corydus, Phyromachus, le redoutable Cœlus! Oui, que l'un ou l'autre vienne ici ; peut-être n'aurait-il rien. » 30. (343c) Mélanthe le poète tragique, qui a aussi fait des élégies, était du même goût. Leucon dans ses Confrères, Aristophane dans sa Paix, Phérécrate dans sa Pétale, l'ont traduit sur la scène comme grand mangeur de poisson. Archippus, dans ses Poissons, lie Mélanthe, comme ichthyophage, et le jette aux poissons pour en être dévoré. Mais Aristippe, disciple de Socrate, en faisait aussi un délice. Hégésandre (343d) et Sotion rapportent que Platon lui en fit même un reproche ; mais voici ce que cet écrivain de Delphes dit à ce sujet : « Platon, blâmant Aristippe de ce qu'il avait acheté beaucoup de poisson, celui-ci lui répondit : Je n'en ai acheté que pour deux oboles. Platon lui répliquant : Et pourquoi en as-tu acheté pour ce prix-là? Vois-tu, Platon, repartit Aristippe, que ce n'est pas moi qui suis blâmable d'aimer le poisson, mais bien toi qui l’es d'aimer l'argent. Antiphane se moque, dans sa Joueuse de Flûte, ou ses Jumelles, d'un Phénicide, comme passionné pour le poisson : « Ménélas fit la guerre, pendant dix ans, aux Troyens, à cause d'une belle femme ; et Phénicide, à Tauréas, pour une anguille. » 31. (343f) Démosthène, l'orateur, censura publiquement Philocrate comme débauché, et grand mangeur de poisson, lui reprochant même d'avoir acheté des filles de joie, et des poissons avec l'argent qu'il avait reçu pour prix de sa trahison. Dioclès ne l'aimait pas moins, selon le rapport d'Hégésandre. Quelqu'un lui demandant lequel valait mieux du congre ou du labrax (loups de mer). L'un bouilli, l'autre rôti, répondit-il. Leonteus d'Argos, acteur tragique, et disciple d'Athénion, était aussi du même goût. Amaranthus rapporte, dans son Traité du Théâtre, que ce Leonteus était attaché à la personne de Juba, roi de Mauritanie, et que ce prince fit sur lui cette épigramme badine, parce qu'il avait mal représenté Hypsipyle. « En considérant la voix de Leonteus le tragique et mangeur d'artichauts, ne prends pas garde s'il a mal rendu le rôle d'Hypsipyle. J'ai fait jadis les agréments de Bacchus, qui n'admire le gosier de personne (comme Midas) avec des oreilles d'or. [8,344] Mais maintenant les ragoûts et les fritures (344a) ont privé Leonteus de la voix, par la complaisance qu'il a eue pour son ventre. » 32. Chap. VII. Hégésandre raconte ceci d'un nommé Phorysque, grand mangeur de poisson : « Ne pouvant prendre d'un poisson la part qu'il voulait, mais une plus grande quantité suivie du morceau qu'il tenait, il dit : « Tout (arbre) qui résiste au torrent est déraciné. » Et il mangea tout le poisson. Quelqu'un ayant enlevé avant les autres tout un côté du dos d'un poisson, Bion le retourna de l'autre, et s'en régala bien, en ajoutant : « C'est afin qu'il soit achevé des deux côtés. » Dioclès, mangeur de poisson, venant d'enterrer sa femme, donna le repas funèbre d'usage, et y empila le poisson en pleurant; (344b) Théocrite de Chio qui s'y trouvait, lui dit : Lâche que tu es! Ne cesseras-tu pas de pleurer? le poisson que tu dévores ne te servira de rien. Le même ayant employé tout le prix d'un fonds de terre à manger du poisson, et en avalant un jour de très chaud, s'écria : Je me brûle le ciel. Il ne te manque plus, lui dit Théocrite, qu'à boire toute la mer ; alors tu auras anéanti les trois plus grandes choses, la terre, la mer et le ciel. (344c) Cléarque, dans ses Vies, parle ainsi d'un amateur de poisson : « Charmus, joueur de flûte, avait aimé le poisson : à sa mort, Technon, l'ancien joueur de flûte, lui fit un sacrifice funèbre sur son tombeau avec des poissons à griller. » Le poète Alexis aimait aussi le poisson : quelques babillards l'ayant plaisanté sur cette passion, et lui demandant ce qu'il mangerait plus volontiers : Des bavards rôtis, dit-il. 33. Hermippe parle ainsi de Nothippe le poète tragique, dans ses Parques : (344d) « Si les hommes de nos jours étaient belliqueux, et que l'armée fût conduite par une raie rôtie, ou un carré de porc, il faudrait laisser tous les autres citoyens pour garder les maisons, et envoyer Nothippe s'il s'offrait à marcher; car lui seul il avalerait tout le Péloponnèse. » Or, Téléclide montre clairement, dans ses Hésiodes, qu'il s'agit-là du poète tragique. Platon le comique raille, dans son Syrphax, l'acteur tragique Myniscus, comme amateur de poisson: (344e) « A. Or, je te remets un orphe d'Anagyre ; c'est pour en régaler mon ami Myniscus de Chalcis. B. Fort bien. » Lampon, le devin, a été persiflé pour ce sujet dans les Captifs de Callias, dans les Bacchantes de Lysippe ; et Cratinus en parle ainsi dans ses Fugitifs : « Lampon, que les arrêts de tous les hommes ne pourraient empêcher de se trouver aux repas d'un ami. » Puis il ajoute : « Or, personne n'est dans le cas de roter, (344f) car il dévore tout; il se battrait même contre un surmulet. » 34. Hédyle, parlant de quelques amateurs de poissons dans ses Epigrammes, fait mention de certain Phédon dans ces vers : « Phédon le musicien vante les tanches et les intestins, car il aime le poisson.» Il parle d'Agis dans ceux-ci: « Le callichthys a bouilli suffisamment ; maintenant ferme le pêne, [8,345] (345a) de peur qu'Agis, ce Protée des casseroles et des marmites, ne vienne, car il se change en eau, en feu, et en tout ce qu'il veut. Mais ferme toujours, car il viendra peut-être sous la forme de pluie d'or, comme Jupiter est venu dans la casserole d'Acrise. » Voici comment il raille une femme nommée Clio, pour le même sujet. « Clio, mange du poisson en le déchirant par pièces; si tu veux même, (345b) mange-le seule : tout ce congre ne vaut qu'une dragme. Dépose seulement, ou ta ceinture, ou tes boucles d'oreilles, ou autre chose semblable, pour gage; car, voir quoi que ce soit, cela ne nous suffit pas ; tu es pour nous une Méduse. Eh! nous ne sommes déjà malheureusement que trop pétrifiés, non par la gorgone, mais par ce plat de congre. » 35. Aristodème rapporte, dans son Recueil de bons mots, qu'Euphranore, grand amateur de poisson, apprenant (345c) qu'un autre amateur était mort en avalant un morceau de salines tout chaud, s'écria : « C'est un sacrilège de la part de la mort! » Cnidon et Démyle, l'un et l'autre grands mangeurs de poisson, se trouvant à table ensemble, on leur servit un glauque seul. Cnidon saisit ce poisson aux yeux ; Démyle saisit Cnidon aux siens, en lui criant : Lâche-le, et je te lâcherai. On servit dans un festin un beau plat de poisson : Démyle, qui s'y trouvait, voulant le manger seul, cracha dedans. (345d) Mais voici ce que rapporte Antigone de Caryste, dans la vie de Zénon, fondateur de la secte Stoïcienne. Ce philosophe étant à la même table qu'un grand amateur de poisson avec qui il avait longtemps été lié, on servit un très beau poisson, et il n'y avait pas d'autre mets. Zénon le tira tout entier du plat, comme s'il eût voulu le manger seul. Cet homme le regardant fixement, Zénon lui dit : Que crois-tu que doivent penser de toi ceux qui te fréquentent, si tu ne peux souffrir un seul jour mon envie de manger du poisson? Le poète Chérile, dit Istrus, avait tous les jours à dépenser quatre mines que lui donnait Archélaüs; et il les employait à manger du poisson. Je n'ignore pas qu'il y eut des esclaves qui ne vivaient que de poisson. (345e) Cléarque en parle dans son ouvrage sur les Déserts sablonneux. Psammitique, dit-il, roi d'Egypte, accoutumait des esclaves (ou des enfants) à ne vivre que de poisson, voulant les envoyer à la découverte des sources du Nil. Il en accoutumait d'autres à se passer longtemps de boire, pour les envoyer examiner les déserts sablonneux de la Lybie; mais il n'en revint qu'un petit nombre. Je sais aussi qu'il y a près de Mosyne, ville de Thrace, des bœufs qui mangent des poissons, qu'on leur jette dans leurs auges. Phénicide, ayant servi des poissons à ceux qui avaient donné leur symbole, dit : La mer est à la vérité commune, mais les poissons sont pour ceux qui les paient. 36. (345f) Quant au mot opsophage, mangeur de poisson, il s'est dit, comme d'autres mots, formés de même; tel est g-opsophagein, manger du poisson, etc. Aristophane dit, dans ses Nuées, retouchées; g-opsophagein, g-oude g-kichlazein : « Manger du poisson, et non des grives.» Céphisodore, dans le Cochon, dit de quelqu'un : « Il n'est ni opsophage, ni bavard. Machon écrit, dans sa pièce intitulée la Lettre : [8,346] « Je suis opsophage, et c'est la base de mon métier. (346a) Il faut en effet que celui qui ne veut pas gâter ce qu'il sert, aime un peu ce qu'il y a de friand, car s'il joint à cela de l'intelligence, il fera tout bien. Lorsqu'une fois on a ce goût délicat, on ne peut plus se tromper: par exemple, faites bouillir doucement votre bonne chère. Il n'y a pas de sel? mettez-en. Il manque quelque chose? goûtez encore, de manière que tout soit dans un aussi juste rapport que les cordes d'une lyre que vous tendriez au point d'en rendre les sons agréables. Quant tout sera ainsi bien proportionné, (346b) faites entrer, dans cet accord parfait, des Myconiennes, et elles pourront effacer les charmes des Laïs. » Chap. VIII. Outre tous ces opsophages, je sais qu'Apollon était adoré en Elide sous le nom d’Opsophage; c'est Polémon qui le rappelle dans sa lettre à Attalus. Je n'ignore pas non plus qu'il y a dans le territoire de Pise un tableau, ouvrage de Cléanthe de Corinthe, lequel représente Neptune offrant un thon à Jupiter accouchant. Ce tableau est suspendu (346c) dans un temple de Diane Alpheioose, comme le rapporte Démétrius dans le liv. 8 de l’Armement de Troie. 