[16,0] LIVRE XVI. A TIRON. [16,1] CICÉRON, SON FILS, SON FRÈRE ET SON NEVEU, A TIRON. 3 novembre. Je croyais pouvoir supporter facilement votre absence : décidément, je ne saurais m'y faire; et, malgré ce grand intérêt des honneurs qui m'appelle à Rome, je me reproche comme un tort de vous avoir quitté. Cependant vous aviez tant de répugnance à vous embarquer avant le retour de vos forces, que j'ai dû me rendre, et que je vous approuve encore, pour peu que vous persistiez. Mais si depuis que vous avez cessé la diète, vous vous croyez en état de partir, vous en êtes le maître. Je vous envoie Marion qui vous accompagnera ou qui reviendra immédiatement, si vous devez encore retarder. - Persuadez-vous bien que, votre santé le permettant, je tiens sur toute chose à vous avoir près de moi; mais que s'il faut pour votre rétablissement quelque séjour à Patras, je ne souhaite rien tant que votre santé. En vous embarquant sur-le-champ, vous me retrouveriez à Leucade. Si vous aimez mieux attendre que vous soyez plus fort, ne manquez pas de choisir pour votre retour, bonne compagnie, beau temps et vaisseau commode. La seule chose que j'exige de votre amitié, mon cher Tiron, c'est de ne pas vous laisser influencer par Marion et par ma lettre. Faites ce qu'exige votre santé, c'est le plus sûr moyen de me satisfaire. - Avec votre esprit, vous allez me comprendre à merveille. Je vous aime pour vous et pour moi. L'un de ces sentiments dit, revenez bien portant; l'autre, revenez bien vite; mais le premier a le dessus. Commencez donc par vous bien porter. De vos services sans nombre ce sera le plus précieux. [16,2] A SON CHER TIRON. Athènes, 5 novembre. Vous écrire ce qui se passe en moi, c'est ce que je ne puis ni ne veux faire. Je vous dis seulement : venez vite et bien portant. C'est tout ce que je puis désirer pour votre satisfaction comme pour la mienne. Aujourd'hui troisième jour de notre séparation, j'arrive à Alysia, cent vingt stades en deçà de Leucade, où je compte voir arriver vous en personne ou Marion avec une lettre de vous. Soignez-vous autant que vous m'aimez, ou autant que vous savez que je vous aime. [16,3] CICÉRON, SON FILS, SON FRÈRE ET SON NEVEU, A LEUR CHER TIRON. Alysia, 3 novembre. Quintus n'étant pas arrivé, je me suis arrêté un jour à Alysia, d'où je vous ai déjà écrit : c'était le jour des nones de novembre. Comme je compte partir d'ici avant le lever du soleil, je puis dater ma lettre du 8 des ides. Si vous avez quelque amitié pour nous tous, mon cher Tiron, pour moi surtout votre maître, de grâce, rétablissez-vous. - Je serai dans une grande anxiété jusqu'à ce que je vous voie arriver vous d'abord, puis, si ce n'est pas vous, Marion et une lettre. Nous souhaitons tous ardemment, et moi le premier, de vous voir, mon cher Tiron, mais de vous voir bien portant. Ainsi ne précipitez rien. Quand vous serez rétabli, nous aurons bien le temps de nous voir tous les jours. Je puis me passer de vos services. Je veux que vous vous portiez bien, pour vous d'abord, ensuite pour moi. Adieu. [16,4] CICÉRON, SON FILS SON FRÈRE ET SON NEVEU, A TIRON. Leucade, 7 novembre. La lecture de votre lettre m'a fait éprouver des sensations bien diverses. La première page m'a tout bouleversé; la seconde m'a un peu remis. Je vois à présent que vous ne vous mettrez en route par mer ni par terre, avant d'être tout à fait rétabli. Je vous verrai toujours assez tôt, si je vous revois bien portant. Vous m'écrivez que votre médecin a votre confiance, et l'on en dit du bien. Cependant je n'approuve pas en tout son régime. Le bouillon ne va pas à un estomac malade. Je ne laisse pas de lui écrire avec tout plein d'égards, ainsi qu'à Lyson. - J'écris aussi une longue lettre à Curius, homme charmant, plein d'obligeance, d'une bonté infinie. Je l'engage notamment à vous prendre chez lui, si bon vous semble. A vrai dire, je crains que Lyson ne soit un peu négligent; d'abord parce que tous les Grecs le sont; puis parce qu'il ne répond pas à mes lettres. Mais vous m'en faites l'éloge ; c'est à vous de décider ce qui convient le mieux. La seule chose que j'exige de vous, mon cher Tiron, c'est de ne pas regarder à la dépense pour votre santé. J'ai mandé à Curius de vous donner tout ce que vous demanderiez. Mon avis est qu'il faut aussi faire un présent au médecin, pour stimuler son zèle. - Vous m'avez rendu d'innombrables services dans mon intérieur, au forum, à la ville, dans ma province, pour mes affaires particulières, pour les affaires publiques, pour mes études, pour ma correspondance. Eh bien! revenez-moi aussi vaillant que je l'espère, et je vous en saurai plus de gré que de tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois qu'une fois rétabli vous ne sauriez mieux faire que de partir avec mon questeur