[4,0] LIVRE 4. [4,1] Ainsi furent punis deux des meurtriers de César, battus dans leurs propres provinces, Trebonius en Asie et Decimus Brutus en Gaule. La façon dont la vengeance rattrapa Cassius et Marcus Brutus, qui furent les principaux chefs de la conspiration contre César, qui commandaient le territoire de la Syrie à la Macédoine, qui possédaient une forte cavalerie et une puissante marine, ainsi que plus de vingt légions, des bateaux et de l'argent, ce quatrième livre des guerres civiles va le montrer. Durant le déroulement de ces événements il y eut la poursuite et la capture des proscrits à Rome et les douleurs qui s'en suivirent, dont on ne peut trouver rien de semblable lors des révolutions ou lors des guerres des Grecs, ni chez les Romains eux-mêmes sauf lors de la période de Sylla, qui fut le premier à mettre ses ennemis sur une liste de proscrits. Marius recherchait et punissait ceux qu'il trouvait, mais Sylla proposa de grandes récompenses à ceux qui tuaient les proscrits et une punition terrible à ceux qui les cachaient. Mais ce qui s'est passé au temps de Marius et de Sylla a été précédemment relaté dans la partie historique qui les concerne. Voici la suite de mon troisième livre. [4,2] Octave et Antoine mirent fin à leurs différents sur un îlot plat du fleuve Lavinius, près de la ville de Mutina. Chacun possédait cinq légions qu'ils placèrent de chaque côté du fleuve. Alors chacun d'eux traversa avec 300 hommes les ponts au-dessus du fleuve. Lépide y était allé seul avant eux, avait fouillé avec soin l'île, et avait brandi son manteau militaire comme signal de leur venue. Chacun laissa ses trois cents amis sur les ponts et s'avança au milieu de l'île à la vue de tous, et là les trois se se mirent à délibérer, Octave se trouvait au milieu parce qu'il était consul. Ils restèrent en conférence du matin au soir pendant deux jours, et se mirent d'accord sur ces points: Octave devait démissionner du consulat et Ventidius le remplacer pour le reste de l'année; une nouvelle magistrature devait été créée légalement pour apaiser les dissensions civiles, Lépide, Antoine et Octave posséderaient pendant cinq ans la puissance consulaire (ce nom semblait préférable à celui de dictateur, peut-être à cause du décret d'Antoine abolissant la dictature); les trois nommeraient immédiatement les magistrats annuels de la ville pour les cinq ans suivant; une distribution des provinces serait faite, donnant à Antoine la totalité de la Gaule sauf la partie qui borde les Pyrénées, appelée la Vieille Gaule; celle-ci, ainsi que l'Espagne, seraient assignées à Lépide; alors qu'Octave aurait l'Afrique, la Sardaigne, la Sicile, et les autres îles à proximité. [4,3] Telle fut la division de l'empire romain par les triumvirs eux-mêmes. Seulement l'attribution des parties au delà de l'Adriatique fut remise à plus tard, parce qu'elles étaient toujours sous le commandement de Brutus et de Cassius, contre qui Antoine et Octave devaient faire la guerre. Lépide serait consul l'année suivante et resterait en ville pour y faire ce qui était nécessaire, tout en régissant l'Espagne par procuration. Il maintiendrait trois de ses légions pour garder la ville, et partagerait les sept autres entre Octave et Antoine, trois à Octave et quatre à Antoine, de sorte que les deux avaient vingt légions pour la guerre. Pour encourager l'armée par l'espérance de butin ils lui promirent, entre autres cadeaux, dix-huit villes de l'Italie comme colonies - villes renommées pour leur richesse, pour la splendeur de leurs domaines et de leurs maisons, et qui seraient divisées pour eux (terre, bâtiments, et tout le reste), comme si elles avaient été prises à l'ennemi lors d'une guerre. Les plus renommés parmi ces dernières étaient Capua, Rhegium, Venusia, Beneventum, Nuceria, Ariminum et Vibo. Ainsi les plus belles régions de l'Italie furent distribuées aux soldats. Mais ils décidèrent d'abord de se débarrasser de leurs ennemis personnels, pour que ces derniers ne puissent s'opposer à leurs arrangements pendant qu'ils poursuivraient la guerre à l'étranger. Après avoir pris ces décisions, ils les mirent par écrit, et Octave comme consul les communiqua aux soldats, toutes sauf la liste des proscriptions. Quand les soldats les entendirent ils applaudirent et tombèrent dans les bras les uns des autres en marque de réconciliation mutuelle. [4,4] Durant ces transactions on observa beaucoup de prodiges et d'augures terribles à Rome. Les chiens hurlèrent sans arrêt comme des loups - un présage affreux. Les loups s'élancèrent dans le forum - animal inhabituel en ville. Les bœufs prirent voix humaine. Un nouveau-né se mit à parler. La sueur suinta des statues; certaines même suèrent du sang. On entendit des voix fortes d'hommes et le choc des armes et le bruit de chevaux qu'on ne voyait pas. Beaucoup de signes terribles furent observés autour du soleil, il y eut des pluies de pierres, et la foudre tomba sans arrêt sur les temples et sur les images sacrés; c'est pourquoi le sénat fit venir des prêtres et des devins d'Étrurie. Le plus vieux d'entre eux déclara que la royauté des anciens temps revenait, et qu'ils seraient tous esclaves sauf lui-même, sur quoi il se tut et retint son souffle jusqu'à ce qu'il meure. [4,5] Dès qu'ils se furent proclamés triumvirs ils se réunirent pour faire la liste de ceux qui devaient être mis à mort. Ils mirent en tête de liste ceux qu'ils suspectaient en raison de leur puissance, et aussi leurs ennemis personnels, et ils s'échangèrent leurs propres parents et amis pour les faire mourir, à ce moment et plus tard. Ils ajoutaient de temps en temps au catalogue, certains par hostilité, d'autres uniquement pour une rancune, ou parce que leurs victimes étaient des amis de leurs ennemis ou des ennemis de leurs amis, ou à cause de leur richesse : les triumvirs avaient grand besoin d'argent pour continuer la guerre, depuis que les revenus d'Asie avaient été donnés à Brutus et à Cassius, qui les recevaient encore, et les rois et les satrapes y contribuaient aussi. Aussi les triumvirs étaient serrés question d'argent parce que l'Europe, et particulièrement l'Italie, étaient épuisées par des guerres et des exactions; c'est pourquoi ils prélevèrent des contributions très lourdes aux plébéiens et même finalement aux femmes, et envisagèrent des taxes sur les ventes et les loyers. À ce moment aussi, certains furent proscrits parce qu'ils possédaient de belles villas ou de belles résidences en ville. Le nombre des sénateurs qui furent condamnés à mort et à la confiscation de leurs biens fut d'environ 300, et celui des chevaliers aux environs de 2000. Il y eut des frères et des oncles des triumvirs dans la liste des proscrits, et aussi des officiers qui étant à leur service, avaient eu des difficultés avec leurs chefs, ou avec leurs camarades. [4,6] Ils abandonnèrent leur conférence pour rentrer à Rome et postposèrent donc la proscription d'un plus grand nombre de victimes, mais ils décidèrent d'envoyer des exécuteurs devant eux et sans avertissement de mettre à mort douze personnes, ou, comme certains l'indiquent, dix-sept, des plus importantes, et parmi celle-ci Cicéron. Quatre de ces derniers furent massacrés immédiatement, ou lors de banquets ou alors qu'ils étaient en rue; et quand on se mit à rechercher les autres dans les temples et dans les maisons, il y eut une panique soudaine qui dura toute la nuit, et des courses en tous sens au milieu des cris et des lamentations comme lors de la prise d'une ville. Quand on sut que des hommes étaient arrêtés et massacrés, bien qu'il n'y ait aucune liste de ceux qui auraient été précédemment condamnés, chacun pensa que c'était lui qu'on poursuivait. Aussi par désespoir certains étaient sur le point de brûler leurs propres maisons, et d'autres les bâtiments publics, ou de choisir de faire quelque chose de terrible dans leur état de folie avant que le coup ne s'abatte sur eux; et ils l'auraient peut-être fait si le consul Pedius ne s'était dépêché vers eux avec des licteurs et ne les avait pas encouragé à ne pas le faire, leur disant d'attendre jusqu'au jour pour obtenir des informations plus précises. Le matin venu, Pedius, contrairement à l'intention des triumvirs, fit publier la liste des dix-sept qui étaient considérés comme les auteurs uniques des troubles de la cité et qui étaient les seuls condamnés. Pour le reste il engagea sa foi publique, ignorant les intentions des triumvirs. [4,7] Pedius mourut d'épuisement la nuit suivante, et les triumvirs entrèrent dans la ville séparément les trois jours suivants, Octave, Antoine et Lépide, chacun avec sa cohorte prétorienne et une légion. A leur arrivée, la ville fut rapidement remplie d'armes et d'insignes militaires, disposés dans les endroits stratégiques. Une assemblée du peuple fut immédiatement convoquée au milieu de ces hommes en armes, et un tribun, Publius Titius, proposa une loi instaurant une nouvelle magistrature pour réprimer les désordres actuels : elle se composait de trois hommes pour une charge de cinq ans, à savoir, Lépide, Antoine et Octave, avec les mêmes pouvoirs que des consuls : (chez les Grecs on les appellerait les harmostes, qui est le nom donné par les Lacédémoniens à ceux qui gouvernent ceux qui leur sont soumis). On ne laissa pas le temps pour un examen minutieux de cette mesure et on ne désigna pas un jour déterminé pour voter, mais on la fit passer immédiatement. La même nuit, on établit une liste de 130 hommes en plus des dix-sept dans diverses parties de la ville, et un peu plus tard de 150 autres, et des additions aux listes furent faites constamment de ceux qui étaient condamnés plus tard ou qui avaient précédemment été tués par erreur, pour que leur mort paraisse juste. On ordonna que les têtes de toutes les victimes soient rapportées aux triumvirs pour toucher la récompense, qui pour une personne libre était payée en argent et pour un esclave en argent et en liberté. Tous pouvaient perquisitionner leurs maisons. Ceux qui recevaient des fugitifs, ou les cachaient, ou refusaient la perquisition, étaient exposés aux mêmes pénalités que les proscrits, et ceux qui donnaient des informations sur ceux qui se cachaient recevaient les mêmes récompenses (que ceux qui tuaient un proscrit). [4,8] Voici les termes de la proscription: "Marcus Lepidus, Marcus Antonius et Octavius Caesar, choisis par le peuple pour gouverner et mettre la république sur le droit chemin, déclarent que, si de perfides traitres n'avaient pas demandé pitié et quand ils l'ont obtenue n'étaient pas devenus les ennemis de leurs bienfaiteurs et n'avaient pas conspiré contre eux, Gaius Caesar n'aurait pas été massacré par ceux qu'il a sauvé par sa clémence après les avoir capturé lors de la guerre, ceux qu'il a considéré comme des amis et à qui il a donné des charges, des honneurs et des cadeaux; et nous ne devrions pas être obligés d'employer cette sévérité contre ceux qui nous ont insultés et nous ont déclarés ennemis publics. Maintenant, voyant que la méchanceté de ceux qui ont conspiré contre nous et de ceux qui ont fait souffrir Gaius Caesar, ne peut pas être amadouée par la bonté, nous préférons prévenir nos ennemis plutôt que de souffrir de leurs mains. Que personne, en voyant ce que César et nous-mêmes avons souffert ne considère notre action injuste, cruelle, ou immodérée. Bien que César ait été revêtu du pouvoir suprême, bien qu'il ait été Pontifex Maximus, bien qu'il ait renversé et ait ajouté à notre influence les nations les plus redoutables pour les Romains, bien qu'il ait été le premier homme à parcourir une mer inconnue au delà des colonnes d'Hercule et qu'il ait découvert un pays inconnu jusqu'ici des Romains, cet homme a été massacré au milieu du Sénat, qui est considéré comme sacré, sous les yeux des dieux, de vingt-trois blessures horribles, par les hommes qu'il avait fait prisonniers lors de la guerre et qu'il avait épargnés, et qu'il avait fait de certains d'entre eux des cohéritiers de sa richesse. Après ce crime exécrable, au lieu d'arrêter les misérables coupables, les autres les ont envoyés comme commandants et gouverneurs, où ils pouvaient s'emparer de l'argent public, avec lequel ils rassemblent une armée contre nous et cherchent des renforts chez les barbares toujours hostiles au commandement de Rome. Les villes sujettes de Rome qui ne voulaient pas leur obéir, il les ont brûlées ou ravagées ou rasées; d'autres villes, ils les ont forcées par la terreur à prendre les armes contre leur patrie et contre nous. [4,9] "Nous avons déjà puni certains d'entre eux; et avec l'aide de la providence vous verrez les autres punis. Bien que la partie principale de ce travail ait été achevée par nous et soit bien sous notre contrôle : à savoir le contrôle de l'Espagne, de la Gaule aussi bien qu'ici en Italie, il nous reste une tâche à accomplir : marcher contre les assassins de César au delà des mers. Pour nous qui allons faire la guerre pour vous à l'extérieur, il n'y a pas de sécurité ni pour vous, ni pour nous, à laisser un autre ennemi derrière nous pour tirer profit de notre absence et attendre une occasion pendant guerre; et nous ne pensons pas qu'il faut encore tergiverser sur leur compte, mais qu'il faut plutôt les balayer hors de notre chemin une fois pour toutes, en voyant qu'ils ont commencé la guerre contre nous quand ils ont voté que notre armée et nous étions des ennemis publics. [4,10] "Combien de citoyens n'ont-ils pas, de leur côté, condamnés à mort avec nous, sans tenir compte de la vengeance des dieux et de la réprobation de l'humanité! Nous ne traiterons pas durement l'ensemble, et nous ne considérerons pas comme ennemis tous ceux qui se sont opposés à nous ou ont comploté contre nous, ou tous ceux qui se distinguent simplement par leurs richesses, leurs biens ou leur position élevée; nous ne massacrerons pas autant qu'un autre homme qui avait le pouvoir suprême avant nous, quand lui, aussi, commandait l'Etat lors de guerres civiles, et que vous avez appelé Felix à cause de son succès; mais il est évident que trois personnes ont plus d'ennemis qu'une seule. Nous nous vengerons seulement des plus mauvais et des plus coupables. Nous le ferons autant pour votre intérêt que pour le nôtre, parce que, aussi longtemps que nous restons en conflit, vous encourrez les plus grands dangers, et il est nécessaire pour nous aussi de faire quelque chose pour calmer l'armée, qui a été insultée, offensée, et décrétée ennemi public par nos ennemis communs. Bien que nous puissions arrêter sur place ceux que que nous avons décidé de punir, nous préférons les proscrire plutôt que de saisir des gens qui ne s'y attendent pas; et ceci aussi avec votre accord, pour que des soldats enragés n'en arrivent à outrepasser les ordres contre des personnes non responsables, mais que, limités à un certain nombre de personnes désignées par leur nom, ils épargnent les autres selon l'ordre reçu. [4,11] "Qu'il en soit ainsi ! Que personne ne reçoive aucun de ceux dont les noms sont inscrits ici, ni ne les cache, ni ne les éloigne, que personne ne se fasse corrompre par de l'argent. Celui qu'on trouvera essayant de les sauver, ou de les aider, ou de connivence avec eux, nous l'ajouterons à la liste des proscrits sans accepter aucune excuse ni pardon. Que ceux qui tuent les proscrits nous apportent leurs têtes et reçoivent les récompenses suivantes: un homme libre percevra 25.000 drachmes attiques par personne; un esclave sa liberté et 10.000 drachmes attiques et le droit de cité de son maître. Les délateurs recevront les mêmes récompenses. Pour garder l'anonymat, les noms de ceux qui reçoivent les récompenses ne seront pas inscrits dans des nos registres." Telles étaient les termes de la proscription des triumvirs traduite du Latin en Grec. [4,12] Lépide fut le premier à proscrire, et son frère Paulus fut le premier sur la liste des proscrits. Antoine s'y mit après, et le deuxième nom sur la liste fut celui de son oncle, Lucius Caesar. Ces deux hommes avaient été les premiers à voter Lépide et Antoine comme ennemis publics. Les troisième et quatrième victimes furent les consuls élus pour l'année suivante, à savoir, Plotius, le frère de Plancus, et Quintus, le beau-père d'Asinius. Ces quatre furent placés en tête de liste, non pas tant à cause de leur dignité que pour la terreur et le désespoir produits, afin qu'aucun de proscrits n'ait l'espoir d'échapper. Parmi les proscrits se trouvait Thoranius, qui, dit-on, fut précepteur d'Octave. Quand les listes furent publiées, les portes et toutes les autres sorties de la ville, le port, les marais, les mares, et tous les endroits susceptibles d'accueillir un fuyard ou à le dissimuler, furent occupés par des soldats; les centurions furent chargés de parcourir le pays environnant. Toutes ces choses eurent lieu en même temps. [4,13] Aussitôt dans toute la ville et le pays, selon l'endroit où chacun se trouvait, il y eut des arrestations et des meurtres soudains sous diverses formes, décapitations pour les récompenses quand il fallait montrer la tête, et fuites indignes dans des déguisements fort différents de l'ancienne splendeur. Certains descendirent au fonds de puits, d'autres dans les égouts dégoûtants. Certains se réfugièrent dans des cheminées. D'autres se tapirent dans le silence le plus profond sous les tuiles épaisses de leurs toits. Certains craignaient plus leurs épouses et leurs enfants mal intentionnés que les meurtriers, alors que d'autres craignaient leurs affranchis et leurs esclaves; les créanciers craignaient leurs débiteurs et les voisins craignaient leurs voisins qui convoitaient leurs terres. Il y eut un accès soudain des haines accumulées et un changement choquant de la façon de faire des sénateurs, des consulaires, des préteurs, des tribuns (ceux qui allaient exercer la charge, ou ceux qui les avaient déjà exercées) : ils se jetèrent avec des lamentations aux pieds de leurs propres esclaves, donnant à leurs serviteurs le rôle de sauveurs et de maîtres. Mais chose lamentable : même après cette humiliation ils n'obtinrent aucune pitié. [4,14] Toutes sortes de calamités s'étaient répandues, mais non comme dans une sédition ordinaire ou dans une prise lors d'une guerre: dans ces cas le peuple n'a qu'à craindre les membres de la faction opposée ou l'ennemi, mais peut compter sur sa propre famille; mais maintenant il la craignait plus que les assassins : celle-ci n'ayant plus rien à craindre de sa part, comme dans des séditions ou des guerres ordinaires, les domestiques se transformèrent tout à coup en ennemis, soit par haine cachée, soit pour obtenir les récompenses prescrites, soit pour posséder l'or et l'argent des maisons de leurs maîtres. Pour ces raisons chaque esclave trahit son maître, préférant son propre profit à la compassion, et ceux qui restaient fidèles et bien disposés craignaient de faciliter, ou de cacher, ou de participer à l'évasion des victimes, parce que de tels actes les exposaient aux mêmes punitions. C'était tout à fait différent de ce qui était arrivé aux dix-sept d'abord condamnés. Alors il n'y avait aucune proscription, mais des personnes furent arrêtées inopinément, et comme tout le monde craignait le même traitement, chacun s'entraidait, mais dans les proscriptions certains deviennent immédiatement la proie de tous, d'autres, exempts eux-mêmes du danger et désireux de profit, deviennent pour les meurtriers des chasseurs par appât du gain; tandis que dans le reste de la foule, les uns pillaient les maisons des gens massacrés et leurs gains privés détournaient leurs pensées des calamités publiques; d'autres, plus prudents et plus honnêtes, étaient remplis de consternation. Il leur semblait fort étonnant, quand ils y réfléchissaient, que alors que d'autres états affligés de guerres civiles s'étaient sauvées en mettant d'accord les différentes factions, dans ce cas-ci les dissensions des chefs avaient été le début de la ruine et leur accord l'avait consommée. [4,15] Certains moururent en se défendant contre leurs tueurs. D'autres ne firent aucune résistance, considérant qu'ils n'avaient subi aucune injustice de leurs assaillants. Certains moururent de faim, ou se pendirent, ou se noyèrent, ou se jetèrent de leurs toits dans le feu. Certains s'offrirent à leurs meurtriers ou les firent venir quand ils tardaient. D'autres se cachèrent et supplièrent honteusement, ou refusèrent le danger, ou essayèrent de soudoyer. Certains furent tués par erreur ou par méchanceté privée, contrairement à l'intention des triumvirs. Il était clair qu'un cadavre n'était pas un proscrit si sa tête était encore attachée. Les têtes des proscrits étaient exposées sur les rostres dans le forum : il fallait les y apporter pour obtenir les récompenses. La fidélité et le courage d'autres personnes fut aussi remarquable - épouses, enfants, frères, esclaves, qui sauvèrent des proscrits ou firent des plans pour eux de diverses manières, et moururent avec eux quand elles ne réussissaient pas à les accomplir. Certains aussi se tuèrent sur les cadavres des massacrés. Parmi ceux qui avaient fui, une partie périt lors d'un naufrage, la malchance les poursuivait partout. D'autres furent sauvés, contrairement à tout espoir et devinrent des magistrats urbains, des commandants lors de la guerre, et jouirent aussi des honneurs d'un triomphe. Ce fut un temps de situations paradoxales. [4,16] Ces choses se passaient non dans une ville ordinaire, ni dans un petit royaume affaibli; mais la divinité secoua la maîtresse la plus puissante de tant de nations sur terre et sur mer, et installa après une longue période le bon ordre qui préside maintenant. D'autres événement de ce genre se passèrent du temps de Sylla et même avant lui du temps de Marius. J'ai relaté les plus remarquables de ces calamités dans mon histoire de ces périodes, où il y avait une horreur supplémentaire à savoir que les morts restaient sans sépultures. Le sujet que nous traitons maintenant est fort remarquable en raison de la dignité des triumvirs et particulièrement du caractère et de la bonne fortune d'un de ceux-ci, qui a établi un gouvernement sur de bonnes bases, et a laissé sa lignée et le nom qui après lui est devenu souverain. Je vais maintenant parcourir les plus remarquables aussi bien que les plus choquants de ces événements, qui sont restés davantage en mémoire parce qu'ils furent les derniers de ce genre. Je ne parlerai pas cependant de tous, parce qu'un seul massacre, ou la fuite, ou le retour plus tard de ceux qui furent pardonnés par les triumvirs et passèrent une vie oubliée chez eux, n'est pas à raconter. Je me contenterai seulement de ce qui est le plus à même d'étonner par sa nature extraordinaire ou à confirmer ce qui a été déjà dit. Ces événements sont nombreux, et ils ont été écrits dans beaucoup de livres par beaucoup d'historiens romains successivement. Pour abréger et pour raccourcir mon récit, j'en citerai quelques uns de chaque sorte afin de confirmer la vérité de chacun et illustrer le bonheur de l'époque actuelle. [4,17] Le massacre commença par hasard par ceux qui étaient toujours en charge, et le premier massacré fut le tribun Salvius. Sa charge était, selon les lois, sacrée et inviolable, dotée des plus grandes pouvoirs : on avait même vu des tribuns faire emprisonner des consuls. Salvius, aussi, était le tribun qui avait d'abord empêché le sénat de déclarer Antoine ennemi public, mais plus tard il avait coopéré avec Cicéron en toutes choses. Quand il entendit parler de l'accord des triumvirs, et de leur précipitation vers la ville, il donna un banquet à ses amis, croyant qu'il n'aurait plus beaucoup d'occasions de le faire. Les soldats firent irruption au milieu du festin; certains des invités commencèrent à s'alarmer dans la cohue, mais le centurion qui les commandait leur ordonna de reprendre leurs places et de se taire. Puis saisissant Salvius par les cheveux, à l'endroit où il se trouvait, le centurion le tira à travers la table juste ce qu'il fallait et lui coupa la tête, et commanda aux invités rester où ils étaient et ne faire aucune bruit, à moins de souhaiter subir le même sort. Ils restèrent ainsi même après le départ des centurion, étourdis et sans voix, jusqu'au plus profond de la nuit, couchés près du corps sans tête du tribun. Le second assassiné fut le préteur Minucius, qui tenait les comices dans le forum. Apprenant que les soldats le cherchaient, il bondit, et tandis qu'il courait toujours à la recherche d'un endroit pour se cacher, il changea de vêtements, et il se précipita dans un magasin, renvoyant ses gardes et les insignes de sa charge. Les gardes, envahis de honte et de pitié, s'attardèrent près de l'endroit, et facilitèrent involontairement ainsi sa découverte par les