[1,0] MÉTÉOROLOGIE. (Météorologiques) - LIVRE I. [1,1] CHAPITRE PREMIER. § 1. 338a Dans des ouvrages antérieurs, nous avons traité des premiers principes de la nature, du mouvement physique dans toutes ses parties, des astres dont la marche si bien ordonnée s'accomplit dans la sphère supérieure, des éléments des corps dont nous avons indiqué le nombre, la qualité et les permutations réciproques, et enfin de la génération et de la destruction des choses considérées dans leur ensemble. § 2. De toute cette étude, il ne nous reste plus qu'à examiner une seule partie, celle que nos devanciers ont ordinairement nommée la météorologie. Elle 339 comprend tous ces phénomènes qui, bien que se produisant suivant des lois naturelles, ont cependant des conditions moins régulières que celles de l'élément premier des corps, et qui ont lieu dans l'espace le plus rapproché de la révolution des astres ; je veux dire, par exemple, la voie lactée, les comètes, les météores ignés et à mouvement rapide, que nous pouvons regarder comme des accidents communs de l'air et de l'eau. Enfin cette science comprend l'étude de toutes les espèces de la terre, de ses parties, ou des propriétés de ces parties, qui nous peuvent servir à expliquer les causes des vents et des tremblements de terre 339a, et de toutes les circonstances qui accompagnent les mouvements qu'ils provoquent. Parmi ces phénomènes, les uns nous sont inexplicables; les autres nous sont accessibles dans une certaine mesure. Nous traiterons aussi de la chute de la foudre, des ouragans, des tempêtes, et de toute cette série de phénomènes qui par leur combinaison deviennent des modifications de ces mêmes corps. § 3. Après avoir parcouru tous ces sujets, nous essayerons, suivant notre méthode habituelle, de traiter des animaux et des plantes, soit en général, soit à part et en détail; car cette étude une fois faite, nous aurons à peu près achevé la totalité des recherches que dès le début nous nous étions proposé de faire. Ayant donc ainsi commencé, il nous faut étudier d'abord les phénomènes dont nous venons de parler. [1,2] CHAPITRE II. § 1. Nous avons antérieurement établi qu'il n'y a qu'un seul principe pour les corps dont se compose la nature des corps soumis au mouvement circulaire. Nous avons établi aussi qu'il y a quatre autres corps formés par les quatre principes, dont le mouvement, avons-nous dit, est double, l'un partant du centre, l'autre se dirigeant vers le centre. Ces quatre éléments sont le feu, l'air, l'eau et la terre. Parmi eux l'un, le feu, est à la surface de tous les autres; et l'autre, la terre, leur sert de base. Les deux autres ont beaucoup de rapport chacun en soi avec ceux-là; l'air se rapproche davantage du feu, de même que l'eau se rapproche de la terre. Le monde entier de la terre se compose de ces quatre corps, et c'est pour ce monde ainsi composé que nous devons étudier tous les phénomènes qui y font sentir leur influence. § 2. D'abord, il faut de toute nécessité que ce monde se rattache sans discontinuité de quelque façon que ce puisse être, aux révolutions supérieures, de telle sorte que toute sa puissante ordonnance soit gouvernée par ces révolutions. C'est qu'en effet le principe qui donne le mouvement à toutes choses doit être considéré comme la cause première. De plus, cette cause est éternelle; elle n'a pas de fin pour le mouvement qui s'accomplit dans l'espace; mais elle en est éternellement à finir. Quant à tous ces corps, ils ont des lieux séparés les uns des autres et limités, de telle manière qu'il faut regarder comme causes des phénomènes qui se produisent dans le monde, le feu, la terre et les éléments analogues, qui servent à ces phénomènes comme d'une espèce de matière; car c'est du nom de matière que nous appelons le sujet et ce qui souffre les phénomènes, tandis que ce qui est cause, en ce sens que c'est de là que part le principe du mouvement, doit être regardé comme la puissance propre aux corps dont le mouvement est éternel. [1,3] CHAPITRE III. § 1. Ainsi donc, après avoir rappelé les principes que nous avons posés au début et les définitions antérieurement données, parlons ici de la voie lactée telle qu'elle nous apparaît, des comètes, et de tous les autres phénomènes qui se rapprochent de ceux-là, Nous avons dit que le feu, l'air, l'eau et la terre viennent les uns des autres, et que chacun d'eux étaient 339b en puissance dans chacun des autres, comme il en est d'ailleurs pour toutes les, choses qui ont un sujet un et identique dans lequel elles se résolvent en dernière analyse. § 2. On pourrait d'abord se demander pour ce corps qu'on appelle l'air, quelle en est au juste la nature dans le monde qui entoure la terre, et quel est son ordre relativement aux autres éléments, nominés les éléments des corps. On sait d'une manière certaine quel est le rapport de la masse terrestre aux grandeurs dont elle est entourée; car nous avons déjà appris par des observations d'astronomie qu'elle est beaucoup plus petite que certains astres. Quant à la nature de l'eau constituée et limitée comme elle l'est, nous ne l'avons jamais vue et il est impossible de la voir jamais, séparée du corps que forme la terre, tant pour les eaux qui sont à découvert, la mer par exemple et les fleuves, que pour l'eau qui pourrait se dérober à nous par la profondeur où l'eau serait cachée. Or, l'espace compris entre la terre et les plus rapprochés des astres, doit-il être regardé comme un corps unique par sa nature? Est-ce plusieurs corps? Et s'il y en a plusieurs, quel en est le nombre, et jusqu'où s'étendent les lieux divers qu'ils occupent? § 3. Nous avons dit antérieurement, en parlant du premier élément, quelles en sont les propriétés, et nous avons ajouté que le monde des révolutions supérieures était rempli entièrement par ce corps. Nous pouvons dire d'ailleurs que cette opinion ne nous est pas du tout personnelle, et que c'est une vieille idée qu'ont eue même des philosophes fort anciens. § 4. Ainsi ce qu'on appelle l'éther a reçu très anciennement cette dénomination, qu'Anaxagore, ce me semble, a voulu identifier avec celle du feu ; car pour lui les régions supérieures étaient pleines de feu, et il pensa devoir appeler éther la force qui les remplit. En ceci il a bien vu; car on a pu avec toute raison regarder comme divin le corps qui jouit d'un mouvement éternel et appeler par conséquent ce corps Ether, à cause de cette propriété qui le fait si différent de tous les corps que nous voyons. C'est qu'il faut bien le dire : ce n'est pas une fois, deux fois, ni même un petit nombre de fois que les mêmes opinions se reproduisent périodiquement dans l'humanité ; c'est un nombre de fois infini. § 5. Ceux qui prétendent que l'enveloppe du monde est un feu pur, qu'il y a autre chose que les corps lumineux qui circulent, et que tout ce qui est compris entre la terre et les astres est de l'air, ne soutiendraient pas sans doute une opinion si puérile, s'ils examinaient les démonstrations tout à fait incontestables que de notre temps les mathématiques ont données. C'est qu'en effet il serait par trop simple de croire que chacun des corps qui se meuvent dans l'espace a des dimensions aussi petites qu'il nous le parait, quand nous les considérons d'ici-bas. § 6. Nous avons déjà dit dans nos considérations sur le lieu supérieur, et nous pouvons bien répéter ici dans les mêmes termes, 340a que, si les espaces étaient remplis de feu et que les corps fussent composés de cet élément, c'en serait fait dès longtemps de tous les autres. § 7. Les espaces ne peuvent pas davantage être remplis d'air tout seul ; car ce serait dépasser complètement l'égalité de proportion générale qui doit régner entre des corps de même ordre, si deux éléments suffisaient à remplir tout l'espace compris entre le ciel et la terre. La masse totale de la terre, en y comprenant et toute la terre et la quantité de l'eau qui y est renfermée, n'est rien pour ainsi dire en comparaison de la grandeur qui l'environne. Or nous ne voyons pas qu'il y ait une différence d'une grandeur aussi prodigieuse entre les volumes, lorsque l'air se produit de l'eau sécrétée, ou lorsque le feu se produit de l'air. Il faut donc nécessairement que le même rapport que cette petite quantité d'eau soutient avec l'air qui en est formé, se retrouve aussi de tout l'air à toute l'eau. § 8. D'ailleurs peu importe de dire que ces corps ne sont pas produits les uns par les autres, mais qu'ils ont cependant des propriétés tout à fait égales; car de cette façon il faut toujours nécessairement que l'égalité de puissance reste à leurs masses, absolument comme s'ils étaient en effet issus les uns des autres. Il est donc évident que ni l'air ni le feu ne remplissent à eux seuls tout l'espace intermédiaire. § 9. Reste une dernière question à se faire : c'est de savoir dans quel ordre sont placés ces deux éléments relativement à la position du premier corps, l'air et le feu j'entends, et par quelle cause la chaleur des astres qui sont en haut descend dans les lieux qui entourent la terre. Ainsi donc, après avoir parlé d'abord de l'air, suivant le plan que nous nous sommes tracé, nous parlerons ensuite des autres éléments de la même façon. § 10. Si l'eau vient de l'air, et l'air de l'eau, pourquoi les nuages ne se forment-ils pas dans la région supérieure? Et ceci semblerait d'autant mieux devoir être que l'espace est plus éloigné que la terre et plus froid qu'elle, par ces deux raisons qu'il n'est point assez voisin des astres qui sont chauds, ni des rayons réfléchis par la terre, lesquels empêchent les nuages de se former dans son voisinage, en divisant par leur chaleur ceux qui se forment. Les nuages ne peuvent donc se condenser que là où cessent les rayons réfléchis, parce qu'ils se dispersent dans l'immensité. § 11. Ainsi donc, ou bien l'eau ne peut pas venir de toute la masse de l'air, ou si elle vient également de toute la masse, il faut que l'air qui environne la terre ne soit pas seulement de l'air, mais comme une espèce de vapeur, ce qui fait qu'il peut ensuite se convertir en eau. Mais si l'air tout entier, tel qu'il est, n'était qu'une vapeur, la quantité de l'air et de l'eau semblerait alors l'emporter de beaucoup sur les autres éléments, si les espaces des régions supérieures sont remplis 341 d'un certain corps, et que ce corps ne puisse être le feu parce qu'alors il dessécherait tout le reste. Reste