Mescinius. C'est un assez aimable homme, et il m'a paru vous aimer beaucoup; mais consultez bien votre force, mon cher Tiron, avant de songer à vous mettre en mer. Ne précipitez rien, je vous le défends. Je n'ai qu'un souci, votre santé. - Soyez-en persuadé, qui m'aime vous aime, et si votre santé nous préoccupe vous et moi, le nombre est grand de ceux qui s'y intéressent. D'ailleurs jusqu'ici vous n'avez voulu faire trêve aucune à votre assiduité près de moi, et votre guérison en a souffert. Rien ne vous gène aujourd'hui, laissez tout soin de côté. N'en ayez que de votre personne. Je jugerai de vos sentiments par l'attention que vous mettrez à votre santé. Adieu, mon cher Tiron. Adieu, adieu et portez-vous bien. Lepta vous envoie mille bonjours, et tout le monde. [16,5] CICÉRON ET SON FILS, QUINTUS ET SON FILS, A LEUR EXCELLENT ET SI AIMABLE TIRON. Leucade, 7 novembre. Voyez quelle séduction est la vôtre; nous ne sommes restés que deux heures à Thyrée, et voilà Xenomène, notre hôte, qui vous aime comme s'il avait passé toute sa vie avec vous. Il s'offre à pourvoir à tous vos besoins, et je crois qu'il tiendra parole. Je souhaiterais, pour peu que vous vous sentiez mieux, qu'il vous fit transporter à Leucade, pour y achever votre rétablissement. Prenez là-dessus l'avis de Curius, l'avis de Lyson, l'avis du médecin. J'ai eu un moment l'idée de vous renvoyer Marion. Vous me l'eussiez renvoyé dès qu'il y aurait eu un peu de mieux; mais j'ai réfléchi que Marion ne pourrait me rapporter qu'une lettre et que j'en veux qui se suivent de près. Vous pouvez, et vous n'y manquerez pas, si vous m'aimez, vous pouvez envoyer chaque jour Acaste sur le port. Il trouvera une foule de gens à qui on peut en toute sûreté remettre des lettres, et qui se feront un plaisir de me les apporter. De mon côté, je ne laisserai pas échapper une seule occasion pour Patras. Je ne compte absolument que sur les soin de Curius. C'est le meilleur homme du monde et celui qui m'aime le plus. Abandonnez-vous à lui sans réserve. J'aime bien mieux vous avoir bien portant un peu plus tard, que languissant tout de suite. Ne vous occupez que d'une chose; de votre santé. Je saurai pourvoir au reste. Adieu, mille fois adieu. Au moment de quitter Leucade, le 7 des ides de novembre. [16,6] CICÉRON ET SON FILS, QUINTUS ET SON FILS, A TIRON. Actium, 7 novembre. Cette lettre est la troisième d'aujourd'hui, non que j'aie rien de nouveau à vous dire, ce n'est que pour tenir mon engagement, et profiter d'une occasion qui se présente. Toujours même recommandation. Donnez-moi par les soins que vous prenez de vous, la mesure de votre attachement pour moi. J'exige encore ce témoignage après tant d'autres, et nul ne m'aura plus touché. Votre santé, d'abord : votre retour, après. Que personne ne vienne en Italie sans lettre de vous; que personne ne parte pour Patras sans lettre de moi. Soignez-vous, cher Tiron, soignez-vous; puisqu'il ne nous a pas été donné de faire le trajet ensemble, rien désormais ne doit plus vous presser. Votre santé! votre santé! Ne songez qu'à cela. Mille fois adieu. Le 8 des ides de novembre, dans la soirée, à Actium. [16,7] A TIRON. Corcyre, 17 novembre. Me voilà depuis sept jours cloué à Corcyre. Quintus et son fils sont à Buthrote. Je suis dans une anxiété mortelle; sans trop m'étonner pourtant de n'avoir pas de vos lettres; car je ne serais pas à Corcyre, si j'avais le vent qui peut m'en apporter. Soignez-vous, rétablissez-vous; et lorsque l'occasion, la santé, la saison des mers pourront vous le permettre, revenez à ceux qui vous aiment. Règle sans exception : Qui m'aime vous aime. Partout on vous chérit, on vous appelle pour la centième fois; soignez-vous, vous qui nous ètes cher à tous. Adieu. Le 15 des kalendes de décembre, à Corcyre. [16,8] A TIRON. Formies, février. Votre santé nous inquiète beaucoup. Les arrivants s'accordent à dire que le mal n'est pas dangereux, mais peut traîner en longueur. C'est une consolation et à la fois une cause de tourment, si je dois longtemps encore être privé d'une compagnie, dont votre absence me fait sentir plus vivement l'utilité et les charmes. Toutes mes pensées sont avec vous. Mais, je vous conjure de ne point vous exposer, faible encore, à une si longue navigation, et à un voyage d'hiver. Ne vous embarquez qu'à bon escient. Avec une santé faible à peine peut-on se garantir du froid dans de bonnes habitations, et au milieu des villes. Jugez s'il est facile de se préserver de ses atteintes en voyage et sur mer. "Le froid est le grand ennemi des peaux délicates", dit Euripide. Mais fait-il autorité pour vous ? Je regarde, moi, ses vers comme autant d'axiomes. Soignez-vous, soignez-vous, si vous m'aimez, et revenez-nous vaillant le plus tôt possible. Adieu : aimez-moi