37. Après vous avoir régalé de tous ces plats de poisson, je ne suis pas venu, dit Démocrite, pour en manger moi-même, à cause de l'excellent Ulpien qui, guidé par les anciens usages de sa Syrie, voulait nous priver de poissons, nous proposant toute autre chose par son envie continuelle de disputer. Antipatre de Tarse, philosophe stoïcien, rapporte, au liv. 4 de son Traité sur la Superstition, que selon quelques-uns, (346d) Gatis, reine de Syrie, était si passionnée pour le poisson, qu'elle fit défendre par un héraut de manger du poisson (ater gatidos) sans Gatis, et que plusieurs par ignorance l'ont appelée Atergatis, s’abstenant d'ailleurs de manger du poisson ; mais Mnaséas dit, dans son second livre de l’Asie : « Pour moi, Atergatis me paraît avoir été une méchante reine qui gouverna ses peuples avec dureté, jusqu'à leur interdire l'usage du poisson, voulant qu'on lui apportât ce qu'on en prendrait, parce que ce mets lui plaisait. Voilà pourquoi il est encore une loi qui ordonne d'offrir (346e) des poissons d'or et d'argent lorsqu'on va prier la déesse. Quant aux prêtres, ils lui présentent tous les jours de vrais poissons sur une table, après les avoir assaisonnés, tant bouillis que rôtis, et ils les mangent ensuite. Le même dit un peu plus loin, sur le rapport de Xanthus de Lydie, que cette Atergatis, ayant été prise par Mopsus le Lydien, fut jetée et noyée dans le lac d'Ascalon, avec Ichthys (poisson) son fils, à cause de ses mauvais traitements, et dévorée par les poissons. 38. (346f) Mais, Messieurs, vous avez peut-être omis exprès, comme poisson sacré, celui dont parle Ephippus le comique, et qu'on préparait pour Géryon, selon ce qu'il dit, dans sa pièce de même nom. « A. Lorsque les habitants de la contrée ont pris un poisson pour lui, non un poisson tel qu'on en voit tous les jours, mais plus grand que Crète (baigné de tous côtés par la mer), il y a une marmite qui peut contenir cent [8,347] (347a) des habitations voisines, et couvrir la Lydie, la Mygdonie, la Lycie, l'Attique et Paphos. Lorsque le Roi veut faire bouillir ce poisson monstrueux, les habitants de ces lieux leur abattent du bois, et l'amènent chacun proportionnément aux limites de sa ville. Ils font aussi venir toute l'eau d'un lac dans la saumure, et charrient du sel pendant huit mois, sans cesser. (347b) Sur le contour des bords de cette marmite voguent cinq galères à cinq bancs de rameurs, pour avertir les Prytanées des Lyciens de ne pas laisser brûler le poisson. B. Laisse-moi là ce froid récit que tu me fais avec tant d'emphase! et comme chef des Macédoniens, garde-toi de t'attirer sur les bras les Celtes de Brennus. » Je sais qu'Ephippus a placé ces mêmes vers dans son Peltaste; il y a joint, (347c) en outre, ce qui suit: « Tout en lâchant ces inepties, il trouve à souper, vit avec une estime mêlée d'admiration parmi des jeunes gens, sans songer au nombre des payants, respecté, traînant d'un air imposant une longue robe. » C'est à présent à toi, Ulpien, de nous apprendre celui que peuvent concerner ces vers d'Ephippus : « Si, dans ce que nous avons dit, il y a quelque chose de mal énoncé et d'obscur, redouble d'attention, et mets-toi bien les choses dans la tête, car j'ai à cet égard plus de loisir que je ne voudrais. » comme le dit le Prométhée d'Eschyle. 39. (347d) A ces mots, Cynulque s'écria : Comment cet homme pourrait-il réfléchir, je ne dirai pas sur de grands poissons, mais sur des questions quelconques, lui qui ne choisit que les arêtes des epsètes et des atherines, et autres semblables chétifs poissons, laissant de côté les gros tronçons de salines. Eubule, parlant des grands repas dans son Ixion, dit: « Comme on y mange toujours de l'aneth, du persil, du cresson, apprêtés, quoiqu'il y ait des gâteaux de farine non moulue.» « De même Ulpien, ce Charon des marmites (pour parler avec Cercidas de Mégalopolis mon compatriote), (347e) ne mange rien de ce qui convient à des hommes, se contentant d'observer si l'on a laissé quelque arête, quelque croûte à gruger, ou un morceau de cartilage des mets qu'on a servis. D'ailleurs, il s'inquiète peu que le célèbre Eschyle ait dit que ses tragédies étaient des morceaux des festins d'Homère. Or, Eschyle était un des plus grands philosophes, car ayant été injustement privé du prix dans la concurrence, comme Théophraste, ou Chaméléon le rapporte dans son Traité de la Volupté, il dit qu'il consacrait ses tragédies à Saturne, persuadé (347f) qu'il en obtiendrait l'honneur qui lui était dû. » 40. « On peut encore rappeler ici à Ulpien, au sujet des grands poissons, ce que dit Stratonicus le cithariste contre Propis de Rhodes le citharède. » Voici donc ce que Cléarque rapporte à ce sujet dans son Recueil de Proverbes : «Stratonicus, voyant Propis d'une grande taille, mais peu habile dans son art, et ne répondant point par son talent à la grandeur de son corps, dit un jour à quelques personnes qui lui demandaient : « Quel est cet homme-là? [8,348] Nul mauvais grand poisson : (348a) voulant dire d'abord que Propis n’était qu'un homme de néant, ensuite qu'il n'avait aucun talent; et que s'il était grand, ce n’était qu'un grand poisson muet. » Mais Théophraste, parlant du rire, attribue, il est vrai, cette plaisanterie à Stratonicus ; cependant il dit que celui-ci la fit contre le comédien Simylas, changeant ainsi les mots : « grand nul pourri poisson. » Voici l'histoire qu'Aristote raconte dans sa République de Naxe, sur le proverbe qui concerne les grands poissons : (348b) » Un grand nombre de Naxiens aisés demeuraient dans la ville même ; les autres s'étaient dispersés en différentes bourgades. Un habitant, nommé Télestagoras, demeurait à Lestades, qui était une de ces bourgades. Cet homme était riche, et considéré. Outre les honneurs que le peuple lui rendait tous les jours, il lui faisait encore, des présents. (348c) Lorsque ceux qui étaient descendus de la ville pour acheter quelque chose ne voulaient pas y mettre le prix, les marchands leur disaient : Nous aimons mieux le donner à Télestagoras que de vous le laisser pour ce prix-là. Quelques jeunes gens achetant donc un grand poisson, le poissonnier leur en dit autant. Fâchés de s'entendre toujours répéter ce même propos, ils se rendirent chez Télestagoras, étant déjà un peu pris de vin. Celui-ci les reçut avec amitié; mais les jeunes gens l'injurièrent, et violèrent ses deux filles déjà en âge d'être mariées. Les Naxiens, irrités de ces outrages, prirent les armes, et marchèrent contre ces jeunes gens. Aussitôt il s'éleva une grande sédition : Lygdamis, qui était à la tête des Naxiens, profita du commandement dont il était chargé, pour devenir le tyran de sa patrie. » 41. (348d) Chap. IX. Mais puisque j'ai fait mention du cithariste Stratonicus, il ne sera pas hors de propos de dire quelque chose ici concernant ses bons mots. Il avait dans son école les neuf figures des Muses et celle d'Apollon ; comme il y montrait à jouer à deux Citharistes ses disciples, quelqu'un lui demanda combien il avait de disciples : Douze, dit-il, avec les dieux. Étant en voyage à Mylasse, où il voyait beaucoup de temples, et très peu d'habitants, il s'arrêta au milieu de la place, et dit : Écoutez, g-naoi (temples). (348e) Machon rapporte de lui les plaisanteries suivantes : « Stratonicus fît un voyage à Pella. Il avait ouï dire, auparavant, à plusieurs personnes, que les bains de cette ville causaient un gonflement de rate. Y apercevant plusieurs jeunes gens qui s'exerçaient nus devant le feu du bain, ayant une belle couleur, et les membres bien formés aux exercices : on s'est trompé, se dit-il à lui-même. Mais étant sorti une seconde fois, il en aperçut un qui avait la rate double du ventre: (348f) En voici un, dit-il, qui me semble rester assis là pour prendre et garder les habits et les rates de ceux qui entrent, sans doute afin qu'il n'y ait pas de presse en dedans. » « Un mauvais chanteur traitait un jour Stratonicus, et voulut lui donner à table des preuves de son talent. Le repas était vraiment splendide, et l'on n'y avait rien épargné. Mais Stratonicus fatigué de la musique, et n'ayant personne à qui il pût dire un mot, brisa son gobelet [8,349] (349a) et en demanda un beaucoup plus grand. Le remplissant alors de plusieurs verres de vin, il en fit hommage au soleil, l'avala tout d'un trait, et s'endormit sans s'inquiéter du reste. Quelques autres personnes, vraisemblablement des amis du musicien, entrant pour avoir part à son repas, Stratonicus ne tarda pas à sortir de son ivresse. Ces gens lui dirent: Comment est-il possible que toi, qui bois toujours tant de vin, tu te sois enivré? Il répondit en deux mots : C'est cet insidieux, ce maudit musicien, qui, en me traitant, m'a tué comme on assomme un bœuf à sa crèche. » (349b) « Stratonicus étant allé à Abdère pour y voir les jeux gymniques qu'on y célébrait, s'aperçut que chaque citoyen avait en particulier un buccinateur, qui annonçait la Néoménie quand on le lui commandait, et que le nombre de ces hérauts surpassait presque celui des citoyens dans cet endroit-là. Pour lors il se mit à marcher sur le bout des pieds, et doucement, ayant toujours les yeux fixés sur terre. Un des étrangers lui demanda (349c) quel mal lui était survenu aux pieds si subitement. J'ai tous les membres en bon état, dit-il, et je cours plus vite au repas que tous les flatteurs parasites, mais je suis en perplexité, craignant partout de me percer le pied avec un kecryx. » « Un mauvais joueur de flûte s'apprêtant à jouer de son instrument lors d'un sacrifice : Silence, dit Stratonicus ; nous allons prier les dieux après ce sacrifice. » « Il y avait un citharède nommé Cléon le Bœuf, chantant horriblement faux, et sachant à peine toucher sa lyre : Stratonicus l'entendant, dit : Le proverbe était ci-devant, "Asinus ad lyram", désormais il faudra dire, "Bos ad lyram". » (349d) « Stratonicus