[15,0] LETTRES A ATTICUS - LIVRE XV. [15,1] A ATTICUS. Sinuesse, mai. 1ere partie. Quelle triste chose que la mort d'Alexion ! J'en ai un chagrin inexprimable. Ce n'est pas, je vous assure, de la manière que supposent les gens qui me disent : Quel médecin allez-vous prendre? Qu'ai-je affaire de médecin aujourd'hui? Et si j'en veux, en manque-t-il ? Ce que je regrette en lui, c'est son affection, son amabilité, sa douceur; et puisque retour est à faire sur soi-même, quand on voit un homme de cette tempérance et un si grand médecin ainsi emporté en un clin d'œil ! Il n'y a qu'une chose à se dire, c'est qu'on est homme, et qu'on doit se résigner aux conditions de l'humanité. — Je vous ai déjà mandé qu'il ne m'avait pas encore été possible de rejoindre Antoine. Il est venu a Misène, pendant que j'étais à Pompéi; mais il était déjà parti quand je l'ai su. Cependant le hasard a voulu qu'Hirtius se trouvât justement chez moi à Pouzzol au moment où j'ai reçu votre lettre. Je la lui ai montrée, et j'ai insisté sur son contenu. Son premier mot a été qu'il ne s'y intéressait pas moins que moi-même, et son dernier, que pour cette affaire comme pour toute autre il met le consul à ma discrétion. Quand je verrai Antoine, je m'y prendrai de manière à lui faire entendre que si, dans cette occasion, il fait ce que nous désirons, je suis à lui sans réserve. — Je pense bien que Dolabella n'aura pas mis la clef sous la porte. Revenons à nos amis. Vous augurez favorablement de la modération des édits. Pour moi, je sais parfaitement ce qu'il y a au fond de la pensée d'Hirtius; j'en ai pu juger le 17 des kalendes, lorsqu'il partit de Pouzzol pour se trouver avec Pansa à Naples. Je le pris à part, et l'exhortai au maintien de la paix. Il ne pouvait pas répondre : Je ne veux pas de la paix. Mais il dit que cette attitude armée ne l'inquiète pas moins de notre, part que de celle d'Antoine; que sans doute on fait bien des deux côtés d'être sur ses gardes, mais qu'enfin d'un côté ou de l'autre la collision est imminente. Que vous dirai-je? Je n'en attends rien de bon. - Je suis de votre avis pour le fils de Quintus. Votre charmante lettre au père lui a fait le plus grand plaisir. J'ai fait sans peine entendre raison à Cérellia. Elle n'a pas, je crois, l'affaire grandement à cœur, et en tout cas je ne m'en soucie guère. Quant à cette autre personne qui se rend, dites-vous, si importante, je ne m'étonne que d'une chose: c'est que vous ayez voulu l'écouter. Si j'en ai dit du bien chez ses amis, en présence de ses trois fils et de sa fille, j'ai bien changé de note. Pourquoi cela? parce que, le rôle fini, je n'ai que faire du masque. Celui de la vieillesse est déjà bien assez laid. — Brutus désire, dites-vous, me voir avant les kalendes; il me l'a écrit. Je me rendrai probablement a son désir; mais je ne devine point ce qu'il veut. Moi qui ne sais pas me conseiller moi-même, quels conseils aurais-je à donner à un homme qui a si bien travaillé pour sa gloire, si peu pour notre repos? Les bruits qu'on a répandus sur la reine tomberont tout seuls. Si vous pouvez quelque chose auprès de Flamma, ne manquez pas d'agir, je vous prie. A ATTICUS Sinuesse, mai. 2me partie. Je vous écrivis hier en quittant Pouzzol. J'allais à Cumes. J'y ai trouvé Pilia bien portante. Je l'ai vue ensuite un moment à Baules, où elle s'est rendue de Cumes pour une cérémonie funèbre à laquelle j'ai moi-même pris part. Notre ami Cn. Lentulus plaçait le corps de sa mère sur le bûcher. J'ai couché ce jour-là à Sinuesse, et j'en suis parti ce matin pour Arpinum, d'où je vous écris. Je n'ai rien de nouveau a vous apprendre ou à vous demander. Peut-être pourtant ne serez-vous pas fâché de savoir que notre cher Brutus m'a envoyé le discours qu'il a prononcé dans l'assemblée du Capitole, et il me prie de le corriger sans ménagement, avant qu'il le rende public. Ce discours est semé de pensées admirables; et quant au style, il n'est rien au-dessus. Mais si j'avais à traiter un tel sujet, je le ferais plus chaudement. Vous connaissez les principes et le caractère de l'orateur, et vous comprenez qu'aucune correction ne m'était possible. Ce que Brutus veut être en fait d'éloquence, il l'a été; et l'on ne saurait, mieux qu'il ne le fait, réaliser l'idée qu'il s'est formée de la perfection dans l'art de la parole. Mais soit à tort, soit à raison, et quand même je serais seul de mon avis, mon système est autre. Si vous ne connaissez pas encore ce morceau, faites-moi le plaisir de le lire et dites-moi ce que vous en pensez. Ce n'est pas que je ne redoute beaucoup chez vous l'influence du nom et des dispositions ultra-attiques. Cependant rappelez-vous les foudres de Démosthène, et vous verrez que le style peut se passionner sans cesser d'être ce qu'il y a de plus attique. Nous en parlerons à notre première recentre. Aujourd'hui je voulais seulement que Métrodore partît avec une lettre de moi, et une lettre qui ne fût pas vide. [15,2] A ATTICUS. Sinuesse, mai. Je partais de Sinuesse le 15 des kalendes, après avoir quitté Cumes, lorsque, sur le territoire de Vescia, votre messager me remit une lettre de vous. C'est trop insister sur Buthrote. Cette affaire ne vous est et ne vous sera jamais plus a cœur qu'a moi. Ainsi devons-nous être l'un pour l'antre. Je m'y suis mis dès l'origine, comme à la chose qui me préoccupe le plus au monde. Je vois, par votre lettre et par d'autres, que Lucius Antoine a fait un discours dégoûtant. Mais quel effet a-t-il produit? Vous ne m'en parlez point. J'approuve fort ce que vous me dites de Ménédémus. Ces propos de Quintus ne sont que trop vrais, il les tient à tout venant. Je suis ravi que vous me permettiez de laisser là le discours que vous m'aviez engage à faire ; vous vous en applaudirez en lisant celui dont je vous parle dans ma lettre d'aujourd'hui. Ce que vous dites des légions est vrai: mais vous ne vous persuadez pas assez que l'autorilé du sénat est insuffisante pour emporter l'affaire de Buthrote. C'est du moins mon avis. Je vois tant de haine ! notre vie même est menacée, à en juger par les apparences. Puissé-je me tromper ! Vous ne vous seriez alors pas trompé pour Buthrote. — Je partage votre opinion sur le discours d'Octave; ses préparatifs pour les jeux publics, et ses commissaires, tels que Matius et Postumius, ne sont pas de mon goût. Saserna aussi est un digne collègue. Oui, vous le dites avec raison, il n'y a pas un seul de ces gens-là qui ne redoute la paix autant que nous redoutons la guerre. Je voudrais bien réhabiliter Balbus parmi nos amis. Malheureusement il ne croit pas la chose possible lui-même, et il porte ses vues ailleurs. Je suis charmé du courage que vous donne la lecture de ma première Tusculane. Le remède qu'elle indique est toujours à notre disposition. Merci des bonnes paroles données par Flamma. Quelle est l'affaire des Tyndaritains dont il s'inquiète? On peut en tous cas compter sur moi. Ce qui se passe, et particulièrement les distributions d'argent, paraissent ébranler le dernier des cinq (Hirtius). La mort d'AIexion m'afllige; mais, après une attaque si grave, son existence devenait telle que je ne puis le plaindre. Quels sont ses seconds héritiers, je vous prie? et quelle est la date de son testament? je voudrais le savoir. [15,3] A ATTICUS. Atina, mai. J'ai reçu le 11 des kaiendes, à Atina, vos deux réponses à mes