tueurs. [4,18] Annalis, un autre préteur, circulait avec son fils, qui était candidat pour la questure, et sollicitait des voix pour lui. Quelques amis qui accompagnaient Annalis, et ceux qui portaient les insignes de sa charge, quand ils entendirent qu'il était sur la liste des proscrits, s'enfuirent. Annalis se réfugia chez un de ses clients, qui avait dans la banlieues un petit appartement de peu de valeur complètement anonyme, où il resta caché sans risque jusqu'à ce que son fils, soupçonnant qu'il se soit sauvé chez ce client, y guida les meurtriers. Les triumvirs lui donnèrent la fortune de son père et l'élevèrent à l'édilité. Comme il rentrait chez lui ivre il est se querella fortuitement et fut tué par les mêmes soldats qui avaient tué son père. Thuranius, qui n'était plus préteur mais qui l'avait été, et qui était le père d'un jeune homme qui était pour le reste débauché, mais qui avait une grande influence près d'Antoine, demanda aux centurions de postposer sa mort à quelques jours, pour que son fils puisse faire appel à Antoine pour lui. Ils rirent de lui et lui dirent : "Il a déjà fait appel, mais dans l'autre sens." Quand le vieil homme apprit cela il demanda un autre sursis très court pour voir sa fille, et quand il la vit il lui dit de ne pas réclamer sa part d'héritage de peur que son frère ne demande également sa mort à Antoine. Finalement cet homme, après avoir gaspillé sa fortune de manière honteuse, fut finalement condamné pour vol et exilé. [4,19] Cicéron qui avait le pouvoir suprême depuis la mort de César, autant que pouvait en avoir un orateur public, fut proscrit, ainsi que son fils, le fils de son frère, et toute la famille de son frère, sa faction, et ses amis. Il se sauva dans un petit bateau, mais comme il ne pouvait supporter le mal de mer, il débarqua et alla dans sa propre région près de Caieta, une ville de l'Italie, que j'ai visitée pour mieux connaître cette affaire lamentable, et là il resta tranquille. Tandis que les poursuivants s'approchaient (de tous les autres c'était Antoine qui le poursuivait le plus ardemment et le reste le faisait aussi pour plaire à Antoine), des corbeaux entrèrent dans sa chambre et le réveillèrent par leurs coassements, et enlevèrent la couverture du lit, jusqu'à ses domestiques, devinant que c'était un avertissement d'un des dieux, le mirent dans une litière et aussitôt le transportèrent vers la mer, passant avec précaution à travers d'épais fourrés. Beaucoup de soldats se déplaçaient en pelotons et demandaient si Cicéron avait été vu quelque part. Quelques personnes, poussées par la bonté et la pitié, dirent qu'il avait déjà pris la mer; mais un cordonnier, un client de Clodius, qui avait été un des pires ennemis de Cicéron, montra le chemin à Laena, le centurion, qui était à sa poursuite avec quelques hommes. Ce dernier se précipita derrière lui, et voyant des esclaves se rassembler pour le défendre en nombre de beaucoup supérieur à ses propres forces, il cria par stratagème, "Centurions de l'arrière, à l'avant!" [4,20] Alors les esclaves croyant qu'il y avait plus de soldats qu'en réalité, furent frappés de terreur, et Laena, qui par le passé avait été sauvé par Cicéron lors d'un procès, tira sa tête de la litière et la coupa, le frappant par trois fois, ou plutôt la sciant en raison de son inexpérience. Il découpa également la main avec laquelle Cicéron avait écrit les discours contre la tyrannie d'Antoine, qu'il avait appelés Philippique par imitation de ceux de Démosthène. Des soldats se hâtèrent à cheval et d'autres sur des navires pour aller donner rapidement la bonne nouvelle à Antoine. Ce dernier se reposait devant le tribunal dans le forum quand Laena, de loin, montra la tête et la main en les soulevant et en les secouant. Antoine fut ravi. Il couronna le centurion et lui donna 250.000 drachmes attiques en plus de la récompense normale pour avoir tué l'homme qui avait été son plus grand et plus terrible ennemi. La tête et la main de Cicéron furent suspendues pendant longtemps aux rostres dans le forum où autrefois il avait l'habitude de prononcer ses discours devant le peuple, et beaucoup de gens se réunirent pour assister à ce spectacle, eux qui précédemment étaient venus pour l'écouter. On dit même que lors de ses repas Antoine avait placé la tête de Cicéron devant sa table, jusqu'à ce qu'il fût rassasié de cette vue horrible. Tel fut Cicéron, un homme renommé encore maintenant pour son éloquence, et qui avait rendu les plus grands services à son pays quand il avait la charge de consul, qui fut massacré, et offensé après sa mort. Son fils avait été envoyé auparavant chez Brutus en Grèce. Le frère de Cicéron, Quintus, fut capturé avec son fils. Il pria les meurtriers de le tuer avant son fils, et le fils pria d'être tué avant son père. Les meurtriers répondirent qu'ils donnaient leur accord aux deux demandes, et, se divisant en deux parties, chacune en prit un et les tua en même temps à un signal donné. [4,21] Les Egnatii, père et fils, tout en s'embrassant, furent tués d'un seul coup, et leurs têtes étaient coupées alors que le reste de leurs corps était encore serré ensemble. Balbus envoya son fils fuir avant lui vers la mer pour qu'ils ne soient pas trop remarqués en voyageant ensemble, et il le suivit peu après. Quelqu'un lui dit, par dessein ou par erreur, que son fils avait été capturé. Il retourna et se livra aux meurtriers. Et son fils périt dans un naufrage. Ainsi le destin s'ajoutait aux calamités du temps. Arruntius avait un fils qui n'était pas disposé à fuir sans son père. Ce dernier avec difficulté le persuada de chercher sa sécurité parce qu'il était jeune. Sa mère l'accompagna aux portes de ville et retourna enterrer son mari massacré. Quand elle apprit que son fils aussi avait péri en mer elle se laissa mourir de faim. [4,22] Assez d'exemples de bons et mauvais fils. Passons aux frères : deux du nom de Ligarius, furent proscrits ensembles, se cachèrent dans un four jusqu'à ce que leurs esclaves les trouvèrent, l'un d'eux fut tué et l'autre se sauva; quand il a appris que son frère avait péri il se jeta du pont dans le Tibre. Quelques pêcheurs le repêchèrent pensant qu'il était tombé dans l'eau au lieu de s'y être jeté. Il s'opposa avec force à sa délivrance et essaya de nouveau de se jeter dans le fleuve; mais quand il fut remonté par les pêcheurs il s'écria "Ne me sauvez pas, vous vous perdez en aidant un proscrit." Néanmoins ils eurent pitié de lui et le sauvèrent : mais quelques soldats qui gardaient le pont le virent, accoururent et lui coupèrent la tête. Un frère se jeta dans le fleuve et un de ses esclaves rechercha le corps pendant cinq jours. Enfin il le retrouva, et comme il était encore possible de l'identifier, il lui coupa la tête pour avoir la récompense. Son frère se cacha dans un tas d'excréments et un autre esclave le trahit. Les meurtriers ne voulurent pas entrer dans le tas d'ordures, mais y enfoncèrent leurs lances et le tirèrent dehors, et alors ils lui coupèrent la tête, juste comme elle était, sans l'avoir lavée. Un autre voyant son frère arrêté le rejoignit, ne sachant pas que lui-même était proscrit également, et il dit, "Tuez-moi avant lui." Le centurion, regardant la liste mise à jour des proscriptions dit, "Ta demande est juste, parce que ton nom vient avant le sien." Et disant cela, il les tua tous les deux dans l'ordre prescrit. [4,23] Voilà des exemples de frères. Ligarius fut caché par son épouse, qui mit dans le secret uniquement une esclave. Trahie par cette dernière, elle suivit la tête de son mari quand on l'emporta, en pleurant, "Je l'ai abrité; ceux qui abritent doivent partager la punition." Comme personne ne la tuait ni ne la dénonçait, elle alla trouver les triumvirs et s'accusa devant eux. Émus par son amour pour son mari ils firent semblant de ne pas la voir, aussi elle se laissa mourir de faim. Je l'ai mentionnée dans cet endroit, parce qu'elle n'a pas sauvé son mari et ne lui a pas survécu. Je parlerai de celles qui réussirent dans leur dévotion à leurs maris quand je parlerai des hommes qui se sont échappés. D'autres femmes trahirent leurs maris d'une façon infâme. Parmi celles-ci il y eut l'épouse de Septimius, qui était amoureuse d'un ami d'Antoine. Impatiente de passer de cet amour au mariage, elle sollicita Antoine par son amant de la débarrasser de son mari. Septimius immédiatement fut mis sur la liste des proscrits. Quand il l'apprit, ignorant cette trahison familiale il se sauva dans la maison de son épouse. Elle, comme si elle s'inquiétait affectueusement pour lui, ferma les portes, et le retint jusqu'à l'arrivée des meurtriers. Le jour même de la mort de son mari elle se remaria. [4,24] Salassus ayant pris la fuite et ne sachant que faire, revint en ville la nuit, pensant que le gros du danger était déjà passé. Sa maison avait été vendue. Le portier, qui avait été vendu avec la maison, fut le seul à le reconnaître, et il le reçut dans sa chambre, promettant de le cacher et de le nourrir comme il le pouvait. Salassus demanda au portier de faire venir son épouse de sa propre maison. Elle fit semblant d'être impatiente de venir, mais prétendit qu'elle avait peur de la nuit et se méfiait de ses domestiques, et qu'elle viendrait au lever du jour. Quand le jour se leva elle alla chercher les meurtriers, et le portier, parce qu'elle se faisait attendre, courut chez elle pour qu'elle se dépêche de venir, et Salassus, quand il vit sortir le portier, craignit que celui-ci ne complotât contre lui, monta sur le toit pour observer ce qui se passait. Voyant que ce n'était pas le portier mais son épouse qui amenait les meurtriers, se jeta du toit. Fulvius se sauva chez une servante qui avait été sa maîtresse et à qui il avait donné la liberté et une dot pour son mariage. Bien qu'il l'ait si bien traitée, elle le trahit à cause de la jalousie qu'elle avait pour la femme avec qui Fulvius s'était marié après avoir été l'amant de sa servante. [4,25] En voilà assez sur les femmes dépravées. Statius, le Samnite, qui avait eu une grande influence chez le Samnites lors de la guerre sociale et qui avait été porté au rang de sénateur romain pour ses exploits, sa richesse, et sa noble lignée, et qui avait maintenant quatre-vingts ans, fut proscrit à cause de ses richesses. Il ouvrit sa maison au peuple et à ses propres esclaves pour qu'ils emportent tout ce qu'ils voulaient. Il dispersa lui-même ses biens de ses propres mains. Quand enfin la maison fut vide il ferma les portes, y mit le feu et périt, et le feu s'étendit à beaucoup d'autres parties de la ville. Capito, ayant entrouvert sa porte, résista longtemps à ceux qui avaient été envoyés contre lui, les tuant un à un. Finalement, il fut maîtrisé par le nombre et massacré après avoir tué plusieurs de ses assaillants. Vetulinus rassembla autour de Rhegium une grande troupe de proscrits et de ceux qui s'étaient sauvées avec eux, et d'autres des dix-huit villes qui avaient été promises comme récompenses de victoire aux soldats et qui étaient indignées d'un tel traitement. Avec ce groupe Vetulinus tua les centurions qui surveillaient cet endroit jusqu'à ce de plus grandes forces fussent envoyées contre lui, et même alors il ne renonça pas, mais passa en Sicile et rejoignit Sextus Pompée, qui était maître de cette île et qui reçut les fugitifs. Là il combattit bravement jusqu'à ce qu'il fût défait dans plusieurs engagements. Alors il envoya ses fils et le reste des proscrits avec eux à Messine, et quand il vit que leur bateau passait les détroits il se jeta sur les ennemis et se fit tailler en pièces. [4,26] Naso, trahi par un affranchi qui avait été son favori, prit l'épée d'un des soldats, et, après avoir tué le traître avec celle-ci, il la rendit aux meurtriers. Un esclave qui était dévoué à son maître laissa ce dernier sur une colline pendant qu'il allait au bord de la mer louer un bateau. A son retour il vit que son maître avait été tué, et tandis que le maître rendait son dernier souffle l'esclave lui dit, "Attends un peu, maître," sur quoi il s'élança soudains sur le centurion et le tua. Alors il se tua en disant à son maître, "Maintenant tu es vengé." Lucius donna de l'argent à ses deux plus fidèles affranchis et partit vers le bord de la mer. Ils s'enfuirent avec l'argent mais revinrent sur leurs pas craignant pour leur vie et le dénoncèrent aux meurtriers. Labienus, qui avait capturé et avait tué beaucoup de gens lors des proscriptions de Sylla, pensa qu'il serait déshonoré s'il n'acceptait pas bravement le destin. Aussi il sortit devant sa porte, s'assit sur une chaise, et attendit les meurtriers. Cestius se cacha dans ses domaines au milieu d'esclaves fidèles. Quand il vit des centurions aller çà et là en armes avec les têtes des proscrits, il ne put supporter cette crainte incessante. Il ordonna à ses esclaves d'allumer un bûcher funèbre, pour qu'ils puissent prétendre qu'ils avaient rendu les derniers hommages à Cestius qui était mort. Trompés par ce qu'il disait, ils allumèrent donc un bûcher, et Cestius sauta dedans. Aponius se cacha très bien, mais, comme il ne pouvait supporter son mode de vie misérable, il sortit et se laissa tuer. Un autre proscrit s'installa à la vue de tous et comme les meurtriers tardaient à venir, il s'étrangla en public. [4,27] Lucius, le beau-père d'Asinius, alors consul, s'enfuit par mer, mais, comme il ne put supporter l'angoisse d'une tempête il se jeta dans la mer. Caesennius fuyait ses poursuivants, criant qu'il n'était pas proscrit, mais qu'on lui dressait des embûches à cause de son argent. On lui apporta la liste des proscrits et on lui dit que son nom y était, et pendant qu'on la lisait, on le tua. Aemilius, ignorant qu'il était proscrit et voyant un autre homme poursuivi, demanda au centurion qui le poursuivait qui était l'homme proscrit. Le centurion, reconnaissant Aemilius, lui répondit, "Lui et toi," et il les tua tous les deux. Cillo et Decius sortaient du Sénat quand ils apprirent que leurs noms avaient été ajoutés à la liste des proscrits, mais que personne n'était encore à leur poursuite. Ils se sauvèrent immédiatement par les portes de César, mais leur course les trahit aux centurions rencontrés sur la route. Icelius, qui était un des juges du procès de Brutus et de Cassius, quand Octave dirigeait le tribunal avec son armée, et qui, alors que tous les autres juges avaient voté en secret la condamnation, fut le seul qui publiquement avait demandé l'acquittement, maintenant oubliant son ancienne grandeur d'âme et son ancienne indépendance, prit sur ses épaules le corps d'un mort qu'on enterrait, et prit place parmi les porteurs de ce dernier. Les gardes aux portes de ville s'aperçurent que le nombre de porteurs dépassait d'une personne le nombre habituel, mais ne suspectèrent pas les porteurs. Ils regardèrent simplement la bière pour s'assurer que ce n'était pas un faux cadavre, mais, comme les porteurs indiquèrent qu'il ne faisait pas partie de leur confrérie, il fut reconnu par les meurtriers et tué. [4,28] Varus, trahi par un affranchi s'enfuit, et après avoir erré de montagne en montagne arriva aux marais de Minturnes, où il s'arrêta pour se reposer. Les habitants de Minturnes parcouraient le marais à la recherche de voleurs, et l'agitation des roseaux leur indiqua l'endroit où se cachait Varus. Il fut pris et dit qu'il était un voleur. Il fut condamné à mort en ce lieu et s'y résigna, mais comme on se préparait à le soumettre à la torture pour le contraindre à indiquer ses complices, il ne put soutenir une telle indignité et dit : "Je vous interdis, citoyens de Minturnes de torturer ou de tuer quelqu'un qui a été consul et - ce qui est plus important au vu des circonstances actuelles - qui également a été proscrit! S'il ne m'est pas permis d'échapper, je préfère souffrir des mains de mes égaux." Les habitants de Minturnes ne le crurent pas. Ils refusèrent son récit jusqu'à ce qu'un centurion, qui était en reconnaissance dans le voisinage, le reconnut et lui coupa la tête, laissant le reste de son corps aux habitants de Minturnes. Largus fut pris dans ses domaines par les soldats qui poursuivaient un autre homme. Ils eurent pitié de lui parce qu'il avait été capturé alors qu'ils ne le recherchaient pas, et lui permirent de s'échapper dans la forêt. Poursuivi par d'autres, il revint chez ses premiers ravisseurs et leur dit, "Je préfère que vous qui avez eu de la compassion pour moi me mettiez à mort pour obtenir la récompense au lieu de ces hommes-là." Ainsi Largus récompensa de sa mort leur bonté. [4,29] Rufus possédait un beau bâtiment près de celui de Fulvia, l'épouse d'Antoine : elle voulait l'acheter, mais il refusait de le vendre, et bien qu'à ce moment il lui en fît cadeau, il fut proscrit. Sa tête fut apportée à Antoine, qui dit que cela ne le concernait pas et la fit envoyer à son épouse. Elle ordonna de la faire attacher devant sa propre maison au lieu de la mettre aux rostres. Un autre homme possédait un terrain très beau et ombragé où se trouvait une belle grotte profonde, ce qui lui valut probablement d'être proscrit. Il prenait l'air dans cette grotte quand un esclave vit les meurtriers qui arrivaient vers lui, mais encore au loin. L'esclave le transporta dans la cavité la plus secrète de la grotte, mit les habits de son maître, fit semblant d'être l'homme recherché et simula la peur. Il aurait été tué à la place de son maître si un autre esclave n'avait pas dévoilé la tromperie. C'est pourquoi le maître fut tué, mais le peuple fut si indigné qu'il ne laissa aucun repos aux triumvirs avant d'obtenir d'eux la crucifixion de l'esclave qui avait trahi son maître, et la liberté de celui qui avait essayé de le sauver. Un esclave indiqua l'endroit où s'était caché Haterius et obtint la liberté en conséquence. Il a enchérit contre les fils lors de la vente de la propriété de l'homme mort, et les insulta grossièrement. Ils le suivirent partout silencieusement en larmes jusqu'à ce que le peuple en soit exaspéré, et les triumvirs le replacèrent de nouveau comme esclave des fils du proscrit, pour avoir abusé de sa part. [4,30] Telles furent les malheurs des adultes, mais la barbarie s'en prit aussi aux enfants orphelins à cause de leur richesse. Un de ces derniers, qui allait à l'école, fut tué, ainsi que son précepteur, qui entourait de ses bras le garçon et ne voulait pas le lâcher. Atilius, qui venait de prendre la toge virile, participait, comme c'était l'usage, à un cortège avec des amis pour aller sacrifier dans les temples. Son nom fut soudain mis sur la liste des proscrits, ses amis et ses esclaves s'enfuirent. Laissé seul et privé de son escorte fournie, il alla chez sa mère. Elle eut peur de le recevoir. Comme il pensait qu'il n'y avait aucune sécurité de demander de l'aide à quelqu'un d'autre puisque même sa mère avait refusé, il se sauva sur une montagne. Affamé il redescendit dans la plaine, où il fut capturé par un brigand, accoutumé à voler les passants et à les mettre au travail dans les usines. Le garçon sensible, incapable de supporter un travail pénible, s'échappa sur la grande route avec ses chaînes, se dénonça à quelques centurions qui passaient et fut tué. [4,31] Tandis que se passaient ces événements Lépide célébra un triomphe pour ses exploits en Espagne, et un édit fut proclamé : "Que la Fortune nous favorise. Que tous les hommes et toutes les femmes célèbrent ce jour par des sacrifices et des festins. Celui qui ne le fera pas sera mis sur la liste des proscrits." Lépide mena le cortège triomphal au Capitole, accompagné de tous les citoyens, qui montraient extérieurement de la joie, mais qui avaient le cœur triste. Les maisons des proscrits furent pillées, mais il n'y eut pas beaucoup d'acheteurs pour leurs terres, parce qu'on avait honte d'alourdir le fardeau des malheureux. D'autres pensaient qu'une telle acquisition leur porterait malheur, ou qu'ils ne seraient pas du tout en sécurité si on les voyait posséder de l'or et l'argent, ou que, comme ils n'étaient à l'abri des dangers avec leurs possessions actuelles, ce serait ajouter un risque à les augmenter. Seuls les plus audacieux osèrent et achetèrent à vil prix, parce qu'ils étaient les seuls acheteurs. Ainsi aux triumvirs, qui avaient espéré réaliser une somme suffisante pour leurs préparatifs de guerre, il manquait toujours 200.000.000 de drachmes. [4,32] Les triumvirs s'adressèrent au peuple à ce sujet et publièrent un édit demandant à 1400 des femmes les plus riches de faire une évaluation de leurs biens, et de fournir pour les besoins de la guerre la quote-part que les triumvirs exigeraient de chacune d'elles. Il était prévu aussi que si elles cachaient leurs biens ou si elles faisaient une fausse déclaration elles seraient condamnées à une amende, et que des récompenses seraient accordées aux délateurs, que ce soient des personnes libres ou des esclaves. Les femmes résolurent d'aller trouver les femmes de l'entourage des triumvirs. Elles eurent du succès avec la sœur d'Octave et la mère d'Antoine, mais elles furent repoussées des portes de Fulvia, l'épouse d'Antoine, dont elles supportèrent difficilement l'orgueil. Alors elles se forcèrent un chemin vers le tribunal des triumvirs dans le forum, le peuple et les gardes ouvrant leurs rangs pour les laisser passer. Là, par la bouche d'Hortensia, qu'elles avaient choisie comme porte-parole, elles dirent: "Quand des femmes de notre rang ont besoin de vous adresser une pétition, nous nous adressons à vos femmes; mais comme nous avons été traitées par Fulvia d'une manière qui ne nous convient pas, c'est à cause d'elle que nous sommes venues sur le forum. Vous nous avez déjà privées de nos pères, de nos fils, de nos maris, et de nos frères, que vous avez accusés de vous avoir fait du tort; si vous prenez aussi nos biens, vous nous ramenez à une condition indigne de notre naissance, de nos manières, de notre sexe. Si nous vous avons fait du mal, comme en ont fait selon vous nos maris, proscrivez-nous comme vous l'avez fait pour eux. Mais si nous, les femmes nous n'avons pas voté pour que vous soyez déclaré ennemis publics, si nous n'avons pas détruit vos maisons, si nous n'avons pas anéanti votre armée, ou conduit une autre contre vous; si nous ne vous avons pas gênés en obtenant des charges et des honneurs, pourquoi devons nous partager la punition alors que nous n'avons pas partagé la faute? [4,33] "Pourquoi devrions-nous payer des impôts alors que nous n'avons aucune part aux honneurs, aux commandements, au gouvernement, pour lequel vous vous battez les uns contre les autres avec les résultats néfastes qui en découlent? Mais c'est la guerre, dites-vous? Mais quand n'y a-t-il pas eu des guerres ? quand des impôts ont-ils jamais été imposés aux femmes, qui en sont exemptées par leur sexe dans toute l'humanité? Nos mères par le passé ont dépassé une fois leur sexe et ont apporté leur contribution quand vous courriez le danger de perdre tout votre empire et la ville elle-même lors du conflit contre les Carthaginois. Mais alors elles l'ont fait volontairement, non pas en abandonnant leurs propriétés, leurs champs, leurs dots, ou leurs maisons, sans lesquelles la vie n'est pas possible pour des femmes libres, mais uniquement leurs propres bijoux, et non pas après les avoir fait évaluer, ni par crainte des délateurs ou des accusateurs, ni par force ni par violence, mais elles ont laissé ce qu'elles étaient disposées à donner. Quelle crainte y a-t-il maintenant pour l'empire ou le pays? Que la guerre avec les Gaulois ou les Parthes commence et nous ne serons pas inférieures à nos mères en ardeur pour la sécurité commune; mais pour des guerres civiles nous ne contribuerons jamais et nous ne vous aiderons jamais à vous battre les uns contre les autres! Nous n'avons pas contribué ni pour César ni pour Pompée. Ni Marius ni Cinna ne nous ont imposé des impôts. Ni même Sylla, qui possédait le pouvoir d'un despote dans l'état, alors que vous prétendez rétablir le gouvernement." [4,34] Pendant qu'Hortensia parlait, les triumvirs étaient furieux que des femmes osent tenir une réunion publique alors que les hommes étaient silencieux; qu'elles demandaient aux magistrats les raisons de leurs actes et qu'elles ne voulaient pas fournir de l'argent alors que les hommes servaient dans l'armée. Ils ordonnèrent aux licteurs de les éloigner du tribunal : ils commencèrent à le faire jusqu'à ce que à cause des cris poussés par la multitude les licteurs renoncent et que les triumvirs décident de remettre au lendemain l'examen de la proposition. Le jour suivant ils diminuèrent le nombre de femmes, qui devaient présenter une évaluation de leurs biens, de 1400 à 400, et décrétèrent que tous les hommes qui possédaient plus de 100.000 