[9,0] LIVRE IX. [9,1] CHAPITRE PREMIER. (608b.11) 1 Les moeurs des animaux nous sont moins connues et moins observables quand leur existence est plus cachée et plus courte, que quand leur existence est plus longue. Les animaux ont naturellement une certaine faculté de participer à toutes les affections que l'âme peut éprouver, la prudence et l'audace, le courage et la lâcheté, la douceur et la cruauté, et tous les autres sentiments analogues. 2 Il y en a même qui sont, dans une certaine mesure, susceptibles d'apprendre et de s'instruire, tantôt les uns par les autres, tantôt sous la main de l'homme, pourvu qu'ils aient le sens de l'ouïe, et non seulement tous ceux qui entendent les sons, mais ceux qui peuvent percevoir les différences des signes et les distinguer. 3. Dans toutes les espèces où il y a mâle et femelle, la nature a établi à peu près les mêmes dissemblances dans le caractère des femelles comparé à celui des mâles. C'est ce qu'on peut observer le plus clairement possible sur l'espèce humaine, sur les espèces un peu grandes, et sur les quadrupèdes vivipares. Le caractère de la femelle est toujours plus doux; elle s'apprivoise plus vite; elle souffre plus aisément l'attouchement de nos mains, et elle est plus docile à s'instruire. 4 Ainsi, les chiennes de Laconie sont de bien meilleure nature que les chiens mâles. La race des chiens de Molossie ne l'emporte pas sur les espèces qu'on trouve ailleurs pour nous aider à la chasse ; mais pour surveiller et suivre le bétail, ils se distinguent par leur courage à combattre les bêtes fauves, aussi bien que par leur grandeur. Les individus nés de croisements de chiens de Molossie et de chiens de Laconie tiennent des deux races un courage rare, et une prodigieuse ardeur au travail. 5 Les femelles ont généralement moins de courage que les mâles, sauf dans l'espèce de l'ourse et de la panthère, où la femelle semble être plus courageuse. Dans toutes les autres espèces, les femelles (609a) sont plus douces, plus perfides, moins franches et plus pétulantes; elles sont aussi plus soucieuses de nourrir leurs petits. Pour les mâles, c'est tout le contraire. Ils sont plus braves, plus sauvages, plus simples dans leurs allures et moins rusés. 6 On peut trouver la trace de tout cela dans la totalité des animaux, pour ainsi dire; mais ces phénomènes sont plus sensibles chez les animaux qui ont un caractère plus prononcé ; et par-dessus tous les autres, chez l'homme, parce que la nature de l'homme est achevée, de telle façon que toutes ces affections sont beaucoup plus frappantes en lui. 7 Ainsi, la femme est bien plus que l'homme disposée à la pitié; elle pleure bien plus aisément; elle est aussi plus jalouse que lui et plus portée à se plaindre; elle aime davantage à injurier et à chercher querelle; la femme est en outre plus facile à se décourager, et plus rebelle que l'homme à l'espérance; elle est plus effrontée et plus fausse. Elle se laisse tromper plus aisément; et elle a plus de rancune. On peut ajouter encore que, dans les animaux, la femelle est plus éveillée que le mâle et plus paresseuse; et en général, qu'elle a plus de peine à se mettre en mouvement; elle mange moins. Mais, ainsi qu'on vient de le dire, le mâle a plus de ressources pour secourir les autres; il est plus brave ; et l'on peut voir, jusque dans les mollusques, que, si une seiche est atteinte d'un coup de trident, le mâle vient au secours de la femelle, tandis que la femelle s'enfuit dès que le mâle est frappé. [9,2] CHAPITRE II. 1 Toutes les fois que les animaux habitent les mêmes lieux et qu'ils tirent leur vie des mêmes substances, ils se font mutuellement la guerre. Si la nourriture est par trop rare, les bêtes, même de race semblable, se battent entre elles. C'est ainsi que les phoques d'une même région se font une guerre implacable, mâle contre mâle, femelle contre femelle, jusqu'à ce que l'un des deux ait tué l'autre, ou ait été chassé par lui ; les petits se battent avec non moins d'acharnement. 2 Tous les animaux sont en guerre avec les carnivores, qui mutuellement sont, eux aussi, en guerre avec tous les autres, puisqu'ils ne peuvent vivre que d'animaux. C'est de là que les devins tirent leurs augures de désunion ou d'union entre les humains, prenant les animaux qui se battent entre eux pour signe de désunion ; et pour signes d'union, ceux qui vivent en bon accord les uns avec les autres. 3 Il serait bien possible qu'une nourriture constamment abondante adoucit singulièrement, à l'égard de l'homme, les animaux qu'il redoute aujourd'hui, parce qu'ils restent sauvages, et que les animaux s'adoucissent également ainsi les uns à l'égard des autres. Le soin qu'on a des animaux en Égypte le prouve clairement; comme la nourriture leur est donnée sans leur manquer jamais, les plus sauvages eux-mêmes vivent côte à côte, comme le reste. Ils s'apprivoisent par les soins qu'on en a ; (609b) et par exemple, en quelques endroits le crocodile s'apprivoise avec le prêtre qui est chargé de le nourrir. On peut voir les mêmes faits se reproduire dans d'autres pays, et dans quelques-uns de leurs cantons. 4 L'aigle et le serpent sont ennemis, parce que l'aigle se nourrit de serpents. L'ichneumon et la phalange sont en guerre, parce que l'ichneumon pourchasse les phalanges. Dans les oiseaux, les tachetés, les alouettes, les pies, le verdier, sont ennemis les uns des autres; car ils se mangent mutuellement leurs oeufs. La corneille et la chouette se battent. Comme, au milieu du jour, la chouette ne voit pas très clair, la corneille vient lui prendre ses oeufs, qu'elle dévore; et la nuit, c'est la chouette qui dévore les oeufs de la corneille. L'une est plus forte pendant le jour; l'autre est plus forte pendant la nuit. 5 La chouette n'est pas moins en guerre avec l'orchile, qui vient aussi lui manger ses oeufs. Dans le jour, tous les petits oiseaux volent autour de la chouette; et l'on dit que c'est pour l'admirer; mais en volant autour d'elle, ils lui arrachent les plumes; aussi, les oiseleurs prennent-ils les petits oiseaux de toute espèce au moyen de la chouette, qui les attire. 6 L'oiseau surnommé le Sénateur, la belette et la corneille sont en guerre, parce que le sénateur et la belette mangent les oeufs de la corneille et ses petits. La tourterelle et la Pyrallis sont ennemis, parce que le lieu où elles trouvent à se nourrir et leur mode de vivre sont les mêmes. Le pic-vert, le Libyen, le milan et le corbeau se font la guerre, parce que le milan ravit au corbeau toutes les proies qu'il peut faire, et que le milan est le plus fort par ses serres et par son vol. C'est donc encore la pâture qui rend ces oiseaux hostiles les uns aux autres. 7 Les oiseaux qui tirent leur nourriture de la mer, ne sont pas entre eux des ennemis moins acharnés : par exemple, le Brenthos, le goéland et la harpé. La buse, le crapaud (grenouille de haie) et le serpent se battent, parce que la buse se nourrit des deux autres. La tourterelle et le verdier sont en guerre; et c'est le verdier qui tue la tourterelle. Au contraire, c'est la corneille qui tue l'oiseau qu'on nomme le typan. L'ægolie et les autres oiseaux pourvus de serres dévorent le calaris ; et la guerre est entre eux tous. 8 Elle règne aussi entre le stellion et l'araignée, parce que le stellion la dévore. Il y a guerre encore entre la pipone et le héron, dont la pipone mange les oeufs et les petits. L'ægithe et l'âne se font la guerre, et voici comment. L'âne, en passant près des buissons, y frotte ses plaies pour se gratter; en s'y roulant, et en se mettant à braire, il fait tomber les oeufs et les petits, qui, tout effrayés, sortent du nid. L'ægithe, pour repousser le dommage qu'il souffre, vole sur l'âne et lui pique (610a) ses plaies. 9 Le loup fait la guerre à l'âne, au taureau et au renard. Comme il est carnivore, il se jette sur les boeufs, les ânes et les renards. Le renard et le busard n'ont pas d'autre motif de guerre. Le busard est carnivore, et il a des serres ; il fond sur le renard ; et en le frappant, il lui fait des plaies dangereuses. Le corbeau est l'ennemi du taureau et de l'âne, qu'il frappe en volant sur eux, et il leur crève les yeux. 10 L'aigle fait la guerre au héron; il l'attaque avec ses serres; et le héron meurt dans la lutte. L'émerillon est en guerre avec l'ægype; la crex y est avec le pic-vert, le merle et le verdier, que quelques personnes, trop amies des fables, font naître des cendres d'un bûcher. La crex les poursuit tous, ainsi que leurs petits. La sitte et le trochile font la guerre à l'aigle, dont la sitte brise les oeufs; pour se venger, et aussi comme carnassier, l'aigle est en guerre avec tous les oiseaux. 11 L'anthos est en guerre avec le cheval, parce que le cheval le chasse des pâturages. L'anthos qui se nourrit d'herbes a une taie sur les yeux, et il y voit mal; mais il imite le hennissement du cheval, qu'il effraye en volant sur lui ; et il le chasse, jusqu'à ce que le cheval le saisisse et le tue. D'ailleurs, l'anthos vit sur le bord des rivières et dans les marais; il a une belle couleur, et il se nourrit aisément de tout. 12 L'âne est l'ennemi du côlôte, qui vient dormir dans sa mangeoire, et qui l'empêche de manger en lui entrant dans les naseaux. Il y a trois espèces de hérons, le cendré, le blanc, et celui qu'on appelle l'étoilé. Le héron cendré a de la peine à s'accoupler, et à pondre; il crie à ce moment, et le sang lui sort par les yeux, à ce qu'on dit, quand il s'accouple; la femelle fait ses oeufs irrégulièrement et en souffrant beaucoup. Le héron fait la guerre à tous les animaux qui lui peuvent nuire : à l'aigle, qui l'enlève; au renard. qui le mange dans la nuit ; à l'alouette, qui lui vole ses oeufs. 13 Le serpent est en guerre avec la belette et le cochon; avec la belette, quand ils sont tous deux dans le même trou; car ils ont la même nourriture; et le cochon mange les serpents. L'émerillon est l'ennemi du renard ; il le frappe de son bec et lui arrache les poils; il tue ses petits, grâce aux serres dont il est pourvu. Au contraire, le corbeau et le renard s'entendent aisément, parce que le corbeau est hostile à l'émerillon, et que contre lui il prend la défense du renard. 14 L'ægype et l'émerillon sont les ennemis l'un de l'autre, parce qu'ils sont tous deux des oiseaux pourvus de serres. L'ægype (610b) et le cygne font la guerre à l'aigle ; et c'est souvent le cygne qui a le dessus. Il n'y a pas d'espèce d'oiseaux qui se tuent entre eux plus que les cygnes. Il y a des animaux qui sont réciproquement dans une guerre perpétuelle; d'autres ne sont en guerre que dans certains cas, comme y sont les hommes. Ainsi, l'âne et le pinson (épinier) sont ennemis, parce que les épiniers se nourrissent d'épines, et que c'est aussi des jeunes pousses de l'épine que l'âne se nourrit. 15 L'anthos, le pinson (épinier) et l'ægithe sont ennemis; et l'on prétend même que le sang de l'ægithe et de l'anthos ne peuvent pas se mélanger. La corneille et le héron sont amis, comme le sont le schoinion, l'alouette, le laédos et le pic-vert. Le pic-vert vit le long des rivières et dans les lieux bien fourrés, tandis que le laédos ne recherche que Ies rochers et les montagnes, et ne quitte pas son habitation, où il se plaît. Le piphinx, la harpé et le milan sont amis, ainsi que le renard et le serpent, qui tous deux se cachent en terre, et ainsi que le merle et la tourterelle. 16 Le lion et le thôs sont d'implacables ennemis, parce que, étant l'un et l'autre carnassiers, ils se nourrissent des mêmes proies. Les éléphants se battent furieusement entre eux, et ils se frappent avec leurs défenses. Le vaincu est soumis à un rude esclavage; et il ne peut souffrir le cri de son vainqueur. On ne saurait croire jusqu'à quel point les éléphants diffèrent en courage les uns des autres. A la guerre, les Indiens emploient les femelles aussi bien que les mâles, quoiqu'elles soient plus petites et beaucoup moins braves. L'éléphant a la force de renverser des murailles, en les frappant de ses défenses énormes ; il appuie aussi son front sur les palmiers jusqu'à ce qu'il les ait courbés; et alors, en les foulant aux pieds, il les fait tomber sur terre, de toute leur longueur. 17 Voici d'ailleurs comment on fait la chasse à l'éléphant. Des gens montés sur des éléphants apprivoisés et courageux poursuivent les autres; et quand ils les ont rejoints, ils les font frapper par les éléphants qu'ils montent, jusqu'à entier accablement. Alors, un conducteur monte dessus et les dirige à l'aide de sa faux. L'éléphant, du reste, ne tarde pas à s'apprivoiser, et il obéit bien vite. Tant que le conducteur reste monté sur sa bête, tous les éléphants qu'il mène sont doux et dociles; mais une fois qu'il a mis pied à terre, quelques-uns demeurent toujours dociles; mais les autres cessent de l'être; et pour dompter ceux qui sont rebelles, on leur lie Ies jambes de devant avec de fortes cordes, qui les font tenir tranquilles. D'ailleurs, on fait la chasse aux éléphants qui sont déjà grands, aussi bien qu'aux jeunes. 18 Voilà donc comment les animaux dont on vient de parler sont en paix ou en guerre, selon les besoins de leur nourriture, ou selon leur genre de vie. [9,3] CHAPITRE III. 1 (611a) Parmi les poissons, les uns se réunissent en troupes, et vivent en paix Ies uns avec les autres; mais ceux qui ne vivent pas en troupes, sont ennemis. Tantôt c'est pendant la gestation, tantôt c'est après la ponte, que les poissons se réunissent. Voici, d'une manière toute générale, quelques espèces qui s'attroupent : les thons, les maenides, les goujons, les bogues, les sauriens, les coracins, les sinodons (dentales), les surmulets, les sphyrènes, les anthias, les élégins, les épis, les sargins, les aiguilles, les mécons, les teuthies, les ioulides, les pélamydes, les maquereaux, les colias, etc. 2 Dans ces espèces, quelques-unes vivent non seulement en troupes, mais, en outre, par paires. Tous les poissons s'accouplent; mais ils ne vont par troupes qu'à certains moments, comme on vient de le dire, soit quand ils pondent, soit après qu'ils ont jeté leur frai. Le loup et le muge, qui sont d'implacables ennemis, se réunissent néanmoins les uns aux autres, à certaines époques. 3 Bien des fois, ce ne sont pas uniquement les individus de même espèce qui se réunissent, mais tous ceux qui ont une nourriture pareille ou analogue, pourvu que cette nourriture soit très abondante. On voit fréquemment des muges et des congres dont la queue est enlevée, jusqu'à l'orifice d'où sortent les excréments, et qui n'en vivent pas moins. Le muge est mangé ainsi par le loup ; et le congre, par la murène. C'est que les plus forts font la guerre aux plus faibles et les dévorent. 4 Voilà pour les poissons de mer. [9,4] CHAPITRE IV. 1 Ainsi qu'on l'a dit plus haut, le caractère des animaux diffère en lâcheté et en douceur, en courage, en docilité, en intelligence, ou en stupidité. Ainsi, l'on a bien raison de trouver que le mouton a un caractère aussi doux que stupide. De tous les quadrupèdes, c'est le plus bête. Il s'en va dans les landes désertes, sans y rien chercher; et souvent en plein hiver, il sort de l'étable. S'ils sont surpris par une bourrasque de neige, ils ne veulent pas bouger, à moins que le berger ne les pousse ; et ils se laissent mourir, à moins qu'il n'emporte les mâles, que suit alors le reste du troupeau. 2 Si l'on prend une chèvre par I'extrémité de sa barbiche, qui est une sorte de chevelure pour elle, toutes les autres s'arrêtent comme en extase, et se mettent à regarder celle-là. Par le froid, les moutons dorment dehors plus volontiers que les chèvres, parce que les chèvres dorment plus tranquillement et aiment à se rapprocher de l'homme; c'est que les chèvres supportent le froid plus difficilement que Ies moutons. 3 Les bergers dressent les moutons à se réunir en courant, quand le bruit du tonnerre se fait entendre ; car si une brebis reste en arrière, sans rejoindre les autres, au moment où il tonne, elle avorte (611b) si elle est pleine. Aussi, voit-on le troupeau accourir habituellement à l'étable quand il fait du tonnerre. Les taureaux eux-mêmes, quand, dédaignant le troupeau, ils vont à l'aventure, sont surpris par les bêtes fauves qui les tuent. Les moutons et les chèvres se couchent en se serrant les uns contre les autres, selon les affinités d'espèces; si l'on en croit les bergers, les chèvres ne se couchent plus nez à nez, après que le soleil a tourné, mais elles se séparent et s'éloignent l'une de l'autre. [9,5] CHAPITRE V. 1 Les vaches paissent de compagnie, et selon l'habitude qu'elles ont contractée entre elles; si l'une se met à vagabonder, les autres la suivent. Aussi, les gardiens, s'ils trouvent celle-là, se mettent tout de suite à chercher toutes les autres. 