donc que ces espaces soient pleins d'air et d'eau autour de toute la terre; car la vapeur n'est pas autre chose qu'une sécrétion de l'eau. § 12. Ne poussons pas du reste ces considérations plus loin que nous ne venons de le faire; mais ajoutons pourtant, afin de bien éclaircir ce qui sera dit plus tard et ce qui vient d'être dit, que pour nous ce qui est au-dessus de la terre et jusqu'à la lune est un corps différent du feu et de l'air, qu'il y a dans ce corps une partie plus pure, et une partie moins subtile, et que ce corps a des différences là surtout où il aboutit à l'air et au monde qui environne la terre. § 13. Comme le premier élément et les corps qu'il renferme se meuvent circulairement, la partie du monde inférieur et de l'élément qui lui est éternellement contiguë, se trouvant divisée par le mouvement, s'enflamme et produit la chaleur. Nous devons croire qu'il en est ainsi, en nous appuyant sur ce principe que le corps au-dessous de la révolution supérieure, comme une sorte de matière qui en puissance est chaude, froide, sèche, humide, et douée de toutes les autres propriétés conséquences de celles–là, devient et est tout cela par le mouvement et l'immobilité, dont nous avons ailleurs étudié la cause elle principe. § 14. C'est donc au centre et autour du centre que le plus lourd et le plus froid, la terre et l'eau, se place sécrété comme il l'est; autour de la terre et de l'eau, et de tout ce qui y tient, se trouve l'air, et ce que par habitude nous appelons le feu, bien que ce ne soit pas du feu; car le feu est un excès de la chaleur et comme un bouillonnement. § 15. Mais il faut distinguer aussi, dans ce que nous appelons l'air, la partie qui environne la terre, laquelle est humide et chaude parce qu'elle renferme les vapeurs et les exhalaisons terrestres, et la partie supérieure à celle-là, laquelle est chaude et sèche. La nature de la vapeur est humide et chaude; mais celle de l'exhalaison est chaude et sèche. La vapeur est par ses propriétés une sorte d'eau, tandis que l'exhalaison au contraire est par ses propriétés une sorte de feu. § 16. Ainsi donc, si les nuages ne se forment pas dans la région supérieure, c'est, il faut le supposer, parce que dans cette région il y a non pas seulement de l'air, mais plutôt une espèce de feu. D'ailleurs il se peut fort bien que ce soit le mouvement circulaire qui empêche la formation des nuages dans les parties supérieures; car nécessairement l'air circulaire doit s'écouler tout entier, ou du moins toute cette partie de l'air qui n'est pas comprise en dedans de cette circonférence, dont la disposition fait que toute la terre est sphérique. § 17. En effet, comme on le sait bien maintenant, les vents se forment dans les lieux marécageux de la terre, et ils ne soufflent pas au-dessus des montagnes les plus élevées. C'est qu'ils s'écoulent circulairement, parce qu'ils sont emportés avec la révolution de l'univers. Le 341a feu est en effet continu à l'élément supérieur, et l'air est continu au feu, de sorte que c'est le mouvement même qui l'empêche de se convertir en eau. § 18. Mais chaque particule qui vient à s'alourdir, dans l'air pressé qui s'est échappé vers le lieu supérieur de la chaleur, est toujours portée en bas; et une autre vient à sa place, apportée par l'exhalaison du feu; et ainsi de suite continuellement, l'une restant pleine d'air, et l'autre pleine de feu, et chacune d'elles changeant perpétuellement de l'un à l'autre état. § 19. Voilà donc ce que nous avions à dire pour montrer que les nuages ne se forment pas dans la région supérieure non plus qu'aucune concrétion d'eau, et pour expliquer ce que semble être l'espace compris entre les astres et la terre et de quel corps il doit être rempli. Quant à la chaleur que produit le soleil, il convient davantage d'en parler spécialement et en détail dans les traités sur la sensation ; car la chaleur n'est qu'une affection de la sensibilité. Mais nous devons dire ici par quelle cause elle est produite, bien que les astres qui la produisent ne soient pas chauds eux-mêmes. § 20. Nous voyons certainement que le mouvement peut diviser l'air et l'enflammer, à tel point que les corps emportés par un mouvement rapide paraissent souvent se liquéfier. La révolution seule du soleil suffit donc pour que la sécheresse et la chaleur se produisent; car il faut que ce mouvement soit rapide et ne soit point éloigné. La révolution des astres est rapide ; mais elle est à grande distance ; celle de la lune est inférieure, mais elle est lente. Celle du soleil réunit les deux caractères en une juste proportion. Ce qui peut nous faire croire avec pleine raison que la chaleur se produit surtout par le soleil même, c'est ce que nous apprend l'observation de phénomènes tout pareils qui se passent près de nous. Ainsi nous voyons sur notre terre que l'air devient très chaud là où il est en contact avec des corps mus très violemment; et c'est tout simple, puisqu'alors le mouvement du corps solide divise l'air extrêmement. § 21. C'est donc encore pour cette cause que la chaleur arrive dans le lieu que nous habitons, et aussi parce que le feu ambiant est déchiré continuellement par le mouvement, et qu'il est violemment projeté en bas. Ce qui prouve de reste que la région supérieure n'est ni chaude ni enflammée, ce sont les courses que les astres fournissent; car ce n'est pas là qu'ils font leurs révolutions, mais c'est en bas, bien que les corps dont le mouvement est le plus rapide soient aussi les plus prompts à s'enflammer. Il faut ajouter que le soleil qui est surtout chaud parait être blanc et n'a pas la couleur du feu. [1,4] CHAPITRE IV. § 1. 342 Ceci posé, disons par quelle cause apparaissent dans le ciel les flammes ardentes, les étoiles qui filent et les phénomènes qu'on appelle aussi quelquefois des torches, et des chèvrons. Tous ces phénomènes sont identiques et se produisent par la même cause. Ils ne diffèrent que du plus ou moins. En voici du reste le principe, ainsi que de beaucoup d'autres. § 2. La terre étant échauffée par le soleil, il faut nécessairement que l'exhalaison soit, non pas simple, comme l'affirment quelques-uns, mais double : l'une qui tient plutôt de la vapeur, l'autre qui tient davantage du vent. La première qui vient de l'humide répandu dans la terre et sur la terre, est comme de la vapeur; la seconde qui vient de la terre même, laquelle est sèche, est comme de la fumée. De ces deux émanations, celle qui se rapproche du vent reste à la surface parce qu'elle est légère, l'autre qui est plus humide reste en dessous par son poids même. § 3. C'est là ce qui fait que l'enveloppe est arrangée de cette façon : d'abord au-dessous de la révolution circulaire se trouvent le chaud et le sec que nous appelons le feu ; car nous n'avons pas de terme commun qui exprime toutes les espèces de cette sécrétion fumeuse. Mais comme de tous les corps c'est celui qui naturellement est le plus inflammable, il faut nécessairement se servir pour le désigner des mots reçus. Puis au-dessous de cette nature ignée, se trouve l'air. § 4. Il faut penser que, comme une matière inflammable, ce que nous appelons ici le feu s'étend jusqu'à l'extrémité de la sphère qui entoure la terre, de telle sorte que le moindre mouvement qu'il reçoit lui suffit, comme à la fumée, pour s'enflammer perpétuellement; car la flamme n'est que l'incandescence d'un air sec. § 5. Quand cette composition se trouve dans les conditions les plus convenables, elle s'enflamme du moment qu'elle vient à être mise en un mouvement quelconque par la circonférence. Il n'y a donc ici de différence que pour la situation et la quantité de la matière inflammable. Si cette matière inflammable a longueur et largeur, on voit souvent la flamme qui brûle comme celle du chaume dans un sillon. Si elle n'a que longueur, on voit alors se produire ce qu'on nomme torches, chèvrons, étoiles filantes. § 6. Si la matière inflammable a plus de longueur que de largeur, et qu'elle jette des étincelles en brûlant, ce qui arrive parce qu'elle est consumée à fond bien que petit à petit, c'est ce qu'on nomme une chèvre ou chèvron; et quand cette circonstance ne se produit pas, c'est une torche. Si au contraire l'exhalaison est divisée dans sa longueur en petites et nombreuses parties et qu'elle soit égale en largeur et profondeur, ce sont alors ces étoiles qui semblent traverser le ciel et filer. § 7. Parfois donc l'exhalaison enflammée par le mouvement produit ces phénomènes; parfois la chaleur est repoussée et chassée par l'air 342a condensé à cause du froid ; et c'est ce qui fait que leur mouvement ressemble plutôt à une chose qu'on jette qu'à une chose qui brûle, à un jet qu'à une combustion. § 8. Ici l'on pourrait se faire une question. Une évaporation placée sous des lampes fait descendre la flamme supérieure à la lampe inférieure, qui s'allume sur le champ ; et l'on peut remarquer que la rapidité de ce mouvement est étonnante et ressemble à une sorte de jet, sans que d'ailleurs les choses se passent comme si les feux de l'une et de l'autre étaient différents; de même, peut-on se demander, les courses des météores ignés ne sont-elles pas des jets d'un même corps? § 9. Ces phénomènes, à ce qu'il semble, peuvent être produits par ces deux causes. Ainsi, ou il arrive parfois que les choses se passent comme dans le fait de la lampe, ou parfois les phénomènes ignés sont lancés par une sorte de répulsion, comme des noyaux que l'on presse entre les doigts; et il semble alors qu'ils tombent soit dans la mer, soit sur la terre, de jour, de nuit et par un temps serein. § 10. S'ils sont lancés en bas, c'est parce que la condensation qui les pousse tend toujours à aller en bas. C'est aussi la même cause qui fait que la foudre tombe; car si tous ces phénomènes se produisent, ce n'est pas une combustion qui les cause, c'est une division par compression, puisque tout ce qui est chaud tend naturellement à se porter en haut. § 11. Ainsi donc tous les phénomènes qui se forment dans la région supérieure, plus que partout ailleurs, viennent de ce que l'exhalaison s'enflamme ceux qui se forment plus bas viennent de ce qu'elle se divise, parce que l'exhalaison plus humide se réunit et se refroidit. Se réunissant ainsi et tendant vers le bas, elle pousse par sa condensation la chaleur en bas et la projette en ce sens. § 12. Mais la position de l'exhalaison, selon qu'elle est