drachmes, qu'ils soient citoyens, étrangers, affranchis, prêtres, de quelque nationalité que ce soit sans aucune exception, leur prêteraient (avec même crainte de pénalité et également des délateurs) à intérêt la cinquantième partie de leur propriété et fourniraient le revenu d'un an pour les dépenses de la guerre. [4,35] Voilà les calamités qui s'abattirent sur les Romains par ordre des triumvirs; mais l'armée fit pire encore par manquement aux ordres. Considérant que c'était grâce à eux que les triumvirs agissaient en toute impunité, certains d'entre eux réclamèrent les maisons confisquées, ou des champs, ou des villas, ou la propriété entière du proscrit. D'autres exigèrent d'être les fils adoptés des hommes riches. d'autres, de leur propre initiative, tuèrent des gens qui n'étaient pas proscrits et pillèrent les maisons de ceux qui n'étaient pas accusés, de sorte que les triumvirs furent obligés de faire publier un édit qui ordonnait à un des consuls de châtier ceux qui outrepassaient leurs ordres. Le consul n'osa pas s'attaquer aux soldats de peur d'avoir à encourir leur fureur, mais il fit arrêter et crucifier quelques esclaves qui se faisaient passer pour des soldats et commettaient des exactions en leur compagnie. [4,36] Voilà des exemples de malheurs extrêmes que les proscrits ont subis. Les exemples où certains ont été inopinément sauvés et plus tard ont obtenu des positions plus élevées me sont plus agréables à raconter et seront plus utiles à mes lecteurs, pour prouver qu'ils ne doivent jamais désespérer, mais qu'il y a toujours de l'espoir. Certains qui pouvaient le faire fuirent chez Cassius, ou chez Brutus, ou en Afrique, où Cornificius soutenait la cause républicaine. Mais le plus grand nombre alla en Sicile en raison de sa proximité avec l'Italie, où Sextus Pompée les reçut amicalement. Ce dernier montra le plus grand zèle possible à aider les malheureux, proclamant qui les invitait tous à venir chez lui, et offrait à ceux qui sauvaient des proscrits, esclaves et hommes libres, le double des récompenses qui étaient offertes pour les tuer. Ses petits bateaux et ses navires marchands allaient à la recherche de ceux qui fuyaient par mer, et ses vaisseaux de guerre naviguaient le long du rivage et faisaient des signaux à ceux qui erraient et sauvaient ceux qu'ils trouvaient. Pompée lui-même allait à la rencontre des nouveaux venus et leur donnait immédiatement des habillements et d'autres choses nécessaires. À ceux qui en étaient dignes il leur donna des commandements dans ses forces terrestres et navales. Quand, plus tard, il engagea des négociations avec les triumvirs, il ne conclut pas de traité sans y avoir inséré ceux qui s'étaient réfugiés chez lui. C'est ainsi qu'il rendit à son malheureux pays le plus grand service et il gagna grâce à cela par lui-même une grande réputation en plus de celle qu'il avait héritée de son père, et aussi grande que celle-là. D'autres échappèrent en se cachant de diverses façons, certains dans des domaines ou dans des tombeaux, d'autres dans la ville même, vivant dans une cruelle inquiétude jusqu'à ce que la paix fut revenue. On a montré des exemples remarquables de l'amour des épouses pour leurs maris, des fils pour leurs pères, et des esclaves, choses qui dépasse l'entendement, pour leurs maîtres. Je vais en rapporter maintenant les exemples les plus remarquables. [4,37] Paulus, le frère de Lépide, s'échappa chez Brutus avec l'aide des centurions qui le respectaient comme frère d'un triumvir. Après la mort de Brutus il alla à Milet, qu'il refusa de quitter après que la paix ait été conclue, bien qu'on lui eût demandé de rentrer. La mère d'Antoine reçut son frère Lucius, l'oncle d'Antoine, sans se cacher, et les centurions eurent pendant longtemps du respect pour elle comme mère d'un triumvir. Quand, plus tard ils essayèrent de le prendre de force, elle courut au forum où Antoine se trouvait avec ses collègues et s'écria, "Je me dénonce à toi, triumvir, d'avoir accueilli Lucius sous mon toit et de l'avoir encore, et je le garderai jusqu'à ce que vous nous tuiez tous les deux ensemble, parce qu'il a été décrété que ceux qui abritent auront la même punition." Antoine lui reprocha d'être une mère peu raisonnable, bien qu'elle soit une bonne sœur, lui disant qu'elle aurait dû empêcher Lucius d'abord de voter que son fils était un ennemi public au lieu de chercher à le sauver maintenant. Néanmoins il obtint du consul Plancus un décret qui redonnait à Lucius la citoyenneté. [4,38] Messala, jeune homme distingué, se sauva chez Brutus. Les triumvirs, craignant son esprit remarquable, publièrent l'édit suivant: "Comme les parents de Messala nous ont expliqué qu'il n'était pas en ville quand Caius César a été massacré, que son nom soit retiré de la liste des proscrits." Il n'accepta pas le pardon, mais après Brutus et Cassius furent tombés en Thrace, bien qu'il eût encore une armée considérable, ainsi que des navires et de l'argent et bien il eût encore l'espoir de l'emporter, Messala n'accepta pas le commandement qui lui était offert, mais il persuada ses amis de se remettre au destin dominant et de joindre leurs forces avec celles d'Antoine. Il devint l'ami intime d'Antoine et le soutint jusqu'à ce que le dernier soit devenu l'esclave de Cléopâtre. Alors il l'accabla de reproches et rejoignit Octave, qui le fit consul à la place d'Antoine quand ce dernier fut déposé et déclaré de nouveau ennemi public. Après la bataille d'Actium, où il avait le commandement de la marine contre Antoine, Octave l'envoya comme général contre le Celtes révoltés et lui attribua le triomphe pour sa victoire sur ceux-ci. Bibulus reçut la même faveur que Messala, et Antoine lui donna un commandement dans sa flotte, et il servit souvent d'intermédiaire lors des négociations entre Octave et Antoine. Il fut nommé gouverneur de Syrie par Antoine et mourut lors de son gouvernement. [4,39] Acilius se sauva en cachette de la ville. Son abri fut révélé par un esclave aux soldats, mais il les persuada, en leur faisant miroiter une plus grande récompense, d'envoyer une partie des leurs à son épouse avec son sceau privé qu'il lui donna. Quand ils arrivèrent elle leur donna tous ses bijoux, disant qu'elle le faisait en échange de ce qu'ils avaient promis, bien qu'elle ne sût pas s'ils respecteraient leur accord. Mais sa fidélité à son mari ne fut pas trompée : les soldats louèrent un navire pour Acilius et l'envoyèrent en Sicile. L'épouse de Lentulus demanda de pouvoir l'accompagner dans sa fuite et surveillait ses mouvements dans ce but, mais comme il n'était pas disposé à ce qu'elle partage ses dangers, il se sauva en cachette en Sicile. Nommé préteur par Pompée il lui a envoyé un mot disant qu'il était sain et sauf et avait reçu une charge. Quand elle apprit où se trouvait son mari elle s'échappa avec deux esclaves de sa mère, qui la surveillaient. Avec ces derniers elle voyagea déguisée en esclave, avec grandes difficultés et à peu de prix, jusqu'à ce qu'elle puisse passer de Rhegium à Messine à la tombée de la nuit. Elle apprit sans difficulté où était la tente des préteurs, et là elle trouva Lentulus, non dans l'attitude d'un préteur, mais dans un petit lit sur le sol, les cheveux en désordre et se nourrissant misérablement, pleurant son épouse. [4,40] L'épouse d'Apuleius le menaça que s'il s'enfuyait sans elle, elle le dénoncerait. Ainsi il la prit avec lui à contrecœur, et il réussit à détourner les soupçons sur sa fuite par son déplacement au vu de tous avec son épouse, ses esclaves et ses servantes. L'épouse d'Antius l'enveloppa dans une couverture de voyage et donna le paquet à des bagagistes pour les porter de la maison au bord de la mer, d'où il a fait son évasion en Sicile. L'épouse de Rheginus le cacha la nuit dans un égout, où les soldats ne voulaient pas entrer durant la journée, à cause de l'odeur fétide. La nuit suivante elle le déguisa en marchand de charbon de bois, et lui donna un âne à conduire, transportant du charbon. Elle marchait devant à une courte distance, portée dans une litière. Un des soldats aux portes de la ville soupçonna la litière et la fouilla. Rheginus prit peur et accéléra ses pas, et comme s'il était un simple passant il demanda au soldat de ne pas ennuyer les femmes. Ce dernier, qui le prit pour un marchand de charbon de bois lui répondit en colère, mais soudainement le reconnaissant (il avait servi sous ses ordres en Syrie), lui dit, "Valeureux, général, cela me convient encore maintenant de t'appeler ainsi." L'épouse de Coponius demanda sa sécurité à Antoine, bien qu'elle ait été auparavant sage, soignant le mal par le mal. [4,41] Le fils de Geta feignit de brûler les restes de son père dans la cour de sa maison, pour faire croire qu'il s'était pendu. Ensuite il l'emmena secrètement dans une campagne qu'il venait d'acheter et l'y laissa. Là le vieil homme changea d'aspect en se mettant un bandeau sur un œil. Après le retour de la paix il enleva le bandeau et constata que le manque d'usage lui avait fait perdre la vue de cet œil. Oppius, en raison des infirmités de son âge, était peu disposé à s'enfuir, mais son fils le porta sur ses épaules jusqu'en dehors des portes de la ville. Le reste du voyage jusqu'en Sicile il l'accomplit tantôt en le conduisant tantôt en le portant, personne ne suspecta sa façon de faire et personne ne le railla. De même façon on raconte qu'Aeneas fut respecté même par ses ennemis en portant son père. En admiration pour sa pitié, plus tard, le peuple élit le jeune homme édile, et comme ses biens avaient été confisqués et qu'il ne pouvait assumer les dépenses de sa charge, les ouvriers effectuèrent le travail qui se rapportait à son édilité sans se faire payer et tous les spectateurs jetèrent tout d'argent qu'ils pouvaient donner dans l'orchestre, de sorte qu'il devint riche. Arrianus fit inscrire sur le tombeau du père: "Ci-gît quelqu'un qui, proscrit, fut caché par son fils, qui n'était pas proscrit, mais qui s'enfuit avec lui, et le sauva." [4,42] Il y avait deux hommes du nom de Metellus, le père et le fils. Le père avait commandé sous les ordres d'Antoine à la bataille d'Actium et avait été fait prisonnier, mais on ne l'avait pas reconnu. Le fils combattit du côté d'Octave et commandait sous ses ordres à la même bataille. Octave faisait le tri de ses prisonniers à Samos et le fils était assis avec lui. Le vieil homme fut amené, les cheveux en broussaille, misérable et couvert de crasse, complètement métamorphosé. Quand son nom fut crié par le héraut dans la rangée des prisonniers, le fils bondit de son siège, et, identifiant avec difficulté son père, il l'embrassa avec un cri d'angoisse. Alors retenant ses larmes il dit à Octave, "C'était ton ennemi, j'étais ton compagnon de combat. Il mérite ta punition, je mérite ta récompense. Je te demande d'épargner mon père pour apurer mon compte, ou de me tuer avec pour apurer le sien." Il y eut beaucoup d'émotion de chaque côté et Octave épargna Metellus, bien qu'il eût été son ennemi et qu'il eût dédaigné beaucoup de propositions pour abandonner Antoine. [4,43] Les esclaves de Marcus le gardèrent avec fidélité et succès dans sa propre maison pendant toute la période de la proscription et quand il n'y eut plus de danger Marcus sortit de chez lui comme s'il rentrait d'exil. Hirtius s'échappa de la ville avec ses domestiques et traversa l'Italie libérant des prisonniers, rassemblant des fugitifs, et ravageant d'abord des petites villes et ensuite de grandes, jusqu'à ce qu'il possède assez de forces pour s'emparer du Bruttium. Quand une armée fut envoyée contre lui il passa les détroits avec ses forces et rejoignit Pompée. Restio se sauva : il croyait être seul mais il fut suivi secrètement par un esclave, qu'il avait très bien traité autrefois, mais qui récemment avait été marqué au fer pour sa mauvaise conduite. Alors que Restio s'était arrêté dans un marais l'esclave se montra à lui. Il fut terrifié en le voyant, mais l'esclave lui dit qu'il avait moins ressenti la douleur de la marque que le souvenir de l'ancienne bonté qu'on avait eue pour lui. Alors il trouva à son maître un endroit pour se reposer dans une caverne, et en travaillant il lui procura, dans la mesure de ses possibilités, de quoi subsister. Les soldats qui se trouvaient à proximité de la caverne eurent des soupçons au sujet de Restio, et ils s'y rendirent. L'esclave observa leurs mouvements et les suivit; et, voyant un vieil homme marcher devant lui, il le rattrapa, le tua et lui coupa sa tête. Les soldats s'en étonnèrent. Ils l'arrêtèrent comme brigand, mais il leur dit, "J'ai tué Restio, mon maître, l'homme qui m'a fait ces cicatrices." Les soldats lui prirent la tête pour toucher la récompense, et bernés, se hâtèrent de rentrer en ville. L'esclave emporta son maître et le fit passer sur un navire en Sicile. [4,44] Appius se reposait dans sa maison de campagne quand des soldats firent irruption. Un esclave mit les vêtements de son maître et se mit sur son lit et mourut volontairement pour son maître, qui se tenait près de lui habillé en esclave. Quand les soldats firent irruption dans la maison de Menenius, un de ses esclaves entra dans la litière de son maître et se fit porter par ses compagnons d'esclavage, et de cette façon il se fit tuer à la place de Menenius, qui à la suite de cela s'enfuit en Sicile. Vinius avait un affranchi du nom de Philemon, propriétaire d'une villa splendide : ce dernier le cacha au plus profond des caves dans un coffre de fer utilisé pour mettre de l'argent ou des manuscrits, et lui donna de la nourriture durant la nuit, jusqu'au retour de la paix. Un autre affranchi, qui gardait le tombeau de son maître, garda le fils de son maître, qui avait été proscrit, dans le tombeau avec son père. Lucretius, qui était parti avec deux esclaves fidèles et manquait de nourriture, rentra en ville chez son épouse porté dans une litière, comme s'il était malade, par les deux esclaves. Un des porteurs se cassa la jambe, Lucretius marcha s'appuyant sur l'autre. Quand ils atteignirent la porte où le père de Lucretius, qui avait été proscrit par Sulla, avait été capturé, il vit une cohorte de soldats sortir. Étonné de la coïncidence, il se cacha avec l'esclave dans un tombeau. Comme des pilleurs de tombes arrivaient cherchant du butin, l'esclave proposa aux voleurs qu'il le dépouille pour que Lucretius, pendant ce temps, puisse s'échapper vers la porte de ville. Là Lucretius l'attendit, partagea avec lui ses habits, et alors alla chez son épouse, qui le cacha entre les planches d'un double toit jusqu'à ce que ses amis parviennent à faire effacer son nom de la liste des proscrits. Après le retour à la paix il fut élevé au rang de consul. [4,45] Sergius fut caché dans la maison même d'Antoine jusqu'à ce qu'Antoine persuade le consul Plancus d'obtenir pour lui un décret d'amnistie. Plus tard, quand Octave et Antoine furent en désaccord, et quand le sénat décréta Antoine ennemi public, seul Sergius vota contre. Voilà tous ceux qui furent sauvés. Quant à Pomponius, il se déguisa en préteur et déguisa ses esclaves en licteurs. Il traversa la ville comme préteur accompagné par ses licteurs, ses serviteurs le serraient de près de peur qu'on ne le reconnaisse. Aux portes de ville il réquisitionna des chars publics et traversa l'Italie faisant semblant d'être un préteur envoyé par les triumvirs pour négocier avec Pompée, tous les gens le recevaient et l'accompagnaient comme un vrai préteur, jusqu'à ce qu'il prenne un bateau public et passe dans le camp de Pompée. [4,46] Apuleius et Arruntius firent semblant d'être des centurions, armèrent leurs esclaves comme des soldats et traversèrent les portes feignant poursuivre d'autres personnes, et pour le reste de leur périple ils prirent des routes différentes, libérant des prisonniers et rassemblant des fugitifs jusqu'à qu'ils obtiennent chacun une force suffisante possédant des étendards, l'équipement, et l'aspect d'une armée. Chacun arriva séparément le long de la mer et prit position de chaque côté d'une colline et ils se regardèrent avec grande appréhension. Au lever du jour le matin suivant, après avoir fait une reconnaissance, chaque armée prit l'autre pour une armée envoyée contre elle-même, et ils en vinrent aux mains et combattirent réellement jusqu'à ce qu'ils s'aperçoivent de leur erreur : alors ils cessèrent le combat et si mirent à se lamenter, blâmant le destin cruel qui les poursuivait partout. Alors ils s'embarquèrent, et l'un rejoignit Brutus et l'autre Pompée. Ce dernier fut réhabilité lors de la réconciliation avec Pompée. Le premier prit le commandement de la Bithynie pour Brutus, et quand Brutus mourut il rendit la Bithynie à Antoine et retrouva la citoyenneté. Quand Ventidius fut proscrit, un de ses affranchis lui mit des chaînes comme s'il voulait le livrer aux meurtriers. Mais la nuit il donna des instructions à quelques esclaves, qu'il arma comme des soldats, et alors il emmena son maître déguisé en centurion et traversa toute l'Italie jusqu'en Sicile, et souvent il passa la nuit en compagnie d'autres centurions qui étaient à la recherche de Ventidius. [4,47] Un autre proscrit fut caché par un affranchi dans un tombeau, mais comme il ne pouvait supporter l'horreur de l'endroit il fut installé dans un misérable taudis loué. Un soldat logeait à côté de lui, et comme il ne pouvait supporter cette crainte il passa de la poltronnerie à l'audace la plus remarquable. Il se coupa les cheveux et ouvrit une école à Rome même, où il enseigna jusqu'au retour de la paix. Volusius fut proscrit alors qu'il était édile. Il avait un ami prêtre d'Isis à qui il demanda la robe longue. Il se revêtit de ce vêtement de toile qui lui tombait jusqu'aux pieds, mit la tête du chien, et c'est en célébrant ainsi les mystères d'Isis qu'il rejoignit Pompée. Les habitants de Cales protégèrent Sittius, un de leurs concitoyens qui avait fait pour eux des dépenses somptueuses avec sa propre fortune, et lui fournirent des gens en armes. Ils firent taire ses esclaves par des menaces et empêchèrent les soldats d'approcher leurs remparts jusqu'au moment où la situation s'améliora : alors ils envoyèrent des messagers aux triumvirs en son nom et obtinrent que Sittius puisse rester chez lui, mais il fut exclu du reste de l'Italie. Sittius fut le premier ou le seul homme qui fut jamais un exilé dans son propre pays. Varron était philosophe et historien, soldat et général distingué, et c'est sans doute pour ces raisons qu'il fut proscrit comme ennemi de la monarchie. Ses amis désiraient lui donner abri et chacun se disputait cet honneur. Calenus gagna le privilège et l'emmena dans sa maison de campagne, où Antoine avait l'habitude de s'arrêter lorsqu'il voyageait. Pourtant aucun esclave, ni de Calenus ni de Varron lui-même, n'indiquèrent que Varron se trouvait là. [4,48] Virginius, un orateur distingué, démontra à ses esclaves que s'ils le tuaient pour une petite récompense incertaine, ils auraient plein de remords et de crainte après, alors que s'ils le sauvaient ils jouiraient d'une excellente réputation et de belles espérances, et, plus tard, ils auraient une récompense beaucoup plus grande et plus sûre. Aussi ils se sauvèrent, le prenant avec eux comme un de leurs compagnons d'esclavage, et quand il fut reconnu sur la route ils attaquèrent les soldats. Capturé par ces derniers, il leur dit qu'ils n'avaient aucune raison de le massacrer sauf l'argent, et qu'ils obtiendraient une récompense plus honorable et plus grande en allant avec lui jusqu'à la mer, "Où, dit il, mon épouse s'est chargée d'amener un navire avec de l'argent." Ils suivirent sa suggestion et allèrent avec lui au bord de la mer. Son épouse vint au rendez-vous selon leur accord, mais comme Virginius était en retard, elle pensa qu'il avait déjà rejoint Pompée. Aussi elle s'embarqua, laissant un esclave à l'endroit du rendez-vous, pour le prévenir s'il arrivait. Quand l'esclave vit Virginius il courut vers son maître, et lui dit que le navire venait de partir, et lui raconta ce qui s'était passé pour son épouse et pour l'argent et pourquoi on l'avait laissé là. Les soldats crurent alors tout ce qu'on leur racontait, et quand Virginius leur demanda d'attendre jusqu'à ce que son épouse revienne ou de l'accompagner pour obtenir l'argent, ils s'embarquèrent dans un petit navire et l'emmenèrent en Sicile, ramant de toutes leurs forces. Là ils reçurent la somme promise mais ne rentrèrent pas et restèrent à son service jusqu'à la conclusion de la paix. Un capitaine de navire accueillit Rebilus dans son navire pour le transporter en Sicile et réclama alors de l'argent, menaçant de le trahir s'il ne l'obtenait pas. Rebilus suivit l'exemple de Thémistocle lors de sa fuite. Il le menaça à son tour de dire que le capitaine aidait un proscrit à s'échapper pour de l'argent. Le capitaine prit peur et emmena Rebilus chez Pompée. [4,49] Marcus était un des lieutenants de Brutus et fut proscrit pour cette raison. Quand Brutus fut défait, il fut capturé. Il fit semblant d'être un esclave et fut acheté par Barbula. Ce dernier, voyant qu'il était habile, le plaça plus haut que les autres esclaves et lui donna la charge de ses finances privées. Comme il était adroit dans tous les domaines et trop intelligent pour un esclave, son maître eut des soupçons et lui fit espérer que s'il admettrait qu'il était un proscrit, il (Barbula) obtiendrait son pardon. Il nia de toutes ses forces, et s'inventa un nom et une famille et des anciens maîtres. Barbula l'emmena à Rome, comptant que s'il était proscrit il hésiterait à venir, mais il le suivit. Un des amis de Barbula, qu'il rencontra aux portes, vit Marcus se tenir au côté de son maître comme un esclave, et indiqua à part à Barbula qui il était. Ce dernier obtint d'Octave, par l'intercession d'Agrippa, de faire effacer le nom de Marcus de la liste des proscrits. Ce dernier devint un des amis d'Octave, et quelque temps plus tard il lui servit de lieutenant contre Antoine lors de la bataille d'Actium. Barbula était alors au service d'Antoine et la fortune des deux changea. Quand Antoine fut vaincu Barbula fut fait prisonnier et il fit semblant d'être un esclave, et Marcus l'acheta, feignant de ne pas le connaître. Alors il présenta l'ensemble de l'affaire à Octave et lui demanda de pouvoir dédommager Barbula de la même façon, et on lui accorda sa demande. La même bonne fortune les combla un peu plus tard : tous les deux obtinrent la magistrature suprême dans la ville la même année. [4,50] Balbinus s'enfuit avec Pompée et fut grâcié en même temps que lui : il devint consul peu après. Lépide, qui pendant ce temps avait été déposé du triumvirat par Octave et qui en était réduit à une vie privée, se présenta chez Balbinus pour ce motif : Mécène poursuivait le fils de Lépide pour crime de lèse- majesté contre Octave ainsi que la mère de jeune homme parce qu'elle était au courant du crime. Il ne poursuivait pas Lépide le considérant comme une personne sans importance. Mécène envoya le fils à Octave à Actium, mais afin d'épargner à sa mère le voyage à cause de son sexe, il exigea qu'elle donne une caution au consul pour comparaître devant Octave. Comme personne ne voulait offrir de caution pour elle, Lépide alla souvent à la porte de Balbinus et aussi à son tribunal, et bien que les huissiers l'aient longtemps repoussé, il arriva à ses buts après maintes difficultés: "Les accusateurs témoignent de mon innocence, puisqu'ils disent que je n'étais pas complice de mon épouse et de mon fils. Je ne t'ai pas proscrit et pourtant je suis maintenant moins qu'un proscrit. Considère la versatilité des affaires humaines et celui qui se tient près de toi, fais-moi la faveur que je sois garant de la comparution de mon épouse devant Octave, ou laisse-moi partir avec elle." Quand Lépide eut parlé, Balbinus pris de pitié pour les revers de la fortune libéra son épouse du toute caution. [4,51] Cicéron, le fils de Cicéron, fur envoyé en Grèce par son père, qui avait prévu ce qui allait arriver. De Grèce il décida de rejoindre Brutus, et après la mort de ce dernier il rejoignit Pompée : il obtint des deux un commandement militaire. Ensuite Octave, par s'excuser d'avoir trahi Cicéron, le fit nommer grand prêtre, et après consul et peu après proconsul de Syrie. Quand les nouvelles de la défaite d'Antoine à Actium furent envoyées par Octave, ce même Cicéron, comme consul, l'annonça au peuple et l'apposa aux rostres où autrefois la tête de son père avait été accrochée. Appius distribua ses biens à ses esclaves et partit avec eux en Sicile. Une tempête éclata : les esclaves complotèrent de s'emparer de son argent et mirent Appius dans une barque, faisant semblant de le transférer vers un endroit plus