2 . Quand, parmi les juments paissant au même pâturage, l'une vient à périr, les autres se chargent d'élever son poulain. C'est que, en général, le cheval parait être un animal très susceptible d'affection ; et souvent on voit des juments stériles enlever des poulains à leurs mères pour les adopter; mais elles les laissent périr faute de lait pour les nourrir. [9,6] CHAPITRE VI. 1 Parmi les quadrupèdes sauvages, le cerf parait être un des plus prudents. D'abord, la femelle fait ses petits sur le bord des chemins, parce que les bêtes fauves ne viennent pas les y chercher, crainte des hommes. Puis, après qu'elle a mis bas, elle se hâte de ronger le chorion ; elle court ensuite manger du séséli, et elle revient à ses petits, aussitôt qu'elle en a mangé. Enfin, elle conduit ses faons à des retraites, où elle Ies habitue à se sauver en cas de danger. C'est d'ordinaire une roche escarpée, qui n'a qu'un seul accès, et où l'on assure qu'elle sait se défendre contre toutes les attaques. 2 Le mâle, de son côté, quand il s'alourdit, et c'est en automne qu'il devient si gras, ne se montre plus ; il change de retraite, comme s'il sentait qu'à cause de sa graisse il sera plus aisément pris. Il va, pour perdre son bois, dans les endroits les plus difficiles à atteindre et à reconnaître; et de là, le proverbe si usité : « C'est là que les cerfs perdent leur bois ». On dirait qu'ils ont garde de se laisser voir à un moment où ils ont perdu leurs armes. On prétend que personne encore n'a trouvé la corne gauche d'un cerf, parce qu'il la cache, comme s'il savait qu'elle peut servir à faire un remède. 3 A un an, les cerfs ne poussent pas encore de cornes; à cette époque, il n'y en a qu'un léger commencement, par manière de signe; et ce bois est alors court et velu. Ce n'est qu'à deux ans qu'ils ont des cornes droites comme des pieux ; et alors on appelle ces cerfs des piquets. La troisième année, ils poussent deux branches; la quatrième année, le bois est plus rude ; et il croît toujours ainsi, (612a) jusqu'à six ans. 4 A partir de cette époque, les cornes repoussent toujours les mêmes; et l'on ne peut plus distinguer l'âge de la bête à ses cornes. Mais on peut reconnaître les vieux cerfs à deux signes : les uns n'ont plus de dents; les autres n'en ont que quelques-unes; et les défenses ne repoussent plus. On appelle Défenses les parties du bois qui penchent en avant, et qui servent à la bête pour se défendre. Les vieux cerfs n'ont plus ces parties ; et Ies cornes, en se développant, montent tout droit. Le bois tombe tous les ans, et il tombe vers le mois de Thargélion. 5 A l'époque où le cerf perd son bois, il se cache, ainsi qu'on vient de le dire, pendant le jour; et il se réfugie dans des fourrés épais pour se préserver des mouches. Durant tout ce temps, ils paissent la nuit dans les fourrés où ils sont; et ils y restent jusqu'à ce que les cornes soient repoussées. Elles poussent d'abord comme dans une peau; et, à ce moment, elles sont velues. Quand elles sont plus grandes, l'animal s'expose au soleil pour les mûrir et les sécher. 6 Enfin, quand l'animal ne sent plus de douleur en frottant son bois contre les arbres, il quitte les lieux qui l'abritaient, prenant courage, parce qu'il a maintenant de quoi se défendre. On a saisi un jour un cerf d'Achaïe qui avait sur son bois un lierre touffu et tout vert; sans doute, le lierre s'y était implanté, quand les cornes étaient encore toutes tendres, comme il se serait attaché à un arbre en pleine verdure. 7 Un cerf, mordu par une araignée-phalange ou par quelque autre insecte de ce genre, va chercher des escargots, qu'il mange. Un tel breuvage serait peut-être bon aussi pour les hommes ; mais il serait d'un goût repoussant. Dès qu'une femelle a mis bas, elle dévore aussitôt le chorion, qui serait bien difficile à lui prendre ; car elle le saisit avant qu'il ne tombe par terre. Le chorion passe pour être un remède utile. 8 On prend les biches en jouant de la flûte et en chantant; et elles se laissent charmer par le chant. Un des deux chasseurs, qui se réunissent, chante ou joue de la flûte devant l'animal, sans se cacher ; l'autre, qui est par derrière le cerf, le frappe quand son camarade lui fait signe que c'est le moment. Tant que la biche dresse ses oreilles, elle entend à merveille; et il n'est pas possible de la surprendre; mais du moment qu'elle les baisse, elle n'entend plus rien, et on la surprend. [9,7] CHAPITRE VII. 1 Lorsque les ourses fuient devant le chasseur, elles poussent leurs petits devant elles; et elles les portent, en les prenant dans leur gueule. Si elles sont sur le point d'être prises, elles grimpent sur les arbres. En sortant de leurs tanières de retraite, ce que font tout d'abord les petits, c'est de manger de l'arum, ainsi que nous l'avons déjà dit; 612a et ils rongent du bois, comme pour faire pousser leurs dents. 2 Une foule d'autres quadrupèdes savent aussi fort prudemment soulager leurs maux. On prétend que les chèvres sauvages de Crète, quand elles sont percées d'une flèche, se mettent à chercher le dictame, qui paraît avoir la propriété de faire sortir le fer de la plaie. Les chiens malades savent se faire vomir en allant manger de certaine herbe. 3 Quand la panthère a par hasard avalé le poison qu'on appelle « la mort aux panthères », elle cherche des excréments humains, qui la doivent guérir, remède qui, au contraire, tue les lions. Les chasseurs le savent si bien qu'ils suspendent à un arbre de ces excréments dans un vase, pour que la bête ne s'en aille pas au loin; car la panthère, sautant après le vase et espérant l'atteindre, meurt à la peine. On assure encore que, sachant que son odeur attire d'autres animaux, elle se cache pour les chasser; et quand ils approchent, elle les surprend, y compris même des cerfs. 4 Quand l'ichneumon d'Égypte voit le serpent nommé l'aspic, il ne cherche pas à l'attaquer avant d'avoir appelé à son aide d'autres ichneumons; pour se garantir des coups et des morsures, ils se couvrent de boue, en se trempant d'abord dans l'eau, et en se roulant ensuite dans la poussière. Lorsque le crocodile ouvre la mâchoire, les trochiles accourent, en volant, lui nettoyer les dents. Le trochile y trouve à manger; et le crocodile, à qui cela fait du bien, le reconnaît et ne lui fait pas de mal; quand le trochile veut sortir, le crocodile remue le cou de manière à ne pas le mordre. 5 La tortue, si elle avale une vipère, va manger de l'origan, et l'on a constaté le fait, de cette façon : quelqu'un qui avait vu une tortue faire plusieurs fois la même chose, et qui après avoir avalé l'origan pouvait retourner à une autre vipère, arracha l'origan, et la tortue, privée de ce remède, mourut bientôt. Quand la belette doit lutter contre un serpent, elle mange d'abord de la rue, dont l'odeur est détestée du serpent. Le serpent-dragon, quand il est malade en automne, avale du suc de laitue sauvage ; et c'est là un fait qui a été fréquemment observé. 6 Quand les chiens ont des vers, ils mangent du blé en herbe. Les cigognes et d'autres oiseaux savent, s'ils ont reçu quelque blessure dans le combat, y appliquer de l'origan. Bien des gens ont vu la fouine, se battant contre un serpent, le saisir au cou. 613 La belette aussi montre de l'intelligence dans sa manière de tuer les oiseaux; elle les étouffe, comme le loup étrangle les moutons. C'est surtout aux serpents chasseurs de rats que la belette fait la guerre, parce qu'elle-même se nourrit aussi de rats. 7 Bien des fois, on a pu observer que les hérissons privés sentent les changements de vents, selon qu'ils soufflent du nord ou du midi; les uns changent alors les ouvertures des trous qu'ils se font en terre; les autres, qui vivent dans nos maisons, passent d'un mur à l'autre. Aussi, rapporte-t-on qu'une personne de Byzance qui avait observé cet instinct du hérisson, s'était fait une réputation en prédisant le temps à coup sûr. Le putois est à peu près de la grosseur d'un des plus petits chiens de Malte. Son pelage velu, sa forme, son ventre blanc en dessous et la méchanceté de son caractère, le rapprochent de la belette. On l'apprivoise très aisément; mais il ravage les ruches d'abeilles, dont il aime beaucoup le miel. Il mange aussi les oiseaux, comme les chats. On prétend que la verge de cet animal est osseuse, et qu'elle est un remède excellent contre la strangourie. On la racle pour la donner aux malades. [9,8] CHAPITRE VIII. 1 On peut observer, en général, dans les manières de vivre des animaux beaucoup d'actes qui ressemblent à la vie même de l'homme ; et c'est dans les petits animaux, plutôt encore que dans les grands, qu'on peut voir la sûreté de leur intelligence. Ainsi, dans les oiseaux, on pourrait citer tout d'abord la façon dont l'hirondelle fait son nid. Elle suit les mêmes règles que nous suivrions pour mêler la paille à la boue, entrelaçant cette boue dans des brindilles de bois ; et si la boue lui manque, elle se baigne dans l'eau, et va rouler ses ailes dans la poussière. 2 Elle construit son nid absolument comme des hommes le feraient, mettant d'abord en dessous les matériaux les plus durs, et proportionnant la grandeur du nid à la sienne. Le mâle et la femelle prennent le même soin des petits; elle donne à chacun d'eux leur pâture, distinguant, comme si elle en avait l'habitude, celui qui l'a reçue le premier, afin de ne pas lui en donner deux fois. Dans les premiers temps, c'est elle qui rejette leur fiente hors du nid ; mais quand ils sont plus grands, elle leur apprend à se tourner en dehors pour fienter. 3 On peut faire des observations toutes pareilles sur les pigeons, qui présentent des faits analogues. Ils ne s'accouplent jamais à plusieurs, et ils ne cessent leur union que quand l'un des deux est devenu veuf ou veuve. Au moment de la ponte et de la douleur qu'elle cause, la sollicitude du mâle et ses colères sont vraiment étonnantes. 613a Si la femelle met quelque paresse à entrer dans le nid pour y pondre, il la bat et la force à entrer. Une fois que les petits sont nés, il va chercher de la terre salée, qu'il mâchonne, et il l'introduit dans le bec des petits qu'il ouvre, leur apprenant ainsi à manger. Quand les petits vont sortir du nid, le mâle recommence à cocher. 4 C'est là d'ordinaire l'union des pigeons entre eux ; cependant, il y a des femelles, même parmi celles qui ont des mâles, qui s'accouplent avec d'autres. Cet oiseau est du reste batailleur ; ils se battent entre eux : et il en est qui s'introduisent de force dans le nid de leurs voisins; mais c'est rare. Loin du nid, ils se battent moins; mais auprès du nid, ils se battent jusqu'à la mort. 5 Les pigeons, les ramiers et les tourterelles ont cette particularité de ne relever la tête, en buvant, que quand ils ont assez bu. La tourterelle et la femelle du ramier n'ont jamais chacune que le même mâle ; et elles n'en acceptent pas d'autre. Le mâle et la femelle couvent également tous les deux. On ne distingue guère la femelle et le mâle que par l'examen, des viscères intérieurs. 6 Les ramiers vivent très-longtemps, puisqu'on en a vu de vingt, vingt-cinq et trente ans, parfois même de quarante. A mesure qu'ils vieillissent, leurs ongles s'allongent ; mais les gens qui les élèvent les leur coupent. Il ne paraît pas que la vieillesse leur cause d'autre infirmité, du moins autant qu'on peut le voir. Les tourterelles et les pigeons auxquels les éleveurs crèvent les yeux, pour en faire des appeaux, vivent encore huit ans. Les perdrix vivent à peu près quinze ans. Les ramiers et les tourterelles font toujours leur nid dans les mêmes endroits. 7 Généralement, les mâles vivent plus de temps : mais on assure que, dans les oiseaux dont nous venons de parler, c'est le mâle qui meurt avant la femelle, et l'on s'appuie sur l'observation des oiseaux élevés dans les maisons, comme appeaux. On dit encore que les mâles, parmi les moineaux, ne vivent qu'un an ; on en donne pour preuve qu'à l'époque du printemps, on n'en voit jamais qui aient tout d'abord les plumes noires du dessous du cou, tandis qu'ils les ont plus tard; ce qui démontre qu'il n'en reste pas un de l'année précédente. On prétend encore que les femelles des moineaux vivent plus que les mâles, attendu qu'on en prend 614 avec des jeunes, et qu'on reconnaît celles-là aux bords du bec, qui sont plus durs. Les tourterelles vont vivre en été dans les climats froids, et en hiver dans les climats chauds. Au contraire, les pinsons cherchent, l'été, les climats chauds, et en hiver, les climats froids. [9,9] CHAPITRE IX. 1 Les oiseaux pesants ne se font pas de nids, parce qu'un nid n'est pas utile à des oiseaux qui volent si mal, comme les cailles, les perdrix et tous ceux qui leur ressemblent. Mais ils font dans la poussière un creux sur un endroit uni, ne pondant jamais ailleurs; et ils se cachent sous quelque épine ou quelque matière analogue, pour repousser les attaques des éperviers et des aigles; cela fait, ils y pondent et y couvent. Dès que les petits sont débarrassés de la coquille, ils les chassent, parce qu'ils sont hors d'état de leur apporter, à cause de leur vol, la pâture nécessaire. 2 Les cailles et les perdrix se reposent en réunissant leurs petits sous elles, comme le font les poules. Elles ne pondent pas et ne couvent pas toujours à la même place, de crainte qu'on ne découvre leur retraite, si elles y demeuraient trop longtemps. Quand le chasseur tombe sur le nid, la perdrix se roule, en se sauvant, comme si elle allait se laisser prendre ; elle l'attire par l'espoir de la saisir, pour donner le temps à la nichée de s'échapper ; après ce manège, elle s'envole et rappelle les petits auprès d'elle. La perdrix n'a pas moins de dix œufs, et parfois elle en a jusqu'à seize. 3 La perdrix est d'ailleurs, ainsi qu'on l'a dit, un oiseau malicieux et rusé. Au printemps, les mâles s'en vont de la troupe en chantant et en se battant, par paire avec la femelle que chacun d'eux a prise. Mais comme les mâles sont très-lascifs, pour empêcher la femelle de couver, ils dispersent les œufs et les brisent, quand ils les trouvent. La femelle les défend comme elle peut, et elle se sauve pour aller pondre ailleurs. Souvent, il arrive que, pressée de pondre, elle dépose ses œufs au hasard, pourvu que le mâle soit hors de portée; et afin de les sauver tous en masse, elle n'y revient pas. Si quelque chasseur la voit, elle l'éloigné de ses œufs, comme pour ses petits, en se jetant encore devant lui, jusqu'à ce qu'elle l'ait mis hors de voie. 4 Une fois que la femelle couve après avoir pu se sauver, les mâles 614a poussent des cris et se battent entre eux. C'est à ce temps qu'on les appelle des veufs. Le mâle vaincu, en se battant, suit son vainqueur et ne se laisse cocher que par lui. Si un mâle est vaincu, il est coché par le second ou par tout autre, en cachette du vainqueur. Les choses ne se passent pas ainsi dans toute l'année, mais seulement à certaines époques. 5 Il en est de même des cailles; et parfois aussi, on peut faire ces observations sur les coqs. Dans les temples où l'on nourrit des coqs sans leurs femelles, tous les coqs viennent successivement cocher le nouveau venu. De même, les perdrix domestiques cochent les perdrix sauvages, les pillent et les maltraitent de toutes façons. 6 Le chef des perdrix sauvages se précipite en criant au-devant de celle qui sert d'appeau, comme pour la combattre; si le premier champion est pris dans les filets, un autre s'avance pour lutter, en poussant les mêmes cris. Voilà ce qu'ils font si c'est un mâle qui sert d'appeau ; mais si c'est une femelle qui chante et que le chef des mâles sauvages lui réponde en criant, aussitôt tous les mâles se réunissent pour le frapper, et ils l'éloignent de la femelle, parce qu'il va à la femelle au lieu de venir à eux; alors, celui-là se retire en silence, de peur qu'un autre qui entendrait son cri ne vienne combattre contre lui. 7 Quelquefois aussi, il arrive, au dire de gens qui en ont été les témoins, que le mâle qui s'approche de la femelle la force à se taire, de peur que, si les autres mâles l'entendaient, il ne fût forcé à se battre contre eux. Mais ce n'est pas seulement un chant qu'a la perdrix ; elle peut encore siffler et produire plusieurs autres espèces de sons. 8 Souvent, une femelle occupée à couver quitte ses œufs, quand elle voit le mâle s'approcher de la perdrix d'appeau, et elle va se présenter à lui pour se faire cocher par lui, et le détourner de la femelle qui sert à la chasse. Les perdrix et les cailles ont une telle ardeur pour l'accouplement qu'elles se jettent sur les perdrix et les cailles d'appeau, et se posent sur leur tête. [9,10] CHAPITRE X. 1 Telles sont donc les observations qu'on a pu faire sur l'accouplement et la chasse des perdrix, et sur le reste de leur détestable caractère. Ainsi qu'on l'a dit, elles font leurs petits à terre, comme nichent aussi les cailles et quelques autres oiseaux, parmi lesquels on peut encore compter l'alouette, la bécasse, avec la caille, qui ne nichent pas sur les arbres, mais sur le sol. 2 Au contraire, le pic, frappeur de chênes, ne niche point à terre. Il frappe les chênes pour en faire sortir les larves 615 et les vers, et les saisir avec sa langue, qui est large et longue. Il grimpe très-vite sur les arbres, et en tous sens, même la tête en bas, comme le font les stellions. Il a des ongles plus forts que ceux des geais, et la nature les lui a donnés pour qu'il pût se cramponner solidement aux arbres; et c'est en y enfonçant ses ongles qu'il peut y marcher si sûrement. 