lettres. L'une est du 15, l'autre du 12. Commençons par la plus ancienne. Vous accourez à Tusculum. Eh bien ! c'est le 6, je le suppose, que j'y serai. Quant à courber la tête sous le vainqueur, ce n'est pas là mon avis; il y a bien mieux à faire. Vous rappelez ce qui arriva dans le temple d'Apollon, sous le consulat de Lentulus et de Marcellus. Mais la question n'est pas la même, et les circonstances sont tout autres. Ne dites-vous pas surtout que Marcellus et les autres se retirent? Nous aurons ensemble à chercher et à voir s'il y a sûreté pour nous dans Rome. D'un autre côté, cette masse de propriétaires nouveaux me donne à réfléchir. Nous sommes pris dans un défilé. Mais qu'importe? J'en ai vu froidement bien d'autres. Je connais le testament de Calva; c'est l'œuvre d'un homme avare et sordide. Merci de l'attention que vous donnez à la mise en vente des biens de Dominicus. Il y a longtemps que j'ai écrit à Dolabella en termes très-pressants au sujet de Marius. Est-ce que ma lettre ne serait pas parvenue? Je n'ai fait pour lui que ce que je désirais et devais faire. — J'arrive à votre seconde lettre. J'ai appris sur Alexion tout ce que je voulais savoir. Hirtius est pour vous. Je souhaite pis encore à Antoine. Vous jugez bien du fils de Quintus ; nous parlerons ensemble de son père. Je ne demande pas mieux que de faire pour Brutus tout ce qui dépend de moi. Je vois bien que vous partagez mon opinion sur son petit discours. Mais je ne comprends point que je puisse en faire un autre en son nom, aujourd'hui qu'il l'a publié. De quelle manière l'entendez-vous? S'agit-il seulement d'établir qu'on avait le droit de tuer le tyran? Il y eu a long à dire, long à écrire sur ce sujet. Mais je m'y prendrai autrement et dans d'autres temps. Bravos aux tribuns pour le siège de César ! bravos aussi aux quatorze rangs! Je suis charmé que Brutus ait logé chez moi, pourvu qu'il s'y soit bien trouvé, et qu'il y ait fait quelque séjour. [15,4] A ATTICUS. Atina mai. Le 12 des calendes, à la 8e heure à peu près, un messager m'arrive porteur de je ne sais quel diminutif de billet, par lequel Fufius me redemande mon amitié. On n'est pas plus gauche, en vérité. Mais peut-être tout semble-t-il gauche de la part des gens qu'on n'aime pas? Ma réponse serait de votre goût. Le même messager m'a remis deux lettres de vous, l'une du 11, l'autre du 10. Voyons d'abord la plus récente, qui est en même temps la plus aimable. A merveille. Quoi ! Et Carfulénus aussi? En vérité, les fleuves remontent vers leurs sources. Que de tempêtes prêtes à sortir de tous ces projets d'Antoine ! Puisse-t-il agir par le peuple plutôt que par le sénat! Il le fera, je crois. Mais si on veut enlever à Brutus son gouvernement, c'est la guerre; si peu de nerf que je lui suppose, il ne se laissera pas dépouiller sans en venir aux coups. Je ne désire pas la guerre, puisqu'on s'occupe des Buthrotiens. Vous riez! mais moi, j'aurais bien mieux aimé réussir par ma persévérance, mon crédit et mes soins a arranger leur affaire. Je gémis. Vous ne savez que dire de nos amis, et de ce qu'ils doivent faire en de telles circonstances. J'en suis là pour moi-même, et ce n'est pas d'aujourd'hui que les ides de mars me semblent une consolation dérisoire. Nous avons montré un courage de héros et pris des résolutions d'enfants. Il fallait arracher l'arbre. On s'est borné à le rogner; aussi voyez comme il repousse. — Revenons-en à mes Tusculanes, que vous citez sans cesse. Ne parlons point à Sauféius, si vous le voulez. Je vous garderai le secret. Brutus demande quel jour je serai à Tusculum : le 6 des kaiendes, comme je vous l'ai déjà dit. Je voudrais bien vous y voir à mon arrivée. Je crois que je serai obligé d'aller à Lanuvium, et cela fera jaser. Nous y réfléchirons. — Je reviens maintenant à votre première lettre. Vous parlez d'abord de Buthrote : je passe outre. Je suis tout plein de cette affaire : et je dis comme vous, vienne seulement l'instant d'agir! Vous revenez si longuement sur ce discours de Brutus, que je vois bien que vous ne vous rendez point encore. Voulez-vous donc que je refasse son discours, et cela sans qu'il m'en ait prie? Mais rien ne blesse comme cette espèce de défi. Faites, me dites-vous, quelque chose dans le goût d'Héraclide. A cela, je ne réponds pas non : seulement, il faut choisir la thèse et attendre des temps favorables. ? vous permis de penser de moi tout ce qu'il vous plaira! du bien pourtant, j'espère ; mais si la situation reste la même, comme il y a apparence, permettez-moi de vous dire que je ne trouve dans les ides de mars rien qui me contente. Il fallait empêcher le tyran de renaître; ne pas craindre d'annuler tous ses actes. Ou bien je rentre dans les principes de Sauféius, et je laisse de côté ceux de mes Tusculanes, que vous voulez pourtant faire lire même à Vestorius. Oui, puisque le meurtre ne nous a pas rendu la liberté, j'étais dans les bonnes grâces de ce mort (que les Dieux le confondent !), et je devais, à mon âge, m'accommoder d'un tel maître. Je rougis de mes paroles; mais n'importe! Ce qui est écrit est écrit et restera. — Que n'avez-vous dit vrai sur Ménédème! Que ne dit-on vrai sur la reine! Le reste à la première rencontre et de vive voix. Nous aurons surtout à voir ce que nous devons faire, et à prévoir le cas où Antoine environnerait le sénat de ses soldats. Je n'ai pas voulu donner cette lettre à son messager, de crainte qu'il ne l'ouvrît. Je vous envoie donc un exprès. J'avais d'ailleurs à vous répondre. — Que j'aurais été heureux si vous aviez pu rendre ce service à Brutus! mais je lui ai écrit. Je viens d'envoyer Tiron à Dolabella avec des instructions et une lettre. Faites-le venir, et s'il y a quelque chose de bon à me faire savoir, écrivez-moi. Voilà L. César qui vient à la traverse, et me prie fort malencontreusement de l'aller joindre au Bois, ou d'indiquer moi-même un rendez-vous, et c'est Brutus qui le désire. Quelle complication de contrariétés! Je pense aller à ce rendez-vous; puis de là à Rome; peut-être non. Je me borne à ce peu de mots ; car je n'ai pas encore vu Balbus. J'attends de vos nouvelles; parlez-moi de tout ce qui se fait ou doit se faire. [15,5] A ATTICUS. Atina, mai. Le messager que j'avais envoyé à Brutus est de retour. Il m'a apporté des lettres de lui et de Cassius : tous deux demandent instamment mes conseils; Brutus surtout veut que je tranche l'alternative ? embarras ! Je ne sais que leur dire. Aussi garderai-je le silence, à moins que vous n'en jugiez autrement. Ecrivez-moi dans ce cas quelles sont vos vues. Cassius me conjure d'agir sur Hirtius de manière à le rendre le meilleur possible. A-t-il bien sa raison ? « Le foulon a-t-il jamais blanchi le charbonnier? » Vous avez dû recevoir une lettre de moi. Balbus et Hirtius m'écrivent, comme vous, qu'il y aura un sénatus-consulte pour les gouvernements de Brutus et de Cassius. Hirtius est parti; il doit déjà être à Tusculum. Il me prie instamment de rester éloigné. Il y a du danger à courir, dit-il; il en a couru lui-même. Mais quand il n'y aurait aucun danger, je suis si loin de craindre qu'Antoine sache mon déplaisir de ses succès, que je n'ai qu'un seul motif pour ne pas aller à Rome : je ne veux pas le voir. Varron vient de me communiquer une lettre qui lui a été écrite j'ignore par qui; il a effacé la suscription. Cette lettre annonce que les