en largeur ou en profondeur, fait qu'elle est portée, soit en haut, soit en bas, soit obliquement. La plupart du temps la direction est oblique, parce que les directions sont doubles, l'une violente en bas, l'autre naturelle en haut; car tous ces phénomènes suivent une marche diagonale, et c'est là ce qui fait que la direction des étoiles filantes est presque toujours oblique. § 13. On peut donc dire que la cause de tous ces phénomènes, c'est l'exhalaison comme matière; et que comme moteur, c'est tantôt la révolution supérieure et tantôt la contraction de l'air condensé. Tous d'ailleurs se passent au-dessous de l'orbite de la lune; et ce qui le prouve bien, c'est leur rapidité, qui nous paraît toute pareille à celle des objets que nous lançons ici-bas, et qui, rapprochés de nous comme ils le sont, nous semblent l'emporter de beaucoup en vitesse sur les étoiles, la lune et le soleil. [1,5] CHAPITRE V. § 1. On voit assez souvent se former dans le ciel pendant les nuits sereines, des apparitions de divers genres, qui ressemblent à des gouffres, à des trous, à des couleurs de sang. La cause en est tout à fait 343 la même; en effet puisqu'évidemment dans la région supérieure l'air est fait de telle sorte qu'il peut s'enflammer, et que sa combustion ressemble tantôt à une simple flamme tantôt à des torches qu'on agite, tantôt à des étoiles filantes, il n'y a rien d'étonnant que ce même air puisse par sa composition prendre toute espèce de couleurs. § 2. Ainsi la lumière paraît beaucoup plus faible quand elle est vue à travers un corps plus dense; et l'air, en recevant une réfraction, formera toute espèce de couleurs mais surtout de l'écarlate et du pourpre, couleurs qui naissent le plus ordinairement de la couleur de feu et de celle du blanc, quand on les mêle et qu'on les superpose en les rapprochant l'une de l'autre ; de même que les astres, soit à leur lever soit à leur coucher, paraissent écarlates quand il fait très chaud ou qu'on les regarde à travers la fumée. C'est aussi ce que produira l'air par la réfraction, quand il fait miroir de telle sorte qu'il reçoive non pas la figure mais la couleur. Mais la combinaison est si rapide qu'elle est cause que ces phénomènes ne durent pas longtemps. § 3. Quand la lumière vient à se briser par la rupture du bleu et du noir, il se forme comme des abîmes qui semblent avoir une sorte de profondeur. Souvent aussi il sort de ces abîmes des torches, surtout quand la masse se resserre ; et l'abîme semble surtout se former quand elle se rétrécit. En général, le blanc sur le noir produit les effets les plus variés, tout comme la flamme dans la fumée. Durant le jour, le soleil empêche de les voir ; et la nuit, les autres teintes, si l'on en excepte l'écarlate, ne se voient pas à cause de l'uniformité de leur couleur. § 4. Telles sont donc, à ce qu'on peut croire, les causes des étoiles filantes, des météores ignés, et de tous les autres phénomènes analogues qui font de si rapides apparitions. [1,6] CHAPITRE VI. § 1. Parlons maintenant des comètes et de ce qu'on appelle la voie lactée, après avoir d'abord discuté les opinions de nos devanciers. Anaxagore et Démocrite prétendent que les comètes sont une conjonction de planètes ou d'astres errants, quand ils semblent se toucher les uns les autres par la proximité où ils sont. § 2. Quelques philosophes Italiques et quelques-uns de ceux qu'on appelle Pythagoriciens assurent que la comète est une des planètes, laquelle n'apparaît qu'à un très long intervalle et dont l'ascension est fort petite ; ce qu'on voit aussi pour la planète de Mercure; comme elle ne s'élève que fort peu sur l'horizon, elle souffre de très fréquentes éclipses, ce qui fait qu'on ne l'aperçoit que de loin à loin. § 3. Hippocrate de Chios et son disciple Eschyle ont avancé une opinion qui se rapproche beaucoup 343a de celle-là. Seulement, ils ajoutent que la queue ne vient pas de la comète elle-même, mais qu'elle la prend quelquefois dans sa course à travers l'espace, parce que notre vue se réfracte vers le soleil par l'humidité même que la comète a entraînée avec elle. § 4. Suivant eux, c'est parce que sa révolution est très lente qu'elle paraît à de plus grands intervalles de temps que les autres astres; car lorsqu'elle paraît, c'est que son cercle entier est accompli. Elle l'accomplit soit vers le nord soit vers le sud. Dans l'espace compris entre les tropiques, elle ne peut attirer d'eau vers elle, parce que le mouvement du soleil y a consumé toute l'humidité. Mais quand elle est portée vers le sud, elle y trouve abondance de cette humidité; et comme la partie supérieure du cercle est petite, et que celle du bas est considérable, la vue des hommes ne peut se porter en se réfractant vers le soleil, ni lorsque le soleil s'approche du sud, ni lorsqu'il est dans les tropiques méridionaux ou le solstice d'été. § 5. C'est là ce qui fait, ajoutent ces philosophes, que la comète ne se montre jamais dans ces lieux. Mais lorsque dans sa course elle se trouve au nord, elle y prend une chevelure, parce qu'alors la circonférence qui est au-dessus de l'horizon est considérable, tandis que la partie inférieure du cercle est petite; ce qui fait que la vue des hommes peut alors se diriger facilement vers le soleil. § 6. Toutes ces opinions présentent des impossibilités, dont quelques-unes sont communes à tous ces systèmes, et dont les autres sont spéciales. Ainsi d'abord ceux-là se trompent qui prétendent que la comète est un des astres errants, c'est-à-dire une planète; car tous les astres errants accomplissent leur révolution dans le cercle du zodiaque, et l'on a vu beaucoup de comètes en dehors de ce cercle. En outre, on en a vu souvent plus d'une à la fuis. § 7. Il faut ajouter que si c'est la réfraction qui produit la chevelure, comme le veulent Eschyle et Hippocrate, il faudrait qu'on vit aussi quelquefois cette espèce d'astre sans chevelure, puisqu'elle parcourt aussi d'autres lieux, et qu'elle ne retient pas une chevelure partout. Or, on ne connaît maintenant que cinq astres ou planètes: et souvent ils ont été visibles tous les cinq au-dessus de l'horizon en même temps ; et soit qu'ils fussent tous visibles, soit que tous étant au-dessus de l'horizon quelques-uns fussent trop près du soleil pour être vus, on a pu observer souvent que les comètes ne s'en montraient pas moins. § 8. Il n'est même pas vrai, comme on le dit, que la comète ne se fasse voir qu'au nord, et quand en même temps le soleil est au tropique 344 d'été. Ainsi la grande comète qui a été vue à l'époque du tremblement de terre en Achaïe, et de l'inondation maritime, commença sa course ascensionnelle à partir du coucher des équinoxes; et l'on en a déjà observé plusieurs au sud. Sous l'archontat d'Euclès, fils de Molon, à Athènes, une comète parut au nord dans le mois de Gamélion, quand le soleil était au tropique d'hiver; et pourtant ces mêmes astronomes reconnaissent qu'il est impossible qu'il y ait réfraction à une aussi grande distance. § 9. Ce qu'il y a encore à dire de commun contre eux, et contre ceux qui prétendent que la comète n'est qu'une conjonction d'astres qui se touchent, c'est qu'il y a des étoiles fixes qui parfois prennent une queue. Et ceci, nous n'avons pas à l'affirmer uniquement sur la foi des Égyptiens, qui rendent aussi ce témoignage ; nous l'avons observé nous-même. Une des étoiles placées dans la cuisse du Chien avait une chevelure, peu brillante il est vrai, et l'éclat en devenait peu visible quand on fixait longtemps les regards ; mais elle l'était davantage quand on la regardait un peu de côté. § 10. Il faut dire encore que toutes celles que nous avons vues ont disparu sans se coucher, au-dessus de l'horizon, s'éteignant petit à petit, de telle sorte qu'il ne restait le corps ni d'un astre ni de plusieurs; et c'est ainsi que ce grand astre dont nous venons de parler parut en hiver pendant la gelée et par un temps serein à l'occident, sous l'archontat d'Astéïus. Le premier jour on ne le vit pas, parce qu'il se couchait avant le soleil ; mais on le vit le lendemain. Sa révolution fut aussi courte que possible, et il se coucha sur le champ. Son éclat s'étendait, comme un jet, jusqu'au tiers du ciel, et c'est ce qui fit qu'on l'appela le Chemin. Il monta jusqu'à la ceinture d'Orion, et là il s'évanouit. § 11. Pourtant Démocrite n'en défend pas moins avec ardeur et complaisance son opinion. Il prétend qu'on a vu quelques planètes quand les comètes se dissolvent. Mais il faudrait que cette apparition se produisit toujours, et non pas que tantôt elle se produisit et tantôt ne se produisit pas. Les Égyptiens prétendent à ce sujet qu'il y a des planètes qui entrent en conjonction soit entre elles soit aussi avec les étoiles fixes; et. nous-mêmes nous avons vu deux fois déjà la planète de Jupiter entrer en conjonction avec une des étoiles qui sont dans les Gémeaux, et la cacher, sans que d'ailleurs il se formât de comète. § 12. Ceci d'ailleurs est évident rien que par le raisonnement. Les planètes, soit qu'elles paraissent plus grandes, soit qu'elles paraissent plus petites, n'en doivent pas moins être indivisibles en elles-mêmes. De même donc que si elles étaient réellement indivisibles, elles ne formeraient point de grandeur en se touchant et en se réunissant, de même, puisqu'elles ne sont pas indivisibles mais ne font que le paraître 344a, elles ne peuvent pas paraître même en se réunissant avoir une grandeur plus considérable. § 13. Ainsi donc que les causes indiquées par les astronomes soient fausses, c'est ce que montre suffisamment ce que nous avons dit, bien qu'on eût pu développer davantage ces objections. [1,7] CHAPITRE VII. § 1. Comme pour les choses qui échappent à nos sens, nous croyons les avoir démontrées d'une manière suffisante pour notre raison, quand nous sommes arrivés à faire voir qu'elles sont possibles, on doit croire qu'il peut en être surtout ainsi pour les phénomènes que nous étudions maintenant. § 2. En effet, nous avons supposé que pour le monde qui enveloppe la terre et qui est au–dessous de la révolution circulaire, la première partie se compose d'une exhalaison sèche et chaude. Or cette exhalaison elle-même, et une grande partie de l'air inférieur qui lui est continu, sont emportés autour de la terre par la révolution et le mouvement circulaire. Entraînée et mue de cette sorte, là où elle est convenablement mélangée, elle