sûr; mais contre toute attente il arriva au port alors que leur bateau coula et qu'ils périrent tous. Publius, questeur de Brutus, fut sollicité par le parti d'Antoine pour trahir son chef, mais il refusa, et fut pour cette raison proscrit. Après il retrouva la citoyenneté et devint l'ami d'Octave. Un jour qu'Octave était venu chez lui, Publius lui montra des images de Brutus, et Octave l'en félicita. [4,52] VII. Ce qui précède est un résumé des cas les plus remarquables où des proscrits furent perdus ou sauvés. J'en ai omis beaucoup d'autres. En même temps que ces événements se passaient à Rome, toutes les régions extérieures furent déchirées par des guerres à cause de cette révolution. Les plus importantes se déroulèrent en Afrique entre Cornificius et Sextius, en Syrie entre Cassius et Dolabella, et en Sicile contre Pompée. Beaucoup de villes souffrirent les horreurs du siège. Je passerai sous silence les plus petits et je ne parlerai que des plus grands, et particulièrement la prise connue de tous de Laodicée, de Tarses, de Rhodes, de Patara, et de Xanthos. Je vais parler brièvement de chacune d'elles. [4,53] Cette région de l'Afrique que les Romains prirent aux Carthaginois, ils l'appellent encore la vieille Afrique. La partie qui appartenait au roi Juba, et qui fut prise par Caius César plus tard, ils l'appellent pour cette raison la nouvelle Afrique; on peut aussi l'appeler l'Afrique numidienne. Donc Sextius, qui, nommé par Octave, avait la charge de la nouvelle Afrique, somma Cornificius de lui laisser la vieille Afrique parce que tout le pays avait été donné à Octave lorsque les triumvirs découpèrent l'empire. Cornificius répondit qu'il ne reconnaissait pas cette attribution que les triumvirs avaient faite par eux-mêmes, et que puisqu'il avait reçu le gouvernement du sénat il ne le rendrait à personne sans l'ordre du sénat. Ce fut l'origine des hostilités entre eux. Cornificius avait l'armée la plus forte et la plus nombreuse. Celle de Sextius était plus agile bien qu'inférieure en nombre : grâce à cela il put l'emporter et détacher de Cornificius les régions de l'intérieur jusqu'à ce qu'il fût assiégé par Ventidius, un lieutenant de Cornificius, qui s'attaqua à lui avec des forces supérieures et à qui il résista vaillamment. Laelius, un autre lieutenant de Cornificius, ravagea la province de Sextius, s'installant devant Cirta, il en fit le siège. [4,54] Tous les deux envoyèrent des ambassadeurs pour demander l'alliance du Roi Arabion et de ceux qu'on appelait Sittiens, qui reçurent ce nom dans les circonstances suivantes. Un certain Sittius, qui était accusé à Rome, s'enfuit pour éviter le procès. Rassemblant une armée d'Italie et d'Espagne, il passa en Afrique, où il s'alliait tantôt avec l'un tantôt avec l'autre des rois qui se faisaient la guerre de ce pays. Comme ceux qui se joignaient à lui étaient toujours victorieux, Sittius acquit de la réputation et son armée devint fort efficace. Quand Caius César poursuivit les partisans de Pompée en Afrique Sittius le rejoignit et mit en déroute un général célèbre de Juba, Saburra, et il reçut de César, comme récompense pour ces services, le territoire de Masinissa, non en entier, mais la meilleure partie. Masinissa était le père de cet Arabion et l'allié de Juba. César donna son territoire à ce Sittius, et à Bocchus, le roi de la Mauritanie, et Sittius divisa sa propre part à ses soldats. Arabion à ce moment-là s'enfuit chez le fils de Pompée en Espagne, mais revint en Afrique après la mort de César et continua à envoyer des détachements de ses hommes au plus jeune fils de Pompée, que celui-ci renvoyait après les avoir bien formés, et ainsi il expulsa Bocchus de son territoire et tua Sittius par ruse. Bien que pour ces raisons son coeur penchât pour les partisans de Pompée, il décida néanmoins de s'opposer à ce parti, parce qu'il n'avait pas de chance, et rejoignit Sextius, grâce auquel il acquit les faveurs d'Octave. Les Sittiens le rejoignirent également en raison de leur amitié pour César l'Ancien. [4,55] Ainsi Sextius reprenant courage fit une sortie lors de laquelle Ventidius fut tué et son armée s'enfuit en déroute. Sextius la poursuivit, la massacra et fit des prisonniers. Quand Laelius apprit la nouvelle il leva le siège de Cirta et rejoignit Cornificius. Sextius, enhardi par son succès, s'avança contre Cornificus lui-même à Utique et campa en face de lui, bien que ce dernier ait des forces supérieures. Cornificius envoya en reconnaissance Laelius avec sa cavalerie, et Sextius ordonna à Arabion de l'attaquer avec sa propre cavalerie, et Sextius lui-même avec ses troupes légères attaqua le flanc de l'ennemi et les mit dans une telle confusion qui Laelius, bien qu'invaincu, craignit que sa retraite soit coupée et s'empara d'une colline voisine. Arabion attaqua ses arrières, en tua beaucoup et encercla la colline. Cornificius voyant cela fit une sortie avec la plupart de ses forces pour aider Laelius. Sextius, qui était sur ses arrières, se précipita et l'attaqua, mais Cornificius se retourna sur lui et le repoussa en perdant beaucoup d'hommes. [4,56] Pendant ce temps Arabion, avec quelques hommes s'insinua sans se faire voir à travers les rochers escarpés, escaladant un précipice jusqu'au camp de Cornificius. Quand le camp fut pris, Roscius qui le gardait offrit sa gorge à un de ses écuyers et se tua. Cornificius, fourbu par l'engagement, de retira vers Laelius sur la colline, ne sachant pas encore ce qui était arrivé à son camp. Tandis qu'il se retirait la cavalerie d'Arabion le chargea et le tua, et quand Laelius, regardant vers le bas de la colline, vit ce qui s'était produit il se suicida. Comme leurs chefs étaient morts les soldats s'enfuirent de tous les côtés. Des proscrits qui se trouvaient avec Cornificius, certains partirent en Sicile, d'autres cherchèrent refuge partout où ils le pouvaient. Sextius donna beaucoup de butin à Arabion et aux Sittiens, mais il fit passer les villes à Octave et leur accorda à toutes le pardon. [4,57] Ce fut la fin de la guerre en Afrique entre Sextius et Cornificius, qui sembla de peu d'importance en raison de la rapidité avec laquelle elle se fit. En reprenant le récit de Cassius et de Brutus, je vais répéter quelques faits dont j'ai déjà parlé, afin de les remettre en mémoire. Quand César fut assassiné ses meurtriers s'emparèrent du Capitole, et quand l'amnistie leur fut votée ils en descendirent. Le peuple fut fort triste lors de l'enterrement de César et a parcourut la ville à la poursuite de ses meurtriers. Ces derniers se défendirent des toits de leurs maisons, et ceux d'entre eux qui avait été nommés par César lui-même comme gouverneurs de provinces quittèrent immédiatement la ville. Mais Cassius et Brutus étaient encore préteurs de la ville, bien que Cassius ait été nommé par César gouverneur de la Syrie et Brutus de Macédoine. Comme ils ne pouvaient prendre immédiatement leurs charges et qu'ils avaient peur de rester en ville, ils s'en allèrent alors qu'ils étaient encore préteurs, et le sénat, pour leur faire plaisir, leur donna la charge de l'approvisionnement en blé pour qu'on ne puisse dire qu'ils s'étaient échappés au milieu de leur charge. Quand ils furent partis, les provinces de Syrie et de Macédoine furent données aux consuls Dolabella et Antoine contre la volonté du sénat. Néanmoins, la Cyrénaïque et la Crète furent données à Brutus et à Cassius en échange. Ils refusèrent ces provinces en raison de leur insignifiance, et, c'est pourquoi ils commencèrent à rassembler des troupes et de l'argent afin d'envahir la Syrie et la Macédoine. [4,58] Pendant qu'ils étaient ainsi occupés Dolabella tua Trebonius en Asie et Antoine assiégea Decimus Brutus en Gaule Cisalpine. Le sénat indigné les décréta Dolabella et Antoine ennemis publics, et redonna à Brutus et à Cassius leurs anciens commandements et ajouté l'Illyrie à celui de Brutus. Il ordonna en outre à tous les gouverneurs des provinces et aux armées romaines, entre l'Adriatique et la Syrie, d'obéir aux ordres de Cassius et de Brutus. Alors Cassius devançant Dolabella entra en Syrie, où il prit les insignes de gouverneur et obtint plus de douze légions qui avaient été enrôlées et formées par Caius César bien auparavant. Une de celles que César avait laissé en Syrie quand il pensait faire la guerre aux Parthes était placée sous le commandement de Caecilius Bassus, mais en pratique c'était Sextus Julius, un jeune homme de sa parenté qui la commandait. Ce Julius avait de mauvaises habitudes qui menèrent la légion dans des dissipations honteuses et un jour il insulta Bassus qui lui faisait des remontrance. Ensuite il convoqua Bassus et comme ce dernier tardait il ordonna qu'on le fasse venir de force. Il y eut alors une bagarre honteuse, et quelques coups furent donnés à Bassus : ce qui offensa l'armée et Julius fut tué. Cet acte fut aussitôt suivi de regrets et on craignit César, et alors ils firent le serment que, sauf si on leur accordait le pardon et la réconciliation, de combattre à mort; et ils obligèrent Bassus à faire le même serment. Ils débauchèrent une autre légion et toutes les deux s'entraînèrent ensemble. César envoya Staius Murcus contre eux avec trois légions, mais ils résistèrent bravement, Marcius Crispus fut alors envoyé de Bithynie pour aider Murcus avec trois légions supplémentaires, et Bassus fut alors assiégé par six légions au total. [4,59] Cassius s'occupa rapidement de ce siège et prit aussitôt le commandement de l'armée de Bassus avec son consentement, et ensuite celui des légions de Murcus et de Marius, qui les lui donnèrent amicalement et en obéissant en tout point au décret du sénat. Presque en même temps Allienus, qui avait été envoyé en Egypte par Dolabella, ramenait de ce pays quatre légions composées de soldats qui s'étaient dispersés après les désastres de Pompée et de Crassus, ou qui avaient été laissés avec Cléopâtre par César. Cassius l'encercla inopinément en Palestine, alors qu'il ignorait ce qui s'était produit, et le força de s'associer à lui et de lui donner son armée, car il n'osa pas combattre avec quatre légions contre huit. Ainsi contrairement à toute attente Cassius prit possession de douze légions d'élite, à qui s'ajoutèrent un certain nombre d'archers Parthes à cheval, qui furent attirés par la réputation qu'il avait acquise chez eux quand, comme questeur de Crassus, il s'était montré plus habile que ce général. [4,60] Dolabella passait son temps en Ionie, où il tua Trebonius, préleva des tributs sur les villes, et loua une force navale, avec l'aide de Lucius Figulus, chez les Rhodiens, les Lyciens, les Pamphyliens et les Ciliciens. Quand tout fut prêt, il s'avança vers la Syrie, conduisant lui-même deux légions par voie de terre, alors que Figulus arrrivait par la mer. Quand il eut connaissance des forces de Cassius, il se rendit à Laodicée, une ville qui lui était amie, située sur une péninsule, fortifiée du côté terrestre et possédant une rade, de sorte qu'on pouvait s'approvisionner facilement par eau et naviguer en sécurité toutes les fois qu'il le souhaitait. Quand Cassius apprit cela, craignant que Dolabella lui échappe, il fit construire un monticule à travers l'isthme, de deux stades de longueur, composé de pierres et de toutes les sortes de matériaux pris dans les maisons et les tombeaux situés en dehors de la ville, et en même temps il manda des navires de Phénicie, de Lycie et de Rhodes. [4,61] Comme tous refusaient sauf Sidon, il engagea un combat naval contre Dolabella au cours duquel quelques bateaux furent coulés des deux côtés et Dolabella en captura cinq avec leurs équipages. Puis Cassius envoya des messagers de nouveau à ceux qui avaient rejeté sa demande, et aussi à Cléopâtre, reine de l'Égypte et à Sérapion, le gouverneur de Chypre pour Cléopâtre. Les Tyriens, les Aradiens et Sérapion, sans consulter Cléopâtre, envoyèrent les navires qu'ils avaient à Cassius. La reine s'excusa parce que l'Égypte souffrait alors de la famine et de la peste, mais en fait elle aidait Dolabella à cause de ses relations avec César l'Ancien. C'était la raison pour laquelle elle lui avait envoyé les quatre légions avec Allienus, et elle avait une autre flotte prête à l'aider, qui était retardée à cause des vents défavorables. Les Rhodiens et les Lyciens répondirent qu'ils n'aideraient ni Cassius ni Brutus dans des guerres civiles, et que s'ils avaient fourni des navires à Dolabella ils l'avaient fait uniquement pour lui fournir une qu'escorte, ne sachant pas qu'ils seraient utilisés pour la guerre. [4,62] Quand Cassius fut de nouveau prêt avec les forces à sa disposition, il attaqua Dolabella une seconde fois. La première bataille fut douteuse, mais lors de la seconde Dolabella fut battu sur mer. Alors Cassius termina son monticule et attaqua les murs de Dolabella jusqu'à ce qu'ils soient ébranlés. Il essaya sans succès de suborner Marsus, le capitaine de nuit, mais il soudoya les centurions de la garde de jour, et alors que Marsus se reposait, il entra de jour par quelques petites portes qui lui furent secrètement ouvertes les unes après les autres. Quand la ville fut prise Dolabella offrit sa tête à son garde du corps et lui dit de la couper et de la porter à Cassius pour garder la vie. La garde la coupa, mais se tua aussi et Marsus se suicida. Cassius fit prêter serment à l'armée de Dolabella pour son propre service. Il pilla les temples et le trésor de Laodicée, punit les premiers citoyens et exigea de très lourdes contributions aux autres, de sorte que la ville en fut réduite à une extrême misère. [4,63] Après la prise de Laodicée Cassius s'élança sur l'Égypte. Ayant appris que Cléopâtre était sur le point de rejoindre Octave et Antoine avec une flotte puissante, il décida de l'empêcher de lever l'ancre et de punir la reine pour son intention. Il avait pensé auparavant que la situation de l'Égypte se prêtait fort bien à ses projets, parce qu'elle était ruinée par la famine et n'avait aucune armée étrangère considérable, maintenant que les forces d'Allienus étaient parties. Alors qu'il était plein d'ardeur, d'espoirs et que le moment était favorable, Brutus le rappela à la hâte en lui disant qu'Octave et Antoine naviguaient sur l'Adriatique. Cassius, à contrecœur, renonça à ses espérances sur l'Égypte. Il renvoya également les archers parthes avec des présents, envoya avec eux des ambassadeurs à leur roi pour demander beaucoup de troupes auxiliaires. Cette force arriva après la bataille décisive, ravagea la Syrie et plusieurs provinces voisines jusqu'à l'Ionie, et alors rentra chez elle. Cassius laissa son neveu en Syrie avec une légion et envoya d'abord sa cavalerie en Cappadoce : ils tuèrent Ariobarzane pour avoir comploté contre Cassius et ils se saisirent de ses grands trésors et d'autres approvisionnements militaires et les apportèrent à Cassius. [4,64] Les habitants de Tarse étaient divisés en factions. Une de ces factions avait couronné Cassius, qui fut le premier sur place. L'autre avait fait la même chose pour Dolabella, qui était arrivé après. Toutes les deux avaient agi ainsi au nom de la ville. Comme les habitants les avaient honorés chacun leur tour, chacun d'eux traita la ville avec mépris comme ville versatile. Quand Cassius battit Dolabella il préleva un impôt de 1500 talents. Ne pouvant trouver l'argent, et pressés de payer à cause de la violence des soldats, les habitants vendirent d'abord tous les biens publics et ensuite ils transformèrent en argent tous les ustensiles sacrés utilisés lors des cortèges religieux et les cadeaux faits au temple. Comme ce n'était pas suffisant, les magistrats vendirent les personnes libres comme esclaves, d'abord les filles et les garçons, ensuite les femmes et les vieillards malheureux, qui rapportèrent très peu, et finalement les jeunes gens. Les la plupart de ces derniers se suicidèrent. Enfin Cassius, à son retour de Syrie, s'apitoya sur leurs douleurs et les libéra du reste de la contribution. [4,65] IX. Telles furent les calamités qui s'abattirent sur Tarse et à Laodicée. Alors Brutus et Cassius se réunirent. Brutus voulait réunir leurs armées et faire de la Macédoine leur principal objectif, puisque l'ennemi avait quarante légions, dont huit avaient déjà franchi l'Adriatique. Cassius était d'avis que l'on pouvait encore négliger l'ennemi, croyant qu'elles dépériraient d'elles-mêmes par manque d'approvisionnements en raison de leurs grands nombres. Il pensait qu'il valait mieux réduire les Rhodiens et le Lyciens, qui étaient alliés d'Octave et d'Antoine et qui possédaient des flottes, de peur qu'elles n'attaquent les arrières des républicains tandis que les derniers étaient occupés avec l'ennemi. C'est ce qu'ils décidèrent. Ils se séparèrent : Brutus se dirigeant contre les Lyciens et Cassius contre Rhodes, ville où il avait été élevé et instruit dans la littérature de la Grèce. Comme il devait faire face à des hommes supérieurs dans les questions navales, il prépara ses propres navires avec soin, les remplit de troupes, et alla les entraîner à Myndus. [4,66] Les notables rhodiens étaient effrayés de la perspective d'un conflit contre les Romains, mais les gens du peuple en étaient fiers, parce qu'ils se rappelaient les anciennes victoires remportées par des hommes de caractères différents. Ils mirent à la mer leurs trente-trois meilleurs navires, mais en faisant cela ils envoyèrent quand même des messagers à Myndus pour demander à Cassius de ne pas mépriser Rhodes, qui s'était toujours défendue contre ceux qui la méprisaient, et de ne pas négliger le traité qui avait été conclu entre Rhodes et Rome selon lequel ils ne devaient pas porter les armes les uns contre les autres. S'il les accusait de ne pas l'aider militairement, ils seraient heureux d'en être informés par le sénat romain, et si celui-ci leur demandait, ils apporteraient leur aide. Ce fut leur réponse. Cassius leur répondit que comme dans les autres domaines c'était la guerre qui déciderait au lieu des paroles, mais en ce qui concernait le traité, qui leur interdisait de porter les armes les uns contre les autres, les Rhodiens l'avaient violé en s'alliant avec Dolabella contre Cassius. Le traité exigeait une aide mutuelle lors d'une guerre, mais quand Cassius avait demandé de l'aide, ils ont tergiversé au sujet du sénat romain, qui était à ce moment ou en fuite ou retenu prisonnier par les tyrans qui avaient pris la ville. Ces tyrans seront punis et les Rhodiens seront punis également pour les avoir soutenus, à moins qu'ils obéissent sur-le-champ à ses ordres. Telle fut la réponse que Cassius leur retourna. Les Rhodiens les plus prudents eurent encore plus peur, mais la multitude fut excitées par deux démagogues appelés Alexandre et Mnaseas, qui leur rappela que Mithridate avait envahi Rhodes avec une plus grande flotte encore, et que Démetrius l'avait fait aussi avant lui. [4,67] Alors ils élurent Alexandre comme prytane : c'est le magistrat qui exerce le pouvoir suprême parmi eux, et Mnaseas comme amiral de leur flotte. Cependant ils envoyèrent encore un autre ambassadeur à Cassius en la personne d'Archelaus, qui avait été son professeur de littérature grecque à Rhodes, pour lui présenter une requête plus sérieuse. Celui-ci, prenant la main droite de Cassius d'une façon familière lui dit : "Toi, l'ami des Grecs, ne détruis pas une ville grecque. Toi, l'ami de la liberté, ne détruis pas Rhodes. Ne ternis pas la gloire d'un état dorique invaincu jusqu'ici. N'oublie pas les histoires célèbres que tu as apprises à Rhodes et à Rome - à Rhodes, ce que le Rhodiens ont accompli contre des états et des rois (et particulièrement contre Demetrius et Mithridate, qui étaient considérés invincibles), au nom de cette liberté au nom de laquelle tu prétends te battre maintenant - à Rome, les services que nous vous avons rendus, entre d'autres quand nous avons combattu avec vous contre Antiochus le Grand, grâce auxquels notre nom est inscrit sur des monuments en notre honneur. [4,68] "Et cela, Romains, pour notre race, pour notre dignité, pour notre indépendance jusqu'ici, pour notre alliance et pour notre bienveillance envers vous; quant à toi, Cassius, tu dois un respect particulier à cette ville où tu as été élevé et instruit, où tu as vécu, où tu as habité et où tu as fréquenté ma propre école. Tu me dois le respect à moi qui espérait m'enorgueillir de cela en d'autres moments, alors que maintenant je me sers de cette relation au nom de mon pays, afin qu'il ne soit pas obligé de faire la guerre avec toi qui y a été éduqué et nourri. De deux choses l'une : ou les Rhodiens périront tous ou ce sera toi, Cassius. Outre ma supplication, je te conseille de prendre comme guides les dieux à chaque moment alors que tu es occupé à de telles tâches importantes au nom de l'empire romain. Vous, Romains, vous avez juré par les dieux quand Caius César a récemment conclu le traité avec nous, et aux serments vous avez ajouté des libations et avez donné votre main droite, assurances valables même parmi les ennemis; doivent-elles ne pas l'être pour des amis et des gens qui vous ont nourri? Sans compter la crainte du jugement des dieux, respectez les avis de l'humanité, qui ne considèrent rien plus de vil qu'une violation des traités, cause pour laquelle les violateurs ne sont respectés ni par leurs amis et ni par leurs ennemis." [4,69] Quand le vieil homme eut fini de parler, il ne lâcha pas la main de Cassius, mais y laissa tomber des larmes de sorte que Cassius rougit à ce spectacle et en eut quelque honte. Alors il retira sa main et dit : "Si tu n'as pas conseillé aux Rhodiens de me faire du mal, je ne te ferai pas de mal. Si tu leur a montré le bon chemin et qu'ils ne t'ont pas suivi, je te vengerai. Il est clair que j'ai subi des injustices. La première, c'est quand j'ai demandé de l'aide et que je fus injurié par mes instructeurs et nourriciers. Ensuite quand ils ont préféré Dolabella à moi-même : Dolabella, qu'ils n'avaient ni nourri ni éduqué. Et le pire, Rhodiens qui aimez la liberté, c'est que moi, Brutus et et les hommes les plus nobles du sénat, que vous voyez ici, nous étions des fugitifs de la tyrannie qui essayaient de libérer leur pays, alors que Dolabella cherchait à l'asservir pour d'autres, que vous favorisez également tout en feignant de rester neutres dans nos guerres civiles. Ce serait une guerre civile si nous aussi nous visions la puissance suprême, mais c'est uniquement une guerre de la république contre la monarchie. Et vous, qui faites appel à moi au nom de votre propre liberté, vous avez refusé l'aide à la république. Tout en professant l'amitié pour les Romains vous n'avez aucune pitié pour ceux qui sont condamnés à la mort et à la confiscation sans procès. Vous feignez de vouloir entendre la voix du sénat, qui souffre de ces maux et ne peut pas encore se défendre. Mais le sénat vous avait répondu à l'avance quand il a décrété que tous les peuples de l'Orient devraient aider Brutus et moi-même. [4,70] "Tu rappelles nous avoir avez aidé quand nous nous nous étendions (vous en avez reçu des bienfaits et des récompenses en abondance), mais tu oublies que dans notre adversité vous n'avez pas combattu avec nous pour la liberté et la sécurité. Même si nous n'avions eu aucune relation avec vous, vous auriez dû, comme doriens, au moins combattre volontairement pour la défense de la république romaine. Au lieu de penser et faire ainsi, vous nous citez des traités - traités conclus avec vous par Caius César, le chef de la monarchie - et ces traités aussi indiquent que les Romains et les Rhodiens se porteront mutuelle assistance en cas de besoin. Aidez donc les Romains au moment où ils sont dans un péril extrême ! C'est Cassius qui vous rappelle ces traités et qui réclame votre aide pour la guerre - Cassius, un citoyen romain et un général romain, à qui, comme le décret du sénat l'indique, tous les pays au delà de l'Adriatique doivent obéir. Ces mêmes décrets vous sont rappelés par Brutus, et aussi par Pompée, qui a reçu du sénat le commandement de la mer. En plus de ces décrets il y a les prières de tous ces sénateurs qui ont fui, certains chez moi et chez Brutus, d'autres chez Pompée. Le traité stipule que les Rhodiens fourniront de l'aide aux Romains même dans les cas où la demande est faite par de simples individus. Si vous ne nous considérez pas comme des généraux ou même comme des Romains, mais comme des exilés, ou comme des étrangers, ou comme des personnes condamnées (c'est ainsi que ceux qui nous ont proscrit nous appellent), Rhodiens, vous ne devez pas traiter avec nous mais avec le peuple romain. Étant des étrangers et n'ayant rien à voir avec les traités, nous vous combattrons à moins que vous obéissiez absolument à nos ordres. " [4,71] Après