3 Il y a une espèce de pic plus petit que le merle, et qui a quelques petites taches rougeâtrès. Une autre espèce est un peu plus grosse que le merle ; et une troisième espèce n'est qu'un peu plus petite que la femelle du coq. 4 Le pic niche sur les arbres, comme on vient de le dire ; et bien que ce soit sur tous les arbres, c'est particulièrement sur les oliviers. Il mange les fourmis et les larves qu'il tire des arbres. On assure qu'en cherchant ces larves, il creuse si bien les arbres qu'il finit par les faire tomber. Un pic apprivoisé plaçait une amande dans la fente d'un morceau de bois et l'y ajustait de manière qu'elle pût recevoir son coup ; puis au troisième coup de bec, il la brisait, et il mangeait la partie tendre de l'intérieur. [9,11] CHAPITRE XI. 1 Les grues montrent aussi de l'intelligence dans une foule de choses. Leurs migrations sont très-lointaines; et elles élèvent prodigieusement leur vol pour voir au loin. Quand il y a des nuages et qu'elles craignent un mauvais temps, elles volent à terre pour s'y arrêter. Elles ont aussi la prudence de se donner un chef ; et elles placent à la queue de la volée quelques grues qui sifflent, pour qu'on les entende en tête. Quand elles s'arrêtent, toutes se mettent à dormir, la tête cachée sous l'aile, se tenant sur une seule patte alternativement ; mais le chef, qui a la tête à l'air, observe et voit les choses ; et s'il s'aperçoit de quelque danger, il donne le signal par un cri. 2 Les pélicans, qui vivent sur le bord des rivières, avalent des coquillages, gros et lisses ; et quand ils les ont échauffés dans la poche qui est en avant de leur estomac, , ils les rejettent, pour que, ces coquillages s'ouvrant alors, ils puissent manger la chair qui s'y trouve. [9,12] CHAPITRE XII. 1 Les demeures des oiseaux sauvages sont calculées pour qu'ils puissent à la fois y vivre, et y élever leurs petits en sûreté. Les uns aiment beaucoup leur progéniture et la soignent passionnément; les autres font tout le contraire. Ceux-là sont pleins d'adresse pour se procurer tout ce qu'il faut à leur existence ; ceux-là ne savent rien faire. 2 Il en est qui font leurs demeures dans des ravins, dans des trous, 615a dans des rochers, comme l'oiseau qu'on appelle l'oiseau des ravins (charadrios). Il est fort laid de couleur et de chant ; il ne se montre que la nuit ; et il se cache de jour. L'épervier niche aussi dans les lieux les plus escarpés. Tout carnassier qu'il, est, il ne mange pas le cœur des oiseaux dont il fait sa proie. Quelques personnes l'ont observé sur la caille et sur la grive ; d'autres ont fait la même observation sur d'autres oiseaux. 3 II y a aussi de grands changements dans la manière dont chassent les oiseaux de proie ; et ils ne chassent pas leur proie en été absolument comme en hiver. On prétend quelquefois que jamais personne n'a vu, ni les petits, ni le nid d'un vautour ; et c'est ce qui fait qu'Hérodore, le père de Bryson, le sophiste, soutenait que les vautours doivent venir de quelque région étrangère et fort élevée, puisqu'on les voit, disait-il, arriver tout à coup en foule, sans que personne sache d'où ils partent. C'est qu'en effet le vautour pond dans des lieux inaccessibles ; et qu'il n'est pas indigène dans beaucoup de pays. Il ne fait qu'un œuf, ou deux tout au plus. 4 Quelques oiseaux habitent les montagnes et les forêts, comme la huppe et le Brenthos. Ce dernier oiseau se nourrit aisément partout, et il chante. Le roitelet se cache dans les fourrés et dans les grottes; il est difficile à prendre et prompt à fuir, parce qu'il est très-craintif ; d'ailleurs, il se nourrit sans peine, et il est assez industrieux. On l'appelle le Sénateur et le Roi; aussi, prétend-on que l'aigle lui fait la guerre. [9,13] CHAPITRE XIII. 1 Certains oiseaux vivent sur le bord de la mer, par exemple, le Hoche-queue (cincle). Il est rusé et très-difficile à attraper; mais une fois pris, on l'apprivoise fort aisément. On peut le trouver mal fait, parce qu'il n'est pas maître du mouvement des parties postérieures de son corps. 2 Tous les oiseaux palmipèdes vivent aux bords de la mer, des rivières et des lacs, parce que la nature elle-même cherche ce qui est convenable à chacun des êtres. Beaucoup d'oiseaux fissipèdes vivent aussi près des eaux et des étangs. Ainsi, l'anthos vit auprès des rivières ; il est d'une couleur superbe, et il trouve partout sa nourriture. 3 Le catarrhacte habite le bord de la mer; et quand il plonge, il reste sous l'eau à peu près le temps qu'il faudrait à l'homme pour parcourir la longueur d'un plèthre. C'est un oiseau un peu plus petit que l'épervier. 4 Les cygnes sont des palmipèdes, vivant sur le bord des fleuves et des marécages, où ils trouvent facilement à vivre ; ils sont de mœurs douces, pleins de tendresse pour leurs petits, et ils deviennent très-vieux. Quand 616 l'aigle est le premier à attaquer, le cygne en est vainqueur et le repousse ; mais il ne commence jamais la guerre. Les cygnes chantent; et ils chantent surtout quand leur mort approche. Ils volent jusqu'en haute mer; et des navigateurs, qui allaient en Libye, ont rencontré en mer des troupes de cygnes qui chantaient d'une voix lamentable ; ils en ont vu quelques-uns mourir sous leurs yeux. 5 La Cymindis se montre très-rarement, parce que cet oiseau habite les montagnes ; il est de couleur noire, et de la grosseur d'un épervier, du genre qu'on appelle Tue-pigeon ; il est de forme allongée, et il est maigre. C'est en lonie, qu'on le nomme Cymindis; et Homère en fait mention dans l'Iliade : "Les dieux l'appellent Chalcis, Et les hommes l'appellent Cymindis". 6 La Hybris, que l'on confond quelquefois avec le Ptynx, ne se montre pas de jour, parce qu'elle a une mauvaise vue; et elle chasse la nuit, comme chassent également les aigles. Elle lutte aussi contre l'aigle avec tant de fureur que souvent les bergers les prennent vivants tous les deux à la fois. Elle ne pond que deux œufs, et elle niche dans les rochers et dans les cavernes. 7 Les grues aussi se battent si furieusement entre elles que les deux qui se battent se laissent prendre, toutes vivantes, par les pâtres qui surviennent. La grue ne pond également que deux œufs. [9,14] CHAPITRE XIV. 1 La kitta change beaucoup ses cris, et l'on peut dire qu'elle en a tous les jours un nouveau. Elle pond en général neuf œufs ; elle bâtît son nid sur les arbres, avec du crin et de la laine. Pour la saison où les glands ne donnent plus, elle en fait provision, en les cachant. 2 On répète communément que les grues sont nourries à leur tour par leurs petits. On raconte aussi que les méropes sont nourris par leurs petits, non pas seulement quand ils sont vieux, mais dès le moment que les jeunes sont capables de le faire. Le père et la mère restent dans le nid pour ne plus le quitter. La couleur des ailes de l'oiseau est jaune en dessous, et le dessus est bleuâtre comme chez les halcyons; l'extrémité de l'aile est rouge. Le mérope pond six ou sept œufs, à l'automne; et il les dépose dans les lieux escarpés, où la terre est molle. Il y descend jusqu'à quatre coudées de profondeur. 3 Le verdier, ainsi appelé parce que le dessous de son corps est verdâtre, est de la grosseur de l'alouette; il fait quatre 616a ou cinq œufs. Il compose son nid avec de la consoude, qu'il arrache jusqu'à la racine, et il le tapisse de crin et de laine. C'est ce que font aussi le merle et la pie, qui emploient les mêmes matériaux pour leur nid, à l'intérieur. Le nid de la mélange est bâti non moins artistement. Entrelacé comme il l'est, on le prendrait pour une pelote de lin, et l'oiseau n'y laisse qu'une petite ouverture. 4 Les gens du pays affirment que l'oiseau nommé le Cinnamome apporte aussi, on ne sait d'où, la matière appelée de ce nom, et qu'il en compose son nid. Il le place sur des arbres et dans les branches les plus hautes. Les indigènes font tomber ce nid à coup de flèches garnies de plomb, et ils recueillent le Cinnamome de celui que l'oiseau a apporté. [9,15] CHAPITRE XV. 1 L'halcyon n'est pas beaucoup plus gros qu'un moineau; sa couleur est mélangée de bleu, de vert et de pourpre tendre. Ce mélange est répandu sur tout son corps, ses ailes, son cou, sans que nulle part aucune de ces couleurs soit isolée 2 Son bec est jaunâtre, long et mince. Telle est la forme de l'oiseau. Son nid ressemble tout à fait à ce qu'on appelle boules marines et écume de mer, si ce n'est que la couleur est différente et qu'elle tire sur le roux. La forme se rapproche beaucoup de celle d'une courge, dont le col est allongé; la dimension est celle d'une grosse éponge, cette dimension étant d'ailleurs plus grande ou plus petite. 3 Ces nids sont recouverts d'une sorte de toiture; et ils ont la partie solide très-serrée, ainsi que l'intérieur. En le frappant avec un fer aigu, on ne le brise pas du premier coup; mais si, en le frappant ainsi, on le presse avec la main, le nid se réduit en morceaux, comme la boule marine. L'ouverture en est étroite et ne laisse qu'une entrée resserrée, de telle sorte que, si la mer renverse le nid, l'eau n'y peut pas pénétrer. Les trous en ressemblent beaucoup à ceux de l'éponge. 4 On ne sait pas au juste de quoi l'halcyon compose son nid. Ce qui semble le plus vraisemblable, c'est qu'il est fait avec les arêtes de l'Aiguille ; car l'halcyon vit de poisson. Il remonte aussi les rivières. Ses œufs sont généralement au nombre de cinq. Il peut s'accoupler durant toute sa vie ; et il commence à quatre mois. [9,16] CHAPITRE XVI. 1 La huppe fait son nid presque en entier avec de la fiente humaine ; 617 elle change de plumage été et hiver, comme presque tous les oiseaux sauvages. 2 La mésange est l'oiseau, dit-on, qui a le plus d'oeufs. Quelques personnes prélendent que c'est l'oiseau appelé la Tête-noire qui en fait le plus, toutefois après le moineau de Libye. On a vu la mésange avoir jusqu'à dix-sept œufs. Parfois même, elle en a plus de vingt, et toujours en nombre impair, à ce qu'on dit. Elle fait aussi son nid dans les arbres, et elle se nourrit de larves. 3 Une particularité de la mésange, qu'elle partage avec le rossignol, c'est que, contrairement au reste des oiseaux, elle n'a pas de pointe à la langue. 4 L'Aegithe vit de tout; il fait beaucoup de petits ; et il boite d'une patte. Le Chlorion est facile à instruire; et il est industrieux à trouver sa vie. D'ailleurs, il vole mal, et il a une vilaine couleur. 5 L'éléa (l'oiseau des marais) se nourrit aussi aisément qu'aucun autre oiseau; en été, il se met dans un lieu exposé au vent, et à l'ombre ; en hiver, il choisit une place en plein soleil, et il regarde de tous côtés, perché sur les roseaux qui croissent au bord des marais. Il est d'ailleurs tout petit; mais il a la voix assez forte. 6 L'oiseau qu'on appelle le gnaphalos (le Foulon) a également une forte voix; il a une belle couleur; il se nourrit sans difficulté; et il est d'une jolie forme. C'est sans doute un oiseau étranger; car on ne le voit que rarement dans les pays où il ne naît pas. 7 La Crex est d'un naturel batailleur; elle est pleine d'intelligence pour tout ce qui regarde sa nourriture; mais sa vie est du reste assez misérable. L'oiseau qu'on nomme la Sitle est aussi d'un naturel belliqueux ; mais elle se laisse facilement prendre ; elle devient domestique, et on la nourrit sans peine. On l'appelle la pharmacienne, parce qu'elle a beaucoup de connaissance. Elle fait beaucoup d'oeufs; elle élève soigneusement ses petits, et elle vit de ce qu'elle trouve en frappant les arbres. 8 L'aegolios (la chouette) ne sort que la nuit pour chercher sa nourriture; elle ne paraît presque jamais dans le jour; et elle fait sa demeure des rochers et des cavernes, où elle se plaît également. Elle a beaucoup d'intelligence et d'industrie pour se procurer sa subsistance. Un tout petit oiseau nommé le Certhius est d'un naturel hardi, et il habite dans les arbres, où il vit de vers. Il est fort intelligent pour trouver sa nourriture ; et sa voix est très-claire. Les épiniers sont au contraire des oiseaux qui ont beaucoup de peine à vivre; leur couleur est aussi très-laide; mais ils ont une voix retentissante. [9,17] CHAPITRE XVII. 1 Parmi les hérons, le noir, ainsi qu'on l'a déjà dit, souffre beaucoup dans l'accouplement; il est d'ailleurs industrieux; il sait apporter la pâture au nid, et il chasse volontiers, s'exerçant dans le jour. Sa couleur est vilaine; 617a et il a toujours le ventre relâché. Quant aux deux autres espèces sur les trois que l'on compte, le héron blanc est d'une couleur superbe; il s'accouple sans douleur. Il niche et il pond volontiers sur les arbres; il se nourrit dans les marais, les lacs, les plaines et les prairies. Le héron étoile est surnommé le Paresseux ; et la fable le fait descendre anciennement d'esclaves ; conformément à son surnom, il n'y a pas d'oiseau plus paresseux que lui. 2 Voilà donc la vie des hérons. L'oiseau qu'on appelle la phoyx se distingue de tous les autres en ce qu'elle se nourrit presque uniquement d'yeux d'oiseaux; aussi est-elle en guerre avec la harpe, qui recherche la même nourriture. [9,18] CHAPITRE XVIII. 1 II y a deux espèces de merles : l'un, qui est noir et qu'on trouve partout; l'autre, qui est à demi blanc et à peu près de la môme grandeur; il a aussi à peu près le même chant. Ce dernier se trouve à Cyllène en Arcadie ; et on ne le rencontre absolument que là. Le laïus, parmi les merles, ressemble au merle noir; il est un peu plus petit; il fait ses demeures des rochers et des tuiles; il n'a pas le bec rouge, comme le merle. 2 La grive est de trois espèces. D'abord, celle qui se nourrit de gui, et qui ne mange que du gui et de la résine; celle-là est de la grosseur d'une pie. Une autre espèce qu'on appelle la Chevelue, a un cri perçant, et elle est grosse comme le merle. La troisième enfin est celle qu'on appelle llias ; c'est la plus petite des trois, et c'est la moins mouchetée. 3 Un oiseau de roches qu'on m appelle l'oiseau bleu, se montre surtout dans l'Ile de Nisyros; et il demeure dans les pierres. Il est un peu plus petit que le merle, et un peu plus gros que le pinson; il a les pattes grandes (noires) ; il grimpe le long des rochers; et tout son corps est bleuâtre. Son bec est mince et long ; ses pattes sont aussi courtes que celles de la Pipô (du Pic). [9,19] CHAPITRE XIX. 1 Le chlorion a le corps entier tout jaune. Quand il fait froid, on ne le voit plus ; et c'est surtout vers le solstice d'été qu'il se laisse voir. Il s'en va au lever de l'Arcture. Il est de la grosseur de la tourterelle. 2 L'oiseau nommé Tête-molle se perche toujours au même endroit; 618 et c'est là qu'on le prend. Voici sa forme : il a la tête forte et presque cartilagineuse; il est un peu plus petit qu'une grive ; son bec est très-fort, petit et rond; toute sa couleur est cendrée; il marche bien; mais il vole mal. On le prend à l'aide d'une chouette. 3 Il y a encore le Pardalos, qui vit habituellement en troupe, et qu'on ne voit jamais seul. Il est entièrement de couleur cendrée, de la même grosseur à peu près que ceux dont on vient de parler; il marche bien, et il ne vole pas trop mal. Sa voix est forte; sans être grave. 4 Le Collyrion a la même nourriture que le merle, et sa grosseur est celle des précédents ; c'est surtout en hiver qu'on peut le prendre. Mais tous ces oiseaux sont visibles en tout temps, comme le sont aussi le corbeau et la corneille, qui sont habitués à demeurer près des villes; car on voit ces derniers oiseaux dans toutes les saisons; ils ne migrent pas et ne se retirent jamais. 5 II y a trois espèces de geais. L'un, qu'on appelle le Goracias, est gros comme une corneille; et son bec est rouge. L'autre est celui qu'on surnomme le Loup; et enfin, le petit geai, dit le Moqueur. Il y a même une autre espèce de geai en Lydie et en Phrygie; mais celui-là est palmipède. 6 Les alouettes sont de deux espèces : l'une, qui marche sur terre, a une crête ; l'autre vit en troupe et n'est jamais isolée, comme la première. Elle est pourtant de la même couleur, bien qu'elle soit un peu plus petite ; elle est sans crête ; et c'est celle qu'on mange. L'ascalopas (la bécasse) se prend dans les vergers avec des filets; elle est de la grosseur d'une poule. Son bec est long; sa couleur se confond avec celle de l'attagen. Elle court, et même elle court très-vite. Elle se familiarise assez bien avec l'homme. L'étourneau est moucheté; et il est a peu près gros comme le merle. 