s'enflamme souvent; et c'est là ce qui nous fait croire aux courses des astres errants. § 3. Lors donc que, par suite du mouvement des substances d'en haut, un principe igné vient à tomber dans une telle condensation, sans que ce principe soit assez considérable pour qu'il cause aussitôt une inflammation rapide et forte, ni tellement faible qu'il s'éteigne rapidement, mais qu'il soit suffisamment puissant et suffisamment étendu et lorsqu'en même temps une exhalaison bien mélangée vient à s'élever d'en bas, alors cette coïncidence produit une comète, un astre chevelu, qui prend d'ailleurs la forme quelle qu'elle soit de cette exhalaison. Si l'exhalaison est partout également répandue, c'est une comète simple; si elle est étendue en longueur, on l'appelle une comète à queue. § 4. De même donc que la révolution de la comète paraît être la révolution d'un astre, de même aussi son état stationnaire semble être tout à fait celui d'un astre également. Ce qui se produit alors est à peu près comme si l'on jetait une torche dans un grand tas de paille, ou si l'on y mettait simplement une petite étincelle de feu. La course de ces astres ressemble absolument à ce phénomène de combustion; et suivant la bonne disposition des combustibles, l'inflammation s'étend bien vite en longueur. Si le phénomène subsistait et ne s'éteignait pas si tôt dans son passage, la fin de sa course serait le début même de sa révolution, là surtout où le combustible est plus dense. Ainsi une comète est un astre, on pourrait dire la course d'un astre, qui a en soi sa fin et son origine. § 5. Lors donc que c'est sous la région inférieure elle-même que se forme la concrétion, la comète apparaît par elle seule. Mais lorsque c'est au-dessous d'un des astres, soit fixe soit planète, que l'exhalaison se condense par le 345 mouvement, alors c'est une de ces étoiles qui devient comète. Car la chevelure ne tient pas aux astres eux-mêmes; mais elle est pareille aux halos qui paraissent autour du soleil et de la lune et qui les accompagnent, bien que ces astres se déplacent quand l'air est tellement condensé que ce phénomène se forme au-dessous de la marche du soleil. De même aussi la chevelure est pour ces sortes d'étoiles, comme une sorte de halo. § 6. La seule différence, c'est que le halo n'a sa couleur qu'à cause de la réfraction, tandis que pour les comètes la couleur paraît être en elles. Lors donc qu'une semblable concrétion se fait autour d'une étoile, il faut nécessairement que la comète semble animée du même mouvement qu'a cette étoile elle-même. Quand au contraire la comète se forme d'elle seule, alors elle paraît être distancée et rester en arrière. Car telle est la marche du monde qui environne la terre. § 7. Ce qui prouve surtout que la comète n'est pas une réfraction de la lumière, qui comme le halo se produit relativement à l'astre lui-même dans le combustible pur, et que ce n'est pas relativement au soleil, comme le prétend Hippocrate, c'est que la comète se forme souvent toute seule et plus souvent qu'elle ne se forme autour de certains astres spéciaux. Nous nous réservons de dire plus tard la cause du halo. § 8. Mais ce qui doit faire croire que la composition des comètes est ignée, c'est que leur apparition annonce le plus souvent des vents et des sécheresses. II est évident qu'elles se produisent, parce qu'une sécrétion considérable de ce genre a lieu et rend l'air nécessairement plus sec, et que par la quantité même de l'exhalaison chaude, l'humide qui s'évapore, se divise et se dissout à ce point qu'il ne peut plus se convertir facilement en eau. Nous expliquerons d'ailleurs plus clairement ce phénomène, quand le moment sera arrivé de parler aussi des vents. § 9. Lors donc que les comètes sont grosses et fréquentes, les années, comme nous venons de le dire, sont manifestement sèches et venteuses. Quand elles sont plus rares et d'une moindre grandeur, ces changements atmosphériques ne se présentent pas aussi complètement ; mais pourtant il y a toujours une augmentation de vent, soit pour la durée soit pour la violence. Ainsi, la pierre qui tomba de l'air à Aegospotamos avait été enlevée durant le jour par la force du vent; et une comète apparaissait aussi à l'occident. § 10. Et à l'époque de la grande comète, l'hiver était sec, le vent au nord; et ce fut la lutte des vents qui causa l'inondation dans le golfe 345a. C'était le vent du nord qui soufflait sans interruption, et hors du golfe c'était un grand vent du sud. Il y a plus : sous l'archontat de Nicomaque, à Athènes, une comète se montra, durant quelques jours, dans le voisinage du cercle équinoxial ; elle ne s'était point levée au couchant; et elle coïncida avec le fameux vent de Corinthe. § 11. Ce qui fait que les comètes ne sont ni très nombreuses ni très fréquentes entre les tropiques, et qu'elles se montrent en dehors des tropiques plutôt qu'en dedans, c'est le mouvement du soleil et des astres, qui non seulement divise la chaleur, mais qui de plus dissipe celle qui s'est agglomérée. Mais la cause principale, c'est que la plus grande partie va se rassembler dans la voie lactée. [1,8] CHAPITRE VIII. § 1. C'est ici qu'il faut dire comment se forme la voie lactée, par quelle cause elle se forme et ce qu'elle est. Mais auparavant, parcourons encore pour cette question les explications données par les autres. § 2. Quelques-uns des philosophes appelés Pythagoriciens prétendent, ceux-ci, que c'est la route d'un des astres qui sont tombés suivant la direction appelée la Chute de Phaéton; ceux-là, que c'est le soleil même qui suivait jadis cette route, tellement que cet espace a été en quelque sorte brûlé et affecté d'une façon analogue par le passage de cet astre. § 3. Mais il est absurde de ne pas voir que si c'était là la cause de la voie lactée, il faudrait à bien plus forte raison encore que le cercle du Zodiaque fût en cet état; car toutes les planètes se meuvent dans ce cercle et non le soleil tout seul. Or, le cercle tout entier nous est visible, puisque dans la nuit nous en voyons toujours la moitié; pourtant il ne nous présente aucune modification de ce genre, si ce n'est dans sa très-faible partie qui touche le cercle de la voie lactée. § 4. Anaxagore et Démocrite assurent que la voie lactée n'est que la lumière de quelques étoiles. Selon eux, le soleil dans sa course sous la terre n'éclaire pas certaines étoiles. Celles qu'il éclaire perdent leur éclat et ne peuvent plus être visibles à cause de ses rayons resplendissants ; celles au contraire qui par suite de l'interposition de la terre ne sont plus éclairées par le soleil, produisent par leur lumière propre ce qu'on appelle la voie lactée. § 5. Il est tout aussi évident que cette explication n'est pas plus possible que l'autre. La voie lactée se montre toujours dans les mêmes étoiles et la même, et elle se montre comme un très grand cercle. Mais les astres qui ne sont pas visibles à cause du soleil, sont toujours différents, parce qu'ils ne restent pas dans le même lieu. Il faudrait par conséquent que la voie lactée se déplaçât quand le soleil se déplace; et nous n'observons rien de pareil. § 6. De plus 346, si comme on le démontre dans les théorèmes d'astronomie, la grandeur du soleil est beaucoup plus considérable que celle de la terre, et la distance des étoiles à la terre beaucoup plus grande que celle du soleil, de même que celle du soleil à la terre est plus grande que celle de la lune, le cône lumineux qui vient du soleil ne doit pas réunir ses rayons bien loin de la terre, et l'ombre de la terre que l'on appelle la nuit ne peut pas aller jusqu'aux astres. Mais il faut nécessairement dans cette hypothèse que le soleil éclaire tous les astres, et que la terre ne s'interpose pour aucun d'eux. § 7. Reste une troisième opinion sur la voie lactée. C'est celle de quelques astronomes qui prétendent que la voie lactée n'est pas autre chose qu'une réfraction de notre vue à l'égard du soleil, tout comme cela est pour la comète. § 8. Cette explication est tout aussi insoutenable que les autres. En effet, si l'on suppose en repos et l'œil qui voit, et le miroir et l'objet lui-même qui est vu, il faut que la même partie de l'image se montre dans le même point du miroir. Mais si le miroir et l'objet visible viennent à se mouvoir, en restant toujours à la même distance de l'œil qui demeure en place, et que le miroir et l'objet ne se meuvent point l'un par rapport à l'autre avec la même vitesse ni avec le même intervalle, il est impossible que la même image paraisse dans la même partie du miroir. § 9. Or les astres qui font leurs révolutions dans le cercle de la voie lactée, sont en mouvement, comme y est le soleil, relativement auquel a lieu la réfraction de notre œil qui reste immobile. Ces astres restent toujours également et semblablement éloignés de nous, bien qu'ils ne conservent pas entre eux une distance toujours égale. Ainsi c'est tantôt au milieu de la nuit, et tantôt le matin que le Dauphin se lève, et les diverses parties de la voie lactée restent les mêmes à chacun de ses levers. Et cependant c'est ce qui ne devrait point arriver, si la voie lactée n'était qu'une image et une apparence, et si ce phénomène n'était pas quelque modification propre aux lieux eux-mêmes. Il faut ajouter que durant la nuit on peut observer la voie lactée se réfléchissant dans l'eau et dans d'autres miroirs de ce genre; et comment est-il possible alors que la vue se réfracte vers le soleil? § 10. Tout ceci prouve donc que la voie lactée n'est ni la route d'aucune planète, ni la lumière d'astres que nous ne verrions pas, ni une réfraction. Ce sont à peu près là toutes les opinions qui jusqu'ici ont été émises par les autres philosophes. § 11. Maintenant exposons la nôtre, en reprenant le principe que nous avons posé antérieurement, à savoir, que l'extrémité de ce qu'on appelle l'air a la puissance et la propriété du feu, de sorte que par le mouvement de l'air divisé se forme cette combinaison séparée que nous nommons les comètes. § 12. On doit supposer que ce qui arrive pour les comètes, se représente aussi lorsque cette division 346a ne se produit pas par elle seule, mais qu'elle est causée par quelqu'un des astres soit fixes soit errants. C'est alors que se forment les comètes, parce qu'elles viennent à la suite du mouvement des astres, comme à la suite du soleil se produit cette combinaison d'où vient par