toujours. Le fils de Quintus vous embrasse. [16,9] CICÉRON ET SON FILS A TIRON. Brindes, novembre. Nous vous avons quitté, comme vous le savez, le 4 des nones de novembre, nous sommes arrivés à Leucade le 8 des ides et le 7 à Actium, où nous avons été forcés par le mauvais temps d'y rester jusqu'au 6. Le 5, journée magnifique pour notre passage à Corcyre. Là, le mauvais temps nous a encore retenus jusqu'au 16 des kalendes de décembre. Le 15 des kalendes de décembre nous avons parcouru une distance de 120 stades, du port de Corcyre à Cassiope, où les vents nous ont encore arrêtés jusqu'au 9 des kalendes. Beaucoup de gens se sont trop pressés de partir, et il en est résulté quantité de naufrages. - Le même jour, après souper, nous avons mis à la voile; et, grâce au plus doux des austers; grâce à un ciel constamment serein, en une nuit et un jour, nous sommes arrivés, comme en nous jouant, à Hydrunte, en Italie. Le lendemain , qui était le 7 des kalendes, à la quatrième heure, le même vent nous faisait entrer à Brindes, à l'instant même où Térentia, qui vous aime si fort, entrait par terre dans la ville. C'est seulement le 5 des kalendes de décembre que l'esclave de Cn. Plancius m'a enfin apporté votre lettre tant désirée, datée des ides de novembre. De quel poids elle m'a soulagé! que ne m'a-t-elle ôté toute inquiétude? cependant Asclapon, votre médecin, assure qu'au premier jour vous serez sur pied. - Que puis-je dès lors vous dire? De vous garder jusque-là de toute imprudence. Je connais votre sagesse, votre esprit réfléchi, votre tendre affection pour moi. Vous ferez tout, je le sais, pour être bien vite au milieu de nous. Pourtant, je vous en conjure, ne précipitez rien. J'aurais bien voulu vous voir dispensé de la symphonie de Lyson, de peur d'une rechute à la quatrième semaine. Enfin, les égards ont prévalu sur le soin de votre santé. Au moins ne vous y exposez plus. J'ai prié Curius de se charger des honoraires du médecin et de vous donner tout l'argent qu'il vous faudrait. Je ferai les fonds à son ordre. Je vous laisse un cheval et une mule à Brindes. Il est fort à craindre que les kalendes de janvier n'amènent à Rome de grands désordres. J'aurai soin de ne pas trop m'avancer. — Je finis en vous demandant, en vous conjurant de ne point vous embarquer à la légère. Les marins sont toujours pressés de partir, ils ne voient que leurs profits. De la prudence, mon cher Tiron, de la prudence ! Il vous reste une traversée longue et difficile. Tâchez de partir avec Mescinius. C'est un navigateur circonspect. Si vous ne le pouvez pas, cherchez quelque personne considérable qui ait autorité sur l'équipage. Ce sera me combler que d'avoir toutes ces attentions , et d'arriver sain et sauf. Adieu, notre cher ami, adieu. J'ai écrit sur tous les points au médecin, à Curius et à Lyson. Adieu, bonne santé. [16,10] A TIRON. Rome. F.XVI,l O. Et moi aussi je voudrais bien qu'il vous fût possible de me rejoindre; mais je crains pour vous le voyage. La diète, les purgations, la force du mal vous ont épuisé. Les rechutes sont graves à la suite de maladies si graves; la moindre imprudence y expose. Aux deux jours nécessaires pour arriver à Cumes, ajoutez-en cinq autres sans interruption pour le reste du voyage. Je veux être à Formies le 3 des kalendes. Faites, mon cher Tiron, que je vous y trouve tout à fait vaillant. Privées de votre concours, mes études chéries, je devrais dire nos études chéries, sont dans une langueur mortelle. La lettre que vous m'avez envoyée par Acaste les a un peu ranimées. Pompée qui est là quand je vous écris, rit et plaisante; il voulait entendre quelque chose de moi; je lui ai répondu que chez moi, sans vous, tout était mort. Revenez donc bien vite à ces Muses qui vous appellent. Je serai, le jour dit, fidèle à ma parole. Pourrais-je y manquer, quand c'est moi qui vous ai appris la signification étymologique du mot fidèle. Rétablissez-vous entièrement. Je suis tout prêt. Adieu. Le 14 des kalendes. [16,11] CICÉRON ET SON FILS, TÉRENTIA ET TULLIA, QUINTUS ET SON FILS, A TIRON. Rome, 12 janvier, Il n'est lieu où vos bons services ne me fassent faute. C'est pour vous cependant et non pour moi que votre état de santé m'afflige. Mais puisque voilà la maladie devenue fièvre quarte (c'est ce que m'écrit Curius), j'espère qu'avec des soins vous ne vous en trouverez que mieux après. Seulement, soyez aimable, mon cher Tiron, et ne songez quant à présent qu'à vous rétablir tout à votre aise. Je sais que l'impatience vous consume; mais une fois bien portant, tout vous deviendra facile. Point de précipitation, je vous le défends. Le mal de mer peut avoir des effets graves pour un malade, et toute traversée est dangereuse en hiver. - Je suis entré à Rome la veille des nones de