[12,0] LETTRES A ATTICUS - LIVRE XII. [12,1] A ATTICUS. Mars. Voilà onze jours que je vous ai quitté. Je pars de ma maison de campagne, et je vous broche ce bout de lettre avant le Jour. Aujourd'hui je coucherai à Anagnie, demain à Tusculum, où je passerai un jour. Le 5 des kalendes je serai au rendez-vous. Et puissé-je immédiatement courir me jeter dans les bras de ma Tullie, et donner un baiser à la petite Attica ! Parlez-moi d'elle, je vous en prie, avant que je ne quitte Tusculum. Que je sache un peu ce qu'elle vous conte; si elle est à la campagne, ce qu'elle vous écrit. Dans tous les cas, faites-lui ou envoyez-lui mes compliments, et que Pitia en ait sa part. Nous allons nous revoir, mais ne laissez pas de m'écrire pour peu qu'il y ait du nouveau. — Comme je pliais cette lettre, la votre m'a été remise par le messager, qui a marché toute la nuit. La pauvre Attica a eu un peu de fièvre. Ah! tant pis. Vous m'apprenez du reste tout ce que je désirais savoir. Se chauffer le matin, dites-vous, cela sent bien le vieillard. Oui ; mais quand la mémoire branle, cela ne le sent-il pas davantage encore? C'est le 4 avant les kalendes que je vais chez Axius, chez vous le et 3, chez Quintus le 5 ; c'est-à-dire, le jour même de mon arrivée. Bien riposté, j'espère ! D'ailleurs rien à vous mander. Pourquoi donc écrire ? Eh! en tête à tête, ne nous disons-nous pas tout ce qui nous vient à la bouche? N'eût-on rien à se dire, c'est quelque chose que de causer. [12,2] A ATTICUS. Rome, mai. Oui vraiment, il est question d'un naufrage où Murcus aurait péri; de Pollion fait prisonnier, et de cinquante vaisseaux poussés par le même coup de vent dans le port d'Utique. On ne saurait de plus ce qu'est devenu Pompée, qui n'a pas touché les îles Baléares, ainsi que l'affirme Paciécus. Mais dans tout cela, rien de positif, rien d'authentique. Voilà ce qui s'est dit pendant votre absence. En attendant, on célèbre les jeux à Preneste. Hirtius y est, et toute la séquelle. En voila pour huit jours, et quels festins! quelles orgies! Pendant ce temps, tout se décide peut-être. Admirables gens! Balbus ; bâtit. Que lui fait tout cela? Que voulez-vous? pour qui cherche le plaisir et non la vertu, n'est-ce pas là vivre? Eh bien! vous dormez. Allons, prononcez-vous, et choisissez enfin l'un ou l'autre. Mon avis à moi, si vous me le demandez, est qu'il faut prendre son bien où on le trouve. Mais en voila assez. Je vous attends bientôt; car c'est chez moi que vous descendrez, j'espère. Nous donnerons un jour à Tyrannion, nous verrons pour le reste. [12,3] A ATTICUS. Tusculum. Juin. Je crois qu'après vous il n'y a pas d’homme moins complimenteur que moi ; ou s’il nous arrive de l'être à l'un ou a l'autre, ce n'est pas entre nous du moins. Je vais donc vous parler en toute sincérité. Que je meure, si ce Tusculum, ou d'ailleurs je me plais tant, si les îles Fortunées elles-mêmes pourraient m'offrir de quoi me passer de vous des journées entières. Nous avons encore trois jours a prendre patience. Vous voyez que je vous associe a mes peines, et non pas a tort, je crois. Quand aurai-je des nouvelles de la vente? Aujourd'hui? ou seulement à votre arrivée? En attendant j'ai mes livres, mais l'histoire de Vennonius me manque beaucoup. N'oublions pas les affaires cependant. J'ai le choix de trois moyens pour cette créance que César a bien voulu reconnaître : 1° Me faire adjuger le bien à l'encan. Mais j'aimerais mieux tout perdre. Et à part l'ignominie, la perte est encore au bout. 2° Accepter un effet à un an sur l'un des acquéreurs. Mais à qui accorder tant de confiance? Et cette année ne serait-elle pas l'année de Méton? 3°Se contenter comme Vettiénus de moitié comptant. Réfléchissez sur tout cela. Je crains encore que l'homme chargé de la vente ne la fasse point, et qu'une fois les jeux finis, il ne coure à Préneste renforcer les claqueurs, afin de rendre plus éclatant un succès si bien mérité. Mais nous verrons. [12,4] A ATTICUS. Tusculum, Juin. L’aimable, la charmante lettre! Oui, c'est un jour de fête que vous me faites. J'étais fort en peine. Tiron m'avait dit que votre figure était d'un rouge extraordinaire; mais j'attendrai un jour de plus, comme vous me le con-seillez. — Cet éloge de Caton, c'est un véritable problème d'Archimède. Je n'arriverai jamais à me faire lire de vos convives, je ne dis pas avec plaisir, mais môme avec patience. Eh ! quand je n'articulerais rien des opinions qu'il a prononcées, de la part active ou de conseil qu'il a prise aux affaires de la république; quand je me réduirais à un éloge nu de son énergie, de sa constance, ces braves sens en trouveraient encore la digestion assez rude. Mais le moyen de louer un tel homme, sans mettre en relief les trois points que voici : Il a prévu tout ce qui est arrive; il a tout fait pour y mettre obstacle ; il a renoncé à la vie pour n'en être pas témoin. Je ne vois là rien qui soit du goût d'Alédius (quelque ami de César). Soignez votre santé, je vous en prie, et prudent en toutes choses, soyez-le pour vous rétablir. [12,5] A ATTICUS. Tusculum, juillet. Quintus est fou aux trois quarts, sinon tout à fait. Le voilà enchante de ce que son fils et Statius sont tous deux Luperques. Double scandale pour la famille! Et je puis dire triple; car Philotime en est aussi. folie sans pareille! mais la mienne la passe. Et il a le front de vous mettre à contribution pour cette équipée! Eh! quand vos sources ne seraient pas à sec; quand on y puiserait aussi largement qu'à celle de Pyrène ou d'Aréthuse, celle divine émanation de l'Alphée, pour parler votre langage, où tout cela le mènera-t-il, gêné comme il l'est déjà? c'est son affaire. - Je suis enchanté de mon Caton; mais Lucilius Bassus l'est bien aussi de ses ouvrages. Voyez donc pour Célius. Je n'ai aucune notion là-dessus. Ce n'est pas le tout de recevoir de l'or, il en faut connaître le titre. Pour peu que vous ayez le moindre doute, prenez également des informations sur Hortensius et Virginius. Il est bien difficile, je le vois, de savoir ce qu'il y a de mieux a faire. A l'égard de Mustella, c'est bien ; attendez l'arrivée de Crispus. J'ai écrit à Aulus, pour cet or, que je savais bien à quoi m'en tenir, et que j'avais convaincu Pison. Je pense comme vous. Cette affaire traîne trop. Par le temps qui court, il est urgent de réaliser. Je vois bien que vous ne pensez qu'à moi, que vous ne vous occupez que de moi, et que c'est tout ce tracas qui vous empêche de venir me voir. Mais c'est comme si je vous avais âmes côtés. Vous faites mes affaires, et je puis dire que j'en suis tous les mouvements; car vous ne me laissez pas ignorer un quart d'heure de vos journées. Je reconnais que Tubulus a été préteur sous le consulat de L. Métellus et de Q. Maximus. Je voudrais savoir maintenant sous quels consuls P. Scévola le grand pontife a été tribun. Je crois que c'est l'année suivante, sous Cépion et Pompée. Il a bien été préteur sous P. Furius et Sext. Attilius. Mais a quelle époque son tribunat ? Et si vous le pouvez, dites-moi de quel crime fut accusé Tubulus. N'oyez aussi un peu, je vous prie, si L. Libon, l'accusateur de Ser. Galba, fut tribun sous le consulat de Censorinus et Mauilius, ou de T. Quintius et de M. Acilius. Brutus est là qui me brouille avec son abrégé des annales de Fannius. J'en avais copié la fin, et sur son autorité j'avais fait de l'historien Fannius le gendre de Lélius. Mais vous m'avez mathématiquement réfuté. Voici maintenant Brutus et Fannius qui vous rendent la pareille. J'avais puisé à une source excellente, Hortensius, qui est d'accord avec Brutus. Voilà mon autorité. Tirez-moi cela au clair. — J'ai envoyé Tiron au devant de Dolabella. Il sera de retour le jour des ides. Je vous attends le lendemain. Je vois votre intérêt pour ma Tullia. Conservez-le-lui toujours, je vous en conjure. Oui, que les choses restent entières jusqu'a nouvel ordre, comme vous le proposez. Je ne suis pas fâché que les kalendes se passent sans moi, afin d'esquiver les comptes des Nicasions, et avoir le temps de régler les miens. Mais être loin de vous, voilà ce que rien ne rachète. Quand j'étais a Rome, pensant vous voir arriver à tous moments, les heures me semblaient encore bien longues. Je ne suis pas homme à compliments, vous le savez. J'en dis moins que je ne pense. [12,6] 461. — A ATTICUS. Tusculum, juillet. Assurez-vous qu'il n'y a pas d'alliage dans l'or de Célius. Cela s'est vu ; c'est bien assez de tout perdre sur le change, sans perdre encore sur l'or. Mais pourquoi toutes ces phrases'? Vous ne vous y laisserez pas prendre. Je vous donne là du style d'Hégésias, que Varron aime tant. Parlons de Tyrannion. Quoi ! serait-il vrai? sans moi? Il s'était vingt fois mis à ma disposition, et moi je n'ai jamais voulu, sans vous. Comment expier ce forfait? Comment? Il n'y a qu'un moyen. Envoyez-moi son ouvrage; je vous le demande instamment. Au surplus, il ne me fera pas plus de plaisir que votre admiration ne m'en a fait. J'aime tout ce qui est populaire; et ce vif intérêt pour des détails techniques me charme de votre part. Au surplus, je vous reconnais bien là. S'instruire, toujours s'instruire; c'est la vraie nourriture de l’âme. Mais, dites-moi, quel rapport entre l'accent aigu ou grave, et mon traité de Finibus? Cette discussion au surplus nous menaçait de loin, et peut-être en ce moment même avez-vous quelqu'une de mes affaires en tête. Si vous avez eu une séance agréable dans mon jardin, je m'en ferai payer avec usure. Je reviens à mon dire. Envoyez-moi le livre de Tyrannion, je vous en prie. Il est à vous, puisqu'on vous l'a dédié. « Vos affaires, Chrémès, vous laissent-elles assez de loisir » pour lire mon Orateur? Courage! vous êtes bien aimable, mais vous le serez encore plus si vous prenez la peine de faire mettre par vos copistes Aristophane au lieu d'Eupolis, et de faire opérer la même correction dans tous les exemplaires. — César a l'air de se moquer de votre quaeso, qui est