le citharède s'étant rendu par mer dans le Pont, chez le roi Bérisadès, y resta longtemps; mais il voulut enfin revenir en Grèce. Le roi ne jugeant pas à propos de consentir à sa demande, on dit qu'il fit cette réponse à Bérisadès : Je suis charmé que vous pensiez à rester ici. » (349e) « Stratonicus le citharède fit un voyage à Corinthe. Une vieille y jeta les yeux sur lui, et ne le perdait pas de vue. Par tous les dieux! lui dit-il alors, la mère, dites-moi donc ce que vous me voulez, et pourquoi me fixez-vous sans cesse? Je ne sais, répondit-elle, si ta mère t'a porté dix mois sans que le ventre lui pette, car il n'y a qu'un jour que tu es dans cette ville, et elle en est déjà toute souffrante. » « Biothée, femme de Nicocréon, entrant avec une suivante pour se mettre à table, lâcha un vent; ensuite marchant sur une amande de Sicyone, (349f) elle l'écrasa avec bruit. Ce n'est pas le même bruit, lui dit Stratonicus. Mais vers la nuit, il cessa ces propos hardis, car on le jeta dans la mer. » « Un méchant citharède voulant montrer l'habileté d'un de ses élèves, à Éphèse, en présence de quelques-uns de ses amis, Stratonicus qui s'y trouvait, dit : C'est lui que ce Scythe veut montrer, non les autres. » 42. Cléarque dit, dans son liv. 2 sur l’Amitié, que Stratonicus le Cithariste, allant coucher, demandait toujours à boire à son esclave : Non, disait-il, que j'aie soif, mais afin que je ne l'aie pas. [8,350] (350a) Stratonicus, entendant chanter très bien à Byzance le prologue d'une pièce, mais mal exécuter le reste, se leva, et dit à haute voix : Il y a mille dragmes pour celui qui m'indiquera ce qu'est devenu le Citharède qui a chanté le prologue. Chap. X. On demandait à Stratonicus quels étaient les plus vicieux de tous les habitants de la Pamphylie; il répondit : Les Phasélites sont les plus vicieux; mais les Sidètes sont les plus pervers de tout le monde. On lui demandait encore, dit Hégésandre, lesquels étaient les plus barbares, ou les Béotiens, ou les Thessaliens. Ce sont les Éléens, répondit-il. (350b) Ayant élevé un trophée dans son école, il y mit cette inscription : « Contre les mauvais Citharistes. » Quelqu'un lui demandant quels étaient les vaisseaux les plus sûrs, les longs, ou les ronds. Ceux, dit-il, qu'on a tirés sur le rivage. Voulant un jour faire preuve de son talent à Rhodes, personne ne lui donna d'applaudissement. Aussitôt il quitta le théâtre, disant : « Puisque vous ne faites pas ce qui ne vous coûte rien, comment oserais-je espérer d'obtenir de vous quelque contribution? » Stratonicus disait : Laissez aux Éléens à donner des jeux gymniques; (350c) aux Corinthiens, des concerts; et aux Athéniens, des pièces de théâtre; et si les uns ou les autres exécutent mal, qu'on flagelle les Lacédémoniens : persiflant ainsi les flagellations qui étaient d'usage chez ceux-ci, comme le dit Chariclès, dans son premier livre des Jeux publics des différentes villes. Capiton, poète épique, dit, au liv. 4 de ses Commentaires adressés à Philopappus, que le roi Ptolémée, parlant à Stratonicus, et même avec plus de chaleur qu'il n'aurait dû, sur l'art du Cithariste, celui-ci lui dit : Prince, manier le sceptre, et le plectre, sont deux choses bien différentes. Étant invité (350d) à venir entendre un Citharède, il dit après l'exécution : « Jupiter lui a donné l'un, mais il lui a refusé l'autre. » Quelqu'un demanda ce qu'il entendait par ce vers : « Jupiter, répondit-il, lui a accordé de savoir mal jouer, mais il lui a refusé de bien chanter.» Une poutre ayant un jour écrasé un scélérat en tombant, Stratonicus s'écria : « Messieurs, il y a, je pense, des dieux; s'il n'y en avait pas, il y en aurait par cette poutre. » 43. Le même rapporte encore ces bons-mots de Stratonicus. (350e) Le père de Chrysogone lui disant qu'il avait tout ce qui lui était nécessaire, puisqu'il était entrepreneur de travaux, et que d'ailleurs l'un de ses fils pouvait enseigner, et l'autre jouer de la flûte; il te manque encore une chose, répondit Stratonicus. — Quoi donc dit l'autre? — Un théâtre qui soit à toi. Quelqu'un demandait à Stratonicus pourquoi il parcourait toute la Grèce sans se fixer dans l'une ou l'autre ville. Les muses, dit-il, m'ont donné tous les Grecs comme tributaires ; voilà pourquoi je perçois l'impôt de leur ignorance. Il disait que le musicien Phaon ne jouait pas Harmonie sur sa flûte, mais Cadmus. (350f) Phaon se donnant pour joueur de flûte, et disant qu'il avait un chœur de musiciens à Mégare, Stratonicus lui repartit : Tu n'as pas ce chœur, mais tu en fais nombre. Stratonicus disait qu'il était surtout étonné de la mère de Satyrus le sophiste, en ce qu'elle l'avait porté pendant dix mois, et qu'aucune ville ne pouvait le supporter pendant dix jours. Apprenant que ce Satyrus était allé assister aux jeux Iliens : [8,351] (351a) « Tous les maux, dit-il, fondent toujours sur Ilion. » Mynnacus prétendant lui disputer le talent de la musique : « Je ne t'écoute pas, lui dit-il; tu parles de ce qui est au-dessus de la malléole du pied.» Il disait d'un ignorant médecin : « Cet homme envoie chez Pluton tous les malades, le même jour qu'il les guérit. » Rencontrant un de ses amis, il s'aperçut qu'il avait les souliers bien luisants, et s'en affligea, dans l'idée que cet homme faisait mal ses affaires: « Jamais, dit-il, ses souliers n'eussent été si propres s'il ne les eût nettoyés lui-même. » Se trouvant à Teichionte, bourgade du district de Milet, et dont les habitants étaient un mélange de gens de diverses nations, (351b) il vit qu'il n'y avait que des tombeaux d'étrangers : « Éloignons-nous d'ici, dit-il à son esclave; car il paraît qu'il n'y a que les étrangers qui meurent ici, et non les citoyens. » Zéthus le Cithariste, dissertant sur la musique : « Il te convient moins qu'à tout autre de parler de musique, dit Stratonicus, toi qui as pris le nom qui convient le moins à un musicien ; car tu t'appelle Zéthus, au lieu d'Amphion. » Voulant montrer à un Macédonien à jouer de la cithare, il se fâcha de ce que cet homme s'y prenait extrêmement mal, et lui dit : « Va t'en chez tes Macédoniens. » 44. (351c) Apercevant un héroon magnifiquement orné, près d'un bain d'eau froide et malpropre, il s'y lava fort mal, et dit en sortant : « Je ne suis pas surpris d’y voir nombre de tableaux votifs, car ceux qui en ont fait hommage ne les ont présentés que comme ayant été assez heureux pour en sortir sans y perdre la vie en se lavant. » Il disait que le froid régnait à Ænos pendant huit mois, et l'hiver pendant les quatre autres --- (que nombre d'habitants du Pont en sortaient comme d'un séjour pernicieux). Stratonicus appelait les Rhodiens des Cyrénéens blancs; et Rhodes, la ville des amants; Héraclée, la Corinthe des hommes; Byzance, l'aisselle de la Grèce ; (351d) les Leucadiens, des Corinthiens éventés ou rapides ; et les Ambraciotes, des Membraciotes. En sortant des portes d'Héraclée, il regardait de tous côtés : quelqu'un lui demanda pourquoi il regardait ainsi : « C'est, dit-il, que j'ai autant de honte de sortir d'ici que d'un repaire de filles de joie, tant je crains d'être aperçu. » Apercevant deux criminels au pilori dans une ville: « Voilà de bien sottes gens, dit-il, de n'avoir fait leur métier qu'à demi. » Un jardinier, devenu musicien, voulant disputer avec lui sur l'harmonie, il lui dit : « Que chacun chante selon le métier qu'il sait. » (351e) Buvant avec quelques personnes à Maronée, il dit qu'il saurait deviner en quel endroit il serait, quelque part qu'on le menât les yeux bandés. On le mena réellement ainsi : Eh bien! lui dit-on, où es-tu à présent? Au cabaret, répondit-il ; car il regardait toute la ville comme un cabaret. Etant à table à côté de Téléphane, celui-ci prit sa flûte, et commençait à souffler dedans ; Stratonicus dit aussitôt : « Voilà comme on rote! » Un baigneur lui ayant donné à Cardie de mauvaise terre, et de l'eau saumâtre pour se déterger la peau : « Me voilà, dit-il, attaqué par terre et par mer. » 45. Stratonicus, ayant vaincu ses antagonistes à Sicyone, érigea un trophée dans le temple d'Esculape, avec cette inscription : (351f) « STRATONICUS, DES DÉPOUILLES DES MAUVAIS CITHAREDES.» Quelqu'un chantant, il demanda : « De qui sont ces vers? De Carcinus, lui dit-on. — Je le crois volontiers, répondit-il, car ils sont plutôt d'un karkinos que d'un homme. » Il n'y a pas de printemps à Maronée, disait-il, mais un air tiède. Se trouvant au bain à Phasélis, son esclave eut une dispute avec le baigneur, au sujet du prix. Il était d'usage que les étrangers payassent davantage: [8,352] (352a) « Bourreau, dit-il à son esclave, tu as pensé me rendre Phasélite pour un sol!» Quelqu'un le louait pour en obtenir quelques sols : « Eh mon ami! je suis encore plus pauvre que toi, lui dit-il. » Donnant quelques leçons dans une petite ville, il dit : « Ce n'est pas ici une ville, mais une vilenie! » Etant à Pella, il s'approcha du puits, et demanda si l'eau était potable. Ceux qui en tiraient lui dirent : « Nous en buvons. — Elle ne vaut donc rien, répondit-il. » En effet, ces hommes avaient un teint verdâtre. Chap. XI. Assistant à la représentation des Couches de Semèlée, pièce de Timothée, il dit, en entendant les cris de celle qui en jouait le rôle : « Quels cris aurait-elle donc jeté, si elle était accouchée d'un manœuvre, et non d'un dieu? » (352b) Certain Polyidas se vantait de ce que Philotas, un de ses disciples, avait vaincu Timothée : « Il est étonnant, dit Stratonicus, que vous ignoriez que Philotas fait des décrets, et Timothée, des nomes. » Axeius, joueur de harpe, le molestant, il lui dit: « Va t'en jouer aux corbeaux. » Un mégissier de Sicyone lui disait des injures, il se contenta de lui