[1,0] ADAMNAN : DES LIEUX SAINTS. PROLOGUE. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je commence à écrire un livre sur les Lieux-Saints. Saint Arculfe, évêque, français de nation, habile dans la connaissance des lieux les plus reculés, indicateur véridique et instruit, ayant séjourné neuf mois dans la ville de Jérusalem, visité chaque jour les lieux célèbres de cette ville, m'a dicté un récit fidèle et qui ne laisse aucun doute. Je l'interrogeais avec soin et écrivais de suite sur mes tablettes ce que je vais maintenant rédiger brièvement sur des feuilles de parchemin. [1,1] LIVRE PREMIER. CHAPITRE PREMIER. La position de Jérusalem. Quant à la situation de Jérusalem, nous mettrons maintenant par écrit quelques-uns des détails que saint Arculfe m’a dictés, à moi {Adamnan}. Mais ce que l’on trouve dans les livres des autres concernant la position de cette ville, nous le passerons. Dans la circonférence de ses murs, Arculfe a compté quatre-vingt-quatre tours et deux fois trois portes, qui sont placées dans l’ordre suivant dans le circuit de la ville : la Porte de David, sur le côté ouest du Mont Sion, est comptée en premier; en second vient la Porte de la Place du Foulon; en troisième, la Porte Saint-Étienne; en quatrième, la Porte de Benjamin; en cinquième une petite porte par laquelle on descend par des marches vers la vallée de Josaphat et en sixième, la Porte Thecuitis. Voici l’ordre de ces portes et tours : de la Porte de David mentionnée ci-dessus, on tourne vers la partie septentrionale du circuit et de là vers l’est. Mais bien que l’on compte six portes dans ces murs, les plus fréquentées sont au nombre de trois : une à l’ouest, une autre au nord et une troisième à l’est. Tandis qu’il n’y a pas de porte dans la partie de muraille garnie de tours qui s’étend de la Porte de David à travers le flanc nord du Mont Sion qui surplombe la ville au sud et jusqu’en face de cette montagne qui regarde vers l’est, où la roche est abrupte. Nous ne devons pas oublier ce que nous a rapporté saint Arculfe de la munificence avec laquelle cette cité est traitée par le Christ : « Une multitude presque innombrable de toutes sortes de nations, nous dit-il, se rassemble chaque année à Jérusalem, le 15 septembre, pour traiter de diverses ventes et achats : aussi arrive-t-il nécessairement que pendant quelques jours la ville est forcée de loger cette foule d'étrangers de tous pays ; et les troupes de chameaux, de chevaux, d’ânes, de mulets, de bœufs, qui transportent les marchandises, remplissent d'ordures les places de cette populeuse cité, ce qui n'est pas pour les habitants un léger ennui, car cela les empêche même de sortir. Mais, ô prodige ! à peine tous ces étrangers sont-ils partis avec leurs bêtes de somme que, pendant la nuit, des torrents de pluie inondent la ville, entraînent avec eux toutes ces immondices et lui rendent sa première propreté. Car la ville de Jérusalem, commençant au sommet nord du mont Sion, a reçu de Dieu une pente si douce jusqu'au bas des murs du nord et de l'orient, que cette masse d'eau ne peut séjourner dans les rues comme les eaux dormantes, mais, à l'instar des fleuves, descend de haut en bas. Toutes ces eaux pluviales, s'échappant par les portes de l'orient en entraînant avec elles toutes les ordures, entrent dans la vallée de Josaphat et vont grossir le torrent du Cédron. Puis, après ce baptême, la pluie cesse dans Jérusalem. Aussi jugez combien cette ville est vraiment l'élue du Très-Haut, puisqu'il ne veut pas qu'elle reste souillée un seul jour; mais, en l'honneur de son Fils, il la purifie, cette cité qui, dans l'enceinte de ses murs, renferme les lieux sanctifiés par la croix et la résurrection. Dans le lieu fameux où fut magnifiquement construit le Temple, les Sarrasins ont élevé une maison de prière ; elle est quadrangulaire, couverte en bois, à l'aide de grandes poutres qui reposent sur quelques restes de ruines. Ils se réunissent dans cet édifice de structure misérable et qui peut