réfraction le halo, ainsi que nous l'avons dit, toutes les fois que l'air est ainsi mélangé. § 13. Or, ce qui se passe pour un seul astre, a lieu aussi, du moins on peut le supposer, pour le ciel tout entier et pour toute la révolution supérieure ; car il est rationnel de croire que si le mouvement d'un seul astre peut amener ce phénomène, à plus forte raison le mouvement de tous peut-il causer cet effet, et produire de la flamme, et très particulièrement dans ce lieu où se trouvent réunis les plus grands des astres, les plus pressés et les plus nombreux. § 14. Le lieu du Zodiaque par le mouvement du soleil et des planètes dissout cette combinaison; et voila pourquoi la plupart des comètes se forment en dehors des tropiques. C'est là aussi ce qui fait que le soleil et la lune n'ont jamais de chevelure; car ils dissolvent la combinaison avant que la concrétion n'ait pu se former. §15. Mais le cercle dans lequel se montre à nos observations la voie lactée est immense; et sa position est telle qu'il dépasse de beaucoup les tropiques. § 16. De plus ce lieu est rempli des astres les plus grands et les plus brillants, et de ceux qu'on appelle parsemés ou errants, et cela même est parfaitement visible à nos yeux, de telle sorte que c'est à cause de ces astres que continûment et toujours s'accumule toute cette combinaison. § 17. En voici la preuve. La plus vive lumière de ce cercle se montre dans celle des deux demi-circonférences qui contient la bifurcation ; or dans cette partie, il y a beaucoup plus d'astres, et ils sont plus pressés que dans l'autre, comme si le mouvement même des astres était peut-être la seule cause de l'éclat de la voie lactée ; car si cet éclat est dans le cercle où se présente le plus grand nombre des astres, et dans cette partie même du cercle où les astres les plus grands et les plus nombreux se réunissent et se condensent, il est naturel de supposer que c'est là la cause la plus probable et la plus directe du phénomène. § 18. On peut étudier ce cercle et les astres qu'il renferme d'après le dessin ci-joint ; mais quant aux astres qu'on appelle parsemés ou errants, on n'a pu les marquer ainsi dans la sphère, parce qu'aucun d'eux n'a une place parfaitement évidente et définitive; mais les choses sont de toute évidence pour peu qu'on jette les yeux sur le ciel. § 19. C'est dans ce cercle tout seul en effet que les espaces intermédiaires sont remplis d'astres de ce genre, tandis que dans les autres cercles ces astres manquent 347 évidemment; et par conséquent, si nous admettons comme suffisante la cause que nous avons assignée à la formation des comètes, nous devons aussi penser que les choses se passent à peu près de même pour la voie lactée. § 20. En effet le phénomène que la chevelure produit pour un seul astre, se répète, nous pouvons le croire, de la même façon pour tout un cercle; et la voie lactée, est, pour en donner une sorte de définition, la chevelure d'un très grand cercle causée par la sécrétion. C'est là ce qui fait, ainsi que nous l'avons dit antérieurement, que les comètes ne sont ni nombreuses ni fréquentes, parce que la combinaison qui les forme a été séparée continûment et est toujours séparée à chaque période dans cette partie du ciel. § 21. Nous avons donc traité des phénomènes qui se manifestent dans le monde qui entoure la terre et qui fait suite aux révolutions supérieures, c'est-à-dire de la marche des étoiles, de la flamme qui y brûle, des comètes, et de ce qu'on nomme la voie lactée; car ce sont là tous les phénomènes à peu près qui se passent dans ce lieu. [1,9] CHAPITRE IX. § 1. Parlons maintenant du lieu qui par sa position est le second après celui-là, mais qui est le premier autour de la terre. C'est le lieu commun de l'eau et de l'air et des phénomènes qui accompagnent la formation de l'air et de l'eau dans la région supérieure. Il faut chercher également les principes et les causes de tous ces phénomènes. § 2. Le premier de ces principes, comme moteur et comme supérieur, c'est le cercle dans lequel évidemment la révolution du soleil, divisant et réunissant selon qu'il est plus rapproché ou plus loin, est cause de la génération et de la destruction des choses. La terre étant immobile, le liquide qui l'entoure vaporisé par les rayons du soleil et par toute la chaleur qui vient d'en haut, est porté vers le haut. § 3. Quand la chaleur qui l'a élevé vient à manquer, soit qu'elle se disperse dans la région supérieure, soit même qu'elle s'éteigne parce qu'elle est emportée plus loin dans l'air qui est au-dessus de la terre, la vapeur refroidie par la disparition de la chaleur et par le lieu se réunit de nouveau, et redevient eau, d'air qu'elle était; l'eau ainsi reformée est portée derechef vers la terre. § 4. L'exhalaison qui vient de l'eau est de la vapeur ; et l'exhalaison de l'air changée en eau, est un nuage. Le brouillard est le résidu de la conversion du nuage en eau ; et c'est là ce qui fait qu'il annonce du beau temps plutôt que de la pluie; car le brouillard est comme une sorte de nuage qui n'est pas formé. § 5. Du reste le cercle de ces phénomènes imite le cercle du soleil; car en même temps que le soleil poursuit sa course oblique et changeante, en même temps 347a l'autre cercle va aussi tour à tour en haut et en bas : et il faut le regarder comme un fleuve qui coule en haut et en bas circulairement, et qui est tout à la fois composé d'eau et d'air. § 6. Ainsi quand le soleil est proche, le fleuve de la vapeur coule en haut; quand il est éloigné, le fleuve de l'eau coule en bas ; et cela semble se faire sans interruption avec une certaine régularité, de telle sorte que cet Océan dont les anciens ont dit quelques mots, pourrait bien être pris pour ce fleuve qui circule autour de la terre. § 7. Le liquide étant toujours élevé par la puissance de la chaleur, et étant précipité de nouveau par le refroidissement vers la terre, on a donné des noms fort convenables à ces phénomènes et à quelques-unes de leurs variétés; quand les parties qui tombent sont très ténues, on les appelle ondée, et quand les parties sont plus grosses, on les appelle de la pluie. [1,10] CHAPITRE X. § 1. Cette partie de la vapeur qui se forme dans le jour, mais qui n'étant pas portée dans les hautes régions, parce qu'il y a une trop petite quantité de feu pour l'enlever comparée à la masse de l'eau qu'il enlève, retombe sur la terre de nouveau durant la nuit après s'être refroidie, est ce qu'on appelle la rosée et la gelée blanche. § 2. C'est de la gelée blanche, quand la vapeur se gèle avant d'être changée en eau; et elle se produit surtout l'hiver et dans les lieux froids. C'est de la rosée, quand la vapeur se convertit en eau, et qu'il ne fait ni assez chaud pour qu'elle se sèche dans son ascension, ni assez froid, pour que la vapeur elle-même se gèle, parce que le lieu ou bien la température est plus chaude. § 3. La rosée se produit dans les temps sereins et les lieux calmes ; la gelée blanche tout au contraire, comme je viens de le dire; car il est évident que la vapeur est plus chaude que l'eau, puisqu'elle contient encore le feu qui l'a élevée, et qu'il faut plus de froid pour la faire geler. § 4. Toutes les deux se forment par un temps pur et quand il n'a a pas de vent ; car si le temps n'était pas pur, elles ne pourraient s'élever en l'air, et elles ne pourraient se former si le vent soufflait; et ce qui prouve bien qu'elles se produisent parce que la vapeur n'a pas été élevée très haut, c'est qu'on ne voit jamais la gelée blanche sur les montagnes. § 5. Une première cause de ce phénomène, c'est que la vapeur s'élève des lieux profonds et humides, de telle sorte que la chaleur qui la transporte, comme si elle se chargeait d'un fardeau au-dessus de ses forces, ne peut l'élever à une grande hauteur, mais la laisse bientôt retomber. Une seconde cause, c'est que l'air qui s'écoule et qui détruit cette espèce de combinaison, s'écoule surtout dans les lieux élevés. § 6. La rosée se forme en tous lieux par les vents du sud et jamais par les vents du nord, si ce n'est dans le Pont, où le phénomène se passe à l'inverse : toujours avec les vents du nord, jamais 348 avec les vents du midi. C'est absolument la même cause qui fait qu'elle se produit par le beau temps et non par le mauvais; car le vent du sud amène le beau temps, et le vent du nord le mauvais; et ce dernier vent est assez froid pour éteindre par le mauvais temps la chaleur de l'exhalaison. § 7. Dans le Pont au contraire, le vent du midi ne produit pas assez décidément le beau temps pour que la vapeur se forme; et le vent du nord par sa froideur accumule la chaleur qu'il enveloppe, de manière à former bien plutôt davantage d'évaporation. § 8. C'est ce qu'on peut voir aussi dans les contrées en dehors du Pont. Les puits exhalent plus de vapeur par les vents du nord que par les vents du sud. Mais les vents du nord éteignent la chaleur avant qu'il ne s'en soit accumulé une grande quantité; les vents du sud, au contraire, laissent l'évaporation s'accumuler tant qu'elle veut. [1,11] CHAPITRE XI. § 1. L'eau elle-même ne se congèle pas sur la terre, comme dans la région des nuages; car c'est de cette région que nous viennent trois corps composés par le refroidissement : la pluie, la neige et la grêle. Deux de ces corps sont tout à fait analogues à ceux d'ici-bas et se forment par les mêmes causes; et ils n'en diffèrent que du plus au moins, et par la grandeur ou la petitesse. § 2. Ainsi la neige et la gelée blanche sont la même chose, comme le sont la pluie et la rosée; mais l'une est considérable, et l'autre est en petite quantité. La pluie vient d'une masse de vapeur refroidie; et la cause en est et l'étendue du lieu et la durée du temps dans lesquels elle s'accumule, et l'élément dont elle se forme. La rosée, au contraire, est peu considérable; sa composition ne dure qu'un jour, et le lieu où elle se forme est très petit, et ce qui le prouve, c'est la rapidité même avec laquelle elle se forme, et sa petite quantité. § 3. Mêmes rapports de la neige à la gelée blanche. Ainsi, quand c'est un nuage qui se gèle, c'est de la neige; quand c'est une vapeur, c'est seulement de la gelée blanche. Aussi est-ce toujours l'indice soit d'une température soit d'une région froide. En effet la congélation ne se serait pas faite, puisqu'il y a encore beaucoup de chaleur dans l'évaporation, si le froid ne l'eût emporté. C'est