[0] DISCOURS SUR LA PAIX AVEC LES LACÉDÉMONIENS. [1] Il vaut mieux conclure une paix équitable que faire la guerre, c'est ce que vous pensez tous, je crois, Athéniens; mais les orateurs, s'ils acceptent le mot de paix, s'opposent aux actes qui pourraient amener la paix, et c'est ce que vous ne voyez pas tous. Ils disent, en effet, qu'il est fort à craindre pour le peuple que, la paix une fois faite, le gouvernement actuel ne soit renversé. [2] Si le peuple Athénien n'avait jamais antérieurement conclu de paix avec Lacédémone, nous aurions le droit de redouter l'événement, l'expérience étant nouvelle et les Lacédémoniens pouvant être suspects. Mais puisque bien des fois déjà vous avez fait jadis la paix avec eux sous un gouvernement démocratique, n'est-il pas naturel que vous considériez d'abord ce qui s'est passé en ces occasions-là? Car c'est d'après les événements antérieurs, Athéniens, qu'il faut conjecturer l'avenir. [3] Donc à l'époque où nous avions la guerre en Eubée et que nous tenions Mégare et Pèges et Trézène, nous désirâmes la paix et nous rappelâmes Miltiade, fils de Cimon, qui banni par l'ostracisme vivait en Chersonèse, dans l'intention (car il était proxène des Lacédémoniens) de l'envoyer à Lacédémone préparer la trêve, [4] et alors nous fîmes, pour cinquante ans, la paix avec les Lacédémoniens, et les deux peuples observèrent la trêve pendant treize ans. Examinons donc d'abord, Athéniens, cette première expérience. Durant cette paix, la démocratie Athénienne a-t-elle été renversée à quelque moment? personne ne saurait le démontrer. Que d'avantages, au contraire, résultèrent de cette paix, c'est ce que je vais vous dire. [5] D'abord c'est précisément à cette époque que nous avons bâti les fortifications du Pirée, puis le long mur orienté vers le Nord; de plus, nous n'avions alors que de vieilles trirèmes incapables de tenir la mer, celles qui nous avaient servi à vaincre sur mer le grand roi et les barbares et à délivrer la Grèce: pour remplacer ces bâtiments nous construisîmes cent trirèmes, et à la même époque, pour la première fois, nous instituâmes une milice de trois cents cavaliers et prîmes à solde trois cents archers Scythes. Tels sont les avantages que la cité recueillit de la paix avec Lacédémone, ainsi s'accrurent les forces du peuple Athénien. [6] Puis commencèrent les hostilités avec Egine: après avoir tour à tour éprouvé et infligé bien des maux, nous désirâmes de nouveau la paix, et dix citoyens choisis entre tous furent envoyés à Sparte avec pleins pouvoirs pour traiter de la paix: parmi eux était Andocide, mon grand-père. Ceux-ci nous ménagèrent une paix de trente ans avec les Lacédémoniens. Or, dans cette longue période est-il quelque moment où la démocratie Athénienne fut renversée? Qu'y eut-il? Surprit-on quelque complot contre la démocratie? Il n'est personne pour le prouver. [7] Tout au contraire cette paix éleva si haut le peuple Athénien, et le rendit si fort, que d'abord pendant ces années de tranquillité nous portâmes 1.000 talents à l'Acropole et décidâmes par une loi qu'ils seraient la propriété réservée du peuple; de plus, nous construisîmes cent autres trirèmes qu'un décret réserva spécialement au service du peuple Athénien; nous bâtîmes des arsenaux, nous organisâmes un nouveau corps de douze cents cavaliers et d'autant d'archers, et le long mur du Sud fut construit. Tels sont les avantages que la cité recueillit de la paix avec Lacédémone, ainsi s'accrurent les forces du peuple Athénien. [8] Une autre fois, étant entrés en guerre avec Mégare, nous laissâmes ravager notre territoire, et, très appauvris, nous fîmes de nouveau la paix, cette fois par l'intermédiaire de Nicias, fils de Nicératos. Vous savez tous, je suppose, que grâce à cette paix, 7.000 talents d'argent monnayé furent portés à l'Acropole, [9] nous eûmes plus de 300 navires, le tribut rapportait par an plus de 1.200 talents, nous avions la Chersonèse, Naxos, plus des deux tiers de l'Eubée; quant aux autres colonies il serait trop long de les énumérer en détail. Telle était notre excellente situation, quand nous nous engageâmes dans une nouvelle guerre avec Lacédémone, entraînés déjà cette fois par les Argiens. [10] Rappelez-vous donc d'abord, Athéniens, ce