contenir environ trois mille hommes Arculfe, interrogé par nous sur les édifices de la ville, nous répondit: « Je me souviens avoir visité beaucoup de monuments de cette ville, et avoir souvent considéré beaucoup de grandes maisons en pierre dans l'enceinte des murs, construites avec un art admirable. » Mais nous laisserons de côté ces descriptions pour ne nous attacher qu'aux édifices élevés dans les lieux qu'ont sanctifiés la croix et la résurrection. [1,2] CHAPITRE II. De l'église en forme de rotonde construite sur le sépulcre. J'ai plus spécialement interrogé Arculfe sur ces lieux saints, et surtout sur le sépulcre du Seigneur et sur l'église construite au-dessus dont il m'a lui-même fait le dessin sur une tablette de cire. Cette très grande église de forme ronde, est entièrement construite en pierres. Elle s'élève sur trois murs concentriques entre chacun desquels se trouve un vaste espace pour circuler. Trois autels admirablement travaillés ont été ménagés dans le mur intermédiaire. Douze colonnes de pierre d'une grande hauteur soutiennent la coupole qui recouvre cette église ronde. Les trois autels regardent l'un au midi, l'autre au nord, l'autre au couchant. On pénètre dans l'église par deux portes à quatre baies, c'est-à-dire par deux entrées qui donnent accès aux trois espaces séparés par les murs de l'édifice ; de ces huit baies, quatre regardent le Vulturne, appelé aussi Calcias et quatre l'Eurus. Au centre de la rotonde, s'élève un édicule rond, taillé dans un même massif de rocher ; il peut contenir neuf hommes debout priant côte à côte, et le plafond se trouve à un pied environ au-dessus de la tête d'un homme de haute taille. L'entrée de ce petit édicule regarde vers l'Orient; il est entièrement couvert à l'extérieur de marbres choisis. Le sommet est doré et soutient une grande croix d'or. Le Sépulcre proprement dit est creusé dans la paroi septentrionale de la chambre sépulcrale et dans la même roche ; le pavé de cette chambre est plus bas que le Sépulcre, et il y a presque trois palmes de hauteur du pavé de la chambre a bord du Sépulcre. Du moins, c’est ce que m’a dit Arculfe, qui avait l’habitude de se rendre souvent au Sépulcre du Seigneur et l’a mesuré très exactement. Ici nous devons mentionner la différence de noms entre le Tombeau et le Sépulcre; car cette cellule ronde que nous mentionnions souvent, les Évangélistes l’ont appelée par un autre nom, le Tombeau : ils parlent de la pierre roulée sur son ouverture et qui fut roulée en sens inverse, quand le Seigneur est ressuscité. On appelle avec raison Sépulcre l’endroit, dans cette cellule, qui est du côté nord du Tombeau, et dans lequel le corps du Seigneur, quand il fut enterré, reposa, enveloppé dans des linges. Arculfe en a mesuré la longueur de sa propre main et l’a trouvé long de sept pieds. Ce sépulcre n'est pas double, comme quelques-uns le croient à tort, c'est-à-dire creusé de façon à ce que les jambes du corps enseveli soient séparées ; mais il est simple depuis la tête jusqu'aux pieds, représentant un lit capable de recevoir un homme couché sur le dos ; il y a une petite surélévation pour la place de la tête. L'ouverture de cette niche sépulcrale ressemble à celle d'une grotte ; elle regarde la partie méridionale du monument; le plafond en est surbaissé et formé par le rocher taillé de main d'homme. Des lampes, au nombre de douze, en souvenir des douze apôtres, brûlent nuit et jour dans le Sépulcre; quatre sont placées au fond de ce petit lit funéraire, les huit autres du coté droit. Elles brillent vivement, car elles sont alimentées avec de l’huile. [1,3] CHAPITRE III. De l'église en forme de rotonde construite sur le sépulcre. Mais il me semble que l’on devrait aussi noter que le Mausolée ou Sépulcre du Sauveur (c’est-à-dire la cellule souvent mentionnée), peut être à raison appelée une grotte ou une caverne, à propos de laquelle, c’est-à-dire à propos de l’enterrement de Notre-Seigneur en ce lieu, le prophète a prophétisé : "Il habitera