cette remarque ironique Cassius renvoya Archelaus. Pendant ce temps Alexandre et Mnaseas, les chefs rhodiens, prirent la mer avec leurs 33 navires pour aller à la rencontre de Cassius à Myndus, espérant le surprendre par la soudaineté de leur attaque. Ils fondaient leurs espoirs naïvement en considérant que c'était lorsqu'ils naviguaient vers Myndus contre Mithridate qu'ils avaient remporté la guerre. Afin de montrer leur habileté à la rame il s'arrêtèrent le premier jour à Cnide. Le jour suivant ils rencontrèrent les forces de Cassius en haute mer. Ce dernier étonné sortit en mer contre eux, et ce fut une bataille de force et de puissance des deux côtés. Les Rhodiens avec leurs navires légers s'élancèrent rapidement vers la ligne de l'ennemi, les contournèrent et les attaquèrent par l'arrière. Les Romains avaient des navires plus lourds, et chaque fois qu'ils pouvaient en venir aux mains, ils l'emportaient, comme dans un combat terrestre, par leur plus grande impétuosité. Cassius, parce que sa flotte était plus nombreuse, était capable d'encercler ses ennemis, et alors ces derniers ne pouvaient plus le contourner et attaquer sa ligne. Quand ils ne purent uniquement l'attaquer par devant et reculer, leur compétence navale fut sans résultat dans l'espace étroit où ils étaient confinés. L'enfoncement avec leurs éperons et les décharges contre les bateaux romains plus lourds faisaient peu de dégâts, alors que ceux des Romains contre des navires plus légers étaient plus efficaces. Finalement trois bateaux rhodiens furent capturés avec leurs équipages, deux furent démolis et coulèrent, et le reste s'enfuit endommagé à Rhodes. Tous les navires romains revinrent à Myndus, où ils furent réparés, la plupart d'entre eux avaient également subi des dommages. [4,72] Tel fut le résultat de la bataille navale entre Romains et Rhodiens à Myndus. Cassius observa le combat d'une montagne. Quand il eut réparé ses navires il fit voile vers Loryma, une place fortifiée appartenant aux Rhodiens sur le continent en face de l'île, d'où il envoya ses fantassins sur des vaisseaux de transport sous le commandement de Fannius et de Lentulus. Il avança en personne avec quatre-vingts navires équipés de façon à provoquer la terreur. Il encercla Rhodes avec ses forces terrestres et navales, et ne bougea plus, comptant que l'ennemi montrerait des signes de faiblesse. Mais ils firent une sortie par mer avec vaillance et, après avoir perdu au moins deux navires, ils furent enfermés de tous les côtés. Alors ils se précipitèrent sur les murs, entassèrent des projectiles, et résistèrent en même temps aux soldats de Fannius, qui les attaquaient du côté de la terre, et de Cassius, qui avançait avec sa force navale, disposé à attaquer les remparts qui les défendaient du côté de la mer. Prévoyant, il avait apporté avec lui des tours repliées, qui furent alors relevées. Telle était Rhodes après avoir subi deux défaites navales, cernée par terre et par mer, et, comme cela arrive souvent dans une événement soudain et inattendu, complètement incapable de soutenir un siège; alors il fut évident que la ville allait rapidement être prise d'assaut ou par la famine. Les plus intelligents des Rhodiens s'en rendirent compte et entreprirent des pourparlers avec Fannius et Lentulus. [4,73] Tandis que ces choses se passaient, Cassius apparut soudainement au milieu de la ville avec des soldats d'élite, sans avoir employé la violence ni utilisé d'échelles. La plupart des gens pensèrent, (et cela semble vrai), que des citoyens qui lui étaient favorables avaient ouvert de petites portes, parce qu'ils étaient poussés par la pitié pour la ville et par la peur de la famine. C'est ainsi que Rhodes fut prise; et Cassius s'installa au tribunal et planta une lance à ses côtés pour montrer qu'il avait pris la ville par la lance. Il donna des ordres stricts à ses soldats de rester tranquilles, et menaça de mort ceux qui recourraient à la violence ou au pillage, il cita le nom d'environ cinquante citoyens, et quand on les lui amena, il les fit mettre à mort. D'autres, qu'on ne trouva pas, aux environs de vingt-cinq, furent bannis. Tout l'argent qu'on trouva, qu'il soit en or ou en argent, dans les temples et dans le trésor public, fut pris, et il ordonna aux citoyens privés qui en possédaient de le lui apporter un jour déterminé, promettant la mort à ceux qui le cacheraient, ainsi qu'une récompense d'un dixième aux délateurs et à la liberté en plus si le délateur était un esclave. Dans un premier temps beaucoup cachèrent ce qu'ils possédaient, espérant que finalement la menace ne serait pas mise à exécution, mais quand ils virent les récompenses payées et ceux qui avaient été dénoncés punis, ils prirent peur et ayant obtenu qu'on fixe un autre jour, certains d'entre eux retirèrent leur argent de terre, d'autres le remontèrent hors des puits, et d'autres l'apportèrent des tombeaux, en quantité beaucoup plus grandes que la première fois. [4,74] Telles furent les calamités qui s'abattirent sur les Rhodiens. Lucius Varus y fut laissé comme responsable avec une garnison. Cassius, bien que ravi de la rapidité de la prise et de la quantité d'argent prises, néanmoins il ordonna à tous les autres peuples de l'Asie de payer le tribut de dix ans, et c'est ce qu'ils firent en très peu de temps. On apprit alors que Cléopâtre était sur le point prendre la mer avec une grande flotte et de grands approvisionnements pour Octave et Antoine. Elle avait épousé leur cause d'abord à cause de ses relations avec le premier César, et maintenant elle l'épousait d'autant plus à cause de sa peur de Cassius. Ce dernier envoya Murcus, avec une légion de soldats d'élite, avec des d'archers et avec soixante navires cuirassés, vers le Péloponnèse, pour se mettre en embuscade à proximité du cap Ténare; et de prendre autant de butin qu'il pouvait du Péloponnèse. [4,75] Nous allons maintenant parler de Brutus en Lycie, en rappelant d'abord sur qui a été dit plus haut afin de nous rafraîchir la mémoire. Quand il reçut une armée d'Apuleius que ce dernier commandait, ainsi que 16.000 talents en argent qu'Apuleius avait reçu comme tribut de l'Asie, il passa en Béotie. Le sénat décréta qu'il devait employer cet argent pour ses besoins et qu'il devrait prendre le commandement de la Macédoine et de l'Illyrie aussi; il prit possession des trois légions qui se trouvaient en Illyrie, qui Vatinius, l'ancien gouverneur d'Illyrie, lui céda. Ensuite il captura Gaius, le frère de Marc Antoine, en Macédoine. Il ajouta quatre nouvelles légions à celles qu'il possédait, de sorte qu'il avait huit légions en tout, la plupart ayant servi sous Caius César. Il avait une grande force de cavalerie, de soldats armés légèrement et d'archers. Il faisait grand cas de ses soldats macédoniens et il les avait exercés à la romaine. Alors qu'il rassemblait toujours des soldats et de l'argent, la chance lui vint de Thrace : Polemocratia, l'épouse d'un des princes thraces, craignant pour son fils, qui était alors tout jeune, emmena le garçon à Brutus, qu'elle lui laissa ainsi que les trésors de son mari. Brutus laissa le garçon aux habitants de Cyzique pour le garder jusqu'à ce qu'il ait le temps de lui récupérer son royaume. Parmi les trésors il trouva une quantité inattendue d'or et d'argent. [4,76] Il la frappa à son nom et la convertit en devises. Quand Cassius partit décidé à réduire d'abord les Lyciens et les Rhodiens, Brutus s'occupa d'abord des habitants de Xanthus en Lycie. Ces derniers détruisirent leurs banlieues pour que Brutus ne puis s'y installer ni y trouver des matériaux. Ils entourèrent également la ville d'un fossé et d'un remblai de plus de cinquante pieds de long et d'une largeur correspondante : c'est de là qu'ils combattirent. Ils se tenaient sur de remblai pour lancer des traits et des flèches comme s'ils étaient protégés par un fleuve infranchissable. Brutus investit la place, installa des mantelets pour ses hommes, divisa son armée en forces de jour et de nuit, fit venir du matériel de loin, les pressant et les encourageant comme s'il s'agissait d'un concours, et n'épargnant ni son ardeur ni son travail. Ainsi ce travail qui semblait presque impossible face à l'opposition de l'ennemi ou qui aurait dû demander des mois, il l'accomplit en quelques jours, et les Xanthiens furent alors soumis à un siège en règle. [4,77] Brutus les attaqua tantôt les murs avec des béliers, tantôt il assaillait les portes avec son infanterie, qu'il changeait continuellement. Les défenseurs étaient toujours opposés à des soldats frais et bien que fatigués et blessés de partout, ils résistèrent aussi longtemps que leurs parapets tinrent. Quand ceux-ci furent abattus et les tours renversées, Brutus, prévoyant ce qui allait se produire, ordonna à ceux qui attaquaient les portes de se retirer. Les Xanthiens, pensant que les ennemis abandonnaient leurs travaux et qu'il n'y avait plus de surveillance, s'élancèrent durant la nuit avec des torches pour mettre le feu aux machines. Aussitôt les Romains sur un mot d'ordre les attaquèrent, et ils se sauvèrent alors vers les portes, dont les gardes les fermèrent avant qu'ils n'y entrent, craignant que l'ennemi ne s'y précipite en même temps qu'eux et il y eut un grand carnage de Xanthiens devant les portes fermées. [4,78] Peu après les autres firent un sortie aux environs de midi, et en se retirant ils mirent le feu à toutes les machines. Comme les portes leur étaient restées ouvertes à cause de la calamité précédente, environ 2000 Romains s'engouffrèrent en même temps qu'eux. Alors que d'autres poussaient à l'entrée les portes s'abattirent soudain sur eux, soit machination des Xanthiens soit rupture accidentelle des cordes, de sorte qu'une partie des Romains qui s'engouffraient furent écrasés et les autres trouvèrent leur retraite coupée, car ils ne pouvaient soulever la porte sans appareil de levée. Frappés par des traits lancés sur eux par les Xanthiens depuis les toits dans les rues étroites, ils forcèrent un chemin avec difficulté jusqu'à ce qu'ils arrivent au forum, qui n'était pas loin, et là ils surmontèrent les forces qui étaient en face d'eux, mais, accablés par les volées de flèches et n'ayant eux-mêmes ni arcs ni javelines, ils se réfugièrent dans le temple de Sarpédon pour ne pas être encerclés. Les Romains qui se trouvaient hors des murs étaient anxieux et inquiets pour ceux qui se trouvaient à l'intérieur, et essayaient tous les expédients, Brutus courait de ci de là, mais ils ne pouvaient casser les portes, qui étaient protégées avec du fer, ni pouvaient avoir des échelles ou des tours puisqu'on les avait brûlées. Néanmoins certains d'entre eux construisirent des échelles improvisées, et d'autres poussèrent des troncs d'arbres contre les murs et les levèrent comme des échelles. D'autres encore attachèrent à des cordes des crochets de fer et lancèrent sur les murs, et chaque fois qu'ils s'accrochaient, aussitôt ils montaient [4,79] Les Oenandiens, qui étaient voisins des Xanthiens, et qui s'étaient alliés à Brutus en raison de leur hostilité envers ceux-ci, escaladèrent les murs à partir des rochers escarpés. Quand les Romains les virent ils les imitèrent avec intrépidité. Beaucoup tombèrent, mais certains escaladèrent le mur et ouvrirent une petite porte, défendue par une palissade très épaisse, et accueillirent les plus audacieux des assaillants, qui étaient suspendus au-dessus des palissades. Étant maintenant plus nombreux ils commencèrent à s'attaquer aux portes, qui n'étaient pas protégées avec du fer à l'intérieur, alors que d'autres s'y attaquaient de l'extérieur pour les aider. Tandis que le Xanthiens, en poussant des cris, se précipitaient sur les Romains qui se trouvaient dans le temple de Sarpedon, les Romains à l'intérieur et à l'extérieur, qui démolissaient les portes, craignant pour leurs camarades, luttaient avec beaucoup d'ardeur. Enfin ils les cassèrent et se précipitèrent en foule au coucher du soleil, avec un grand cri convenu comme signal pour ceux qui se trouvaient dans le temple. [4,80] Quand la ville fut prise, les Xanthiens se précipitèrent vers leurs maisons et tuèrent ceux qui leur étaient chers : tous s'offrirent volontairement au carnage. En entendant des cris de lamentation, Brutus pensa que le pillage continuait, et il donna des ordres à son armée pour le faire cesser; mais quand il sut ce qui s'était passé, il eut de la commisération pour l'esprit de liberté des citoyens, et envoya des messagers pour conclure un traité. Ils lancèrent des projectiles vers les messagers, et, après avoir massacré leurs propres familles, ils placèrent les corps sur des bûchers, qu'ils avaient précédemment érigés dans leurs maisons, y mirent le feu, et s'égorgèrent. Brutus sauva le plus de temples qu'il put, mais il ne captura que les esclaves des Xanthiens; et parmi les citoyens quelques femmes libres et à peine 150 hommes. Ainsi pour la troisième fois les Xanthiens périrent de leurs propres mains à cause de leur amour pour la liberté; une fois quand la ville fut assiégée par Harpagus, le Mède, général de Cyrus le Grand : ils se tuèrent de la même manière plutôt que d'être asservis, et la ville devint alors le tombeau des Xanthiens prisonniers d'Harpagus; et on raconte qu'ils ont souffert un destin semblable des mains d'Alexandre, le fils de Philippe, car ils ne supportaient pas de lui obéir même après qu'il soit devenu le maître de presque tout l'univers. [4,81] Brutus descendit de Xanthos à Patara, une ville qui ressemblait au port des Xanthiens. Il l'encercla avec son armée et ordonna aux habitants de lui obéir en toutes choses, sous peine de subir le destin des Xanthiens. Des Xanthiens leur dirent qu'ils déploraient leurs propres malheurs et leur conseillèrent d'adopter une meilleure façon de faire. Comme les habitants de Patara ne répondaient aux Xanthiens, Brutus leur donna le reste de la journée pour examiner la question, et il s'en alla. Le matin suivant il fit avancer ses troupes. Les habitants de Patara crièrent des murs qu'ils obéiraient à tous ses ordres et ils ouvrirent leurs portes. Il y entra, mais ne tua ni ne bannit personne : il les ordonna de lui livrer l'or et l'argent que la ville possédait, et que chaque citoyen lui apporter ses biens privés avec les mêmes peines et les même récompenses pour les délateurs que celles proclamées par Cassius à Rhodes. Ils obéirent à son ordre. Un esclave témoigna que son maître avait caché son or et le montra à un centurion envoyé pour le récupérer. Toutes les parties furent amenées devant le tribunal. Le maître resta silencieux, mais sa mère, qui l'avait suivi afin de sauver son fils, déclara que c'était elle qui avait caché l'or. L'esclave, sans qu'on lui demande, contesta ce qu'elle disait, prétendit qu'elle mentait et que c'était son maître qui l'avait caché. Brutus approuva le silence du jeune homme et eut de la sympathie pour la peine de sa mère. Il leur permit de s'en aller sains et saufs et de reprendre leur or avec eux, et il fit crucifier l'esclave pour son trop grand zèle à accuser ses maîtres. [4,82] Au même moment Lentulus, qui avait été envoyé à Andriace, le port des Myréens, cassa la chaîne qui fermait le port et entra dans Myra. Comme les habitants obéirent à ses ordres, il rassembla l'argent comme à Patara et retourna chez Brutus. La confédération de Lycie envoya des ambassadeurs à Brutus en lui promettant de former une ligue militaire avec lui et de contribuer avec tout l'argent qu'ils pouvaient. Il leur imposa des impôts et il renvoya les Xanthiens libres dans leur ville. Il ordonna à la flotte des Lyciens ainsi qu'à ses propres navires, de faire voile vers Abydus; c'est là qu'il devait rejoindre ses forces terrestres et attendre Cassius, qui venait d'Ionie, pour aller ensemble vers Sestus. Quand Murcus, qui était dans le Péloponnèse à attendre Cléopâtre, apprit que la flotte de celle-ci avait été endommagée par un orage sur la côte libyenne, et qu'il vit des épaves emmenées par les vagues jusqu'en Laconie, et sut qu'elle était rentrée chez elle avec difficulté et complètement démoralisée, il partit pour Brundusium afin de ne pas rester à ne rien faire avec une si grande flotte. Il mit l'ancre sur l'île qui se trouvait en face du port, et empêcha le reste de l'armée et des approvisionnements de l'ennemi de passer en Macédoine. Antoine le combattit avec les quelques navires de guerre qu'il possédait, et avec les tours qu'il avait montées sur des radeaux, chaque fois qu'il envoyait des détachements de son armée sur des transports, attendant un vent fort provenant de la terre, pour qu'ils ne puissent être capturés par Murcus. Comme la situation se dégradait, il réclama l'aide d'Octave, qui combattait sur l'eau contre Sextus Pompée le long de la côte de Sicile pour la possession de cette île. [4,83] Du côté de Pompée voici quelle était la situation. Comme plus jeune fils de Pompée le Grand, il avait été d'abord méprisé par Caius César en Espagne comme incapable d'accomplir quelque chose d'important à cause de son jeune âge et de son manque d'expérience. Il erra dans l'océan avec quelques partisans, se livrant à la piraterie et cachant le fait qu'il était Pompée. Quand beaucoup le rejoignirent pour piller et que ses forces furent puissantes, il dévoila son nom. A ce moment-là ceux qui avaient servi sous son père et son frère, et qui menaient une vie de vagabond, le considérèrent normalement comme leur chef, et Arabion, qui avait été privé de son royaume héréditaire, comme je l'ai rapporté plus haut, le rejoignit d'Afrique. Ses forces grossirent ainsi, ses actions étaient maintenant plus importantes que le vol, et comme il passait d'un endroit à un autre le nom de Pompée s'étendit à travers toute l'Espagne, qui était la plus étendue des provinces; mais il évita à s'engager contre les gouverneurs nommés par Caius César. Quand César apprit ses exploits il envoya Carinas avec une armée plus puissante pour le combattre. Mais Pompée, étant le plus agile des deux, se montrait et puis disparaissait, et ainsi il gêna son ennemi et prit possession d'un certain nombre de villes, grandes et petites. [4,84] Alors César envoya Asinius pour remplacer Carinas et poursuivre la guerre contre Pompée. Alors qu'ils continuaient la guerre sur un pied d'égalité, César fut assassiné et le sénat rappela Pompée. Ce dernier se rendit à Massilia et de là il observa le cours des événements à Rome. Après avoir été nommé commandant de la mer avec les mêmes pouvoirs que son père avait eus, il ne rentra pas alors à Rome, mais prenant les navires qu'il trouva dans les ports et les joignant avec ceux qu'il avait amenés d'Espagne, il prit la mer. Quand le triumvirat s'installa il partit pour la Sicile, et comme Bithynicus, le gouverneur, ne lui cédait pas l'île, il l'assiégea jusqu'à ce qu'Hirtius et Fannius, deux hommes qui avaient été proscrits et qui avaient fui Rome, persuadèrent Bithynicus de rendre la Sicile à Pompée. [4,85] C'est ainsi que Pompée s'empara de la Sicile, et il possédait aussi des bateaux, et une île en face de l'Italie, et une armée, maintenant de taille considérable, composée de ceux qu'il avait avec lui auparavant et de ceux qui avaient fui Rome, hommes libres et esclaves, ou de ceux qui lui avaient été envoyés par les villes italiennes qui avaient été promises aux soldats comme prix de la victoire. Ces villes redoutaient plus que tout une victoire des triumvirs, et tout ce qu'elles pouvaient faire contre eux en cachette, elles le faisaient. Les citoyens riches fuyant un pays qu'ils ne pouvaient plus considérer comme leurs propre trouvaient refuge chez Pompée, parce qu'il se trouvait tout près et qu'il était à ce moment-là fort aimé de tous. Il y avait avec lui également beaucoup de marins d'Afrique et d'Espagne, habiles dans les affaires maritimes, de sorte que Pompée était bien pourvu d'officiers, de navires, de troupes, et d'argent. Quand Octave apprit cela, il envoya Salvidienus avec une flotte, comme si c'était une tâche facile d'aborder Pompée et de le détruire. Alors qu'il traversait lui-même l'Italie dans l'intention de rejoindre Salvidienus à Rhegium. Pompée s'avança avec une grande flotte à la rencontre de Salvidienus, et une bataille navale eut lieu entre eux à l'entrée des détroits près du promontoire de Scyllaeum. Les navires de Pompée, plus légers et équipés de meilleurs marins, l'emportaient en rapidité et en habileté, alors que ceux des Romains, de gros tonnage et de forte taille, peinaient. Quand les vagues habituelles se précipitèrent à travers les détroits, et que la mer les fracassait l'un contre l'autre à cause du courant, les équipages de Pompée souffrirent moins que leurs adversaires, parce qu'ils étaient accoutumés à l'agitation des eaux; tandis que ceux de Salvidienus, n'ayant pas le pieds marin par manque d'habitude, et ne pouvant pas faire fonctionner leurs avirons, ou contrôler leurs gouvernails de direction, furent en pleine confusion. C'est pourquoi, au coucher du soleil, Salvidienus fut le premier à donner le signal de la retraite. Pompée se retira également. Les navires souffrirent des deux côtés. Salvidienus se retira au port de Balarus, faisant face aux détroits, où il fit réparer ce qui avait été endommagé et détruit dans sa flotte. [4,86] Quand Octave arriva il promit solennellement aux habitants de Rhegium et de Vibo qu'ils ne seraient pas repris dans la liste des prix de la victoire, parce que il les craignait à cause de leur proximité des détroits. Comme Antoine lui avait demandé de venir en hâte, il leva les voiles pour rejoindre ce dernier à Brundusium, laissant la Sicile et Pompée sur sa gauche; et remettant la conquête de l'île à plus tard. À l'approche d'Octave, Murcus se retira à petite distance de Brundusium pour ne pas se trouver entre Antoine et Octave, et de là il observa le passage des navires qui transportaient l'armée de Brundusium en Macédoine. Ces derniers étaient escortés par des trirèmes, mais un vent fort et favorable s'étant levé, ils traversèrent en toute sécurité, sans avoir besoin d'aucune escorte. Murcus fut vexé, mais il s'installa pour attendre le retour des navires vides. Pourtant ceux-ci revinrent, prirent à leur bord le reste des soldats, et firent de nouveau voile jusqu'à ce que l'armée entière, ainsi qu'Octave et Antoine, aient traversé. Bien que Murcus vît ses plans ruinés par la fatalité, il garda cependant sa position, afin de gêner autant que possible le passage des munitions et des approvisionnements de l'ennemi, ou des troupes supplémentaires. Domitius Ahenobarbus fut envoyé par Brutus et Cassius pour l'aider dans ce travail, qu'ils considéraient de la plus grande utilité, ainsi que cinquante navires supplémentaires, une légion, et un corps d'archers; comme les triumvirs n'avaient pas d'approvisionnement abondant venant d'ailleurs, il semblait important de détruire leurs convois venant d'Italie. [4,87] Et ainsi Murcus et Domitius, avec leurs 130 navires de guerre, un plus grand nombre encore de petits et leurs grandes forces militaires, naviguaient çà et là pour harceler leurs ennemis. Pendant ce temps Decidius et Norbanus, qu'Octave et Antoine avaient envoyé devant avec huit légions en Macédoine, s'avança de là sur une distance de 1500 stades vers la partie montagneuse de la Thrace jusqu'à ce qu'il dépasse la ville de Philippes, et s'empara des défilés des Corpiliens et des Sapaeiens, tribus obéissant à Rhascupolis : c'était la seule route connue pour passer d'Asie vers l'Europe. Ce fut le premier obstacle rencontré par Brutus et Cassius qui naviguaient d'Abydos vers Sestos. Rhascupolis et Rhascus étaient deux frères de la famille royale de Thrace, régnant sur cette région. Ils n'étaient pas d'accord à ce moment-là sur l'alliance qu'ils allaient faire. Rhascus prit les armes pour Antoine et Rhascupolis pour Cassius, chacun avec 3000 chevaux. Quand les partisans de Cassius vinrent pour se renseigner sur les routes, Rhascupolis leur indiqua que celle qui passait par Aenus et Maronea était la plus courte et l'itinéraire habituel et le plus fréquenté, mais qu'il passait par les gorges des Sapaeiens, qui étaient occupées par l'ennemi et par conséquent il était infranchissable, mais la route qui en faisait le tour était difficile et trois fois plus longue. [4,88] Brutus et Cassius, pensant que l'ennemi n'avait pas pris cette position pour leur fermer le passage s'en allèrent vers la Thrace au lieu de la Macédoine pour faire des provisions; ils marchèrent vers Aenus et Maronea d'où ils allèrent vers Lysimacheia et Cardia, qui entourent l'isthme de la Thrace Chersonèse comme des portes. Le jour suivant ils arrivèrent au golfe de Mélas. Là il passèrent en revue leur armée qui contenait en tout dix-neuf légions. Brutus en