7 Les ibis d'Egypte sont de deux espèces : l'une, qui est blanche, et l'autre, qui est noire. Les ibis blancs se trouvent dans toute l'Egypte, si ce n'est à Péluse; il n'y en a pas de noirs dans le reste de l'Egypte ; mais c'est à Péluse seulement qu'on les rencontre. 8 Les ducs se montrent en toutes saisons ; et on les appelle ducs-perpétuels; on ne les mange pas, parce qu'ils sont répugnants au goût. 618a Il y en a d'autres qui se montrent quelquefois à l'automne; mais ce n'est que pour un ou deux jours, tout au plus. Ils sont bons à manger, et ils sont très-réputés. Ils ne diffèrent des ducs surnommés perpétuels qu'en un point, à savoir qu'ils sont gras. Mais de plus, ils sont muets, tandis que les autres ont un cri. On ne sait point du tout d'où ils viennent; tout ce qu'on sait, c'est qu'ils paraissent avec l'arrivée du zéphyr ; et c'est ce que tout le monde peut voir. [9,20] CHAPITRE XX. 1 Le coucou, ainsi qu'on l'a dit ailleurs, ne fait pas de nid; mais il pond dans le nid d'autres oiseaux, surtout dans celui des ramiers, dans ceux de la fauvette et de l'alouette à terre, et dans le nid de l'oiseau appelé chloris, sur les arbres. Il ne fait qu'un œuf et ne le couve pas lui-même ; mais c'est l'oiseau dans le nid duquel il a déposé son œuf qui le fait éclore, et qui nourrit le petit. 2 On ajoute même que, dès que le petit coucou est assez fort, l'oiseau chasse ses propres petits, qui meurent de cette violence. D'autres prétendent que c'est la femelle nourricière du coucou qui lui donne à manger ses propres petits, tués par elle, parce que, dit-on, le petit coucou lui paraît si beau, qu'elle dédaigne sa progéniture. Ces faits sont, pour la plupart, attestés unanimement par des gens qui les ont vus de leurs propres yeux. 3 Mais si l'on est d'accord sur ces faits-là, on ne l'est pas autant sur la manière dont périssent les petits de l'oiseau qui accueille le coucou; les uns disent que c'est le coucou lui-même qui vient manger les petits de l'autre oiseau, qui a couvé son œuf; les autres assurent que le petit du coucou, étant de beaucoup le plus gros, accapare avant les autres petits toute la nourriture apportée, de telle façon que ces petits meurent de faim; enfin, que le petit du coucou, étant le plus fort, tue ceux avec qui on l'élève. 4 On peut trouver que le coucou montre une sorte d'intelligence en élevant ainsi ses petits. Comme il connaît très-bien sa propre lâcheté, et qu'il se sent incapable de défendre sa couvée, il se débarrasse en quelque sorte de ses petits, comme s'ils n'étaient pas les siens, pour les sauver d'une mort certaine ; car il n'y a pas d'oiseau qui soit plus lâche que celui-là; il se laisse plumer par les oisillons les plus chétifs, qui le font fuir devant eux. [9,21] CHAPITRE XXI. 1 Les apodes, appelés aussi des cypsèles, ressemblent beaucoup à l'hirondelle, ainsi qu'on l'a déjà dit. Ce n'est pas sans peine qu'on les distingue de l'hirondelle, à cette seule différence qu'ils ont la patte couverte de plumes. Ils nichent dans des poches de forme allongée, qu'ils construisent avec de la boue, et dont l'ouverture est juste ce qu'il leur faut pour y passer. Ils font ces nids fort étroits dans les pierres et dans les creux, pour échapper aux bêtes ou aux yeux de l'homme. 2 L'oiseau qu'on appelle le Tette-chèvre (engoulevent) se tient dans les montagnes; il est un peu plus gros qu'un merle, et un peu moins qu'un coucou. Il pond deux ou trois œufs tout au plus. Il est d'un naturel lent et paresseux. Il vole à côté des chèvres pour les téter, et c'est de là que lui vient le nom qu'il porte. On prétend qu'après qu'il a tété une chèvre, la mamelle s'atrophie et que la chèvre devient aveugle. Le Tette-chèvre n'a pas une bonne vue dans le jour; mais la nuit, il y voit bien. 3 Les corbeaux ne vont que deux à deux dans les cantons peu fertiles, qui ne fourniraient pas de nourriture suffisante à un nombre plus grand. Dès que leurs petits sont en état de voler, ils les chassent d'abord du nid ; et ensuite, ils les expulsent du canton qu'ils habitent. Le corbeau pond quatre ou cinq œufs. A l'époque où les hôtes de Médias périrent à Pharsale, on vit tout à coup l'Attique et le Péloponnèse désertés par tous les corbeaux, qui disparurent, comme s'ils s'étaient avertis mutuellement, et qu'ils eussent eu connaissance de quelque avis échangé entre eux. [9,22] CHAPITRE XXII. 1 Les aigles sont de plusieurs espèces. L'un qu'on appelle le pygargue fréquente les plaines et les bois, et les environs des villes. On le surnomme encore quelquefois le Tueur-de-faons. Il vole aussi sur les montagnes et dans les forêts, se fiant à son courage. Les autres espèces d'aigles ne se montrent que bien rarement dans les plaines et dans les bois. 2 Une seconde espèce d'aigle est celui qu'on nomme le Plangos; il est en effet le second en grosseur et en force. Il fréquente les halliers, les vallons et les lacs. On le surnomme aussi le Tueur-de-canards, et le Morphnos. C'est de celui-là que veut parler Homère, quand il raconte la sortie de Priam. 3 Un autre aigle est de couleur noire, le plus petit, et, cependant, le plus fort de tous. Il n'habite que les montagnes et les forêts. On l'appelle indifféremment l'aigle noir et le Tueur-de-lièvres; c'est le seul aigle qui nourrisse ses petits, et qui les garde jusqu'à ce qu'ils sortent du nid. Son vol est rapide; il est solitaire, superbe, sans aucune crainte, belliqueux; et sa voix, toujours forte, ne tourne jamais au gémissement et à la plainte. 4 Une autre espèce a des ailes tachetées de noir et la tête blanche ; c'est le plus grand de tous les aigles. Ses ailes sont très-peu étendues ; son croupion est allongé. Il ressemble assez à un vautour; on l'appelle la cigogne-de-montagnes, et aussi le sous-aigle. Il habite les bois. Il a toutes les mauvaises qualités des autres aigles, sans en avoir aucune des bonnes. 619a Il se laisse prendre et poursuivre par des corbeaux et des oiseaux aussi faibles. Son vol est lourd ; il vit d'aliments misérables et se nourrit de charognes. Il a toujours faim ; il crie sans cesse et se plaint toujours. 5 Une autre espèce d'aigles sont ceux qu'on appelle aigles de mer. Ils ont un cou long et gras, des ailes recourbées, et un croupion très-large. Ils habitent la mer et ses rivages; mais souvent aussi, ne pouvant porter la proie qu'ils ont saisie, ils sont entraînés au fond de l'eau. 6 Les aigles qu'on appelle aigles-francs forment une autre espèce. On prétend que c'est le seul de tous les biseaux dont la race soit parfaitement pure. Toutes les autres espèces d'aigles, d'éperviérs, et d'oiseaux plus petits, sont issues de mélanges, où se sont commis une foule d'adultères réciproques. Cet aigle-là est le plus grand de tous ; il est même plus gros que l'orfraie, et de moitié plus gros que les autres aigles. Il est de couleur rousse. Il se montre aussi rarement que l'oiseau appelé le Cymindis. 7 Le moment de la journée où l'aigle fait son travail de chasse et où il vole, c'est depuis l'heure du déjeuner des hommes jusqu'au soir. Le matin, il reste en repos, jusqu'à l'heure où nos marchés s'emplissent. A mesure que les aigles vieillissent, leur bec s'allonge, la partie supérieure se recourbant de plus en plus ; et ils finissent par mourir de faim. On raconte à ce sujet une fable qui nous apprend que c'est là une punition de l'aigle, qui, étant jadis homme, avait violé l'hospitalité envers celui qu'il avait reçu. 8 Ils font, pour leurs petits, des provisions de nourriture, quand il y en a de trop, parce qu'il ne leur est pas facile de s'en procurer tous les jours, et que quelquefois le dehors ne leur fournit absolument rien. Quand ils voient quelqu'un se préparer à surprendre leur nid, ils le frappent à coups d'ailes et le déchirent de leurs serres. D'ailleurs, ils ne font pas leurs nids dans des lieux plats, mais au contraire dans des endroits fort élevés, spécialement dans des roches inaccessibles, parfois aussi sur un arbre. 9 L'aigle nourrit ses petits jusqu'à ce qu'ils soient capables de voler ; alors, il les chasse du nid, et il les éloigne à de grandes distances, tout à l'entour. Une seule paire d'aigles occupe en effet un vaste espace, et c'est pour cela qu'ils empêchent les autres de se faire une demeure près d'eux. 10 L'aigle ne chasse jamais dans les environs de son nid ; mais c'est toujours au loin, s'y envolant d'un seul trait. Quand il a chassé et qu'il a surpris une proie, il la dépose et ne l'emporte pas sur-le-champ. Si le poids lui en paraît trop lourd, il l'abandonne. Il ne prend pas non plus les lièvres 620 tout à coup ; mais il les laisse d'abord courir dans la plaine. Il ne fond pas tout droit sur le terrain, mais peu à peu, et en faisant un grand cercle, qu'il réduit successivement. Il prend ces deux précautions pour n'être pas lui-même surpris à terre. 11 II se pose en général sur un point élevé, parce qu'il ne s'envolerait de terre que lentement. D'ailleurs, il vole très-haut pour embrasser l'espace le plus loin possible. Aussi, est-ce le seul oiseau dont les hommes aient fait un oiseau divin. Comme tous les autres oiseaux à serres recourbées, l'aigle ne se repose pas sur les rochers, parce que la dureté de la pierre serait un obstacle à la courbure des ongles. Il chasse les faons, les lièvres, les renards, et tous les jeunes animaux qu'il est assez fort pour saisir. L'aigle vit longtemps; et ce qui le prouve, c'est que son nid reste très-longtemps le même. [9,23] CHAPITRE XXIII. 1 On trouve en Scythie une espèce d'oiseaux qui sont de la grandeur de l'outarde. Cet oiseau fait deux petits. Il ne les couve point, en se mettant dessus; mais après les avoir placés sous une peau de lièvre ou de renard pour les cacher, il les quitte; et il les surveille du haut d'un arbre, tout le temps qu'il n'est pas en chasse ; si l'on vient pour les prendre, il les défend, et frappe l'agresseur à coup d'ailes, comme le font les aigles. 2 Les chouettes, les chats-huants ou corbeaux de nuit, et tous les autres oiseaux qui, comme ceux-là, ne volent pas durant le jour, se procurent leur pâture en chassant la nuit. Ce n'est pas précisément durant la nuit entière qu'ils se livrent à la chasse, mais au crépuscule du jour et avant l'aube du matin. Ces oiseaux chassent les souris, les lézards, les sphondyles, et autres animaux aussi petits. 3 L'oiseau qu'on nomme le vautour (orfraie) soigne beaucoup ses petits; il se procure facilement sa vie, et leur apporte une pâture abondante; il est fort doux, et il élève, en même temps que ses petits, les petits de l'aigle, qu'il recueille, quand l'aigle les chasse de son nid; car l'aigle les en chasse prématurément, lorsqu'ils ont encore besoin qu'on les nourrisse et qu'ils sont trop faibles pour voler. 4 II semble bien que l'aigle ne repousse ainsi sa couvée que par une sorte de jalousie égoïste. Il est d'un naturel jaloux; il est très-vorace, et très-avide de proie; quand il prend de la nourriture, il lui en faut énormément. Il devient ennemi de ses petits à mesure qu'ils grandissent, parce qu'alors ils sont en état de manger, et il les écarte avec ses pattes. Les petits de leur côté se disputent la place dans le nid et leur part de nourriture. L'aigle alors les expulse en les frappant; les petits poussent de grands cris, et c'est à ce moment que l'orfraie les recueille. L'orfraie a une taie sur les yeux, qui sont d'ailleurs très-mauvais. 5. L'aigle de mer 620a a, au contraire, la vue la plus perçante. Quand ses petits sont encore sans plumes et tout jeunes, il les force à regarder le soleil en face ; et, quand il y en a un qui résiste, il le frappe et le tourne vers le soleil ; celui des deux dont les yeux pleurent les premiers, l'aigle le tue et n'élève que l'autre. Cet aigle demeure aux bords des mers, et il vit en chassant les oiseaux qui les fréquentent, ainsi qu'on l'a déjà dit. Il les surprend un à un ; et il les attend, quand ils reviennent à la surface de l'eau. Aussi, quand l'oiseau, en sortant de l'eau, aperçoit l'aigle, qui le guette, il se replonge aussitôt, par la peur qu'il en a, et il va reparaître plus loin à la surface ; l'aigle, qui a la vue excellente, continue à voler jusqu'à ce que l'oiseau étouffe, et qu'il le saisisse à l'instant où il reparaît sur l'eau. L'aigle se garde d'attaquer les oiseaux quand ils sont en troupes, parce qu'alors la bande le repousse à coups d'ailes, en le couvrant d'eau. 6. Les kepphes sont pris au moyen de la mousse des eaux ; comme ils la recherchent avidement, on les prend en leur en jetant. Leur chair est, en général, de bon goût; il n'y a que leur croupion qui sente la marée ; ils deviennent fort gras. [9,24] CHAPITRE XXIV. 1 Parmi les éperviers, le plus fort est la buse, ou Triorchis; le second en vigueur est l'émerillon; et le troisième est le busard. L'autour, l'épervier-Tue-pigeons, et le Pternis sont des variétés. Les éperviers qui ont le corps plus large se nomment des sous-buses. Il y a encore les émouchets et les spizias ; il y a aussi les éperviers lisses, et ceux qui chassent les grenouilles de haie. Ce sont ceux-là qui trouvent le plus aisément leur pâture; et ils volent près de terre. 2 On prétend qu'il y a dix espèces d'éperviers au moins, qui présentent toutes d'assez grandes différences. Ainsi, les uns fondent sur le pigeon, qui est à terre, et l'emportent, et ne le touchent pas quand il vole. D'autres chassent le pigeon quand il est perché sur un arbre ou tout autre objet; mais ils ne le prennent, ni quand il est à terre, ni quand il est perché. D'autres enfin ne l'attaquent, ni quand il est à terre, ni quand il est perché; ils n'essayent de le prendre que quand il vole. 3 On assure aussi que les pigeons savent reconnaître ces diverses espèces d'éperviers, quand l'épervier vole vers eux; si c'est un de ceux qui chassent en l'air, ils ne bougent pas du lieu où ils se trouvent; mais si l'épervier qui fond sur eux est un de ceux qui frappent à terre, ils ne l'attendent pas, et ils se hâtent de prendre leur vol. 4 Dans cette partie de la Thrace qui se nommait jadis la Cédripole, dans la chasse au marais, les hommes sont de compte à demi avec les éperviers. Les chasseurs battent avec des perches les roseaux 621 et les buissons pour faire lever les petits oiseaux ; les éperviers, arrivant d'en haut, fondent sur eux, et les oisillons épouvantés se rejettent vers la terre, où les hommes les tuent à coups de bâton. Ils partagent alors le butin, en en jetant une partie aux éperviers, qui la saisissent avidement. 5 On raconte encore que, dans le Palus-Mé?tide, les loups marins sont familiers avec les hommes qui y font la pêche; si on ne fait pas une part aux poissons, ils rongent les filets, quand on les étend sur le sol pour les faire sécher. 6 Voilà ce qu'on avait à dire de l'habileté des oiseaux. [9,25] CHAPITRE XXV. 1 On peut observer aussi, dans les animaux de mer, bien des traits d'industrie et d'intelligence relatifs à la vie de chacun d'eux; et par exemple, on peut regarder comme vrai tout ce qu'on raconte de la grenouille-marine appelée le Pêcheur, et de la torpille. 2 Ainsi, cette grenouille a, au devant des yeux, des filaments suspendus, de la grosseur d'un cheveu, dans leur longueur, et arrondis par le bout. C'est une sorte d'appât placé en avant de chaque œil. Aussi, après s'être cachée dans les sables ou les boues, qu'elle trouble de bas en haut, elle tient ses filaments tendus ; et quand un petit poisson vient à s'y heurter, elle les retire à elle jusqu'à ce qu'elle ait porté la proie à sa bouche. 3 La torpille commence par engourdir les poissons qu'elle doit prendre, grâce à la faculté particulière qu'elle possède dans la bouche ; et de cette façon, elle les saisit et les mange. Cachée dans le sable et la vase, elle prend les poissons qui nagent au-dessus d'elle, en aussi grand nombre qu'elle en engourdit. C'est là un fait que quelques personnes ont observé de leurs propres yeux. 4 La pasténague se cache aussi, mais ce n'est pas tout-à-fait de même. Ce qui démontre que ces poissons se procurent ainsi leur proie, c'est qu'on en a péché, qui avaient des muges dans le corps, bien que les muges soient les plus vifs de tous les poissons, et qu'eux en soient les plus lents. Ce qui le démontre encore, c'est que, quand on pêche une grenouille de mer qui n'a plus ces appendices filamenteux, elle est plus maigre; et quant à la torpille, il est certain qu'elle peut engourdir même des hommes. 5 L'âne marin, la grenouille de mer, la plie et la lime s'enfouissent aussi dans le sable ; quand ils s'y sont bien cachés, ils tendent, comme des bâtons tout droits, les appendices qu'ils ont près de la bouche, et que les pêcheurs appellent des bâtonnets. Les tout petits poissons qui s'en approchent, les prennent pour des brins de fucus, dont ils se nourrissent. 