janvier. L'affluence a été telle au-devant de moi qu'on ne saurait imaginer rien de plus flatteur. Mais je tombe au milieu des brandons de la discorde, ou plutôt de la guerre civile. Je voudrais arrêter le mal, et je crois que j'y réussirais. Mais des deux côtés, il y a des gens qui veulent se battre et les passions se mettent à la traverse. César lui-même, notre cher ami César, écrit au sénat des lettres pleines de menace et d'aigreur, et cela au moment même où il a le front de rester, en dépit du sénat, à la tête de son armée et de sa province. Et le cher Curion aussi est là qui l'excite. Enfin Antoine et Q. Cassius, sans aucune provocation, sont allés avec Curion rejoindre César. - Le sénat vient de déclarer la patrie en péril, et a chargé les consuls, les préteurs, les tribuns du peuple, et nous autres proconsuls de veiller à son salut. Depuis ce moment le danger redouble. Jamais les brouillons n'eurent un chef plus entreprenant à leur tête. De ce côté on se prépare sérieusement à se défendre, grâce au zèle et à l'autorité de Pompée qui s'y prend un peu tard à craindre César. Du milieu du brouhaha, le sénat, en fort grand nombre, n'a pas laissé de demander chaudement mon triomphe. Mais le consul Lentulus, pour se faire valoir, a dit qu'aussitôt les affaires du moment expédiées, il s'occuperait immédiatement de mon rapport. Je ne me fais pas importun et mes titres y gagnent d'autant dans l'opinion. On vient de partager l'Italie en régions de commandement. J'ai choisi Capoue. J'étais bien aise de vous mettre au courant de tous ces détails. Allons, allons, songez à votre santé et ne manquez pas une occasion de m'écrire. Adieu, adieu; la veille des ides de janvier. [16,12] A TIRON. Capoue, 29 janvier. D'un mot jugez à quelle extrémité nous sommes réduits, moi, tous les gens de bien, et la république entière. Nous fuyons, laissant nos maisons et la patrie elle-même, exposées aux horreurs du pillage ou de l'incendie. Oui, les choses en sont à ce point qu'à moins d'intervention divine ou d'un coup du sort rien ne peut nous sauver. Depuis le moment où j'ai mis le pied dans Rome, je n'ai eu qu'une pensée, la concorde; je n'ai cessé de la prêcher, d'y travailler. Mais je ne sais quelle rage s'est emparée de toutes les têtes. J'ai beau crier qu'il n'y a rien de pis que la guerre civile. On veut se battre; les prétendus gens de bien, tout comme les méchants. Dans son fatal aveuglement, César, emporté par une sorte de démence et perdant la mémoire de son nom, et des honneurs dont on l'a comblé, César vient d'occuper Ariminium, Pisaure, Ancône, Arrétium, et nous, nous quittons la ville. Est-ce sagesse, est-ce courage? c'est ce que je n'examine pas ici. Vous voyez quelle position! Or voici les conditions de César : que Pompée passe en Espagne; que les levées qu'on a faites, et nos garnisons soient licenciées : à ce prix, il promet de remettre la Gaule ultérieure à Domitius et la citérieure à Considius Nonianus, à qui elles sont échues; de venir solliciter en personne le consulat, de renoncer à toute prétention de candidature, lui absent, et de faire en personne les trois demandes d'usage. On accepte tout, pour vu seulement qu'au préalable ses troupes évacuent les points occupés, et que les délibérations du sénat soient libres. S'il y consent, la paix est possible; paix peu honorable. On nous fait la loi. Mais il n'y a rien de pis que la position actuelle. S'il revient sur ses propres conditions, nous sommes prêts à la guerre; guerre qu'il soutiendrait difficilement sous le poids d'une rétractation. Tout dépend de l'arrêter, de lui fermer l'accès de la ville. Et l'on espère y réussir. Nos levées sont nombreuses, et nous croyons qu'il appréhende, par une marche sur Rome, de perdre les deux Gaules, où il est en exécration partout, excepté chez les Transpadans. De plus il a sur ses derrières six légions d'Espagne et nos nombreux auxiliaires sous les ordres d'Afranius et de Pétréius. Il semble donc, en supposant que sa folie l'emporte, qu'il peut être accablé, si l'on parvient seulement à couvrir Rome. Déjà il vient de recevoir un coup terrible. T. Labiénus, qui a tant d'influence dans son armée, n'a pas voulu se rendre son complice. Il l'a quitté; il s'est joint à nous. Cet exemple aura, dit-on, de nombreux imitateurs. Je commande encore la côte depuis Formies. Je ne veux pas de poste plus important, afin de donner plus de poids à mes lettres et à mes conseils de paix. Mais je prévois qu'en cas de guerre, j'aurai le commandement d'un camp et d'un certain nombre de légions. J'ai le chagrin de voir Dolabella dans les rangs de César. Je tenais à vous donner ces détails ; mais n'allez pas vous en laisser affecter au point de retarder encore votre convalescence. Je vous ai recommandé de la manière