répondre : g-nakodœmon, g-kakodœmon; ouvrier en peau, mauvais démon. Chap. XII. Stratonicus voyant que les Rhodiens étaient débauchés et buvaient chaud, les appelait des Cyrénéens blancs. Il nommait Rhodes, (352c) la ville des amants ; trouvant, il est vrai, que pour la débauche les uns différaient seulement des autres par la couleur; mais que pour le penchant déterminé aux plaisirs, celui de la ville de Rhodes ressemblait parfaitement à celui des amants (de Pénélope). Stratonicus était, à l'égard de ces plaisanteries, l'émule du poète Simonide, selon ce que dit Éphore, dans son liv. 2 des Inventions : celui-ci ajoute même que Philoxène de Cythérée se plaisait aussi à ces bons mots. Voici ce que dit Phanias le péripatéticien, liv. 2 de son Traité des Poètes : « C'est probablement Stratonicus qui introduisit l'usage d'un plus grand nombre de cordes au jeu simple de la cithare : il forma aussi, le premier, des disciples aux principes de l'harmonie, et traça une tablature avant qui que ce fût : (352d) du reste, il était goûté dans ses plaisanteries. Sa hardiesse à persifler l'ayant un jour fait plaisanter sur les fils de Nicoclès, roi de Chypre, ce prince l'obligea de boire un poison, dont il mourut. » 47. Mon cher Démocrite, j'ai souvent été étonné au sujet d'Aristote, que les savants ont tant vanté pour sa pénétration, et dont les écrits te sont aussi familiers que ceux des autres philosophes et des orateurs. Quand a-t-il donc pu apprendre, ou quel homme, (352e) sorti des gouffres de Protée ou de Nérée, lui a raconté ce que font les poissons ; comment ils dorment ; quelles sont leurs habitudes et leur manière de vivre? Car voilà ce dont il a parlé dans ses écrits. Or, pour me servir des termes d'un poète comique, ne sont-ce pas là autant de prodiges dont on berce les sots? Selon lui, les buccins et tous les coquillages à écaille dure se reproduisent sans accouplement ; la pourpre et le buccin vivent longtemps : il donne six ans à la pourpre. D'où a-t-il su cela? En outre, dit-il, la vipère demeure longtemps accouplée ; (352f) le plus grand, des pigeons est le ramier, ensuite le pigeon vineux, et la tourterelle le plus petit. Où a-t-il su que le cheval vit trente-cinq ans, et la jument plus de quarante; il ajoute même qu'on en a vu une vivre soixante-quinze ans. Selon son récit, les lentes viennent de l'accouplement des poux ; de la métamorphose d'un ver, il résulte une chenille, et de cette chenille un bombylios, d'où vient enfin ce qu'on appelle necydale. Le même dit que les abeilles vivent jusqu'à six ans ; quelques-uns même sept. Selon lui, on n'a pas vu l'abeille ni le bourdon s'accoupler; [8,353] (353a) ainsi on ne peut distinguer dans une ruche, les mâles des femelles. Mais où ce philosophe a-t-il vu démontré que les hommes le cédaient aux abeilles, en intelligence? Puisque ces mouches observent toujours les mêmes procédés dans leur vie, sans aucun changement, et qu'elles agissent uniquement par instinct et sans réflexion, comment a-t-il découvert que l'homme leur est inférieur, lui qui abonde autant en réflexions qu'elles en miel? Il dit, dans son Traité sur la longueur de la Vie, qu'on a vu une mouche vivre six ou sept ans : quelle preuve en apporte-t-il? où a-t-il vu du lierre pousser de la corne d'un cerf? Selon lui, les hiboux et les corbeaux de nuit ne peuvent voir de jour; (353b) c'est pourquoi ils cherchent de nuit leur nourriture, non, il est vrai, pendant toute la nuit, mais à nuit tombante: il dit que leurs yeux présentent une conformation et des couleurs différentes, selon les espèces ; les uns les ayant vert-de-mer, les autres noirs, et quelques autres bleu clair ; au lieu que ceux des hommes présentent toutes les couleurs, et que c'est dans les yeux qu'on aperçoit la différence des caractères : ceux qui ont des yeux de chèvre, sont nés, selon lui, pour avoir la vue perçante, et un excellent caractère. Quant aux autres, ils ont les yeux ou proéminents au dehors, ou enfoncés, ou entre ces deux positions. (353c) Il suppose dans les seconds un très mauvais caractère; dans les premiers, une vue très perçante; et dans les troisièmes, qui tiennent l'état mitoyen, un caractère modéré. Aristote remarque aussi qu'il y en a qui clignent souvent. Il regarde ces gens comme des impudents. Le regard fixe est pour lui l'indice d'un homme inconstant. L'homme, selon lui, est le seul des animaux qui ait le cœur situé à gauche ; les autres l'ayant au milieu. Les femelles ont moins de dents que les mâles : ce qui a été observé, dit-il, dans la brebis, la truie et la chèvre. (353d) Il ne reconnaît pas de testicules dans les poissons : ni les oiseaux, ni les poissons n'ont de mamelles; le dauphin est le seul poisson qui n'ait pas de fiel : quelques poissons n'ont pas le fiel dans le foie, mais appliqué le long des intestins; comme l’ellops, la synagris, la murène, l'espadon et l'hirondelle de mer, etc. Quant au boniton, il a le fiel étendu le long de l'intestin ; et l'épervier, le milan, l'ont le long du foie et des intestins : l'ægocéphale, l'a le long du foie et de l'estomac. Le pigeon, la caille, l'hirondelle, l'ont, les uns joint aux intestins, les autres à l'estomac. 49. (353e) Selon le même, les poissons à coquille tendre, ou dure, les sélaques ou mollusques, et les insectes, sont longtemps à coïter ; le dauphin et quelques poissons s'accouplent en se couchant l'un contre l'autre. Le dauphin est lent dans son accouplement, et les poissons fort prompts. Le lion, dit-il encore, a les os si durs qu'en les frappant latéralement, il en sort des étincelles, comme des silex : quant au dauphin, il a des os, non des épines ; mais les sélaques ont du cartilage et des épines. Chap. XIII. Après avoir distingué les animaux en terrestres (353f) et aquatiques, il dit, d'autres sont pyrogènes, ou le produit du feu; d'autres animaux ne sont qu'éphémères, ou ne vivent qu'un jour : il y a aussi des animaux amphibies, comme l'hippopotame, le crocodile, et l’énydris ou loutre. Tous les animaux ont deux pieds pour leur mouvement progressif; mais le cancre en a quatre : tous ceux qui ont du sang sont, ou sans pied, ou ils ont deux ou quatre pieds ; mais ceux qui en ont plus de quatre n'ont pas de sang. Ainsi tous les animaux qui se meuvent le font en quatre points. L'homme les marque avec deux pieds et deux mains, l'oiseau avec deux pieds et deux ailes; l'anguille et le congre avec deux nageoires et deux flexions ou courbures. [8,354] (354a) En outre, dit-il, quelques animaux ont des mains comme l'homme; d'autres paraissent en avoir, comme le singe, car aucun animal, compris sous le nom de brute, ou d’irraisonnable, n'est susceptible de donner et de recevoir : ce à quoi les mains sont destinées comme les organes propres. Ensuite, parmi les animaux, les uns n'ont pas de membres ou parties externes jointes par articulations comme les serpents, les huîtres, les poumons de mer. Plusieurs animaux ne paraissent pas en toute saison, mais se cachent dans les unes ou dans les autres. Parmi ceux même qui ne se cachent pas dans des trous, ou des gouffres, il y en a qui ne paraissent pas toujours, comme les hirondelles, les grues. 50. J'aurais encore beaucoup de choses à vous rapporter des rêves qu'a débités ce pharmacopole, mais je m'arrête ici. (354b) Je n'ignore cependant pas ce qu'a dit de lui Epicure, cet ami de la vérité, dans sa lettre sur les différentes professions auxquelles on peut se vouer : Après avoir dissipé son patrimoine, dit Epicure, Aristote prit le parti des armes; n'y réussissant pas, il se mit à vendre des médicaments. Platon ouvrait alors son école : Aristote se voua tout entier à ce philosophe, assistant assidûment à ses conférences, ayant d'ailleurs certaine aptitude pour les sciences, et peu à peu il se livra tout entier à l'étude. Je sais (354c) qu'Epicure est le seul qui ait ainsi parlé d'Aristote; car, ni Eubule, ni même Céphisodore, n'ont osé rien dire de pareil au sujet du Stagirite, quoiqu'ils aient publié des écrits contre lui. Épicure dit, dans la même lettre, que le sophiste Protagoras fut porte-faix, et gagnait sa vie à porter du bois ; qu'il changea d'état pour être d'abord copiste de Démocrite. Ce philosophe ayant admiré l'art avec lequel il arrangeait sa charge de bois, le prit à son service. Protagoras alla ensuite tenir école dans une bourgade, et devint enfin Sophiste. Pour moi, Messieurs les convives, je me sens une grande envie (354d) de m'occuper de mon ventre. Quelqu'un disant que les cuisiniers apportaient tous leurs soins pour ne rien servir de froid, vu ce long régal de dissertations, Cynulque prit la parole : «En effet, voici la réflexion que fait à ce sujet le Milcon du comique Alexis : « A. Pour moi, si l'on ne sert les mets chauds .... mais ne conviens-tu pas avec Platon que ce qui est bon l'est partout? B. Cela est juste. A. Ce qui est partout agréable l'est donc ici. » (354e) Sphærus, qui fut avec Chrysippe, disciple de Cléanthe, fit aussi une réponse assez ingénieuse. Ayant été invité à Alexandrie par le roi Ptolémée, on servit à souper des volailles faites en cire. Sphærus voulut y porter la main ; mais aussitôt Ptolémée l'arrêta, lui disant qu'il avait jugé faux de cet objet. Prince, répondit-il fort à propos, ce n'est pas que j'aie jugé que ce soient des volailles, mais que cela me paraissait probable. Or, l'assertion mentale est bien différente d'une idée de probabilité. Dans le premier, on suppose qu'on ne se trompe pas; dans le cas d'idée de probabilité, il en est bien autrement. Ainsi, dit Cynulque, qu'on nous apporte actuellement de vraies volailles, (354f) mais de cire selon la vision intérieure qui les présentera telles à l'âme, de sorte que nous puissions nous tromper à l'aspect, et ne pas perdre tout à fait le temps à jaser de l'une ou l'autre chose. [8,355] 51. (355a) On allait se mettre à souper, lorsque Daphnis ordonna qu'on s'arrêtât, en citant ce passage du Mammakytos ou Aures de Métagène : « Injurieux dans les termes, comme nous le sommes tous, le plus souvent, à la fin des repas, dans nos propos. » Je dis donc qu'on a omis plusieurs choses dans ce qu'on a rapporté sur les poissons, car les enfants d'Esculape en ont beaucoup parlé, tels que Philotime, dans son Traité des aliments, Mnésithée d'Athènes, et Diphile de Siphne. Voici donc ce que dit celui-ci dans son ouvrage sur les aliments utiles aux gens en santés ou aux malades : (355b) « Parmi les poissons de mer, les saxatiles digèrent facilement, ont un bon suc ; ils sont détersifs, légers, et ne nourrissent que peu ; mais ceux de haute mer digèrent plus difficilement, nourrissent beaucoup, se distribuent mal. Parmi les saxatiles, le phykeen et la phycis étant de petits poissons, ont la chair tendre, sans odeur forte, et de facile digestion. La perche de mer qui leur est assez semblable, en diffère aussi peu par les qualités, selon les lieux. Les goujons, ou les boulerots sont analogues à la perche par leurs qualités. Ceux qui sont petits et blancs ont la chair tendre, sans odeur forte de vase; ils sont d'un bon suc, et digèrent bien ; mais ceux qui ont une teinte verdâtre, (355c) et qu'on appelle kaulinai, ont la chair sèche, maigre. Les serrans ont la chair délicate, cependant plus ferme que la perche. Le scare a aussi la chair délicate, peu liée, savoureuse, légère, de facile digestion : elle se distribue bien, et tient le ventre libre. Néanmoins il ne faut pas en manger lorsqu'il est nouvellement pris, parce qu'il chasse le lièvre marin et le dévore. Voilà pourquoi ses intestins donnent lieu aux amas de bile. Le poisson qu'on appelle keeris, est tendre, tient le ventre libre, va bien à l'estomac ; (355d) son suc humecte un peu le ventre, et déterge en même temps. » « L'orphe a beaucoup de suc, et bon ; la chair en est visqueuse, difficile à digérer, nourrit bien, sollicite les urines. Les parties qui sont près de la tête ont surtout cette qualité visqueuse, et sont de difficile digestion, pesantes à l'estomac. La fibre charnue digère bien; mais la queue est plus délicate. En général, ce poisson donne beaucoup de pituite, et ne digère pas assez bien. » « Les spets sont plus nourrissants que les congres. L'anguille d'étang est plus agréable au goût que celle de mer, et beaucoup plus nourrissante. La dorade est analogue à l'oblade. Les scorpènes de haute mer et fauves, sont plus nourrissantes (355e) que les grandes des lagunes, et qu'on prend là sur les bords. 52. Le spare a la chair tendre, un peu acrimonieuse, sans odeur de vase, agréable au palais, diurétique, et non indigeste; mais frit, il digère difficilement. » « Le surmulet a la chair agréable au goût, un peu astringente, dure, difficile à digérer : elle arrête les selles, surtout grillée sur les charbons. Frite, elle est pesante à l'estomac, et difficile à digérer. En général, tout surmulet pousse les évacuations sanguines. » « Le synodon (dentale) et le charax sont du même genre, mais le charax vaut mieux. (355f) Quant au pagre, il y en a aussi dans les rivières ; mais celui de mer est plus beau. Le capriscus (sanglier marin) se nomme mys. Il sent la vase, est dur, et plus difficile à digérer que le citharus ou folio ; la saveur de sa peau est agréable au goût. L'aiguille qu'on appelle raphis ou belonee, et même ablennees, ne digère pas facilement. La chair en est humide, quoique d'un assez bon suc. L'alose et ceux d'espèces analogues, tels que l'éritime, la chalcis, se distribuent bien. » Il y a des muges de mer, d'étang et de rivière. [8,356] (356a) Selon Diphile, «on appelle celui-ci oxyrinque. Le coracin du Nil est préférable aux autres ; mais on estime moins le noir que le blanc, et bouilli, il est moins bon que rôti. Celui-ci va bien à l'estomac, et tient le ventre libre. La saupe est dure, désagréable au goût. Elle est meilleure à Alexandrie, et pêchée en automne. Elle rend une matière muqueuse et blanchâtre, qui d'ailleurs ne sent pas la vase. » « Le gryllus (ou congre) est semblable à l'anguille, mais de mauvais goût. Le milan de mer a la chair plus dure que le rouget-grondin; du reste, il lui ressemble. Le corbeau a la chair plus dure que le milan. Le tapecon, qui se nomme ouranoscope, agnos et callionyme, est lourd sur l'estomac. (356b) Le bogue bouilli digère bien, passe facilement, détrempe, et rend le ventre libre. Rôti sur le gril, il est plus savoureux et plus tendre. Le bacchos ou la merlu a, un suc abondant et bon, et bien nourrissant. Le tragus a un mauvais chyle, est indigeste et sent la vase. La plie, la sole nourrissent bien, et flattent le palais : le turbot leur est analogue. » Les glaucisques, savoir, les capitons, les muges, les morveux, le grosse-lèvre sont analogues, quant aux principes nutritifs : cependant le muge le cède au capiton ; après vient le morveux, et enfin la grosse-lèvre. 53. Le thon femelle et mâle sont lourds sur l'estomac, mais très nourrissants. Le poisson qu'on appelle akarnan est savoureux, bourre un peu, nourrit bien, et passe par les selles sans difficulté. (356c) L'aphye est pesante à l'estomac, de difficile digestion : la blanche se nomme aphye-goujonne. L'epsète, le petit poisson, appartient au même genre. « Quant aux sélaques, le bœuf est charnu ; mais le chien de mer étoile vaut mieux. L’alopécias, renard marin, ressemble, pour la saveur, au renard terrestre (ou alopex), voilà pourquoi on lui en a donné le nom. La raie plaît au goût ; mais la raie étoilée est plus délicate et d'un bon suc. La raie lisse affecte mal le ventre, passe mal, et sent la vase. La torpille difficile à digérer, a cependant les parties voisines de la tété assez tendres, et d'un bon suc : elles digèrent même facilement; (356d) mais il n'en est pas de même des autres. Les petites sont les meilleures, surtout si on les fait bouillir dans l'eau, sans y rien ajouter. La lime (ou ange) qui appartient aussi aux sélaques, digère bien, est légère; mais la plus grande nourrit mieux. En général, les sélaques sont flatueux et charnus, et assez difficiles à digérer; si même on en mange souvent, ils affaiblissent la vue. » « La sèche bouillie est tendre, et plaît au goût. Elle digère bien, et tient le ventre libre. Son suc atténue le sang, et sollicite les évacuations hémorroïdales. Le calmar digère encore mieux, (356e) quoique désagréable au goût. Le polype bande l'arc de l'amour, est dur, de difficile digestion; mais le plus grand est le plus nourrissant; très cuit, il raffermit l'estomac, et lâche le ventre. » « Alexis fait voir l'utilité du polype, parlant ainsi dans sa Pamphile : (356f) « A. Eh! bien, toi qui es amoureux, qu'as-tu acheté? B. Oh! que me faut-il autre chose que ce que j'apporte! des buccins, des peignes, des truffes, un grand polype, et force poissons. » « La pélamide nourrit beaucoup, mais elle est pesante, de difficile digestion, quoique diurétique. Salée, elle devient comme le kallibion, atténuante, et rend le ventre libre. Quant elle est plus grande on la nomme synodontis. Le chelidohias, analogue à la pélamide, est cependant plus dur; mais l'hirondelle (chelidoon) qui est semblable au pompyle, a par elle-même une qualité humectante, donne une bonne couleur, et plus de mouvement au sang. [8,357] (357a) L'orcyn sent la vase ; devenu très grand, il est analogue au chelidonias pour la dureté de la fibre ; mais le bas-ventre, et les parties voisines de la tête, ou les clavicules, sont tendres et de bon goût. Ceux qu'on nomme kostai tiennent le milieu par leur qualité, lorsqu'ils sont salés. Le xanthias sent un peu la vase, et est plus tendre que l'orcyn. » « Tels sont les détails de Diphile ; 54. mais voici ce que dit Mnésithée, dans son Traité des Comestibles. Quelques-uns comprennent le genre des grands poissons sous le nom de tmeeton; les autres, sous celui de pelagion : tels sont, par exemple, les glauques, la dorade, (357b) les pagres ; poissons qui sont difficiles à digérer; mais si on les digère ils fournissent beaucoup de substance nutritive. » « Quant aux poissons squammeux, ou couverts d'écaillés, tels que les thons, les maquereaux, les thynnides ou thons femelles, les congres et semblables, les uns vont en troupe, les autres non ; mais ceux qui ne vont pas seuls, et cependant sans marcher en troupes, sont de facile digestion; comme les congres, les requins et semblables. Les espèces grégales de ces poissons ont, il est vrai, la chair d'une saveur agréable, car ils sont gras ; mais elle est lourde, et digère assez difficilement : voilà pourquoi ils conviennent surtout pour faire des salines, et ce sont en effet les meilleures. (357c) Ils sont bons rôtis, parce que la cuisson en fait ainsi fondre et tomber la graisse. » « Les poissons qu'on appelle darta, c'est-à-dire, excoriables, sont en général ceux sur la peau desquels il s'est formé des aspérités, non par des écailles, mais telles qu'on en voit sur la peau des raies et des pastenaques. Ces poissons ont tous la fibre peu liée, mais d'assez mauvaise odeur : elle ne fournit au corps qu'une substance flegmatique. De tous les poissons qu'on fait cuire en bouillant, ce sont ceux-ci qui lâchent le plus le ventre ; mais ils sont encore plus mauvais rôtis. » « Les mollusques, tels que les polypes, les sèches et semblables, ont la chair difficile à digérer ; voilà pourquoi ils aiguillonnent l'amour ; (357d) d'ailleurs ils sont flatueux : or, pour se disposer aux ébats amoureux, il est bon d'être dans une disposition flatueuse. Les mollusques sont meilleurs en général lorsqu'ils ont cuit en bouillant; car