que, dès le début, je me suis proposé devant vous comme objet de ce discours: n'était-ce pas de montrer que jamais la paix n'a été funeste à la démocratie Athénienne? Voilà qui est fait: personne ne saurait prouver que tout cela n'est pas vrai. Mais j'ai tout à l'heure entendu des gens dire que la dernière paix conclue avec Lacédémone a amené l'établissement des Trente, la mort par la ciguë de beaucoup d'Athéniens, l'exil de beaucoup d'autres. [11] Tous ceux qui parlent ainsi ne raisonnent pas juste: paix et traité sont deux termes très différents. On fait la paix sur le pied d'égalité quand on s'est entendu entre soi sur les causes du désaccord; mais le traité, c'est ce qu'après la victoire le plus fort conclut avec le plus faible, aux termes qu'il veut. Ainsi firent nos vainqueurs, les Lacédémoniens, qui nous imposèrent et de renverser nos murailles, et de livrer nos vaisseaux, et de recevoir les bannis. [12] A cette époque ce fut donc un traité que nous subîmes, aux termes qu'ils voulurent, aujourd'hui c'est d'une paix qu'il s'agit. Voyez, d'après la teneur même, et quelles sont les conditions gravées sur la stèle, et à quelles conditions la paix est possible aujourd'hui: là, il nous est enjoint de renverser nos murailles, aujourd'hui on nous permet de les relever; là, nous ne pouvons avoir que douze navires, ici autant qu'il nous plaira. Lemnos, Imbros et Scyros restent, d'après la stèle, à ceux qui les avaient, aujourd'hui elles sont à nous. Aujourd'hui nous n'avons à recevoir aucun banni malgré nous, alors nous dûmes recevoir les exilés, qui renversèrent la démocratie. Quel rapport y a-t-il entre ceci et cela? Je conclus donc ainsi sur ce point: la paix est pour le peuple le salut et la force, la guerre est sa ruine; voilà ce que je dis sur ce sujet. [13] Quelques-uns prétendent que nous sommes tenus de faire la guerre: examinons donc, Athéniens, d'abord pour quelle raison aussi nous devons faire la guerre. Tous les hommes reconnaissent, je crois, que la guerre s'impose quand on a été attaqué ou quand on prend parti pour un faible, attaqué. Or, nous étions lésés nous-mêmes et nous secourions les Béotiens, lésés comme nous. Si donc nous obtenons des Lacédémoniens de n'être plus inquiétés et si les Béotiens consentent à faire la paix en laissant à Orchomène son autonomie, pour quel motif aurions-nous à faire la guerre? Pour que notre cité soit libre? [14] mais elle l'est. Ou bien pour que nous ayons des murailles? La paix nous permet d'en avoir. Ou encore pour que nous puissions construire des trirèmes, équiper celles qui existent et les garder? Nous en avons le droit, car le traité fait les cités indépendantes. Ou encore pour que nous acquérions les îles de Lemnos, Imbros et Scyros? il est expressément stipulé qu'elles appartiendront aux Athéniens. [15] C'est, dira-t-on, pour recouvrer la Chersonèse, nos colonies, nos possessions à l'étranger et nos créances? Mais ni le roi ni les alliés n'y consentent: il faut leur faire la guerre pour reprendre tout cela. Par Jupiter faudra-t-il combattre jusqu'à ce que nous ayons vaincu les Lacédémoniens et leurs alliés? Il ne me semble pas que nous soyons en état de les vaincre. Et si nous y parvenions, comment risquons-nous d'être traités à notre tour par les barbares, après notre victoire? [16] Ainsi quand même nous devrions combattre pour le résultat que j'ai dit, quand nous serions assez riches en argent et en hommes, même alors il ne faudrait pas combattre. Mais puisque nous n'avons pas de raison pour faire la guerre, ni de quoi la faire, ni d'ennemis à qui la faire, ne devons-nous pas nécessairement faire la paix ! [17] Songez encore, Athéniens, à ceci, que c'est maintenant à tous les Grecs ensemble que vous apportez la paix et la liberté et que vous les faites participer tous à toute espèce d'avantages. Voyez, en effet, dans quelles conditions les plus grandes cités mettent fin à la guerre; d'abord Lacédémone, qui au début de la guerre qu'elle soutenait contre nous et nos alliés avait la double suprématie et de terre et de mer, la paix ne lui laisse aujourd'hui ni l'une ni l'autre; [18] et elle y renonce sans y être forcée par nous, mais pour la liberté de toute la Grèce. Car les Lacédémoniens ont été déjà victorieux dans