la plus pressante à A. Varron que j'ai toujours trouvé excellent pour moi et plein d'amitié pour vous. Je l'ai prié de s'occuper de votre santé, de votre traversée, de tout ce qui vous touche enfin; je ne doute pas qu'il n'y mette de l'intérêt. Il me l'a promis, et m'a dit à ce sujet les choses les plus aimables. Puisque je n'ai pu vous avoir quand j'avais le plus besoin de vos services et de votre dévouement, gardez-vous aujourd'hui de toute précipitation, et ne vous exposez pas, malade encore, ou dans la saison d'hiver, aux dangers d'une navigation. Je ne vous reprocherai jamais d'arriver trop tard , si vous revenez bien portant. Depuis M. Volusius qui m'a remis une lettre de vous, je n'ai vu personne. C'est tout simple. Comment mes lettres vous arriveraient-elles par une si mauvaise saison? Ne vous occupez que de votre santé. Ne vous mettez en route que quand elle sera bonne et la navigation facile. Cicéron est à ma maison de Formies. Térentia et Tullia sont à Rome. Portez-vous bien. Le 4 des kalendes de février, à Capoue. [16,13] A TIRON. Avril 10. F.XVI,i3. Revenez-moi bien portant. Je ne vous demande rien autre. Je vous ai envoyé Ménandre, dont j'attends le retour avec la dernière anxiété. Si vous m'aimez, ayez bien soin de vous. et sitôt que vous aurez repris vos forces, accourez, accourez. Adieu. [16,14] A TIRON. 10 Avril. Andricus n'est arrivé que le lendemain du jour où je l'attendais. Aussi j'ai passé une nuit d'effroi, une nuit cruelle. Quoique votre lettre ne dise pas comment vous êtes, elle m'a pourtant remis. Je ne m'abandonne à aucun plaisir, ne m'occupe d'aucune étude. Tant que je ne vous verrai pas, je ne suis capable de rien. Qu'on promette au médecin tous les honoraires qu'il demandera, je l'ai écrit à Ummius. On me mande que vous vous affectez beaucoup et votre état s'en ressent, à ce que dit le médecin. Si vous m'aimez, que je voie se ranimer en vous ce goût des lettres et du beau qui fait que vous m'êtes si cher. Il faut que l'esprit soit sain pour que le corps le devienne. Faites quelque chose. Ce n'est pas seulement pour vous, c'est pour moi que je vous en prie. Gardez Acaste; vous serez mieux servi. Enfin conservez-vous pour moi. Le jour de mes promesses approche. Je l'avancerai même, si vous arrivez. Adieu. Adieu. Le 4 des Ides, à la sixième heure. [16,15] A TIRON. Avril. Égypta est arrivé la veille des ides d'avril. La fièvre, m'a-t-il dit, vous avait entièrement quitté et vous vous trouviez assez bien. Cependant il vous est encore impossible d'écrire, et cela m'inquiète, d'autant qu'Hermia, qui devait arriver le même jour, n'a pas encore paru. Le trouble où je vis est inexprimable : que si vous m'en délivrez, moi, je vous délivrerai de tout soin pour toujours. Je vous écrirais plus longuement, si je vous croyais en état de lire. Vous avez de l'esprit, et vous savez à quel point je le prise. Eh bien! pour vous, pour moi, appliquez tout votre esprit à vous bien porter, et veillez sans cesse sur vous. Adieu. J'avais fini ce mot : voici Hermia qui arrive. Il me remet une lettre. Comme votre pauvre main tremble! Il n'y a rien d'étonnant après une maladie si grave. Je vous renvoie Égypta; il est d'un bon caractère et je crois qu'il vous aime. Il restera près de vous. J'envoie avec lui un cuisinier dont vous pouvez avoir besoin. Adieu. [16,16] DE QUINTUS A SON FRÈRE. Bretagne. Oui, mon cher Marcus, aussi vrai que vous m'êtes cher, vous et mon Cicéron et votre petite Tullia, et votre bon fils, vous m'avez rendu heureux en réparant une indignité de la fortune, en faisant de Tiron un ami, au lieu d'un esclave. J'ai sauté de joie, je vous assure, quand j'ai lu votre lettre et la sienne. Je vous remercie, je vous félicite! Si je regarde comme un bonheur d'avoir près de moi quelqu'un d'aussi dévoué que Statius, que dire de celui chez qui les mêmes qualités se retrouvent, accompagnées de tant d'autres mille fois préférables encore, du goût des lettres, du charme de la conversation, de tous les dons du coeur! J'ai bien des motifs pour vous aimer, mon frère; mais aujourd'hui je vous aime davantage pour ce que vous venez de faire et pour votre empressement à me le dire. Je vous reconnais là tout entier. Il n'est rien que je n'aie promis aux gens de Sabinus, et je tiendrai parole. [16,17] A TIRON. F. XVI, 17. Je vous vois venir. Vous voulez aussi qu'on fasse des recueils de vos lettres. Mais, à propos, vous qui êtes ma règle en fait de style, où avez-vous pris cette expression insolite, "en soignant fidèlement votre santé"? De quel droit ce fidèlement se trouve-t-il là? Dans son sens propre "fidèlement" caractérise des services rendus. Il se prend aussi très souvent au figuré. Par exemple, on peut bien dire une doctrine, une maison, un art, et même un champ "fidèle", et