vétérans, non compris dans la distribution des terres, (ils n'y ont pas tous eu part,) tiennent les plus mauvais propos, et que les gens qui ne sont pas pour eux peuvent avoir de grands risques à courir à Rome. Ainsi, pour nous, je vous prie, quel moyen d'y aller, d'en sortir? quelle y serait notre figure, notre contenance ? De plus, est-il vrai, comme vous l'annoncez, que L. Antoine marche contre D. Brutus, et les autres contre nos deux amis? Que dois-je faire? quel parti prendre? Pour le moment je suis décidé à rester ici, c'est-à-dire hors cette ville ou j'ai jeté tant d'éclat, et ou, sous la servitude même, mon caractère n'a pas été sans dignité. Quant à quitter tout à fait l'Italie, nous en parlerons ensemble. J'y suis moins résolu qu'à m'absenter de Rome. [15,6] A ATTICUS. Tusculum. Brutus m'écrit, ainsi que Cassius, pour me parler d'Hirtius. Ils savent qu'il a été excellent jusqu'à ce jour; mais comme ils doutent maintenant de lui, ils désirent que j'use de mon influence pour l'affermir dans ses bons sentiments. Sans doute il est mal avec Antoine, mais il est en même temps fort attaché à leur cause. Je lui ai écrit, et lui ai recommandé les intérêts de Brutus et de Cassius. Je veux que vous voyiez sa réponse. Peut-être jugerez-vous comme moi que la faction se figure nos amis plus fermes qu'ils ne sont réellement. HIRTIUS A CICERON. « Vous me demandez si je suis de retour des champs. Est-ce quand tout fermente autour de moi que je puis rester à ne rien faire? C'est de Rome que je suis de retour. J'ai cru qu'il serait mieux de n'y pas rester. Je vous écris partant pour Tusculum, et n'allez pas me croire assez brave pour revenir à la ville à l'époque des nones. En quoi d'ailleurs ma présence y pourrait-elle être utile, lorsqu'on a fait la besogne pour tant d'années à l'avance? Quant à Brutus et Cassius, qui me trouvent si maniable lorsque vous intercédez pour eux, puissent-ils aussi facilement se laisser persuader par vous de s'abstenir de résolutions extrêmes! C'est en partant, dites-vous, qu'ils vous ont écrit. Où vont-ils? que veulent-ils faire? Retenez-les, mon cher Cicéron, je vous en conjure, et ne souffrez pas que notre ruine, préparée par tant de violences, d'incendies et de meurtres d'un bout de la république à l'autre, s'accomplisse à la fin tout entière. S'ils ont quelque chose à craindre, qu'ils prennent leurs précautions, mais qu'ils s'arrêtent là. Ils ont à coup sûr bien moins à gagner par les mesures précipitées qu'en abandonnant les choses à leur cours naturel, tout en restant sur leurs gardes. Laissez passer le torrent, il ne durera pas toujours. Résistez-lui, sa violence va tout détruire. Mandez-moi à Tusculum ce que vous espérez de leurs dispositions. » — Telle est la lettre d'Hirtius : je lui ai répondu qu'ils ne songeaient à rien moins qu'à faire un coup de tête, et je le lui ai démontré. J'ai voulu que vous sussiez ce détail tel quel. Ma lettre fermée, il m'en arrive une de Balbus. Servilie est de retour. Ils ne partiront point. A vous maintenant de m'écrire. [15,7] A ATTICUS. Tusculum. Mille grâces pour toutes ces lettres; elles m'ont charmé, surtout celle de notre cher Sextus. Parce qu'il vous loue, allez-vous dire. En vérité, je crois qu'il en est quelque chose. Cependant, avant d'arriver à l'endroit de ses éloges, j'étais déjà ravi et de son sentiment sur les affaires publiques, et de son attention à m'écrire. Quant au pacificateur Servius, le voila embarqué dans sa médiation, escorté de son petit secrétaire, et uniquement préoccupé de faire tête à des arguties légales; il devrait bien penser « que ce n'est pas au droit qu'on aura recours en cette affaire, mais bien à ce qui est mentionné après » Écrivez-moi donc aussi vous-même, je vous prie. [15,8] A ATTICUS. Tusculum. Deux lettres de Balbus depuis votre départ, mais rien de nouveau. Hirtius m'écrit aussi: il est très-offensé de la conduite des vétérans. J'hésite toujours sur ce que je dois faire aux kalendes de mars. J'ai dépêché Tiron, et avec lui plusieurs de mes gens, afin qu'au fur et à mesure des événements, je puisse avoir des lettres de vous. J'écris aussi à Antoine, au sujet de la mission que je désire. J'aurais craint de blesser cet esprit irritable en ne m'adressant qu'à Dolabella. Mais comme on pénètre, dit-on, très-difficilement jusqu'à Antoine, j'ai écrit à Eutrapélus pour le charger de remettre ma lettre, et d'appuyer sur le besoin que j'ai de cette légation. Il faut bien dès lors qu'il remette ma lettre. Une mission votive est plus honorable; enfin celle-là ou une autre. — Réfléchissez mûrement, je vous prie, sur votre position personnelle : le mieux serait de venir en conférer avec moi; mais il nous est toujours possible de nous écrire. Grécéius me mande qu'il tient de Cassius qu'on soudoie des hommes armés destinés pour Tusculum. Je n'y crois pas : cependant il est bon de prendre ses précautions, et d'avoir plusieurs villas toutes prêtes. D'ici à demain nous verrons ce qu'on en doit penser. [15,9] A ATTICUS. Tusculum, juin. 1ère partie. Le 3 des nones, au soir, on m'a remis une lettre de Balbus. Il m'annonce que le sénat se réunit le jour des nones, afin d'aviser à l'envoi de Brutus et de Cassius, le premier en Asie, le second en Sicile, avec mission d'acheter des blés et de les expédier à Rome. Quelle honte! Recevoir une mission de ces gens-là! Et à ce titre encore! Après tout, je ne sais trop si cela ne vaut pas mieux que de rester les bras croisés aux bords de l'Eurotas. Le sort en décidera. Balbus ajoute qu'on fera aussi un décret pour leur donner des gouvernements, ainsi qu'aux autres prétoriens. Voila qui vaudrait mieux que le portique des Perses; ne vous y trompez pas au moins. C'est de Lanuvium que j'entends parler, et non de la Sparte de Laconie. Quoi ! direz-vous, plaisanter dans pareil moment! Que voulez-vous? je suis las de pleurer. A ATTICUS. Tusculum, Juin. 2ième part. Dieux immortels! que j'ai tremblé en lisant la première page de votre lettre ! Qu'est-ce donc, je vous prie, que cette descente armée dans votre maison ? Heureusement, l'orage a passé vite. Je suis impatient de savoir comment vous vous serez tiré de cet affligeant et épineux rendez-vous où l'on doit tenir conseil. C'est un embarras inextricable; tant il est vrai que nous sommes serrés et pris par tous les côtés ! La lettre de Brutus, que je comprends que vous ayez lue, m'a jeté dans un trouble inexprimable. Déjà incapable d'une seule idée, je crois que, depuis cette lettre, la douleur m'a encore plus appesanti. Je vous en dirai davantage, lorsque je saurai à quoi m'en tenir sur toutes ces tristes questions. En ce moment je n'aurais rien à vous mander, et je reste d'autant plus dans la réserve que je doute que vous receviez cette lettre; car il n'est pas sur que mon messager vous trouve. J'attends de vos nouvelles avec impatience. [15,10] A ATTICUS. Tusculum, juin. Quelle affectueuse lettre que celle de Brutus! et qu'il est fâcheux le contretemps qui ne vous permet pas de l'aller voir! En attendant, que doos-je lui conseiller? D'accepter l'offre qu'on leur fait? n'est-ce pas le comble de l'opprobre? De tenter quelque grand coup? la volonté leur manque, et même le pouvoir. Faut-il enfin les encourager dans leur inaction? mais quelle garantie leur donner pour leur sûreté ? Et si la chance tourne mal pour Décimus, quelle sera leur existence, en