cependant latin et de bon goût. Mais, du reste, il vous a rassuré d'un ton qui m'ôte toute inquiétude. Cette fièvre d'Attica est bien opiniâtre; mais si déjà le frisson a disparu, elle ne tardera pas, j'espère, à en être quitte. [12,7] A ATTICUS. J'ai chargé Éros d'un billet qui répond à toutes vos questions. Il est court, et pourtant il dit plus que vous n'en vouliez savoir. Cicéron y a trouvé place : c'est vous qui m'aviez mis sur la voie. Je lui ai parlé de façon à le satisfaire, et je voudrais, si l'occasion se présente, que vous le missiez vous-même sur ce chapitre : ou plutôt pourquoi vous faire attendre ce détail? je lui ai dit que c'était de mon aveu que vous l'aviez interrogé sur ses projets et ses besoins; que je connaissais son désir d'aller en Espagne et ses nécessités d'argent. Quant à l'argent, j'ai promis de le traiter à l'égal des fils de Publilius et de Lentulus le flamine. Quant à l'Espagne, j'ai élevé deux objections : la première que je vous ai faite à vous-même, c'est qu'il fallait craindre de se faire tort; que c'était déjà bien assez d'avoir quitte un drapeau, sans aller encore se ranger sous le drapeau contraire ; la seconde, que ce serait un supplice pour lui de voir son frère (son cousin, le fils de Quintus) devenu l'objet de toutes les préférences et de toutes les faveurs. J'ai ajouté qu'il me ferait plaisir en payant mes sacrifices par un peu de condescendance ; mais, après tout, je l'ai laissé le maître, car j'ai cru m'apercevoir que vous n'étiez pas très-opposé à son dessein. Je veux y penser et y repenser. Faites de même. Rester est le meilleur parti et le plus simple. L'autre est bien hasardeux. Enfin nous verrons. Je touchais aussi un mot de Balbus dans mon billet. Mon intention est d'attendre son retour, pourvu que son absence ne se prolonge pas trop. Sans cela, dans trois jours au plus tard. Ah ! j'oubliais de vous dire que Dolabella est ici avec moi. [12,8] A ATTICUS. Je vois qu'on approuve mon plan pour Cicéron. Le compagnon est bien. Mais occupons-nous d'abord de cette première échéance : le jour approche et l'homme est pressé. Écrivez-moi, je vous prie, ce que Celer rapporte de César au sujet des candidats : est-ce aux champs Féniculaires (prairie dans l'Espagne extérieure) ou au champ de Mars qu'il songe (C'est-à-dire, César nominera-t-il les magistrats en Espagne, a son gré et militairement; ou laissera-t-il la liberté des élections?) ? Je désire savoir si je suis nécessaire à Rome pour les comices; car je veux contenter Pilia et Attica. [12,9] A ATTICUS. Pouzzoles. Que je suis bien ici, et que chaque jour je m'y trouverais mieux encore, sans ce dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre ! Rien de plus charmant que cette retraite ; mais le fils d'Amyntas vient un peu trop souvent en troubler les délices. L'insupportable bavard! D'ailleurs croyez bien qu'il n'y a rien de plus adorable au monde que cette habitation, ces rivages, cette mer, et tout le reste. Mais il n'y a pas là de quoi fournir à une longue lettre : je n'ai rien à vous mander, et le sommeil me presse. [12,10] A ATTICUS. Pouzzoles, septembre. Quel malheur que la mort d'Athamas ! Votre douleur n'est que trop juste; mais il faut vous modérer. Il y a une foule de consolations à se faire : le plus simple est de demander à la raison ce que le temps ne refuse jamais. Mais occupons-nous surtout de la santé de votre Alexis fidèle image de mon cher Tiron, que je viens de renvoyer malade à Rome. Pour peu qu'il y ait apparence d'épidémie sur le Quirinal (ou demeurait Atticus), envoyez- moi Alexis chez moi avec Tisamène : tout le haut de ma maison, comme vous savez, est libre. Il n'y a rien de mieux à faire. [12,11] A ATTICUS. D'une villa. Je regrette Séius, mais il faut se résigner à tout ce qui est dans l'ordre de la nature. Que sommes-nous nous-mêmes? Et combien de temps encore avons-nous à nous préoccuper de ce qui arrive? Songeons aux choses qui nous touchent de plus près, et qui, après tout, ne nous touchent guère ; et voyons quelle attitude nous devons prendre au sénat. — Pour ne rien oublier, Césonius m'écrit que Postumia , femme de Sulpicius, est venue le voir. Je vous ai dit que quant à présent, je ne songeais en aucune façon à la fille de Pompée. Vous me parlez d'une autre. Sans doute vous la connaissez, je ne sais rien de plus repoussant, mais je vais arriver : nous en parlerons. — Ma lettre cachetée, je reçois la vôtre. Je suis charmé d'apprendre qu'Attica reprend sa gaieté; mais je n'aime pas ses ressentiments de fièvre. [12,12] A ATTICUS. Asture, mars. Raison de plus pour en finir avec la dot. C'est une tyrannie que la condition de Balbus pour le transport. Mais, de façon on d'autre, terminez , je vous prie. J'ai honte de voir mes affaires accrochées éternellement. — L'île d'Arpinum peut recevoir l'apothéose de ma fille. Je crains seulement que le lieu ne soit pas assez honorable; il est bien écarté. Je reviens toujours à l'idée des jardins, mais je veux les voir à mon premier voyage. — Va comme vous l'entendez pour Épicure, quoiqu'un interlocuteur du temps passé eût bien mieux fait mon affaire. Vous ne sauriez croire tout ce que je rencontre d'exigences. Parlez-moi des morts; avec eux pas de réclamation. — Je n'ai rien à vous mander. Mais je me suis fait une loi de vous écrire tous les jours, pour obtenir, bon gré, mal gré, une réponse de vous. Ce n'est pas que j'attende précisément des nouvelles. Mais qui sait? J'attends toujours. Ainsi donc, en fonds ou non, ne laissez pas de m'écrire, et surtout soignez-vous bien. [12,13] A ATTICUS. Asture, mars. Attica m'inquiète, malgré la confiance que m'inspire Craténis. La lettre de Brutus est d'un sage et d'un ami (Sur la mort de Tullia), mais elle ne m'en a pas moins fait répandre bien des larmes. La solitude convient mieux à mes nerfs que toutes ces visites. Il n'y a que vous que je regrette. Mais je puis ici me livrer à l'étude aussi commodément que chez moi. Cependant le mal est toujours là qui m'obsède; je ne l'excite pas, je vous le jure, mais ainsi je ne le combats point. — Vous me parlez d'Apuléius. Vous n'avez plus, je crois, grande peine à prendre a ce sujet, non plus que Balbus et Oppius. il leur a promis à tous deux, et m'a fait dire à moi-même, qu'à aucun prix il ne voudrait m'être désagréable. N'oubliez pas, je vous prie, de m'excuser chaque fois sur ma santé. Lénas s'en était chargé. Joignez-lui C. Septimins et L. Statilius. Personne d'ailleurs ne refusera de jurer pour moi. Si on fait la moindre difficulté, j'irais en personne, et je ferais serment que je suis malade une fois pour toutes. Obligé de me priver de ces festins d'apparat, j'aime mieux me prévaloir du bénéfice de la loi que de ma tristesse et de mes larmes. — Faites assigner Coccéius, je vous prie; il m'avait donné sa parole, et il y manque. Or je veux être en position d'acheter quelque coin solitaire pour aller cacher ma douleur. [12,14] A ATTICUS. Asture, mars. Je vous ai écrit avant-hier pour vous prier de m'excuser auprès d'Apuléius. C'est une chose toute simple, je pense. Prenez qui vous voudrez, on ne vous refusera point. Cependant voyez plutôt Septimins, Lénas et Statilius, car il en faut trois. Lénas s'était fait fort à lui seul d'arranger tout. — Junius, dites-vous, vous a fait assigner. Heureusement que Cornificius est riche. Je voudrais savoir néanmoins si on me met en cause, pour quelle somme j'ai répondu, et si c'est pour le père ou pour le fils. Que cela ne vous empêche pas de voir, comme vous me le marquez, les gens d'affaires de Cornificius, et aussi le grand acheteur de terres Apulcius. — Je reconnais votre bonté ordinaire dans vos conseils. Mais j'ai tout lente pour modérer ma douleur, vous en êtes témoin. Il n'y a pas un seul ouvrage sur l'adoucissement des peines de cœur que je n'aie lu chez vous. C'est en vain : la peine est la plus forte. J'ai fait plus, et sans doute personne avant moi n'en avait donné l'exemple j'ai composé sur moi-même des lettres de consolation. J'attends qu'on en ait fini la copie pour vous les envoyer. Vous pouvez compter que vous n'avez encore rien vu de pareil. Je passe mes jours entiers à écrire; au fond , je n'y gagne rien, mais j'occupe mon esprit; pas assez pour l'arracher tout à fait a la pensée qui l'obsède, assez pour y faire quelque diversion. Je fais a que je puis ; et si je ne réussis point à calmer mon âme, je cherche du moins à composer mes traits. Ces efforts, tantôt je me les reproche comme un crime, tantôt je me regarderais comme coupable de les négliger. La solitude m'est secourable; elle me le serait plus encore, si je vous avais près de moi, et ce sera la mon unique motif pour la quitter. Ma douleur s'y trouve bien, mais je souffre trop de votre éloignement. Vous ne me reconnaîtrez plus. J'ai perdu tout ce que vous aimiez eu moi. — Je vous ai dit précédemment un mot de la lettre de Brutus. Rien de plus sage, mais aucun mot consolant. Il désire me voir, dites-vous : sans doute ce me serait un bien que la présence d'un ami qui a tant d'affection pour moi. Si vous savez quelque chose de nouveau, surtout de Pansa, mandez-le-moi. La position d'Attica m'afflige, mais j'ai toute confiance en Cratérus : empêchez Pilia de se trop tourmenter. C'est votre lot à vous de prendre pour vous seul le chagrin des autres. [12,15] A ATTICUS. Ature, mars. Puisque vous ne voulez pas m'excuser une fois pour toutes prés d'Apuléius, ayez la bonté de présenter mes excuses â chaque occasion. Dans ma retraite, je n'ai absolument d'entretien avec personne. Le matin, je m'enfonce dans la sombre et épaisse forêt, et je n'en sors que le soir. Après vous, la solitude est ce que j'aime le mieux. Je n'y ai pas d'autre compagnie que mes livres. La douleur arrive quelquefois en tiers; je résiste, mais je ne suis pas encore de force. Ainsi que vous mêle conseillez, je répondrai à Brutus. Vous aurez la lettre demain ; profitez, pour la remettre, de la première occasion. [12,16] A