ils sont pleins de mauvaises humeurs, comme on peut s'en apercevoir à la simple lotion : or, on fait sortir ces humeurs de la chair par l'ébullition. Le feu appliqué avec un fluide, devenant émollient, les pénètre et les purifie totalement. Si au contraire on les rôtit, la dessiccation y concentre ces humeurs vicieuses, et il faut qu'ils demeurent plus ou moins durs, puisqu'ils le sont déjà naturellement. » 55. (357e) « Les aphyes, les membrades, les trichides, et tous les autres dont on mange les arêtes avec la chair, ne digèrent qu'en donnant des vents; mais ces poissons fournissent une substance nutritive humide. En effet, la digestion s'en fait à des temps inégaux ; les chairs se dissolvant promptement, lorsqu'à peine les arêtes ont commencé à digérer, car les aphyes en ont beaucoup. Les unes empêchent donc la réduction complète des autres. Voilà pourquoi la coction ne s'en fait qu'avec flatulence, (357f) tandis que d'un autre côté les chairs la rendent trop liquide. Il vaut donc mieux les manger bouillis. Du reste, ils causent des selles irrégulières. » « Quant à ceux qu'on appelle saxatiles, comme les goujons, les scorpènes, les plies et semblables, ils fournissent au corps une substance alimentaire sèche, bien nourrissante, et qui entretient bien l'embonpoint, parce qu'elle digère promptement, et sans laisser beaucoup de matières excrémentielles: d'ailleurs, ils ne causent pas de flatuosités. En général, le poisson assaisonné avec le moins d'apprêt est toujours celui qui digère plus facilement. Il ne faut qu'un filet de vinaigre pour assaisonner les saxatiles. » « Il en est de même de ceux qu'on appelle poissons à chair molle, tels que les merles, les grives et semblables ; mais ceux-ci sont plus humides que les précédents, fournissent plus de substance propre à ranimer les forces, [8,358] (358a) rendent les selles et les urines plus libres que les autres, parce qu'ils contiennent plus de principe aqueux. Si donc on veut relâcher le ventre, il faut donner ces aliments bouillis. Si au contraire il est un peu trop libre, qu'on donne ces aliments rôtis. Quant aux urines, ces aliments servis de l'une et l'autre manière les entretiendront bien. » 56. « Les poissons de mer ont toujours une chair plus humide et plus grasse dans les endroits où il se décharge des rivières et des lacs, et où il y a des lagunes étendues, de même que dans les golfes ; (358b) mais si d'un côté on les mange avec plus de plaisir, de l'autre, ils digèrent moins facilement, et fournissent une substance nutritive moins avantageuse. La plupart des poissons dont les habitudes sont sur les côtes de la mer, dans des eaux très découvertes, ont une chair sèche, légère, étant continuellement battus par le flot; mais ils réunissent presque généralement les deux avantages du plaisir et de la nutrition dans les eaux un peu resserrées, sur lesquelles il ne règne pas de grands vents, et si les eaux sont dans le voisinage de quelque ville. (358c) Ils sont difficiles à digérer, et pesants lorsqu'ils quittent la mer pour remonter les rivières, ou passer dans des lacs, tels que le muge, et en général tous ceux qui peuvent vivre dans l'eau douce ou salée. De ceux qui vivent habituellement dans les rivières ou dans les étangs, les premiers sont les meilleurs, car l'eau des étangs est plus ou moins putride. Les meilleurs poissons fluviatiles sont ceux qui ont leurs habitudes dans les rivières les plus rapides ; mais étant rôtis sur le feu. C'est toujours dans les eaux froides et rapides qu'on les trouve de cette qualité. » 57. (358d) Tels sont, mes amis, les plats de poissons que j'avais à vous présenter : je les ai assaisonnés de la manière la plus saine qu'il m'a été possible : car pour parler avec le Parasite d'Antiphane : « Pour moi, j'entends très peu de chose à la cuisine ; et je sais aussi peu comment on doit s'enivrer à la grecque, dans un repas d'où l'on emporte les autres convives déjà ivres. » Je ne suis pas non plus aussi amateur de poisson que le dit un des personnages du Butalion de ce même poète : cette pièce est un de ces Paysans, mais retouché. Voici ce qu'il dit : (358e) « A. --- Pour moi, je vais vous traiter aujourd'hui : toi, tu achèteras ce qu'il nous faut. B. Oui, quand j'aurai reçu de vous quelque argent, car autrement je ne sais pas acheter avantageusement. Eh! bien, dites; quel poisson aimez-vous le mieux? A. Je les aime tous. B. Encore! nommez-en quelques-uns de ceux que vous mangeriez avec le plus de plaisir. A. Tiens, il vint un jour à la campagne, où j'étais, un poissonnier qui apporta des mendoles et de petits surmulets. Je t'avoue, certes, que cela nous fit plaisir à tous. B. Eh! bien, en mangeriez-vous actuellement? dites-moi. (358f) A. Oui, et tout autre petit, car pour ces gros poissons, je les regarde comme autant d'anthropophages. B. Que dites-vous! des poissons manger des hommes! A. Au reste, on sait que les mendoles et les petits surmulets étaient le plat favori d'Hélène. » Mais dans son Paysan, il appelle : « Les mendoles et les surmulets, un plat fait pour Hécate.(213) » Chap. XV. Philippe le comique, qui méprisait les petits poissons, en fait ainsi parler dans sa Philyre : [8,359] « A. Papia, veux-tu courir (359a) au marché m'acheter quelque chose? B. Dites ce que vous voulez. A. Papia, je veux des poissons qui soient en âge de raison, non des enfants à la mamelle. B. Mais ne savez-vous donc pas que pour acheter de l'argent en lingot, il en faut auparavant de monnayé. » 58. On voit, dans les Crieurs d'oublies du même poète, un jeune homme badiner assez agréablement sur tous ces achats de cuisine, dont il ne parle qu'en diminutif, pour en marquer son mépris. «A. --- Mais achète bon marché, car il y a de tout suffisamment. B. Dites ce que vous voulez. A. Je ne veux point de choses de grand appareil, (359b) mais que tout soit bien arrangé, et qu'il y en ait assez; comme de petits calmars, de petites sèches. S'il se trouve une langouste, prends-là ; elle suffira. Quelques petites anguilles sur la table ne déplaisent pas : Thébé vient quelquefois avec un petit coq, un petit ramier, une petite perdrix; dis-lui de t'en donner, et autres choses semblables. Si quelqu'un se présente avec un lièvre, apporte-le moi. B. Mais, que vous êtes serré aujourd'hui! A. Et toi, large à la dépense : Nous avons déjà ici différentes viandes. B. Est-ce que quelqu'un nous en a envoyé? A. Point du tout ; mais ma femme vient de sacrifier le petit veau de la Koroone. B. Oh! nous souperons donc demain. » (359c) Mnésimachus introduit sur la scène son Morose, (personnage avare, dont la pièce porte le nom), parlant ainsi à un jeune dissipateur : « A. Mais, je t'en conjure, prescris-moi tout ce que tu voudras, pourvu que ce ne soit pas trop difficile, ni trop coûteux; enfin, ne sois pas trop exigeant ; car tu sais que je suis ton oncle. B. Comment, mon cher oncle, faut-il donc s'exprimer avec vous, pour n'être pas trop exigeant? A. Comment! diminue l'étendue de tes termes, et trompe-moi ainsi. Au lieu de dire un poisson, demande (359d) un petit poisson ; au lieu d'un plat de poisson, dis un petit plat : et je verrai la mort venir avec moins de peine! » 59. Eh! bien cher Ulpien, puisque le hasard nous a fait tomber sur le passage rapporté ci-devant, expliquez-nous donc vous autres enfants des grammairiens, en quel sens Éphippe a pu dire: « Le petit veau de la Koroone ; nous souperons demain. » J'entrevois dans ce passage quelque anecdote que je voudrais bien connaître. C'est, dit Plutarque, une anecdote rhodienne; mais que je ne puis vous détailler sur-le-champ, (359e) parce qu'il y a longtemps que le livre où elle est ne m'est tombé dans les mains. Je sais cependant que Phénix de Colophone, poète iambique, a parlé de certains hommes qui faisaient une quête pour la koroone ou corneille, en disant ces vers : « Braves gens, donnez une poignée d'orge à la Corneille, fille d'Apollon, ou une ration de bled, ou un pain, ou une obole, ou ce dont vous pouvez disposer. Donnez a la Corneille de ce que chacun possède ; elle recevra même un grain de sel, (359f) car elle aime beaucoup à s'en régaler. Celle-ci qui donne aujourd'hui du sel, donnera la seconde fois un rayon de miel. Enfant, ou valet, ouvre la porte; Plutus nous a déjà écouté favorablement. Mais voici une fille qui apporte des figues à la Corneille. Puisse cette jeune fille être parfaite en tout, et trouver un mari riche et renommé. Qu'elle porte dans les mains de son père, devenu vieux, un garçon, et pose sur les genoux de sa mère une fille, [8,360] (360a) et qu'elle élève en bonne mère cet enfant avec des frères. Pour moi, je vais chantant des vers aux muses, de porte en porte, où mes pieds conduisent mes yeux, et même encore un plus grand nombre que ceux-ci, tant pour celui qui donne, que pour celui qui ne donne rien. » Il dit à la fin de cette pièce iambique: « Çà! braves gens, donnez de ce que vous tenez serré en abondance! donne, mon roi! et toi, nymphe, donne beaucoup. Il est d'usage de donner plein la main à la Corneille, lorsqu'elle demande. Instruit de cet usage, donne quelque chose aussi toi, et cela suffira. » (360b) On appelait coronistes ceux qui quêtaient ou mendiaient au nom de la corone ou corneille, comme le dit Pamphile dans son Traité des Noms. Les vers que les quêteurs chantaient se nommaient koroonismes. C'est Agnoclès de Rhodes qui le dit dans ses Coronistes : 60. On donnait à Rhodes le nom de chelidonizein, ou chant de l'hirondelle, à une autre manière de quêter ou mendier. Théognis en parle ainsi dans le liv. 2. de son ouvrage sur les sacrifices des Rhodiens : « On appelle, à Rhodes, chelidonizein, (360c) une espèce de quête qui se fait d'ordinaire au mois de mars. Elle a eu le nom de chant de l’hirondelle, parce qu'il était d'usage de l'entonner ainsi : « Elle est venue, elle est venue l'hirondelle, qui amène avec elle les charmantes saisons et les belles années ; elle est blanche au ventre, et noire sur le dos. Quoi! vous ne tirerez pas de votre maison abondante un cabas de figues, une mesure de vin, une caserettede fromage, et autant de bled! l'hirondelle ne refuse même pas un petit gâteau aux jaunes d'œufs. Nous en irons-nous à vide, ou recevrons-nous quelque chose? Si vous nous donnez quelque chose, bien! autrement nous ne vous quitterons pas. Nous emporterons, ou la porte basse, ou la porte haute, ou la femme qui est assise en dedans. (360d) Comme elle est petite, nous l'enlèverons facilement; mais si vous apportez quelque chose, vous serez certes bien récompensé. Ouvrez, ouvrez la porte à l'hirondelle, car nous ne sommes pas des vieillards décrépits, mais de jeunes gens vigoureux. Ce fut Cléobule de Linde qui imagina cette manière de faire une collecte dans un moment où sa patrie avait besoin de fonds. 