dans une caverne élevée et de pierre très forte". Et un peu après, il est écrit à propos de la Résurrection du Seigneur, pour réjouir les Apôtres, "Vous verrez le Roi dans la gloire". Le frontispice montre en conséquence la forme de l’église mentionnée ci-dessus avec la petite cellule ronde placée en son centre, et le Sépulcre du Seigneur dans le côté nord, et aussi les formes des trois autres églises dont nous parlerons ensuite. Dans cette même église on a taillé dans le roc une grotte au lieu où s'éleva la croix du Seigneur, et là, sur l'autel, on offre le sacrifice pour les âmes de certains hauts personnages dont les corps, pendant ce temps exposés sur la rue, sont placés devant la porte de cette église du Golgotha jusqu'à ce que soient finis les saints mystères que l'on célèbre pour eux. Nous avons dessiné ces croquis des quatre églises selon le modèle que saint Arculfe a dessiné lui-même sur une tablette de cire, comme nous l'avons dit. Non pas tant que l’on puisse les dessiner de façon ressemblante, mais afin que le Tombeau du Seigneur, aussi mauvaise que puisse en être sa représentation, soit montré à sa place, au centre de l’église ronde, et que l’église qui y est attachée ou celle placée un peu plus loin puissent être situées clairement. [1,4] CHAPITRE IV. De la pierre qui fut placée à la porte du tombeau. Nous devons dire quelques mots de la pierre qui fut roulée à l'entrée du tombeau, au rapport d'un grand nombre, après la sépulture du Seigneur crucifié. Arculfe nous a dit qu'on l'a séparée en deux parties : la plus petite a été taillée au ciseau et forme un autel carré dans l'église en rotonde devant la porte de l'oratoire, c'est-à-dire du tombeau du Seigneur; la plus grande partie a été aussi taillée et sert à un autre autel quadrangulaire, au côté oriental de l'église. Nous avons aussi demandé à Arculfe quelles étaient les couleurs du roc à l'intérieur duquel on a creusé cet oratoire avec le sépulcre du Seigneur à sa partie nord, taillé dans la même pierre, et il nous a répondu : Cet oratoire du tombeau du Seigneur n'est couvert à l'intérieur d'aucun ornement, et montre encore aujourd’hui, dans toute sa voûte, les traces des instruments qui l'ont creusé ; la couleur du tombeau et du sépulcre n'est cependant pas partout uniforme, mais la pierre offre une réunion de rouge et de blanc. Du reste, en voilà, je crois, assez sur ce sujet. [1,5] CHAPITRE V. De l'église de Sainte-Marie toujours vierge, qui est voisine de l'église en rotonde Il nous reste, peu de chose à ajouter sur les édifices des lieux saints. A cette église en rotonde dont nous avons parlé que l'on nomme l'Anastase ou la Résurrection, et qui a été élevée au lieu où notre Seigneur est ressuscité, est adhérente, du côté droit, une église carrée dédiée à Notre-Dame, la mère du Seigneur. [1,6] CHAPITRE VI. De l'église construite au lieu du Calvaire Une autre église très vaste a été construite vers l'orient, à l'endroit appelé en hébreu Golgotha; à la voûte pend, au bout d'une corde, une roue d'airain très grande entourée de lampes, et sous cette roue est attachée une grande croix d'argent pour marquer l'endroit où s'éleva autrefois la croix de bois sur laquelle mourut le Sauveur du genre humain. [1,7] CHAPITRE VII. De la basilique de Constantin, voisine de la précédente Près de cette église carrée du Calvaire, est située, à l'orient, la basilique de pierre construite à grands frais par le roi Constantin, et appelée aussi Martyrium; élevée, dit-on, au lieu où, après deux cent trente-trois ans, on retrouva, par la grâce du Seigneur, la croix divine cachée sous terre avec les deux autres croix des voleurs. Entre ces deux églises est le lieu fameux où le patriarche Abraham fit un autel qu'il chargea de bois et où, son glaive tiré, il se préparait à immoler son fils Isaac. En ce lieu est maintenant une grande table sur laquelle le peuple dépose les aumônes des pauvres. Saint Arculfe ajouta encore ce détail : « Entre l'Anastase, c'est-à-dire cette église en