6 Dans les eaux où il y a un anthias, on peut être sûr qu'il n'y a pas de poisson redoutable ; aussi, les pêcheurs d'éponges usent de cet indice, pour savoir le lieu où ils doivent plonger; et ils appellent les anthias des poissons sacrés. C'est de même que là où il y a des limaçons, on peut être sûr qu'il n'y a, ni porcs, ni perdrix, parce que les perdrix et les porcs les font disparaître en les mangeant. 7 Le serpent de mer se rapproche beaucoup du congre par la couleur et par la conformation ; seulement, il est plus écourté, et plus fort. Quand on le prend et qu'on le lâche, il s'enfouit à l'instant dans le sable, en y faisant un trou avec son museau; car il a la bouche plus pointue que les serpents. 8 Lorsque le poisson qu'on nomme la scolopendre a avalé un hameçon, il retourne ses intestins de dedans en dehors, jusqu'à ce qu'il se soit débarrassé de l'hameçon ; puis il fait rentrer ses intestins. Les scolopendres de mer sont attirées par la viande grillée, tout comme les scolopendres de terre. Ce n'est pas du reste avec la bouche qu'elles mordent; mais tout leur corps est piquant, lorsqu'on le touche, comme celui des orties de mer. 9 Quand les poissons appelés renards-marins sentent qu'ils ont avalé un hameçon, ils s'en débarrassent à peu près aussi bien que les scolopendres ; ils remontent d'ordinaire vivement vers la ligne, et ils la rongent. En certains parages, on les prend à des hameçons nombreux, qu'on descend dans des eaux courantes et profondes. 10 Quand les bonitons voient approcher quelque poisson dangereux, ils se réunissent en masse; les plus gros nagent tout autour en cercle; et, si l'ennemi attaque l'un d'eux, ils le défendent. Les bonitons ont des dents très-fortes; et on les a vus souvent entraîner au fond des eaux d'autres poissons, et même une lamie. 11 Parmi les poissons d'eau douce, le glanis mâle a un soin vraiment extraordinaire de ses petits. La femelle s'en va, après avoir pondu ; mais le mâle, là où s'est réunie la plus forte partie de la ponte, surveille les œufs, auprès desquels il reste, ne faisant pas d'autre fonction utile que d'éloigner les autres petits poissons, pour qu'ils ne détruisent pas son frai, en le dispersant. Il continue cette vigilance durant quarante et cinquante jours de suite, jusqu'à ce que les petits devenus plus gros puissent échapper aux autres poissons. Les pêcheurs découvrent l'endroit où le glanis garde ainsi ses œufs, parce qu'en éloignant les poissons, il bondit sur l'eau, et qu'il fait entendre un bruit et un grognement.12 II aime si vivement ses œufs que, quand ils sont placés sous des racines profondes, les pêcheurs, venant des deux côtés, peuvent les resserrer de plus en plus dans un cercle étroit, sans que le glanis abandonne son frai. S'il est jeune et novice, il est bien vite pris à l'hameçon; il ne quitte pas pour cela ses petits; et d'un coup de ses dents très-fortes, il brise tous les hameçons et les détruit. 13 Tous les animaux aquatiques, soit qu'ils nagent, soit qu'ils restent en place, se nourrissent dans les lieux où ils naissent, ou dans des lieux analogues, parce que la pâture propre à chacun ne se trouve que dans ces lieux-là. Ce sont les carnivores qui sont les plus errants. Du reste, presque tous les animaux aquatiques sont carnivores, sauf un très-petit nombre, tels que le muge, la saupe, le surmulet et le chalcis. Le poisson appelé la phôlis jette une bave mousseuse, dont elle s'enveloppe, et qui lui fait comme une couverture. 14 Parmi les testacés et les apodes, c'est le peigne qui a le plus de mouvement et qui s'éloigne le plus, en se fiant à ses propres forces. La pourpre, au contraire, ne s'éloigne que d'une trèsfaible distance, ainsi que tous les animaux qui lui ressemblent. En hiver, les poissons migrent de l'Euripe de Pyrrha et en sortent, sauf le goujon, à cause de la rigueur du froid, qui se fait sentir davantage dans l'Euripe; au printemps, ils y reviennent, dès qu'ils peuvent. 15 D'ailleurs, on ne trouve dans l'Euripe, ni le scare, ni l'alose, ni aucun poisson à arêtes, non plus que les chiens de mer, ni les épiniers, ni les langoustes, ni les polypes, ni les bolitènes, ni les autres de même espèce. Des poissons qui naissent dans l'Euripe, le goujon-blanc ne va jamais en pleine mer. 16 C'est au printemps que les poissons ovipares sont dans toute leur vigueur, jusqu'au moment où ils pondent leurs œufs; pour les vivipares, c'est au contraire, à l'automne ; et avec eux, les muges, les surmulets et les poissons de cet ordre. Dans les parages de Lesbos, tous les poissons de haute mer, aussi bien que ceux de l'Euripe, viennent pondre dans l'Euripe. Ils s'accouplent en automne et pondent au printemps. Les sélaciens se mêlent indistinctement, mâles et femelles, dans l'automne, pour s'accoupler; mais quand le printemps est venu, ils vont séparément jusqu'à la ponte ; et pendant l'accouplement, on en prend souvent qui sont encore conjoints. 17 La seiche est le plus rusé des mollusques; c'est le seul d'entre eux qui se sert de sa liqueur noire pour se cacher; elle ne s'en sert pas uniquement quand elle a peur, comme le polype et le calmar, qui ne jettent leur liqueur noire que quand ils sont effrayés. D'ailleurs, tous ces animaux ne jettent jamais toute leur liqueur en une seule fois; et elle se reforme, après qu'ils l'ont jetée. 18 Comme on vient de le dire, la seiche emploie souvent sa liqueur en vue de se cacher; et après s'être montrée en avant du nuage 622a qu'elle forme, elle y rentre. Mais elle chasse aussi avec ses longs appendices, non pas seulement de petits poissons, mais souvent jusqu'à des muges. Le polype est peu intelligent ; car si l'on plonge la main dans l'eau, il n'hésite pas à s'en approcher. Mais il est fort ménager ; il rassemble dans la retraite, où il fait sa demeure, tout ce qu'il peut; et quand il a mangé les parties qui sont les plus propres à le nourrir, il rejette les coquilles, les téguments et les écailles des crabes, et les arêtes des petits poissons. Pour s'emparer des poissons qui sont sa proie, il change sa couleur, et il prend celle des rochers qu'il côtoie. Il en change également quand il a peur. 19 Quelques personnes assurent que la seiche en fait autant; et qu'elle modifie sa couleur, selon celle des lieux où elle vit; mais il n'y a que la raie qui ait cette faculté, et qui change de couleur, comme le polype. 20 La plupart des polypes ne vivent pas même d'une année sur l'autre- Par sa nature, le polype tend à se dissoudre et à se fondre ; et on peut bien le voir par ce seul fait que, quand on le presse, il rend toujours quelque chose, jusqu'à ce qu'enfin il soit réduit à rien. Les femelles éprouvent surtout cet effet après la ponte; elles deviennent comme étourdies, et ne sentent pas que le flot les emporte ; rien n'est plus facile que de les prendre en plongeant la main; elles deviennent toutes glaireuses; et, dans leur inertie, elles ne peuvent plus chasser leur proie. Les mâles deviennent aussi durs que du cuir, et ils sont visqueux. 21 Une preuve que les polypes ne vont pas à deux ans, c'est qu'après l'éclosion des petits polypes, en été et vers l'automne, il est bien difficile de voir encore un grand polype ; et que c'est un peu avant cette époque que les polypes sont les plus gros. Dès qu'ils ont pondu leurs œufs, le mâle et la femelle vieillissent et s'affaiblissent tant, dit-on, qu'ils se laissent dévorer par de petits poissons, qui viennent les arracher de leurs retraites; ce que les polypes ne souffriraient jamais dans une autre saison. On ajoute que les petits et jeunes polypes, après qu'ils sont nés, n'éprouvent rien de pareil, et qu'ils sont plus forts que les gros. 22 Les seiches n'atteignent pas non plus la seconde année. Le polype est le seul des mollusques qui aille à sec en sortant de l'eau ; il marche sur les endroits raboteux, et il évite ceux qui sont tout unis. C'est un animal assez fort dans toutes les parties du corps, sauf le cou, organe où il est très-faible, pour peu qu'on le presse. 623 Voilà ce qu'il y avait à dire des mollusques. 23 Quant aux conques, on prétend que les conques lisses et les conques raboteuses se forment, autour d'elles, une sorte de cuirasse très-dure, qu'elles rendent d'autant plus grande qu'elles grandissent elles-mêmes; et qu'elles en sortent comme d'une retraite et d'une maison, qu'elles se construisent. 24 Le polype nautile est remarquable à la fois par sa nature, et aussi, par tout ce qu'il fait. Ainsi, il vogue à la surface de la mer, après être parti du fond de l'eau. Il s'élève d'abord en retournant sa coquille, afin de remonter plus aisément et de l'avoir vide en naviguant; puis, arrivé à la surface, il la redresse. Entre ses tentacules, il a une sorte de tissu qui ressemble à celui que les palmipèdes ont entre leurs doigts. Seulement, chez les palmipèdes, cette membrane est épaisse, tandis que, dans le nautile, elle est aussi mince qu'une toile d'araignée. Dès qu'il fait un peu de vent, elle lui sert de voile ; et ses tentacules rapprochés et descendus lui font un gouvernail. A la moindre alerte, il plonge dans la mer, en remplissant d'eau sa coquille. 25 Du reste, on n'a pu faire encore aucune observation précise sur la reproduction et la croissance de ce polype. On peut croire qu'il ne vient pas d'accouplement, et qu'il pousse comme tant d'autres coquillages. On ne sait pas non plus s'il peut vivre détaché de sa coquille. [9,26] CHAPITRE XXVI. 1 Parmi les insectes, et l'on pourrait presque dire, parmi tous les animaux sans exception, les plus laborieux, ce sont les fourmis et les abeilles, après lesquelles on peut nommer les frelons et les guêpes, et tous les insectes de même ordre que ceux-là. On peut observer encore qu'entre les araignées, il y en a quelques-unes qui sont plus remarquables que d'autres et plus habiles aussi à trouver leur vie. Tout le monde a pu voir également les fourmis travailler à la surface du sol ; on a pu voir comment toutes suivent, sans le moindre écart, toujours le même chemin, et comment elles déposent et thésaurisent leurs provisions. Elles travaillent même de nuit, quand il fait pleine lune. 2 Les araignées et les phalanges sont de plusieurs espèces. Les phalanges qui piquent en présentent déjà deux, dont l'une ressemble à celles des araignées qu'on appelle des loups. Elle est petite, tachetée, très-vive et sautillante. On les appelle des psylles. L'autre espèce de phalange est plus grosse, de couleur noire ; elle a les pattes de devant très-longues; son mouvement est paresseux, et elle marche lentement; elle n'est pas forte et ne saute pas. Toutes les autres araignées, qu'exposent les pharmaciens, ou ne piquent pas du tout, ou ne piquent que faiblement. 3 623a Une autre espèce d'araignées, ce sont celles qu'on appelle des Loups. Elle est petite, et elle ne file pas. Une seconde, plus grande que celle-ci, file une toile épaisse et mal disposée, sur terre et sur les décombres. Elle place toujours sa toile près des ouvertures ; et restant en dedans à garder les bouts de sa toile, elle attend que quelque proie y produise un mouvement, en y tombant ; et ensuite, elle fond sur elle. L'araignée tachetée file sous les arbres une toile petite et mal faite. 4 II est une troisième espèce beaucoup plus habile que toutes celles-là, et plus remarquable. Elle fait son tissu, en tendant tout d'abord ses fils en tous sens, aux points extrêmes qu'elle a choisis. Ensuite, elle établit sa chaîne, en partant du milieu, qu'elle sait fort bien distinguer et prendre. Sur ces premiers fils, elle jette des sortes de trames ; et enfin, elle consolide et unit le tout. Elle place ailleurs sa demeure et le dépôt de son butin; mais c'est au centre de sa toile qu'elle guette sa proie. Dès que quelque chose vient à tomber dans ses rets, et que le centre en est ébranlé, elle se hâte d'enlacer l'animal et de l'envelopper de ses fils, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus bouger; alors, elle l'emporte loin du centre, où elle l'a saisi. 5 Si elle se trouve avoir faim à ce moment, elle suce l'animal; c'est là sa jouissance; et si elle n'a pas faim, elle recommence et continue sa chasse, après avoir restauré les parties déchirées de sa toile. Si une seconde proie vient à s'y prendre, d'abord elle accourt au centre; et de là, elle revient sur l'animal, comme la première fois. Si l'on vient à endommager sa toile, elle en recommence le tissu, soit au coucher, soit au lever du soleil, parce que c'est surtout à ces deux heures-là que les animaux s'y font prendre, en y tombant. C'est, d'ailleurs, la femelle seule qui file et qui chasse ; le mâle ne fait que partager sa proie. 6 Il y a deux espèces d'araignées sans poils, et faisant une toile épaisse. L'une de ces espèces est plus grande; et l'autre, plus petite. Celle qui a les pattes plus longues fait le guet en se suspendant en bas, au bout de son fil, pour que les animaux se laissent sans crainte prendre dans la toile qui est en haut; car cette araignée ne peut pas, à cause de sa grosseur, se bien cacher. L'autre espèce, qui a les pattes moins démesurées, se tient en haut de sa toile, après y avoir organisé une. petite ouverture, où elle peut se cacher. 7 Les araignées peuvent produire leur toile aussitôt après leur naissance; mais ce n'est pas en tirant les fils de leur intérieur, comme une sorte d'excrément, ainsi que le prétend Démocrite ; c'est plutôt comme une écorce qui pousserait sur tout leur corps ; ou bien, c'est comme certains animaux, le hérisson par exemple, qui lancent leurs piquants. L'araignée attaque et même enlace des animaux beaucoup plus grands qu'elle ; c'est ainsi qu'elle se jette sur de petits 624 lézards; et que tournant autour de leur bouche, elle les enveloppe de ses fils, jusqu'à ce que leur bouche en soit tout à fait fermée ; et alors, elle les suce tout à son aise. 8 Voilà ce que nous avions à dire sur ces diverses espèces d'animaux. [9,27] CHAPITRE XXVII. 1 Il y a un certain genre d'insectes à qui l'on ne saurait donner un seul et unique nom commun, mais qui tous, cependant, ont une forme congénère. Ce sont tous les insectes qui font des alvéoles de cire, comme les abeilles et tous ceux qui sont de forme analogue à la leur. 2 On peut en compter jusqu'à neuf espèces, dont six vivent en essaims : l'abeille, les Rois des abeilles, le bourdon qui reste parmi les abeilles, la guêpe annuelle, et enfin l'anthrène et le tenthrédon. Les trois autres espèces vivent solitaires. Ce sont le petit siren, qui est brun-gris; le second siren, qui est plus grand, noir et tacheté; puis le troisième, qu'on appelle le Bombyle, et qui est le plus gros de tous. 3 Les fourmis ne chassent aucun animal ; mais elles recueillent des choses qu'elles trouvent toutes faites; les araignées ne produisent rien non plus, et ne font pas d'approvisionnements; elles chassent uniquement leur nourriture. Plus tard, il sera question des genres qui viennent d'être indiqués, au nombre de neuf; mais si les abeilles ne chassent rien non plus, elles produisent quelque chose, et elles emmagasinent. 4 C'est le miel qui est leur nourriture. On peut bien le voir quand les éleveurs d'abeilles essayent d'enlever les gâteaux de cire. Suffoquées par la fumée, qui les fait beaucoup souffrir, elles se mettent à manger du miel plus que jamais; car en tout autre temps, on les voit en manger peu, comme si elles le ménageaient et le mettaient en réserve pour se nourrir. 5 Elles ont encore un autre aliment; c'est ce qu'on appelle parfois le Cérinthe, espèce de miel inférieur qui a la douceur de la figue. Elles portent le Cérinthe sur leurs pattes, comme elles y portent la cire. 6 On peut observer une foule de phénomènes variés dans le travail et la vie des abeilles. Ainsi, quand on leur livre la ruche toute vide, elles construisent les cellules de cire, en y apportant les larmes de toutes les fileurs et celles des arbres, comme le saule, l'orme, et les arbres qui produisent le plus de matières visqueuses. Elles enduisent soigneusement de cette matière le plancher de la ruche, afin de se défendre des autres animaux. C'est ce que les éleveurs nomment la conisis; les abeilles s'en servent aussi pour bâtir les entrées de la ruche, quand elles sont trop larges. 