supposant qu'on les épargne? Ne pas présider aux jeux qu'il donne, quelle honte! Aller ramasser des vivres, quelle mission à la Dion {Denys, qui craignait Dion, l'envoyait souvent en ambassade. C'était un exil continu, coloré d'un prétexte honorable}, et dans toute la république quel emploi plus ignoble! Rien de plus dangereux que d'avoir, en pareil cas, un avis à donner. Encore si les conseils étaient utiles! mais pourquoi s'ingérer d'en donner en pure perte; et comment m'interposer entre lui et sa mère, dont il écoute la voix et dont les prières l'entraînent toujours? Je réfléchirai pourtant sur ce que je dois écrire, car le silence ne m'est pas permis. Je ferai immédiatement partir un exprès pour Antium ou Circéi. [15,11] A ATTICUS. Antium, juin. Je suis arrivé à Antium avant le 6 des ides. Brutus a paru charmé de me voir. Puis, en présence d'une foule de personnes, de Servilia, de Tertulla, de Porcia (la mère, la sœur et la femme de Brutus), il m'a demandé hautement mes conseils. Favonius aussi était présent. J'ai médité ma réponse en route. Mon avis, lui dis-je, est qu'il faut accepter la mission d'Asie, pour les blés; qu'il ne nous reste rien à faire que de songer à votre conservation ; qu'en cela seul nous pouvons encore être utiles à la république. Au moment où je parlais, Cassius est entré. J'ai recommencé : en m'écoutant, ses yeux s'animaient, Mars semblait l'inspirer. Pour moi, s'écria-t-il, je n'irai point en Sicile. Qui, moi, recevoir un affront comme un bienfait ! Que ferez-vous donc, répliquai-je? J'irai en Achaïe. - Et vous, Brutus? — A Rome, si vous n'y voyez pas d'objection. — J'en vois beaucoup au contraire ; vous n'y pouvez être en sûreté. — Mais enfin, si je le pouvais, que diriez-vous? — Je dirais tout à fait oui. Je ne voudrais même d'une mission pour vous ni maintenant, ni à la sortie de votre préture. Mais je ne prends pas sur moi la responsabilité de votre séjour à Rome. — Je lui ai énuméré alors tous les dangers qui l'y attendaient. Ai-je besoin de les dire? Vous les devinez. On vint ensuite a parler des occasions perdues ; on les déplorait, et Cassius plus fortement que les autres. Il s'en prit surtout et avec amertume à Décimus. Je demandai qu'on ne revînt pas sur le passé. Mais je tombai d'accord des faits. Puis je dis quelques mots. Rien de nouveau assurément sur ce qu'il aurait fallu faire; je répétai ce que chacun dit tous les jours; mais je m'abstins même du point délicat, qu'il y avait un homme qu'il eût fallu frapper. Aussi je déclarai seulement qu'on aurait dû assembler sur-le-champ le sénat, profiter de l'exaltation du peuple pour l'entraîner, et se rendre maître de la direction des affaires. Là-dessus votre amie (Servilia) se récriant : Mais c'est la première fois que j'entends pareille chose! je la réduisis au silence. Bref, je crois que Cassius partira. Servilia se fait fort d'obtenir qu'on retranche du sénatus-consulte ce qui est relatif à l'expédition des blés. Notre cher Brutus est lui-même revenu sur les paroles vaines qu'il avait prononcées. Car il avait dit positivement : « Je veux aller à Rome. » Il a été convenu que les jeux auraient lieu sans lui, sous son nom. Il m'a paru que son intention était de partir d'Antium pour l'Asie. Je n'ai plus qu'un mot à ajouter, c'est que je n'emporte d'autre satisfaction de mon voyage que l'acquit de ma conscience. Il ne m'était pas possible de laisser Brutus quitter l'Italie sans le voir. Mais après avoir cédé au besoin de mon cœur et payé ma dette à l'amitié, je peux bien me dire à moi-même, avec le poète grec : « A quoi donc t'a servi d'aller trouver l'oracle? » J'ai trouvé un vaisseau brisé, ou plutôt je n'en ai vu que les débris : plus de combinaison, de calcul, de plan. C'était mon dessein avant de les voir, et c'est mon dessein plus que jamais de battre de l'aile au plus vite, et de chercher des lieux ou « les forfaits des Pélopides et jusqu'à leur nom ne soient jamais parvenus. » — A propos, afin que vous ne l'ignoriez point, sachez ! que Dolabella m'a nommé son lieutenant le 4 des nones d'avril. J'en ai eu la nouvelle hier. La légation votive ne vous plaisait pas non plus. C'eût été absurde en effet. Moi, qui aurais fait un vœu pour le maintien de la république, j'aurais été l'accomplir après son renversement! D'ailleurs, je crois que la loi Julia a limité la durée des légations libres, et qu'il est difficile à ceux qui en ont d'obtenir la liberté de venir à Rome, et d'en sortir quand ils veulent. Je le pourrai maintenant, et il est fort agréable d'avoir cette faculté pour, cinq ans. Cinq ans? c'est porter mes vues bien loin. Mais pas de mauvais présage! [15,12] A ATTICUS. Antium, juin. Je suis charmé vraiment du tour que prend l'affaire de Buthrote. Mais moi qui, sur votre ordre, avais envoyé Tiron avec une lettre à Dolabella! Au surplus, quel mal? Je croyais vous avoir écrit assez clairement pour ne vous laisser aucun doute sur la disposition des gens d'Antium (Brutus et Cassius) à demeurer tranquilles, et à accepter l'ignominieux bienfait d'Antoine. Cassius ne veut point de cette commission des blés. Servilia avait promis que l'article serait retranché; notre Brutus, toujours stoïque, s'est décidé à aller en Asie, après avoir reconnu avec moi qu'il n'y avait aucune sûreté pour lui dans Rome. Il aime mieux que les jeux se fassent sans lui, et son intention est de partir dès qu'il en aura remis le programme à des commissaires. Il réunit des vaisseaux et ne songe qu'à son voyage. En attendant, il se propose de rester dans les environs. Brutus a dit qu'il irait à Asture. — L. Antonius m'a généreusement écrit que je n'eusse rien à craindre : c'est une première obligation que je lui ai. Puissé-je lui en avoir une seconde, en ne le voyant pas venir à Tusculum ! Que de choses intolérables et qu'on supporte cependant ! A qui des deux Brutus s'en prendre? Je crois de l'esprit et du cœur à Octavianus (Octave, qui fut depuis Auguste), et ses dispositions pour nos héros m'ont paru telles que nous pouvons les désirer. Mais jusqu'à quel point se lier à son âge, à son nom, à l'héritage qu'il recueille, aux impressions qu'on lui a données? La question est capitale. Son beau-père (Philippe), que nous avons vu à Asture, ne sait qu'en dire. Il faut en tout cas le ménager, ne fut-ce que pour l'empêcher de se lier avec Antoine. Marcellus fera une bien belle chose, s'il réussit à le gagner à nous et à nos amis. Octavianus m'a semblé lui être tout à fait dévoué; mais il n'a guère de confiance dans Pansa, ni dans Hirtius. Son naturel est bon : puisse-t-il rester toujours le même ! [15,13] A ATTICUS. Pouzzol, octobre. 