ATTICUS. Asture, mars. Je ne veux point que vous quittiez vos affaires pour moi. J'irai vous rejoindre, si elles vous retiennent trop longtemps. Encore ne me suis-je éloigné que parce que j'ai senti que dans un tel moment rien ne pourrait sur mon esprit. S'il y avait en des consolations possibles, elles me seraient venues de vous; et lorsque je serai en état d'en recevoir, ce sera de vous seulement. Déjà, je sens que sans vous je ne puis vivre ; mais il n'y avait pas moyen de rester dans votre demeure ou dans la mienne. Plus près, je ne serais pas avec vous davantage; ce qui vous arrête vous arrêterait encore. La solitude est donc jusqu'ici ce qu'il y a de mieux pour moi. Je crains que Philippe ne vienne la troubler. Il est arrivé hier soir. En lisant et en travaillant, si je ne me soulage pas, du moins je m'étourdis. [12,17] A ATTICUS. Asture, mars. Marcianus m'écrit que mes excusés ont été faites à Apuléius par Latérensis, Nason , Lénas, Torquatus et Strabon. Je voudrais que vous eussiez la bonté de leur faire tenir en mon nom des lettres de remercîment. Flavius prétend que j'ai répondu il y a plus de vingt cinq ans pour Cornificius. Quoique le débiteur soit riche et qu'Apuléius soit un propriétaire grand et généreux , rendez-moi toutefois le service de compulser le registre des garanties, et de vérifier si j'ai pris en effet un engagement. Je n'ai souvenir d'aucun rapport avec Cornificius antérieurement à mon édilité. Cela peut être, et je veux en avoir la certitude. Vous ferez assigner les gens d'affaires, si vous le jugez à propos. Après tout, que m'importe? Il importe toutefois. — Dès que vous saurez le départ de Pansa, écrivez-moi. Mes compliments à Attica. Ayez bien soin d'elle, je vous en conjure. Mes compliments aussi à Pilia. [12,18] A ATTICUS. Asture, mars. 1e partie. Je fuis les souvenirs qui déchirent mon cœur, et je vous épargne ainsi des importunités; mais il faut bien que j'y revienne et que vous me le pardonniez. Ce que je veux en définitif et ce qu'il faut m'accorder se trouve mentionné et recommandé dans plusieurs des livres dont je fais depuis quelque temps mon unique lecture. Il s'agit toujours de ce temple. Je demande à votre amitié d'y songer sérieusement. Je n'hésite ni sur le plan, celui de Cluatius me convient, ni sur la chose en elle-même : c'est un parti pris. Le lieu seul me laisse encore de l'incertitude; pensez-y bien, je vous en conjure. Cette époque est féconde en talents ; je veux en profiter pour élever des monuments divers à une mémoire chérie. J'appellerai à y concourir les plus beaux génies de la Grèce et du Latium. Peut-être, au milieu de ces soins, mes blessures vont-elles de nouveau saigner. Mais il y a là un vœu et un engagement dont je ne suis plus libre; d'ailleurs la longue durée des temps qui suivront ma mort me touche bien autrement que ces cours instants de la vie, trop lents encore à mon gré. J'ai essayé de tout, et je ne trouve le repos nulle part. L'ouvrage dont je vous ai dit un mot dans l'une de mes dernières lettres était comme un aliment que j'offrais à ma douleur. Aujourd'hui pour moi tout est dégoût. Je ne trouve de supportable que la solitude. J'y redoutais les ennuyeuses visites de Philippe; j'en ai été quitte pour la peur. Hier, il me donna le bonjour, et l'instant d'après il repartit pour Rome. — Je vous envoie la lettre que vous me conseillez d'écrire à Brutus. Vous pourrez la lui faire tenir avec la vôtre; à l'original je joins une copie. Vous la lirez; et si vous ne trouviez pas la lettre bien, vous ne l'enverrez pas. — Faites-moi le plaisir de me dire quelles sont celles de mes affaires dont le règlement se suit. J'attendais des résultats de plusieurs. Veillez à ce que Coccéius ne vous manque pas de parole. Quant à Libon, Eros m'en parle, et je ne crois pas qu'il y ait à douter de ses promesses. Pour tout le reste, je puis m'en remettre à Sulpicius et à Egnatius. Pourquoi vous tourmenter d'Apuléius? L'excuse est si facile! mais votre projet de me venir voir l'est peut-être beaucoup moins. Prenez-y garde. D'abord la longueur du voyage; puis le moment du départ, sans doute trop voisin de votre arrivée, sera pour moi un chagrin mortel. Faites au surplus comme vous le jugerez le plus à propos. J'interprète toujours en bien et dans mon intérêt tout ce que vous faites. A ATTICUS. Asture, mars. 2e partie. Ma correspondance d'hier m'a appris l'arrivée d'Antoine, .le m'étonne que vous ne m'en ayez rien dit dans votre lettre. Peut-être l'aviez-vous écrite la veille de sa date. Ce n'est pas que j'aie grand intérêt a cette nouvelle. Il sera venu sans doute pour dégager ses cautions. — Térentia vous a parlé, dites-vous, de mon testament et des personnes que j'ai appelées à la fermeture. Persuadez-vous bien d'abord que rien de tout cela ne me préoccupe, et qu'il n'y a plus en moi de place pour de petites ou de nouvelles peines. Mais, après tout, quel rapport? Et il n'a pas appelé certaines personnes qui auraient voulu savoir et qui auraient fait des questions. Avais-je, moi, les mêmes précautions à prendre? Que ne fait-elle comme moi ? Je donnerai mon testament, à lire à qui voudra, et elle verra qu'il n'y a rien de plus honorable que mes dispositions pour son petit-fils. Si je n'ai pas appelé certains témoins à la fermeture , c'est tout simplement d'abord que je n'y ai pas songé; et je n'y ai pas songé, parce qu'il n'y avait aucune nécessité. Vous devez vous rappeler parfaitement, si votre mémoire vous est fidèle, que je vous priai de m'amener quelqu'un des vôtres. Qu'avais-je besoin de tant de monde? J'avais appelé des gens de chez moi. Vous avez désiré que je fisse avertir Silius; Silius m'a fait penser à Publilius. Mais en vérité on n'avait besoin ni de l'un ni de l'autre. Faites là-dessus ce que vous Jugerez à propos. [12,19] A ATTICUS. Asture, mars. Oui, il y a ici un lieu charmant au milieu de la mer, en vue des côtes d'Antium et de Circéi. Mais je veux prévoir les changements de maîtres qui auront lieu dans la suite des ans et des siècles, et garantir le monument par une consécration, au moins pour le temps qu'il lui sera donné de subsister. Pour moi, la privation du revenu n'est rien. Je sais me contenter de peu. Quelquefois je pense à des jardins au delà du Tibre. Je ne connais pas d'endroit plus fréquenté, et c'est ce qui m'en plaît davantage. Mais quels jardins? Nous en verrons ensemble. Il faut seulement que le temple soit fini cet été. Vous pouvez traiter pour les colonnes avec Apelle de Chio. - Je suis charmé de ce que vous me dites d'Occéius et de Libon , surtout de la manière dont s'arrange mon affaire de judicature. Êtes-vous remonté à la source pour l'argent cautionné? Que disent les gens d'affaires de Cornificius? Mandez-le-moi, si vous le pouvez ; car je ne voudrais pas vous donner trop d'embarras, quand vous avez tant d'affaires sur les bras, Balbus et Oppius m'ont écrit pour me rassurer aussi sur Antoine; vous les y aviez engagés. Je vais leur en témoigner ma gratitude. Mais je vous le répète, et sachez-le bien, ni de ce côté ni d'aucun autre l'inquiétude n'a désormais de prise sur moi. — Si Pansa est parti aujourd'hui, comme vous le dites, parlez-moi maintenant de Brutus. A quelle époque l'attend-on? Il vous sera facile de le calculer à peu de jours près, pour peu que vous sachiez où il est en ce moment. - Vous avez écrit à Tiron au sujet de Térentia. Je vous en conjure, mon cher Atticus, chargez-vous de cette affaire. Voyez ce que le devoir exige de moi : vous en jugerez mieux que personne. Il s'agit aussi, me dit-on , de l'intérêt de Cicéron. C'est la première considération oui me touche et ce que j'ai le plus à cœur. Je ne vois de l'autre côté que résolutions peu sincères ou peu durables. [12,20] A ATTICUS. Asture, mars. Vous ne savez pas encore, je le vois, à quel point je me soucie peu d'Antoine, ni de quoi que ce soit en ce genre. Je vous ai parlé de Térentia dans ma lettre d'hier. Vous voudriez, et vous n'êtes pas le seul, dites-vous, me voir prendre un peu plus sur moi pour cacher ma douleur. Mais que puis-je faire de plus que de passer mes journées entières à écrire? Et cela non point, il est vrai, pour cacher ma peine, mais pour tenter sérieusement de la soulager et de la guérir. Si je n'y réussis pas, du moins fais-je assez pour le monde. - Ma lettre sera courte, parce que j'attends votre réponse à mes observations d'hier, principalement sur ce qui regarde le temple, et aussi sur Térentia. Faites-moi le plaisir de me dire dans votre plus prochaine lettre si le naufrage où périt Cn. Cépion, père de Servilia, femme de Claude, est arrivé du vivant ou après la mort de son père; et si c'est avant ou après le décès de son fils C. Cotta, qu'a eu lieu la mort de Rutilia. Ces questions se rapportent à l'ouvrage dont je m'occupe sur les consolations. [12,21] A ATTICUS. Asture, mars. J'ai lu la lettre de Brutus et je vous la renvoie. Il met assurément bien peu de convenance dans ses réponses à vos observations : c'est son affaire, mais il devrait rougir de son ignorance. Il croit que c'est Caton qui le premier ouvrit l'avis de la peine capitale ; mais avant Caton, tous, excepté César, avaient déjà voté dans ce sens: et quand César lui-même, qui ne siégeait alors qu'aux rangs des préteurs, tint un langage si sévère, il s'imagine qu'aux rangs consulaires les Catulus, les Servilius, les Lucullus, les Curions, les Torquatus, les Lépides, les Gellius, les Volcatius, les Figulus, les Cotta, les Lucius Césars, les Pisons, et même que, parmi les consuls désignés, les M'. Glabrion, les Silanus, les Muréna auraient montré plus d'indulgence! Pourquoi Caton a-t-il attaché son nom au décret? uniquement parce qu'en exprimant la même opinion que les autres, il y mit plus de développements et d'énergie. Brutus me loue cependant, mais comme rapporteur de l'affaire. D'ailleurs pas un mot de la conjuration découverte, du mouvement imprimé au sénat, de l'arrêt que j'avais déjà rendu même avant de recueillir les