trois combats, une première fois à Corinthe où ils ont vaincu les confédérés, réunis là, ne leur laissant d'autre recours que de convenir que, seuls, les Lacédémoniens étaient plus forts qu'eux tous, une deuxième fois en Béotie, lorsque commandés par Agésilas, ils remportèrent encore une victoire semblable; une troisième fois lorsqu'ils prirent Léchéum, battant tous les Argiens et les Corinthiens, et ceux des Béotiens et des nôtres qui se trouvaient là: [19] après de tels succès ils sont disposés à faire la paix en ne gardant que leur territoire, eux les vainqueurs, en reconnaissant aux villes leur autonomie, en permettant aux vaincus le libre accès de la mer. Et pourtant quelles conditions auraient-ils obtenues de nous, s'ils avaient perdu seulement une bataille? [20] Et les Béotiens, d'autre part, à quelles conditions font-ils la paix? Ils ont entrepris la guerre à cause d'Orchomène, prétendant ne pas lui laisser son indépendance; et aujourd'hui que tant de leurs guerriers ont péri, qu'une partie notable de leur territoire a été ravagée, quand l'Etat et les particuliers ont versé tant d'argent, qui est perdu, après quatre ans de lutte, les voilà qui, pour faire la paix, permettent qu'Orchomène soit libre, que tous leurs sacrifices soient inutiles; ne pouvaient-ils pas, dès le début, reconnaître l'autonomie d'Orchomène et vivre en paix? voilà pourtant de quelle façon ils mettent fin à la guerre. [21] Et nous, Athéniens, à quelles conditions nous est-il permis de faire la paix? Quels sentiments trouvons-nous chez les Lacédémoniens? Si quelqu'un de vous doit être offensé, je m'en excuse; je ne dirai que ce qui est. D'abord, quand nous eûmes perdu notre flotte dans l’Hellespont et que nous fûmes assiégés dans nos murs, quelle sentence fut prononcée contre nous par ceux qui, aujourd'hui nos alliés, étaient alors les alliés des Lacédémoniens? Ne voulaient-ils pas réduire notre ville en esclavage et faire le désert dans le pays? Et quels sont ceux qui s'y opposèrent, sinon les Lacédémoniens qui, combattant l'avis de leurs alliés, ne voulurent même pas, quant à eux, qu'on discutât de pareilles mesures? [22] Alors, après leur avoir fait des serments et avoir obtenu d'eux de dresser la stèle du traité, triste nécessité désirable pourtant dans notre situation, nous signâmes la paix aux conditions convenues. Puis voilà qu'ayant conclu une alliance avec les Béotiens et les Corinthiens, détachés de Lacédémone, et ayant renoué avec les Argiens l'amitié d'autrefois, nous fûmes cause que les Lacédémoniens eurent à combattre à Corinthe. Et qui leur suscita l'inimitié du grand roi? Qui donc mit Conon en état de livrer cette bataille navale qui leur fit perdre l'empire de la mer? [23] Et cependant ainsi traités par nous, ils nous font les mêmes concessions que nos alliés et nous laissent conserver nos murs, nos vaisseaux et les îles. Quelle paix faut-il donc que les ambassadeurs vous apportent? Ne suffit-il pas qu'ils aient obtenu des ennemis ce que vous accordent vos amis, et que notre cité ait les avantages en vue desquels nous avons commencé la guerre? Ainsi les autres font la paix en abandonnant une partie de ce qu'ils avaient, nous, en acquérant ce que nous désirions le plus. [24] Sur quoi nous reste-t-il donc à délibérer ! Ah ! sur l'appel que nous adressent encore les Argiens. Qu'on me renseigne d'abord au sujet de Corinthe: du moment que les Béotiens ne font plus la guerre de concert avec nous et traitent avec Lacédémone, que vaut pour nous Corinthe? [25] Rappelez-vous, Athéniens, le jour où nous conclûmes l'alliance avec la Béotie, quelle idée avions-nous on agissant ainsi? N'était-ce pas que les forces des Béotiens réunies aux nôtres pouvaient tenir tête au monde entier? Mais aujourd'hui examinons dans quelle mesure nous sommes capables, les Béotiens signant la paix, de soutenir la guerre contre Lacédémone, sans les Béotiens. [26] Nous le pourrons, disent certaines gens, pour peu que nous gardions Corinthe et si nous avons les Argiens pour alliés. Si les Lacédémoniens marchent sur Argos, lui porterons-nous secours ou non? Il est de toute nécessité de prendre l'un des deux partis. Si nous ne lui portons pas secours, force nous est de reconnaître que nous manquons à notre devoir