7 Elles font, en premier lieu, les cellules dans lesquelles elles doivent être elles-mêmes, puis celles où sont les Rois, et enfin celles des bourdons. Elles bâtissent 624a en tout temps leurs propres cellules; elles bâtissent celles des Rois, quand le couvain est très nombreux ; et celles des bourdons, seulement quand le miel annonce de devoir être fort abondant. Elles mettent les cellules des Rois tout près des leurs, qu'elles font petites ; et elles mettent celles des bourdons près de celles-là, les faisant moins grandes que les cellules des Rois. 8 Elles commencent les rangs d'alvéoles par haut, à partir du couvercle de la ruche, et elles les relient les uns aux autres par le bas, en faisant plusieurs rangées jusqu'au plancher. Les places, soit du miel, soit des essaims ou couvains, ont deux entrées; sur un seul fond, il y a deux places comme il y a les deux bords d'une coupe à deux becs, l'une en dedans, l'autre en dehors. Là où commencent les gâteaux de cire, les jointures avec la ruche sont courtes et vides de miel ; il y en a deux ou trois rangs circulaires. Les gâteaux les plus remplis de miel sont surtout ceux qui sont enduits de cire et faits avec de la cire. 9 A la bouche de la ruche, le bord de l'entrée est enduit de Mythis. Cette matière, qui est d'un noir assez foncé, est comme une purification de la cire pour les abeilles, et l'odeur en est très-forte. C'est un remède contre les contusions et les plaies qui suppurent. L'enduit qui vient après celui-là est la poix de cire, moins odorant, et moins propre à des remèdes que la Mitys. 10 On prétend quelquefois que les mâles (faux-bourdons) font aussi des cellules, pour eux isolément, et dans la même ruche et dans le même gâteau que les abeilles, avec lesquelles ils partagent, mais qu'ils ne font pas cependant de miel, et qu'ils se nourrissent de celui des abeilles, eux et leurs petits. Le fait est que les mâles restent presque toujours dans l'intérieur de la ruche; quand ils en sortent par hasard, ils s'élèvent bruyamment par groupes vers le ciel, tournant sur eux-mêmes et s'exerçant en quelque sorte; puis, rentrant dans la ruche, ils y mangent avidement.11 Les Rois ne sortent jamais de la ruche qu'avec l'essaim tout entier, ni pour leur nourriture, ni pour aucune autre cause. On assure que, si l'essaim vient à s'égarer, il rebrousse chemin et vole jusqu'à ce que les abeilles aient, à l'odeur, retrouvé leur chef. On ajoute même que l'essaim se charge de le porter, quand il ne peut plus voler; et que s'il vient à mourir, l'essaim meurt avec lui. Si, par hasard, les abeilles vivent encore quelque temps après lui, et si elles font encore des cellules, elles n'y déposent plus de miel, et elles ne tardent pas à périr. 12 Les abeilles recueillent la cire en ratissant vivement les tiges des plantes, avec leurs pattes de devant; 625 elles essuient celles-là sur celles du milieu; et les pattes du milieu s'essuient sur les parties courbes des pattes de derrière- Quand la charge est pleine, l'abeille s'envole, et l'on voit bien qu'elle porte un lourd fardeau. A chaque vol, les abeilles ne vont pas d'une fleur de certaine espèce à une fleur d'espèce différente ; mais elles vont d'une violette à une violette, sans toucher à aucune autre fleur, avant de rentrer dans la ruche. Alors qu'elles y sont rentrées, elles se secouent; et chacune d'elles est suivie de trois ou quatre autres.13 II n'est pas facile de voir ce qu'est leur butin pris sur les plantes ; et on n'a pu encore surprendre le travail auquel elles se livrent. Mais on a pu se rendre compte de la récolte de la cire, qu'elles font sur les oliviers, parce que, à cause de l'épaisseur des feuilles, elles y demeurent plus longtemps sur le même point. 14 Après ces premiers ouvrages, les abeilles font leurs petits. Rien n'empêche que, dans le même gâteau, des petits ne se trouvent avec du miel et avec des bourdons. Tant que le chef est vivant, les bourdons, à ce qu'on dit, restent à part; mais s'il ne vit plus, les bourdons sont produits par les abeilles dans leurs propres cellules. Ces bourdons-là sont plus courageux; et aussi on les appelle bourdons à aiguillons, non pas qu'ils aient un dard, mais parce qu'ils voudraient bien en lancer un et qu'ils ne le peuvent pas. Les cellules des bourdons sont plus grandes. Parfois, les abeilles font ces cellules des bourdons tout à fait à part, chacune isolée ; mais le plus ordinairement, elles les font entre les cellules d'abeilles ; et voilà comment les éleveurs les séparent.15 Les espèces des abeilles sont fort nombreuses, ainsi qu'on l'a déjà dit. D'abord, il y a deux espèces de chefs : l'un, qui vaut le mieux, est de couleur rousse ; l'autre est noir et plus moucheté ; il est, en grosseur, double de l'abeille travailleuse. L'abeille la plus active est petite, rondelette et mouchetée; l'autre est longue et se rapproche de la guêpe. Une autre espèce est celle qu'on appelle le Voleur, qui est noire et a un gros ventre. Enfin, vient le bourdon, qui est le plus gros de tous ces insectes, mais qui n'a pas d'aiguillon et qui ne travaille pas. 16 Il y a grande différence entre les abeilles, selon qu'elles proviennent de celles qui picorent des plantes cultivées ou des plantes de montagnes. Celles qui naissent d'abeilles de forêts sont plus velues, plus petites, plus laborieuses et plus méchantes. Les abeilles ouvrières font leurs gâteaux de cire bien égaux, et la couverture qu'elles mettent à la surface est lisse partout. La forme de la cellule est unique; et chacune est destinée tout entière au miel, ou aux petites abeilles, ou aux bourdons. S'il se trouve que tout cela soit réuni dans un même gâteau, il y aura à la suite un gâteau qui aura été fait tout exprès 17 625a Les abeilles longues font des cellules irrégulières, et le couvercle en est boursouflé, comme celui de l'anthrène ; les petits, ainsi que tout le reste, y sont placés sans ordre et comme au hasard. De ces abeilles-là, naissent les chefs mauvais, beaucoup de bourdons, beaucoup de celles qu'on appelle Voleurs ; mais elles font très-peu de miel, ou même elles n'en font pas du tout. 18 Les abeilles s'accouvent sur les gâteaux de cire, et elles les échauffent. Sans cette précaution, les gâteaux se perdent, dit-on, et se couvrent de toiles d'araignées. Si elles peuvent continuer à couver ce qui reste, c'est comme une cicatrice qui guérit les gâteaux ; autrement, ils sont absolument perdus. Il se forme dans les gâteaux altérés ainsi de petits vers, qui prennent des ailes et s'envolent. Quand les gâteaux ne font que tomber, les abeilles les redressent ; et elles établissent des appuis en dessous, pour qu'elles puissent y circuler; car si elles n'y ont pas un chemin, où elles puissent aller et venir, elles ne les couvent plus ; et les toiles d'araignées les envahissent. 19 Le Voleur et le bourdon ne font rien pour leur part; mais ils gâtent le travail des autres; aussi, les abeilles ouvrières les saisissent et les tuent. Elles tuent également la plupart de leurs chefs, et plus particulièrement les mauvais, de peur que, devenant trop nombreux, ils ne divisent l'essaim. Elles les tuent surtout quand la ruche n'est pas très-bien fournie en petits, et qu'il n'y a pas lieu à envoyer des essaims au dehors. Dans ces circonstances, les abeilles détruisent les cellules des Rois, si elles sont déjà préparées, comme favorisant les sorties des essaims. 20 Elles détruisent même celles des bourdons, si la disette de miel est à craindre, et si les ruches n'en sont pas bien approvisionnées. C'est alors surtout qu'elles combattent pour garder leur miel contre les bourdons, qui le leur prennent; elles chassent ceux qui restent encore, et bien souvent on les voit les expulser ainsi, au milieu de leur travail. 21 Les petites abeilles luttent énergiquement contre celles de la grosse espèce; et elles font tout ce qu'elles peuvent pour les chasser des ruches. Si elles sont victorieuses, la ruche a des chances pour réussir d'une façon extraordinaire. Si ce sont les autres, au contraire, qui restent seules maitresses, elles se livrent à leur oisiveté et ne font rien de parfaitement bien ; elles-mêmes meurent avant l'automne. Quand les abeilles ouvrières ont à en tuer d'autres, elles tâchent de faire les exécutions en dehors de la ruche ; si l'une d'elles vient à mourir, elles la mettent dehors également. 22 Les Voleurs, ainsi nommés, abîment 626 jusqu'à leurs propres gâteaux; ils entrent aussi, quand ils peuvent se cacher, dans les autres gâteaux étrangers; mais si on les y surprend, ils sont mis à mort. La difficulté pour eux, c'est de se cacher; car à chaque entrée, il y a des gardes; et si le larron parvient à pénétrer sans être vu, il ne peut plus s'envoler, parce qu'il se remplit outre mesure, et que se roulant devant la ruche, il est bien difficile qu'il échappe. 23 Quant aux Rois, on ne les voit jamais hors de la ruche qu'avec les essaims qui sortent et sont envoyés ailleurs; et toujours dans ces sorties, toutes les autres abeilles sont groupées et dispersées autour d'eux. Quand une de ces sorties doit avoir lieu, on entend, pendant quelques jours, dans la ruche, un son monotone et très-particulier; et deux ou trois jours à l'avance, quelques abeilles volent autour de l'essaim. On n'a pu savoir encore si le Roi est alors au milieu d'elles; car ce n'est pas une observation trèsaisée. Quand les abeilles sont une fois réunies en masse, elles s'envolent, et les autres abeilles se séparent, chaque groupe avec son Roi. Si un groupe peu nombreux se rencontre auprès d'un groupe qui est plus considérable, les moins nombreuses se réunissent à celles qui le sont davantage; et si le Roi qu'elles abandonnent vient à vouloir les suivre, elles le tuent. 24 Voilà ce qu'on sait sur la manière dont les choses se passent quand les essaims quittent la ruche et qu'ils se séparent. 25 II y a des abeilles attachées régulièrement à chacun des travaux qu'elles ont à faire. Ainsi, les unes apportent le suc des fleurs ; d'autres apportent de l'eau; d'autres polissent et dressent les gâteaux. L'eau qu'elles charrient est destinée à nourrir les jeunes, et elles n'en apportent qu'à ce moment. Elles ne se posent jamais sur de la viande; elles ne mangent rien de cuit Elles n'ont point de temps marqué régulièrement pour le commencement de leurs travaux; mais quand elles ont tout ce qu'il leur faut, et que la ruche entière est en santé, elles se mettent à l'ouvrage, sans regarder à une saison plus qu'à l'autre; et tant que tout va bien, elles continuent leur labeur. 26 L'abeille travaille immédiatement, toute jeune qu'elle est, et trois jours après son éclosion, si elle a de la nourriture. Quand l'essaim est posé quelque part, il y a des abeilles qui s'en détachent pour aller aux vivres, et qui y reviennent ensuite. Dans les ruches qui sont en bon état, la production des jeunes abeilles ne discontinue que dans les quarante jours, à peu près, qui suivent le solstice d'hiver. Quand les jeunes sont déjà assez grands, les abeilles leur préparent de la nourriture et les enferment dans la cellule avec un enduit. Dès que le jeune en a la force, il rompt lui-même l'enveloppe qui le couvre, et il sort. 27 Les abeilles ouvrières nettoient les ruches, en expulsant les bêtes qui s'y introduisent et qui abîment les gâteaux; les autres abeilles, dans leur paresse, voient avec indifférence la destruction de leurs ouvrages. 626a Quand les éleveurs prennent les gâteaux, ils y laissent assez de miel pour que les abeilles puissent se nourrir en hiver. Si cette nourriture est assez abondante, la ruche est sauvée ; si elle ne l'est pas, les abeilles meurent en temps d'hiver; et si c'est par le beau temps, elles désertent la ruche. 28 Du reste, été comme hiver, le miel est toujours la nourriture des abeilles. Elles y ajoutent aussi une autre espèce d'aliment, qui se rapproche de la cire pour la dureté, et qu'on appelle parfois de la sandaraque. 29 Les ennemis les plus redoutables des abeilles sont les guêpes, les mésanges segi thaïes, comme on les appelle, l'hirondelle et la mérope. Les grenouilles d'étang leur fout également la chasse, quand elles viennent chercher de l'eau; et aussi, les possesseurs de ruches ne manquent-ils pas de chasser, des étangs où viennent s'abreuver les abeilles, les grenouilles qui s'y trouvent. Ils détruisent encore les guêpiers, les hirondelles et les nids de méropes, qui sont près des ruches. Du reste, l'abeille ne craint aucun animal, si ce n'est les abeilles. Elles se battent entre elles, et aussi contre les guêpes. Hors de la ruche, elles ne s'attaquent point entre elles, et elles n'attaquent point les autres animaux ; mais près de la ruche, elles tuent tout ce qu'elles peuvent atteindre. 30 Une fois que les abeilles ont porté leur coup, elles en meurent, parce qu'elles ne peuvent pas faire sortir leur dard, sans faire sortir aussi leur intestin. Quand on est piqué, on se guérit avec quelques soins et en ôtant l'aiguillon de la plaie; mais l'abeille meurt toujours de la perte de son dard. En le lançant, elles peuvent faire mourir de très-gros animaux, qu'elles piquent; et l'on a vu plus d'un cheval mourir de piqûres d'abeilles. 31 Les Rois ne font pas de mal et ne piquent presque pas. Quand des abeilles meurent, les autres les emportent hors de la ruche; car il n'y a pas d'animal plus propre que l'abeille, en toutes choses ; et elles sortent fréquemment de la ruche pour rendre leurs excréments, qui ont une odeur fort mauvaise. Ainsi qu'on l'a déjà dit, elles souffrent beaucoup de toutes les mauvaises odeurs, et même de celle des parfums, à tel point qu'elles piquent ceux qui en font usage. 32 Bien d'autres accidents peuvent faire périr les abeilles, par exemple, lorsque, les Rois étant plus nombreux qu'il ne faut, chacun d'eux essaie d'emmener ailleurs une partie de la ruche. La grenouille de haie tue aussi les abeilles, en venant souffler aux entrées de la ruche, et en prenant au vol celles qui en sortent. Elle n'a rien à redouter des abeilles ; mais l'homme chargé du soin des ruches ne manque pas de la tuer. 33 627 Nous venons de dire qu'il y a une espèce d'abeilles qui travaillent mal, et qui font des gâteaux tout raboteux. A en croire quelques éleveurs, ce sont surtout les jeunes abeilles qui font de si mauvaise besogne, à cause de leur inexpérience. Les jeunes abeilles sont celles de l'année ; celles-là ne piquent pas comme les autres ; et l'on peut transporter leurs essaims sans danger, parce qu'ils sont composés de jeunes. Quand le miel fait défaut, on expulse les bourdons, et l'on jette aux abeilles des figues et autres choses d'une saveur douce. 34 C'est à l'intérieur que travaillent les vieilles abeilles ; elles sont plus velues, précisément parce qu'elles restent dans la ruche ; les jeunes, qui sortent et rapportent la nourriture du dehors, sont plus lisses. Quand il n'y a plus de place pour pouvoir travailler, on tue les bourdons, qui se tiennent au fond de la ruche. Dans une ruche malade, on a vu quelques abeilles en sortir pour aller dans une ruche voisine, et victorieuses, dans le combat qu'elles avaient dû livrer, rapporter une provision de miel. L'éleveur les ayant tuées, les autres sortirent à leur tour et se battirent, sans faire le moindre mal à l'homme. 35 Les maladies qui attaquent surtout les ruches en pleine prospérité sont d'abord celle qu'on appelle le cléros. 36 Ce sont des vers fort petits qui se produisent sur le plancher de la ruche, et qui, en se développant, en recouvrent tout l'intérieur, comme d'une toile d'araignée. Les gâteaux alors se pourrissent. Une autre maladie, c'est l'inertie où tombent les abeilles, et la mauvaise odeur dont les ruches s'emplissent. Le butin des abeilles, c'est le thym ; le blanc leur vaut mieux que le rouge ; l'emplacement des ruches doit n'être pas trop chaud dans les grandes chaleurs, et il doit être chaud en hiver. Les abeilles sont surtout malades, quand elles emploient à leur travail des plantes atteintes de la rouille. 37 Lorsque le vent souffle par trop fort, elles portent avec elles une pierre, pour se faire un lest contre sa violence. Elles vont boire, s'il y a un cours d'eau dans le voisinage ; et elles ne boivent jamais ailleurs que là, après avoir tout d'abord déposé leur fardeau. S'il n'y a pas de cours d'eau à proximité, elles vont boire ailleurs; et elles rejettent leur miel pour retourner aussitôt au travail. 38 Les deux saisons pour la confection du miel, ce sont le printemps et l'automne. Le miel du printemps est plus agréable et plus blanc, et, en somme, meilleur que celui de l'automne. Le miel le plus fin est celui qui provient de nouvelles cellules de matériaux tout frais. Le miel roux est le moins bon, à cause de la cellule d'où il vient et qui le gâte, comme le vase peut gâter le vin qu'il contient. Aussi, doit-on le faire sécher. 39 627a Quand le thym est en fleur, et que les cellules en sont pleines, le miel ne durcit pas. Le bon miel a la couleur de l'or; le miel blanc ne vient pas de thym parfaitement pur; mais il est efficace pour les maux d'yeux et les plaies. La partie la moins bonne du miel monte toujours à la surface, et il faut l'enlever pour trouver le miel pur, qui est au fond. 40 C'est lorsque toute la végétation est en fleur que les abeilles font la cire ; aussi, faut-il alors enlever la cire de l'alvéole ; car elles font la nouvelle immédiatement. Les plantes, où elles la recueillent sont l'atractyllis, le mélilot, l'asphodèle, le myrte, le phléos, l'agnus-castus et le sparte. Si elles emploient du thym, elles y mêlent de l'eau, avant d'en enduire la cellule. 