cela sans sortir de la réserve que Théophraste aime dans la métaphore. Nous en reparlerons. - Démétrius est venu me voir, avec quel cortège, grands Dieux! Je lui ai faussé compagnie, vous comprenez. Vous ne l'avez pas vu sans doute. Il reviendra demain, vous le verrez. Pour moi, dès le matin, je compte bien être parti. Votre santé m'inquiète. Ne songez pas à autre chose et faites tout ce qui est nécessaire. Persuadez-vous que vous êtes avec moi et que tout marche ici dans la perfection . Je vous sais gré d'avoir rendu service à Cuspius; c'est un homme à qui je veux beaucoup de bien. Adieu. [16,18] A TIRON. Quoi donc ! Cela ne convient pas, dites-vous. Au contraire; et même il faut mettre : A SON CHER TIRON. Cependant je l'effacerai si vous craignez l'envie, dont, pour mon compte, je me suis toujours fort peu soucié. Je suis charmé que la transpiration vous ait réussi. Si le séjour de Tusculum vous fait le même bien, bons Dieux, que j'en serai plus aise encore ! Si vous avez de l'amitié pour moi, comme vous en avez en effet ou comme vous en faites semblant à merveille, et de facon à y réussir, je vous conjure de soigner votre santé, cette santé que jusqu'à présent vous avez si mal servie, pour vouloir trop bien me servir moi-même. Vous n'ignorez pas ce qu'elle exige : « des digestions faciles, point de fatigue, un exercice modéré, du repos d'esprit, le ventre libre. » Je vous en prie, revenez-moi beau garçon; je vous en aimerai mille fois davantage, vous et Tusculum. Engagez Parhédrus à traiter lui-même du jardin. Cela fera peut-être impression sur le jardinier. Ce misérable faquin donnait cent mille sesterces pour un jardin mal abrité, sans eau, sans clôture, sans habitation. N'est-ce pas se moquer de moi que de me proposer une telle dépense? Mettez-lui le feu sous le ventre, comme j'ai fait à Mothon. Je m'en trouve maintenant comme sur un lit de roses. Quoique je n'aie que trop d'eau, où en est, je vous prie, l'affaire de la fontaine Crabra ? Je vous enverrai une horloge et des livres, s'il fait beau. Mais êtes-vous donc absolument sans livres? Ne composez-vous pas quelque chose de Sophocléen? En ce cas, montrez-le. A. Ligurius, client de César, vient de mourir. C'était un homme de bien, et entièrement µ dans mes intérêts. Mandez-moi quand je puis compter sur vous, et ayez bien soin de votre santé. Adieu. [16,19] A TIRON. J'attends une lettre de vous; vous avez beaucoup de choses à me dire. Je vous attends vous-même avec plus d'impatience encore; mettez Démétrius dans nos intérêts et tâchez d'en tirer quelque chose de bon. Je m'abstiens de vous donner conseil sur l'affaire d'Aufidius. Je sais qu'elle vous tient au coeur, mais terminez-la. Si c'est le motif qui vous retient, j'admets l'excuse : sinon accourez. Il me tarde de recevoir de vos nouvelles. Adieu. [16,20] A TIRON. Aussi vrai que je vis, mon cher Tiron , votre santé m'inquiète. J'aime pourtant à croire qu'en observant strictement votre régime, vous serez bientôt rétabli. Mettez mes livres en ordre; quant au catalogue, prenez les instructions de Métrodore, puisqu'il faut en passer par où il veut. Faites à l'égard du jardinier ce que vous jugerez à propos. Vous pouvez aller voir les gladiateurs le jour des kalendes, puis revenir le lendemain. Je n'y trouve pas le moindre inconvénient pour mon compte. Mais il faudra voir comment vous vous trouverez. Si vous avez de l'amitié pour moi, ayez bien soin de votre santé. Adieu. [16,21] CICÉRON ET FILS A SON BIEN-AIMÉ TIRON. Athènes. J'attendais vos messagers avec impatience. Enfin, après quarante-six jours de route, les voilà qui arrivent, à ma grande joie. La lettre de mon père me comble : il est si bon et je l'aime tant ! La vôtre, qui est la plus aimable du monde, ajoute encore à mon bonheur. Je ne me repens pas, je m'applaudis au contraire de ne vous avoir point écrit la dernière fois, puisque mon silence me vaut tous ces témoignages de bonté. Quelle satisfaction de voir que vous ne vous fassiez pas tirer l'oreille pour accepter ma justification! Au moins vous serez content dorénavant, mon cher Tiron; oui, vous serez content de moi, n'en doutez pas; je veux me mettre en quatre pour augmenter chaque jour la bonne opinion qu'on commence à prendre sur mon compte; et, puisque vous me promettez de chanter partout mes louanges, allez ferme et ne craignez rien. J'ai tant de regret et de remords de mes erreurs de jeune homme, que non seulement mon coeur les prend en haine, mais que le souvenir seul m'en est odieux. Je sais la part que vous avez prise à mes tribulations et à mes chagrins. C'est tout simple, votre intérêt autant que le mien vous met de mon bord. Ne serez-vous pas toujours de moitié dans ce qui m'arrivera d'heureux? Je ne vous ai donné que trop de sujets de chagrin. Eh