voix ; toutes choses que Caton éleva jusqu'aux nues, et dont il voulut que mention spéciale fût insérée au décret; c'est ce qui fit que son vote emporta la décision, Brutus croit me faire beaucoup d'honneur en m'appelant un excellent consul. Mais un ennemi, je vous le demande, emploierait-il une expression plus sèche? Et comment répond-il sur le reste? Il vous prie seulement de rectifier ce qui se rapporte au sénatus-consulte. Quand il aurait pris leçon d'un Ranius, il ne parlerait pas autrement; mais, encore. une fois, c'est son affaire. — Puisque vous êtes d'accord avec moi sur les jardins, mettez-vous à l'œuvre, je vous prie. Vous connaissez ma situation. Si je parviens à tirer quelque chose de Fabérius, l'affaire ira toute seule; même sans cela je puis encore me mettre, sur les rangs. Les jardins de Drusus sont certainement à vendre, peut-être aussi ceux de Lamia et de Cassius. Je ne saurais rien dire de mieux sur Térentia que ce que vous m'en écrivez. Le devoir, le devoir avant tout! s'il y a des torts, j'aime mieux en laisser peser la responsabilité sur elle que sur moi. Cent mille sesterces sont à payer à Ovia, femme de C. Lollius. Éros dit ma présence indispensable; sans doute à cause de quelque estimation d'objets à prendre et a donner. Il aurait bien dû vous parler de cette affaire. Si tout est prêt, comme il me le mande (et, à cet égard, il ne dit rien qui ne soit vrai), vous pourriez me remplacer, faites-vous rendre compte de l'état des choses, je vous prie, et suppléez-moi. Moi, reparaître, au forum! au forum que j'avais abandonné avant même que ma fortune eût reçu aucune atteinte, Eh! qu'y ferais-je aujourd'hui! quand il n'y a plus de justice, plus de sénat ; quand il faudrait chaque jour me trouver face à face avec des gens dont la vue seule me révolte? L'opinion, dites-vous, me rappelle à Rome. On condamne mon absence; on ne veut pas du moins que je la prolonge. Eh bien! sachez d'abord qu'il y a un avis dont je fais plus de cas que de tous les autres ensemble, c'est le vôtre; que de plus je prétends, moi, ne pas me compter pour rien; enfin que j'ai ma manière de voir, que je préfère à celle de tout le monde. Mon chagrin ne dépasse point les bornes qu'y mettent les philosophes, j'ai lu tout ce qu'ils disent sur ce sujet, et c'est déjà quelque chose pour un malade que de chercher le remède à ses maux. Mais ce n'est pas tout : j'ai fait passer la substance de leurs écrits dans le traité que je compose; ce qui n'est pas, ce me semble, la marque d'un esprit qui se laisse abattre et décourager. Gardez-vous donc d'interrompre ce régime de tranquillité, pour me rejeter dans la tourmente. Une rechute serait inévitable. [12,22] A ATTICUS. Asture, mars. Me laisser l'embarras d'en finira avec Térentia! ah! je ne reconnais pas là votre amitié, ce sont de ces plaies qu'on ne touche pas soi-même sans une extrême sensibilité. Votre médiation, je vous en conjure, votre médiation ! je ne demande rien que ce qui vous sera possible. Et pour savoir ce qu'il y a de bon à faire dans cette circonstance, il n'y a que vous. A l'égard de Rutilia, puisque vous n'êtes pas sûr de vos souvenirs, éclaircissez le fait et écrivez-moi ; mais le plus tôt possible, je vous prie. J'ai besoin de savoir également si Clodia a ou non survécu à son fils D. Brutus le consulaire. Vous le saurez par Marcellus, ou mieux encore par Postumia. Adressez-vous pour l'autre ou à M. Cotta, ou à Syrus, ou à Satyrus. Et mes jardins, je vous en parle et reparlerai sans cesse. J'y emploierai toutes mes ressources, et j'ai des amis qui ne me manqueront pas. Mais j'espère y suffire seul. J'ai des valeurs d'une réalisation facile. Il est vrai que j'aimerais mieux ne rien vendre et servir des intérêts, en obtenant du temps du vendeur; un an, pas plus ; et j'aurai ce délai, pour peu que vous me secondiez. Ce qu'il y a de plus facile à acquérir sont les jardins de Drusus ; il veut vendre : après les siens, ceux de Lamia. Mais celui-ci est absent : auriez-vous moyen de pressentir ses dispositions? Silius en a aussi, et il n'en fait rien. Il se contenterait probablement d'une rente. Faites-en votre affaire, et ne vous arrêtez point, je vous prie, à des considérations tirées de ma position pécuniaire. Je ne m'en soucie nullement; ne considérez que ce que je veux et pourquoi je le veux. [12,23] A ATTICUS. Asture, mars. Quoique les affaires d'Espagne me touchent fort peu, je m'attendais à des nouvelles, d'après le commencement de votre lettre. Vous ne vous occupez que de mes observations sur le forum et le sénat. Ma maison, dites-vous, sera mon forum : du moment qu'il n'y a plus de forum pour moi, qu'ai-je affaire de ma maison? La vie, mon cher Atticus, la vie est depuis longtemps éteinte chez moi ; elle l'est surtout depuis que j'ai perdu ce qui me la rendait chère. Aussi je cherche la solitude. Pourtant si je me trouvais ramené aux lieux où vous êtes, je me contraindrais, et je parviendrais même à prendre assez sur moi pour dérober ma douleur à tous les yeux; aux vôtres même, s'il est possible. Autre motif pour rester : vous vous rappelez la démarche d'Alédius : je suis déjà persécuté ici; que serait-ce, si j'étais là-bas? — Faites pour Térentia tout ce que vous avez la bonté de m'écrire, et délivrez de ce surcroît d'amertume un cœur en proie à de cruelles souffrances. Cependant je veux vous prouver que la douleur ne m'absorbe pas. Vous avez consigné dans vos annales sous quels consuls Carnéade et les autres députés vinrent à Rome. Je voudrais savoir la cause qui les y amenait. L'affaire d'Orope, je le suppose ; mais je n'en suis pas certain. Dans ce cas, veuillez me rappeler leurs discussions; que je sache encore si, à cette époque, il y avait à Athènes quelque Épicurien fameux qui présidât au jardin, et quels philosophes politiques y étaient en renom. Je pense que vous pourrez trouver tout cela dans Apollodore. — J'apprends avec bien du regret qu'Attica est souffrante, mais son indisposition est légère, et j'espère qu'elle n'aura pas eu de suite. Ce que vous me dites de Gamala (fille de Ligus, morte) n'était pas douteux pour moi. Pourquoi donc Ligus serait-il un si heureux père? Que dirai-je, hélas ! de moi, que tout le bonheur du monde ne pourrait un moment consoler? — Le prix auquel les jardins de Drusus ont été acquis est bien celui dont on m'avait parlé, et je crois en avoir fait mention dans ma lettre d'hier. Mais coûte qui coûte; le prix n'est rien à qui ne peut se passer des choses. Quelle que soit a cet égard votre manière de voir, je sais ce qui est en moi, et je veux ôter ce poids de mon cœur. Ma douleur n'en diminuera pas; mais j'aurai payé une délie sacrée. Je viens d'écrire à Sica, parce que Cotta et lui se voient. Si rien ne se termine de l'autre côté du Tibre, il faudra voir, dans l'un des endroits les plus fréquentés d'Ostie, un bien qui appartient à Cotta. C'est très peu de chose, mais c'est plus que suffisant pour ce que je veux. Veuillez y réfléchir. Que le prix ne vous fasse pas peur : les vaisselles, les ameublements, les maisons de plaisance ne sont pas un besoin pour moi; et ceci est un besoin. Je sais où m'adresser pour l'argent. Parlez donc à Silius : c'est ce qu'il y a de mieux. J'ai chargé également Sica de le voir. Sica me mande qu'il a pris jour; il m'écrira ce qu'il aura fait, et vous m'en direz votre avis. [12,24] A ATTICUS. Asture, mars. Silius m'a rendu service en transigeant, car je voulais répondre à sa confiance et je craignais de n'être pas en position. Soyez assez bon pour terminer avec Ovia, ainsi que vous me le marquez. Voyez, je crois, pour Cicéron le moment venu : mais une fois a Athènes, les fonds dont il aura besoin pourront-ils lui être comptés par la voie du change, ou sera-t-on obligé de lui envoyer des espèces? Examinez tout, je vous prie, et surtout le comment et le quand. Vous pourrez savoir d'Alédius si Publilius va en Afrique, et à quelle époque. Informez-vous-en, et écrivez-le-moi. Pour en revenir à mes impertinentes questions, je voudrais savoir si P. Crassus, fils de Vémiléia, est mort avant son père, P. Crassus le consulaire, comme je crois me le rappeler, ou seulement après. Je fais la même demande pour Régillus, fils de Lépide. Il me semble positivement que son père vivait quand il mourut. Ma mémoire est-elle fidèle? Tâchez d'éclaircir l'affaire de Cispius et de Précius. Je suis charmé des nouvelles d'Attica. Veuillez lui faire mes compliments, ainsi qu'à Pilia. [12,25] A ATTICUS. Asture, mars. Sica a été très-exact à me répondre sur Silius. Il m'annonce vous en avoir référé, et c'est ce que vous me mandez aussi. La chose et le prix, tout me convient ; mais j'aime mieux traiter argent comptant que par échange, car Silius ne voudrait pas d'une propriété de pur agrément ; et quant aux biens de rapport, si j'en ai assez, je n'en ai point trop. Reste à trouver l'argent. Vous pouvez d'abord demander à Hermogène ses six mille sesterces, c'est un cas de nécessité. J'en ai six mille autres chez moi. Pour ie reste, ou j'en servirai l'intérêt à Silius, en attendant Fabérius, ou je lui donnerai une délégation de Fabérius sur l'un de ses débiteurs. J'attends quelques antres rentrées d'ailleurs. C'est à vous, mon cher Atticus, a régler tout. Je préfère de beaucoup ces jardins-là à ceux de Drusus. Il n'y a pas de comparaison. Un seul motif me guide, croyez-le bien. Je conviens que cela touche à la manie, mais vous aurez pitié de moi jusqu'au bout. Quant à ce que vous me dites sur la vieillesse d'un citoyen, il ne s'agit plus de cela, et je pense à bien autre chose. [12,26] A ATTICUS. Asture, mars. D'après ce que me mande Sica, il arrivera le 10 des kalendes, même quand il n'aurait rien conclu avec Silius. J'accepte l'excuse de vos occupations, je les connais. Que vous ne répugniez pas à vivre avec moi; que vous le souhaitiez même et le désiriez avec ardeur: c'est ce dont je ne puis douter. Je ne suis pas en état de profiter de la bonté de Nicias : autrement, il