[3,0] TRAITE DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX - LIVRE III. [3,1] CHAPITRE PREMIER. 1 On vient de voir ce qu'est la stérilité des mulets ; on a vu aussi ce qu'est la génération chez les animaux qui sont vivipares, soit extérieurement, soit en eux-mêmes. Pour les ovipares qui ont du sang, tantôt les phénomènes de la génération sont, chez eux, à peu près ce qu'ils sont chez les animaux qui se meuvent, et l'on peut faire sur les uns et les autres les mêmes observations. Mais tantôt aussi, il se présente des différences, soit entre eux, soit avec les autres animaux qui se déplacent. D'ailleurs, tous ces animaux sans exception viennent d'un accouplement, et de l'émission que le mâle introduit et dépose dans la femelle. 2 Parmi les ovipares, les oiseaux pondent un œuf complet, dont l'enveloppe est dure, sauf les cas d'infirmité par suite de maladie. Les œufs d'oiseaux sont toujours de deux couleurs. Mais parmi les poissons, les sélaciens, ainsi que nous l'avons déjà dit plus d'une fois, font d'abord un œuf en eux-mêmes et sont vivipares ensuite. Leur œuf se déplace d'un lieu à un autre dans la matrice ; et de plus, il est mou et d'une seule couleur. L'animal qu'on nomme la grenouille marine est le seul de cet ordre qui ne soit pas vivipare ; nous nous réservons d'expliquer plus loin la cause de cette exception. 3 Tous les autres poissons qui sont ovipares ne pondent que des œufs d'une seule couleur; mais leur œuf est incomplet. Cet œuf se développe ensuite au dehors, par la même cause qui agit sur les œufs qui sont complets dans l'intérieur des autres animaux. 4 Quant aux différences qu'offrent les matrices, nous les avons signalées antérieurement, et nous avons expliqué d'où viennent ces différences. Ainsi, dans les vivipares, la matrice est tantôt en haut près du diaphragme ; tantôt elle est en bas près des parties sexuelles. Elle est en haut chez les sélaciens; mais, chez les animaux qui sont vivipares et en eux-mêmes et au dehors, elle est en bas, comme on le voit dans l'homme, dans le cheval et dans toutes les espèces analogues. Parmi les ovipares, elle est tantôt en bas, comme chez les poissons ovipares, et tantôt en haut, comme chez les oiseaux. 5 Il se trouve chez les oiseaux des embryons conçus spontanément par la femelle, et qu'on appelle parfois des œufs clairs, ou des œufs éventés. Ils ne se rencontrent que dans les oiseaux qui ne volent pas et qui n'ont pas de serres, mais qui sont très féconds, parce que chez eux l'excrétion est très abondante. Au contraire, chez les oiseaux à serres recourbées, cette excrétion se tourne en plumes et en ailes ; leur corps est petit, sec et chaud, tandis que l'excrétion mensuelle, ainsi que le sperme, ne sont que des résidus ; et comme les plumes et le sperme ne viennent naturellement que de résidus de ce genre, la Nature ne peut satisfaire à la fois ces deux besoins. 6 C'est encore par la même raison que les oiseaux armés de serres ne sont, ni très lascifs, ni très féconds. Au contraire, les oiseaux qui ont le corps lourd, et, parmi les oiseaux de grand vol, ceux dont le corps est massif, sont féconds et lascifs, comme les pigeons et les oiseaux de cette classe. Ceux qui sont lourds et qui volent mal, comme la poule, la perdrix et autres oiseaux semblables, ont beaucoup d'excrétion spermatique. Aussi, dans cette espèce, les mâles sont-ils très ardents, et les femelles émettent-elles une matière abondante. 7 Ces oiseaux font tantôt beaucoup d'œufs à la fois, et tantôt ils en font souvent. Ainsi, la poule, la perdrix, l'autruche (moineau de Libye) en font beaucoup en une seule ponte, tandis que l'espèce des pigeons n'en fait pas beaucoup à la fois, mais en fait très fréquemment. Ces espèces tiennent le milieu entre les oiseaux à serres recourbées et les oiseaux à vol pesant. C'est qu'ils volent comme les oiseaux pourvus de serres, et qu'ils ont le corps développé comme les oiseaux qui volent mal. En tant qu'ils sont oiseaux de grand vol, et que l'excrétion, chez eux, tourne au profit de cette fonction, ils pondent un petit nombre d'œufs ; mais ils en pondent fréquemment, parce que leurs corps est considérable relativement, parce que leur ventre est chaud, et très puissant en décoction, et qu'en outre ils trouvent facilement leur nourriture, tandis que les oiseaux à serres recourbées ne se procurent la leur qu'à grand-peine. 8 Les petits oiseaux sont lascifs; ils produisent beaucoup, et avec la même fécondité qu'on voit aussi dans quelques plantes. La croissance du corps se change en excrétion spermatique ; et voilà comment les poules Adrianiques sont les plus fécondes de toutes. La petitesse de leur corps fait que toute la nourriture est employée à faire des petits. Les poules les moins courageuses pondent plus que les poules qui le sont davantage. Le corps de celles-là est plus humide et plus massif; le corps des autres est plus maigre et plus sec; et c'est surtout dans des corps ainsi faits que le courage se manifeste. 9 De plus, chez ces oiseaux, la petitesse et la faiblesse des jambes accroissent encore leur nature lascive et prolifique, comme on peut l'observer même chez les hommes. La nourriture, qui, dans les êtres ainsi constitués, devrait aller aux membres, se tourne alors en excrétion spermatique; et ce que la Nature enlève d'un côté, elle le rend et l'applique de l'autre. Les oiseaux pourvus de serres ont des pattes très solides, et des jambes fort grosses, en vue de la vie qu'ils doivent mener ; et c'est là ce qui fait précisément qu'ils ne sont, ni très lascifs, ni très féconds. La crécerelle est le plus fécond de tous ces volatiles ; et c'est à peu près le seul des oiseaux pourvus de serres qui boive ; son humidité soit naturelle, soit prise du dehors, le rend très spermatique, grâce aussi à la chaleur qui est originairement en lui. D'ailleurs, la crécerelle ne fait pas beaucoup d'œufs, et elle en pond quatre tout au plus. 10 Le coucou, qui n'est pas un oiseau pourvu de serres, pond très peu, parce qu'il est naturellement froid; et ce qui le prouve bien, c'est sa timidité; car l'animal qui a beaucoup de sperme doit être chaud et humide. On peut voir combien cet oiseau est poltron, puisque tous les oiseaux sont de force à le faire fuir, et qu'il pond dans le nid des autres. 11 La classe des pigeons ne pond habituellement que deux œufs tout au plus. Ils ne pondent jamais un œuf unique; car il n'y a, parmi les oiseaux que le coucou qui en fasse un seul, et encore en pond-il quelquefois deux. Les pigeons n'en font pas non plus beaucoup à la fois; mais ils en font souvent, deux ou trois au plus; le plus ordinairement ils en font deux ; c'est-à-dire, des nombres entre un et plusieurs. 12 On peut se convaincre, en observant les faits, que, chez les animaux très féconds, c'est la nourriture qui se convertit en sperme. Même parmi les arbres, ceux qui ont produit trop de fruits dépérissent après les avoir portés, parce que le corps n'a pas reçu assez de nourriture. On peut constater ce phénomène sur les végétaux après l'été, surtout sur ceux qui ont des gousses, par exemple sur le blé et sur d'autres plantes semblables, qui emploient toute la nourriture qu'elles prennent à former leur graine, et dont les graines sont en effet très abondantes. 13 On a vu des poules qui, après avoir beaucoup pondu, et même pondu jusqu'à deux œufs par jour, sont mortes de cette fécondité excessive. C'est que les oiseaux et les plantes s'épuisent également; et que cet accident vient en eux de la surabondance de l'excrétion spermatique. C'est là aussi chez le lion ce qui provoque une stérilité qui se manifeste avec le temps. Ainsi, la lionne, à sa première portée, fait cinq ou six petits ; l'année suivante, elle n'en a plus que quatre ; l'année d'ensuite, trois; et puis, elle n'en fait plus qu'un seul; enfin, elle n'en fait plus du tout, comme si l'excrétion spermatique était épuisée, et comme si, avec l'âge qui s'en va, le sperme s'en allait ainsi que lui. 14 On voit donc que parfois certains oiseaux ont des œufs clairs; et l'on a dit quels sont ceux qui, parmi eux, font beaucoup de petits, et ceux qui n'en font presque pas. On sait aussi quelles sont les causes de ces faits. Nous avons également déjà dit que les œufs clairs se produisent, parce que la femelle a en elle la matière spermatique, mais que les oiseaux n'ont pas de sécrétions mensuelles, comme en ont les vivipares pourvus de sang. Dans ces derniers animaux, les uns ont une évacuation plus abondante, tandis que pour les autres elle l'est moins ; mais elle l'est toujours assez pour être reconnaissable. 15 Il n'y en a pas plus chez les poissons que chez les oiseaux ; et voilà comment, chez les poissons, la constitution des fœtus se fait sans copulation, comme il arrive aussi chez les oiseaux, où d'ailleurs le phénomène est moins évident. La nature des poissons est plus froide. Chez les oiseaux, cette sécrétion, qui, dans les vivipares, prend la forme de menstrues, se montre aux époques fixes de l'excrétion ; et comme la région du diaphragme est chaude en eux, cette sécrétion y prend ses proportions complètes et la grosseur qu'elle doit avoir. 16 Mais pour les oiseaux aussi bien que pour les poissons, les œufs restent incomplets sous le rapport de la génération, s'il n'y a pas intervention du mâle et de sa semence. Du reste, nous avons déjà expliqué la cause de ces phénomènes. S'il n'y a pas d'œufs clairs chez les oiseaux de grand vol, cela tient à la même cause qui les empêche d'avoir beaucoup de petits. Chez les oiseaux pourvus de serres, il y a très peu d'excrétion et de résidu, et ils ont besoin du mâle pour exciter la sécrétion de ce résidu. Si les œufs clairs sont plus nombreux que les œufs féconds, bien qu'ils soient toujours de dimension plus petite, cela vient d'une seule et même cause. C'est parce qu'ils sont imparfaits qu'ils sont moins gros ; et c'est parce qu'ils sont moins gros qu'ils sont plus nombreux. Le goût en est moins agréable, parce que la coction y a été poussée moins loin; car toujours le produit est d'autant plus agréable au goût que la coction en a été plus complète. 