avait huit et Cassius neuf, aucune à pleins effectifs; ils avaient deux légions qui avaient leurs effectifs presque complets, de sorte qu'ils avaient environ 80.000 fantassins. Brutus avait 4000 cavaliers gaulois et lusitaniens, sans compter 2000 Thraces, Illyriens, Parthes et Thessaliens. Cassius avait 2000 cavaliers espagnols et gaulois et 4000 archers à cheval Arabes, Mèdes et Parthes. Les rois alliés et les tétrarques des Galates en Asie le suivaient, emmenant de nombreuses troupes auxiliaires d'infanterie et environ 5000 chevaux. [4,89] XII. Telle était la grandeur de l'armée passée en revue par Brutus et Cassius au golfe de Mélas, et avec laquelle ils allèrent au combat, laissant le reste de leurs forces servir ailleurs. Après avoir accompli une lustration pour l'armée, ils achevèrent le paiement des primes promises aux soldats. Ils avaient prévu de l'argent en abondance pour les amadouer par des cadeaux, surtout le grand nombre qui avait servi sous Caius César, de peur que la vue ou le nom du jeune César, qui avançait, ne les fasse changer d'avis. C'est pour cette raison aussi qu'ils considérèrent qu'il valait mieux s'adresser aux soldats publiquement. Une grande tribune fut installée, sur laquelle les généraux prirent place, accompagnés uniquement des sénateurs. Les soldats, leurs proches et leurs alliés, placés autour d'eux, plus bas, furent remplis de joie à la vue de leur foule immense: c'était la force la plus puissante qu'ils n'avaient jamais vue. Pour les deux généraux, commander à tant de personnes était une source aussi d'espoir et de courage renforcés. Ceci plus que tout autre chose confirma la fidélité de l'armée aux généraux, parce que les espoirs communs produisent de bons sentiments. Il y avait beaucoup de bruit, comme c'est normal en de telles occasions. Les hérauts demandèrent le silence à coups de trompettes, et, quand celui-ci fut obtenu, Cassius, qui était l'aîné des deux, s'avança devant ses compagnons et parla ainsi: [4,90] "C'est un péril commun, comme c'est le cas actuellement, soldats, qui est la première chose qui nous lie les uns aux autres dans une fidélité commune. La seconde qui nous lie, c'est que nous vous avons donné tout que nous avons promis, et c'est la garantie la plus sûre pour ce que nous vous avons promis pour après. Tous nos espoirs reposent dans le courage - votre courage, soldats -, et le courage de ceux que vous voyez sur cette plateforme, ce grand et noble corps de sénateurs. Nous avons, comme vous le voyez, les munitions les plus abondantes pour la guerre, les approvisionnements, les armes, l'argent, les navires et les troupes auxiliaires des provinces romaines et des rois alliés. Pourquoi est-il nécessaire, alors, de vous exhorter avec des discours pour vous rendre braves et unanimes, vous qu'un seul but et des intérêts communs ont rassemblés? Quant aux calomnies que ces deux hommes, nos ennemis, ont jetés contre nous, vous les connaissez parfaitement, et c'est pour cette raison que vous étiez prêt à prendre les armes avec nous. Pourtant il semble approprié d'expliquer nos raisons une fois de plus. Celles-ci vous prouveront que notre cause est la plus honorable et la plus juste pour la guerre. [4,91] "Nous avons élevé César aux sommets, en le servant dans les guerres en même temps que vous et commandant sous ses ordres. Nous avons continué à être ses amis pendant tellement de temps que personne ne peut imaginer que nous avons conspiré contre lui pour quelque rancune privée que ce soit. C'est pendant la paix qu'il a fauté, non contre nous, ses amis (nous avons été honorés par lui même parmi ses amis), mais contre les lois, contre le bon ordre du gouvernement. Il n'y a jamais eu de loi suprême, ni aristocratique ni plébéienne, sauf les institutions que nos pères ont établies quand ils ont expulsé les rois et ont juré de ne plus jamais accepter un gouvernement royal. Nous, descendants des hommes qui ont ainsi juré, nous avons soutenu ce serment et écarté la malédiction de nous-mêmes. Nous ne pouvions plus supporter que cet un homme, bien qu'il fût notre ami et notre bienfaiteur, puisse obtenir du peuple le contrôle de l'argent public, des armées, et des élections, et obtenir du sénat la nomination des gouverneurs des provinces; qu'il serait la loi à la place des lois, un souverain au lieu du peuple, un autocrate au lieu du sénat, dans tous les domaines. [4,92] "Peut-être vous ne vous en êtes pas aperçus exactement et vous n'avez vu que son courage lors de la guerre. Pourtant vous pouvez facilement vous en faire une idée maintenant en regardant le côté qui vous concerne. Vous, le peuple, quand vous allez à la guerre, vous obéissez à vos généraux en toutes choses comme s'ils étaient vos maîtres, mais en temps de paix vous reprenez le pouvoir sur nous. Le sénat délibère d'abord, pour que vous ne vous trompiez pas, mais vous décidez pour vous-mêmes; vous votez par tribus, ou par centuries; vous choisissez les consuls, les tribuns, les préteurs. Lors des comices vous donnez votre avis sur les questions principales, et vous nous récompensez et nous punissez quand nous avons mérités d'être récompensés et punis. Cet équilibre des forces, citoyens, a mené l'empire au sommet de la fortune et a conféré les honneurs à ceux qui étaient dignes de lui, et ces hommes ainsi honorés vous en ont rendu des services. En vertu de ce pouvoir vous avez fait Scipion consul quand vous avez été témoins de ses exploits en Afrique, et vous élisez qui vous voulez chaque année comme tribuns, pour vous opposer à nous quant il le faut. Mais à quoi bon répéter tant de choses que vous savez déjà? [4,93] "Mais au moment où César a pris le pouvoir, vous n'avez plus élu aucun magistrat, que ce soit un préteur, un consul ou un tribun. Vous n'avez témoigné en faveur de personne, et si vous l'avez fait on ne vous en a pas récompensé. En un mot, personne n'a eu besoin de votre accord pour une magistrature ou un gouvernement, pour approuver ses comptes ou l'acquitter lors d'un procès. Et pire chose de toutes, vous n'avez pas pu empêcher que vos tribuns soient insultés : votre propre magistrature perpétuelle que vous avez rendue sacrée et inviolable. Et vous avez vu que ces hommes inviolables dépouillés avec mépris de cette charge inviolable, et de leurs vêtements sacrés, sans procès, sur l'ordre d'un homme, parce que en votre nom ils semblaient vouloir s'attaquer à certaines personnes qui souhaitaient le proclamer roi. Les sénateurs furent profondément affligés pour vous, parce que la charge de tribun est la vôtre, pas la leur. Mais ils ne pouvaient pas censurer cet homme ouvertement ou ni lui faire un procès en raison des forces des armées qui, bien que jusqu'ici appartenaient à la république, étaient devenues ses propres forces. Ainsi ils adoptèrent la seule méthode qui restait pour écarter la tyrannie, et c'était de conspirer contre la personne du tyran. [4,94] "La décision devait être prise par les hommes les meilleurs, mais le travail exécuté par quelques uns. Quand cela fut terminé le sénat exprima clairement sa totale approbation en proposant des récompenses aux tyrannicides. Mais comme Antoine les en empêcha sous prétexte que cela mènerait au désordre, et comme il n'était pas de notre intention de porter secours à Rome pour une récompense, mais seulement pour l'amour de la patrie, les sénateurs se sont abstenus, ne souhaitant pas insulter César, mais se débarrasser seulement de la tyrannie. Ainsi ils votèrent l'amnistie pour tous, et on décréta plus particulièrement qu'il n'y aurait aucune poursuite pour le meurtre. Ensuite, lorsqu'Antoine excita la foule contre nous, le sénat nous donna le commandement des plus grandes provinces et des armées, et ordonna à tous les pays entre la Syrie et l'Adriatique de nous obéir. En faisant cela nous ont-ils punis comme des monstres, ou nous ont-ils plutôt distingués comme tyrannicides avec le pourpre royal et avec les faisceaux et les haches? C'est pour la même raison que le sénat a rappelé d'exil Pompée le cadet (il n'avait rien à voir dans cette conspiration) parce qu'il était le seul fils de Pompée le Grand, qui prit la première fois les armes pour défendre la république, et parce que le jeune homme s'était quelque peu opposé à la tyrannie en temps que citoyen privé en Espagne. Il a fait voter un décret de lui payer, sur les fonds publics, la valeur de la propriété de son père, et elle l'a nommé amiral pour qu'il ait un commandement parce qu'il était du côté de la république. Que pourrait-on demander de plus au sénat comme actes ou signe pour prouver que tout a été fait avec leur approbation, sauf de vous le dire de vive voix? Mais ils le feront et le diront, et en le disant ils vous rembourseront avec les cadeaux magnifiques, quand ils pourront parler et vous répondre. [4,95] "Vous connaissez la situation actuelle. Ils sont proscrits sans jugement, et leurs biens sont confisqués. Sans être condamnés, ils sont mis à la mort dans leurs maisons, en rue, dans des temples, par des soldats, par des esclaves, par des ennemis personnels. Ils sont traînés hors de leurs retraites et poursuivis partout, bien que les lois permettent à quiconque d'aller volontairement en exil. Dans le forum, où nous n'avons jamais porté la tête d'un ennemi, mais seulement les armes prises et les rostres des navires, on exhibe les têtes de ceux qui furent consuls, préteurs, tribuns, édiles et celles de chevaliers. On donne des récompenses pour ces horreurs. C'est une résurgence de toutes les blessures qui venaient d'être guéries - l'arrestation soudaine de gens, et les infamies perpétrées par des épouses, des fils, des affranchis et des esclaves. Voilà la situation difficile et les malheurs qui se sont abattus sur la ville. Les chefs de ces misérables sont les triumvirs, qui proscrivent d'abord leurs propres frères et oncles et intendants. L'histoire nous rapporte que la ville par le passé fut prise par des barbares les plus sauvages, mais jamais les Gaulois ne coupèrent toutes les têtes, jamais ils n'ont insulté les morts, jamais ils n'ont empêché leurs ennemis de se cacher de fuir. Nous n'avons jamais traité de cette façon aucune ville que nous avons prise lors d'une guerre et nous n'avons jamais entendu dire que quelqu'un l'avait fait. De plus ce n'est pas à une ville ordinaire, mais à la maîtresse du monde, que font du tort ceux qui ont été choisis pour remettre de l'ordre et pour gérer l'état. Est-ce que Tarquin a jamais fait une chose pareille ? - Tarquin, que nos ancêtres ont chassé du trône pour un outrage à une femme sous l'influence de la passion, et pour ce seul acte, ils décidèrent de ne plus avoir de rois. [4,96] "Et pendant que les triumvirs commettent ces crimes, citoyens, ils nous appellent les maudits. Ils disent qu'ils vengent César quand ils proscrivent des hommes qui n'étaient même pas à Rome quand il fut tué. Un grand nombre de ces derniers sont ici, comme vous le voyez : ils ont été proscrits à cause de leur richesse, de leur famille ou leur préférence pour le gouvernement républicain. C'est pourquoi Pompée a été proscrit avec nous, bien qu'il fût au loin en Espagne quand nous avons accompli notre acte. Comme il était le fils d'un père républicain (raison pour laquelle il a été rappelé par le sénat et fait commandant de la mer), il a été proscrit par les triumvirs. Quelle part ont eu ces femmes dans la conspiration contre César, qui sont condamnées à payer un impôt? Quelle part ont eu ces plébéiens qui possédant des biens de plus de 100.000 drachmes ont été obligés de les soumettre à l'évaluation sous la pression des délateurs et des amendes? et en plus de nouveaux impôts et de nouvelles contributions leur ont été imposés. Et même en faisant cela, les triumvirs n'ont pas payé entièrement les sommes promises à leurs troupes, alors que nous, qui n'avons fait rien de contraire à la justice, nous vous avons donné tout que nous avons promis et avons d'autres fonds prêts pour de plus grandes récompenses encore. C'est pourquoi les dieux nous favorisent parce que ce que nous faisons est juste. [4,97] "En plus de la faveur des dieux vous pouvez voir que nous avons aussi celle des hommes en regardant vos concitoyens, que vous avez souvent connus comme vos généraux et vos consuls, et qui ont mérité vos éloges. Vous voyez qu'ils ont eu recours à nous comme à des hommes de bien et des défenseurs de la république. Ils épousent notre cause, ils offrent leurs prières et ils coopèrent avec nous pour ce qui reste à faire. Les récompenses que nous avons offertes à ceux qui les ont sauvés sont bien plus justes que celles que les triumvirs ont offertes pour leur massacre. Les triumvirs savent que nous, qui avons tué César parce qu'il voulait devenir roi, nous ne tolérerons pas qu'ils aient son pouvoir et que nous ne le voulons pas pour nous-mêmes, mais que nous rétabliront le peuple dans le gouvernement identique à celui que nous l'avons reçu de nos ancêtres. Ainsi vous voyez que les deux partis ont décidé de prendre les armes pour des raisons différentes - les ennemis visant à la monarchie et au despotisme, comme le prouvent leurs proscriptions, alors que nous ne cherchons rien que le privilège de vivre comme de simples citoyens selon les lois d'un pays libre. Naturellement les hommes qui se trouvent devant vous épousent notre cause comme les dieux l'ont fait précédemment. Dans la guerre le plus grand espoir se situe dans la justice de sa cause. [4,98] "Que personne ne s'en fasse s'il a été un soldat de César. Nous n'étions alors ses soldats, mais ceux de notre pays. La solde et les récompenses reçues ne venaient pas de César, mais de la république. C'est pourquoi vous n'êtes pas maintenant soldats de Cassius ou de Brutus, mais de Rome. Nous, généraux romains, sommes vos concitoyens. Si nos ennemis avaient la même façon de voir que nous on pourrait baisser les armes sans danger, et rendre toutes les armées à l'État, et que celui-ci choisisse ce qui serait le plus approprié. S'ils acceptent cela, nous les invitons à le faire. Puisqu'ils ne le feront pas (ils ne le pourraient pas, à cause des proscriptions et des autres choses qu'ils ont faites), allons en avant, soldats, avec une confiance totale et une franche ardeur, combattre uniquement pour la liberté du sénat et du peuple romain." [4,99] Tous s'exclamèrent "en l'avant!" et lui demandèrent de les mener au combat immédiatement. Cassius fut enchanté de leur état d'esprit, et réclama de nouveau le silence et s'adressa à nouveau à eux: "Fasse que les dieux qui président aux justes guerres et à la bonne foi récompensent votre ardeur, soldats. Laissez-moi vous dire combien vous être supérieurs à l'ennemi dans tout que la prévoyance humaine des généraux peut fournir. Nous sommes à égalité avec eux pour le nombre de légions, bien que nous ayons laissé de grands détachements nécessaires dans beaucoup d'endroits. Pour ce qui est de la cavalerie et des navires nous les surpassons considérablement, ainsi que dans les troupes auxiliaires des rois et des nations jusqu'aux Mèdes et aux Parthes. Sans compter que nous n'avons affaire qu'à un ennemi devant nous, alors que Pompée coopère avec nous en Sicile sur leurs arrières, et aussi sur l'Adriatique Murcus et Ahenobarbus avec une grandes flotte et une masse de petits navires, sans compter deux légions de soldats et un corps des archers, croisent et les harcèlent sans arrêt, alors que derrière nous la terre et la mer sont dégagés de nos ennemis. Pour ce qu'il en est de l'argent, que certains appellent le talon de la guerre, ils en manquent. Ils ne peuvent pas payer à leur armée ce qu'ils lui ont promis. Les bénéfices des proscriptions n'ont pas été à la hauteur de leurs attentes, parce qu'aucun homme de bien n'a voulu acheter des terres léguées dans la haine. Il ne peuvent obtenir des ressources d'ailleurs, puisque l'Italie est épuisée par les guerres civiles, les exactions et des proscriptions. Grâce à notre grande prévoyance, nous avons en abondance pour le présent, de sorte que nous pourrons vous donner plus sous peu, et il y a d'autres grandes sommes qui sont en train d'être récoltées chez les nations qui sont derrières nous. [4,100] "Les provisions, l'approvisionnement qui est la plus grande difficulté pour de grandes armées, ils ne peuvent les obtenir que de la Macédoine, région montagneuse, et du petit pays de Thessalie, et ils doivent les amener par voie de terre avec beaucoup de difficultés. S'ils essayent d'en obtenir d'Afrique, ou de Lucanie, ou d'Apulie, Pompée, Murcus et Domitius les en empêcheront. Nous, nous en avons en abondance, apportées tous les jours par mer sans peine de toutes les îles et de toutes les terres qui se trouvent entre la Thrace et l'Euphrate, et cela sans aucun obstacle, puisque nous n'avons aucun ennemi derrière nous. Ainsi nous avons le choix soit de hâter le combat, soit de le retarder pour faire périr l'ennemi de faim. Tels sont, soldats, nos énormes préparatifs, pour ce qui en est de la prévoyance humaine. Le résultat de tous ces préparatifs dépend de vos efforts et de l'aide des dieux. De même que nous vous avons payé tout que nous vous avons promis pour vos exploits précédents et que nous avons récompensé votre fidélité par des cadeaux abondants, de même pour cette grande bataille, avec la faveur des dieux, nous vous offrirons une récompense digne d'elle. Et maintenant, pour augmenter le zèle que vous avez toujours eu pour votre tâche, et en mémoire de cette assemblée et de ces paroles, nous ajouterons une prime provenant de cette tribune : 1500 drachmes italiques à chaque soldat, à chaque centurion cinq fois cette somme, et à chaque tribun en proportion." [4,101] Sur ces paroles et après avoir mis son armée en bonnes dispositions d'esprit par ses actes, ses paroles et ses cadeaux, il congédia l'assemblée. Les soldats restèrent un long moment à combler d'éloges Cassius et Brutus et à promettre de faire leur devoir. Les généraux leur comptèrent immédiatement leur l'argent, et aux plus courageux ils ajoutèrent une prime supplémentaire sous divers prétextes. Pendant qu'ils recevaient leur solde, ils furent établis en détachements en marche vers Doriscus, et les généraux eux-mêmes les suivirent peu après. Deux aigles descendirent sur les deux aigles en argent qui surmontaient les étendards, ils se mirent à leur donner des coups de bec, ou, comme d'autres le disent, à les protéger, et ils y restèrent, nourris par les généraux avec de la nourriture provenant des magasins publics jusqu'au jour précédant la bataille où ils s'envolèrent. Après avoir marché deux jours autour du golfe de Melas l'armée arriva à Aenus et de là à Doriscus et aux autres villes sur la côte jusqu'au Mont Serrium. [4,102] Comme le Mont Serrium descendait vers la mer, Cassius et Brutus retournèrent vers le continent, mais ils envoyèrent Tillius Cimber avec la flotte et une légion et quelques archers faire le tour du promontoire, qui, bien que fertile, fut autrefois abandonné parce que les Thraces n'ont pas l'habitude de la mer et évitaient la côte par crainte des pirates. Aussi les Chalcidiens et d'autres Grecs s'y installèrent et y vécurent de la mer : ils la firent s'épanouir grâce au commerce et à l'agriculture, et les Thraces y trouvèrent un grand profit dans l'échange des produits. Mais Philippe, le fils d'Amyntas, expulsa les Chalcidiens et les autres Grecs de sorte qu'il n'y avait plus aucune trace d'eux sauf des ruines de leurs temples. Tillius navigua le long de ce promontoire, qui était de nouveau abandonné, comme Cassius et Brutus lui avaient demandé de faire, prenant des mesures et repérant des endroits appropriés pour des camps, et l'approchant avec ses navires afin que les forces de Norbanus abandonnent le passage, en leur faisant croire qu'il était inutile de le tenir plus longtemps. Et c'est ce qui se passa : à la vue des navires Norbanus prit peur pour les défilés Sapéens et demanda à Decidius de se dépêcher de quitter les Corpiléens et de lui venir en aide. Dès que ce dernier passage fut abandonné, Brutus et Cassius s'y dirigèrent. [4,103] Quand le stratagème fut éventé, Norbanus et Decidius décidèrent d'occuper en force les gorges des Sapéens. Brutus et ses hommes ne purent trouver aucun passage. Ils se découragèrent de devoir alors entreprendre le périple qu'ils avaient dédaigné et de retourner sur leurs propres pas, alors qu'ils étaient pressés par le temps et la saison. Tandis qu'ils étaient dans cet état d'esprit Rhascupolis leur dit qu'il y avait un itinéraire détourné (le long du côté même de la montagne des Sapéens) de trois jours de marche, qui était jusque là infranchissable pour des hommes à cause des rochers, du manque d'eau et des forêts touffues. Mais s'ils pouvaient emporter leur eau et construire une voie étroite mais suffisante, ils resteraient cachés au point de ne même pas être vus des oiseaux. Le quatrième jour ils arriveraient au fleuve Harpessus, qui se jette dans le Hermus, et le jour suivant ils seraient à Philippes, sur les flancs de leurs ennemis afin de les couper complètement et de ne leur laisser aucune chance de retraite. Ils adoptèrent ce plan puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire, et surtout parce qu'il leur donnait l'espoir d'encercler une si grande armée d'ennemis. [4,104] Ils envoyèrent en éclaireurs un détachement commandé par Lucius Bibulus, en compagnie de Rhascupolis, pour se frayer un chemin. Ce fut un travail difficile mais ils l'accomplirent avec enthousiasme, et d'autant plus quand certains qui avaient pris les devants revinrent leur dire qu'ils avaient vu au loin le fleuve. Le quatrième jour, fatigués par leur travail et mourant de soif (l'eau qu'ils avaient amenée était presque épuisée), ils rappelèrent qu'on leur avait dit qu'ils seraient dans une région dépourvue d'eau seulement pendant trois jours. Alors ils se mirent à paniquer craignant être victimes d'un stratagème. Ils ne crurent pas ceux qui avaient été envoyés devant et qui avaient dit qu'ils avaient vu le fleuve, mais ils pensèrent qu'on les menait dans une mauvaise direction. Ils perdirent tout espoir et se mirent à hurler, et quand ils virent Rhascupolis arriver à cheval près d'eux leur recommandant instamment de garder courage, ils l'injurièrent et lui lancèrent des pierres. Bibulus les suppliait en paroles de persévérer jusqu'au bout, quand vers le soir les premiers virent le fleuve, qui, comme c'est normal, se mirent à crier de joie, cri qui fut repris par ceux qui étaient derrière eux jusqu'à ce qu'il arrive aux derniers. Quand Brutus et Cassius apprirent la chose ils se hâtèrent immédiatement vers l'avant, emmenant avec eux le reste de leur armée par la voie qui avait été dégagée. Néanmoins, ils ne purent cacher ce qu'ils faisaient tout à fait à l'ennemi, ni les encercler : Rhascus, le frère de Rhascupolis, pris de soupçons par les cris, fit une reconnaissance; et quand il vit ce qui avait été fait, il fut étonné qu'une si grande armée ait pu prendre une route où il n'y avait aucun point d'eau et où il pensait que pas même une bête sauvage ne pouvait pénétrer en raison du feuillage touffu, et il communiqua immédiatement les nouvelles à l'armée de Norbanus. Ce dernier fit retraite de nuit des gorges des Sapéens vers Amphipolis. Chacun des frères thraces furent dans toutes les bouches de leur propre armée, l'un parce qu'il avait mené une armée par un chemin secret, l'autre parce qu'il avait découvert le secret. [4,105] C'est ainsi que Brutus et Cassius par une action étonnant par son audace s'avança vers Philippes, où Tillius débarqua également : l'armée entière fut donc rassemblée. Philippes est une ville qui autrefois s'appelait Datus, et avant encore Crenides, parce qu'il y a à cet endroit beaucoup de sources bouillonnantes autour d'une colline. Philippe la fortifia parce qu'il la considérait une excellente forteresse contre les Thraces, et il l'appela de son nom Philippes. Elle est située sur une colline escarpée et sa taille est exactement celle du sommet de la colline. Il y a des bois au nord par où Rhascupolis mena l'armée de Brutus et de Cassius. Au sud se trouve un marais se prolongeant jusqu'à la mer. A l'est il y a les gorges des Sapéens et des Corpiliens, et à l'ouest s'étend une belle plaine très fertile et les villes de Murcinus et de Drabiscus et le fleuve Strymon, à environ 350 stades. C'est là, dit-on, que Perséphone a été enlevée, alors qu'elle cueillait des fleurs, et là se trouve aussi le fleuve Zygactes, dans lequel, dit-on, le joug du chariot du dieu se cassa, d'où le nom de ce fleuve. La plaine est en pente de sorte que le mouvement est facile pour ceux qui descendent de Philippes, mais pénible pour ceux qui montent d'Amphipolis. [4,106] Il y a une autre colline non loin de