rotonde dont nous avons parlé, et la basilique de Constantin, il existe une petite place jusqu'à l'église du Golgotha, et sur cette place brûlent nuit et jour des lampes. » [1,8] CHAPITRE VIII. D'un autre sanctuaire dans l'intérieur de l'église du Calvaire Entre cette basilique du Golgotha et le Martyrium est une sorte de sanctuaire où l'on conserve le calice du Seigneur, qu'il bénit de sa main et qu'il offrit aux apôtres dans la cène qu'il célébra avec eux la veille de sa passion. Ce calice d'argent contient un setier de France, et a deux petites anses, une de chaque côté. Dans ce calice est l'éponge que les bourreaux offrirent au Sauveur sur la croix, après l'avoir imbibée de vinaigre. C'est encore dans ce calice que, suivant la tradition, notre Seigneur but, après sa résurrection, dans un repas avec les apôtres. Saint Arculfe l'a vu, et, par une ouverture que présente l'armoire où il est renfermé, il l'a touché de sa main et l'a baisé. Tout le peuple de la ville a une profonde vénération pour ce calice qu'il vient voir souvent. [1,9] CHAPITRE IX. De la lance avec laquelle, un soldat frappa le flanc du Seigneur. Arculfe a vu aussi la lance dont un soldat perça le côté du Seigneur pendu sur la croix. Cette lance est renfermée dans une croix de bois, au portique de la basilique de Constantin; sa haste est cassée en deux. Tout Jérusalem a de même une grande vénération pour elle, et vient la baiser souvent. [1,10] CHAPITRE X. Du suaire avec lequel fut couverte la tête du Seigneur dans le sépulcre. Saint Arculfe a vu de ses yeux le saint suaire du Seigneur, qui fut placé sous sa tête dans le sépulcre, et il nous raconta à ce sujet l'histoire suivante, dont tout Jérusalem atteste la vérité; car saint Arculfe l'a apprise de la bouche de plusieurs fidèles qui la lui répétèrent souvent : Trois ans environ avant la venue d'Arculfe en terre sainte, l'existence de ce saint linceul vint à la connaissance de tout le peuple, et voici comment : un Juif qui avait quelque foi l'avait dérobé du sépulcre du Seigneur aussitôt après la résurrection, et le cachait depuis longues années. Quand cet heureux et fidèle larron se vit près de sa fin, il révéla à ses deux fils l'existence de ce suaire, et leur dit « Choisissez, mes enfants; dites ce que vous désirez, afin que, suivant vos souhaits, je puisse donner à l’un toute ma fortune, et à l’autre seulement le suaire sacré du Seigneur. » Alors celui qui demanda toutes les richesses de son père les reçut de lui suivant sa promesse ; mais, ô prodige! de ce jour toutes ces richesses et ce patrimoine, pour lesquels il avait vendu le suaire du Seigneur, commencèrent à lui glisser des mains, et tout ce qu'il avait fut réduit à rien par divers accidents. L'autre fils, au contraire, qui avait préféré le suaire à tous les biens, du jour où il l'eut reçu des mains de son père mourant, commença à s'enrichir par la faveur divine, et fut comblé des biens de ce monde, sans pour cela perdre les biens éternels. Et les pères nés des fils de cet homme trois fois bienheureux transmirent ainsi fidèlement en héritage à leurs enfants ce suaire divin, jusqu'à la cinquième génération. Mais au bout de longues années, après cette cinquième génération, tes héritiers directs de la famille fidèle venant à manquer, le linceul sacré passa dans les mains de quelques Juifs infidèles, qui, quoique indignes d'un tel présent, l'ayant conservé avec honneur, furent comblés par la miséricorde divine de très grandes richesses. Cependant les Juifs fidèles qui connaissaient déjà d'une manière certaine l'existence de ce suaire, commencèrent à disputer vivement cette sainte relique aux Juifs infidèles, voulant qu'ils la leur rendissent. Ce débat partageait Jérusalem en deux camps, les fidèles et les croyants contre les infidèles et les incrédules. Alors le roi des Sarrasins, nommé Navias, pris pour juge par les deux parties, dit aux Juifs incrédules qui retenaient le suaire du Seigneur : « Donnez-moi ce linceul sacré que vous avez. » Obéissant