17 On peut voir assez bien, pour les oiseaux et pour les poissons, que la génération ne peut pas être complète sans l'action des mâles ; mais, chez les poissons, on ne voit pas aussi clairement qu'il puisse y avoir de conception sans mâles. C'est ce qu'on peut observer surtout chez les poissons de rivière, dans les rougets par exemple; car il y en a qui pondent immédiatement des œufs, comme on l'a remarqué dans l'Histoire des Animaux, en parlant de cette exception.18 En général, du moins dans les oiseaux, les œufs même venus d'une copulation ne prennent leur développement ordinaire que si l'oiseau a été coché plusieurs fois de suite. Ceci tient à la même cause qui agit chez les femmes, où le rapprochement sexuel fait remonter la sécrétion des menstrues; la matrice échauffée attire le liquide, et les canaux s'ouvrent. C'est là précisément ce qui arrive aussi dans les oiseaux ; le résidu qui correspond aux menstrues ne s'accumule que peu à peu ; il ne filtre point au dehors, parce qu'il n'est pas assez abondant, et que les matrices sont en haut sous le diaphragme ; mais il coule alors dans la matrice même; et, en coulant à travers la matrice, il y nourrit et y fait grossir l'œuf, comme les embryons des vivipares se nourrissent par le cordon ombilical. 19 Il suffit que les oiseaux aient été cochés une seule fois pour qu'ils aient presque toujours des œufs; mais, en ce cas, ces œufs sont extrêmement petits. C'est là ce qui a fait croire, vulgairement, que les œufs clairs ne viennent pas directement de la femelle, mais qu'ils sont simplement le reste d'une copulation antérieure. C'est là une erreur, qui ne peut se soutenir devant ce fait, d'une observation positive, que de jeunes poules et de jeunes oies ont eu des œufs sans aucun accouplement. Il en est de même pour les perdrix femelles. Qu'elles n'aient jamais été montées ou qu'elles le soient, après avoir été conduites à la chasse, il leur suffit de sentir le mâle, ou d'entendre sa voix, tantôt pour être pleines, et tantôt pour pondre sur-le-champ 20. Il en est, dans ce cas, absolument comme il en est pour l'espèce humaine et pour les quadrupèdes. Quand les corps sont déjà dans l'orgasme sexuel, il suffît de la vue et du moindre attouchement pour que le sperme sorte. Or, les perdrix sont fort lascives, et elles ont naturellement beaucoup de liqueur spermatique. Il ne leur faut donc qu'un très léger mouvement, quand elles sont dans cette excitation, pour que l'excrétion se produise aussitôt en elles, et pour que des œufs clairs se forment dans celles qui n'ont pas été cochées, tandis que, dans celles qui l'ont été, les œufs prennent leur croissance et arrivent bien vite à leur perfection. 21 Parmi les animaux qui sont ovipares extérieurement, les oiseaux pondent un œuf complet; mais les poissons, comme on vient de le dire plus haut, font un œuf incomplet, qui ne peut se développer qu'au dehors. C'est que la race des poissons produit énormément; et comme ils ne pourraient tout garder en dedans, jusqu'au bout, ils doivent pondre au dehors. Si, d'ailleurs, l'émission des œufs est rapide, c'est parce que les matrices se trouvent près des organes sexuels, dans les poissons qui sont ovipares au dehors. 22 Les œufs des oiseaux sont de deux couleurs ; mais les œufs des poissons n'en ont jamais qu'une. On comprendra aisément la cause de cette double couleur, en songeant à la fonction des deux parties de l'œuf, le blanc et le jaune. Cette division intérieure de l'œuf vient du sang ; et aucun animal privé de sang ne fait des œufs de ce genre. Le sang, on l'a dit de reste, est la matière des corps. Une portion de l'œuf importe davantage à la forme de l'animal qui doit naître ; c'est la portion chaude ; l'autre, qui est plus terreuse, fournit la consistance matérielle du corps, et elle est plus éloignée de la forme qu'il prend. 23 Dans tous les œufs qui ont deux couleurs, l'animal reçoit du blanc de l'œuf le principe de la génération, parce que le principe vivant est dans la portion chaude ; il reçoit du jaune la nourriture dont il a besoin. Chez les animaux qui ont une nature plus chaude, les deux portions d'où viennent le principe de vie et le principe de la nutrition se séparent; ici le blanc, là le jaune. La portion pure et blanche est toujours plus considérable que la portion jaune et terreuse. Au contraire, chez ceux qui sont moins chauds et plus humides, le jaune est plus considérable et plus liquide. 24 On observe bien cette différence dans les oiseaux de marais; ils sont d'une nature plus aqueuse et plus froide que les oiseaux de terre. Aussi, ont-ils la portion appelée la Lécithe très abondante et moins jaune, parce que le blanc en est moins séparé. Ceux des ovipares qui sont déjà froids par leur nature, et qui sont encore plus aqueux que ces oiseaux, comme le sont tous les poissons, n'ont plus le blanc bien séparé, parce qu'il est en petite quantité, tandis que le froid et le terreux est considérable. Voilà comment les œufs des poissons n'ont jamais qu'une couleur, et comment leur jaune est blanc, et leur blanc est jaune. 25 Les œufs des oiseaux, même les œufs clairs, sont de deux couleurs, parce qu'ils ont les éléments dont sont formées les deux parties, l'un pour le principe vital, l'autre pour la nourriture. Mais tout cela est incomplet; et il y faut pour complément l'intervention du mâle. Les œufs clairs deviennent féconds si, à un certain moment donné, la femelle a été cochée par le mâle. Ce ne sont pas, par conséquent, le mâle et la femelle qui causent la double couleur, comme si le blanc venait du mâle, et le jaune de la femelle; les deux viennent également de la femelle ; seulement, l'un est chaud, et l'autre est froid. 26 Dans les animaux où la chaleur est forte, elle se sépare ; dans ceux où elle est moindre, elle ne peut pas se séparer. Aussi, les œufs de ces animaux qui ont peu de chaleur ne sont-ils, on le répète, que d'une couleur; la semence n'a pu en constituer qu'une seule. Voilà aussi pourquoi l'embryon dans les oiseaux paraît tout d'abord blanc et petit; avec le temps, il devient jaune entièrement, à mesure que la partie sanguine toujours de plus en plus forte se mêle au reste. Enfin, la chaleur se séparant, le blanc se met complètement à la circonférence, comme un liquide qui bout également partout. 27 Le blanc est liquide de sa propre nature, et il a en lui la chaleur qui donne la vie. Il se sépare circulairement, tandis que la partie jaune et terreuse reste en dedans. Si l'on mêle des œufs dans un plat ou dans tel autre vase, et qu'on les fasse cuire au feu, sans trop presser le mouvement de la chaleur et la séparation qui se fait, dans les œufs réunis, comme elle se ferait dans un seul œuf, l'ensemble de tous les œufs mélangés devient jaune au milieu, et le blanc vient se ranger circulairement. [3,2] CHAPITRE II. 1 On a expliqué d'où vient que les œufs ont tantôt une couleur unique; et tantôt, deux couleurs. Dans les œufs, le principe qui vient du mâle se sépare pour aller vers le point où l'œuf se rattache a la matrice ; et dans les œufs à deux couleurs, la forme des deux bouts devient dissemblable. Elle n'est pas tout à fait ronde; et elle est plus pointue à l'un des bouts, parce qu'il faut qu'il y ait une différence pour le blanc, où l'œuf a son principe. Aussi, l'œuf est-il plus dur en ce point qu'il ne l'est en bas, parce qu'il est nécessaire de couvrir et de protéger le principe. 2 C'est aussi pour cette raison que la partie pointue de l'œuf sort la dernière. La portion ajoutée par le mâle sort en dernier lieu, parce que cette portion ajoutée tient au principe, et que le principe est dans la pointe. On peut faire la même observation sur les semences des plantes. Le principe de la semence y est ajouté, tantôt dans les tiges, tantôt dans les enveloppes, tantôt dans les péricarpes. C'est ce qu'on peut voir clairement dans les plantes qui ont des cosses. Là où se trouve la commissure des deux valves des fèves et des semences de ce genre, là aussi est ajouté le principe de la graine. 3 Il est difficile de savoir comment le développement de l'œuf peut venir de la matrice. On sait que les animaux tirent leur nourriture et la reçoivent par le cordon ombilical ; mais par quoi les œufs la reçoivent-ils? Ils ne tirent pas leur nourriture d'eux-mêmes uniquement, comme le font les larves. Puis, s'il y a quelque organe par où la nourriture leur arrive, que devient cet organe quand l'œuf est tout à fait formé? Il ne sort pas avec l'œuf, comme sort le cordon chez les animaux; car lorsque l'œuf est formé tout à fait, c'est la coquille circulaire qui se montre. 4 On fait donc bien de se poser cette question; mais on n'a pas remarqué que la coquille n'est tout d'abord qu'une membrane molle, et qu'elle ne devient dure et sèche que quand l'œuf est achevé. Tout est si bien calculé qu'elle est molle au moment où l'œuf sort, pour éviter à l'oiseau la douleur qu'elle lui causerait en sortant. Mais aussitôt qu'elle est sortie, elle devient solide, refroidie par la rapide évaporation du liquide qui s'y trouve en petite quantité, et qui n'y laisse que la partie terreuse. 5 A la pointe de l'œuf, il reste quelque chose de cette membrane, qui, au début, est une sorte de cordon, et qui se sépare des œufs sous la forme d'un canal, quand ils sont encore tout petits. C'est ce qu'on peut observer clairement dans les petits œufs sortis trop tôt. Quand l'oiseau se baigne, ou qu'il se refroidit par tout autre accident, au moment de la ponte, le germe parait encore tout sanguinolent, et il a autour de lui un appareil fort petit en guise de cordon ombilical. À mesure que l'œuf grossit, cet appareil s'étend et diminue; et quand l'œuf est complet, cette partie en devient la pointe. La membrane intérieure qui est au-dessous, sépare le blanc et le jaune. Quand ce travail est achevé, l'œuf se détache entièrement ; alors tout naturellement le cordon disparaît, et il devient l'extrémité de la dernière partie de l'œuf. 6 La sortie de l'œuf est tout l'opposé de la sortie des petits qui naissent vivants. Tandis qu'ils sortent par la tête et la partie principale, l'œuf sort, on peut dire, par les pieds ; et la cause est celle que nous venons de dire, à savoir qu'il est rattaché au principe. 7 Pour les oiseaux, les jeunes ne peuvent sortir de la coquille et naître que si l'oiseau couve et mûrit les œufs; le poussin se sépare d'une partie de l'œuf, et il reçoit son développement et sa croissance complète par la partie restante. La Nature a placé dans l'œuf, tout à la fois, la matière de l'animal et les aliments qui doivent suffire à sa croissance. Comme la mère ne peut faire le jeune tout entier en elle-même, elle pond avec lui sa nourriture, qui est dans l'œuf. Pour les petits des vivipares, la nourriture vient dans une autre partie du corps; et c'est ce qu'on appelle le lait, qui est dans les mamelles de la mère. 8 La Nature fait bien aussi du lait pour les oiseaux dans les œufs; mais le fait se passe tout autrement que ne le croit le vulgaire, et que ne le dit Alcméon de Crotone. Ce n'est pas le blanc de l'œuf qui est le lait; c'est le jaune, puisque c'est lui qui est la nourriture des poussins ; mais, en général, on suppose que c'est le blanc, à cause de la ressemblance de la couleur. 