61. Chap. XVI. Mais puisque nous avons fait mention des histoires de Rhodes, je viens aussi de cette belle île, poissonneuse selon le charmant Lyncée, pour vous parler de poissons. Voici donc ce qu'Ergéas (360e) le Rhodien raconte dans ce qu'il a écrit sur sa patrie. Après avoir dit quelque chose sur les Phéniciens qui y établirent une colonie, il continue : « Phalante et ses Colons ayant dans le territoire d'Ialyse une ville très forte, nommée Achaia, et se trouvant bien pourvus de vivres, résistèrent longtemps à Iphiclus. En effet, un oracle leur avait prédit qu'ils seraient maîtres de la contrée jusqu'à ce qu'il naquît des corbeaux blancs, et qu'il parût des poissons dans les cratères. Espérant donc qu'on ne verrait jamais ces prodiges, ils traitèrent avec négligence tout ce qui concernait la guerre. Iphyclus apprit pendant ce temps-là l'oracle qui avait été rendu (360f) aux Phéniciens. Aussitôt il épia un des hommes affidés de Phalante, nommé Larcas, au moment où celui-ci allait chercher la provision d'eau, et, s'arrangeant avec lui sous la foi du serment, il pécha quelques poissons à la source, et les jeta dans l'urne qu'il remit à Larcas, l'avertissant de verser de cette eau dans le cratère avec lequel Phalante buvait. Larcas le fit ponctuellement. Iphiclus, de son côté, prit quelques corbeaux à la chasse, les blanchit avec du plâtre, et les laissa envoler. » [8,361] (361a)« Phalante apercevant ces corbeaux blancs alla aussitôt visiter ses cratères. Y ayant vu des poissons, il présuma que le pays n'appartenait plus à sa colonie, et fit dire à Iphiclus, par un héraut, qu'il consentait à se retirer, à condition que ce serait avec tout ce qu'il avait. Iphiclus y consentit ; mais Phalante usa de cette ruse-ci. Il immola des victimes, en ôta les entrailles, nettoya bien le ventre, et tenta d'emporter ainsi son or et son argent. Iphiclus l'ayant découvert s'y opposa : Phalante lui représenta le serment qu'il avait fait (361b) de leur laisser emporter tout ce qu'ils pourraient prendre dans le ventre : l'autre opposa ruse à ruse, leur donnant, il est vrai, des vaisseaux pour emporter tout, mais dont il avait fait ôter le gouvernail, les rames et les voiles, disant qu'il avait fait serment de leur fournir des vaisseaux, mais rien de plus. » « Les Phéniciens ne sachant plus quel parti prendre, enfouirent une grande partie de leur argent, marquant les lieux, afin de le reprendre, bien résolus de revenir un jour : ils en laissèrent aussi beaucoup à Iphiclus. (361c) Les Phéniciens abandonnèrent donc ainsi la contrée, et les Grecs y furent aussitôt les maîtres. » Polizèle qui raconte aussi les mêmes choses dans son Histoire de Rhode, dit que ce qui concernait les poissons et les corbeaux ne fut connu que de Phacas et de sa fille Dorkia, et que ce fut elle qui aimant Iphiclus, à qui elle avait juré sa foi par l'entremise de sa nourrice, persuada celui qui apportait l'eau, d'y jeter des poissons, et de la verser dans le cratère d'Iphiclus : que, de son côté, elle lâcha des corbeaux qu'elle avait blanchis. 62. Créobule nous apprend ce qui suit, dans son ouvrage sur les Limites des Ephésiens : « Ceux qui fondèrent Éphèse (361d) se trouvèrent d'abord fort embarrassés sur le choix du lieu. Enfin ils envoyèrent demander à l'oracle en quel endroit ils bâtiraient une ville. Il leur répondit de le faire au lieu même qu'un poisson leur indiquerait, et où un sanglier les conduirait. Or, voici ce qu'on raconte à ce sujet : « Des pêcheurs se préparaient à dîner avec du poisson dans l'endroit où est actuellement la fontaine Hypélée et le port sacré. Un poisson, ayant sauté avec de la braise ardente, tomba dans des broussailles sèches. Le feu alluma le repaire où se retirait habituellement un sanglier. L'animal tout troublé de cet embrasement, se sauva, parcourant un grand espace de la montagne (361e) que l'on appelle Trichée. Néanmoins, percé de plusieurs javelots qu'on lui lançait, il tomba précisément où est à présent le temple de Minerve. Les Ephésiens quittant alors l'île où ils demeuraient depuis vingt-un ans, passèrent dans cet endroit-là, y bâtirent, la vingt-deuxième année, formèrent des habitations sur le mont Tréchée, dans les environs de Corisse, élevèrent le temple de Diane dans le marché, et celui d'Apollon Pythien près du port. 63. Comme on s'occupait de ces récits, et d'autres, on entendit le son des flûtes mêlé au bruit des cymbales par toute la ville, et le retentissement des tambours qui accompagnaient des chants. (361f) C’était la célébration de la fête des Partîtes, comme on l'appelait anciennement. Ce sont aujourd'hui les fêtes romaines, nom qu'elles ont eu à cause du temple que l'excellent et très savant empereur Adrien a fait bâtir à la Fortune de la ville. C'est un jour solennel pour tous les habitants de Rome, et pour tous les étrangers qui s'y trouvent. Ulpien prit aussitôt la parole : [8,362] « Qu'est-ce que cela? (362a)« Est-ce un festin, ou une noce? car ce n'est point un repas où chacun paie son écot. » C'est, mon cher, lui dit un des convives, un bal général qu'on donne dans toute la ville en honneur de la déesse (la Fortune). Ulpien éclate de rire : « Mais, Cynulque, quel Grec a jamais employé le mot ballismos pour signifier ce que tu dis? Il fallait au moins dire tout le monde est en note dans la ville, ou danse; ou tu de vois employer tout autre terme analogue; mais tu vas nous quêter un terme de la rue Suburra. « Tu as gâté le vin en y versant de l'eau. » Mais, Myrtile, lui repartit : Je vais, mon ami, te prouver que le mot que tu blâmes, est très grec. (362b) En voulant fermer la bouche à tout le monde, sans convaincre personne d'ignorance, tu te montres plus vide que la peau qu'a quitté un serpent. Epicharme, charmant Ulpien, rappelle le mot ballismos dans ses Théares. Or, l'Italie n'est pas loin de la Sicile. Les Théores considérant donc dans cette pièce les offrandes suspendues dans le temple de Delphes, les détaillèrent les unes après les autres, et voici comme ils parlent : « Des chaudières d'airain, des cratères --- mais les autres dansent à la lueur des torches et au son de la flûte! que c’était une belle chose à voir! » (362c) Sophron dit, dans sa pièce intitulée la Nymphopone (celle qui pare la mariée). « Ensuite la prenant, il la présenta, et les autres dansèrent : eballlizon. » Il dit ailleurs : « En dansant, ballizontes, ils remplirent la chambre à coucher de vilénie. » Mais Alexis dit aussi dans sa Kouris : « En effet, j'aperçois une troupe de gens en route approcher de nous; ce sont tous, il est vrai, d'honnêtes gens, et de distinction: «mais puissé-je ne vous rencontrer jamais lorsque vous sortirez d'un bal (ballismon) où vous vous serez bien divertis; car à moins qu'il ne me poussât des ailes sur-le-champ, je (362d) n'apporterais certes pas mon habit au logis. » Je sais que ce mot se trouve encore ailleurs: je te l'indiquerai lorsque je m'en serai souvenu; 64. mais toi qui nous as rappelé ces vers d'Homère : « Quel repas, quelle compagnie y a-t-il là? et pourquoi? Est-ce un festin en règle, ou une noce ; car certes ce n'est point un repas où chacun contribue pour sa part. » Tu ne peux, dis-je, nous refuser de nous expliquer la différence des termes qu'emploie ici le poète ; mais puisque tu gardes le silence, je vais te la dire, et comme le dit le poète de Syracuse : « Faire seul ce qui se faisait auparavant à deux. » (362e) Les anciens appelaient eilapinai les sacrifices et les fêtes d'appareil, et eilapinastai ceux qui y participaient. On entend par eranoi des assemblées de personnes qui se réunissent en contribuant chacune pour le repas, car chacune s'y cotise et fournit sa part en commun. Thiasos a le même sens que le mot eranos, et ceux qui s'assemblent pour former un thiase sont indistinctement appelés eranistes, ou synthiasotes, c'est-à-dire : « Gens qui mangent, boivent et se divertissent ensemble. » La troupe qui suivait Bacchus est aussi désignée par le nom de Thiase, comme Euripide le dit dans ce vers : « Je vois trois thiases de femmes réunies en chœurs. » Ces compagnies se nommaient Thiases, du mot theos ; qui signifie dieu ; (362f) mais les Lacédémoniens disaient siases, parce qu'ils disaient sios pour dieu, au lieu de theos. Quant au mot eilapinee, par lequel on désignait ces repas, il est relatif aux apprêts et aux dépenses qu'ils exigent; car les termes laphyttein et lapazein ont le sens de vider et consommer. Voilà pourquoi les poètes emploient le mot alapazein pour ravager, et laphyra pour dépouilles enlevées en pillant. [8,363] (363a) Eschyle et Euripide appelaient ces festins, où régnait la joie, eilapinai, du parfait passif lelapachthai, dont l'infinitif