Philippes qui s'appelle la colline de Dionysos, où se trouvent les mines d'or appelées les Asyla. Dix stades plus loin il y a deux autres collines, à une distance de dix-huit stades de Philippes elle-même et distantes l'une de l'autre de huit stades. C'est sur ces collines que campaient Cassius et Brutus, le premier sur le versant sud de l'une et le second sur le versant nord de l'autre. Ils ne s'avancèrent pas contre l'armée en retraite de Norbanus parce qu'ils avaient appris qu'Antoine s'approchait, Octave ayant été laissé à Epidamne pour cause de maladie. La plaine convenait vraiment bien pour un combat et les collines qui la surplombaient pour camper, puisque d'un côté ils avaient les marais et les étangs s'étendant jusqu'au fleuve Strymon, et de l'autre les gorges dépourvues de routes et infranchissables. Entre ces collines, à huit stades, se trouvait le passage principal entre l'Europe vers l'Asie comme des portes. À travers cet espace ils construisirent une fortification allant d'un camp à l'autre, laissant une porte au milieu, de sorte que les deux camps ne faisaient pratiquement plus qu'un. À côté de cette fortification coulait un fleuve, que certains appellent le Ganga et d'autres le Gangites, et derrière celui-ci se trouvait la mer, d'où ils pouvaient recevoir leurs approvisionnements et chargements en toute sécurité. Leur dépôt se trouvait sur l'île de Thasos, éloignée de 100 stades, et leurs trirèmes étaient ancrées à Neapolis, distante de soixante-dix stades. [4,107] XIV. Brutus et Cassius étaient satisfaits de la position et s'occupèrent à fortifier leurs camps, mais Antoine se déplaçait rapidement avec son armée, souhaitant prévenir l'ennemi en occupant Amphipolis, position avantageuse pour le combat. Il trouva la ville déjà fortifiée par Norbanus et en fut enchanté. Il y laissa ses approvisionnements et une légion, sous le commandement de Pinarius et s'avança avec beaucoup d'audace pour placer son camp dans la plaine à seulement huit stades de l'ennemi, et immédiatement la supériorité des ennemis et son infériorité lui parurent évidentes. Ses ennemis se trouvaient sur un endroit élevé, tandis que lui se trouvait dans la plaine; ses ennemis avaient du bois des montagnes, tandis que lui n'en avait que des marais; ses ennemis avaient de l'eau d'un fleuve, alors que lui n'avait que des puits fraîchement creusé; ses ennemis faisaient venir leurs approvisionnements de Thasos, ce qui n'exigeait que le transport en chariots sur quelques stades, alors que lui se trouvait à 350 stades d'Amphipolis. C'est par nécessité qu'Antoine fut obligé de faire ce qu'il fit : il n'y avait pas d'autre colline, et le reste de la plaine, se situant dans une sorte de cavité, était exposée à être parfois inondée par le fleuve; c'est aussi parce que des sources d'eau fraîche et abondante furent trouvées dans les puits qu'il fit creuser là. L'audace d'Antoine, bien qu'elle lui fût imposée par la nécessité, frappa de stupeur l'ennemi quand ils le virent placer son camp aussi près d'eux et sa façon de faire méprisante dès son arrivée. Il fit élever de nombreuses tours et se fortifia de tous les côtés par des fossés, des murs et des palissades. L'ennemi aussi fortifia partout où il restait des failles. Cassius, voyant l'avance insensée d'Antoine, sortit des fortifications au seul endroit où il le pouvait encore : du camp au marais, un espace avait été négligé à cause de son étroitesse, de sorte qu'il n'y avait plus rien qui ne soit fortifié sauf sur le côté les falaises sur le flanc de Brutus et le marais sur celui de Cassius et la mer se trouvant contre le marais. Au centre tout été barré par le fossé, la palissade, le mur et les portes. [4,108] C'est ainsi que les deux côtés se fortifiaient, tout en s'éprouvant l'un l'autre uniquement par des escarmouches de cavalerie. Quand ils eurent fait tout ce qu'ils avaient prévu et qu'Octave fut arrivé (bien qu'il ne soit pas encore assez rétabli pour livrer combat, on devait l'amener devant les troupes allongé dans une litière), Antoine et lui préparèrent immédiatement le combat. Brutus et Cassius placèrent également leurs forces sur un endroit élevé mais n'en descendirent pas. Ils décidèrent de ne pas engager le combat, espérant user l'ennemi par la famine. Il y avait dix-neuf légions de chaque côté, mais celles de Brutus et de Cassius n'étaient pas complètes, alors que celles d'Octave et d'Antoine avaient le plein d'effectifs. Ceux-ci avaient 13.000 cavaliers alors que les premiers en avaient 20.000, y compris les Thraces dans les deux camps. Ainsi pour ce qui est de la multitude des hommes, de l'esprit et du courage des commandants, et des armes et des munitions, on voyait des eux côtés le plus bel étalage qu'on pût voir; pourtant pendant plusieurs jours rien ne bougea. Brutus et Cassius ne souhaitaient pas le combat, mais voulaient plutôt continuer à user l'ennemi par manque de ravitaillement, puisqu'ils avaient eux-mêmes pléthore provenant d'Asie, tout étant transporté par mer de tout près, alors que l'ennemi n'avait aucunes réserves et ne possédait rien sur son propre territoire. Ils ne pouvaient rien obtenir des marchands en Égypte, car ce pays était ruiné par la famine, ni d'Espagne ou d'Afrique à cause de Pompée, ni d'Italie à cause de Murcus et de Domitius. La Macédoine et la Thessalie, leurs seuls fournisseurs, ne leur suffiraient pas longtemps. [4,109] Conscients de la situation, Brutus et ses généraux prolongeaient la guerre. Antoine, craignant ce retard, résolut de les forcer à se battre. Il imagina de forcer, si possible secrètement, un passage par les marais, pour arriver derrière l'ennemi sans qu'ils s'en aperçoivent, et leur couper leur voie d'approvisionnement avec Thasos. Aussi il rangeait ses troupes en ordre de bataille chaque jour dans les règles de l'art, de sorte qu'on pouvait croire que c'était son armée entière qui se trouvait là, alors qu'une partie de ses troupes travaillait nuit et jour à ouvrir un passage étroit dans les marais, coupant les roseaux, s'en servant comme soubassement de la chaussée, et mettant sur les côtés des pierres, pour que la terre ne puisse s'écrouler, et jetant un pont sur les parties plus profondes avec des pieux, et tout cela dans le plus profond silence. Les roseaux, qui poussaient toujours autour de son chemin, empêchèrent l'ennemi de voir son travail. Après avoir travaillé dix jours de cette manière il envoya soudainement une colonne de troupes durant la nuit, qui occupa toutes les positions fortes dans ses lignes et construisit plusieurs redoutes en même temps. Cassius fut stupéfait de l'ingéniosité ainsi que du secret de ce travail, et il forma le contre-projet de couper Antoine de ses redoutes. Il fit construire un mur transversal à travers tout le marais de son camp à la mer, coupant comme lui les roseaux et jetant un pont de la même manière qu'Antoine l'avait fait, et établissant une palissade au-dessus de ses monticules, coupant de ce fait le passage fait par Antoine, de sorte que ceux qui étaient à l'intérieur ne pouvaient revenir vers lui, ni lui leur porter secours. [4,110] Quand vers midi Antoine vit cela, immédiatement, furieux et en rage, il tourna sa propre armée, qui était placée dans une autre direction, et la mena contre la contre-fortification de Cassius entre son camp et le marais. Il apporta des outils et des échelles pour la prendre d'assaut et forcer un chemin dans le camp de Cassius. Tandis qu'il chargeait audacieusement, sur le flanc et du haut de la colline, à travers l'espace qui séparait les deux armées, les soldats de Brutus furent provoqués par l'insolence de l'ennemi qui se précipitait hardiment vers eux qui étaient en armes. Aussi ils chargèrent d'eux-mêmes, sans aucun ordre de leurs officiers, et firent une hécatombe (ce qui est normal dans une attaque de flanc) de tous ceux qui montaient. La bataille une fois commencée ils chargèrent aussi l'armée d'Octave qui leur faisait face, la mirent en fuite, et la poursuivirent jusqu'au camp qu'Antoine et Octave avaient en commun, et ils le prirent. Octave lui-même n'était pas là, ayant été prévenu dans un rêve de prendre garde à ce jour, comme lui-même l'a écrit dans ses mémoires. [4,111] Quand Antoine vit que la bataille était engagée il en fut enchanté parce qu'il l'avait forcée : comme il avait peur pour ses approvisionnements il jugea imprudent de se tourner encore vers la plaine, de peur qu'en se retournant ses rangs se désunissent. Aussi il continua sa charge, comme il l'avait commencée, au pas de charge, et s'avança sous une pluie de traits, et força son chemin jusqu'à ce qu'il tombe sur les troupes de Cassius qui n'avaient pas bougé de leur position assignée et qui furent stupéfaits de cette audace inouïe. Il brisa courageusement cet avant-garde et se jeta contre la fortification qui courait entre le marais et le camp, démolit la palissade, remplit le fossé, mina les travaux, et tua les hommes aux portes, sans s'occuper des traits lancés du mur, jusqu'à ce qu'il ait forcé une entrée par les portes, et que d'autres aient fait des brèches dans la fortification, et que d'autres encore soient montés sur les débris. Tout cela se fit tellement vite que ceux qui à ce moment avaient pris la fortification tombèrent sur les hommes de Cassius, qui travaillaient dans les marais et qui venaient en aide à leurs amis, et, par une charge puissante, ils les mirent en fuite, les poussèrent dans les marais, et puis immédiatement se lancèrent contre le camp de Cassius lui-même. C'étaient seulement les hommes qui avaient escaladé les fortifications avec Antoine, le reste était engagé avec l'ennemi de l'autre côté du mur. [4,112] Comme le camp était sur une forte position il était gardé par seulement quelques hommes : c'est pour cette raison qu'Antoine les battit facilement. Les soldats de Cassius en dehors du camp étaient déjà battus, et quand ils virent que le camp était pris ils se dispersèrent en tous sens. La victoire était complète et la même de chaque côté, Brutus avait détruit l'aile gauche de l'ennemi et avait pris leur camp, alors qu'Antoine l'emportait sur Cassius et ravageait son camp avec un courage irrésistible. Il y eut grand massacre des deux côtés, mais en raison de la grandeur de la plaine et des nuages de poussière ils ignoraient chacun ce qui se passait chez l'autre. Quand ils l'apprirent ils rappelèrent leurs forces dispersées. Ceux qui revinrent ressemblaient plus à des valets qu'à des soldats, et ne se rendirent pas immédiatement compte de ce qui se passait ni ne virent clairement la situation. Sinon l'une ou l'autre partie aurait rejeté ses fardeaux et violemment attaqué les autres revenant du pillage de manière désordonnée. Selon les sources le nombre de tués du côté de Cassius, y compris les porte-boucliers esclaves, fut d'environ 9000, et le double du côté d'Octave. [4,113] XV. Cassius chassé de ses fortifications et n'ayant plus de camp où aller, il se hâta vers le haut de la colline de Philippes et essaya de voir ce qui se passait. Mais comme il ne pouvait s'en faire une idée exacte à cause de la poussière et qu'il ne pouvait tout voir, mais uniquement que son propre camp était pris, il demanda à Pindarus, son porte-bouclier, de lui tomber dessus et de le tuer. Comme Pindarus hésitait toujours un messager arriva et dit que Brutus était victorieux sur l'autre aile, et ravageait le camp de l'ennemi. Cassius répondit simplement, "Dis-lui que je souhaite que sa victoire soit complète." Puis, se tournant vers Pindarus il lui dit : "Qu'attends-tu? Pourquoi ne veux-tu pas me libérer de ma honte?" Puis, comme il présentait sa gorge, Pindarus l'égorgea. Ceci est un récit de la mort de Cassius. D'autres racontent que comme quelques cavaliers s'approchaient, apportant les bonnes nouvelles de Brutus, il les prit pour des ennemis et envoya Titinius pour voir ce qui se passait exactement; que les cavaliers entourèrent Titinius joyeusement parce qu'il était l'ami de Cassius, et en même temps poussèrent des cris de victoire; et que Cassius, pensant que Titinius était tombé aux mains des ennemis, dit, "Pouvez-vous supporter de voir mon ami arraché de moi?" et qu'il se retira dans sa tente avec Pindarus, et qu'on ne vit plus jamais Pindarus après. C'est pourquoi quelques personnes pensent qu'il tua Cassius sans en avoir reçu l'ordre. [4,114] Ainsi mourut Cassius le jour de son anniversaire, jour où eut lieu la bataille, et Titinius se tua pour avoir trop tardé; et Brutus pleura sur le cadavre de Cassius et l'appela le dernier des Romains, voulant dire par là qu'il n'existerait plus jamais quelqu'un qui l'égalerait en vertu. Il lui reprocha sa rapidité et sa précipitation, mais en même temps il l'estima heureux d'être libéré des soucis et des ennuis, qui, dit-il, "où donc vont-ils mener Brutus ?" Il livra le cadavre à ses amis pour l'enterrer secrètement de peur que l'armée ne se lamente à la vue de celui-ci; et lui-même passa toute la nuit, sans nourriture et sans soin pour sa propre personne, à remettre de l'ordre dans l'armée de Cassius. Le matin l'ennemi rangea son armée en ordre de combat, pour ne pas paraître avoir été battu. Brutus, comprenant leur dessein, hurla, "Restons en armes également et faisons croire que nous avons été défaits." Aussi il rangea ses forces, et l'ennemi se retira. Brutus dit à ses amis en se moquant, "Ils nous ont défiés quand ils pensaient que nous étions fatigués, mais ils n'ont pas osé nous tester." [4,115] Le même jour de la bataille de Philippes un autre grand désastre se produisit dans l'Adriatique. Domitius Calvinus amenait à Octave deux légions sur des vaisseaux de transport (une des deux était la légion de Mars, nom qui lui avait été donné comme distinction pour son courage). Il emmenait aussi une cohorte prétorienne d'environ 2000 hommes, quatre escadrons de chevaux, et un corps considérable d'autres troupes, gardées par quelques trirèmes. Murcus et Ahenobarbus les abordèrent avec 130 navires de guerre. Quelques navires de transports qui étaient devant s'enfuirent à la voile. Mais le vent tomba soudainement et le reste se retrouva dans un calme plat sur la mer, livré par les dieux aux mains de leurs ennemis. Ces derniers, sans aucun danger, attaquèrent chaque bateau et les coulèrent; les trirèmes qui les escortaient ne pouvaient absolument pas leur venir en aide, puisqu'ils furent encerclées en raison de leur petit nombre. Les hommes qui furent exposés à ce danger accomplirent des exploits héroïques. Ils lièrent à la hâte leurs bateaux avec des câbles et les attachèrent les uns aux autres avec des gaffes pour empêcher l'ennemi de traverser leur ligne. Mais quand ils y arrivèrent, Mucius déchargea sur eux des flèches enflammées. Alors ils détachèrent aussi rapidement que possible leurs liens et se séparèrent à cause du feu et de nouveau ils furent exposés à être encerclés ou éperonnés par les trirèmes. [4,116] Certains des soldats, et surtout ceux de la légion de Mars, qui étaient très courageux, furent irrités de devoir perdre la vie inutilement, et aussi ils se suicidèrent plutôt que d'être brûlés vifs; d'autres sautèrent à bord des trirèmes de l'ennemi et vendirent chèrement leur vie. La moitié des navires brûlés flottèrent longtemps, avec à bord des hommes qui périrent brûlés vifs, ou de faim et la soif. D'autres, s'accrochant aux mâts ou aux planches, furent rejeté sur les roches ou les promontoires stériles, et parmi eux certains furent sauvés par hasard. Certains d'entre eux tinrent pendant cinq jours en léchant le bitume, ou en mâchant les voiles ou les cordages, jusqu'à ce que les vagues les ramènent à terre. La plupart, vaincus par leurs malheurs, se rendirent à l'ennemi. Dix-sept trirèmes de dix-sept se rendirent, et les hommes qui s'y trouvaient prêtèrent serment à Murcus. Leur général, Calvinus, qui, pensait-on, avait péri, revint à Brundusium sur son navire cinq jours plus tard. Telle fut la catastrophe qui arriva sur l'Adriatique le même jour que la bataille de Philippes, je ne sais s'il faut l'appeler une catastrophe navale ou une bataille navale. La coïncidence des deux batailles causa la stupéfaction quand on la connut plus tard. [4,117] Brutus rassembla son armée et s'adressa à celle-ci en ces paroles : "Lors de l'engagement d'hier, soldats, vous étiez en tous points supérieur à l'ennemi. Vous avez commencé la bataille avec ardeur, sans en avoir reçu l'ordre, et vous avez complètement détruit leur célèbre quatrième légion sur laquelle leur aile avait placé sa confiance, et ainsi que tous ceux qui la soutenaient jusqu'à leur camp, et vous avez pris et pillé les premiers leur camp, de sorte que notre victoire est de loin supérieure au désastre survenu sur notre aile gauche. Mais alors que vous pouviez terminer totalement votre travail, vous avez préféré piller que de tuer le vaincu; la plupart d'entre vous ont dépassé les ennemis et se sont précipités sur leurs biens. Nous sommes encore supérieur en ceci : de nos deux camps ils n'en ont pris qu'un, alors que nous leur avons tout pris, de sorte que maintenant notre gain est deux fois plus élevé que notre perte. Voilà nos grands succès dans le combat. Si vous voulez savoir nos avantages en d'autres domaines, demandez-le aux prisonniers - la pénurie et le prix élevé des provisions chez eux, la difficulté d'obtenir d'autres approvisionnements, et bientôt un manque évident. Ils ne peuvent rien obtenir de Sicile, de Sardaigne, d'Afrique, ou d'Espagne, parce que Pompée, Murcus, et Ahenobarbus avec 260 navires ferment la mer. Ils ont déjà épuisé la Macédoine. Ils dépendent entièrement maintenant de la seule Thessalie. Combien de temps cela leur suffira-t-il? [4,118] "Quand donc vous les voyez désireux de combattre, pensez qu'ils sont tellement pressés par la faim qu'ils préfèrent mourir au combat. Nous aurons comme plan que la faim les fera combattre avant nous, de sorte que quand il sera nécessaire de combattre nous les trouverons affaiblis et épuisés. Ne nous laissons pas emporter par notre ardeur avant le moment approprié. Que personne n'aille penser que mon commandement soit fait de paresse plutôt que d'action, quand on jette un œil sur la mer derrière nous, qui nous envoie toutes ces aides et provisions et qui nous permet de gagner la victoire sans danger si vous attendez et ne vous occupez pas des insultes et des provocations de l'ennemi, qui ne sont pas plus courageux que nous-mêmes, comme ce qui s'est passé d'hier le montre, mais qui essayent d'éviter un autre danger. Laissez l'ardeur que je désire que vous réprimiez pour l'instant s'exprimer avec force quand je vous le demanderai. Les récompenses de la victoire, je vous les payerai moi-même en entier, lorsque les dieux jugeront que notre travail est achevé. Et maintenant pour votre courage dans le combat d'hier, je vais donner à chaque soldat 1000 drachmes et à vos officiers en proportion." Après avoir dit cela, il fit distribuer la donation aux légions selon leur ordre. Quelques auteurs disent qu'il promit aussi de leur donner à piller les villes de Lacédémone et de Thessalonique. [4,119] Pendant ce temps Octave et Antoine, voyant que Brutus n'était pas disposé à combattre, rassemblèrent leurs hommes, et Antoine leur adressa la parole: "Soldats, je suis sûr que les ennemis dans leurs discours prétendent à leur part de victoire d'hier parce qu'ils ont chassé certains d'entre nous et qu'ils ont pillé notre camp, mais en fait ils montrent par là qu'elle fut entièrement la vôtre. Je vous promets que ni demain ni les jours suivants ils ne seront disposés à combattre. C'est la preuve la plus évidente de leur défaite d'hier et de leur manque de courage, comme ceux qui vaincus dans les jeux publics, quittent l'arène. Ils n'ont certainement pas rassemblé une armée si nombreuse pour passer leur temps dans des fortifications dans des endroits déserts de Thrace. Mais ils ont établi leurs fortifications quand vous vous approchiez encore parce qu'ils avaient peur; et maintenant que vous êtes là ils s'y accrochent en raison de la défaite d'hier, où aussi le plus vieux et le plus expérimenté de leurs généraux dans un complet désespoir s'est suicidé, et cet acte est lui-même la plus grande preuve de leur défaite. C'est pourquoi, puisqu'ils n'acceptent pas notre défi et ne descendent pas de la montagne, mais font plus confiance à des précipices qu'à leurs armes, soyez vaillants, soldats de Rome, et forcez-les de nouveau comme vous les avez forcés hier. Considérons comme une chose honteuse d'être inférieurs à ceux qui ont peur de nous, de nous tenir éloignés de gens qui hésitent, ou, soldats comme nous sommes, d'être des hommes plus faibles que des remparts. Nous ne sommes pas venus ici pour passer notre vie dans cette plaine, et si nous tardons nous allons manquer de tout. Pour des gens bien avisés, il faut des guerres rudes pour que la paix puisse durer le plus longtemps possible. [4,120] "Nous, qui n'avons pas encouru vos critiques pour l'offensive et le plan de bataille d'hier, nous allons concevoir des opportunités et des moyens nouveaux pour remporter la victoire. Mais vous, de votre côté, quand on vous le demandera, donnez en échange à vos généraux votre courage. Ne vous préoccupez pas, pour l'instant, du pillage d'hier de notre camp, parce que la richesse ne consiste pas à garder sa propriété, mais à la conquérir de force : nous retrouverons comme vainqueurs non seulement ce que nous avons perdu hier, qui est encore en sûreté dans les possessions de nos ennemis, mais encore les richesses de nos ennemis. Et si nous avons hâte de récupérer hâtons-nous de combattre. Ce que nous leur avons pris hier équilibre ce que nous avons perdu, et peut-être plus, parce qu'ils ont apporté avec eux tout qu'ils ont pris et ont pillé en Asie, alors que vous, qui venez de votre propre pays, vous avez laissé chez vous tour ce qui avait du prix, et vous n'avez emporté avec vous que ce qui était nécessaire. S'il y avait quelque chose de somptueux dans notre camp c'était la propriété de vos généraux, qui vous la donneront avec plaisir en entier comme récompense pour votre victoire. Cependant, en compensation même pour cette perte nous vous donnerons une récompense supplémentaire de 5000 drachmes pour chaque soldat, cinq fois autant à chaque centurion, et deux fois cette dernière somme à chaque tribun." [4,121] Ceci dit, il rassembla de nouveau ses hommes le jour suivant. Comme l'ennemi ne descendrait de nouveau pas, Antoine en eut le cœur gros, mais il continua à faire sortir ses hommes tous les jours. Brutus gardait une partie de son armée en ordre de bataille de peur d'être obligé de combattre; et avec l'autre partie il gardait la route par laquelle arrivaient ses approvisionnements. Il y avait une colline très près du camp de Cassius, qu'un ennemi aurait pu difficilement occuper, parce qu'en raison de sa proximité du camp, elle était exposée aux flèches. Néanmoins Cassius y avait placé une garnison, de peur qu'il y eut quelqu'un d'assez intrépide pour l'attaquer. Comme elle avait été abandonné par Brutus, l'armée d'Octave l'occupa durant la nuit avec quatre légions et se protégea avec des auvents en osier et des cuirs contre les archers ennemis. Quand ils furent bien installés, ils conduisirent dix autres légions sur plus de cinq stades vers la mer. Quatre stades plus loin ils installèrent deux légions, afin de s'avancer de cette manière tout à fait jusqu'à la mer, avec l'idée de traverser les lignes de l'ennemi le long de la mer elle-même, ou par les marais, ou d'une autre manière, et de couper leurs approvisionnements. Brutus contrecarra ce mouvement en construisant des postes fortifiés vis-à-vis de leurs camps et à d'autres endroits. [4,122] La tâche Octave et d'Antoine devint pressante : la faim se faisait déjà sentir, et en raison de l'importance de la prochaine famine, la crainte de celle-ci s'accrut de jours en jours parce que la Thessalie ne pouvait plus fournir assez d'approvisionnements, et il ne pouvaient rien espérer de la mer, qui était commandée partout par l'ennemi. Des nouvelles de leur désastre récent en Adriatique étaient arrivées dans les deux armées, ce qui augmenta leurs alarmes, et aussi l'approche de l'hiver alors qu'ils campaient dans cette plaine boueuse. Inquiets de ces considérations, ils envoyèrent aussitôt une légion en Achaïe pour rassembler toute la nourriture qu'ils pourraient trouver et la faire venir le plus vite possible. Comme ils ne pouvaient supporter un si grand qui les menaçait, et que leurs autres artifices étaient sans résultat, ils cessèrent d'offrir la bataille dans la plaine et avancèrent avec des cris vers les fortifications de l'ennemi, et défièrent Brutus à combattre, en l'injuriant et en se moquant de lui : c'était dans leur idée moins pour