et que les Argiens ont le droit de nous traiter comme ils voudront. Mais si nous secourons Argos, la guerre avec Lacédémone n'est-elle pas inévitable? Et que peut-il nous en revenir? Vaincus, nous perdons notre propre territoire avec celui de Corinthe, nous assurons, si nous sommes vainqueurs, la possession de Corinthe aux Argiens. Ne sera-ce pas là le résultat de la guerre? [27] Voyons donc les discours des Argiens. Ils nous invitent à combattre de concert avec eux et les Corinthiens, mais ils ont fait de leur côté une convention particulière qui met leur pays en dehors des hostilités. Et nous qui faisons la paix d'accord avec tous les alliés, ils ne veulent pas que nous ayons la moindre confiance aux Lacédémoniens; à les entendre, les traités conclus par eux avec les Lacédémoniens sont les seuls que ceux-ci n'ont jamais violés. Ils appellent héréditaire la paix dont ils jouissent, et ne permettent pas que les autres Grecs arrivent à avoir une paix héréditaire; ils espèrent, en faisant durer la guerre, s'emparer de Corinthe, et, après avoir triomphé de ceux qui les ont toujours vaincus, soumettre même ceux qui les auront aidés à vaincre. [28] Vous qui partagez de telles espérances, il vous faut de deux partis prendre l'un, ou combattre avec Argos contre Lacédémone, ou de concert avec les Béotiens conclure la paix; ce que je crains surtout, Athéniens, c'est que, suivant notre imprudence habituelle, nous ne préférions comme amis les faibles aux forts et ne fassions la guerre pour le compte d'autrui, pouvant vivre en paix quant à nous. [29] N'est-ce pas nous d'abord qui, ayant signé une trêve avec le grand roi (car il faut se rappeler les faits passés pour bien délibérer), ayant fait amitié avec lui pour toujours, traité que nous ménagea Epilycos, fils de Tisandros et frère de ma mère, nous sommes laissé persuader par Amorgès, l'esclave du roi, un banni, et renonçant à l'appui du roi, comme sans valeur, avons préféré l'amitié d'Amorgès, l'estimant plus précieuse: d'où la colère du prince contre nous; devenu l'allié des Lacédémoniens, il leur fournit 3.000 talents pour soutenir la guerre, jusqu'à ce qu'il eût ruiné notre puissance. Voilà un exemple de nos décisions en de telles circonstances. [30] Et lorsque les Syracusains vinrent nous prier, demandant à devenir nos amis au lieu d'être nos ennemis, à faire avec nous la paix au lieu de la guerre, montrant combien leur alliance valait mieux que celle d'Egeste et de Catane, si nous voulions nous entendre avec eux, nous cependant nous préférâmes aussi ce jour-là la guerre à la paix, Egeste à Syracuse, l'expédition de Sicile au droit de rester chez nous ayant les Syracusains pour alliés: c'est par eux que périrent beaucoup des nôtres, beaucoup de nos alliés, et des meilleurs, que nous perdîmes tant de navires, d'argent et de puissance, et que ceux qui s'échappèrent durent revenir honteusement. [31] Enfin nous nous sommes laissé déterminer par ces mêmes Argiens, qui viennent aujourd'hui nous entraîner à la guerre, à faire voile contre la Laconie, alors que nous étions en paix avec les Lacédémoniens, ce qui les exaspéra et fut le principe de bien des malheurs: d'où une guerre qui nous réduisit à renverser nos murs, à livrer nos vaisseaux et à recevoir les exilés. Pendant que nous subissions ces épreuves, ceux qui nous avaient entraînés à la guerre, les Argiens, de quel secours nous étaient-ils? quel danger bravaient-ils pour Athènes? [32] Aujourd'hui donc il nous reste encore à préférer la guerre à la paix, l'alliance d'Argos à celle des Béotiens, ceux qui détiennent maintenant Corinthe, aux Lacédémoniens. Non, Athéniens, que personne ne vous puisse décider à cela ! Il suffit à l'homme sensé de se représenter ses fautes antérieures pour n'en plus commettre. [33] Mais quelques-uns d'entre vous sont bien singulièrement impatients que la paix soit faite au plus tôt: ils disent que les quarante jours que nous vous laissons pour délibérer sont un délai superflu et qu'en cela nous avons tort. Car nous avons été envoyés à Lacédémone pour cette paix avec pleins pouvoirs, afin de ne pas revenir en appeler à l'assemblée. Ils voient dans notre précaution de vous consulter un acte de timidité, disant que jamais personne n'a sauvé le peuple