n'y a personne dont je préférasse la société à la sienne; mais malheureusement la solitude et la retraite me sont imposées. Sica s'en arrangerait, et mon regret en est d'autant plus vif. Ensuite vous connaissez la pauvre santé de Nicias, ses habitudes de mollesse, les exigences de son régime. Pourquoi donc m'exposerais-je à ce qu'il fût mal chez moi, quand de son côté il ne pourrait m'être bon à rien? Je lui sais gré toutefois de son intention. Il y a un article de votre lettre auquel je m'abstiendrai de répondre ; car je crois avoir obtenu de vous que vous m'épargneriez ce chagrin. Mes compliments a Pilia et à Attica. [12,27] A ATTICUS. Asture, mars. Je sais déjà quelles sont les conditions de Silius, si je traite avec lui; mais aujourd'hui, je le suppose, Sica m'en communiquera le détail. Vous ne connaissez pas, dites-vous, la propriété de Cotta ; elle est au delà des jardins de Silius, que vous connaissez, ce me semble. C'est une misérable et chétive habitation sans dépendances. Il n'y a place pour rien, ce n'est pas ce que je me propose. II me faut un endroit vivant. Au surplus, si on termine, c'est-à-dire si vous terminez avec Silius, car tout dépend de vous, nous n'aurons point à nous occuper de Cotta. Je suivrai votre conseil pour Cicéron. Je le laisserai maître du temps. Vous aviserez, n'est-ce pas, à lui faire passer, par la voie du change, l'argent dont il aura besoin. Si vous tirez quelque chose de cet Alédius dont vous me parlez, dites-le-moi. Je remarque dans vos lettres ce qui vous frappe sans doute dans les miennes, c'est que nous n'avons rien a nous dire. Nous nous répétons, et ne faisons que rebattre un fonds depuis longtemps usé. Moi, j'écris pour vous donner à écrire ; je ne puis m'en défendre. Parlez-moi de Brutus, si vous en savez quelque chose. On doit aujourd'hui je le pense, connaître le lieu où il attend Pansa. Si c'est, selon l'usage, à l'entrée de la province, il arrivera vers les kalendes. Plus tard me conviendrait mieux, car j'ai bien des motifs pour rester tout à fait loin de Rome. Je ne sais si même je ne devrais pas le payer de quelque excuse; j'en trouverais facilement. J'ai du temps pour y réfléchir. Mes compliments à Pilia et à Attica. [12,28] A ATTICUS. Asture, mars. Sica ne m'a absolument rien dit sur Silius de plus que ce qu'il m'avait écrit. Sa lettre était fort exacte. Si de votre côté vous pouvez rejoindre Silius, vous me manderez ce que vous en semble. Vous me parlez d'une personne chargée d'une mission pour moi; cette personne a-t-elle une mission, n'en a-t-elle pas, je l'ignore. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle ne m'en a pas ouvert la bouche. Continuez donc votre œuvre; et si, contre mon attente, vous obtenez un résultat, voyez s'il ne convient pas de mettre Cicéron en avant. Il importe qu'il montre ses bonnes intentions de ce côté : pour moi, une seule chose m importe ; vous la connaissez, elle est capitale. Vous désirez me voir reprendre mes habitudes : c'en est une déjà ancienne pour moi que de pleurer sur la république. Mais alors je pleurais sans être aussi malheureux. J'avais ou reposer mon cœur. Aujourd'hui il n'y a plus rien qui me fasse tenir à quoi que ce soit, ni même a la vie. A cet égard, l'opinion me touche peu. J'ai mon sentiment, que je mets au-dessus de tous les discours. J'ai cherché des consolations dans les lettres, et j'y ai gagné quelque chose, en apprenant à me contraindre; mais, au fond, ma peine est la même. Je ne puis la vaincre, et quand je le pourrais, je ne le voudrais pas. Vous avez bien deviné mes intentions pour Triarius; toutefois ne faites rien sans être d'accord avec eux. J'aimais ce pauvre homme qui n'est plus. Je suis tuteur de ses enfants, et mon attachement est grand pour toute sa famille. Quant à Castricius, s'il veut recevoir l'argent de ses esclaves et s'il consent à être payé, comme on paye aujourd'hui, il n'y a rien de plus simple assurément. Si au contraire on est convenu de les lui rendre, puisque vous m'en demandez mon avis, cela ne me paraît pas juste. Je ne veux pas qu'on donne de l'embarras à mon frère Quintus; si je vous ai bien compris, vous ne le voulez pas davantage. Puisque Publilius attend l'équinoxe de printemps comme Alédius l'annonce, c'est qu'il doit s'embarquer. Il m'avait dit seulement pour la Sicile. Décidément pour quel pays, et quand? je voudrais le savoir. Je voudrais bien aussi que de temps en temps, et sans vous gêner, vous pussiez aller voir le petit Lentulus (fils de Tullie et de Dolabella), et que vous eussiez la bonté de régler le nombre d'esclaves à lui laisser pour son service. Mes compliments à Pilia et à Attica. [12,29] A ATTICUS. Asture, mars. C'est aujourd'hui le rendez-vous avec Silius; demain donc, ou du moins aussitôt que vous le pourrez, vous m'écrirez ce qu'il y a de fait. Je ne cherche point à éviter Brutus. Ce n'est pas que j'attende de lui la moindre consolation ; mais j'ai des raisons pour ne pas me montrer dans ces circonstances. Si ces raisons se prolongent, ce qui est vraisemblable, il faudra chercher quelque moyen de m'excuser près de lui. Suivez bien l'affaire des jardins, je vous prie; j'en ai en quelque sorte besoin pour moi-même. Je ne puis ni vivre au milieu du mouvement, ni vivre séparé de vous. II n'y a donc pas de situation dont le choix réponde mieux à mes intentions, et je vois bien tout ce que vous faites pour réussir. Je le vois surtout par les témoignages de vif intérêt qu'Oppius et Balbus vous ont paru disposés à me donner. Dites-leur, je vous prie, à quel point et pourquoi je suis désireux de cette acquisition ; mais que je ne puis la faire, si je ne termine auparavant avec Fabérius. Que me conseilleraient-ils? Devrais-je par exemple me résigner à un sacrifice, pour avoir, en argent comptant, tout ce qu'on pourrait tirer de lui? car c'est désormais une chimère de compter sur une rentrée complète. Enfin voyez jusqu'où vont leurs bonnes dispositions pour moi : s'ils me secondent, c'est un grand point. S'ils s'y refusent, nous chercherons une autre voie. N'oubliez pas qu'il s'agit de l'ornement de ma vieillesse, peut-être de la couronne de ma tombe. Ne pensons plus à Ostie. Si l'affaire de Silius manquait, comme il n'y a rien à espérer de Lamia, il faudrait sonder Damasippus. [12,30] A ATTICUS. Asture, mars. Que vous dire? je cherche et ne trouve rien. J'en suis là chaque fois que je vous écris. Mais vous avez été voir Lentulus, et je vous en sais un gré infini. Attachez, je vous prie, quelques esclaves à son service, et déterminez-en vous-même le nombre et le choix. Silius veut-il vendre? et quel prix demande-t-il? Vous paraissez craindre un refus ou des prétentions exorbitantes. Ce n'est pas là l'opinion de Sica, mais je m'en rapporte à vous. J'ai écrit à Egnatius comme Sica m'en avait prié. Silius désire que vous parliez à Clodius, faites-le; j'y donne entièrement les mains ; car j'aime beaucoup mieux n'avoir pas à lui écrire moi-même, comme Silius me l'avait demandé d'abord. Je crois qu'Egnatius n'a pas de meilleur parti à prendre que de transiger avec Castrieius pour ses esclaves, et vous croyez l'arrangement possible. Voyez, je vous en supplie, à terminer avec Ovia. La nuit vous a surpris l'autre jour, soit; mais demain j'en attends davantage. [12,31] A ATTICUS. Asture, mars. Sica s'étonne de ce que Silius a changé d'avis. Il y a une chose qui m'étonne en plus, c'est qu'après avoir mis en avant le prétexte de son fils (et je trouve cela fort juste, puisque son fils lui donne toute satisfaction), Silius soit encore, dites-vous, tout prêt, malgré la déclaration, à traiter avec moi, moyennant que je lui achèterais en même temps d'autres ardins dont il veut se défaire. Vous me demandez mon dernier mot, et ce que j'y mettrais de plus qu'aux jardins de Drusus. Ces jardins, je ne les ai jamais vus; quant à la villa Caponiana, je la connais : bâtiments vieux et petits, mais bois superbes. Je ne sais ce que rapportent l'une et l'autre de ces propriétés, renseignement indispensable; mais c'est pour moi affaire de convenance plutôt que de spéculation. Seulement voyez si je suis en état ou non d'acheter. Liquidez ma créance de Fabérius. Je n'hésite point à traiter, argent à la main, avec Silius, supposé qu'il se détermine à vendre. S'il s'y refuse, j'irai avec Drusus jusqu'à la somme à laquelle Egnatius vous a dit qu'il élevait ses prétentions. Hermogène me sera aussi d'un grand secours pour l'argent comptant. Ne me blâmez pas de me présenter en homme qui veut acheter; il faut me passer cette préoccupation ; toutefois elle n'est pas si forte, et je ne suis pas tellement dominé par le chagrin que je ne me laisse conduire entièrement par vous dans cette affaire. Egnatius m'a écrit. Si vous l'avez vu, mandez-moi ce qu'il vous aura dit : il n'y a personne de mieux placé pour me servir d'intermédiaire, et je crois qu'il faut agir de ce côté, car il n'y a pas d'apparence que Silius se décide. Mes compliments a Pilia et à Attica. Ceci est écrit de ma main. Avisez, je vous en conjure, à prendre un parti. [12,32] A ATTICUS. Asture, mars. Publilia m'écrit que sa mère se propose de venir me voir avec lui (c'est avec Publilius qu'elle a voulu dire) et elle me demande la permission de les accompagner. Il n'y a sorte d'instances et de prières qu'elle ne me fasse pour obtenir mon consentement et avoir réponse. Voyez s'il y eut jamais rien de plus insupportable ! Je lui mande que je me sens encore plus accablé par le chagrin qu'au moment où je lui exprimai ma volonté d'être seul, et que dans ma situation il m'est impossible de consentir à la voir. Je me suis dit qu'en ne répondant point, j'allais voir arriver mère et fille; maintenant je ne le crois plus, d'autant qu'il est clair que sa lettre avait été dictée. Je pense bien cependant qu'elles viendront un jour ou l'autre. Il n'y avait qu'un moyen de l'éviter; c'était de dire non d'une manière absolue. Je ne l'ai pas voulu. Qu'en résulte-t-il? C'est que je