qu'en effet dans le nuage, il reste encore beaucoup de la chaleur venant du feu qui a vaporisé le liquide enlevé de la terre. § 4. C'est dans la région des nuages que se forme la grêle, et elle ne se forme jamais dans ce qui se vaporise près de la terre. Car, ainsi que nous l'avons dit, de même que dans le nuage se forme la neige, et qu'à terre se produit la gelée blanche, de même la pluie se produit dans le nuage aussi, et la rosée se produit à terre; mais si la grêle se forme dans les nuages, il n'y a pas sur terre de corps analogue à lui opposer. La cause en sera évidente quand nous aurons parlé de la grêle. [1,12] CHAPITRE XII. § 1. En même temps qu'on étudie les circonstances qui accompagnent la formation de la grêle, il faut tenir compte aussi de faits parfaitement certains et qui paraissent répugner à la raison. La grêle est de la glace, et l'eau ne gèle qu'en hiver. Or, la grêle est surtout fréquente au printemps 348a et à l'automne, puis ensuite à la fin de l'été, elle est rare en hiver ; et même alors, c'est toujours quand il fait moins froid. § 2. En général aussi, les grêles se produisent dans les lieux plus tempérés; les neiges, dans les lieux plus froids. En outre, il semble étrange que l'eau se congèle dans la région supérieure ; car il n'est pas possible qu'il y ait de la gelée avant qu'il n'y ait de l'eau; et il n'est pas possible que de l'eau reste, un seul instant, à la hauteur où elle serait alors élevée. § 3. Ce n'est pas non plus comme les gouttelettes des ondées, qui, grâce à leur ténuité, flottent en haut et reposent sur l'air; car de même qu'on voit souvent de la terre et de l'or, réduits en très petites parcelles, nager aussi sur l'eau, de même dans ce cas l'eau est portée sur l'air; mais quand beaucoup de petits particules se sont réunies, elles tombent en fortes ondées. § 4. Or, cela ne peut pas se passer ainsi pour la grêle; car les corps gelés ne se continuent pas et ne se réunissent pas entre eux comme les liquides. Il faut donc évidemment que toute cette eau soit restée en haut; car une si grande quantité n'aurait pu se geler. § 5. Aussi quelques-uns ont expliqué de la manière suivante la cause de ce phénomène et de sa production. Quand le nuage s'est retiré dans la région supérieure, qui est plus froide, parce que là cesse la réfraction des rayons solaires renvoyés de la terre, l'eau qui y parvient s'y congèle; et ils ajoutent que ce qui fait que la grêle est plus fréquente en été et dans les lieux chauds, c'est que la chaleur repousse alors les nuages plus loin de la terre. § 6. Un fait certain, c'est qu'il n'y a jamais de grêle dans les lieux très élevés; or, il le faudrait cependant d'après cette théorie, de même que nous voyons la neige tomber surtout sur les lieux les plus hauts. § 7. De plus, on a vu souvent des nuées portées près de la terre, produire un tel bruit qu'elles épouvantaient ceux qui les entendaient et les voyaient, par la crainte de quelque malheur plus grand. § 8. Parfois même sans que les nuées de ce genre fassent de bruit, on a vu la grêle tomber en abondance, et incroyablement grosse, et sans avoir du tout les formes arrondies, parce qu'elle n'avait pas été portée beaucoup de temps ; on aurait dit que la congélation s'était faite près de la terre, et non point du tout comme le prétendent les philosophes dont nous parlons. § 9. Il n'en est pas moins nécessaire que ce qui est cause d'une plus forte gelée, produise aussi des grêles considérables ; car la grêle est de la glace, ce qui ne peut faire évidemment de doute pour personne. Les fortes grêles sont celles qui n'ont pas du tout la forme ronde; et cette disposition même prouve que la congélation s'est faite non loin de la terre ; car les grêles qui sont apportées de grandes distances, et précisément parce qu'elles ont été longtemps fracassées de mille manières, prennent une forme arrondie et des dimensions moindres. §10. Ainsi 349 donc, il est parfaitement certain que la congélation ne se forme pas parce le nuage est poussé dans la région supérieure et froide. § 11. Mais de même que nous voyons qu'il y a une répercussion réciproque du chaud et froid, l'un par l'autre, puisque dans les temps chauds, les excavations souterraines paraissent froides, et chaudes au contraire dans les temps froids, de même nous devons croire que les choses se passent semblablement dans la région supérieure ; là aussi, durant les saisons plus chaudes, le froid répercuté en dedans par la chaleur circulaire, fait sortir vivement du nuage tantôt de la pluie et tantôt de la grêle. § 12. C'est là encore ce qui fait que les ondées sont beaucoup plus considérables dans les jours chauds qu'en hiver, et les pluies, beaucoup plus violentes; car on dit qu'elles sont plus violentes quand elles sont plus épaisses, et ce qui les rend plus épaisses c'est la rapidité de la condensation. § 13. Or, c'est là une circonstance tout à fait contraire à l'explication d'Anaxagore ; car il prétend que ce phénomène se produit quand le nuage monte dans l'air froid; et nous, nous soutenons que c'est quand il descend dans l'air chaud, et que ce phénomène est d'autant plus fort que l'air est plus chaud. Lorsque le froid est encore davantage répercuté en dedans par la chaleur du dehors, il gèle l'eau qu'il vient de produire et la grêle se forme; et c'est ce qui a lieu toutes les fois que la congélation est plus rapide que la chute de l'eau en bas. § 14. Car quelque court que soit le temps de cette chute, si le froid, par sa violence, la congèle encore plus vite, il se peut fort bien que l'eau soit gelée en l'air ; alors la congélation est plus rapide que le mouvement de descente. § 15. Il faut dire encore que plus la congélation est proche de la terre et épaisse, et les pluies violentes, ainsi que les ondées, plus les grêles sont considérables, parce que l'espace où elles sont portées est très petit. Et c'est aussi la même cause qui fait que les larges gouttes des ondées ne tombent pas serrées. § 16. La grêle se produit moins en été qu'au printemps et à l'automne, plus cependant qu'en hiver, parce que l'air est plus sec en été ; au printemps, il est humide encore, et à l'automne il le redevient. § 17. C'est là ce qui fait encore, comme on l'a dit, que les grêles ont lieu quelquefois à la fin de l'été. Ce qui contribue alors à la rapidité de la congélation, c'est que l'eau a été antérieurement échauffée ; et cela fait aussi qu'elle se refroidit plus vite. § 18. Voilà pourquoi bien des gens, quand ils veulent avoir promptement de l'eau fraîche, la mettent d'abord au soleil. C'est encore ainsi que les habitants du Pont, quand ils établissent leurs tentes sur la glace, pour se livrer à la chasse aux poissons, car ils les chassent en brisant la glace, versent de l'eau chaude 349a autour des perches pour qu'elle gèle plus vite ; et la glace leur sert comme de plomb pour consolider et arrêter leurs pieux. § 19. L'eau qui se forme dans les pays chauds et dans les saisons chaudes, devient bien vite tiède elle-même. C'est ainsi qu'en Arabie et en Éthiopie, les pluies tombent l'été et non point l'hiver ; elles y tombent par torrents et plusieurs fois le jour, et la cause en est la même. C'est que le froid se produit très vite par la répercussion, qui est d'autant plus violente que le pays est excessivement chaud. § 20. Voilà ce que nous avions à dire sur la pluie, la rosée, la neige, la gelée blanche et la grêle, pour en expliquer la cause et la nature. [1,13] CHAPITRE XIII. § 1. Parlons maintenant des vents et de tous les souffles, puis des fleuves et de la mer. Ici aussi nous proposerons d'abord nos propres doutes ; car, pour ces matières, pas plus que pour les autres, nous n'avons rien trouvé dans tout ce qui a été dit avant nous, que ne pourrait dire tout aussi bien le vulgaire et le premier venu. § 2. Quelques philosophes prétendent que ce qu'on nomme l'air, quand il est en mouvement et qu'il s'écoule est le vent, et que, quand ce même air se condense, il forme le nuage et l'eau, de sorte que l'eau et le vent sont de même nature, et que le vent n'est que le mouvement de l'air. § 3. C'est là aussi ce qui fait dire à ceux qui veulent parler doctement, que tous les vents ne sont qu'un seul et même vent, parce que l'air bien qu'en mouvement n'est tout entier qu'un seul et même air, et que s'il paraît avoir quelque différence, ce n'est qu'à cause de la différence des lieux d'où il s'écoule en tout sens. Cette théorie vaut bien celle qui soutiendrait que toutes les rivières ne sont qu'une seule rivière. § 4. Aussi l'opinion du vulgaire qui parle de ces choses sans aucune étude, semble-t-elle de beaucoup préférable à celle des gens qui en parlent d'après des études pareilles. § 5. Car si tous les fleuves coulent réellement d'une même source, et que les vents soient soumis à la même uniformité, ceux qui avancent ce système disent quelque chose de spécieux ; mais s'il en est pour les vents, comme nous voyons qu'il en est pour les fleuves, cette belle explication n'est évidemment qu'une erreur; et il nous reste toujours à savoir ce qu'est le vent, comment il se forme, quel est son moteur et quelle en est la cause originelle. Faut-il croire que le vent s'écoule comme d'un vase, et qu'il s'écoule jusqu'à ce que le vase soit vide, comme s'il sortait d'une outre? Ou bien faut-il croire, 350 comme nous les représentent les peintres, que les vents tirent leur principe d'eux-mêmes? § 6. Quelques-uns se font sur la formation des fleuves des idées tout à fait analogues. Selon eux, l'eau soulevée par le soleil et retombée en pluie se réunit sous la terre, d'où elle s'écoule comme d'un grand trou, unique pour tous les fleuves, ou de divers trous pour chacun d'eux; dans le sein de la terre il ne se forme pas d'eau; mais c'est l'eau qui, réunie par suite du mauvais temps dans ces réservoirs, forme la foule nombreuse des fleuves. § 7. C'est là aussi ce qui fait, ajoutent-ils, que les rivières sont toujours plus abondantes l'hiver que l'été, que les unes sont continuelles et les autres non continuelles. Celles pour qui la grandeur du trou a réuni une grande masse d'eau, qui suffit à les alimenter et à les entretenir jusqu'à ce que les pluies d'hiver reviennent, sont perpétuelles et coulent sans fin ; celles dont les réservoirs sont moindres, sont bientôt mises à sec à cause de la petite quantité d'eau, avant que la pluie du ciel n'arrive de nouveau, comme