le prendre d'assaut que de le forcer à engager le combat. [4,123] Mais Brutus gardait son idée première, et d'autant plus parce qu'il était au courant de la famine et de son propre succès en Adriatique, et du désespoir de l'ennemi par manque d'approvisionnements. Il préféra supporter un siège, ou toute autre chose plutôt qu'engager le combat contre des hommes mourant de faim, et dont les espoirs reposaient uniquement sur un combat parce qu'ils n'avaient que cette possibilité là. Ses soldats, cependant, sans réfléchir, avaient une opinion différente. Ils supportaient mal d'être enfermés, oisifs et lâches, comme des femmes, dans leurs fortifications. Leurs officiers aussi, bien qu'approuvant la conception de Brutus, étaient vexés, pensant que, avec la colère présente de l'armée, ils pourraient battre l'ennemi plus rapidement. Brutus lui-même était la cause de ces murmures, à cause de son caractère doux et gentil - ce n'était pas le cas de Cassius, qui était austère et impérieux en toute circonstance, raison pour laquelle l'armée lui obéissait immédiatement, sans mettre en doute ses ordres, et ne les critiquant pas quand ils les avaient reçus. Mais dans le cas de Brutus ils n'attendaient rien d'autre que de partager le commandement avec lui à cause de la douceur de son caractère. C'est pourquoi les soldats commencèrent de plus en plus à se rassembler en compagnies et en groupes et à se demander les uns aux autres : "Pourquoi notre général nous accuse-t-il? En quoi l'avons-nous offensé récemment - nous qui avons battu l'ennemi et l'avons mis en fuite; nous qui avons renversé ceux qui s'opposaient à nous et qui avons pris leur camp?" Brutus ne fit pas attention à ces murmures et ne convoqua pas d'assemblée, de peur de devoir changer de position, contrairement à sa dignité, par une multitude irréfléchie, et particulièrement par les mercenaires, qui, comme les esclaves versatiles cherchant de nouveaux maîtres, mettent tous leurs espoirs de sécurité en désertant à l'ennemi. [4,124] Et ses officiers continuaient à le presser et à l'inviter d'utiliser maintenant l'ardeur de l'armée, qui lui procurerait rapidement des résultats glorieux. Si la bataille s'avérait défavorable, ils pourraient de nouveau rentrer dans leurs murs et remettre les mêmes fortifications entre eux et les ennemis. Brutus fut particulièrement irrité contre eux, parce c'étaient ses officiers, et il était peiné que ceux, qui étaient exposés au même péril que lui, par caprice prenaient le parti des soldats de préférer une fortune rapide et douteuse à une victoire sans danger; mais, pour sa perte et pour la leur il dit en les réprimandant, "Je vais, à mon avis, faire la guerre comme Pompée le Grand, non plus comme commandant mais comme commandé." Je pense que Brutus se limita à ces mots pour masquer sa plus grande crainte, que ceux de ses soldats qui avaient autrefois servi sous César ne se fâchent et passent à l'ennemi. Cassius et lui-même le soupçonnaient depuis le début, et ils avaient fait attention de ne leur donner aucun motif pour qu'ils se détachent d'eux. [4,125] Aussi Brutus fit sortir son armée à contrecœur et les plaça en formation de combat devant ses murs, leur ordonnant de ne pas trop s'éloigner de la colline pour qu'ils puissent avoir au besoin une retraite sûre et une bonne position pour lancer des traits contre l'ennemi. Dans chaque armée les hommes s'encouragèrent les uns les autres. Il y avait une grande ardeur pour le combat, et une confiance extraordinaire. D''un côté c'était la crainte de la famine, de l'autre c'est une juste honte qui avait contraint leur général à combattre alors qu'il voulait encore attendre, et c'était la crainte que ceux qui l'avaient forcé ne puissent tenir ce qu'ils avaient promis et ne soient pas à la hauteur de leurs vantardises, et ne préfèrent la charge téméraire au lieu d'écouter de bons conseils, et Brutus, parcourant les rangs à cheval, montra devant eux un visage solennel et leur rappela ces choses en quelques mots de circonstance. "Vous avez choisi de combattre, dit-il; vous m'avez forcé à lutter alors que je pouvais vaincre autrement. Ne trompez pas mes espoirs ni les vôtres. Vous avez l'avantage de la hauteur et de la sécurité de vos arrières. La position de l'ennemi est périlleuse parce qu'il se trouve entre vous et la famine." [4,126] C'est en disant ces mots qu'il les passait en revue. Les soldats lui disaient de se fier à eux et l'escortaient avec des paroles de bienveillance. Octave et Antoine passèrent en revue leurs propres troupes en serrant les mains les plus proches et en les invitant avec plus de solennité à faire leur devoir et ils ne cachaient pas le danger de la famine, parce qu'ils croyaient que cela serait une incitation opportune au courage. "Soldats, dirent-ils, nous avons trouvé l'ennemi. Nous avons devant nous ceux que nous avons essayé de faire sortir de leurs fortifications. Qu'aucun d'entre vous ne rougisse de son propre défi ou d'être inférieur à sa propre menace. Que personne ne préfère la faim, ce mal intraitable et affligeant, aux murs et aux corps de l'ennemi, qui sont à la portée du courage, de l'épée, du désespoir. Notre situation en ce moment est si critique que rien ne peut être remis au lendemain, mais c'est ce jour même qui doit décider de notre victoire complète ou de notre mort honorable. Si vous êtes les vainqueurs, vous gagnerez en un jour et en une seule fois, l'argent, les navires, les camps, et les prix de la victoire que nous vous avons promis. Tel sera le résultat si, au premier assaut, nous sommes conscients des nécessités qui nous pressent et si, après avoir brisé leurs rangs, nous les coupons immédiatement de leurs portes et si nous les conduisons sur les rochers ou dans la plaine, pour que la guerre ne puisse pas renaître ou pour que les ennemis ne se retirent pas pour une nouvelle période d'oisiveté - car les seuls guerriers faibles placent tous leurs espoirs, non pas sur le combat, mais sur le refus de combattre." [4,127] C'est de cette manière qu'Octave et Antoine échauffèrent les esprits de ceux avec qui ils étaient en contact. Il y eut parmi la troupe une émulation de se montrer dignes de leurs commandants et d'échapper aussi au danger de la famine, qui avait été considérablement augmenté par le désastre naval en Adriatique. Ils préféraient, au besoin, souffrir lors de la bataille, avec l'espoir de l'emporter, plutôt que d'être épuisés par un mal irrésistible. Animés par ces pensées, que chaque homme échangeait avec son voisin, les deux armées eurent leur moral remonté au maximum et toutes les deux étaient remplies d'un courage indomptable. Ils ne se rappelaient plus alors qu'ils étaient les concitoyens de leurs ennemis, mais ils se lançaient les uns vers les autres comme s'ils avaient été des ennemis de naissance et de descendance. Leur colère à ce moment était telle qu'elle leur enlevait la raison et la nature. Les deux côtés devinaient aussi que ce jour et cette bataille décideraient une fois pour toute du destin de Rome ; et c'est ce qui arriva. [4,128] Le jour se passa en préparatifs jusqu'à la neuvième heure, quand deux aigles s'élancèrent l'un sur l'autre et combattirent dans l'espace situé entre les deux armées, au milieu d'un profond silence. Quand celui qui se trouvait du côté de Brutus prit la fuite, ses ennemis poussèrent un grand cri et la bataille s'engagea. Le début fut superbe et terrible. Ils n'utilisèrent ni flèches, ni pierres ni javelots, dont on se sert d'habitude lors d'une bataille, parce que ils ne recoururent pas aux manœuvres et à la tactique habituelles des batailles, mais, ils combattaient uniquement avec des épées, ils tuaient et étaient tués en cherchant rompre les rangs de leurs adversaires. D'un côté c'était un combat pour l'instinct de conservation plutôt que pour la victoire: de l'autre pour la victoire et pour faire plaisir au général qui avait été forcé de lutter contre son propre vouloir. Le carnage et les gémissements furent terribles. Les corps de ceux qui tombaient étaient enlevés et d'autres prenaient leurs places. Les généraux allaient ici et là surveillant tout, encourageant leurs hommes par leur ardeur, recommandant instamment à ceux qui peinaient de se surpasser, et réconfortant ceux qui étaient épuisés de sorte qu'à l'avant de la bataille le courage était toujours intact. Finalement les soldats d'Octave, par crainte de la famine, ou par la bonne fortune d'Octave lui-même (il ne faut certainement pas blâmer les soldats de Brutus), repoussa la ligne de l'ennemi comme s'ils poussaient une machine très lourde. Ces derniers furent repoussés pas après pas, lentement d'abord et sans perdre de courage. Puis leurs rangs se brisèrent et leur retraite fut plus rapide, et alors il y en même temps qu'eux la retraite du deuxième et du troisième rang à l'arrière, ce fut une mêlée dans le désordre, comprimés les uns sur les autres et par l'ennemi, qui les serrait sans arrêt jusqu'à ce que cela devint une véritable fuite. Les soldats d'Octave, particulièrement conscients du commandement qu'ils avaient reçu, s'emparèrent des portes de la fortification de l'ennemi en prenant de grands risques pour eux-mêmes parce qu'ils étaient exposés aux traits provenant d'en haut ou d'en face, et ils empêchèrent un grand nombre d'ennemis de regagner l'entrée. Ceux-ci se sauvèrent, certains vers la mer, et certains par le fleuve Zygactes vers les montagnes. [4,129] L'ennemi mis en déroute, les généraux se partagèrent entre eux le reste du travail, Octave devait capturer ceux qui s'échappaient du camp et garder le camp principal, alors qu'Antoine était sur tous les fronts, et attaquait partout, tombant sur les fugitifs et ceux qui combattaient encore, et sur leurs autres campements, écrasant tout avec la même impétuosité. Craignant que les chefs ne parviennent à lui échapper et à rassembler une autre armée, il expédia la cavalerie sur les routes et les sorties du champ de la bataille pour capturer ceux qui essayaient de s'échapper. Celle-ci se divisa le travail; certains d'entre eux se dirigèrent vers le haut de la montagne avec Rhascus, le Thrace, qui avait été envoyé avec eux à cause de sa connaissance des routes. Ils encerclèrent les positions fortifiées et les escarpements, en chassèrent les fugitifs, et surveillèrent ceux qui se trouvaient à l'intérieur. D'autres se mirent à la poursuite de Brutus lui-même. Lucilius les voyant se précipiter furieusement sur lui, se rendit en feignant d'être Brutus, et demanda d'être emmené chez Antoine au lieu d'Octave; on pense qu'il s'est fait passer pour Brutus pour éviter de tomber aux mains de son ennemi implacable. Quand Antoine entendit qu'on l'amenait, il alla à sa rencontre après avoir réfléchi un moment sur la fortune, la dignité, et la vertu de l'homme, et s'être demandé comment il devait recevoir Brutus. Comme il s'approchait, Lucilius se présenta et lui dit avec avec une franche audace, "Tu n'as pas capturé Brutus, et la vertu sera jamais faite prisonnière par bassesse. J'ai trompé ces hommes et c'est ainsi que je suis ici." Antoine, voyant que les cavaliers avaient honte de leur erreur, les consola en leur disant, "Le butin que vous m'avez amené n'est pas plus mauvais, mais meilleur que vous ne le pensez - il vaut mieux avoir un ami qu'un ennemi." Alors il confia Lucilius au soin d'un de ses amis, et plus tard le prit à son propre service et l'utilisa comme homme de confiance. [4,130] Brutus se sauva dans les montagnes avec des forces considérables, espérant retourner dans son camp à la faveur de la nuit, ou descendre vers la mer. Mais comme toutes les routes étaient barrées par des soldats, il passa la nuit sous les armes avec tous ses hommes, et on dit que, levant les yeux vers les étoiles, il cria: "N'oublie pas, Zeus, l'auteur de ces malheurs", en parlant d'Antoine. On dit qu'Antoine lui-même répéta cette phrase plus tard quand il fut lui-même en dangers, regrettant que, alors qu'il aurait pu s'associer avec Cassius et Brutus, il était devenu l'instrument d'Octave. Mais au moment présent Antoine passa la nuit en armes avec ses avant-postes en face de Brutus, se faisant une palissade en amoncelant des cadavres et des dépouilles. Octave resta à la peine jusqu'au milieu de la nuit puis se retira à cause de sa maladie, laissant Norbanus surveiller le camp de l'ennemi. [4,131] Le jour suivant Brutus, voyant l'ennemi toujours à l'observer, et ayant à peine quatre légions complètes, qui étaient montées dans la montagne avec lui, pensa qu'il valait mieux ne pas s'adresser à ses troupes, mais à leurs officiers, qui étaient honteux et se repentaient de leurs erreurs. Il envoya des hommes pour les sonder et pour savoir s'ils étaient disposés à traverser les lignes ennemies et à regagner leur propre camp, qui était encore tenu par les troupes qui avaient été laissées là. Ces officiers, bien qu'ils se soient lancés dans le combat avec imprudence, avaient pour la plupart montré beaucoup de courage, mais maintenant, l'esprit divin leur troublant la raison, ils répondirent indignement à leur général qu'il devait s'occuper de lui-même, qu'ils avaient déjà tenté le sort beaucoup de fois, et qu'ils ne gâcheraient pas leurs derniers espoirs de se réconcilier. Alors Brutus dit à ses amis : "Je ne suis plus utile à mon pays, si tel est le caractère de ces hommes," et appelant Straton, l'Épirote, qui était un de ses amis, il lui donna l'ordre de le poignarder. Alors que Straton lui demandait d'encore réfléchir, Brutus appela un de ses esclaves. Alors Straton dit : "Ton ami fera mieux que tes esclaves pour exécuter tes dernières volontés, si ta décision est définitive." A ces mots il enfonça son épée dans le flanc de Brutus, qui ne recula pas ni ne de détourna pas. [4,132] C'est ainsi que moururent Cassius et Brutus, deux des plus nobles et des plus illustres des Romains, et de vertu incomparable, sauf pour leur crime; bien qu'ils aient appartenu à la faction de Pompée le Grand et qu'ils avaient été les ennemis, aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, de Caius César, celui-ci les avait pris pour amis, et comme amis il les traitait comme ses fils. Tout le temps le sénat eut un attachement particulier pour eux, et les plaignit quand le malheur s'abattit sur eux. C'est pour eux qu'il accorda l'amnistie à tous les assassins, et quand ils prirent la fuite il leur accorda des places de gouverneurs pour qu'ils ne soient pas des exilés; et comme il n'était pas indifférent à Caius César et qu'il ne se réjouissait pas de ce qui lui était arrivé, parce qu'il admirait son courage et sa bonne fortune, il lui donna à sa mort des funérailles nationales, ratifia ses actes, et attribua pendant longtemps les magistratures et les gouvernements à ceux qu'il avait nommés avant sa mort, considérant qu'il n'y avait rien de meilleur que ce qu'il avait proposé. Mais l'ardeur du Sénat pour ces deux hommes et sa sollicitude pour eux fit croire à la complicité dans l'assassinat - tellement ces deux hommes étaient bien vus par tous. Parmi les plus illustres des exilés, ils étaient plus honorés que Sextus Pompée, bien que celui-ci fût plus près et aurait pu se réconcilier avec les triumvirs, alors qu'eux étaient partis au loin et n'auraient pu se réconcilier. [4,133] Quand il devint nécessaire de prendre les armes, il ne fallut pas deux ans pour qu'ils aient rassemblé vingt légions et environ 20.000 cavaliers, et 200 navires de guerre, avec l'équipement et une vaste quantité d'argent, provenant de contributions volontaires ou forcées. Ils firent la guerre avec succès contre de nombreux peuples et contre des villes et des hommes de la faction opposée. Ils rassemblèrent sous leur drapeau toutes les nations de la Macédoine à l'Euphrate. Ceux qu'ils avaient combattus, ils les prirent comme alliés et ce furent des alliés très fidèles. Ils avaient reçu l'aide des rois et des princes indépendants, et dans une petite mesure même des Parthes, qui étaient les ennemis des Romains; mais ils n'ont pas attendus leur arrivée et ne les ont pas fait participer à la bataille décisive, de peur que cette race barbare et hostile ne prenne l'habitude de se battre contre des Romains. Le plus extraordinaire de tout cela c'était que la plus grande partie de leur armée était composée de soldats de Caius César et que malgré cela ils leur étaient farouchement attachés, et ils furent persuadés plus par les meurtriers mêmes de César et les suivirent plus loyalement contre le fils de César qu'ils n'avaient suivi Antoine, qui était le compagnon de César au combat et son collègue; aucun d'eux n'abandonna Brutus et Cassius même lorsqu'ils furent vaincus alors que certains d'entre eux avaient abandonné Antoine à Brundusium avant que la guerre ne commence. La raison de leur soutien, du temps de Pompée et maintenant avec Brutus et Cassius, n'était pas leur propre intérêt, mais la défense de la démocratie; un nom sans doute alléchant, mais toujours nuisible. Ces deux chefs, quand ils jugèrent qu'ils ne pourraient plus être utiles à leur pays, dédaignèrent même leurs propres vies. Pour ce qui est de façon de faire, Cassius ne pensait qu'à la guerre, comme un gladiateur pense à son adversaire; Brutus, partout où il allait, voulait tout voir et tout entendre, comme un philosophe qui ne manquait pas de noblesse. [4,134] A l'encontre de toutes ces vertus et de ces mérites on doit opposer le crime perpétré contre César, crime extraordinaire et énorme, parce que il fut commis inopinément contre un ami, avec ingratitude contre un bienfaiteur qui les avait épargnés lors de la guerre, et avec scélératesse contre la tête de l'état, dans le sénat, contre un pontife revêtu de ses vêtements sacrés de cérémonie, contre un pouvoir sans égal, qui était le plus utile surtout pour tous les hommes à Rome et dans son empire. C'est pour ces raisons que le ciel s'enflamma contre eux et les prévint souvent de leur sort malheureux. Un jour que Cassius faisait une lustration pour son armée son licteur plaça sa couronne à l'envers; et la Victoire, un cadeau en or provenant de Cassius, s'écroula. Beaucoup d'oiseaux volèrent au-dessus de son camp, mais aucun ne poussa un cri, et des essaims d'abeilles se déposaient sans arrêt sur lui. Alors que Brutus célébrait son anniversaire à Samos on raconte qu'au milieu du repas, bien qu'il ne fît pas homme à faire de telles citations, il ait cité ce vers sans raison apparente: "Destin cruel, tu m'as tué, avec l'aide du fils de Latone". Alors qu'il allait passer d'Asie en Europe avec son armée, et qu'il était éveillé durant la nuit et que la lumière ne brûlait pas, il vit une apparition de forme extraordinaire se tenant près de lui, et quand il demanda hardiment si elle était un homme ou un dieu, le spectre répondit, "Je suis ton mauvais génie, Brutus. Je t'apparaîtrai encore à Philippes." Et on dit qu'il lui apparut avant la dernière bataille. Alors que les soldats revenaient du combat, un éthiopien le rencontra devant les portes, et comme ils considéraient cela comme un mauvais présage ils l'ont immédiatement mis en pièces. Il fallait aussi quelque chose de plus qu'humain, sans aucun doute, pour que Cassius se mette à désespérer sans raison après une bataille sans vainqueurs, et que Brutus fût forcé d'abandonner sa sage politique d'attentisme pour engager la bataille contre des hommes oppressés par faim, alors qu'il avait lui-même des provisions en abondance et la maîtrise de la mer, de sorte que sa débâcle provint plutôt de ses propres troupes que de l'ennemi. Bien qu'ils aient participé à beaucoup d'engagements, ils ne furent jamais blessés au combat, mais tous les deux devinrent leurs propres meurtriers, comme ils l'avaient été celui de César. Telle fut la punition de Cassius et de Brutus. [4,135] Antoine trouva le corps de Brutus, l'enveloppa dans le plus beau vêtement pourpre, le brûla et envoya les cendres à sa mère, Servilia. Quand l'armée de Brutus apprit sa mort, elle envoya des messagers à Octave et à Antoine et obtint le pardon, et ils furent répartis dans leurs deux armées. Il y avait environ 14.000 hommes. Sans compter ces derniers, il y en avait un grand nombre dans les fortins qui se rendirent. Les fortins et le camp de l'ennemi furent donnés à piller aux soldats d'Octave et d'Antoine. Des notables du camp de Brutus quelques uns périrent au combat, d'autres se suicidèrent comme l'avaient fait les deux généraux, d'autres continuèrent délibérément le combat jusqu'à la mort. Parmi ces notables étaient Lucius Cassius, neveu du grand Cassius, et Caton, le fils de Caton. Ce dernier chargea l'ennemi plusieurs fois; puis, quand ses hommes commencèrent à se débander, il jeta son casque, soit pour être reconnu, soit pour qu'on puisse facilement le frapper, ou pour les deux raisons. Labeo, un homme renommé pour sa culture, père du Labeo qui est encore célèbre comme jurisconsulte, creusa un trou dans sa tente de la taille de son corps, donna des ordres à ses esclaves pour qu'ils s'occupent du reste de ses affaires, arrangea ce qu'il désirait pour son épouse et ses enfants, et donna des lettres à un esclave pour pour qu'il les leur apporte. Puis, prenant son esclave plus fidèle par la main droite et le tournant autour de lui, comme le veut la coutume romaine pour accorder la liberté, il lui remit une épée tout en tournant et lui présenta sa gorge. [4,136] Et ainsi sa tente devint son tombeau. Rhascus, le Thrace, emmena beaucoup de troupes des montagnes. Il demanda et obtint comme récompense le pardon de son frère, Rhascupolis : il était clair que depuis le début ces deux Thraces n'étaient pas en désaccord entre eux, mais voyant deux grands armées hostiles entrant en conflit près de leur territoire, ils divisèrent les aléas de la fortune de sorte que le vainqueur puisse sauver le vaincu. Porcia, l'épouse de Brutus et sœur du jeune Caton, en apprenant que tous les deux étaient morts comme je l'ai décrit, bien que fort surveillée par ses esclaves, saisit des braises brûlantes qu'elle prit dans un brasier et les avala. D'autres membres de la noblesse qui fuirent à Thasos s'embarquèrent dans toutes les directions, d'autres se rendirent avec les restes de l'armée aux mains de Messala Corvinus et Lucius Bibulus, hommes de rang égal, pour qu'ils décident pour tous ce qu'ils décideraient pour eux-mêmes. Ceux-ci parvinrent à un arrangement avec Antoine et Octave, suivant lequel ils livreraient à Antoine à son arrivée à Thasos l'argent et les armes, sans compter des approvisionnements abondants et une grande quantité de matériel de guerre, qui se trouvaient dans des entrepôts. [4,137] Voilà ce que firent Octave et Antoine au milieu des périls et lors de deux engagements d'infanterie effectués avec succès, chose qui ne s'était jamais faite auparavant; jamais auparavant il n'y avait eu des armées romaines si nombreuses et si puissantes pour en venir aux mains. Ces soldats n'étaient pas des conscrits ordinaires, mais c'étaient des soldats d'élite. Ce n'étaient pas des homme de levées récentes, mais c'étaient des soldats entraînés qui étaient rangés les uns contre les autres, et non contre des races étrangères ou barbares. Ils parlaient la même langue, utilisaient la même tactique, ils avaient la même discipline et le même pouvoir d'endurance : c'étaient pour ces raisons qu'ils semblaient invincibles. Il n'y eut jamais autant de fureur et d'audace que dans cette guerre-là, quand des citoyens s'opposèrent à des citoyens, des familles à des familles, et des soldats à des soldats. La preuve en est que, si l'on prend en compte les deux batailles, le nombre de tués chez les vainqueurs parut aussi élevé que celui chez les vaincus. [4,138] L'armée d'Antoine et d'Octave confirma la prévision de leurs généraux, passant en un jour et en une fois du danger, de la famine et de la crainte extrême de la destruction à la richesse, la sécurité absolue et la victoire glorieuse. D'ailleurs, ce qu'Antoine et Octave avaient prédit aux Romains en allant au combat se produisit. Leur forme de gouvernement fut décidée principalement par ce qui se passa ce jour-là, et ils ne revinrent pas encore à la démocratie. Ils n'eurent plus des controverses semblables entre eux, sauf les différends entre Antoine et Octave peu après, qui fut la dernière qui eut lieu entre les Romains. Les événements qui se produisirent après la mort de Brutus, sous Sextus Pompeius et les amis de Cassius et de Brutus, qui s'échappèrent avec des restes très considérables de leur matériel de guerre, ne peuvent pas être comparés avec ce qui précède ni en audace ni dans le dévouement des hommes, des villes, et des armées à leurs chefs; et ni une partie de la noblesse, ni le sénat, ni la même gloire, ne les accompagna comme elles avaient accompagné Brutus et Cassius.