1ere partie. J'ai reçu deux de vos lettres le 8 des kalendes. Je répondrai premièrement à la plus ancienne. Je suis d'accord avec vous : n'être ni à la tête ni à la queue, mais aider à la marche. Cependant je vous envoie ma harangue. Vous la garderez ou vous la publierez à votre choix. Viendra-t-il le jour où vous croirez pouvoir la rendre publique? Une trêve , dites-vous: je n'y crois point. Ne pas répondre est le mieux , et c'est le parti que je prendrai, je pense. Vous m'annoncez l'arrivée de deux légions à Brindes : vous savez tout avant nous. Tenez-moi donc au courant. J'attends le dialogue de Varron. Eh bien! je ferai quelque chose à la manière d'Héraclide, puisqu'elle est si fort de votre goût. Mais quel sujet voulez-vous? Il faudrait vous expliquer. Quant à ce que je vous ai dit antérieurement, ou plutôt, puisqu'antérieurement vous déplaît, quant à ce que je vous avais dit d'abord, eh bien! c'est vous, je le répète avec vérité, qui me redonnez du cœur. A votre prédilection comme vous ajoutez le suffrage de Péducéus, grande et respectable autorité pour moi. Je vais donc me mettre à l'œuvre et faire de mon mieux. Je ménage Vecténus et Fabérius, comme vous me le conseillez. Je doute qu'il y ait mauvaise intention de la part de Clélius. Cependant... cependant... que fera-t-il en définitif? Oui, gardons la liberté, c'est le. premier des biens. Quoi ! traiter ainsi Caninius Callus! le scélérat! quel autre nom employer? Marcellus prend ses précautions; moi aussi, moins peut-être qu'il ne faudrait. — J'ai répondu à la plus longue et à la plus ancienne de vos lettres ; maintenant que j'en suis à la plus récente et à la plus courte, que vous dirai-je, sinon qu'elle m'a charmé. Les affaires d'Espagne vont à merveille; pourvu que je voie Balbilius revenir sain et sauf, Balbilius l'appui de ma vieillesse. Je forme le même vœu pour Annianus, à cause de Visellia qui me comble de prévenances et de soins. Mais ce sont là les chaînes attachées à l'humanité. Vous ne savez rien de Brutus. D'après Séruflia, Scaptius est arrivé, mais sans son cortège ordinaire. Il veut la voir en secret. Elle me dira tout : je vous en ferai part à l'instant. En attendant, elle prétend qu'un esclave de Bassus est arrivé, annonçant l'insurrection des légions d'Alexandrie. Bassus aurait été appelé par elle. On attendrait Cassius. Que voulez-vous? il semble que la république va reprendre, ses droits; mais ne nous flattons pas avant le temps : vous savez tout ce que ces misérables ont de ressources et d'audace pour le mal. A ATTICUS. Novembre. 2e partie. Dolabella est parfait. Au moment où je vous écris, pendant le second service, j'apprends qu'il est à Baies. Mais j'ai reçu de lui, comme je sortais du bain, une lettre qu'il m'a écrite de Formies. En deux mots, il a fait ce que je désirais pour le transport. Il se plaint de Vetténus, qui chicanait, dit-il, suivant l'habitude de ses pareils ; mais Sextius s'est chargé de tout; Sextius, qui est un homme excellent et tout à fait de mes amis. Je demanderai seulement ce que, dans une pareille affaire, Sextius fera que qui que ce soit ne ferait pas comme lui. Si j'ai tort de craindre, dites-le-moi. Si, comme je l'appréhende, l'affaire tourne mal, dites-le-moi encore, j'en prendrai mon parti. — Je m'occupe ici à philosopher. Que puis-je faire de mieux? Je traite tout à fait en grand la question des devoirs, et je dédierai l'ouvrage à Cicéron. Un père peut-il choisir un sujet plus convenable pour un fils? Je ferai ensuite autre chose. Que voulez-vous? J'aurai du moins mis à profit ce voyage. On croit que Varron sera ici aujourd'hui ou demain. Moi, je vais à Pompéi. Ce n'est pas que le séjour ici ne soit charmant ; mais là, il y a moins de visites à craindre. Myrtilus, dit-on, a subi sa peine. Sait-on ce qui le faisait agir et par qui il était gagné? Donnez-moi des détails. Je suppose que vous avez en ce moment ma harangue. Oh ! que je suis inquiet de ce que vous en penserez ! Après tout, pourquoi m'en mettrais-je en peine, puisqu'elle ne doit paraître que lorsque la république aura triomphé? Quand triomphera-t-elle? Je n'ose, hélas! y penser. [15,14] A ATTICUS. Tusculum, juin. Le 6 des kalendes, j'ai reçu une lettre de Dolabella, dont je vous envoie copie. Vous y verrez qu'il avait rempli vos souhaits. Je lui ai sur-le-champ répondu, en insistant beaucoup sur ma reconnaissance. Mais comme je l'avais déjà remercié, j'ai dû, pour expliquer ma seconde lettre, me fonder sur ce que vous ne m'aviez précédemment donné de vive voix aucun détail. Un plus long préambule serait inutile. Voici ma lettre : CICERON A SON CHER DOLABELLA, CONSUL. « Quand j'eus appris par notre Atticus vos excellents procédés et l'important service que vous lui aviez rendu, et lorsque vous m'eûtes mandé vous-même que vous aviez déféré à notre vœu, je me suis empressé de vous écrire, et j'ai taché de vous exprimer que rien de votre part ne pouvait m'être plus agréable. Mais Atticus vient de venir à Tusculum, exprès pour me parler de sa gratitude, pour me dire combien il est pénétré du zèle que vous avez mis dans l'affaire de Buthrote, et des précieux témoignages de votre affection. Je ne puis, à mon tour, résister au plaisir de vous témoigner une seconde fois plus explicitement encore mes sentiments et les siens. De toutes les preuves d'intérêt et d'attachement dont vous m'avez si souvent comblé, aucune, sachez-le bien, mon cher Dolabella, ne pouvait me plaire et me toucher plus que celle qui montre à Atticus combien vous m'aimez et combien je vous aime. Grâce à vous, la cause et la ville des Buthrotiens seront sauvées : or, on se plaît toujours à continuer son ouvrage. Ils sont sous votre sauvegarde. Vous savez combien de fois je vous les ai recommandés; il ne me reste donc qu'à vous demander de leur conserver votre protection, el d'employer votre autorité à les défendre. Si vous y consentez pour l'amour de moi, et si désormais les Buthrotiens peuvent compter sur vous, c'en est fait, vous devenez, à vous seul, le gage assuré de leur repos, et pour jamais vous nous délivrez, Atticus et moi, d'un souci, d'un tourment de tous les jours. Souffrez que je vous adresse encore une fois ici à cet égard mes plus vives, mes plus pressantes instances. » Cette lettre écrite, je me suis remis à mon travail. Mais je crains que vous n'y trouviez bien des endroits à noter au crayon rouge. Je n'ai pas l'esprit assez calme pour écrire. De trop graves pensées m'agitent. [15,15] A ATTICUS. Pompéi, juin. Que tous les maux pleuvent sur L. Antonius, s'il est vrai qu'il veuille mal aux Buthrotiens! J'ai rédigé mon témoignage; vous y mettrez votre cachet quand vous voudrez. Il faut rendre à la ville d'Arpinum son argent, tout son argent, si l'édile L. Fadius le demande. Je vous ai prié dans une lettre précédente de veiller aux cent mille sesterces que me doit Statius. Si donc Fadius demande cet argent, il faut le lui donner, mais à lui et point à d'autre. Je crois aussi qu'il y a un dépôt chez moi ; j'ai écrit à Éros de le rendre. Oui, cette reine d'Egypte m'est odieuse, et ce n'est pas sans raison, elle le sait bien. Ammonius s'était porté garant de ses promesses ; et de quoi s'agissait-il? Uniquement de choses propres a un homme de lettres (Probablement des objets d'art, des curiosités égyptiennes). et compatibles avec ma dignité: je les publierais au besoin en plein forum. Quant a Sara, outre qu'il m'est connu pour un misérable, il a été fort impertinent à mon égard. Il vint une seule fois chez moi, et quand je lui demandai poliment ce qui l'amenait : C'est Atticus que je cherche, me dit-il. Encore aujourd'hui je ne pense pas sans colère à l'arrogance de la reine, dans les jardins d'au delà du Tibre. Qu'on ne me parle donc pas de ces gens-là. Ils me regardent indubitablement comme un homme sans cœur, comme un être dénué de toute sensibilité. — Mon départ, je le vois, sera retardé par le peu d'ordre d'Eros. D'après la situation qu'il m'a remise aux nones d'avril, je devrais avoir de l'avance, et me voilà réduit aux emprunts. Je croyais au moins que le produit de ces loyers avait été mis à part pour