à cet ordre, ils vont chercher le suaire et le remettent au roi; celui-ci le prenant avec respect, fait construire un bûcher sur la place devant tout le peuple, le fait allumer, puis, quand il est bien ardent, s'en approche et dit aux deux partis rivaux : « Maintenant, que le Christ sauveur du monde, qui a souffert pour le genre humain, et qui, dans son sépulcre, a eu sous sa tête ce linceul que je tiens à la main, décide, par l'épreuve du feu, à qui de vous il veut qu'appartienne une aussi sainte relique. » Il dit et jette dans les flammes le suaire du Seigneur. Le feu ne put l'atteindre; mais, s'élevant sans tache au-dessus du bûcher, comme un oiseau aux ailes étendues, le suaire s'envola dans les airs, et, regardant d'en haut ces deux factions du peuple qui semblaient deux armées prêtes à combattre entre elles, il plana quelques moments dans l'espace, puis, s'abaissant peu à peu, il finit par se poser au sein même des chrétiens qui, pendant ce temps, n'avaient cessé d'implorer la justice du Christ. Ceux-ci alors lèvent les mains au ciel et rendent grâces à Dieu, se prosternant à genoux avec une grande allégresse ; puis ils emportent avec honneur le suaire divin comme un don que leur envoyait le ciel, et, chantant des hymnes au Christ qui leur faisait ce présent, ils le placent dans le sanctuaire de l'église enveloppé d'un autre suaire. » Notre frère Arculfe le vit un jour s'élever de même du lieu où il était renfermé, et lui-même l'a baisé avec la foule accourue pour le vénérer. Ce linceul a environ huit pieds de longueur. Mais en voilà assez sur ce sujet. [1,11] CHAPITRE XI. Du linceul que fit, dit-on, la sainte Vierge. Dans la même ville de Jérusalem, Arculfe vit un autre linge plus grand que le précédent, lequel, dit-on, a été tissé par la Sainte Vierge Marie, et, à cause de cela, est grandement vénéré de tout le peuple. Sur ce linge sont brodées certaines représentations des douze apôtres, et on y voit représentée une image du Seigneur lui-même. D'un côté ce linge est de couleur brun foncé, et de l'autre, en une certaine partie, de couleur verte. [1,12] CHAPITRE XII. D'une autre grande colonne, à l'endroit où un jeune homme fut ressuscité au contact de la croix dit Seigneur. Il faut aussi dire quelques mots d'une colonne très élevée qui, placée dans les lieux saints, s'offre au milieu de la ville, vers le nord, à ceux qui arrivent. Cette colonne, placée dans le lieu où un jeune mort ressuscita au contact de la croix du Seigneur, lors du solstice d'été, à midi, quand le soleil est au milieu du ciel, ne projette aucune ombre. Après le solstice, qui est le 8 des calendes de juillet (24 juin), pendant trois jours, elle ne forme qu'une très petite ombre, puis peu à peu cette ombre s'agrandit. Cette colonne, que le soleil, au solstice d'été, à midi, alors qu'il est au centre, embrasse de toutes parts, prouve que Jérusalem est au centre même de la terre. Aussi le Psalmiste, annonçant en quels lieux devaient s'accomplir les saints mystères de la Passion et de la Résurrection, dit en faisant allusion à la position de Jérusalem : « Dieu, notre roi de toute éternité, a accompli le salut au milieu de la terre, » c'est-à-dire à Jérusalem, qui est le centre et comme le nombril de la terre. [1,13] CHAPITRE XIII. De l'église de Notre-Dame, dans la rallée de Josaphat, et où se trouve son tombeau. Saint Arculfe, visiteur assidu des lieux saints, allait souvent à l'église de Notre-Dame, dans la vallée de Josaphat. Cet édifice est double, et la partie inférieure offre une rotonde admirable sous une voûte de pierre. Vers l'orient est un autel, et à sa droite le sépulcre de la sainte Vierge creusé dans la pierre. Elle y reposa quelque temps, mais on ne sait comment, à quelle époque, par qui son saint corps fut enlevé et en quel lieu il attend le jour de la résurrection. Lorsqu'on entre dans cette rotonde inférieure de l'église de Notre-Dame, on voit à droite, fixée dans le mur, la pierre sur laquelle notre Seigneur, dans le champ de Gethsémani , la nuit où Judas le livra aux pécheurs, pria à genoux avant l'heure de la trahison, et l’on remarque encore sur la pierre l'empreinte de ses deux genoux comme sur de la cire molle : C'est là ce que nous a raconté notre frère Arculfe, qui a vu de ses propres yeux ce que nous écrivons. Dans l'église supérieure de Notre-Dame, également en rotonde, il y a quatre autels. [1,14] CHAPITRE XIV. De la tour de Josaphat, dans la même vallée. Des tombeaux de Siméon et de Joseph Dans la même vallée, non loin de l’église de Notre-Dame, est la tour de Josaphat, où l'on voit le sépulcre du Sauveur, et après cette tour, à droite, est une maison de pierre formée d'un roc séparé du mont des Oliviers. Dans cette maison, taillée a l’intérieur, on montre deux sépulcres sans ornements : l'un est celui du juste Siméon, qui reçut de ses mains, dans le temple, notre Seigneur Jésus et prophétisa sur lui; l'autre est celui du juste Joseph, l'époux de Marie, le nourricier du Seigneur Jésus. [1,15] CHAPITRE XV. De la grotte taillée dans le roc du mont des Oliviers, en face de la vallée de Josaphat, où sont quatre tables et deux puits. Sur le côté du mont des Oliviers est une grotte, non loin de l'église Notre-Dame, un peu élevée au dessus de la vallée de Josaphat. Dans cette grotte sont deux puits très profonds, dont l’un s’étend à l'infini sous la montagne, l'autre descend droit sous le pavé de la grotte, dont la profondeur est, dit-on, immense ; ces deux puits sont toujours fermés. Dans la grotte sont quatre tables de pierre, et l'une, située vers l'entrée, à l'intérieur, est appelée la table du Seigneur Jésus ; et il n'est pas douteux qu'il s'y assit souvent tandis que ses douze apôtres prenaient place aux autres tables. L'ouverture, maintenant close, du puits que nous avons dit être droit, était la plus rapprochée des tables des apôtres. Arculfe, qui visita souvent cette grotte du Seigneur, nous a dit qu'elle était fermée par une porte en bois. [1,16] CHAPITRE XVI. De la porte de David. La porte de David, par une légère pente, aboutit au flanc droit du mont Sion. Quand on sort par cette porte et qu'on laisse à sa gauche la montagne, on rencontre un pont de pierre soutenu par des arches, qui s'avance au loin, vers le midi, dans la vallée. [1,17] CHAPITRE XVII. Du lieu où Judas Iscariote se pendit. A la moitié de ce pont, au couchant, on aperçoit le lieu où Judas Iscariote, désespéré, mit fin à ses jours en se pendant. On y montre encore un figuier gigantesque auquel la tradition rapporte qu'il se pendit, comme l’a chanté le prêtre Juvencus : « Au sommet d'un figuier il chercha mort ignoble. » [1,18] CHAPITRE XVIII. De la forme de la grande basilique construite sur le mont Sion, et de la position de la montagne. Puisque nous avons nommé le mont Sion, il faut dire quelques mots d’une grande basilique qu'on y a construite ; en voici le plan. On y montre une pierre où Etienne, lapidé hors la ville, s'endormit. En dehors de cette grande basilique qui renferme à l'intérieur tant de lieux saints, est, à sa partie occidentale, une autre pierre consacrée sur laquelle, dit-on, fut flagellé le Seigneur. Celte église apostolique a été, comme nous l’avons dit, construite tout en pierre dans une plaine qui se trouve au sommet du mont Sion. [1,19] CHAPITRE XIX. Du champ appelé en hébreu Acheldemach. Arculfe visitait souvent ce petit champ situé sur le mont Sion, du coté du midi, où se trouvent des amas de pierres et où la plupart des étrangers sont inhumés avec soin ; d'autres cependant, couverts de haillons ou de peaux, sont jetés là sans sépulture, et leurs corps en putréfaction gisent sur la surface de la terre. [1,20] CHAPITRE XX. Des terres arides et rocailleuses depuis Jérusalem jusqu'à la cité de Samuel, et vers l'occident jusqu'à Césarée de Palestine. De Jérusalem, du côté du nord, jusqu'à la ville de Samuel que l'on appelle Ramatha, la terre est souvent aride et rocailleuse ; les vallées sont aussi incultes jusqu'à la région Thamnitique. Du