9 Le poussin vient donc, ainsi qu'on l'a dit, de l'incubation de la mère. Mais les œufs des oiseaux et ceux des quadrupèdes ovipares viennent toujours à bien et à leur coction entière, quand la saison est favorable, et que le lieu où ils sont placés est suffisamment chaud; car ces animaux pondent tous dans la terre, où la chaleur qui s'y trouve donne aux œufs la coction nécessaire. Ceux des quadrupèdes ovipares qui couvent en se mettant sur leurs œufs, le font plutôt encore pour les protéger. 10 Du reste, les œufs des oiseaux et des quadrupèdes ovipares se produisent absolument de même; ils ont aussi une coquille dure et deux couleurs. Chez ces quadrupèdes, les œufs se forment également près du diaphragme, comme chez les oiseaux ; et tous les autres phénomènes intérieurs et extérieurs sont les mêmes. Par conséquent, l'étude de leurs causes est la même pour tous. Seulement, les œufs des quadrupèdes ovipares reçoivent leur coction par leur propre force et par la saison, tandis que ceux des oiseaux sont exposés à plus de chances, et ont encore besoin de l'incubation de la mère qui les a pondus. 11 C'est que la Nature semble avoir voulu inspirer aux animaux une sollicitude particulière pour les jeunes. Dans les animaux inférieurs, elle a borné ce sens à la parturition ; mais dans les animaux plus intelligents, elle l'a poussée à ce point qu'ils achèvent et élèvent leurs petits. Pour ceux qui ont le plus d'intelligence entre tous, il se forme, des parents aux petits devenus complets, une habitude et une affection de famille, comme on le voit dans l'espèce humaine, et chez quelques quadrupèdes. Mais pour les oiseaux cet instinct ne va que jusqu'à produire et à nourrir les petits. Aussi, les femelles qui ne couvent pas après avoir pondu, s'en trouvent-elles assez mal, comme si elles étaient privées de quelque fonction qu'exige leur nature. 12 Les petits qui sont dans les œufs s'y forment plus vite quand il fait chaud; la saison alors coopère à les faire éclore; car la coction tient à la chaleur. La terre peut contribuer par sa chaleur à la coction définitive; et l'incubation de la mère produit le même effet, parce qu'elle y apporte sa propre chaleur. Les œufs se gâtent et deviennent des œufs d'urine, comme on dit, dans la saison chaude plus que dans toute autre ; et cela se comprend bien. Les vins s'aigrissent de même pendant la chaleur, parce que la lie monte en haut et tourne ; c'est elle qui gâte les vins; et dans les œufs, c'est de même le jaune ou la lécithe qui les gâte. 13 Dans les uns et les autres, c'est la partie terreuse qui est la cause du phénomène; les vins se gâtent parce que la lie vient à s'y mêler; et les œufs se pourrissent, parce que la lécithe s'y mêle au blanc. Dans les oiseaux qui pondent beaucoup, cela se conçoit aisément; car il n'est pas facile de bien maintenir pour tous les œufs la chaleur qui leur convient; les uns en ont plus qu'il n'en faut; les autres en ont moins; et elle les gâte également, en les pourrissant. 14 Cet accident se présente non moins souvent chez les oiseaux pourvus de serres, quoiqu'ils pondent très peu d'œufs. Souvent, sur deux de leurs œufs, il y en a un qui est pourri; et le troisième l'est toujours. Comme leur nature est essentiellement chaude, ils font en quelque sorte bouillir à l'excès le liquide qui est dans les œufs. 15 Evidemment, cela tient à ce que le jaune et le blanc ont eux aussi une nature contraire. Le jaune durcit par le froid, tandis que la chaleur le liquéfie; aussi, se liquéfie-t-il, soit par la coction dans la terre, soit par l'incubation; voilà comment le jaune peut servir de nourriture aux petits qui se forment. Le feu et la cuisson ne le rendent pas plus dur, parce qu'il est de sa nature terreux, comme la cire. Mais quand les œufs sont échauffés par trop, s'ils ne viennent pas d'un résidu très liquide, ils tournent à l'urine et ils se pourrissent. 16 Quant au blanc, loin de se solidifier par le froid, il se liquéfierait plutôt; et nous en avons dit antérieurement la raison; mais mis sur le feu, il y devient solide. Aussi, la coction qu'il reçoit pour la génération des animaux l'épaissit; et c'est lui qui constitue l'animal, de même que c'est le jaune qui l'alimente. C'est de lui que toutes les parties prennent leur croissance, en se formant de mieux en mieux; et voilà pourquoi le jaune et le blanc sont séparés par des membranes, comme étant de nature différente. 17 Si l'on désire connaître exactement ce qu'il en est de ces rapports du blanc et du jaune, dès le début de la conception, et lorsque l'animal est déjà constitué; si l'on veut savoir aussi ce que sont les membranes et le cordon ombilical, il faut consulter ce qui en est dit dans l'Histoire des Animaux. Mais pour l'étude que nous faisons en ce moment, nous nous bornerons à répéter qu'après l'apparition du cœur, qui est le premier à se montrer, et après la formation de la grande veine, qui en part, deux cordons ombilicaux, sortis de cette veine, se dirigent l'un vers la membrane qui entoure le jaune, l'autre vers la membrane choroïde dont l'animal est circulairement enveloppé. Ce second cordon se rend à la membrane de la coquille. 18 C'est par l'un des cordons que le fœtus reçoit la nourriture qui vient du jaune; et le jaune grossit, en devenant plus liquide par la chaleur qu'il reçoit. Il faut que la nourriture, corporelle comme elle l'est, devienne liquide comme elle le devient pour les végétaux. Les embryons qui se forment dans les œufs, et aussi ceux qui se forment dans les animaux, n'ont tout d'abord que la vie du végétal. C'est parce qu'ils sont en rapport avec un autre être qu'ils en tirent leurs premiers développements et leur nourriture. 19 L'autre cordon ombilical se dirige vers le chorion qui entoure le fœtus. Il est bien à croire que les petits des ovipares sont, avec le jaune, dans les mêmes rapports que, dans les vivipares, les embryons sont avec la mère, tant qu'ils sont dans son sein. Il est vrai que les embryons des ovipares ne sont pas nourris dans la mère ; mais ils prennent encore de la mère une certaine partie de sa substance; et ils sont, avec le cordon extérieur et sanguinolent, dans la même relation qu'ils le seraient avec la matrice. En même temps, la coquille de l'œuf entoure le jaune et le chorion, qui répond à la matrice, comme si l'on entourait de quelque membrane, et l'embryon, et la mère elle-même tout entière. 20 Cette organisation tient à ce que l'embryon doit être dans la matrice et être rattaché à la mère. Pour les embryons des vivipares, la matrice est dans la mère ; dans les embryons des ovipares, c'est tout le contraire; et à l'inverse, on pourrait dire que la mère est dans la matrice. En effet ce qui vient de la mère, la nourriture, est le jaune; et cela tient à ce que la nutrition de l'embryon ne se fait pas dans la mère elle-même. 21 Quand l'embryon s'est développé, le cordon ombilical qui va au chorion est le premier à tomber, parce que c'est par ce point que l'animal doit sortir ; mais le reste du jaune et le cordon qui se rend au jaune ne tombent que plus tard. Il faut que le petit, dès qu'il est né et vivant, puisse avoir sur-le-champ sa nourriture indispensable; car il n'y a pas de mère pour l'allaiter, et il ne peut à lui seul se procurer ses aliments. Voila pourquoi le jaune entre à l'intérieur avec le cordon ; et la chair du poussin se forme tout autour. 22 Les petits qui sortent d'œufs complets se forment comme on vient de le voir, soit chez les oiseaux, soit chez les quadrupèdes ovipares qui ont des œufs à coquille dure. Ce sont là d'ailleurs des faits qu'on peut observer mieux sur les grands animaux ; car sur les plus petits, la ténuité de leurs dimensions rend les choses presque invisibles. [3,3] CHAPITRE III. 1 Les poissons font aussi des œufs ; mais ceux d'entre eux dont la matrice est en bas ne font qu'un œuf incomplet, par la raison qu'on en a donnée plus haut ; au contraire, ceux qu'on appelle des sélaciens font d'abord un œuf complet en eux-mêmes, et produisent ensuite un petit vivant. 2 Il faut excepter le sélacien qu'on nomme la grenouille marine ; il est le seul poisson de cette espèce qui ponde extérieurement un œuf complet. La cause de cette différence tient à la constitution de son corps. Sa tête est plusieurs fois plus grosse que tout le reste ; elle est hérissée de piquants et fort dure. Cette conformation s'oppose d'abord à ce que l'animal puisse recevoir en lui des petits ; et c'est ce qui fait aussi qu'il n'est pas vivipare. La grosseur et la dureté de la tête empêchent les petits de sortir, tout aussi bien que d'entrer. L'œuf des autres sélaciens a une coquille molle ; et ils ne peuvent pas la durcir et la sécher dans tout son pourtour; car ils sont plus froids que les oiseaux. 3 L'œuf de la grenouille de mer est le seul qui soit solide et sec, afin qu'il puisse se conserver au dehors. Mais les œufs des autres poissons sont liquides et naturellement mous; au dedans, ils sont protégés par le corps même de la mère qui les renferme. Mais le développement, après la sortie de l'œuf, est le même pour les grenouilles qui se complètent au dehors que pour les œufs qui restent a l'intérieur. 4 Comparativement aux oiseaux, cette génération est en partie semblable et en partie différente. D'abord, les œufs de poissons n'ont pas le second cordon ombilical qui se rend au chorion, lequel est sous la coquille qui l'enveloppe. Cela vient de ce que les œufs des poissons n'ont pas la coquille qui entoure les œufs des oiseaux. Elle ne leur serait pas utile; car c'est la mère qui les couvre et les protège ; mais pour les œufs pondus extérieurement, c'est la coquille seule qui doit être leur rempart, contre tous les accidents nuisibles qui peuvent les assaillir au dehors. En second lieu, la naissance du petit des poissons se fait aussi par un bout de l'œuf, mais non pas par le bout qui se rattache à la matrice. 5 Les oiseaux naissent par le petit bout, au point d'attache de l'œuf. Cette disposition tient à ce que, dans les oiseaux, l'œuf se sépare de la matrice, tandis que, dans ces animaux-là, si ce n'est dans tous, au moins dans la plupart, l'œuf à l'état complet est attaché à la matrice. L'animal venant à se développer dans la pointe, l'œuf s'épuise comme dans les oiseaux et dans les autres animaux où les œufs se détachent, et où, à la fin, le cordon ombilical des œufs déjà tout complets est attaché à la matrice. C'est tout à fait ce qui se passe aussi dans les animaux où l'œuf est déjà tout détaché de la matrice; car, dans quelques-uns de ces animaux, dès que l'œuf est complet, il se détache. 