vous demande d'être aux aguets pour savoir combien de jours encore je puis rester ici, sans crainte de surprise. Vous agirez avec discrétion, comme vous me le promettez. — Voici la proposition que je vous prie de faire à Cicéron, si elle vous paraît juste : c'est qu'il se contente de dépenser, pendant son absence, ce qu'il aurait dépensé à Rome, s'il y eût loué une maison comme il voulait le faire, et qu'il prenne en conséquence pour base les revenus de mes propriétés d'Argilète et du mont Aventin. Cela fait, vous réglerez les détails, notamment la manière dont on lui fera passer les fonds à mesure de ses besoins. Je réponds que les Bibulus, les Acidinus et les Messalla, qui vont aussi à Athènes, m'a-t-on dit, n'auront pas plus à dépenser que ce qu'on tire de ces propriétés. Soyez donc assez bon pour voir à qui l'on pourra louer et à quel prix. Puis veuillez trouver un moyen défaire passer l'argent à jours fixes; enfin procurez à Cicéron tout ce qui est nécessaire en espèces et effets pour le voyage. Il n'a certainement pas besoin de chevaux à Athènes. Quant à ceux qu'il lui faut en route, il y en a chez moi, comme vous l'observez avec raison, beaucoup plus qu'il n'en a besoin. [12,33] A ATTICUS. Asture, avril. Ainsi que je vous l'ai mandé hier, si les dispositions de Silius sont telles que vous le supposez, et si Drusus se montre trop difficile, je crois que vous devez sonder Damasippe. Il a, je pense, divisé en lots de je ne sais combien d'arpents ce qu'il possède le long du rivage, et il veut établir des prix fixes pour chaque lot. Mais je ne les connais pas. Tenez-moi au courant. — La santé d'Attica m'inquiète beaucoup. Je crains qu'on ait quelques reproches à se faire. Cependant lorsque je songe à la probité de l'instituteur, à l'assiduité du médecin, au dévouement empressé de la maison entière, tout soupçon me devient impossible. Toujours est-il que vos soins lui sont nécessaires. Je ne puis malheureusement vous offrir que des vœux. [12,34] A ATTICUS. Asture. avril. Tiron va mieux, et je me trouverais ici, même sans Sica, aussi bien que mes maux le permettent. Mais vous me donnez l'éveil sur la possibilité d'une surprise; j'en conclus que vous ne savez pas le jour précis du départ qui me menace, et je ne trouve dès lors rien de plus simple que d'aller vous joindre, d'autant que vous le désirez aussi, je le vois bien. Demain donc je serai aux portes de la ville, chez Sica, d'où, suivant votre conseil, je pense à me rendre du côté de Ficulea. Puisque j'arrive, je remets à causer de vive voix avec vous sur ce que vous m'écrivez. Laissez-moi vous dire seulement combien je suis émerveillé et touché de tout ce que je trouve en vous de bienveillante sollicitude, de sagesse et d'esprit de conduite, chaque fois qu'il se présente une affaire à traiter, une résolution à prendre, un conseil à donner. [12,35] A ATTICUS. Antium, avril. 2eme partie et 35. Ayez la bonté, le jour même de mon arrivée chez Sica, de me faire savoir ce que vous avez fait avec Silius, et notamment quelle portion du terrain il veut se réserver. Vous m'écrivez que c'est le bout ; mais il faut voir si ce n'est pas précisément la partie que j'ai en vue et qui m'a fait décider l'affaire. — Je vous envoie une bien aimable lettre que je viens de recevoir d'Hirtius. — Il ne me serait jamais venu dans l'esprit, avant notre dernière entrevue, qu'en dépensant pour un tombeau au delà de je ne sais quelle somme fixée par une loi, on fût exposé à une amende égale à l'excédant. Je m'en inquiéterais peu, si ce n'est que, sans trop savoir pourquoi, peut-être même sans raison, je ne veux absolument pas que ce tombeau soit autre chose qu'un temple, et je crains bien que pour un temple il ne faille un autre emplacement. Pesez cette difficulté, je vous prie : quoique moins abattu et revenu presque à mon état naturel, j'ai cependant besoin de vos conseils. Prenez cette affaire à cœur; je vous en supplie avec plus d'instance que ne le veut et ne le souffre d'ordinaire votre amitié. [12,36] A ATTICUS. Antium, avril. C'est un temple que je veux : rien au monde ne me fera changer. Quant a la ressemblance avec un tombeau, je chercherai à l'éviter, moins à cause de la pénalité de la loi que pour indiquer le plus possible, une apothéose. Si c'était dans l'intérieur d'une villa, point de difficulté; mais, comme je vous l'ai dit souvent, le changement de maître m'effraie. En plein champ, au contraire, n'importe ou, on peut compter sur le respect de la postérité. Voilà des folies, j'en conviens; il faut me les passer. Je m'ouvre avec vous plus librement qu'avec tout autre, peut-être qu'avec moi-même. Si vous approuvez le programme, le lieu et le plan, lisez la loi, je vous prie, et faites-la-moi passer. Puis s'il nous vient à l'esprit quelque biais pour en éviter l'application, nous le prendrons. — Quand vous écrirez à Brutus, sauf meilleur avis, grondez-le de n'être pas venu à dîmes et d'en avoir donné un pareil motif. Plus j'y réfléchis, plus je trouve que c'est tout à fait manquer d'égards. — Encore une fois, si vous voulez vous occuper du temple dans le sens que j'indique, je vous prierai de déterminer et de presser Cluatius ; car même avec un autre emplacement, j'aurais encore recours à ses soins et à ses avis. Demain peut-être vous serez à la villa. [12,37] A ATTICUS. Antium, mai. Hier m'ont été remises deux de vos lettres, toutes deux de la veille, l'une par Hilarus, l'autre par un exprès; puis, le même jour, par mon affranchi Egypta, encore une autre lette; celle-ci m'apprend que Pilia et Attica sont tout à fait bien. Elle a treize jours de date. vous m'avez fait plaisir en me communiquant ce que vous a écrit Brutus. Il m'a écrit également : je vous envoie sa lettre, avec une copie de ma réponse. — Si vous ne trouvez pas de jardins pour le temple, (vous en trouverez pour peu que vous m'aimiez, et certes vous m'aimez ; votre idée de Tusculum me sourirait beaucoup. Avec toute l'habileté que je vous connais, il ne fallait rien moins encore que la chaleur de votre indulgente amitié pour rencontrer si bien. Mais je tiens, avant tout, par je ne sais quelle secrète préférence, à un lieu où l'affluence se porte. Procurez-moi donc des jardins. En fait d'affluence, il n'y a rien de mieux que ceux de Scapula. En outre, l'avantage d'être tout près de vous et de n'avoir pas à perdre une journée entière pour aller à votre villa! Tâchez d'avoir un rendez-vous avec Othon avant votre départ, s'il est à Rome. S'il n'y a rien à faire de ce côté, eh bien ! je veux pousser a bout votre complaisance pour mes faiblesses. Drusus est décidé a vendre; ne trouvant rien ailleurs, ce sera ma faute si je ne traite avec lui. Ne me laissez donc pas faire un mauvais marché, je vous en prie; et traitez avec Scapula, si c'est possible. Il n'y a que ce moyen. Dites-moi, je vous prie, combien de temps vous comptez rester a votre villa, près de Rome. — Vos bons offices et votre influence près de Térentia me sont très-nécessaires, mais vous agirez absolument comme vous l'entendrez. Je sais bien que, du moment ou mes intérêts seront en jeu, votre sollicitude s'éveillera plus vivement que la mienne propre, c'est votre coutume. Hirtius me mande que Sextus Pompée a abandonné Cordoue, et qu'il se retire vers l'Espagne citérieure, et que Cnéius est en fuite, je ne sais ou, et ne m'en soucie guère. Rien autre chose. Sa lettre est datée de Narbonne le 11 des kalendes de mai. Vous me parlez du naufrage de Caninius comme d'une chose douteuse. Si vous recevez quelque information positive, communiquez-la-moi. Je dois, dites-vous, surmonter ma tristesse; je le veux bien. Trouvez-moi un emplacement pour mon temple. Il me vient une foule d'idées sur l'apothéose; mais il faut un lieu pour bâtir. Voyez donc Othon. [12,38] A ATTICUS. Antium, mai. Vous avez été surchargé d'occupations, j'en suis sur, puisque vous ne m'avez pas écrit. Mais cet homme est un misérable de n'avoir pas attendu votre loisir, quand je ne l'envoyais que pour cela. A moins d'obstacle qui vous ait retenu, vous êtes maintenant, je le suppose, à votre villa près de Rome. Je passe ici les journées entières a écrire; non pour me consoler, du moins pour me distraire. Asinius Pollion m'a écrit au sujet de notre indigne parent. (Leur neveu Quintus.) C'est en termes positifs ce que déjà Balbus le jeune et Dolabella m'avaient donné à entendre; le premier assez clairement, le second d'une manière détournée. J'en souffrirais, s'il y avait place dans mon cœur pour un nouveau chagrin. Vit-on jamais infamie pareille! Qu'un tel homme est à craindre! Quoique pour moi.... ; mais je retiens mon ressentiment. Comme il n'y a pas nécessité, ne m'écrivez que si vous avez un moment à vous. On commence à remarquer, dites-vous, mon peu de courage, et on en parle en termes bien plus forts que vous et Brutus. Eh bien ! que ceux qui me croient l'esprit abattu et affaibli viennent voir ce que j'écris et les sujets que je traite. Ils jugeront, pour peu qu'ils aient de sens, si l'homme dont la tête est assez libre pour aborder des questions si difficiles mérite le reproche d'abattement, et s'il n'y a pas à le louer plutôt d'avoir su faire à son chagrin une diversion si honorable et si digne d'un esprit éclairé. Mais quand je fais tout pour prendre sur moi, de votre côté achevez votre œuvre, cette oeuvre de votre sollicitude, je le vois, autant que de la mienne. Il me semble qu'une dette me pèse. Je ne serai soulagé que lorsque je pourrai m'acquitter, ou me voir en position de le faire; c'est-à-dire lorsque j'aurai trouvé le terrain que je veux. Si, comme Othon vous l'a dit, l'intention des héritiers de Scapula est de faire quatre parts et de liciter entre eux, il n'y a pas moyen de se présenter. S'ils vendent en bloc, c'est différent; on verra ce qu'on doit faire. On était venu me parler du champ Publicianus, qui appartient à Trébonius et à Cusinius. Mais vous savez que c'est un terrain nu; je n'en veux pas. La propriété de