côté de l'occident, au contraire, de Jérusalem et du mont Sion jusqu'à Césarée de Palestine, la qualité des terres est tout autre. Sauf quelques rares endroits arides, presque partout s'étendent de vastes champs égayés par des oliviers. [1,21] CHAPITRE XXI. Du mont des Oliviers. On ne trouve guère en fait d'arbres, nous a dit Arculfe, sur le mont des Oliviers, que des vignes et des oliviers ; on y voit aussi de riches moissons de froment et d'orge, car la terre n'y offre point de broussailles, mais rien que des herbes et des fleurs. Sa hauteur paraît à peu près la même que colle du mont Sion, quoique en mesurant géométriquement, le mont Sion semble petit et étroit en longueur et en largeur auprès du mont des Oliviers. Entre ces deux montagnes, du nord au sud, s'étend la vallée de Josaphat, dont nous avons déjà parlé. [1,22] CHAPITRE XXII. Du lieu de l'ascension du Seigneur, et de l’église qu'on y a construite. Le point le plus élevé du mont des Oliviers est celui d'où l'on dit que le Seigneur monta au ciel. On y a construit une grande église en rotonde, avec trois portiques cintrés, couverts en dessus. L’intérieur de cette église n'a ni toit ni voûte et reste ouvert sous le ciel nu; à l’orient, il y a un autel couvert d’un petit toit. On n’a pas voûté l’intérieur de l’église, afin que de ce lieu, où se posèrent pour la dernière fois les pieds divins, lorsque le Seigneur s’éleva au ciel sur une nuée, une voie toujours ouverte jusqu'au ciel y conduisit les prières des fidèles. Car lorsque l’on construisit cette église dont nous parlons, on ne put paver comme le reste de l'édifice l'endroit où s'étaient posés les pieds du Seigneur: à mesure qu'on appliquait les marbres, la terre, impatiente de supporter quelque chose d'humain, les recrachait, si j'ose le dire, à la face des ouvriers. D'ailleurs, comme un enseignement immortel, la poussière conserve encore l'empreinte des pas divins, et bien que chaque jour la foi des visiteurs leur fasse enlever cette empreinte, elle reparaît sans cesse et la terre la conserve toujours. Cependant saint Arculfe, qui allait souvent dans ce lieu nous a dit qu'on avait construit autour de ces divines empreintes un grand cercle d'airain dont il a mesuré la hauteur, et qu'au milieu de ce cercle on a ménagé une assez grande ouverture à travers laquelle on montre d'en haut l'empreinte des pieds du Seigneur parfaitement nette sur la poussière. Dans ce cercle, à la partie occidentale, est toujours une porte ouverte, afin qu'on puisse facilement arriver jusqu'à cette poussière sacrée et en prendre quelques parcelles dans ses mains. Le récit d'Arculfe sur ces empreintes divines est d'accord avec ce qu'ont écrit d'autres auteurs, que l'église n'a pu être protégée d'aucune voûte ni d'aucun toit afin que le ciel fût toujours à découvert aux yeux de ceux qui la visiteraient ; et il constate aussi que les pieds divins sont toujours marqués sur la poussière. Une lampe suspendue au-dessus du cercle, répand jour et nuit une magnifique clarté sur les empreintes divines. A la partie occidentale de cette église en rotonde sont huit fenêtres élevées, fermées par des vitraux, et près de chacune de ces fenêtres brûlent à l’intérieur, suspendues à des cordes, autant de lampes placées de telle sorte que chacune ne soit ni plus haut ni plus bas, mais qu'elle semble adhérente à la fenêtre qui est à côté. La clarté de ces lampes est si grande que leur lumière, se répandant en abondance à travers le verre, illumine non seulement la partie de la montagne située vers l’occident, prés de la basilique en rotonde, mais encore les quelques degrés qui servent à monter de la vallée de Josaphat dans Jérusalem, et la majeure partie de cette ville qui se trouve placée vis-à-vis. L’éclat éblouissant de ces huit grandes lampes qui, la nuit, brillent du haut du lieu saint, d’où notre Seigneur monta au ciel, excite l’amour de Dieu dans le cœur des fidèles, comme nous dit Arculfe, et jette dans l’esprit une certaine frayeur et une grande