6 On pourrait donc se demander en quoi, sous ce rapport, la génération des oiseaux et celle des poissons différent entre elles. La vraie différence, c'est que chez les oiseaux le blanc et le jaune des œufs sont séparés, et que, les œufs des poissons étant d'une seule couleur, le tout est absolument mélangé, de telle sorte que rien n'empêche que le principe du développement n'y soit placé en sens opposé ; car, non seulement l'œuf est ainsi mélangé dans son point d'attache, mais il ne l'est pas moins au point opposé; et alors, il est plus facile à l'embryon de tirer sa nourriture de la matrice par des vaisseaux qui viennent de ce principe. 7 C'est là ce que l'on peut très bien voir sur les œufs qui ne se détachent pas; car dans certains sélaciens, l'œuf ne se détache pas de la matrice ; mais, sans la quitter, il descend tout au bas, pour que le petit sorte vivant. Cela se voit dans ceux où l'animal complètement achevé a encore le cordon venu de la matrice, bien que l'œuf soit déjà épuisé. Il est donc évident que d'abord les vaisseaux se rendaient aussi à la matrice quand l'œuf y était encore. C'est là ce qu'on peut observer, ainsi que nous l'avons dit, dans les chiens de mer, ou raies plates. 8 Voilà donc les différences qu'on peut à cet égard remarquer entre la génération des poissons et celle des oiseaux; et nous en avons expliqué les causes. A tout autre égard, les choses se passent de même des deux côtés. Les poissons ont également le second cordon, qui chez les oiseaux se rend au jaune, mais qui chez les poissons va à l'œuf entier, qui n'a ni blanc ni jaune, et qui est tout d'une couleur. Les petits se nourrissent également de cet œuf; et quand l'œuf est épuisé, la chair en sort, et elle continue de même à se développer au dehors. [3,4] CHAPITRE IV. 1 La génération a donc lieu comme on vient de le dire chez les poissons qui font d'abord en eux-mêmes un œuf complet, et qui ensuite produisent un petit vivant; mais presque tous les autres poissons font leur œuf au dehors ; et tous ils le font incomplet, a l'exception de la grenouille de mer. Nous venons d'expliquer la cause de cette exception, en même temps que nous avons expliqué aussi comment il se fait que les poissons pondent des œufs incomplets. 2 Leur génération, en tant que venant de l'œuf, a lieu encore pour eux de la même manière que pour les sélaciens, qui font des œufs à l'intérieur, si ce n'est que leur croissance est très rapide et qu'elle part d'une extrême petitesse; si ce n'est aussi que le bout de l'œuf est plus dur. Quant à la croissance de l'œuf, elle est tout à fait la même dans les larves. Ainsi, les animaux qui font des larves produisent un embryon d'abord très petit ; puis, cet embryon s'accroît par lui-même, et sans rien emprunter au dehors. 3 La cause de ce phénomène est à peu près pareille à celle qui produit l'ébullition. L'ébullition grossit beaucoup la masse du liquide qui est d'abord plus petite ; le plus solide de cette masse se liquéfie, et le liquide se vaporise. Dans les animaux, la chaleur de l'âme produit naturellement cet effet, tandis que, dans l'ébullition, cet effet est du à la chaleur particulière du suc qui a été mêlé au liquide. C'est donc par cette même cause que les œufs grossissent nécessairement, puisqu'ils ont une excrétion et un résidu qui fermente ; mais outre la nécessité, c'est encore en vue du mieux que le phénomène se produit. 4 Car, il est impossible que les œufs prennent leur développement total dans les matrices, par suite de l'excessive fécondité des poissons. C'est là ce qui fait que les œufs se détachent, bien qu'en étant d'abord tout petits, et qu'ils prennent ensuite une rapide croissance. Si d'abord, ils sont si petits, c'est que la matrice est très étroite pour l'énorme quantité des œufs ; et une fois dehors, ils se développent très vite, afin que, ne s'attardant pas à sortir et à croître, la race entière ne périsse pas, puisque, même dans les conditions actuelles, la plupart des embryons qui sont produits par les poissons viennent a se perdre. La race des poissons étant extrêmement féconde, la Nature combat les chances de perte par le nombre. Il y a même des poissons qui, comme celui qu'on appelle l'aiguille, crèvent par la grosseur de leurs œufs; celui-là, au lieu d'en avoir beaucoup, en a de très gros; et ici la Nature compense par la grosseur ce qu'elle enlève à la quantité. [3,5] CHAPITRE V. 1 On vient de voir comment les œufs de ce genre prennent leur croissance, et pourquoi ils la prennent ainsi. Mais ce qui prouve bien que ces poissons aussi pondent des œufs, c'est que même les poissons vivipares, comme les sélaciens, commencent par faire un œuf à l'intérieur. On peut donc en conclure évidemment que toute la classe des poissons est ovipare. Cependant, dans les espèces de poissons où il y a des mâles et des femelles et qui viennent d'accouplement, aucun œuf n'est achevé et complet que si le mâle répand sa laite sur le frai. 2 Il y a quelques naturalistes qui soutiennent que tous les poissons sont femelles, les sélaciens exceptés; mais c'est là une erreur; car, ces naturalistes supposent que la différence des femelles à ceux qu'ils prennent pour des mâles, est semblable à la différence que présentent les plantes, dont les unes, dans la même espèce, portent des fruits, et dont les autres n'en portent pas, comme l'olivier et le kotinos, le figuier et l'érinéos. Ils trouvent que les poissons, sauf les sélaciens, seraient donc dans le même cas, puisque pour les sélaciens, on ne peut pas élever le moindre doute. 3 Cependant, les mâles dans les sélaciens et dans les poissons ovipares ont la même organisation en ce qui concerne leur laite ; pour les uns et pour les autres, le sperme est émis et répandu dans la saison régulière. Les femelles ont également des matrices; mais il fallait que non seulement les poissons ovipares eussent des matrices, mais encore que les autres en eussent aussi, quoique différentes, de même que, dans la classe des animaux pourvus de crins à la queue, les mules présenteraient ce phénomène que, si toute leur classe était composée uniquement de femelles, il n'y en aurait pas moins quelques-unes d'entre elles qui seraient stériles. Mais, dans l'état présent des choses, parmi les poissons, les uns ont de la laite ; les autres ont des matrices ; et dans tous, si l'on en excepte deux seulement, le rouget et le serran, cette même différence se retrouve identiquement. 4 Ainsi, les uns ont de la laite et les autres ont des matrices. Mais la question que ces naturalistes résolvent, comme on vient de le dire, est facile à trancher si l'on veut bien observer les faits et les écouter. D'ailleurs, ces naturalistes ont pleinement raison de croire que les animaux où un accouplement a lieu ne font jamais un grand nombre de petits; car, ceux des animaux qui font des êtres complets en les tirant d'eux-mêmes, soit vivants, soit sous forme d'œufs, ne sont jamais aussi féconds à beaucoup près que les poissons ovipares, chez lesquels la quantité des œufs est à peu près incalculable. 5 Mais nos naturalistes n'avaient pas encore remarqué qu'il en est tout autrement des œufs des poissons que des œufs des oiseaux. Les oiseaux, les quadrupèdes ovipares et quelques-uns des sélaciens peut-être, font un œuf complet, qui, une fois sorti, ne prend plus aucun accroissement. Au contraire, les poissons font des œufs incomplets, et c'est au dehors que les œufs se développent. Même c'est là encore le phénomène que présentent les mollusques et les crustacés. On peut les voir accouplés, parce que leur accouplement dure longtemps; et l'on observe aisément chez eux que l'un des deux est mâle et que l'autre a une matrice. 6 Il serait bien singulier que cette organisation ne se retrouvât pas dans le genre entier des poissons, comme elle se trouve évidemment chez les vivipares, où l'un des deux est mâle et l'autre est femelle. Ce qui cause l'ignorance de ceux qui soutiennent cette théorie, c'est qu'ils ne se rendent pas compte assez clairement de la diversité des accouplements et de la parturition des animaux, tout évidentes qu'elles sont, et que, ne regardant qu'à quelques cas particuliers, ils s'imaginent que tout le reste doit être absolument pareil. Aussi, quand on soutient que les femelles des poissons conçoivent en avalant la semence des mâles, on ne peut commettre cette méprise qu'en omettant bien des faits, auxquels on ne réfléchit pas assez. 7 Ainsi, c'est à la même époque que les mâles ont leur laite et que les femelles ont leurs œufs ; et plus la femelle est près de pondre, plus aussi la laite s'accumule et se liquéfie dans le mâle. Et de même que, l'accumulation de plus en plus grande de la laite dans le mâle coïncide avec l'œuf dans la femelle, de même l'émission a lieu à la même époque également. Les femelles ne pondent pas d'un seul coup, mais petit à petit; et les mâles ne répandent pas davantage leur laite en une seule fois. 8 Tous ces faits sont parfaitement acceptables à la raison. Car, de même que, dans les oiseaux, il y en a qui produisent des œufs sans les avoir par accouplement, en petit nombre il est vrai et rarement, mais que la plupart des oiseaux ont des œufs par suite de copulation, de même ce phénomène se représente encore dans les poissons, quoique moins généralement. Ce que les parents font d'eux seuls et spontanément reste stérile, si le mâle ne répand pas sa laite sur les œufs, du moins dans toutes les espèces de poissons où il y a un mâle. 9 Pour les oiseaux, qui pondent au dehors des œufs complets, il faut nécessairement que le travail se passe quand les œufs sont encore à l'intérieur. Au contraire, pour les poissons qui pondent des œufs incomplets, dont l'accroissement a toujours lieu à l'extérieur, l'œuf a beau venir d'un accouplement, il n'y a d'oeufs sauvés au dehors que ceux qui ont été aspergés par la laite ; et c'est précisément à cet usage qu'est employée la laite des mâles. Aussi, la quantité de la laite tombe et diminue en même temps que les œufs diminuent chez la femelle ; car, toujours les mâles la suivent, en répandant leur laite sur les œufs qui viennent d'être pondus par elle. Il y a donc, chez les poissons, des mâles et des femelles; et tous les poissons s'accouplent, si ce n'est que, dans quelques espèces, la femelle et le mâle ne sont pas bien distincts. Mais jamais sans la semence du mâle aucun œuf de ces animaux ne pourrait venir à bien. 10 Ce qui peut contribuer à causer l'erreur qu'on commet en tout ceci, c'est que l'accouplement de ces poissons est extrêmement rapide, et que la plupart des pêcheurs eux-mêmes ne l'observent pas; il est vrai qu'aucun d'eux ne s'inquiète du fait au point de vue de la science. Cependant, on a pu faire quelques observations sur l'accouplement des poissons. On a constaté en effet que les dauphins s'accouplent en se frottant les uns contre les autres, comme le font aussi tous les poissons dont la queue est un obstacle a un autre mode d'accouplement. Mais la séparation des dauphins demande plus de temps pour se produire, tandis qu'elle est très rapide dans les autres poissons. Ne voyant pas cet accouplement, mais ne voyant que la dispersion de la laite et des œufs, les pêcheurs eux-mêmes s'en vont répétant une opinion erronée et fort répandue sur la gestation des poissons, celle qu'accueillait aussi Hérodote, dans ses légendes fabuleuses, quand il supposait que les femelles des poissons conçoivent en avalant la laite des mâles. 