Clodia convient parfaitement. Malheureusement, je ne la crois pas à vendre. Quant aux jardins de Drusus, malgré votre répugnance, il faudra bien que j'y revienne, comme à ma dernière ressource, si vous ne me trouvez rien autre. Les constructions me touchent peu. Je n'y bâtirais absolument que ce que je serais obligé de bâtir partout ailleurs. J'ai lu Cyrus avec le même genre de plaisir que les autres ouvrages d'Antisthène, où il y a plus d'esprit que de fonds. [12,39] A ATTICUS. Asture, mai. Mon messager revient les mains vides ; c'est sans doute parce que vous m'aviez écrit la veille sur les divers objets auxquels j'ai répondu dans la lettre dont il était porteur. J'espérais pourtant quelques mots de vous, au sujet de celle d'Asinius Pollion; mais je juge trop de vos loisirs par les miens. Aussi, quoique je renvoie le messager, ne m'écrivez qu'au besoin, à moins que vous ne soyez bien désœuvré. J'enverrais des exprès, ainsi que vous me le conseillez, s'il se présentait des cas d'urgence, comme à l'époque où chaque jour, quoiqu'aux temps les plus courts de l'année, voyait partir la lettre et revenir la réponse. Alors nous avions de quoi fournir à notre correspondance. C'était Silius, c'était Drusus, mille autres encore. Aujourd'hui, sans Othon, il n'y aurait rien, et encore l'affaire est-elle différée. N'importe ! c'est un soulagement pour moi dans l'absence, quand je cause avec vous; et j'éprouve un plus grand bien-être encore, quand je lis vos lettres. Cependant vous n'êtes point à Rome, je le suppose; et dès lors puisqu'il n'y a pas nécessité d'écrire, faisons trêve à notre correspondance et attendons du nouveau. [12,40] A ATTICUS. Antium, juin. J'ai un avant goût de la réplique de César à mon éloge de Caton par l'écrit que m'envoie Hirtius, et où il a ramassé tout ce qu'il est possible de dire de pis contre Caton, en y mêlant des compliments infinis pour moi. J'ai envoyé ce livre à Musca, pour qu'il le remit à vos copistes; je veux le publier. Dites-leur un mot, je vous prie, pour les faire aller vile. Je songe souvent au morceau officiel. Il ne me vient rien. J'ai sous les yeux les discours adressés à Alexandre par Aristote et Théopompe. Mais quel rapport ! Leur langage était à la fois honorable pour eux et flatteur pour Alexandre. Croyez-vous que la position en permette un semblable aujourd'hui? En vérité, je ne sais comment m'y prendre. — Vous craignez, dites-vous, que l'excès de mon chagrin ne me nuise dans l'opinion publique, et n'affaiblisse la considération dont je jouis. Mais que me reproche-t-on et que me veut-on après tout? Que je ne sois pas triste? est-ce possible? Que je ne m'abandonne pas du moins tout à fait? Mais qui s'abandonne moins que moi? Ai-je refusé une seule visite, à l'époque où votre amitié donnait asile à ma douleur? Et y a-t-il une seule personne qui ait eu alors à se plaindre de ma réception? Je partis pour Asture. Eh bien! je mets au délices gens au cœur joyeux de lire seulement l'équivalent de tout ce que j'ai écrit : bien ou mal, ce n'est pas là la question; toujours est-il que le sujet que j'ai choisi serait inabordable pour un esprit malade. J'ai passé trente jours à ma villa. Ma manière de recevoir et mon langage ont-ils laissé quelque chose à désirer? Maintenant encore je lis, j'écris tour-à-tour, et je vois ceux qui vivent avec moi plus en peine de supporter leur loisir que moi mon travail. Enfin, me dit-on, pourquoi ne suis-je pas à Rome? parce qu'il n'y a personne. Pourquoi pas dans celles de mes villas qui sont plus de la saison? parce que le trop grand monde ne me va point. Ne suis-je pas d'ailleurs là où l'homme qui avait la plus délicieuse de toutes les habitations de Baies (Probablement Lucullus) ne manquait jamais de passer le temps où nous sommes de l'année? Si j'allais à Rome, on ne trouverait à reprendre ni à mon maintien ni à mes paroles. Quant à ma gaieté d'autrefois, mon préservatif contre les misères du temps, elle m'a fui sans retour. Mais, je le répète, mon langage et mon maintien ne laisseront prise aucune. — Il me semble que, moitié par votre crédit, moitié par le mien, nous pouvons obtenir qu'on mette en adjudication les jardins de Scapula. C'est le seul moyen de les avoir. Une fois les enchères ouvertes, toute la richesse d'Othon ne tiendra pas contre mon envie. Ce que vous dites de Lentulus ne fait rien à l'affaire. Assurons-nous de Fabérius. Ne vous relâchez pas de votre activité, nous en viendrons à nos fins. — Vous me demandez combien de temps je dois rester ici? très-peu. Mais mon départ n'est pas encore fixé. Quand il le sera, vous le saurez. Mandez-moi de votre côté combien de temps vous serez à votre villa des faubourgs. Aujourd'hui même, au moment où je vous écris, je reçois des lettres et des courriers qui me donnent absolument les mêmes nouvelles que vous de Pilia et d'Attica. [12,41] A ATTICUS. Antium, juin. Je n'ai rien à vous écrire : mais je veux savoir où vous êtes, si vous avez quitté la ville, si vous devez la quitter, et quand vous reviendrez. Dites-moi tout cela. De votre côte, vous me demandez quand je partirai d'ici. Je coucherai à Lanuvium le lendemain des ides; le jour suivant, je serai à Tusculum ou à Rome. Lequel des deux? vous le saurez au moment. Vous savez combien le malheur aigrit, non que je vous en aie fait faire l'expérience. Mais l'idée de ce temple me poursuit, et si je ne le vois s'élever, je ne dis pas en espérance, mais en réalité, je vous en avertis, et vous le prendrez, selon votre usage, en patience, mon humeur va retomber sur vous. A tort, je ne le nie pas; mais vous n'en aurez pas moins à la souffrir, comme tout ce que vous souffrez, comme tout ce que vous avez déjà souffert pour moi. Je vous ai montré mon but et ma seule consolation : c'est là que doivent tendre tous vos efforts. Voulez-vous savoir l'ordre de mes préférences? D'abord Scapula; ensuite Clodia; puis, si Scapula ne veut pas vendre et si Drusus a des prétentions exorbitantes, Cusinius et Trébonius. Je crois qu'il y a un troisième propriétaire. Je suis sur du moins que Hébilus l'a été. Après tout, si l'idée de Tusculum vous plaît, comme vous me l'avez témoigné dans quelques lettres, j'y souscris. Mais, d'une façon on d'une autre, concluez, concluez, si vous voulez me soulager d'un grand poids, au lieu de m'accuser, comme vous le faites, avec une sévérité à laquelle votre indulgence ne m'a pas habitué. Cette sévérité, c'est votre amitié qui vous l'inspire, et peut-être ai-je mis votre patience à bout. Cependant, si vous voulez consoler mes peines, ce moyen est le meilleur de tous; pour dire la vérité, c'est le seul.— Avez-vous lu la lettre à Hirtius, qu'on peut regarder, ce me semble, comme un véritable échantillon de la diatribe de César contre Caton? Si vous avez le loisir, dites-moi ce que vous en pensez. - Je reviens à mon temple : si mon vœu n'est pas accompli cet été, voilà l'été qui commence à peine, il me semblera qu'un crime pèse sur ma conscience. [12,42] A ATTICUS. Antium. Je n'ai certes pas à me plaindre de votre exactitude. Chaque jour, je reçois de votre écriture; mais je vois et je comprends seulement que vous n'avez rien à m'écrire. Depuis le 6 des ides, vous avez dû vous absenter. Dès lors, plus de nouvelles ; je ne laisserai pas de vous envoyer un courrier tous les jours, à peu près. J'aime mieux lui faire faire une course inutile, que de vous laisser sans moyen de communication dans un cas de besoin. J'ai reçu votre lettre vide, du 6 des ides; qu'auriez-vous eu à m'écrire en effet? Mais je ne suis pas fâché de savoir même que vous n'avez rien à m'écrire. Cependant vous m'avez dit un mot de Clodia, je ne me rappelle plus quoi. Où est-elle? quand revient-elle? A défaut de la propriété d'Othon, la sienne est ce qu'il y a de mieux. Mais je doute qu'elle veuille vendre. Elle s'y plaît et elle est riche. Quant à Othon, vous ne savez que trop combien il y a de difficultés. Mais enfin faisons tous nos efforts, je vous en conjure, et arrivons au but. Il est probable que je partirai demain. J'irai à Tusculum ou à Rome; peut-être ensuite à Arpinum. Lorsque je serai décidé, je vous en ferai part. J'avais eu la pensée de vous conseiller précisément ce que vous faites. N'est-il pas tout simple de vous occuper de cela chez vous et de faire fermer votre porte? [12,43] A ATTICUS. Antium, juin. C'est le lendemain des ides, comme je vous l'ai précédemment écrit, que je compte coucher à Lanuvium; j'irai de là à Rome ou à Tusculum. Je vous le dirai. Vous ne me dites pas si j'ai raison d'attacher des idées consolantes à l'accomplissement de mon projet : j'approuve votre, silence ; ce sont la, croyez-moi, des choses qu'il ne vous était pas possible de juger. Vous pouvez cependant avoir la mesure de mon impatience dans l'aveu que je vous en fais, à vous que je ne crois pas partisan bien chaud des idées qui me préoccupent. Mais si je m'abuse, il faut vous y résigner, mon cher Atticus. Que dis-je, vous y résigner? il faut y donner les mains. Othon m'inquiète; mais je crains, peut-être parce que je désire. En vérité, cette affaire est au-dessus de mes forces, surtout avec un concurrent passionné, riche, et qui hérite. Immédiatement après Othon, Clodia ; et si nous ne réussissons ni d'un côté ni de l'autre, vous chercherez ailleurs, je vous en prie. Je me regarde comme engagé par un vœu sacré, plus engagé qu'on ne fut jamais. Voyez aussi les jardins de Trébonius. Les propriétaires sont absents, mais qu'importe? Puis, comme je vous l'ai dit hier, pensez à Tusculum, de peur que l'été ne se passe ; c'est ce qu'il faut éviter a tout prix. [12,44] A ATTICUS. Antium, juin. Hirtius vous a témoigné de la sympathie pour moi, c'est une attention dont je lui sais gré: mais je vous en sais plus encore de n'avoir pas voulu me communiquer sa lettre; c'est là surtout une attention délicate. Quant au livre qu'il m'a envoyé sur Caton, je veux que vos gens le répandent, afin que le contraste d'indignes diatribes fasse