le temple. Mais Tiron est chargé de ces détails; c'est pour cela que je l'ai envoyé à Rome. Je n'ai pas voulu ajouter cet embarras aux vôtres. — Plus Cicéron est réservé, et plus je suis porté pour lui. Il ne m'a pas écrit à moi, à qui il devrait s'adresser de préférence; mais il mande à Tiron que, depuis les kaiendes d'avril que son année est finie, il n'a rien reçu. D'après vos propres façons d'agir, et d'après l'idée que vous avez de ce que je me dois à moi-même, je veux me montrer généreux avec mon fils; le traiter même avec une sorte de magnificence et le combler. Je vous prie donc (si je pouvais m'adresser à un autre, je vous épargnerais ce soin), je vous prie de lui faire payer à Athènes une année entière de ses dépenses. Éros vous en remettra le montant ; c'est encore pour cela que j'ai envoyé Tiron. Je compte sur vos bons soins, et je vous prie de me mander là-dessus ce que vous jugerez à propos. [15,16] A ATTICUS. Pompéi, juin. 1ere partie. Voilà enfin un messager de Cicéron, et, sur ma parole, une lettre fort bien tournée; c'est un indice de progrès. Tout le monde m'en écrit des merveilles. Le seul Léonidas met toujours sa restriction : jusqu'à présent; mais il n'y a sorte d'éloge qu'Hérode n'en fasse. Que voulez-vous? Il est possible qu'ici l'on me paie de paroles, et j'avoue que je les prends volontiers pour comptant. Si vous avez des nouvelles de Statius sur ce qui me concerne, veuillez m'en faire part. A ATTICUS. Pompéi, juin. 2e partie. Écoutez bien : ces lieux sont charmants, tout à fait solitaires. Si on veut s'y livrer à l'étude, point de visite importune à craindre. Pourtant, je ne sais comment j'aime mieux mon chez moi. Aussi mes pieds me ramènent à Tusculum. D'ailleurs, on doit se rassasier facilement de ce joli rivage. De plus, j'ai à craindre les pluies, si mes pronostics sont exacts, car les grenouilles font assaut d'éloquence. Soyez assez bon pour me mander où et quand je pourrai voir Brutus. [15,17] A ATTICUS. Pompéi, juin. J'ai reçu deux lettres de vous le lendemain des ides, datées, l'une de la veille, l'autre du jour même des ides. Je réponds d'abord à la plus ancienne. Vous attendez des nouvelles de Brutus pour me parler de lui. Je savais la prétendue peur des consuls {Ils affectaient de craindre quelque coup de main des conjurés}, car Sica, du meilleur cœur du monde, mais un peu à l'étourdie, était venu me donner l'alarme. Mais que me dites-vous? qu'il faut toujours prendre ce qu'on vous donne? Pas un mot de Sirégius : cela ne me plait guère. Il m'est pénible qu'un autre ait su avant moi ce qui concerne votre voisin Plétorius. Très-sagement pour Syrus. Je crois que vous pourrez facilement agir sur L. Antonius par Marcus, son frère. J'avais donné contre-ordre pour Antron ; mais ma lettre ne vous était pas arrivée. Ne payez, je vous prie, qu'à l'édile L. Fadius; il n'y a que lui qui présente sûreté et qui ait qualité. Vous attendez encore, me dites-vous, les cent mille sesterces que vous avez fait payer à Cicéron. Sachez donc d'Eros, je vous prie, ce que deviennent les loyers de mes maisons. Je n'en veux point à Arabion, au sujet de Sitius. Je ne partirai point avant d'avoir mis mes affaires à jour. C'est votre avis aussi, je le suppose. — Voilà pour la première lettre. J'arrive à la seconde. Je vous reconnais dans tout ce que vous faites pour Servilie, c'est-à-dire pour Brutus. Quant à la reine d'Egypte, je vois avec plaisir que vous ne vous en souciez guère et que vous m'approuvez. Tiron m'a mis au fait des comptes d'Eros, que j'ai mandé ici. Que vous me charmez en m'assurant que rien ne manquera à Cicéron ! J'en ai appris des merveilles par Messalla, qui a passé chez moi en revenant de Lanuvium, où sont nos amis. Sa lettre, je vous le jure, est si bien et de sentiment et d'expression, que je ne craindrais pas de la produire même dans une réunion de connaisseurs. Aussi me crois-je obligé d'en agir très-largement avec lui. Sextius, j'espère, ne se formalisera pas à cause de Rucilianus. Si Tiron revient, je partirai pour Tusculum. Quels que soient les événements, donnez-moi toutes les nouvelles qui pourront m'intéresser. [15,18] A ATTICUS. Du lac l.ucrin, juin. Ma lettre du 17 des kalendes était suffisamment explicite sur ce qui m'est nécessaire et sur ce que j'attends de vous, sans trop vous déranger pourtant. Cependant à peine parti et embarqué sur le lac, j'ai résolu de vous envoyer Tiron pour intervenir dans tous ces détails d'affaires. De plus, j'ai écrit à Dolabella que je désirais me mettre en route, s'il n'y voyait pas d'obstacle, et je lui ai demandé des mules de transport, pour mon voyage. Je comprends à quel point les intérêts des Buthroliens d'un côté, ceux de Brutus de l'autre, doivent vous absorber. Je soupçonne même que c'est sur vous que tombent en grande partie, le soin des préparatifs et même la direction des jeux de Brutus. Aussi je ne vous demande qu'un moment. Il ne m'en faut pas davantage. Tout indique un massacre, et même prochainement. Voyez quels chefs et quels satellites! il est clair que je ne suis pas en sûreté. Si vous en jugez différemment, soyez assez bon pour me l'écrire. Pour peu que la prudence le permette, j'aime bien mieux rester chez moi. [15,19] A ATTICUS. Tusculum, juin. Que tenter désormais pour les habitants de Buthrole, puisque tous vos efforts, dites-vous, ont été vains? Mais à quoi se détermine Brutus? Je m'afflige de vous savoir si occupé : tout cela vient des dix {Commissaires institués par Antoine pour partager les terres aux vétérans}. La chose est difficile, mais elle ne vous fait pas peur. Recevez en tout mes remerciements. On se battra : rien n'est plus clair. Fuyons donc ! mais, comme vous le dites, c'est un parti à prendre après avoir raisonné tête à tête. Je ne sais ce que veut Théophane; il m'avait écrit; je lui ai répondu tant bien que mal, et voilà qu'il m'annonce sa visite pour me parler de ses affaires et de quelques autres qui me regardent. J'attends une lettre de vous. Veillez à ce qu'on ne fasse pas d'incartade. Statius me mande que Q. Cicéron lui a déclaré de la manière la plus formelle ne plus vouloir entendre parler de ses amis, et être irrévocablement dans l'intention de prendre parti pour Brutus et Cassius. Je désire beaucoup apprendre quelque chose de positif là-dessus : je ne sais qu'en penser. C'est peut-être un mouvement d'humeur contre Antoine, peut-être le désir d'un nouveau genre de gloire, peut-être enfin un pur caprice : oui, plutôt cela. Toutefois, je ne suis pas sans crainte, et mon frère est aux champs : il sait en effet ce qu'Antoine lui a dit de son fils. Il m'en a confié des choses qui ne peuvent se répéter. C'est à s'y perdre. J'ai des ordres de Dolabella pour tout ce que je voudrai, c'est-à-dire pour rien. Dites-moi, je vous prie, s'il est vrai que C. Antoine ait voulu être septemvir. Il en est bien digne. Je partage votre avis sur Ménédéme. Tenez-moi au courant de tout. [15,20] A ATTICUS. Tusculum, juin. J'ai fait mes remerciement à Vécténus : on n'est vraiment pas plus aimable. Que Dolabella me donne telles instructions qu'il lui plaira, peu importe; ne fut-ce qu'un ordre à porter à Nicias. S'y tromperait-on? Pour peu qu'on ait de réflexion, ne verra-t-on pas bien que je désespère de tout, et que c'est pour cela, non pour une mission, que je pars? Vous dites que nombre de personnes, et de personnes