11 On aurait bien dû s'apercevoir que c'est là une chose absolument impossible. Le canal qui part de la bouche se rend à l'estomac et ne se rend pas dans les matrices; or, tout ce qui entre dans l'estomac y devient nécessairement de la nourriture, parce qu'il y est digéré. Mais, comme les matrices sont remplies d'oeufs, on peut se demander d'où viennent ces œufs. 12 On appliquerait encore les mêmes considérations à la génération des oiseaux ; car, il y a des naturalistes qui ont prétendu que c'est par la bouche que s'accouplent les corbeaux et les ibis, et que, parmi les quadrupèdes, la belette met bas par la bouche également. Telle est l'opinion d'Anaxagore et de quelques autres naturalistes ; mais ce sont là des opinions par trop naïves et par trop irréfléchies. 13 Pour les oiseaux, c'est se laisser tromper par un faux raisonnement que de se dire qu'on ne voit que très rarement les corbeaux s'accoupler, tandis qu'on les voit très fréquemment se becqueter l'un l'autre, comme le font tous les oiseaux de l'espèce corvide, et comme aussi on le voit faire aux geais qu'on apprivoise. On peut également l'observer sur les colombes; mais, comme on les voit s'accoupler, on ne leur a pas fait l'honneur de cette singulière réputation. L'espèce des corbeaux n'est pas lascive : elle fait peu de petits ; et, bien souvent, on les a déjà vus s'accoupler. 14 Mais il est vraiment absurde de ne pas songer qu'on aurait à prouver comment le sperme peut parvenir aux matrices en passant par l'estomac, lequel digère toujours tout ce qu'il reçoit comme aliment. Ces oiseaux ont des matrices tout aussi bien que les autres; et leurs œufs sont placés aussi sous leur diaphragme. Quant à la belette, elle a sa matrice disposée absolument comme celle des autres quadrupèdes ; et en elle, d'où l'embryon pourrait-il venir pour arriver dans sa bouche? Comme la belette fait des petits excessivement grêles, et qu'elle les transporte souvent dans sa gueule, où elle les prend ainsi que le font les autres fissipèdes dont nous aurons à nous occuper plus tard, c'est là ce qui aura provoqué cette fable absurde. 15 Ce qu'on raconte du trochos et de l'hyène n'est guère moins étrange ni moins erroné. En parlant du trochos, on dit généralement, et Hérodore d'HéracIée, en parlant de l'hyène, dît, en particulier, que ces animaux réunissent les deux organes sexuels du mâle et de la femelle, que le trochos s'accouple avec lui-même, et que l'hyène monte une année, et est montée l'autre. On a vérifié que l'hyène n'a qu'un seul organe du sexe; et il y a plus d'un pays où cette observation peut n'être pas rare. Ce qui est vrai, c'est que les hyènes ont sous la queue une ligne qui ressemble à l'organe de la femelle ; mais les mâles et les femelles ont indistinctement cette ligne remarquable. D'ailleurs, ce sont les mâles qu'on prend le plus ordinairement. Ce n'est donc qu'une observation superficielle qui a pu autoriser une telle opinion ; et ce que nous venons d'en dire est plus que suffisant. [3,6] CHAPITRE VI. 1 Pour ce qui regarde la génération des poissons, on peut se demander comment il se fait que, dans les sélaciens, on ne voit jamais les femelles produire leurs embryons, ni les mâles répandre leur laite, tandis que, pour les poissons qui ne sont pas vivipares, on voit les femelles pondre leurs œufs et les mâles répandre leur semence dessus. A cette question, on peut répondre que cela tient à ce que l'espèce des sélaciens n'est pas du tout féconde en sperme, et a ce que les femelles ont leurs matrices près du diaphragme; car, les sélaciens mâles diffèrent des autres mâles tout aussi bien que les sélaciens femelles diffèrent des autres femelles. 2 Les sélaciens sont pourvus de très peu de semence spermatique ; au contraire, chez les poissons ovipares les mâles répandent leur laite en abondance, de même que les femelles pondent une énorme quantité d'œufs, parce que les mules ont plus de laite qu'il n'en faut pour la fécondation. C'est que la Nature veut employer la laite à hâter la croissance des œufs pondus par la femelle, plutôt qu'à les constituer dès l'origine. 3 Nous pouvons répéter, comme nous l'avons déjà dit, et comme nous le disions encore tout à l'heure, que chez les oiseaux les œufs se complètent en dedans, et que, chez les poissons, ils s'achèvent au dehors. Chez eux aussi, c'est en quelque sorte le travail qui se fait dans la larve; et même les animaux larvipares produisent leur progéniture encore plus informe. Mais, dans les œufs des oiseaux et dans ceux des poissons, c'est également le mâle qui les parfait et les achève. Seulement, chez les oiseaux, c'est à l'intérieur que le fait se passe; car c'est bien intérieurement que l'œuf se complète, tandis que chez les poissons, c'est au dehors, parce que c'est extérieurement que les œufs sont rejetés dans un état imparfait; mais, dans ces conditions, c'est, au fond, de part et d'autre le même phénomène. 4 Ainsi, les œufs clairs des oiseaux deviennent féconds ; et ceux qui ont été cochés antérieurement par des mâles d'une autre espèce, changent de nature, pour prendre celle du mâle qui a coché le dernier. Même les œufs ordinaires qui n'ont pas pu croître, parce que la première copulation a été insuffisante, s'ils sont cochés de nouveau, reprennent très rapidement toute leur croissance. Cette transformation ne se produit pas d'ailleurs à toute époque du développement des œufs, mais seulement quand la copulation a lieu avant que le blanc ne se soit séparé du jaune. 5 Rien de pareil à ceci ne se passe pour les œufs des poissons; mais les mâles se hâtent de répandre leur laite pour les sauver en les fécondant. C'est que les œufs de poissons ne sont pas de deux couleurs. Il n'y a donc pas pour ces œufs un temps fixe, comme pour les œufs d'oiseaux. La raison comprend ceci sans peine. Quand le blanc est séparé du jaune et qu'ils sont isolés l'un de l'autre, l'œuf a déjà reçu le principe qui vient du mâle ; car c'est là ce qui est la part du mâle dans l'acte de la génération. Quant aux œufs clairs, ils reçoivent tout le développement de génération qu'ils peuvent prendre; mais il est bien impossible qu'ils arrivent à former un animal complet ; car il faudrait pour cela qu'ils eussent la sensibilité. Or les femelles, ainsi que tous les êtres vivants, comme on l'a déjà dit bien souvent, n'ont à donner que la faculté nutritive de l'âme; et alors, l'œuf que la femelle produit est complet en tant que germe végétatif, mais, en tant que germe d'animal, il est incomplet. 6 S'il n'y avait pas de mâle dans la classe des oiseaux, il leur arriverait ce qui arrive chez les poissons, si toutefois la génération peut se faire dans une de leurs espèces quelconque sans l'intervention du mâle. Mais nous avons déjà antérieurement rappelé que le fait n'avait pas été encore suffisamment observé. Dans l'état actuel des choses, il y a pour toutes les espèces d'oiseaux une femelle et un mâle, de telle sorte que la femelle achève l'œuf en tant que plante ; et sous ce rapport, il ne change pas après la copulation; mais en tant que l'œuf n'est pas plante, la femelle ne peut le parfaire ; et il ne sort jamais de la femelle un autre être vivant; car ce n'est pas d'une plante, absolument parlant, qu'il est venu, et ce n'est pas non plus tout à fait d'un animal par accouplement. Quant aux œufs qui résultent de copulation, et où le blanc s'est déjà sépare du jaune, ils se modèlent sur le mâle qui a coché le premier; car ces œufs-là possèdent dès lors les deux principes. [3,7] CHAPITRE VII. 1 Les mollusques du genre de la seiche et de genres analogues produisent leurs petits de la même manière, ainsi que les crustacés, tels que les crabes et leurs congénères. Ces animaux également engendrent par copulation, et l'on a vu plus d'une fois le mâle accouplé à la femelle. Aussi, ne serait-ce que pour ce seul exemple, on peut dire qu'on ne parle pas scientifiquement, quand on avance que tous les poissons sont femelles, et qu'ils ne se reproduisent pas par copulation. Il est bien étonnant d'admettre que les mollusques viennent d'accouplement, et que les autres poissons n'en viennent pas. 2 Si on ne l'a pas vu, c'est signe qu'on observe bien mal. L'accouplement de ces animaux, comme celui des insectes, dure plus longtemps que tout autre; et cela se comprend de reste, puisqu'ils ne sont pas pourvus de sang, étant de leur nature froids, comme ils le sont. Les seiches et les teuthis ont deux œufs apparents, parce que leur matrice est divisée et a deux cornes, tandis que les polypes n'ont qu'un seul œuf. Cela tient à ce que la forme du corps des polypes est arrondie et sphérique, et que, quand la femelle est pleine, on ne voit plus la division de la matrice. Quant à la matrice des crabes, elle est divisée aussi en deux parties. 3 Tous ces animaux ne produisent que des fœtus incomplets, et par la même cause. Les femelles de tous les crabides gardent en elles-mêmes leur fœtus; et c'est pour cela qu'elles ont l'éventail de la queue beaucoup plus grand que les mâles, afin de pouvoir protéger les œufs quelles portent. Les mollusques déposent les leurs au dehors. Dans les mollusques, le mâle répand sa laite sur les femelles, de même que les autres poissons mâles la répandent sur les œufs ; ce qui les coagule et en fait une masse visqueuse. 