si le vase s'était vidé. § 8. Pourtant si quelqu'un veut, en faisant sous ses propres yeux comme un réservoir à l'eau qui tombe tous les jours continuellement, en connaître au juste la quantité, il est évident que cette quantité surpasserait la masse entière de la terre, ou du moins que toute l'eau reçue dans le cours de l'année ne serait pas loin de l'égaler. § 9. Or il est clair aussi que ce phénomène se reproduit sur bien des points de la terre à la fois; et il n'en serait pas moins absurde de croire que ce n'est pas la même cause qui produit l'eau venant de l'air et celle qui est sur la terre et dans la terre. Par conséquent, si dans l'atmosphère en effet c'est le froid qui change l'air vaporisé en eau, il faut bien aussi penser que c'est encore le froid renfermé dans la terre qui sous la terre produit le même effet, et que non seulement l'eau qui est divisée s'y infiltre et y coule, mais encore que ce phénomène a lieu sans interruption. § 10. Sans même que l'eau arrive dans la terre chaque jour, et en supposant qu'elle y est toute faite, l'origine des fleuves ne peut pas être telle qu'il y ait sous terre des lacs qui y ont filtré, comme le prétendent quelques-uns; mais de même que dans l'espace au-dessus de la terre de petites gouttes se réunissant ente elles, puis celles-là à d'autres, il en résulte à la fin une quantité considérable d'eau de pluie, de même aussi sous terre ce sont d'abord de petites parcelles qui se réunissent, et puis la terre s'égouttant en un seul point pour ainsi dire, c'est de là que sortent les fleuves. § 11. Le fait d'ailleurs le prouve bien. Quand on fait des conduites d'eau 350a , c'est par des fossés et des excavations qu'on la réunit, comme si la terre suait, à partir des points les plus élevés. Voilà pourquoi aussi les eaux des fleuves découlent des montagnes comme on le voit; la plupart des fleuves, et les plus grands fleuves descendent des montagnes les plus grandes; de même encore que la plupart des sources sont dans le voisinage des montagnes et des lieux élevés. § 12. Il n'y en a presque pas dans les plaines qui n'ont pas de fleuves; car les lieux montagneux et élevés, comme une énorme éponge suspendue, filtrent et réunissent l'eau peu à peu, mais sur une foule de points à la fois. § 13. Les montagnes reçoivent une grande quantité d'eau qui descend; car qu'importe que la circonférence de la terre soit creuse et plane ou inclinée et convexe? Des deux façons, elle n'en recevra pas moins la même masse dans l'épaisseur du corps qu'elle forme. De plus, les montagnes refroidissent la vapeur qui s'élève, et la convertissent de nouveau en eau. § 14. C'est ce qui fait, ainsi que nous venons de le dire, qu'on voit toujours les plus grands fleuves descendre des plus grandes montagnes; et c'est ce qui est parfaitement évident, quand on regarde les descriptions de la terre que l'on a tracées d'après les récits des autres, quand ceux qui en parlent n'ont pas pu observer les choses de leurs propres yeux. § 15. C'est ainsi qu'en Asie la plupart des fleuves et les plus grands descendent de la montagne qu'on appelle le Parnase, et qui est, comme tout le monde en convient, la plus haute de toutes les montagnes qui sont situées à l'orient d'hiver; en effet quand on l'a franchie, on découvre enfin la mer extérieure dont les limites ne sont pas très-connues aux habitants de ce pays. § 16. C'est de cette montagne aussi que découlent, entre autres fleuves, le Bactre, le Choaspe et l'Araxe, dont le Tanaïs n'est qu'une branche qui va se jeter dans le Palus Méotide. C'est de là aussi que sort l'Indus, qui est le plus considérable de tous les fleuves. § 17. Du Caucase sortent aussi beaucoup de fleuves d'une grandeur et d'une abondance énormes, et le Phase particulièrement. Le Caucase est de toutes les montagnes qui sont à l'orient d'été la plus importante par son étendue et sa hauteur. § 18. Ce qui prouve bien cette hauteur, c'est qu'on la découvre même du lieu appelé les Creux ou les gouffres, quand on navigue vers le Palus Méotide, et que les sommets sont éclairés par les rayons du soleil jusqu'au tiers de la nuit tant le matin que le soir; et ce qui prouve son étendue, c'est qu'ayant sur ses flancs beaucoup de contrées où habitent des nations nombreuses, et ayant, dit-on aussi, de vastes lacs, on peut encore jusqu'au dernier sommet apercevoir toutes ces contrées. § 19. De 351 la Pyrène (des monts Pyrénées), qui est la plus haute montagne dans la Celtique à l'occident équinoxial, découlent l'Ister et le Tartesse. Ce dernier se jette en dehors des colonnes d'Hercule; mais l'Ister, après avoir traversé toute l'Europe, vient se jeter dans le Pont-Euxin. § 20. La plupart des autres fleuves qui sont au nord descendent des monts Arcyniens, qui dans ce lieu sont les plus hautes et les plus vastes des montagnes. Sous la constellation même de l'Ourse, au-delà de l'externe Scythie, sont les monts appelés Rhipées, dont nous ne connaissons la grandeur que par des récits trop évidemment fabuleux. Et c'est aussi de ces monts que sortent la majeure partie et les plus grands de tous les fleuves après l'lster, à ce qu'on assure. § 21. Il en est tout à fait de même en Libye, où l'Aegon et le Nysès sortent des montagnes de l'Éthiopie ; et les plus grands cours d'eau parmi ceux qui ont reçu des noms, celui qu'on appelle le Chrémétés, qui se jette dans la mer extérieure, et en premier lieu le fleuve du Nil, sortent de la montagne appelée Argyre. § 22. Parmi les fleuves des contrées Helléniques, l'Achéloüs descend du Pinde, ainsi que l'Inachus. Le Strymon, le Nestus et l'Hébre descendent tous les trois du Scombros ; il y a aussi beaucoup de cours d'eau qui viennent du Rhodope. §. 23. On pourrait se convaincre que tous les autres fleuves ont une origine toute pareille, et nous n'avons nommé ceux-là que comme exemples à l'appui de notre opinion. Quant aux rivières qui sortent de lacs, il faut dire que ces lacs se sont presque tous formés par degrés successifs au-dessous des montagnes et des lieux élevés. § 24. On voit donc bien clairement qu'il ne faut pas croire que les fleuves se forment à leur origine en sortant de certains creux ; car l'espace de la terre n'y suffirait pas, pour ainsi dire, pas plus que l'espace même des nuages, s'il fallait que l'eau qui y est, fût seule à couler, sans qu'une partie s'en allât tandis qu'une autre se reforme, et qu'elle dût toujours sortir tout entière comme d'une source inépuisable. § 25. Cette circonstance que les fleuves ont leurs sources sous les montagnes, prouve bien que l'eau s'y réunit, et que le lieu l'accumule peu à peu par une multitude de rigoles ; et c'est ainsi que se forment les sources des rivières. § 26. Il n'y a rien d'ailleurs d'absurde à supposer qu'il existe aussi certains lieux qui, comme des lacs, renferment d'immenses quantités d'eau ; seulement il ne faut pas croire que ces lacs soient assez considérables pour alimenter des fleuves, pas plus qu'il ne faut prendre pour les sources totales des fleuves celles qu'on leur voit ; car la masse la plus forte des fleuves sort de sources. Cela reviendrait absolument à croire que ces lacs et ces sources forment à elles seules la masse totale de l'eau. § 27. Ce qui prouve qu'il y a bien des cavernes et des trous de ce genre dans la terre, 351a c'est l'absorption de certains fleuves. C'est un fait qu'on voit dans plusieurs parties de la terre, et l'on en trouve plus d'un exemple dans l'Arcadie du Péloponnèse. § 28. La cause de ce phénomène particulier, c'est que le pays qui est montagneux ne peut pas faire écouler les eaux des bas-fonds vers la mer. La contrée se remplit d'eau qui, n'ayant pas d'écoulement, se fraie un passage dans le sein de la terre, par la violence même de la masse liquide qui survient d'en haut. § 29. Il y a d'ailleurs peu de faits de ce genre dans toute la Grèce. Mais le lac qui est au pied du Caucase et que les habitants du lieu appellent la Mer, en offre des exemples évidents. En effet il reçoit des fleuves nombreux et considérables ; et comme il n'a pas d'écoulement, il est clair qu'il s'épanche sous terre par les Coraxes, aux environs des lieux appelés les Gouffres du Pont. Dans ces gouffres, la mer a une immense profondeur ; et la sonde n'a jamais pu en trouver le fond. § 30. Ce lac, à trois cents stades à peu près de la terre, donne de l'eau potable sur une vaste étendue qui n'est pas toute continue, mais qui se reproduit en trois endroits. § 31. Dans la Ligystique, un certain fleuve qui n'est pas moindre que le Rhône, est absorbé en terre, et il reparaît en un autre lieu ; or le fleuve du Rhône est navigable aux vaisseaux. [1,14] CHAPITRE XIV. § 1. Les mêmes lieux de la terre ne sont pas toujours humides ou secs ; mais leur constitution varie selon la formation ou la disparition des cours d'eau. C'est là ce qui fait que le continent et la mer changent aussi de rapport, et que les mêmes lieux ne sont pas toujours de la terre ou toujours de la mer. La mer vient là où était jadis la terre ferme ; et la terre reviendra là où nous voyons la mer aujourd'hui. § 2. Il faut croire d'ailleurs que ces phénomènes se succèdent, selon un certain ordre et une certaine périodicité. Le principe et la cause de ces mouvements, c'est que l'intérieur de la terre, tout comme les corps des plantes et des animaux, a ses époques de vigueur et de dépérissement. § 3. La seule différence c'est que dans les plantes et les animaux ces changements n'ont pas lieu en partie seulement, mais c'est l'être tout entier qui par une loi nécessaire fleurit, ou se meurt, tandis qu'au contraire pour la terre, ces changements ne se font que partiellement par le froid et par la chaleur. § 4. Le froid et la chaleur eux-mêmes s'accroissent ou diminuent par le soleil, et par le mouvement de révolution ; et c'est par le chaud et le froid que les diverses régions de la terre prennent une propriété différente, pouvant, durant un certain temps, rester humides, puis se desséchant et vieillissant ensuite. D'autres lieux revivent et redeviennent par portions successivement humides § 5. Or il y a nécessité, quand les lieux se dessèchent 352, que les sources en disparaissent, qu'à la suite de ce changement les fleuves de grands qu'ils étaient deviennent d'abord petits, puis, qu'ils finissent par se dessécher tout à fait, et par conséquent que ce déplacement des fleuves, disparaissant ici pour aller se reproduire