laptein signifie dissoudre, ou digérer le manger, et mettre les îles à l’aise en évacuant : et c'est du mot lagaros, mollet, qu'on a déduit lagoon, pour désigner les flancs, ou les iles, à cause du vide, ou de la mollesse qu'on y remarque, comme dans un bignet. C'est ainsi qu'on a déduit le mot lapara, mollets, tendres, ou les flancs, du mot lapattein, vider, amollir. Quant au mot laphyttein, il signifie beaucoup vider, évacuer. Le mot dapanan, dépenser, consommer, employer, vient de daptein, qui signifie arracher, dissiper en déchirant, dévorer ; et le mot dapsilees, abondant, en est un dérivé. Voilà donc pourquoi on a dit dapsai et dardapsai, pour manger avec voracité, en parlant de ceux qui mangent comme une bête féroce. Homère dit ainsi : « Quant à lui, les chiens et les oiseaux de proie l'ont dévoré : katedapsan. » (363b) On disait euoochia, festin joyeux, ou repas splendide, non du mot ochee qui signifiait aliment, mais des mots simples eu echein, être bien traité dans ces repas, auxquels on se réunissait pour honorer les dieux, en se livrant ensuite à la joie et aux divertissements. On appelait methy le vin qu'on y buvait, du mot methienai, se réunir à table ; le dieu qui le donnait se nommait Méthymnée, Lyœus, Euius, Ieeius : c'est ainsi qu'on a dit hilaros, gai, favorable, d'un homme qui n’avait pas un air sombre et rêveur. En criant donc iee iee, on avait intention de se rendre le dieu propice, ou hileoos ; terme correspondant. Voilà aussi pourquoi le lieu dans lequel on faisait ces prières (363c) fut appelé hieros, sacré. Or, que les mots hileoos et hilaros aient le même sens, c'est ce que montre Éphippus dans sa pièce intitulée l’Empole, ou Trafique. Voici ce qu'il dit d'une grisette : « Ensuite, si quelqu'un de nous autres a du chagrin, elle le flatte dès qu'il entre, elle le baise, non en serrant les lèvres l'une contre l'autre, comme un ennemi, mais bouche béante comme les moineaux : elle chante, le console, le rend bientôt gai, hilaros, dissipe tout son chagrin, et voilà mon homme vraiment hileoos, livré à toute la joie, et prêt à faire tout ce qu'elle veut. » 65. (363d) Les anciens représentant les dieux sous forme humaine, instituèrent toutes les cérémonies relatives aux fêtes, voyant bien que les hommes ne pouvaient pas être arrêtés dans le penchant qu'ils avaient pour les jouissances; que, d'un autre côté, il était avantageux de les y accoutumer avec ordre et décence : ils en fixèrent donc les temps. Ainsi, après avoir sacrifié aux dieux, on se livrait au divertissement, afin que tout se passât honnêtement à ces assemblées, où chacun était persuadé que les dieux venaient goûter les prémices. (363e) Voilà pourquoi Homère dit : « Minerve y vint, pour être présente aux sacrifices. » Ailleurs : « Neptune était allé chez les Éthiopiens, situés au loin, pour assister aux hécatombes des agneaux et des taureaux. » Et ailleurs : « Jupiter partit hier pour un festin, et tous les dieux le suivirent ; » De sorte que s'il se trouvait à ces repas publics un homme âgé, ou distingué par son caractère, on pût craindre de rien dire ou de rien faire qui blessât l'honnêteté, comme le dit quelque part Epicharme : (363f) « Mais il faut aussi que nous sachions nous taire lorsqu'il y a des gens qui valent mieux que nous. » Comme on croyait que les dieux étaient près des assemblées, on célébrait ces fêtes avec décence et réserve. C'est aussi pour cette raison que l'on ne se couchait pas à table chez les anciens ; mais chacun mangeait assis, et personne ne buvait jusqu'à s'enivrer. Homère dit : « Mais lorsqu'ils eurent fait les libations, et bu autant qu'ils avaient soif, chacun s'en alla au logis. » [8,364] 66. Chap. XVII. Mais de nos jours on ne sacrifie plus aux dieux que pour l'apparence ; on invite les amis (364a) et les proches au sacrifice, tandis que d'un autre côté, on maudit ses enfants, on injurie sa femme, on fait verser des larmes aux serviteurs, on menace sans réserve qui que ce soit, et peu s'en faut qu'on ne dise comme dans Homère: « Çà donc, venez à table, afin de nous battre. » Sans réfléchir comme un des personnages de la pièce intitulée Chiron, soit que Phérécrate ou Nicomachus le rythmique en soit l'auteur, ou tout autre : « En invitant un ami à un repas somptueux, (364b) ne l'affligez pas lorsque vous le voyez chez vous ; c'est le propre d'un méchant homme d'en agir ainsi. Mais livrez-vous à une joie tranquille, et procurez-lui de l'agrément. » Non, personne ne fait ces réflexions; mais chacun sait ce qui suit, et qui est une partie de la parodie des grandes Heoiai attribuées à Hésiode, et de ses Œuvres et ses Jours : « Mais si quelqu'un de nous immolant une victime invite des amis au repas, il est fâché de le voir venir : nous le regardons de mauvais œil lorsqu'il est chez nous, et nous voudrions qu'il fût aussitôt dehors : alors l'ami invité s'en aperçoit, et n'ose toucher de rien ; (364c) mais un des convives lui dit : Quoi! vous ne buvez pas, vous? allons, mettez-vous à l'aise! Celui qui traite se fâche contre ce convive qui veut empêcher l'autre de s'en aller, et lui cite ces vers élégiaques. — N'oblige personne de rester chez nous malgré lui, et n'éveille pas non plus, Simonide, celui qui dort. » Ne sont-ce pas là les discours que nous tenons en buvant, lorsque nous traitons un ami? » Mais nous ajouterons encore ceci : (364d) « Il faut se faire un plaisir d'avoir beaucoup de convives à table, car on mérite beaucoup de considération par les assemblées de ces repas, et à peu de frais. » Mais lorsque nous sacrifions aux dieux, nous ne prenons que ce qu'il y a de plus ordinaire, et de moins coûteux pour nos offrandes, comme le représente Ménandre dans sa pièce intitulée l’Ivresse : « A. D'ailleurs, nous ne nous comportons pas de même dans ce que nous faisons pour nous, et dans les sacrifices que nous offrons. Pour moi, lorsque je sacrifie, j'amène aux dieux une méchante brebis qui ne m'a coûté que dix mines, et il faut qu'ils s'en contentent ... Mais si je traite des amis, il me faut des joueuses de flûte, du parfum, des joueuses de psaltérion, des vins de Mende, de Thase ; des anguilles, du fromage, du miel ; et, compte fait, cela revient presqu'à (364e) un talent d'argent. B. Mais aussi en n'offrant aux dieux que la valeur de dix drachmes, il est juste qu'ils ne vous accordent de bien que pour ce prix-la, lorsque vous avez fait le sacrifice avec exactitude. D'un autre côté, vous devez être puni pour cela. En effet, n'êtes-vous pas doublement coupabledans vos sacrifices. C. Pour moi, si j'étais un dieu, je ne souffrirais jamais qu'on mît sur mon autel le filet d'une victime, à moins qu'on n'y fît en même temps l'hommage d'une anguille ; poisson qui a donné la mort à Callimédon, un de mes parents. » 68. (364f) Les anciens font mention de repas epidosimes, que les Alexandrins appellent de surcroît. C'est à ce sujet qu'Alexis fait dire dans sa pièce intitulée au Puits : « A. Mon maître vient de m'envoyer un petit baril de vin, et c'est un de ces gens qui l'a apporté de chez lui. B. Fort bien : ce sera un surcroît au reste. J'aime cette vieille prévoyante! » Crobyle écrit, dans son Faux-supposé: [8,365] (365a) « A. Mais Lâchés, je te joins, et conduis-moi. B. Où donc? A. Quoi! tu me demandes où? chez Philumène, où nous avons encore quelques epidosimes, et à la santé de laquelle tu me forças de boire douze cyathes de suite. » Les anciens connaissaient aussi les repas appelés g-apo g-spyridos. Phérécrate les indique dans son Oublieux ou la Mer : « Ayant arrangé le souper dans le panier, il s'en alla droit chez Ophèle. » Or, ceci nous fait entendre ce qu’était le repas de la spyris ou du panier. (365b) On préparait chez soi ce qu'on voulait d'aliments, ensuite on le mettait dans un panier pour aller le manger chez quelqu'un. Lysias a employé le mot syndeipnon, pour symposion, repas, dans son discours sur le meurtre de Micinus. Il avait, dit-il, été invité à un syndeipnon, ou repas. Platon écrit : « A ceux qui avaient fait le syndeipnon, ou repas. » Aristophane a dit dans sa Gérytade : « Dans les syndeipnes, » en louant Eschyle. Voilà pourquoi quelques-uns veulent qu'on écrive syndeipnon au neutre, pour titre d'une pièce de Sophocle. On nommait aussi certains repas synagoogimes, comme le dit Alexis dans son Philocalos ou les Nymphes. (365c) « A. Assieds-toi, ou mets-toi à table, et toi appelle ces nymphes, car nous faisons un synagoogime. B. Il y a longtemps que je sais que tu couperais un cheveu en quatre. » Ephippus dit, dans son Géryon: « Et ils tirent au sort à qui sera du repas synagoogime. » On se servait du mot synagein, rassembler, pour boire ensemble ; et de synagoogion, pour symposion, repas. Ménandre dit dans sa Brûlée : « Or, voilà pourquoi ils sont actuellement en assemblée particulière. » Ensuite il dit: (365d) « Il a complété le synagoogion, l'assemblée des convives. » Entendrait-il par là le repas qu'on faisait en apportant chacun sa symbole? Mais Alexis indique dans sa Mandragarizomène ce qu'on entendait par symbolai. Voici ce qu'il fait dire à une femme : « A. Je viendrai, apportant avec moi les symboles. B. Comment les symboles? A. Les bandelettes, ou guirlandes, les pots de parfum. Or, voilà, ma vieille, ce qu'on appelle symbolee à Chalcis. » Hégésandre écrit ceci dans ses Commentaires : « Les Argiens appellent choon, le symbole que chaque convive apporte avec soi aux repas; et meris, la part que l'on reçoit à table. 69. Mais, ami Timocrate, ce livre étant à sa fin, ils convient aussi que nous terminions cet entretien, de peur qu'on ne pense que nous soyons devenus poissons, comme parle Empédocle. « Pour moi, dit-il, j'ai été jeune fille, jeune garçon, plante, oiseau, et poisson de mer animé. »