bien! je vous donnerai au double des sujets de joie. Par exemple, de moi à Cratippe, c'est l'attachement d'un fils plutôt que d'un disciple. Je me fais un plaisir d'aller l'entendre à ses cours, et j'ai une véritable passion pour ses délicieux entretiens. Je passe avec lui des journées entières et souvent une partie des nuits. Je le retiens à souper aussi souvent que possible : depuis que j'ai établi cette habitude, nous le voyons quelquefois, se glissant à pas de loup, venir nous surprendre à table. Il dépose alors la gravité du philosophe pour causer et rire. Arrangez-vous donc pour venir au plus vite faire la connaissance d'un homme si charmant et si distingué. Vous parlerai-je de Bruttius, que je ne laisse bouger d'auprès de moi? Point de moeurs plus sévères et de compagnie plus aimable. Il sait, au milieu de propos joyeux, faire naître des questions littéraires et philosophiques. Je lui ai loué un logement près de moi; et le pauvre Cicéron, tout serré qu'il est , trouve alors moyen de venir en aide a son maigre voisin. J'ai des jours pour déclamer avec Cassius en grec, en latin. J'aime mieux m'exercer avec Bruttius. Je me suis fait un petit cercle d'amis, composé d'hommes que Cratippe a amenés avec lui de Mytilène, tous gens instruits et dont il fait le plus grand cas. Je vois aussi beaucoup Epicrate, qui tient le premier rang à Athènes, Léonide et autres personnes de même considération. Voilà comme mon temps se passe. A l'égard de Gorgias dont vous me parlez, il m'était fort utile pour mes exercices quotidiens de déclamation; mais la volonté de mon père avant tout : il m'avait écrit d'une manière formelle de l'éloigner. Je n'ai pas balancé; l'insistance eût paru suspecte, et j'ai réfléchi qu'il est toujours bien grave de mettre en question ce qu'un père a décidé. Croyez d'ailleurs que près de moi les conseils de votre amitié seront toujours les bien-venus, et me trouveront toujours reconnaissant. - J'accepte l'excuse de vos occupations : vous êtes accablé, dites-vous; c'est votre habitude, je le sais. Vous avez acheté une ferme, j'en suis ravi, et je souhaite que vous n'ayez qu'à vous applaudir du marché. Ne vous étonnez pas si je choisis cet endroit de ma lettre pour vous féliciter, car je suis à peu près l'ordre de la vôtre. Vous voilà donc propriétaire. Adieu les élégantes manières de la ville. Vous allez être un Romain de la vieille trempe. Savez-vous comment je m'amuse à me représenter votre aimable figure? Je vous vois marchandant des instruments aratoires, causant avec des paysans, et mettant soigneusement de côté les pepins des fruits que vous mangez au dessert. Raillerie à part, je suis aussi fàché que vous de n'avoir pas été en position de vous aider dans cette grande affaire; mais comptez entièrement sur moi, mon cher Tiron, si jamais je puis moi-même compter sur la fortune. Ne sais-je pas bien que nous sommes à deux pour jouir de votre acquisition? - Mille remerciments pour mes commissions. Je suis bien touché de votre diligence ; ce que je vous demande, c'est de m'envoyer au plus tôt un secrétaire, et, autant que possible, un Grec. Je perds un temps infini à transcrire mes notes. - Sur toutes choses, ayez soin de votre santé, pour que nous puissions bien philosopher ensemble. Je vous recommande Antéros. Portez-vous bien. [16,22] A TIRON. Votre lettre me fait espérer que vous êtes mieux. Combien je le souhaite ! n'épargnez rien pour vous remettre tout à fait, et n'allez pas vous figurer que je sois contrarié de ne pas vous avoir. C'est être avec moi que de vous soigner, et je vous aime mieux cherchant votre santé que la satisfaction de mes yeux et de mes oreilles. C'est pourtant mon bonheur, vous le savez, de vous voir et de vous entendre. Mais je tiens plus encore à vous savoir bien portant. J'ai suspendu mon travail, parce que je n'aime point à écrire moi-même. Je lis et j'y prends plaisir. S'il y a quelques mots de ma main que les secrétaires ne puissent déchiffrer, donnez-leur en l'explication : il n'y a de difficile qu'une seule addition interlinéaire dont j'ai peine moi-même à me tirer. C'est le trait de Caton à quatre ans. Ne perdez pas de vue le triclinium (salle à manger). Tertia viendra, pourvu que Publius ne soit pas prié. Ce Démétrius-là n'a jamais eu beaucoup de rapports avec celui de Phalère; c'est aujourd'hui un Billiénus renforcé. Aussi je vous nomme mon lieutenant. Observez-le bien. Il y a pourtant à dire.... mais quant à ces choses-là vous savez le reste. En définitif, si vous avez un entretien avec lui, vous m'en donnerez le détail. Ce sera un texte pour ma réponse et j'aurai une plus longue lettre de vous. Prenez soin de votre santé, cher Tiron, vous ne pouvez rien faire qui me touche davantage. [16,23] A TIRON. Pouzzoles. Eh bien! faites