4 Dans les crabides, on n'a rien observé de pareil ; et ce ne serait pas sage en effet qu'il en fût ainsi, puisque l'embryon est sous la femelle, et qu'il a une peau très dure. Du reste, les œufs des crabides et ceux des mollusques se développent à l'extérieur comme ceux des poissons. Quand la petite seiche vient de naître, elle est attachée aux œufs par sa partie antérieure ; et, en effet, ce n'est que par là qu'elle peut s'attacher, puisque cet animal est le seul qui ait d'un même côté le derrière et le devant du corps. C'est d'ailleurs dans l'Histoire des Animaux qu'on peut voir quelle est la position que les petites seiches présentent au moment où elles naissent. [3,8] CHAPITRE VIII. 1 Après avoir étudié la génération de tous les autres animaux qui marchent, qui volent et qui nagent, il faut, pour les insectes et les testacés, adopter encore la méthode jusqu'à présent suivie. Occupons-nous d'abord des insectes. Nous avons déjà dit que, parmi les insectes, les uns viennent de copulation et que d'autres naissent spontanément. Nous avons ajouté qu'il y en a quelques-uns qui font des larves, et nous avons expliqué pourquoi ils en font. 2 A vrai dire, on pourrait croire que tous les animaux font des larves en quelque sorte, et qu'ils commencent tous par là, puisque le fœtus des larves est le plus imparfait de tous. Dans tous les vivipares et dans les ovipares qui font un œuf complet, le fœtus, qui nait tout d'abord assez informe, prend ensuite sa pleine croissance; or, c'est bien là aussi la nature de la larve. Mais ensuite, les uns qui sont ovipares produisent un fœtus complet; les autres le produisent incomplet ; mais, une fois dehors, il se complète, comme on l'a déjà exposé plus d'une fois pour les poissons. 3 Pour les vivipares qui font leurs petits en eux-mêmes, on peut dire qu'après que l'être s'est constitué, c'est d'abord une sorte d'œuf qui se forme ; car la partie liquide est entourée d'une légère membrane, dans le genre de celle qu'on trouve en enlevant la coquille de l'œuf; et c'est pour cela qu'on appelle du nom d'écoulement la perte du fœtus à cette époque. Les insectes qui engendrent pondent aussi des larves; et ceux mêmes qui, ne venant pas de copulation, naissent spontanément, sont constitués aussi de cette façon, dans les premiers temps; car, il faut regarder comme des espèces de larves, et les chenilles et les fœtus d'araignées. 4 Ces fœtus pourraient passer pour des œufs à cause de leur rondeur; et ceci s'applique à quelques-uns de ceux-là et à beaucoup d'autres. Mais ce n'est pas à cause de leur forme, de leur mollesse et de leur dureté, qualités qu'ont parfois quelques-uns de leurs fœtus, qu'on pourrait les prendre pour des larves ; c'est uniquement parce que l'animal change tout entier, et qu'il ne vient pas seulement d'une certaine partie. 5 D'ailleurs, avec le temps et en grossissant, tous les fœtus qui ont forme de larves finissent par devenir une sorte d'œuf. L'enveloppe qui les revêt se durcit; et, pendant toute cette période, ils sont immobiles. C'est ce qu'on peut bien voir dans les larves des abeilles, des guêpes et des chenilles. On dirait que la Nature a fait en quelque sorte un œuf prématurément, tant cet œuf a d'imperfection, et que la larve n'est qu'un œuf mou, qui a encore beaucoup à croître. 6 C'est bien là aussi ce qu'on peut observer sur tous les autres insectes qui ne viennent pas de copulation, comme ceux qu'on trouve dans les lainages et dans d'autres matières, et sur ceux qui naissent dans les eaux. Après que la larve a été émise, elle reste toujours sans mouvement ; et quand l'enveloppe s'est desséchée, l'animal sort en la brisant, comme s'il sortait d'un œuf; il est alors tout formé; et il en est à sa troisième métamorphose. La plupart des insectes qui naissent ainsi sont ailés, quand ils vivent sur terre. 7 On a de justes motifs d'admirer généralement tous ces phénomènes, qui d'ailleurs sont conformes à la raison; car les chenilles, qui tout d'abord prennent de la nourriture, cessent plus tard d'en prendre; mais les chrysalides, comme on les appelle quelquefois, restent immobiles. Les larves des guêpes et des abeilles deviennent ensuite ce qu'on nomme des nymphes; et sous cette forme, elles n'ont plus à se nourrir; car la nature des œufs est telle que l'œuf, une fois formé, ne s'accroit plus. Mais d'abord il grossit et prend de la nourriture, jusqu'à ce qu'il soit définitivement constitué et qu'il soit devenu un œuf complet. 8 Quant aux larves, il y en a qui ont en elles-mêmes tout ce qu'il faut pour produire cette excrétion qui les nourrit ; et telles sont les abeilles et les guêpes. Il y en a d'autres qui tirent leur nourriture du dehors, comme les chenilles et quelques autres larves. Voilà donc trois sortes de générations pour ces insectes ; et nous avons expliqué pourquoi, après avoir eu le mouvement, ils en sont ensuite privés. Il y a des insectes qui viennent de copulation comme en viennent les oiseaux, les vivipares et presque tous les poissons; d'autres naissent spontanément, à la façon de quelques plantes. [3,9] CHAPITRE IX. 1 II est assez difficile de se rendre compte de la génération des abeilles. S'il y a quelques espèces de poissons qui produisent leurs petits sans accouplement, il semble bien que c'est là aussi la manière dont les abeilles se reproduisent, à en juger du moins d'après l'apparence. Il faut nécessairement, ou qu'elles apportent le couvain du dehors, comme le prétendent quelques naturalistes, et ce couvain doit, ou naître spontanément, ou bien venir d'un autre animal qui le pond; ou bien encore, il faut que les abeilles elles-mêmes le produisent. Il se peut également qu'elles apportent un couvain et qu'elles en produisent un autre; car il y a des naturalistes qui soutiennent qu'elles n'apportent du dehors que le couvain des bourdons. Elles doivent engendrer, ou par accouplement, ou sans accouplement. Si c'est par accouplement, elles doivent produire chaque genre à part, ou l'un de ces deux genres seulement, le reste se produisant par un genre accouplé à l'autre. Je veux dire que, par exemple, les abeilles viennent d'abeilles accouplées ; les bourdons viennent de bourdons; les rois viennent de rois. Ou bien encore, il se peut que toutes ces espèces viennent d'une seule, c'est-à-dire, des abeilles qu'on appelle des rois ou des chefs; ou enfin elles peuvent provenir de l'accouplement des bourdons et des abeilles. 2 On soutient en effet quelquefois que les unes sont mâles et les autres femelles ; on prétend même que ce sont les abeilles qui sont les mâles, et que les bourdons sont les femelles. Toutes ces assertions sont insoutenables, quand on raisonne d'après les faits particuliers que présentent les abeilles, et d'après les faits plus généraux que présente le reste des êtres animés. 3 D'abord, si les abeilles apportaient le couvain du dehors, sans l'avoir produit, il faudrait aussi que des abeilles naquissent sans même que des abeilles rapportassent dans les lieux où elles vont prendre ce couvain. Comment pourrait-il se faire que des abeilles se produisissent là où on apporterait ce couvain, et qu'il n'y en eût pas là où se couvain se trouve? Le couvain n'est pas moins indispensable, soit qu'il vienne spontanément dans les fleurs, soit que quelque animal le produise; car, en supposant même que cette semence vînt d'un autre animal, c'est un animal pareil qui viendrait de celui-là ; mais ce ne serait pas des abeilles. 4 En second lieu, on comprend bien que les abeilles apportent du dehors le miel, puisqu'il est leur nourriture; mais qu'elles apportent du couvain étranger, qui ne sert même pas à les nourrir, c'est absurde. A propos de quoi? Et dans quelle vue? Tous les animaux qui s'occupent de leur progéniture ne prennent tant de soins que pour leur propre produit, lequel ne fait aucun doute pour eux. 5 On ne peut pas soutenir plus raisonnablement que les abeilles sont les femelles, et que les bourdons sont les mâles. La Nature n'a jamais donné a aucune femelle des armes de combat. Or, les bourdons n'ont pas de dard; et toutes les abeilles en ont. Il n'est pas possible davantage de soutenir que les abeilles sont les mâles, et que les bourdons sont les femelles. Ordinairement, le mâle ne s'occupe jamais des petits ; et ici ce sont les abeilles qui prennent ce soin. 6 D'autre part, comme le couvain des bourdons semble se produire même sans qu'il y ait intervention d'aucun bourdon, et que le couvain d'abeilles au contraire ne se produit jamais sans les rois, on en conclut que le couvain seul des bourdons est apporté du dehors, puisque évidemment les abeilles et les bourdons ne viennent pas d'un accouplement, ni séparément dans chacun de ces genres où aurait lieu l'accouplement des individus entre eux, ni de l'accouplement des abeilles et des bourdons. Mais il est également impossible, par les motifs qu'on vient de donner, que le couvain seul des bourdons soit apporté du dehors ; et la raison ne peut admettre que le cas ne fut pas semblable pour l'espèce tout entière. 7 II n'est pas davantage permis de supposer que, parmi les abeilles, les unes sont mâles et que les autres sont femelles. Dans toutes les espèces d'animaux, il y a toujours de la différence entre la femelle et le mâle, et il y en aurait dans les abeilles en supposant même qu'elles s'engendrassent toutes elles-mêmes. Mais dans l'état actuel des choses, on ne voit pas qu'il y ait de couvain d'abeilles, s'il n'y a pas dans la ruche des chefs, comme on les appelle. 8 Une objection qu'on peut faire contre leur génération réciproque, et contre celle des bourdons, soit avec les abeilles, soit entre eux, c'est qu'on n'a jamais observé qu'aucun de ces insectes s'accouplât; et certainement on les aurait vus bien des fois, s'il y avait réellement parmi eux des femelles et des mâles. Il reste donc cette hypothèse, si toutefois il y a accouplement, que ce soient les rois qui engendrent en s'accouplant. Mais on voit les bourdons naître sans même qu'il y ait de chefs dans la ruche ; et il n'est pas plus possible que les abeilles apportent le couvain de ces chefs qu'il n'est possible qu'elles le produisent après un accouplement. 9 Une autre hypothèse, c'est que les abeilles, comme quelques espèces de poissons, engendrent les bourdons sans accouplement, étant bien femelles en ce sens qu'elles engendrent, mais ayant, comme les végétaux, la femelle et le mâle renfermés en elles-mêmes; ce qui fait aussi qu'elles ont des instruments de combat. Mais on ne peut pas parler de femelle là où le mâle n'est pas distinct et séparé. Si, du reste, cette observation s'applique aux bourdons, et s'ils ne viennent pas d'accouplement, il y a évidemment nécessité que la même remarque s'applique aussi aux abeilles et aux rois, qui ne doivent pas venir non plus d'un accouplement quelconque. 10 Si le couvain des abeilles se produisait certainement sans les rois, il faudrait aussi que les abeilles s'engendrassent elles-mêmes sans s'accoupler. Cependant, comme ce n'est pas là du tout ce qu'assurent les gens qui s'occupent du soin d'élever ces insectes, il resterait à penser que les rois s'engendrent eux-mêmes, et qu'ils engendrent également les abeilles. Mais de même que les abeilles sont des insectes à part et uniques en leur genre, de même leur génération paraît n'être pas moins singulière et remarquable. Que les abeilles puissent produire sans accouplement, c'est ce qui se passe chez bien d'autres animaux. Mais qu'elles ne produisent pas la même espèce qu'elles, ceci leur serait tout à fait particulier; car, par exemple, les rougets produisent des rougets; les serrans, des serrans. 