proportionnellement ailleurs, change aussi la mer elle-même. § 6. En effet, là où gonflée par les fleuves, elle était toute pleine, il faut bien nécessairement quand elle se retire qu'elle laisse la terre à sec ; et là où remplie par les cours d'eau, elle s'était desséchée, il faut bien quand elle revient qu'il se forme de nouveau des lacs. § 7. Ce qui fait que ces phénomènes nous échappent, c'est que toute cette formation naturelle de la terre ne se fait que par additions successives et dans des temps immensément longs, si on les compare à notre existence; des nations tout entières disparaissent et périssent avant qu'on ne puisse conserver le souvenir de ces grands changements, de l'origine jusqu'à la fin. § 8. Les destructions des peuples sont les plus considérables et les plus rapides dans les guerres ; d'autres tiennent à des épidémies, d'autres à des famines ; et ces causes tantôt détruisent les peuples tout à coup, tantôt petit à petit. Aussi ne se rend-on pas compte des transmigrations de ces populations ; car tandis que les uns abandonnent la contrée, d'autres persistent à y rester jusqu'à ce que le sol ne puisse plus absolument y nourrir personne. § 9. Entre la première observation et la dernière, on doit croire qu'il s'est écoulé des temps si considérables que personne n'en a conservé le souvenir, et que ceux qui avaient pu être sauvés et qui sont restés ont tout oublié par la longueur même du temps. C'est de la même façon que nous échappe, à ce qu'on doit croire, l'époque du premier établissement des nations sur ces terrains qui changent et qui deviennent secs après avoir été marécageux et inondés. § 10. C'est qu'en effet cet accroissement du sol habitable, ne se fait que petit à petit et après de longs siècles, de sorte qu'on ne sait plus ni quels ont été les premiers occupants, ni à quelle époque ils sont venus, ni quel était l'état de la contrée quand ils y vinrent. § 11. C'est là justement ce qui est arrivé pour l'Égypte. Cette contrée semble avoir été toujours sèche, et le sol tout entier ne parait qu'une alluvion du Nil ; mais comme ce n'est qu'après le dessèchement successif des marais que les peuples voisins ont pu les habiter, l'éloignement des temps a fait perdre tout souvenir de l'origine. § 12. Aussi toutes les bouches du fleuve, si l'on en excepte une seule, celle de Canobe, paraissent-elles faites de main d'homme et non par le fleuve lui-même. Autrefois l'Égypte était ce qu'on appelle Thèbes aujourd'hui ; et c'est ce que prouve bien le témoignage d'Homère, qui était un témoin assez rapproché de ces changements. Il parle de 352a ce lieu comme si Memphis n'y existait point encore, ou du moins comme n'ayant point alors le développement qu'elle eut depuis. Et les choses doivent s'être vraisemblablement passées ainsi ; car les contrées du bas n'ont dû être habitées qu'après les contrées du haut. § 13. En effet les lieux plus rapprochés de l'alluvion ont dû nécessairement rester marécageux plus longtemps, parce que les eaux séjournent toujours davantage dans les lieux les plus bas. Puis cette disposition change, et le sol se rétablit ensuite. § 14. Car les lieux qui se sont séchés deviennent de plus en plus commodes, et les lieux qui jadis étaient les plus habitables, se desséchant outre mesure, le deviennent d'autant moins. § 15. C'est ce qui s'est produit dans la Grèce pour le pays des Argiens et celui des Mycéniens. En effet à l'époque de la guerre de Troie, la terre des Argiens qui était toute marécageuse, ne pouvait nourrir qu'un petit nombre d'habitants ; la Mycénie au contraire était alors en excellent état; et c'est là ce qui lui assurait plus de gloire. Aujourd'hui il en est précisément tout le contraire, par la cause que nous venons de dire. La Mycénie est devenue tout à fait stérile et sèche ; et les parties de l'Argolide qui jadis étaient stérilisées par l'inondation sont devenues extrêmement fertiles. § 16. Or ce qui est arrivé pour ce petit coin de terre, arrive précisément de la même façon, selon toute apparence, pour des lieux très étendus et pour des contrées tout entières. § 17. Ceux donc qui n'observent qu'imparfaitement, croient que la cause de ces phénomènes et de ces modifications réside dans le changement de l'univers et du ciel entier. Aussi affirment-ils que la mer diminue parce qu'elle se dessèche, et qu'on voit aujourd'hui plus de lieux ainsi changés qu'on n'en voyait autrefois. § 18. Il y a dans ces assentions du vrai et du faux. Il est bien vrai que plus de lieux sont à découvert aujourd'hui et changés en terre ferme, qui jadis étaient couverts par les eaux ; mais le contraire arrive aussi ; et en y regardant bien, on trouvera beaucoup de lieux que la mer a envahis. § 19. Ce n'est pas au principe même du monde qu'il convient d'attribuer ces phénomènes ; car il serait ridicule de croire que l'univers se meut par des changements si petits et si mesquins. La masse de la terre et sa grandeur est nulle si on la compare au ciel tout entier, absolument nulle. § 20. La cause que l'on pourrait peut-être assigner à tous ces faits, c'est que de même qu'à certaines époques fixes, l'hiver se produit dans les saisons de l'année, de même aussi se produit un grand hiver qui relève de quelque immense période, et qui amène une excessive abondance de pluies. § 21. Ce n'est pas du reste toujours dans les mêmes contrées que ce phénomène se manifeste, et c'est comme ce qu'on appelle le déluge de Deucalion. Ce déluge s'est étendu surtout sur les contrées helléniques, et parmi elles sur la vieille Hellade. § 22. La vieille Hellade est près de Dodone et de l'Achéloûs 353; car ce fleuve a souvent changé son cours. Les peuples qui habitaient jadis ces lieux étaient les Selles, et ceux qu'on appelait alors Grecs et qui on nomme aujourd'hui Hellènes. § 23. Lors donc qu'arrivent ces pluies énormes, il faut croire qu'elles suffisent pour très longtemps. C'est quelque chose d'analogue à ce qu'on observe pour les fleuves dans l'état présent des choses. Si les uns sont perpétuels et si les autres ne le sont pas, la cause en est, selon quelques philosophes, la dimension des cavernes souterraines, et selon nous, la grandeur des lieux élevés, leur densité et leur température froide, qui fait qu'ils reçoivent, gardent et produisent beaucoup d'eau, tandis que les pays qui n'ont au-dessus d'eux que de petits systèmes de montagnes, spongieuses, pleines de pierres et d'argile, sont les premiers desséchés. De même aussi il faut croire que les lieux qui reçoivent cet énorme amas d'eau en conservent comme une sorte d'humidité perpétuelle. § 24. Avec le temps, tel lieu se dessèche davantage, tel autre se dessèche moins, quand il a été bien inondé, jusqu'à ce qu'arrive de nouveau la révolution de cette grande période. § 25. Comme il y a nécessairement quelque changement de l'univers, sans qu'il y ait cependant pour lui ni naissance ni destruction, puisqu'il subsiste toujours, il y a une nécessité égale, ainsi que nous le soutenons, que les mêmes lieux ne soient pas toujours inondés par la mer ou les fleuves, et que les mêmes lieux ne soient pas toujours secs. Les faits sont là pour le prouver. § 26. Ainsi les Égyptiens, que nous reconnaissons pour les plus anciens des peuples, occupent un pays qui parait être et qui est tout entier l'œuvre du fleuve. C'est ce dont on peut se convaincre en observant leur contrée; et les bords de la Mer Rouge en sont un témoignage incontestable. § 27. Un de leurs rois essaya de creuser un canal ; car si toute la contrée était devenue navigable, les avantages qu'elle en aurait tirés eussent été considérables; et c'est Sésostris, dit-on, qui le premier parmi les anciens rois tenta cette entreprise. Mais il trouva que la mer était plus haute que la terre. Il cessa donc de faire creuser le canal, comme dut le faire plus tard aussi Darius, de peur que la mer, en venant à se mêler au fleuve, n'en supprimât complètement le cours. § 28. Il est donc évident que tous ces lieux n'étaient jadis qu'une mer continue. Et c'est là ce qui fait que la Libye et la contrée d'Ammon paraissent plus basses et plus creuses qu'elles ne devraient l'être relativement à la contrée inférieure. Mais il est clair que l'alluvion se formant, il y a eu stagnation des eaux et terre ferme, et qu'avec le temps l'eau qui était restée et qui avait fait marais, 353a est venue à se dessécher entièrement. § 29. Dans le Marais Méotide, les alluvions des fleuves ont été si considérables que les navires dont on s'y sert aujourd'hui, sont beaucoup plus petits qu'il y a soixante ans. Delà, on peut aisément conclure que dans l'origine ce marais a été comme beaucoup d'autres le produit des rivières, et qu'à la fin il deviendra sec tout entier. § 30. De plus, le Bosphore a toujours un courant à cause des alluvions; et l'on peut observer sans peine de ses propres yeux la façon dont les choses se passent. Lorsque le courant avait fait un rivage à partir de l'Asie, ce qui restait derrière devenait d'abord un petit marais, et ensuite se desséchait ; puis il se formait un autre rivage après celui-ci, et encore un autre marais après le premier. Et les choses ont eu lieu perpétuellement de la même manière. Ceci se répétant plusieurs fois, il a bien fallu qu'avec le temps, il se formât une sorte de fleuve, qui lui-même finira par se dessécher. § 31. II est clair par conséquent, comme le temps ne s'arrête pas et que l'Univers est éternel, que le Tanaïs et le Nil n'ont pas toujours coulé, et que le lieu où coulent aujourd'hui leurs eaux a jadis été sec; car leur action a une fin et le temps n'en a pas, et l'on peut appliquer cette même observation à tous les autres fleuves. § 32. Mais si les fleuves naissent et périssent, et si les mêmes lieux de la terre ne sont pas toujours couverts par les eaux, il faut nécessairement que la mer subisse les mêmes changements. Du moment que la mer abandonne certains lieux, et qu'elle revient en certains autres, il est bien clair que sur la terre ce ne sont pas toujours les mêmes contrées qui sont mers, ou qui sont continents , mais que toutes changent d'état avec les siècles. § 33. Ainsi donc nous avons prouvé que ce ne sont pas toujours les mêmes parties de la terre qui sont à sec, les mêmes qui sont navigables, et nous avons dit la cause de ces phénomènes. Enfin nous avons dit aussi pourquoi parmi les fleuves les uns sont perpétuels, et les autres ne le sont pas.