Athénien en le persuadant au grand jour, mais qu'il faut, pour le servir, dissimuler et tromper: [34] je n'approuve pas ce langage. Je prétends, Athéniens, qu'en cas de guerre un général dévoué à la cité et sachant ce qu'il faut faire doit cacher ses projets à la foule des soldats et les tromper pour les conduire au danger. Mais des ambassadeurs, chargés de négocier une paix générale pour tous les Grecs, au sujet de laquelle des serments seront jurés, des stèles dressées avec inscriptions, ne doivent ni se cacher ni tromper; et nous méritons plutôt l'éloge que le blâme pour avoir soumis encore, nous, ambassadeurs plénipotentiaires, la chose à votre examen. Il faut donc prendre une décision aussi prudente que possible et vous tenir à ce que vous aurez juré et accepté. [35] Car nous devons songer, dans notre rôle d'ambassadeurs, non seulement à notre mission écrite mais aussi à votre caractère. Vous avez l'habitude de vous défier, de vous dégoûter de ce qui est sous votre main, tandis que vous vous flattez d'avoir à votre disposition ce qui n'y est pas. Faut-il faire la guerre, vous souhaitez la paix; si quelqu'un négocie pour vous un traité, vous calculez tous les avantages que vous a procurés la guerre. [36] Mais encore aujourd'hui il en est qui disent ne pas se soucier de savoir quelles sont les clauses du traité, si la ville aura des murs et des vaisseaux; car on ne prend pas sur les possessions situées à l'étranger de quoi les indemniser, et les murs ne leur donnent pas de quoi vivre; il faut donc répondre aussi à cela. [37] Il fut jadis un temps, Athéniens, où nous ne possédions ni navires, ni murailles; du jour où nous en eûmes, nous commençâmes l'œuvre de notre prospérité; si aujourd'hui encore cette prospérité vous fait envie, ayez tout cela. Avec ce point d'appui, nos pères ont conquis à la république une telle puissance que jamais cité n'en eut de pareille, [38] agissant sur les Grecs ici par la persuasion, là par la ruse, tantôt par la corruption, tantôt par la force. Nous obtînmes que les Hellénotames (intendants du trésor commun) fussent pris à Athènes, que les navires se réunissent dans notre port, que nous fournissions des vaisseaux aux cités qui n'en auraient pas; nous bâtîmes nos murs à l'insu des Péloponnésiens dupés; nous payâmes les Lacédémoniens pour n'être pas inquiétés là-dessus; et ayant réduit par la force ceux qui nous faisaient obstacle, nous établîmes notre empire sur la Grèce; et tous ces résultats nous les avons obtenus en quatre-vingt cinq ans. [39] Mais quand nous fîmes la guerre, nous fûmes vaincus et, sans parler des autres pertes, les Lacédémoniens prirent pour garanties nos murs et nos vaisseaux, s'appropriant les uns, renversant les autres, afin que, privée de ce double point d'appui, notre république ne put jamais rétablir sa puissance. Or voici que persuadés par nous, les ambassadeurs Lacédémoniens arrivent aujourd'hui munis de pleins pouvoirs, nous rendant nos gages, permettant que nous ayons nos murs et nos flottes, et que les îles nous appartiennent. [40] Et quoique nous retrouvions ainsi pour notre prospérité le point de départ qu'ont eu nos pères, il en est qui disent qu'il ne faut pas faire la paix. Qu'ils montent donc à la tribune, nous leur en avons fourni les moyens en demandant quarante jours de plus pour délibérer, qu'ils disent s'il s'y trouve quelque article désavantageux; il est possible de le supprimer; ou bien si quelqu'un veut en faire ajouter un, qu'il vous persuade et l'inscrive. En acceptant toutes les clauses du traité, nous pouvons vivre en paix. [41] S'il n'en est pas une pour vous plaire, la guerre est à votre disposition. Et tout dépend de vous, Athéniens, vous pouvez choisir tel parti que vous voudrez. Car Argiens et Corinthiens sont ici pour vous démontrer qu'il vaut mieux combattre; d'autre part, les Lacédémoniens sont venus pour vous persuader de traiter. Et c'est à vous qu'il appartient d'en finir, non aux Lacédémoniens, et cela grâce à nous. Nous, ambassadeurs, nous vous déléguons nos pouvoirs. Tout citoyen qui va voter est un ambassadeur, quoi qu'il choisisse, de la paix ou de la guerre. Souvenez-vous donc, Athéniens, de nos paroles et décidez telle mesure dont vous puissiez ne vous jamais repentir.