41 Toutes les abeilles font leurs excréments, comme on l'a dît plus haut, soit en volant dehors, soit dans une seule cellule. Les petites sont aussi, comme on vient de le dire, plus laborieuses que les grandes; elles ont des ailes toutes froissées; elles sont de couleur noire, et comme brûlées. Celles qui sont brillantes et polies sont fainéantes, comme les femmes qui sont paresseuses. 42 II semble que les abeilles aiment le bruit ; et aussi, on les rassemble, dit-on, dans la ruche en frappant bruyamment des coquilles ou des vases de terre, les uns contre les autres. Toutefois on ne sait pas du tout si elles ont la faculté de l'ouïe, ou si elles ne l'ont pas ; et si quand elles se rassemblent ainsi, c'est par plaisir ou par peur. Elles chassent également de leurs ruches celles qui ne font rien, et celles qui ne font pas d'épargne. Elles divisent le travail de la façon que nous avons expliquée; les unes font le miel; d'autres pondent les petits; celles-ci produisent l'érithaque; celles-là préparent les gâteaux; d'autres encore portent de l'eau dans les alvéoles, et la mélangent avec le miel; d'autres enfin vont au travail du dehors. 43 Le matin, elles dorment en silence, jusqu'à ce que l'une d'elles réveille les autres en bourdonnant deux ou trois fois ; et sur-le-champ, elles volent toutes à l'ouvrage. En rentrant, elles font d'abord grand bruit; et petit à petit, elles en font de moins en moins, jusqu'à ce que l'une d'entre elles bourdonne, comme pour le signal du sommeil ; et toutes alors gardent le silence à l'instant même. 44 On reconnaît la santé de la ruche au bruit énorme qu'elle fait, et au mouvement des entrées et des sorties des abeilles, parce que c'est à ce moment qu'elles font leur couvain. Elles souffrent de la faim surtout quand elles commencent à travailler, au sortir de l'hiver. Elles deviennent alors plus paresseuses, si, en récoltant la ruche, on leur a laissé moins de miel qu'il ne leur en faut; car on doit toujours mesurer ce qu'on laisse de gâteaux à l'importance de l'essaim. 628 Si on leur en laisse trop peu, elles travaillent avec moins de cœur ; et elles sont aussi plus paresseuses, si la provision qu'elles ont est trop forte, parce que alors elles sont moins ardentes à l'ouvrage. 45 Une ruche doit donner à l'éleveur une mesure, ou une mesure et demie, de miel; les bonnes ruches en fournissent deux, deux et demie ; très-peu en fournissent jusqu'à trois. Comme les guêpes, ainsi qu'on vient de le dire, sont les ennemis des abeilles, les éleveurs les prennent en mettant de la viande dans un plat; quand les guêpes s'y sont précipitées en grand nombre, on couvre le plat où elles sont prises, et on les met sur le feu pour les tuer. Quand les bourdons ne sont que quelques-uns dans la ruche, ils lui font du bien, en rendant les abeilles encore plus laborieuses. 46 Les abeilles pressentent le mauvais temps et la pluie. Ce qui l'indique, c'est qu'alors elles ne s'écartent pas de la ruche et ne volent pas au loin ; mais elles circulent dans l'air chaud, qu'elle leur procure. Les éleveurs en tirent ce pronostic qu'elles attendent du mauvais temps. 47 Lorsque, dans la ruche, les abeilles se pendent les unes aux autres, c'est signe que l'essaim va abandonner la ruche; mais dès que les éleveurs s'en aperçoivent, ils aspergent la ruche de vin doux, en le soufflant dedans. Il est bon de planter autour des ruches des poiriers, des fèves, de l'herbe médique, de l'herbe de Syrie, de l'arbeille, du myrte, des pavots, du serpolet et des amandiers. Quelques éleveurs, pour distinguer leurs abeilles à la picorée, jettent dessus de la farine. Si le printemps est tardif, ou si l'été est trop sec, et s'il tombe de la rouille, les abeilles font moins de petits. 48 Tels sont tous les faits qu'on a pu constater sur les abeilles. [9,28] CHAPITRE XXVIII. 1 Les guêpes sont de deux espèces. Les unes, qui sont sauvages, sont très-rares. Elles restent dans les montagnes, et elles ne font pas leur nid sous terre, mais sur des arbres et des chênes. Elles sont plus grosses et plus allongées que les autres; leur couleur aussi est plus noire; elles sont mouchetées ; leur dard à toutes est intérieur, et elles sont plus courageuses et plus fières. La piqûre qu'elles font est aussi plus douloureuse, parce que leur aiguillon est proportionnellement plus gros que celui des autres. 2 Les guêpes de cette espèce vivent deux ans ; en hiver, on les voit s'envoler des chênes qu'on abat ; et durant tout le froid, elles y restent cachées dans leurs retraites. Elles y vivent dans le bois. Parmi elles, on distingue les mères, et les ouvrières, comme parmi celles qui sont plus douces que celles-là. 3 C'est en observant les guêpes moins sauvages qu'on peut voir quelle est la nature des ouvrières et des mères. 628a Dans les guêpes non sauvages, il y a deux espèces-: les unes, qu'on appelle les mères, sont les chefs ; les autres sont les ouvrières. Les chefs sont beaucoup plus gros et plus doux. Les ouvrières ne vivent pas deux ans; et toutes meurent pendant l'hiver. On peut le voir chaque année : les ouvrières, quand l'hiver commence, deviennent inertes, et elles disparaissent toutes vers le solstice. Au contraire, les chefs qu'on appelle les mères se montrent durant tout l'hiver, et font leurs retraites sous terre- Aussi, les laboureurs et les gens qui ont à fouiller la terre durant le froid ont trouvé bien des fois des mères ; et jamais ils n'ont vu d'ouvrières. 4 Voici ce que l'on sait de la reproduction des guêpes. Lorsque l'été arrive, les chefs, après avoir choisi un lieu bien disposé pour la surveillance, y font les gâteaux de cire, et y construisent ce qu'on appelle les guêpiers. Ces gâteaux sont petits ; ils ont comme quatre portes, ou quelque chose d'approchant. C'est là que naissent les ouvrières, mais non les mères. 5 Quand les guêpes ont grandi, les chefs font d'autres guêpiers plus grands après ceux-là ; mais les guêpes grandissant toujours, ils en font encore de nouveaux, de telle sorte qu'à la fin de l'automne les guêpiers sont très-nombreux et très-grands; c'est dans ceux-là que le chef, nommé la mère, produit non plus des guêpes, mais des mères. Ces mères paraissent d'abord en haut du guêpier, et à la surface, comme des vers plus gros que les autres, dans quatre rangées de cellules consécutives ou un peu davantage, à peu près de la grosseur de ceux des chefs dans les gâteaux de cire des abeilles. Une fois que les guêpes sont nées dans les gâteaux, les chefs ne font plus rien; mais les ouvrières viennent leur apporter de la nourriture. 6 C'est évident, puisque alors les chefs des ouvrières ne sortent plus dehors, et qu'ils demeurent à se reposer en dedans. On ne sait pas bien si les chefs de l'année précédente sont mis à mort par les jeunes guêpes, après qu'ils ont produit de nouveaux chefs, si c'est là ce qui arrive dans tous les cas également, ou si on les laisse vivre plus longtemps. On n'a pu faire encore aucune observation sur leur vieillesse, ou sur rien de ce qui s'y rapporte, pour la mère-guêpe et les guêpes sauvages. 7 La mère est large et pesante, plus épaisse et plus grosse que la simple guêpe ; et à cause de sa pesanteur, elle ne vole pas bien loin. C'est là ce qui fait qu'elles demeurent toujours dans les guêpiers, dont elles arrangent et confectionnent tout l'intérieur. Il y a ce qu'on appelle des mères dans presque tous les guêpiers. 8 Mais on n'est pas d'accord 629 pour savoir si les chefs ont ou n'ont pas d'aiguillon. Il semble que, comme les chefs des abeilles, ceux des guêpes ont des dards ; mais ils ne peuvent les faire sortir, ni les lancer. Quant aux guêpes ordinaires, les unes sont sans aiguillon, ainsi que les bourdons ; les autres en sont pourvues. Les guêpes qui n'en ont pas sont plus petites, plus faibles, et ne se battent pas. Celles qui ont un dard sont plus grosses; et elles sont très-courageuses. Parfois, on les appelle des mâles, tandis qu'on appelle femelles les guêpes qui n'ont pas de dard. A l'approche de l'hiver, les guêpes qui ont un aiguillon le perdent, à ce qu'on croit; mais nous n'avons jamais trouvé quelqu'un qui l'ait vu de ses yeux. 9 Les guêpes naissent le plus souvent par les temps de sécheresse et dans les lieux les plus âpres; c'est sous terre qu'elles naissent. Elles composent leurs gâteaux de ce qu'elles butinent et de la terre qu'elles y joignent, chacun de ces gâteaux partant d'une origine unique et comme d'une seule racine. Elles se nourrissent de certaines fleurs, et de certains fruits; mais leur nourriture principale est la chair d'animaux. 10 On a observé des guêpes non-sauvages dans leur accouplement, ainsi que quelques-unes des autres; mais on n'a pas pu savoir si toutes les deux étaient pourvues ou dépourvues de dard, ou bien si l'une en avait un, tandis que l'autre n'en avait pas. Sur des guêpes sauvages accouplées, on a constaté que l'une des deux avait un aiguillon ; et pour l'autre, on ne l'a pas vu. 11 II ne semble pas que la guêpe vienne d'une ponte; car immédiatement après sa naissance, elle est trop grosse pour qu'une autre guêpe ait pu la produire. Quand on prend une guêpe par les pattes, et qu'on lui laisse les ailes libres pour bourdonner, celles qui n'ont pas d'aiguillon s'approchent en volant; mais celles qui en ont un ne s'approchent pas; et l'on prétend trouver là une preuve que les unes sont mâles; et les autres, femelles. 12 On prend des guêpes en hiver dans les trous de la terre ; et les unes ont des dards, tandis que les autres n'en ont pas. Les unes font de petits guêpiers et en petit nombre ; d'autres en font beaucoup et de très-grands. On prend beaucoup de celles qu'on appelle des mères, quand la saison change, sur des ormeaux, où elles butinent des matières gluantes et gommeuses. Il se produit une grande quantité de mères, quand l'année précédente a vu beaucoup de guêpes, et qu'elle a été très-pluvieuse. On les prend alors dans les lieux escarpés, et dans les fentes qui se forment sur la terre en ligne droite ; et toutes ont un aiguillon. 13 Voilà ce qu'on sait sur les guêpes. [9,29] CHAPITRE XXIX. 1 Les anthrènes, ou frelons, vivent, à peu près comme les abeilles, du suc des fleurs; mais ils ne le recueillent pas comme elles. Le plus souvent, ils ne se nourrissent que de chair. De là vient qu'ils vivent dans les ordures. Ils font la chasse aux grosses mouches ; et quand ils les prennent, ils leur coupent la tête, et s'envolent en emportant le reste du corps. Ils mangent aussi des fruits sucrés et doux. Telle est leur nourriture. 2 Les frelons ont des chefs, tout comme les abeilles et les guêpes. Leurs chefs sont, en comparaison des autres frelons, plus gros que le chef des guêpes ne l'est aux autres guêpes, ou que le chef des abeilles ne l'est aux autres abeilles. Le chef des frelons reste également à l'intérieur, comme celui des guêpes. 3 Les frelons font leur ruche sous le sol, en rejetant de la terre, comme le font les fourmis. Il n'y a pas chez les frelons, non plus d'ailleurs que pour les guêpes, les envois d'essaim qu'il y a chez les abeilles; mais les jeunes frelons sans cesse survenus restent où ils sont nés, et ils rendent la ruche de plus en plus considérable, en continuant à rejeter de la terre. Les ruches deviennent ainsi énormes ; et d'une ruche qui avait bien réussi, on a tiré souvent trois ou quatre paniers de gâteaux de cire. 4 Les frelons n'emmagasinent pas de nourriture comme les abeilles ; mais ils se cachent pendant l'hiver; et alors, presque tous meurent. On n'a point encore observé s'ils meurent tous sans exception. Ils n'ont jamais qu'un seul chef dans leurs ruches, de même que dans les ruches d'abeilles il n'y a jamais qu'un chef unique, pour diriger les essaims qui s'en vont. 5 Lorsque quelques frelons se sont égarés loin de la ruche, qu'ils ont quittée, ils s'attachent en masse à un arbre, et ils y font des gâteaux, comme on en voit assez souvent à la surface de l'écorce. En ce cas, ils se donnent encore un chef unique; puis, quand ce chef est arrivé à toute sa croissance, il sort en emmenant le reste de l'essaim; et il va former, avec les frelons, une ruche nouvelle sous terre. 6 On ne sait encore rien sur l'accouplement des frelons ; et l'on ignore complètement leur mode de reproduction. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, parmi les abeilles, il y en a qui n'ont pas d'aiguillon, non plus que les bourdons et les Rois, de même aussi qu'il y a des guêpes qui en sont dépourvues; mais tous les frelons sans exception sont armés d'un dard. Toutefois, il resterait à savoir un peu plus précisément si leur chef a ou n'a pas non plus d'aiguillon. [9,30] CHAPITRE XXX. 1 Les bombyles, ou bourdons, pondent sous une pierre et immédiatement sur le sol, dans deux cellules, et parfois un peu plus. Ils font aussi une espèce de miel, qui n'est qu'ébauché, et qui n'est pas bon. 2 Le tenthrédon, ou grugeur, se rapproche beaucoup du frelon; il est moucheté, et de la largeur à peu près de l'abeille. Comme il est très-friand, il vole isolément sur les mets de cuisine, sur les poissons, et sur tels autres aliments de ce genre, qu'il aime beaucoup. Il pond sous le sol, ainsi que les guêpes; et il remue beaucoup de terre. 630 La ruche des tenthrédons, ou grugeurs, est bien plus grande et bien plus allongée que celle des guêpes. 3 Voilà ce que sont les travaux et la manière de vivre des abeilles, des guêpes et autres insectes du même genre. [9,31] CHAPITRE XXXI. 1 Ainsi qu'on l'a dit plus haut, on peut observer dans le naturel des animaux de grandes différences, surtout en fait de courage ou de lâcheté, de douceur et de férocité, même parmi les animaux sauvages. 2 Ainsi, le lion est terrible quand il mange ; mais quand il n'a plus faim et qu'il s'est repu, il est très-doux. Il n'est jamais inquiet, jamais soupçonneux de quoi que ce soit. Il aime beaucoup à jouer avec les animaux qu'on a élevés avec lui, et auxquels il est habitué ; il les caresse. A la chasse, tant qu'il est en vue, il ne fuit pas et ne craint pas les chasseurs; si leur foule le force à s'éloigner, il se retire pas à pas et une patte après l'autre; et bientôt il se retourne. 3 Si cependant il est surpris dans un fourré, il se hâte de fuir jusqu'à ce qu'il rejoigne un endroit découvert ; et alors, il recommence à se retirer pas à pas. Si, dans les plaines, il est obligé de fuir devant la multitude des assaillants, il court en allongeant sa marche; mais il ne bondit pas. Cette course continue est allongée à peu près comme celle d'un chien. Quand il poursuit une proie, il fond, sur elle, dès qu'il en est proche. 4 Ce qu'on rapporte du lion est vrai, quand on dit qu'il craint le feu, d'où ce vers d'Homère : "Et les torches qu'il craint, même dans sa fureur"; et quand on assure qu'il cherche et distingue le chasseur qui l'a blessé, pour se jetter sur lui. Si on ne le tire pas, mais qu'on le gêne cependant, et qu'il puisse saisir le chasseur, il ne lui fait aucun mal et ne le déchire pas de ses griffes; mais après l'avoir secoué et bien effrayé, il le laisse aller. C'est surtout quand les lions vieillissent qu'ils se rapprochent des villes et qu'ils attaquent les personnes, parce que la vieillesse leur ôte la force de chasser, et qu'alors ils souffrent beaucoup des dents. 5 Les lions vivent de longues années. Un lion boiteux qu'on avait pris avait bon nombre de ses dents toutes cassées ; et l'ou conjecturait à ce signe qu'il avait dû vivre depuis bien longtemps, puisque, s'il n'avait pas été très-vieux, il n'aurait pas eu les dents en cet état. 6 Il y a des lions de deux espèces : l'un est plus ramassé; sa crinière est plus crépue, et il est plus timide ; l'autre est plus long ; sa crinière est droite, et il est plus courageux. Quelquefois, en fuyant, les lions ont 630a la queue basse et tendue, comme les chiens. On cite un lion qui allait se précipiter sur un sanglier, trembler à sa vue et fuir, en le voyant se hérisser pour se défendre. 7 II supporte difficilement les blessures dans les flancs et dans le ventre ; mais sur toutes les autres parties du corps, il peut en supporter beaucoup, et il a la tête particulièrement dure. Les morsures qu'il fait, ou les déchirures de ses griffes, causent des plaies d'où sort une suppuration toute jaune, qu'on ne peut étancher, ni par des bandages, ni par des éponges. Mais le remède est le même que contre les plaies venant de morsures de chien. 