graves, regardent la république comme touchant à ses derniers moments. Mais, moi , le jour où j'ai entendu à la tribune qualifier le tyran de grand homme, je me suis défié de tout: et quand ensuite j'ai vu à Lanuvium nos amis n'espérer pour leur propre tête que dans les paroles d'Antoine , il ne m'est pas resté le moindre espoir. Mon cher Atticus, prenez ceci, comme je vous l'écris, avec courage. C'est une mort honteuse qui nous attend au dénouement, vous le savez, et Antoine nous l'a bien fait entendre. Eh bien ! je veux sortir de cette nasse, non pour fuir la mort, mais pour en chercher une meilleure. Voilà ce que nous devons à Brutus. — Cartéia, dites-vous , a ouvert ses portes à Pompée. Une armée va donc marcher contre lui , et alors quel camp choisir? Pas de neutralité possible avec Antoine. Ici, faiblesse; là, infamie: hâtons-nous de fuir. Mais donnez-moi un conseil: Faut-il que je m'embarque à Brindes ou à Pouzzol? Brutus a pris son parti, et il a fait sagement. Je ne suis pas maître de mon émotion. Hélas! quand le reverrai-je? Mais ce sont là les maux de la vie : il faut se résigner. Vous ne le verrez pas non plus : que tous les Dieux confondent celui qui n'est plus (César), et qui vous a laissé sur les bras les affaires de Buthrote! Mais laissons le passé; avisons au présent. Je sais a peu près a quoi m'en tenir sur les comptes d'Eros, quoique je ne l'aie pas encore vu ; mais il m'en a écrit, et Tiron les a examinés. Vous pensez que j'ai besoin d'un emprunt ; qu'il doit être de deux cent mille sesterces; qu'il me les faut pour cinq mois, jusque l'échéance de pareille somme qui m'est due pur mon l'ivre. Puisque Tiron m'assure que vous n'êtes pas d'avis que j'aille exprès à Rome, soyez assez bon, si cela ne vous gêne en rien, pour me chercher cet argent et le prendre en mon nom ; c'est ce qui presse en ce moment. Je me ferai rendre compte du reste en détail par Éros lui-même, notamment en ce qui concerne le revenu de mes biens dotaux. Si on le fait tenir exactement à mon fils, quelque largement que je veuille le traiter, il doit à peu près suffire. Il est vrai qu'il me faut aussi de l'argent pour mon voyage. Mon fils peut recevoir au fur et à mesure des rentrées. Moi, il faut que je prenne à l'avance tout ce qui me sera nécessaire. Quelque persuadé que je sois que ce malheureux, qui a peur de son ombre, prépare un massacre, je ne veux pourtant pas m'en aller sans laisser mes affaires en ordre. Aurez-vous réussi à conclure, oui ou non? C'est ce que je saurai en vous voyant. J'ai cru utile d'écrire ceci de ma main, et vous vous en apercevrez bien. C'est entendu pour Fadius, mais à personne autre que lui. Je voudrais bien avoir réponse de vous dans la journée. [15,21] A ATTICUS. Tusculum, juin. Écoutez les nouvelles; le père de Quintus bondit de joie : son fils lui écrit qu'il va se joindre à Brutus : Antoine voulait qu'il le fît nommer dictateur, et qu'il s'emparât d'un poste. Quintus aurait refusé, et cela pour ne pas chagriner son père. De là grande inimitié de la part d'Antoine. « Mais je me suis observé, ajoute-t-il à son père, pour qu'il n'allât pas dans sa fureur s'en prendre à vous. Nous avons fait la paix. J'ai quatre cent mille sesterces, et le reste en espérance. " Statius écrit que l'intention de Quintus est de se réunir à son père: n'est-ce pas bien extraordinaire en vérité? Il s'en réjouit. Vit-on jamais pareil mauvais sujet? J'approuve votre hésitation sur l'affaire de Canus. J'étais loin de me douter de cette dette; de bonne foi, je croyais la dot restituée. Je vous attends pour ce que vous vous réservez de traiter de vive voix. Retenez mes messagers tant qu'il vous plaira. Je sais vos occupations. Vous avez bien fait d'écrire à Xénon. Dès que l'ouvrage dont je m'occupe sera fini, je vous l'enverrai. Vous avez écrit à Quintus qu'il avait dû recevoir une lettre de vous ; personne ne lui en a remis. Tiron m'assure que vous n'êtes pas d'avis que j'aille à Brindes, à cause des soldats dont on parle dans ces parages. Je m'étais déjà presque décidé pour Hydrunte (Otrante). Ce sont vos cinq heures de trajet qui me touchent. Mais de ce côté-ci quelle longue navigation! Nous verrons. Point de lettres de vous depuis le 11 des kalendes : c'est tout simple. Y a-t-il du nouveau? Dès que vous le pourrez, venez ; moi, je me hâte, de peur que Sextus ne me prévienne. On annonce son retour. [15,22] A ATTICUS. Tusculum, juin. Félicitons-nous de voir le fils de Quintus parti. C'est une gêne de moins. Je crois aux bons discours de Pansa. Il n'a jamais fait qu'un avec Hirtius : je le sais. Je crois même qu'il sera fort ami de Brutus et de Cassius, s'il y trouve son compte. Hélas! quand les verra-t-il? Mais lui, ennemi d'Antoine? depuis quand? Et pourquoi, je vous prie? Faudra-t-il donc que nous nous laissions toujours ainsi abuser? En vous annonçant que Sextus arrivait, je n'ai pas prétendu dire qu'il fût déjà arrivé. Il se prépare, et ne renonce point à la chance des combats. S'il persiste, la guerre est certaine. Quant à notre amant de Cythéris (Antoine), il répète, lui, que pour vivre il faut vaincre. A cela que dit Pansa? Avec qui se mettra-t-il, si la guerre a lieu? ici il n'y a que trop d'apparence. Mais nous parlerons de tout cela, et de bien d'autres choses encore, quand je vous verrai. Ce sera, m'avez-vous dit, aujourd'hui ou demain. [15,23] A ATTICUS. Tusculum, juin. J'ai la fièvre; je ne suis pas malade pourtant, mais il y a un violent combat en moi. Partirai-je, ne partirai-je pas? Jusqu'à quand ces irrésolutions, direz-vous? Jusqu'à ce que le sort en soit jeté, c'est-à-dire jusqu'à ce que je sois à bord. Si Pansa me répond, je vous enverrai ma lettre et la sienne. J'attends Silius, pour qui j'ai fait un mémoire. Mandez-moi ce qu'il y aura de nouveau. J'ai écrit à Brutus: si vous savez quelque chose de son voyage, veuillez aussi me le dire. [15,24] A ATTICUS. Tusculum, juin. Le messager que j'avais envoyé à Brutus est revenu le 7 des kaiendes. Servilie lui a dit que Brutus était parti le jour même, à la quatrième heure : je regrette beaucoup qu'il n'ait pas ma lettre. Silius n'est pas venu. J'ai terminé le mémoire, et je vous l'envoie. Dites-moi, je vous prie, quel jour je dois vous attendre. [15,25] A ATTICUS. Tusculum, juin. On interprète très-diversement mon projet de départ; j'en puis juger par les questions que l'on me fait de tous cotés. Pensez-y mûrement, je vous prie. La question est grave. Approuveriez-vous le voyage, moyennant que je serais de retour aux kalendes de janvier? Je suis sans crainte, mais je ne veux pas donner prise aux propos. Vous avez dit avec raison le jour du scandale, pour désigner le jour des mystères. Quoi qu'il en soit, les événements seuls décideront de mon voyage. Ainsi ne préjugeons rien. D'ailleurs, les traversées sont bien pénibles en hiver; c'est pour cela que je vous avais parlé de l'époque des mystères. Je suppose, d'après votre lettre, que je verrai Brutus. Je compte partir d'ici la veille des kalendes. [15,26] A ATTICUS. Arpinum, 2 juillet. Je vois que vous avez fait tout ce qui était possible dans l'affaire de Quintus : cependant il se désole de ne savoir s'il doit s'en rapporter à Lepta ou se défier de Silius. J'ai ouï dire que Pison s'était procuré un faux ordre du sénat pour une mission; je voudrais savoir ce qui en est. Le messager que j'avais, vous le savez, envoyé