11 C'est là ce qui fait que les abeilles ne se produisent pas comme les mouches et d'autres insectes analogues ; elles naissent d'un genre qui est différent d'elles, quoique congénère, puisqu'elles naissent des chefs. Aussi, leur organisation a-t-elle quelque chose d'analogue à celle des chefs. Ainsi, les chefs ressemblent aux bourdons par leur grosseur; et ils ressemblent aux abeilles en ce qu'ils ont un aiguillon comme elles. 12 Sous ce rapport, les abeilles sont pareilles aux chefs; comme les bourdons leur sont pareils en grosseur. Il faut bien nécessairement qu'il y ait quelque différence, puisque ce ne doit pas être toujours la même espèce qui sorte de chacun d'eux. Ce serait en effet impossible; car alors l'espèce entière ne serait composée que de chefs. Les abeilles sont semblables aux chefs par une égale faculté de reproduire ; les bourdons ne le sont que par la grosseur de leur corps. S'ils avaient un aiguillon, ils seraient des chefs aussi; et c'est le seul point qui reste encore douteux. Les chefs ressemblent à ces deux espèces de la même façon, aux abeilles parce qu'ils ont un dard, et aux bourdons parce qu'ils sont aussi gros. 13 Mais nécessairement, les chefs doivent naître de quelque part; et comme ils ne viennent, ni des abeilles, ni des bourdons, il faut bien qu'ils s'engendrent eux-mêmes. Leurs cellules ne viennent qu'à la fin, et elles ne sont pas très nombreuses. Mais si, en fait, les chefs s'engendrent eux-mêmes, ils engendrent aussi une espèce autre que la leur; c'est celle des abeilles, qui, à leur tour, engendrent également une autre espèce, qui est celle des bourdons. Mais les abeilles ne s'engendrent pas elles-mêmes ; et cette faculté leur a été refusée. 14 Comme tout ce qui est conforme à la Nature est toujours admirablement ordonné, il faut de toute nécessité encore que les bourdons soient également privés de la faculté de produire une autre espèce. Et c'est là en effet ce qui est. Ils naissent, mais ils n'engendrent rien d'autre; et la génération s'arrête à son troisième degré. De cette façon, la Nature a parfaitement combiné les choses, pour que les espèces existantes de ces insectes subsistent et se perpétuent, et qu'il n'y ait jamais de lacunes, quoique tous les êtres qui les composent n'engendrent pas. 15 II est aussi tout à fait compréhensible que, par le beau temps, il y ait beaucoup de miel et beaucoup de bourdons ; et que, par les temps de pluie, il y ait beaucoup de couvain. L'humidité produit plus de sécrétion dans le corps des chefs; et le beau temps, dans celui des abeilles; car, étant plus petites en grosseur, elle sont plus besoin du beau temps. Il est très bien aussi que les rois, qui sont faits, à ce qu'il semble, pour produire les petits, demeurent a l'intérieur, sans y être soumis aux travaux nécessaires, et qu'ils aient de fortes dimensions pour que leur corps supporte mieux la parturition. Les bourdons doivent également rester inactifs, puisqu'ils ne sont pas armés pour disputer la nourriture, et qu'ils ont un corps très lourd, et très lent. 16 Les abeilles, au contraire, sont de proportions moyennes, entre les deux, pouvant servir ainsi à faire tout le travail, et travaillant énergiquement pour remplir la fonction dont elles sont chargées, qui est de nourrir les enfants et les parents. Il est tout simple qu'elles obéissent à leurs rois, d'abord parce que c'est d'eux qu'elles tiennent leur naissance; car, sans cette soumission, les faits qui constituent l'hégémonie des rois seraient sans raison ; et il n'est pas moins simple encore que les abeilles tolèrent que, comme parents, les rois ne fassent rien, et que, leur permettant cette oisiveté, elles châtient les bourdons comme des enfants, puisqu'il convient plutôt de châtier des enfants, et ceux qui n'ont rien à faire. 17 Du reste, si les rois, qui sont très peu nombreux, engendrent une si grande quantité d'abeilles, c'est là un fait à peu près pareil à ce qui se passe pour la génération des lions. La lionne produit, d'abord, jusqu'à cinq petits; ensuite, elle en produit de moins en moins, jusqu'à ce qu'elle n'en produise plus qu'un seul, et qu'enfin elle n'en produise plus du tout. Les chefs des abeilles se reproduisent eux-mêmes, d'abord, en grand nombre; puis, ils ne se reproduisent plus que très peu et de moins en moins ; et ce que la Nature leur ôte en nombre, elle le leur rend en grosseur. 18 Voilà donc tout ce que le raisonnement et les faits observés sur les abeilles nous apprennent de leur génération. Mais on n'a pas encore assez bien observé les faits; et quand on les aura tous recueillis, il vaudra toujours mieux s'en rapporter à l'observation sensible plutôt qu'au raisonnement; on ne devra ajouter foi aux théories que si elles sont d'accord avec les faits observés. 19 Ce qui prouve bien que les abeilles ne viennent pas de copulation, c'est que le couvain est peu considérable dans les cellules de cire. Tous les insectes qui proviennent d'un accouplement ont cet accouplement fort long; ils pondent vite ; et ce qu'ils pondent est une sorte de petite larve. La génération des insectes du même genre, tels que les frelons et les guêpes, se rapproche de celle des abeilles; mais on comprend bien que ces insectes n'aient pas le privilège qu'ont les abeilles ; ils n'ont rien de divin comme elles. Celles qu'on appellent les mères enfantent les petits; et elles construisent les premières cellules de cire; puis, une fois couvertes les unes par les autres, elles engendrent; et l'on a bien des fois observé leur accouplement. 20 C'est, d'ailleurs, dans les descriptions de l'Histoire des Animaux qu'il faut étudier les différences de ces espèces de guêpes et de frelons, soit entre elles, soit par rapport aux abeilles. [3,10] CHAPITRE X. 1 Après avoir traité de la génération de tous les insectes, il nous faut étudier celle des testacés. Cette génération est a certains égards semblable aux autres, et, à certains égards, elle en diffère. Cela se conçoit très bien. Comparativement aux animaux, les testacés sont des plantes; et comparativement aux plantes, ce sont des animaux. Par suite, les testacés semblent en un sens venir d'un germe; et, en un autre sens, ils n'en viennent pas. Dès lors, ou ils naissent spontanément, ou ils s'engendrent d'eux-mêmes? ou parmi eux, ceux-ci naissent de cette façon, tandis que ceux-là naissent de l'autre. 2 Comme les testacés ont une nature qui correspond à celle des plantes, ils ne marchent pas sur terre ; ou du moins ce n'est qu'une petite espèce de testacés, celle des colimaçons, ou telle autre espèce analogue à celle-là. Les espèces de cette sorte sont fort rares, tandis que, au contraire, dans la mer et dans les eaux semblables à celle de la mer, les testacés abondent et revêtent toute espèce de formes. A l'inverse, les végétaux viennent peu dans la mer et dans les cours d'eau ; et l'on pourrait presque dire qu'il n'en vient pas du tout, et que la plus grande partie des plantes, ou toutes les plantes, poussent sur la terre. 3 Mais si, à quelques égards, la nature des testacés est analogue à celle des plantes, à certains égards elle s'en éloigne. Autant le liquide a plus de vie que le solide et le sec, et autant l'eau en a plus que la terre, autant la nature des testacés contient plus de vie que celle des plantes, puisque les testacés sont au liquide ce que les plantes sont à la terre. Les végétaux sont en effet en quelque sorte des coquillages terrestres, et les coquillages proprement dits sont comme des plantes aquatiques. C'est aussi pour la même cause que les êtres qui vivent dans le liquide, présentent bien plus de formes différentes que ceux qui vivent sur la terre. 4 Le liquide se modifie beaucoup plus aisément que la terre sèche; et le liquide a presque autant de corps qu'elle en a, surtout quand il s'agit des liquides de la mer. L'eau bonne à boire est douce et nourrissante; mais elle est moins matérielle et moins froide. Aussi, les animaux privés de sang, et froids par nature, ne naissent-ils pas dans les lacs, ni dans les eaux plus potables que les eaux saumàtres. Ou plutôt, ils y naissent moins que partout ailleurs, comme les testacés, les mollusques et les crustacés, parce que tous ces animaux n'ont pas de sang et qu'ils sont de nature froide. Mais ils viennent dans les baies et à l'embouchure des fleuves, parce qu'ils y cherchent tout à la fois la chaleur et leurs aliments indipensables. 5 L'eau de mer est aussi liquide, mais beaucoup plus matérielle que l'eau potable; elle est naturellement chaude. Elle a en elle toutes les parties ou les éléments de l'eau, de l'air et de la terre; et, par suite, elle renferme toutes les espèces d'animaux qui vivent dans ces trois sortes d'éléments et de milieux. On peut dire en effet que les plantes appartiennent à la terre; que les animaux aquatiques appartiennent a l'eau ; et les animaux marchant sur le sol, à l'air. Il faut bien admettre qu'en ceci le plus et le moins, le proche ou l'éloigné, font une différence considérable et vraiment surprenante. 6 On voit, du reste, qu'après les êtres qui appartiennent a ces trois espèces de milieux, il n'y a point à rechercher un quatrième genre d'êtres. Cependant il y a bien quelque chance qu'il s'en trouve un dans l'ordre du feu, puisque le feu est le quatrième des corps élémentaires. Mais toujours le feu se montre à nous sous une forme qui ne lui est aucunement propre, et toujours il est dans quelqu'un des autres corps ; car ce qui est brûlé par le feu est toujours, ou de l'air, ou de la vapeur d'eau, ou de la terre. 7 Peut être faut-il chercher ce quatrième genre d'êtres dans la lune, qui semble représenter le quatrième milieu ; mais nous réservons cette question pour un autre ouvrage. 8 Quant aux testacés, tantôt leur production a lieu spontanément ; tantôt et pour quelques-uns, elle vient d'une force qu'ils tirent et qu'ils émettent d'eux-mêmes, bien que souvent aussi ces derniers se forment spontanément. On peut comparer leurs générations avec celles des plantes. Ainsi, entre les végétaux, les uns viennent de semence ; d'autres viennent de boutures qu'on détache; d'autres, par tiges qui repoussent tout autour, comme les oignons. C'est de cette manière que se reproduisent les moules, sur lesquelles viennent toujours s'en attacher de plus petites, qui se mettent sur le coquillage originaire. Les buccins, les pourpres et les coquillages, dont on dit qu'ils font de la cire, rejettent des liquides muqueux qui sont comme des produits de nature spermatique. 