componction. Nous ne devons pas oublier non plus ce qu'à nos questions a souvent répondu Arculfe. Dans la fête solennelle de l’Ascension, tous les ans, vers midi, lorsqu'on a terminé le saint mystère de la messe, vient à souffler un vent si impétueux que l’on ne peut rester debout ni même assis dans l'église ou dans les lieux voisins, mais il faut rester le visage prosterné contre terre jusqu'à ce que cette terrible tempête soit passée. C'est ce vent épouvantable qui est cause qu'on ne peut construire de voûte au-dessus de l’empreinte des pieds du Seigneur, qui, comme nous l'avons dit, renfermée dans l'intérieur du cercle d'airain, est toujours exposée à l'air nu ; car quand on veut essayer d'apporter quelques matériaux pour faire la voûte, ce vent divin accourt aussitôt les disperser. C'est là ce que nous a raconté Arculfe, qui, à l’heure même où cet ouragan a coutume de se déchaîner, était présent dans l'église du mont des Oliviers. Il a tracé sous nos yeux une image de cette église en rotonde et du cercle d'airain élevé au milieu. Saint Arculfe nous a encore rapporté que dans la nuit de la fête de l'Ascension on a coutume d'ajouter dans l'église, à ces huit lampes qui brûlent sans cesse, un nombre presque infini d'autres lampes, de sorte que cette lumière terrible et admirable se répand en abondance par les vitraux des fenêtres. Le mont des Oliviers n'est pas seulement illuminé, mais paraît tout en feu, et la cité située non loin de là, dans le fond de la vallée, est éclairée tout entière. [1,23] CHAPITRE XXIII. Du sépulcre de Lazare, de l’église qui y est construite, et du monastère situé auprès. Arculfe, visiteur des lieux saints, a été voir le petit champ de Béthanie, au milieu de la grande forêt des Oliviers. Dans ce champ est un grand monastère et une grande basilique, sur la grotte d'où le Seigneur fit sortir Lazare, mort depuis quatre jours. [1,24] CHAPITRE XXIV. De l’église située à droite de Béthanie. Il faut aussi dire quelques mots d'une autre église plus fréquentée, au midi de Béthanie, dans cet endroit du mont des Oliviers où, dit-on, notre Seigneur parla avec ses disciples. Examinons soigneusement avec lesquels de ses disciples, à quelle époque de sa vie eut lieu cette conversation du Sauveur, et ce qu'il a dit. Or, si nous ouvrons les trois évangélistes Matthieu, Marc et Luc, nous verrons clairement indiquée la matière que traita le Seigneur et le lieu où il était réuni avec les siens. Voici ce que dit Matthieu dans son Évangile sur la nature de cette conversation : Comme il était assis sur le mont des Oliviers, ses disciples vinrent vers lui secrètement et lui dirent : Dis-nous quand ces choses arriveront, et quels seront les signes de ton arrivée et de la fin du monde? » Matthieu ne nous dit pas quels étaient ceux qui l'interrogeaient ainsi, mais Marc nous l’apprend : « Pierre et Jacques, et Jean et André, l'interrogeaient séparément. Ce qu'il leur répond nous montre bien le sujet de cet entretien : « Prenez garde de vous laisser séduire, car beaucoup viendront en mon nom, disant: C'est moi qui suit le Christ. » Et tout ce qui suit sur les derniers temps et la fin du monde; que Matthieu nous a rapporté tout au long jusqu'à ce passage, où l'évangéliste nous indique clairement l’époque où eut lieu cette conversation : « Et il arriva, quand Jésus se fut ainsi entretenu avec ses disciples, qu'il leur dit : Vous savez que la pâque se fera dans deux jours et que le Fils de l'homme sera livré pour être crucifié, etc. » Il est donc évident que ce fut la quatrième férie (mercredi), deux jours avant le premier jour des azymes qui est appelé la Pâque, que notre Seigneur eut ce long entretien avec quatre de ses disciples. Or, à l’endroit où ils causèrent ainsi, on a élevé une église d’une grande magnificence. Que ces détails certains que nous vous donnons d'après le récit de saint Arculfe vous suffisent pour les lieux saints de la ville de Jérusalem, du mont Sion, du mont des Oliviers et delà vallée de Josaphat.