8 Les thôs ne sont pas hostiles à l'homme; ils ne l'attaquent pas, et ils n'en ont pas très-peur. Ils sont de force à combattre les chiens et les lions. Aussi, ne vivent-ils pas dans les mêmes lieux. Les petits thôs sont les plus forts. Tantôt on ne reconnaît que deux espèces de thôs ; tantôt on en compte trois; il ne semble pas qu'il y en ait plus d'une espèce ; mais comme il arrive à quelques espèces de poissons, d'oiseaux et de quadrupèdes, les thôs subissent des changements selon les saisons de l'année. Ainsi, ils ont en hiver une autre couleur qu'en été ; et pendant la chaleur, ils deviennent tout lisses, tandis que, pendant l'hiver, ils sont revêtus d'un poil épais. [9,32] CHAPITRE XXXII. 1 Le bison se trouve en Péonie, dans les monts Messapiens, qui séparent la Péonie de la Maedique. Les Péons l'appellent aussi Monape. Il est à peu près gros comme un taureau, et il est plus massif que le bœuf, parce qu'il n'est pas allongé. Sa peau bien déployée pourrait donner place à sept personnes. D'ailleurs, il ressemble beaucoup à un bœuf, si ce n'est qu'il a, comme le cheval, une crinière, qui va jusqu'aux épaules. 2 Le poil de cette crinière est plus doux que celui du cheval, et plus rapproché du corps. La couleur en est rousse; cette crinière est longue jusqu'à tomber sur les yeux, et elle est fort épaisse. Sa couleur tient le milieu à peu près entre le cendré et le fauve, sans être cependant, comme celle des juments appelées alezanes; mais cette crinière est plus sèche; et en bas, elle est presque de la laine. Jamais les bisons ne deviennent, ni très-noirs, ni très-roux. 3 La voix du bison est assez semblable à celle du bœuf. Ses cornes sont recourbées et penchées l'une vers l'autre; elles ne peuvent pas lui servir à se défendre; elles ont un peu plus d'une coudée de long; elles sont assez creuses pour contenir chacune une demi-mesure, ou peu s'en faut. La couleur de ces cornes est d'un beau noir, tout luisant. 630a La touffe du front des bisons leur venant sur les yeux, ils regardent de côté plus souvent qu'en face. 4 Le bison n'a pas de dents de devant, non plus que le bœuf, ni aucun des animaux à cornes. Il a les jambes velues, et il a la corne du pied fendue en deux. Il a une queue petite proportionnellement à son corps, comme celle du bœuf. Il fait voler la poussière et creuse le sol, comme le taureau. Son cuir est résistant contre les coups. Sa chair esl d'un goût agréable; et aussi lui fait-on la chasse. 5 Quand il est blessé, il se met à fuir sans discontinuer jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Il se défend en lançant des ruades, et en projetant ses excréments, qu'il pousse loin de lui jusqu'à la distance de quatre brasses, il se sert de ce moyen de défense, qui lui est aisé, et qu'il renouvelle souvent- Ses excréments brûlent à ce point que les poils des chiens atteints tombent desséchés. Mais sa fiente ne produit cet effet que quand l'animal est troublé et frappé de crainte ; autrement, quand il est tranquille, elle ne brûle pas. 6 Telle est la forme du bison, et tel est son naturel. Quand la saison de mettre bas est arrivée, ils se retirent en masse dans les montagnes. Mais auparavant ils couvrent de leurs excréments les environs du lieu où les femelles doivent mettre bas; et ils s'en font comme un rempart circulaire ; car cet animal rend des excréments en une quantité vraiment extraordinaire. [9,33] CHAPITRE XXXIII. 1 De tous les animaux sauvages, le plus facile à apprivoiser et le plus doux, c'est l'éléphant. On peut lui apprendre une foule de choses, qu'il comprend, puisqu'on l'instruit même à se prosterner devant le Roi. Il a des sens exquis; et il a d'ailleurs une intelligence supérieure à celle des autres animaux. 2 Quand l'éléphant a monté une femelle et qu'elle est pleine, il ne la touche plus. Quelques personnes croient que l'éléphant vit deux cents ans; d'autres disent cent vingt; et que la femelle vit à peu près aussi longtemps que le mâle. Il est dans toute sa force à soixante ans. il supporte difficilement les frimas et les grands froids. Il aime à se tenir sur le bord des rivières, mais il n'y vit pas. Il marche cependant dans l'eau, et il s'y avance tant que sa trompe peut en sortir; car c'est par sa trompe qu'il souffle et qu'il respire. Il ne peut pas d'ailleurs nager du tout, à cause de l'extrême pesanteur de son corps. [9,34] CHAPITRE XXXIV. 1 Les chameaux ne couvrent pas leurs mères; et si on veut les y contraindre, ils s'y refusent. Une fois, un chamelier, qui n'avait pas d'étalon tout prêt, enveloppa une mère de façon à la cacher et la livra à son jeune chameau. Mais pendant l'accouplement, le voile tomba ; le jeune chameau se borna pour le moment à consommer la copulation; mais peu de temps après, il tua le chamelier, 634a à force de le mordre. 2 On rapporte aussi qu'un roi de Scythie avait une admirable jument, dont tous les produits étaient excellents. Désirant que le plus vigoureux de ses poulains produisit avec sa mère, il le fit amener pour la saillir. Le cheval refusa; mais la mère ayant été cachée sous une couverture, il la monta sans la reconnaître. Le visage de la jument s'étant découvert après la saillie, le cheval, à cette vue, se mit à fuir, et alla se précipiter du haut des rochers. [9,35] CHAPITRE XXXV. 1 Parmi les poissons de mer, le dauphin est celui dont ou cite le plus de traits de douceur et de docilité. On vante même ses affections et son amour pour ses enfants, à Tarente, en Carie, et dans d'autres pays. Ainsi, en Carie, on prétend qu'un dauphin ayant été pris et couvert de blessures, une foule de dauphins arrivèrent dans le port, et ne le quittèrent que quand le pêcheur eût lâché le dauphin blessé; alors seulement, tous s'en allèrent. 2 Les petits dauphins sont toujours suivis de quelqu'un des gros, pour les défendre. On a observé une fois une troupe de grands dauphins et de petits dauphins réunis tous ensemble. Deux autres laissés en arrière parurent à peu de distance, nageant sous un petit dauphin mort, et le soutenant sur leur dos, quand il coulait à fond, comme si, dans leur pitié pour lui, ils voulaient empêcher que d'autres gros poissons ne le dévorassent. 3 On raconte de la vitesse du dauphin des choses non moins incroyables ; et l'on peut admettre que c'est le plus rapide de tous les animaux de mer et de terre, dans ses mouvements. On prétend que, dans ses bonds, il saute jusque par-dessus les voiles de grands bateaux. C'est ce qui leur arrive surtout quand ils poursuivent quelque poisson pour le manger. Ils plongent avec lui jusqu'au fond des mers, où il fuit, tant la faim les presse ; mais quand le retour doit devenir par trop long, ils retiennent leur souffle, comme s'ils avaient calculé la distance; et se retournant alors, ils vont avec la rapidité d'une flèche, voulant franchir l'immense intervalle aussi vite que possible, afin de pouvoir respirer à la surface. C'est dans cet élan qu'ils bondissent par-dessus les voiles des bateaux qui se trouvent là. C'est d'ailleurs le même effet qu'éprouvent aussi les plongeurs, quand ils descendent au fond de l'eau ; en remontant, ils se sentent emportés aussi avec une énorme vitesse, proportionnée à leur propre force. 4 632 Les dauphins vont toujours par paires, mâle et femelle. On ne sait pas pourquoi ils s'échouent parfois sur la plage; car on assure qu'ils le font assez souvent, quand la fantaisie leur en prend, et sans aucune cause appréciable. [9,36] CHAPITRE XXXVI. 1 Tout de même que les actes des animaux dépendent beaucoup des impressions qu'ils reçoivent, de même aussi leur naturel change suivant leurs actes ; souvent même ce sont des parties de leur corps qui éprouvent un changement. C'est ce qu'on peut voir sur les oiseaux. Les poules, quand elles ont vaincu les mâles, se mettent à chanter comme eux, et elles essayent de cocher ; leur crête et leur queue se relèvent, à ce point qu'on a de la peine à reconnaître que ce sont toujours des femelles ; il en est même auxquelles il pousse de petits ergots. 2 Réciproquement, on a vu des mâles, après la mort de la femelle, prendre pour les poussins tous les soins qu'elle aurait pu en prendre, les conduisant et les nourrissant, et allant jusqu'à cesser de chanter et de cocher. Il y a même quelques-uns de ces mâles qui sont tellement femelles, dès leur naissance, qu'ils tolèrent que d'autres essaient de les cocher. [9,37] CHAPITRE XXXVII. 1 II y a quelques animaux qui changent de forme et de naturel, non pas seulement par l'effet de l'âge et des saisons, mais aussi quand on les coupe. On ne peut couper que ceux qui ont des testicules. Les oiseaux en ont à l'intérieur; les ovipares, parmi les quadrupèdes, les ont près des reins. Les vivipares qui marchent les ont, pour la plupart, à l'extérieur, bien que quelques-uns les aient au dedans du corps; mais tous les ont au bas-ventre. 2 On châtre les oiseaux au croupion, au point par où ils se joignent dans l'accouplement. Si l'on brûle cette partie, à deux ou trois reprises, avec un fer chaud sur une bête adulte, sa crête devient toute pâle ; l'oiseau ne chante plus, et il ne cherche plus à cocher. Si la bête est jeune, la croissance ne lui donne aucune de ces facultés. 3 C'est bien ainsi que les choses se passent même pour les hommes. Si on les mutile dans leur enfance, les poils qui viennent postérieurement à la naissance ne poussent plus; la voix ne change pas, et le timbre en reste aigu. Si l'on châtre des hommes déjà pubères, les poils 632a postérieurs tombent, sauf les poils du pubis, qui diminuent, mais qui subsistent. Les poils de naissance ne disparaissent pas, puisque jamais un eunuque ne devient chauve. 4 Dans les quadrupèdes châtrés ou estropiés, la voix se modifie en celle de la femelle. Tous les autres quadrupèdes qui ont été châtrés, quand ils étaient plus jeunes, en souffrent beaucoup et en meurent; il n'y a que les porcs sur lesquels l'opération ne fait aucune différence. Tous les animaux coupés en bas âge deviennent plus gras que ceux qu'on ne coupe pas; et s'ils sont complètement constitués, ils ne grossissent plus. 5 Quand on coupe des cerfs qui, à cause de leur âge, n'ont pas encore de bois, il ne peut plus en pousser. Si on les coupe quand ils en ont déjà, la dimension des cornes reste la même ; et la bête ne les perd plus. 6 On coupe les veaux à un an ; autrement, ils deviennent moins beaux et plus petits. Voici comment on châtre les jeunes taureaux. On les met sur le dos, on leur ouvre les bourses dans le bas, et on leur froisse les testicules; puis on relève les racines des testicules le plus possible, et l'on ferme la plaie de l'incision avec des poils, pour que la suppuration puisse se faire au dehors. Si la plaie s'enflamme, on cautérise la bourse, que l'on saupoudre de terre. Les taureaux qui ont des testicules, et que l'on châtre, peuvent saillir, en apparence. 7 On coupe la matrice de la femelle des porcs, la caprie, et dès lors elle ne sent plus le besoin de l'accouplement; mais elle engraisse très-vite. On la fait d'abord jeûner deux jours avant la castration ; et après l'avoir suspendue par les pieds de derrière, on lui ouvre le bas-ventre là où les mâles ordinairement ont les testicules; car c'est là qu'est la caprie, dans la matrice- On en coupe un petit morceau, et l'on recoud la plaie. 8 On châtre aussi les chamelles, dont on compte se servir à la guerre, pour qu'elles ne deviennent pas pleines. Il y a des gens du Haut-Pays qui possèdent jusqu'à trois mille chameaux. A la course, les chameaux dépassent de beaucoup la vitesse des chevaux de Nisa, à cause de la longueur de leur pas. En général, les animaux qui sont coupés deviennent plus longs que ceux qui ne le sont pas. 9 Tous les animaux qui ruminent prennent profit et plaisir à ruminer, 633 autant qu'ils en prennent à manger. Ceux qui ruminent sont les animaux qui n'ont pas la double rangée de dents, tels que les bœufs, les moutons, les chèvres. On n'a rien observé encore à cet égard pour les animaux sauvages, si ce n'est pour ceux qu'on élève quelquefois en troupeaux, comme on sait pour le cerf qu'il rumine. 10 Tous les ruminants se couchent plus volontiers pour ruminer; et principalement pendant l'hiver. Ceux qu'on nourrit dans les étables ruminent pendant sept mois. Les ruminants qu'on réunit en troupeaux ruminent moins et moins longtemps, parce qu'ils vont paître au dehors. Quelques-uns des quadrupèdes qui ont la double rangée de dents n'en ruminent pas moins, comme les rats du Pont; et parmi les poissons, celui qu'on appelle, à cause de cette circonstance, le Rumineux. 11 Les animaux qui ont de longs membres ont le ventre relâché ; et ceux qui ont de larges poitrines vomissent aisément. Cette observation générale s'applique tout aussi bien aux quadrupèdes, aux oiseaux, et aux hommes. [9,38] CHAPITRE XXXVIII. 1 Bon nombre d'oiseaux changent, selon les saisons, de couleur et de voix. Ainsi, le merle devient roux de noir qu'il était; et sa voix devient tout autre. En été, il chante ; mais en hiver, il siffle, et ne fait plus entendre que des sons discordants. La grive aussi change de couleur; en hiver, elle est grisâtre au cou; en été, elle y a des mouchetures; mais sa voix ne varie pas. 2 Le rossignol ne cesse de chanter quinze jours et quinze nuits de suite, à l'époque où la montagne se couvre de feuillage; plus tard, il chante encore; mais ce n'est plus de suite. A mesure que l'été s'avance, il a un autre chant; ce n'est plus sa voix si modulée, si forte, si répétée; elle est devenue tout unie. Le rossignol change en outre de couleur; aussi, durant cette saison, on lui donne en Italie un nom différent. D'ailleurs, cet oiseau ne se montre jamais longtemps, parce qu'il se retire. 3 Les rouges-gorges (Erithacos) et les oiseaux qu'on appelle queues-rouges se métamorphosent de l'un à l'autre. Le rouge-gorge est un oiseau d'hiver; le queue-rouge est un oiseau d'été; mais on peut assurer qu'il n'y a de différence entre eux que celle de la couleur, et pas d'autre. 4 On en peut dire autant des becs-figues et des têtes-noires qui se changent les uns dans les autres. Le bec-figue se montre aux approches de l'automne ; la tête-noire se montre aussitôt 633a que l'automne a touché sa fin. Ces deux-là encore ne diffèrent absolument entre eux que par la couleur et la voix. Que ce soit un seul et même oiseau, c'est ce qu'on a constaté en observant le changement dans les deux espèces, avant que ce changement ne fût passé à l'autre entièrement. 5 II n'y a rien d'étonnant d'ailleurs à ce que, dans ces oiseaux, la voix et la couleur changent à ce point, puisque en hiver la tourterelle ne roucoule plus. Parfois cependant, par de très-beaux jours en hiver, elle se fait entendre, à la grande surprise des témoins de ce phénomène. Puis, au printemps, la tourterelle recouvre la voix. Du reste, c'est surtout à l'époque de l'accouplement que les oiseaux, en général, ont leurs chants les plus forts et les plus variés. 6 Le coucou est encore un des oiseaux qui changent de couleur; et il ne s'annonce plus par son cri, quand approche le moment où il va disparaître. C'est à la canicule qu'il disparaît ; et il se montre jusqu'au lever de cette constellation, à partir du printemps où on commence à le voir. L'oiseau que quelques-uns nomment l'œnanthe disparaît au lever de Sirius, et parait quand il se couche, fuyant tantôt le froid, et tantôt la chaleur. 7 La huppe change aussi de couleur et d'aspect, comme Eschyle l'a dit dans les vers suivants : " Il a varié les couleurs de la huppe, qui a été le témoin de ses propres forfaits, et il nous a montré cet oiseau hardi des rochers revêtu de toute son armure. Dès que le printemps paraît, la huppe déploie l'aile d'un busard-blanc; car elle nous fait voir deux formes : celle de son enfance et la sienne, quoique toutes deux ne viennent que d'une seule source; mais au début de l'automne, quand l'épi commence à jaunir, c'est un plumage moucheté qui la couvre de nouveau. Dans sa haine implacable des lieux qu'elle connaît, elle fuit toujours vers d'autres lieux, ne cherchant que les rochers déserts et les sombres forêts. » 8 II y a des oiseaux qui se roulent dans la poussière; d'autres aiment à se baigner; il en est d'autres qui ne se roulent, ni ne se baignent. Ceux qui ne volent pas bien, 634 et qui restent à terre, se roulent dans la poussière volontiers, comme la poule, la perdrix, l'attagen, l'alouette, le faisan. Quelques-uns de ceux qui ont les ongles droits, et tous ceux qui vivent le long des rivières, aux bords des étangs ou de la mer, aiment à se baigner. Il y en a qui aiment les deux, la poussière et l'eau, tels que le pigeon et le moineau. La plupart des oiseaux à serres recourbées n'ont, ni l'une, ni l'autre de ces habitudes. 9 Voilà ce que sont ces différents oiseaux ; mais il en est quelques-uns, parmi les petits, qui présentent cette particularité de faire du bruit par leur derrière, ainsi qu'en font les tourterelles. Les oiseaux de ce genre se donnent un mouvement violent dans ces parties inférieures du corps, en même temps qu'ils font entendre leur voix.