la déclaration pour cet argent, si vous le pouvez. Ce n'est pas que dans l'espèce une déclaration soit nécessaire. Toutefois Balbus m'écrit qu'il a si mal aux yeux qu'il ne peut desserrer les lèvres. Que fait Antoine avec sa loi? Qu'on me laisse tranquille à mes champs, voilà tout ce que je demande. J'ai écrit à Bithynicus. C'est vous que touche l'exemple de Servilius, puisque vous vous souciez de vieillir. Atticus, qui m'a vu autrefois sujet à des paniques, me croit toujours prêt comme lui à prendre l'alarme. Il ne sait pas quel rempart je me suis fait de la philosophie, et il fait du bruit parce qu'il a peur. Pour en revenir à Antoine, je veux conserver son amitié, cette amitié qui a vieilli sans nuage. Je lui écrirai donc, mais pas avant de vous avoir vu. Cependant je ne vous empêche pas de payer le billet : avant la jambe est le genou. J'attends demain Lepta, et j'aurai besoin de votre miel pour faire passer son absynthe. Adieu. [16,24] A TIRON. Mai. Je vous ai envoyé Harpalus ce matin; il n'y a rien de nouveau; mais comme voici une occasion directe, je vous écris encore, pour vous parler toujours des mêmes choses. Ce n'est pas que je me défie de votre exactitude; mais l'affaire est assez considérable pour me préoccuper. J'ai, comme dit le proverbe grec, pourvu à tout, de la poupe à la proue, en vous détachant de moi pour aller régler mes comptes. Il faut satisfaire d'abord Ofillius et Aurélius. Si vous ne pouvez avoir de Flamma toute la somme, tâchez d'en arracher au moins une partie. Sur toutes choses, faites qu'il ait soldé aux kalendes de janvier. Terminez pour le transport, et voyez ce qu'il y a à faire quant au payement anticipé. Mais laissons là les affaires privées, et passons aux affaires publiques. Je veux des détails sur tout. Que fait Octave? que fait Antoine? De quel côté se tourne l'opinion? Que pensez-vous vous-même? Je ne me tiens pas, tant je brûle de partir; mais st! attendons une lettre de vous. Sachez que Balbus était à Aquinum le jour où on vous l'avait dit, et qu'Hirtius y arriva le lendemain. Ils allaient l'un et l'autre aux eaux, je le suppose. Qu'auront-ils fait? Veillez à ce qu'on avertisse les gens d'affaires de Dolabella. Il faudra aussi que Papia soit citée. Adieu. [16,25] CICÉRON LE FILS A SON BIEN CHER TIRON. Athènes. Vous vous justifiez à merveille d'étre resté longtemps sans m'écrire; mais, je vous en prie, n'ayez pas souvent besoin de vous justifier. J'apprends bien ce qui se passe par les bruits et les nouvelles ; de plus, mon père m'écrit ses volontés, mais la moindre petite lettre de votre main aurait tant de charme! c'est vraiment un besoin pour moi que votre correspondance; et gardez-vous de croire que vous puissiez vous acquitter par des excuses aussi bien que par des lettres. Adieu. [16,26] QUINTUS A SON CHER TIRON. Je vous ai dit à part moi bien des injures, quand j'ai vu pour la seconde fois les dépêches arriver sans lettre de vous. C'est un crime dont vous ne pouvez en conscience refuser de subir la peine. Prenez Marcus pour avocat, et voyez, je vous le conseille, si en mettant beaucoup de temps à élucubrer, à revoir, à commenter votre défense, il parviendra à démontrer que vous n'êtes pas coupable. Je me rappelle une ancienne habitude de notre mère : elle cachetait les bouteilles vides comme les pleines, afin qu'on ne pût pas en boire à la dérobée de pleines qu'on eût ensuite rangées parmi les vides. Eh bien! je vous en prie, faites votre profit de cet exemple. Si vous n'avez rien à mettre dans votre lettre, ne laissez pas de m'écrire encore, sans quoi c'est un vol trop à découvert que vous me faites. Oui un vol, car vos lettres ne sont jamais vides pour moi. Elles exhalent toujours un parfum exquis. Aimez-moi et portez-vous bien. [16,27] Q. CICÉRON A SON CHER TIRON. Me voilà fustigé de main de maître pour mon silence. Mon frère m'en écrivait bien moins par ménagement sans doute, ou plutôt il était pressé. Vous, vous dites les choses tout net surtout sur les futurs consuls. Je les connais à fond, esprits sans ressort, blasés de plaisirs, énervés par la débauche. S'ils ne quittent le gouvernail, la république est exposée à un naufrage. Ce qu'ils ont fait pendant la campagne, en face du camp des Gaulois, est inimaginable. Le brigand, si l'on n'y met bon ordre, va les gagner par la communauté de vices qui existent entre eux et lui. Il faut chercher appui dans la puissance tribunitienne, faire appel aux bons citoyens. Pour moi, j'ai de ces deux hommes une idée telle, que je ne confierais pas Césène à l'un, ni à l'autre les caves des boutiques Cossutiennes. - Je vous l'ai déjà dit, je vous aime comme ma prunelle; je compte vous voir le 3 des kalendes, et, fût-ce en plein forum, j'irai vous baiser sur les deux yeux. Aimez-moi. Adieu.