à Brutus, à Anagni, est revenu dans la nuit d'avant les kalendes. Il m'a rapporté une lettre ou il y a quelque chose de bien extraordinaire de la part d'un homme aussi sage : il m'engage à assister à ses jeux. Je lui réponds que je serai en chemin, et que je n'ai plus dès lors la liberté du choix; qu'en aucun cas je ne pourrais, sans la dernière inconséquence, aller tout d'un coup à Rome pour des jeux, quand je m'en suis éloigné moins pour éviter des dangers que pour ne pas compromettre mon caractère, depuis qu'on a inondé la ville de soldats; que, dans de telles circonstances, il est fort bien à lui, qui y est obligé, de donner des jeux, mais qu'il serait fort mal à moi, qui ne le suis point, d'y assister; que d'ailleurs je faisais des vœux pour qu'il y eût un grand concours et de grands applaudissements du peuple, ce dont je ne doutais point. A cet égard, je vous prierai de m'écrire, dès le premier jour, comment les jeux auront été reçus, et de me tenir ensuite jour par jour au courant de ce qui se passera. Mais en voilà suffisamment sur ce chapitre. Du reste, ce que m'écrit Brutus est assez pâle, sauf quelques éclairs de vigueur çà et la. Je ne sais trop qu'en dire. Vous en jugerez vous-même; je vous envoie copie de sa lettre. D'ailleurs, si j'en crois mon messager, vous en avez aussi une de lui qui vous a été envoyée de Tusculum. — Suivant ma marche, je compte être à Pouzzol aux nones de juillet. Je me hâte de toutes mes forces, toutefois en homme qui ne veut pas s'embarquer avant d'avoir pris toutes ses précautions. Rassurez M. Elius, je vous prie, au sujet de ces conduits souterrains qui devaient passer à l'extrémité de son champ. Il craint que cela ne grève sa propriété d'une servitude. Dites-lui que j'y renonce, d'autant mieux que je n'y ai jamais beaucoup tenu; parlez-lui très-amicalement, afin qu'il soit bien tranquille et qu'il ne me suppose pas la moindre irritation. Parlez ferme, au contraire, à Cascellius, au sujet de cette créance de Tullius. C'est peu de chose; mais vous avez bien fait d'y avoir l'œil. C'était par trop de rouerie, Peu s'en est fallu que je ne fusse dupe, et je l'étais si vous n'eussiez été si avisé; j'en serais inconsolable. Au temps comme au temps, il vaudra mieux encore laisser tout là. N'oubliez pas de faire diminuer d'un huitième les fenêtres de mes bâtiments, près du temple de Strénia. Il faut les donner au protégé de Cérellia, pour le prix de la dernière enchère, proposée. C'est, je crois, trois cent mille sesterces. Multipliez vos lettres, je vous prie. Dites-moi ce qui se passe aujourd'hui et ce qui se passera demain. Souvenez-vous aussi de m'excuser auprès de Varron, comme je vous en ai déjà prié, sur ma paresse pour lui écrire. Puisse Mundus avoir raison de celui dont vous me parlez! Donnez-moi quelques détails sur le testament de M. Ennius; j'en suis curieux. [15,27] A ATTICUS. Arpinum, juillet. Votre lettre me charme; ce que vous me conseillez était fait dès hier. Oui, j'ai écrit à Statius, et dans les termes les plus affectueux, ma lettre lui a été remise par le même messager qui vous en a porté une du 6 des nones. Je suis sensible à sa bonne intention de venir à Pouzzol ; mais c'est à tort qu'il se plaint. Devais-je attendre son retour de sa maison de Cosa? Et n'était-ce pas à lui plutôt à venir d'abord chez moi, au lieu d'aller chez lui et surtout d'y demeurer si longtemps? Il n'ignorait pas que j'avais hâte de partir, et il m'avait promis une visite à Tusculum. — Je regrette que vous n'ayez pleuré qu'après votre départ. Si j'avais vu vos larmes, peut-être aurais-je renoncé à mes projets de voyage. Vous me donnez du moins une bien belle espérance, en me parlant de notre prochaine réunion : cette attente fait toute ma force. Mes lettres ne vous feront pas faute. Tout ce que j'apprendrai de Brutus, vous le saurez. Sous peu vous aurez mon traité De la Gloire. Je m'occupe d'un autre travail, dans le goût d'Héraclide; mais il faudra le mettre avec vos trésors les plus secrets. Je n'oublie pas Plancus. Attica a bien raison de se plaindre. J'aime beaucoup votre histoire de Bacchis et des statues couronnées. Ne me privez d'aucun détail, choses importantes ou bagatelles, n'importe. De mon côté, je me souviendrai d'Hérode et de Meltius, et de tout ce qui peut vous intéresser. Quel sujet que le fils de notre sœur! Il vient d'arriver ce soir pendant que nous soupons. [15,28] A ATTICUS. Arpinum, juillet. Ainsi que je vous l'ai mandé hier, je compte arriver pour les nones à Pouzzol, où j'aurai, j'espère, de vos nouvelles tous les jours. Parlez-moi surtout des jeux. Ne manquez pas d'écrire aussi à Brutus. Je vous ai envoyé hier une copie de sa lettre, dont je ne saisis qu'imparfaitement le sens. Excusez-moi auprès d'Attica, je vous prie, et chargez-vous de tous les torts. Assurez-la bien pourtant que je n'emporte pas en Grèce toute mon amitié. [15,29] A ATTICUS. Forrmies, juillet. Je vous envoie une lettre de Brutus : quelle pauvre tête, bons Dieux ! Vous en jugerez en lisant. Je crois comme vous à une grande affluence à ses jeux. Inutile d'aller chez M. Élius à la première rencontre. Vous avez raison de recourir à M. Axianus pour la dette à douze pour cent de Tullius. Rien de mieux que ce que vous avez fait avec Cosianus. Vous expédiez du même coup vos affaires et les miennes; fort bien. On approuve ma légation : tant mieux ! Puissent les Dieux réaliser vos prophéties! serait-il rien de plus doux pour moi et pour les miens? mais j'ai peur de cette méchante que vous exceptez {Attica, qui s'était peut-être plaint d'avoir été oubliée dans une lettre de Cicéron}. Vous saurez tout de mon entrevue avec Brutus. Mes vœux, à coup sûr, s'accordent avec les vôtres au sujet de Plancus et de Décimus. Mais je m'oppose à ce que Sextus jette son bouclier. Savez-vous quelque chose sur Mundus? Je vous ai répondu sur tous les points : écoutez-moi maintenant. — Le fils de Quintus est venu jusqu'à Pouzzol. C'est un citoyen modèle, comme qui dirait un Favonius ou un Asinius. Il avait un double motif : d'abord d'être avec moi, puis d'aller faire sa paix avec Brutus et Cassius. Mais à propos, vous l'ami des Othons, que pensez-vous de ce qu'il annonce, qu'il veut épouser Julia, dont le divorce est résolu? Le père m'a demandé quelle était la réputation de Julia. Je lui ai dit que je n'avais jamais entendu parler que de sa figure et de son père. J'ignorais son motif. Pourquoi cette question, lui ai-je dit? Mon fils, m'a-t-il répondu, veut l'épouser. Quoique cette alliance me répugne, j'ai cru devoir lui cacher que je tiens pour vrai tout ce qu'on dit d'elle. Mon frère ne voit qu'une chose : c'est de ne rien donner à son fils. Ce ne sera point, dit-on, un empêchement pour Julia. Cependant je soupçonne que notre jeune homme se fait illusion, comme à son ordinaire. Enquérez-vous, je vous prie, de ce qui en est ; vous le pouvez, et vous me réélirez. Mais qu'est-ce encore, je vous en conjure, que ce que me disent des habitants de Formies à souper chez moi, et quand ma lettre est déjà fermée? Hier, dit-on, comme je vous écrivais, c'est-à-dire le 3 des nones, on a vu le Plancus, oui on a vu le Plancus de Buthrote, les deux oreilles basses et bien léger de bagages. Ses esclaves mêmes racontent que lui et ses chercheurs de terres ont été chassés par les Buthrotiens. A merveille! mais mandez-moi toute cette affaire.