9 On ne peut pas croire néanmoins qu'aucun de ces animaux aient réellement du sperme; mais on doit admettre qu'ils ont une certaine ressemblance avec les plantes, sous le rapport qu'on a déjà expliqué. Aussi, il suffit qu'un seul de ces êtres vienne à naître pour qu'il en surgisse aussitôt une foule d'autres. C'est qu'en effet ces animaux peuvent encore se produire spontanément; mais ils se multiplient proportionnellement beaucoup plus quand il y a des premiers parents. On comprend bien, en effet, qu'il se forme dans chacun d'eux un certain résidu du principe, et que, de ce résidu, germe chacun des sujets qui viennent se greffer sur les premiers, en poussant à côté des autres. Comme la nourriture a une force assez pareille, ainsi que le résidu qu'elle produit, on peut supposer que les testacés qui font des alvéoles, ont une force toute semblable à celle du principe, et que tout naturellement il en sort aussi quelque être nouveau. 10 Mais ceux des testacés qui ne bourgeonnent pas et qui ne font pas d'alvéoles, se produisent spontanément. Tous les animaux qui se forment de cette façon, soit dans la terre, soit dans l'eau, semblent tous naître avec la corruption, à laquelle vient se mêler de l'eau de pluie. La partie douce se rend au principe qu'elle constitue; et le résidu prend cette forme particulière. Ce n'est pas que réellement aucun être puisse venir de la corruption ; mais il naît de la coction. La pourriture et la matière pourrie ne sont que le résidu de ce qui a subi la coction préalable. 11 Ici, l'être qui est formé ne l'est pas de la totalité de la matière, pas plus que cela n'arrive dans les œuvres inutiles, et la Nature, de son côté, les enlève de même que lui. Les animaux et les plantes naissent dans la terre et dans l'eau, parce qu'il y a de l'eau dans la terre, parce qu'il y a de l'air dans l'eau, et que dans tout cela il y a une chaleur vitale, de telle sorte qu'on peut dire que tout est plein d'âme et de vie. 12 Aussi, des êtres ne tardent-ils pas à se constituer dès que cette chaleur est circonscrite et renfermée; les corps liquides venant à s'échauffer, la chaleur se concentre, et il se forme une sorte de bulle d'écume. Les différences qui font que le genre d'êtres produits est plus relevé, ou qu'il est moins parfait, résultent de la manière dont le principe vital a été circonscrit. Ce qui cause le phénomène, ce sont les milieux où il se passe et le corps qui y est renfermé. 13 Dans l'eau de mer, il y a beaucoup de terreux; et c'est d'une combinaison de ce genre que se forme la nature des testacés, le terreux se durcissant tout à l'entour, et devenant aussi com-pacte que les os et les cornes ; le feu même ne les fait pas fondre, en même temps que le corps qui possède la vie et qui s'y trouve renfermé. 14 Le seul testacé dont on ait observé l'accouplement, c'est le colimaçon; mais on ne sait pas très bien encore si c'est de cet accouplement que naissent ces animaux, ou s'ils n'en naissent pas. Si l'on voulait en faire une étude régulière, il faudrait se demander quelle est en eux la partie qui se constitue pour les produire matériellement. Dans les femelles des autres espèces, la partie matérielle est une certaine excrétion de l'animal, qui, étant en puissance semblable à l'être d'où il provient, reçoit du principe moteur qu'a le mâle l'achèvement qui en fait un animal complet. 15 Mais pour les testacés, où trouver quelque chose de pareil ? D'où viendrait et quel serait le principe moteur qui doit se trouver dans le mâle? Pour les animaux qui engendrent par l'effet de la nourriture ingérée, il faut admettre que c'est la chaleur même de l'animal qui, par la sécrétion et la coction, produit le résidu, principe du fœtus. Il en est de même pour les plantes, si ce n'est que, pour elles, et même pour quelques espèces d'animaux, il n'y a pas besoin du principe qu'apporte le mâle, parce qu'elles ont en elles-mêmes ce principe mélangé à leur substance, tandis que, dans la plupart des animaux, ce résidu a besoin encore de quelque chose de plus. 16 Pour les uns, c'est la terre et l'eau qui les nourrissent ; les autres se nourissent des productions de toutes les deux, de telle sorte que l'action qu'exerce dans les animaux la chaleur qui vient de leur nourriture, se trouve accomplie et concentrée par la chaleur de la saison dans le milieu ambiant, d'où cette chaleur tire, de la mer, ou de la terre, le produit qu'elle digère et qu'elle condense. La partie du principe vital qui est comprise, ou qui est sécrétée et soustraite dans l'air, forme le fœtus, et y dépose en outre le mouvement qui doit l'animer. La formation des plantes, parmi celles qui naissent spontanément, est bien aussi à peu près la même. Elles viennent également d'une certaine partie; d'une part, il y a le principe; et, d'autre part, la nourriture première des rejetons qui en poussent. 17 Quant aux animaux, il y en a qui viennent de larves. Dans les espèces privées de sang, ce sont toutes celles qui ne viennent pas d'animaux ; et dans les espèces qui ont du sang, ce sont, par exemple, les muges d'un certain genre et d'autres poissons de rivière, et, par exemple, aussi les anguilles. Tous ces animaux, bien que naturellement ils aient très peu de sang, en ont cependant; et ils sont pourvus d'un cœur, qui est le principe sanguin de leurs organes. Les matières qu'on appelle les entrailles de terre, et où se trouve le corps des anguilles, sont de la nature d'une larve. 18 Si, pour expliquer la création des hommes et des quadrupèdes, l'on admet qu'ils sont sortis de la terre, comme quelques naturalistes le soutiennent, ils n'ont pu en sortir que de l'une de ces deux manières : ou ils sont issus d'une larve primitive, ou ils sont sortis d'un œuf. Car il y a nécessité, ou qu'ils portent déjà en eux-mêmes la nourriture nécessaire à leur croissance, et la larve est un germe de ce genre, ou bien ils doivent recevoir cette nourriture d'ailleurs, et ils ne peuvent la tenir alors que de la mère qui les a produits, ou d'une certaine partie de l'embryon lui-même. 19 Mais si l'un de ces moyens est impossible et que la nourriture ne puisse venir de la terre, comme, pour les animaux, elle vient de leur mère, il faut nécessairement que l'animal reçoive ses aliments d'une partie même de l'embryon; et c'est là précisément ce qu'est, selon nous, la génération qui vient d'un œuf. Si donc, il y a eu une création primitive de tous les animaux, il est de toute évidence que de ces deux modes de génération, il n'y en a qu'un seul qui soit possible. La génération par les œufs est celle que la raison admettrait le moins aisément, puisque nous n'observons pas qu'un seul animal se produise de cette manière; mais la raison admettrait plutôt l'autre mode de reproduction, soit pour les animaux qui ont du sang, soit pour ceux qui n'en ont pas. 20 C'est bien ainsi que se produisent quelques insectes et les testacés, dont nous nous occupons ici. Ils ne viennent pas d'une partie spéciale, comme l'embryon des ovipares ; et de plus, ils se développent absolument comme les larves; car c'est vers le haut et vers le principe que les larves se développent et grossissent. La nourriture est dans le bas, et elle alimente le haut. Il y a bien quelque ressemblance avec ce qui se passe pour les animaux sortant d'un œuf, si ce n'est que les poussins absorbent tout l'œuf, tandis que, dans les fœtus des larves, lorsque la partie supérieure s'est développée, grâce à la substance qui est dans la partie inférieure, la partie d'en bas se forme et se constitue à son tour de ce qui reste. La cause de ce phénomène, c'est que la nourriture destinée à la partie inférieure au diaphragme y vient toujours en dernier lieu, pour tous les animaux. 21 Si l'on veut se convaincre que c'est bien de cette manière que les larves se développent, on n'a qu'à observer les abeilles et les insectes de cet ordre. D'abord, elles ont la partie inférieure fort grande; et la partie supérieure est moins grosse. Les testacés aussi se développent absolument de la même façon, et l'on peut bien le voir sur les turbines, en regardant à leurs hélices. Quand ils grandissent, c'est toujours en avant que les hélices se multiplient, dans cette partie de leur corps qu'on appelle la tête. 22 Tel est à peu près tout ce que nous avions à dire sur la génération des testacés, et sur celle des autres animaux qui naissent spontanément. Que tous les testacés se produisent d'une manière spontanée, voici ce qui peut le prouver. Ils se montrent sur les parois des vaisseaux, lorsque le limon formé par l'écume de l'eau vient à se dessécher; et l'on a vu bien des fois, les lieux où il n'y avait auparavant aucun animal de ce genre, se couvrir de ce qu'on appelle des moules, parmi les coquillages, quand l'eau venait à se retirer et que la place n'était plus qu'un amas de boue. C'est ainsi qu'à Rhodes, une flotte s'étant arrêtée et ayant jeté dans l'eau des tessons de vases d'argile, on y trouva de ces huîtres quelque temps après, quand le limon les avait entièrement recouverts. 23 D'ailleurs, ces testacés n'émettent de leur corps rien qui soit prolifique; en voici la preuve : des habitants de Chios avaient, de Pyrrha dans l'ile de Lesbos, apporté des huîtres vivantes; et ils les avaient déposées dans des anfractuosités et dans des lieux tout à fait pareils à ceux où ils les avaient prises. Mais ces huîtres ne se multiplièrent pas, et seulement elles grossirent beaucoup. 24 Les œufs prétendus des testacés n'ont rien à faire avec leur génération; c'est là simplement un signe que ces animaux sont bien nourris, comme la graisse aussi est un signe de santé chez les animaux qui ont du sang. C'est à ce moment que les huîtres ont un goût excellent et qu'il faut les manger. Ce qui l'atteste bien, c'est que les pinnes, les buccins, les pourpres ont toujours de ces œufs, en plus ou moins grande quantité. Quelques testacés n'en ont pas toujours; ils n'en ont qu'au printemps; mais à mesure que la saison s'avance, ces prétendus œufs s'atrophient; et, à la fin, ils disparaissent entièrement, comme on le voit sur les peignes, les moules et ce qu'on appelle les huîtres de marais; car cette saison est très favorable à la santé de ces animaux. 25 On n'observe rien de pareil chez d'autres testacés, tels que les téthyes; mais pour les détails sur ces particularités et sur les lieux où les testacés se trouvent, nous renvoyons à l'Histoire des Animaux.