mieux ressortir l'éloge du grand citoyen. Vous faites bien d'employer Mustella : c'est un homme spécial, et qui m'est absolument dévoué depuis l'affaire de Pontianus. Tâchez d'arriver par lui au résultat. Que nous faut-il autre chose, sinon qu'on laisse le champ libre aux acheteurs? et pour cela il suffit de la volonté du premier venu parmi les héritiers. Mustella, par exemple, ne vous refuserait pas, je le suppose. Ainsi, je devrais à vos soins un lieu propice à l'accomplissement de mon vœu, et en même temps un asile pour ma vieillesse. Le bien de Silius et celui de Drusus n'ont, sous ce dernier rapport, rien qui convienne. Un propriétaire peut-il du matin au soir rester les bras croisés dans sa villa? Othon, Othon avant tout! Puis Clodia. A défaut de l'un et de l'autre, usons de ruse avec Drusus, ou revenons-en à Tusculum. C'est un parti sage de vous être enfermé chez vous. Mais hâtez-vous, je vous en conjure; redevenez libre, et qu'Atticus me soit rendu ! Ainsi que je vous l'ai déjà dit, j'irai d'ici coucher à Lanuvium le lendemain des ides, et le jour suivant à Tusculum. J'ai lutté, et pour peu que cela dure, j'aurai, je crois, pris le dessus. Demain peut-être, ou après-demain, au plus tard, vous en pourrez juger. Mais qu'est-ce, je vous prie? voilà Philotime qui prétend que Pompée n'est pas cerné dans Cartéia ! Oppius et Balbus m'ont envoyé la copie d'une lettre à Clodius le Padouan, ou la nouvelle était donnée comme certaine. Philotime ajoute que la guerre a de quoi durer longtemps encore: mais vous savez que Philotime, c'est du Fulvius tout pur. Mandez-moi ce que vous en saurez, et n'oubliez pas de me dire aussi ce qui en est du naufrage de Caninius. [12,45] A ATTICUS. Tusculum, juin. Je viens d'achever ici deux longs traités. Le travail est pour moi le seul moyen d'échapper à ma misère. Quand bien même vous n'auriez rien à m'écrire, comme je le prévois, ne laissez pas que de le faire, ne fût-ce que pour me dire : Je n'ai rien à vous mander : seulement dites-le-moi en d'autres termes. Je suis charmé des nouvelles d'Attica. Mais je n'aime point cette langueur dont vous souffrez, quoique ce ne soit rien, dites-vous. Je serai bien à Tusculum, pour avoir plus souvent de vos lettres et pour vous voir quelquefois. A tous autres égards, le séjour d'Asture me convenait mieux. Il y a des souvenirs qui bouleversent, et ils sont ici mille fois plus poignants. Au surplus, partout où je vais, mon mal me suit. — C'est d'après ce que vous me mandiez que j'ai appelé César votre voisin. D'ailleurs j'aime mieux qu'on l'ait logé avec Quirinus qu'avec la déesse Salus. Faites répandre l'écrit d'Hirtius. Je suis tout à fait de votre avis; on rendra hommage au talent de l'auteur. Mais l'idée d'attaquer Caton fera partout hausser les épaules. [12,46] A ATTICUS. Lanuvium près d'Antium, juin. Oui, j'en aurai, je crois, le courage : je quitterai Lanuvium et je reverrai Tusculum. Comme tout en se modérant ma douleur restera éternellement la même, je dois renoncer à jamais à Tusculum, ou comprendre qu'il n'y a point de différence entre y aller aujourd'hui et y aller dans dix ans. Je n'y trouverai pas plus qu'ailleurs ces images cruelles qui me poursuivent jour et nuit, et qui me tuent. Mais quoi! direz-vous, les lettres et vos études ne vous servent donc à rien? Hélas ! tout au contraire; et peut-être sans elles serais-je moins sensible. Leur commerce anoblit le cœur, en lui ôtant sa rude écorce. [12,47] A ATTICUS. Antium, juin. Eh bien! faites comme vous dites, et prenez votre temps. Vous pourrez m'écrire jusqu'à deux fois. D'ailleurs j'irai moi-même, s'il le faut. Consultez-vous. Parlez à Mustela, comme vous l'avez promis. Mais l'affaire est bien difficile, et je n'en suis que plus disposé à revenir à Clodia. Dans un cas comme dans l'autre, il est indispensable d'être payé par Fabèrius. Il n'y aurait pas de mal que vous en dissiez quelque chose à Balbus, et tout simplement ce qui en est ; que nous voulons acheter ; que nous ne le pouvons pas sans l'argent que nous doit Fabérius; que nous n'osons rien aventurer. Quand Clodia sera-t-elle à Rome? Et à combien portez-vous ses prétentions? Voilà ce qui me tient en suspens. Ce n'est pas que je ne préfère cette autre belle affaire. Mais l'objet est lourd et la lutte difficile avec un concurrent ardent, homme riche, et héritier. En fait d'ardeur, je ne le cède à personne, mais je ne suis pas de force sur le reste. Nous en parlerons. Oui, répandez l'écrit d'Hirtius. Ce que vous me mandez de Philotime est ce que j'en pensais. Savez-vous bien que votre maison va gagner beaucoup, ayant César pour voisin? J'attends aujourd'hui le retour de mon exprès. Il m'apportera des nouvelles de Pilia et d'Attica. [12,48] ATTICUS. Tusculum, juin. Vous vous trouvez bien de rester chez vous, je le crois sans peine : mais dites-moi, je vous prie, ou vous en êtes et si vous avez fini. Je vous attends positivement à Tusculum, puisque vous avez annoncé à Tiron votre arrivée immédiate, en ajoutant que vous la croyiez nécessaire. Quand vous étiez là près de moi, je sentais combien votre présence m'était utile. Depuis votre départ, je le sens bien davantage encore. Aussi j'en reviens à ce que j'ai dit : Ou chez vous ou chez moi, suivant que le sort en décidera; mais nous ne pouvons être l'un sans l'autre. [12,49] A ATTICUS. Tusculum, juin. Hier, peu de temps après votre départ, des gens qui me parurent de bonne mine vinrent me trouver de la part de C. Marius, fils de Caius, petit-fils de Caius. Ils m'apportaient une lettre ou, dans un assez long préambule, il me demande au nom de nos liens de famille, au nom de ce Marius que j'ai chanté, au nom de L. Crassus, son éloquent aïeul, de consentir à plaider pour lui. Puis, il entre dans l'exposé de son affaire. J'ai répondu qu'il n'avait pas besoin de défenseur, étant parent de César, le meilleur et le plus généreux des hommes, aujourd'hui tout puissant; que cependant je ne lui ferai pas faute. — Quel temps que celui où il peut arriver qu'un Curtius ose songer au consulat! Je n'en dis pas davantage. Tiron m'inquiète; mais je vais avoir de ses nouvelles, car j'ai envoyé hier pour le voir. J'ai remis en même temps une lettre pour vous. Je vous ai transmis ma lettre à César. Mandez-moi, je vous prie, pour quel jour la vente des jardins est affichée. [12,50] A ATTICUS. Tusculum, juin. Autant j'ai eu de joie en vous voyant venir, autant j'ai de peine depuis que vous m'avez quitté. Revenez-moi donc aussitôt que possible, c'est-à-dire après que l'adjudication de Sextus n'exigera plus vos soins. Un jour, un seul jour passé ensemble m'est si utile, et, dirai-je aussi, m'est si doux ! J'irai à Rome rien que pour vous revoir ; mais il y a certaine chose sur laquelle je n'ai pas suffisamment encore pris mon parti. [12,51] A ATTICUS. Tusculum, juin. Tiron m'est revenu plus tôt que je ne l'espérais. J'ai Nicias aussi, et l'on m'annonce Valérius pour aujourd'hui. Voilà bien du monde : eh bien ! je serai plus seul que si je n'avais que vous; mais l'affaire de Péducéus terminée, je vous attends; plus tôt même peut-être, dites-vous. Oh oui, plus tôt; tâchez. Soit : parlez à Virgilius; je voudrais seulement savoir à quand la vente. Vous croyez donc que la lettre à César peut passer? Que vous dirai-je? C'est aussi mon opinion, d'autant que je n'y ai rien mis qui ne soit d'un bon citoyen, mais d'un bon citoyen allant selon le temps, et suivant en cela le précepte de tous les écrivains politiques. Vous savez que je regarde comme indispensable de la communiquer d'abord à l'entourage. Veuillez vous en charger ; et si vous vous apercevez qu'elle ne soit pas entièrement goûtée, ne l'envoyez point. Vous verrez bien si leur approbation est naturelle ou feinte. Pour moi, j'interpréterais l'hésitation comme un blâme; mais vous saurez bien démêler le vrai. — En ce qui touche Cérellia, Tiron m'a dit votre pensée. Il ne me convient pas, suivant vous, d'être son débiteur. Vous préférez que je fasse un emprunt. "Il faut redouter l'un et ne pas craindre l'autre". Nous en parlerons de vive voix, ainsi que de beaucoup d'autres choses. Je crois pourtant qu'il sera bon, sauf votre avis, d'ajourner le remboursement de Cérellia. Il faut d'abord que je sache à quoi m'en tenir sur mes débiteurs Milon et Fabérius. [12,52] A ATTICUS. Tusculum. juin. Vous connaissez L. Tullius Montanus, qui est parti avec Cicéron. Je reçois une lettre du mari de sa sœur. Il parait que Montanus est débiteur de Plancus, comme ayant garanti Flaminius pour vingt-cinq mille sesterces. Je ne sais pas précisément ce que désire de vous Montanus ; mais ne lui refusez pas, je vous en prie, ou de voir Plancus, ou de le seconder de toute autre façon. J'y suis engagé par devoir. Si vous en savez plus que moi, ou si vous croyez la démarche près de Plancus faisable, faites-moi la grâce de me l'écrire. Il faut que je sache ce qu'il en est, et quel est l'objet de cette démarche. J'attends le résultat de vos soins pour ma lettre à César. Je ne tiens pas aveuglément aux jardins de Silius, mais il faut que vous me fassiez avoir ceux de Scapula ou de Clodia. Je ne comprends pas votre hésitation au sujet de Clodia. Est-ce qu'elle ne vient pas à Rome, ou est-ce qu'elle ne peut pas vendre? Que vient-on de m'apprendre, que Spinther divorce? Je vous parais donc bien hardi de traiter ce sujet en latin! Songez que le fond est d'emprunt; ce qui diminue beaucoup le travail. Je n'ai plus que les mots à trouver, et les mots sont toujours à mes ordres. [12,53] A ATTICUS. Tusculum, juin. Je n'ai rien à vous écrire, et je ne laisse pourtant pas que de le faire. Je crois causer avec vous. Nicias et Valérius sont ici. J'attends une lettre de vous ce matin; peut-être en aurai-je une seconde ce soir, si votre correspondance d'Épire ne vous en ôte pas la possibilité, et je ne veux pas me mettre au travers. Je vous envoie des lettres pour Marcianus et Montanus ; joignez-les à votre paquet, s'il n'est pas encore parti.