[5,0] Ovide, Fastes, Livre V. Vous demandez d'où, à mon avis, vient le nom du mois de mai? La cause n'en est pas très claire à mes yeux. Comme un voyageur reste arrêté, hésitant, ne sachant où aller quand il voit un chemin s'ouvrant de tous côtés, 5 ainsi, plusieurs explications pouvant être avancées, je ne sais où me diriger: leur abondance même m'embarrasse. Parlez, vous qui hantez les sources de l'Hippocrène née d'Aganippè, plaisantes traces du cheval de Méduse! Les déesses n'étaient pas du même avis; Polymnie parle la première; [5,10] les autres se taisent, notant mentalement ses paroles. "Après le Chaos, dès que le monde fut doté de trois éléments, et que l'ensemble de l'univers présenta des apparences nouvelles, la Terre s'affaissa sous son propre poids, en attirant la Mer, tandis que le Ciel, plus léger, fut porté vers les régions supérieures. 15 Nulle pesanteur non plus ne retint le soleil et les étoiles, et vous, chevaux lunaires, vous avez pris votre élan. Mais longtemps la Terre ne céda pas devant le Ciel, ni les autres astres devant Phébus: tous jouissaient d'honneurs égaux. Souvent, ô Saturne, un dieu, sortant des rangs du peuple, [5,20] osa s'asseoir sur le trône que tu occupais, et nul dieu nouveau ne s'installait aux côtés d'Océan pour l'escorter. Téthys souvent fut accueillie à la dernière place, jusqu'à ce qu'Honneur et bienséante Révérence au paisible visage se soient installés dans une union nuptiale légitime. 25 Ainsi naquit la déesse Majesté, qui les considéra comme ses parents. Dès le jour de sa naissance, elle fut grande. Aussitôt, dans le ciel, elle siégea au milieu de l'Olympe, toute d'or, attirant les regards dans sa robe de pourpre. À côté d'elle, siégèrent aussitôt Pudeur et Crainte. On pouvait voir [5,30] que chaque divinité avait réglé sur elle ses manières. Bientôt s'insinua dans les esprits l'estime pour les honneurs. On attribuait du prix au mérite et nul ne se complaisait plus en soi-même. Cet état d'esprit subsista dans le ciel durant de nombreuses années, jusqu'au jour où les destins chassèrent de la citadelle le dieu le plus ancien. 35 Terre accoucha de rejetons sauvages, monstres énormes, les Géants, qui allaient oser s'en prendre à la maison de Jupiter. Elle les dota de mille mains, et de serpents au lieu de jambes; elle leur dit: "Prenez les armes contre les grands dieux!" Ils se préparaient à entasser des montagnes bien haut jusqu'aux étoiles [5,40] et à provoquer à la guerre le grand Jupiter. Du haut de la citadelle céleste, Jupiter lança les traits de sa foudre, et retourna contre leurs auteurs les poids énormes qu'ils entassaient. Bien défendue par les armes des dieux, Majesté résiste, et depuis ce temps, elle est toujours là, inébranlable. 45 Ainsi elle siège près de Jupiter, dont elle est le plus sûr gardien, et sans violence, lui garantit son sceptre redoutable. Elle est venue aussi sur la terre: Romulus l'a vénérée, ainsi que Numa, et d'autres aussi, chacun à son époque. C'est elle qui pieusement veille sur l'honneur des pères et des mères, [5,50] elle qui accompagne les jeunes, garçons et filles, elle qui valorise les faisceaux et la chaise curule d'ivoire; altière, elle triomphe tirée par des chevaux couronnés." Polymnie avait fini son discours: ses dires reçurent l'approbation de Clio et de Thalie, qui sait jouer de la lyre courbe. 55 Uranie prend la parole: toutes font silence on ne peut plus entendre aucune voix, sinon la sienne. "Autrefois, une tête blanche était tenue en grand respect et les rides d'un vieillard étaient estimées à leur juste prix. Les jeunes hommes, en de courageux combats, géraient l'oeuvre de Mars, [5,60] et assuraient la garde devant leurs dieux. La vieillesse moins forte et inapte au maniement des armes, apportait souvent son aide à la patrie par ses conseils. À cette époque la curie ne s'ouvrait qu'à des gens arrivés au soir de leur vie et le doux nom de l'âge mûr cadrait bien avec le sénat. 65 Les aînés faisaient les lois pour le peuple; des lois précises déterminaient l'âge qui permet de briguer une charge honorifique. Et quand l'aîné était avec des jeunes gens, sans que ceux-ci en prennent ombrage, il occupait le centre et, s'il n'avait qu'un compagnon, le côté intérieur. Qui aurait osé, en présence d'un vieillard, prononcer un mot qui fasse rougir? [5,70] Une vieillesse avancée donnait accès à la censure. Romulus s'en rendit compte et appela "Patres" les êtres d'élite: à ceux-ci il confia la haute direction de la ville nouvelle. Dès lors, selon moi, les Maiores (aînés) donnèrent leur nom au mois de Mai, en s'inspirant de leur âge. 75 Numitor a peut-être dit: "Romulus, attribue ce mois aux vieillards" et le petit-fils peut n'avoir pas résisté à son aïeul. Une preuve supplémentaire, et qui n'est pas mince, de l'honneur proposé: c'est Juin qui tient son nom de celui des Iuuenes (jeunes gens)." Alors, avec ses cheveux en désordre couronnés de lierre, [5,80] Calliope, à la tête du choeur, se mit à parler: "Jadis Téthys, fille de Titan, avait épousé Océan qui, de ses ondes limpides, entoure la terre sur toute son étendue. Alors leur fille Pleionè s'unit à Atlas, porteur du ciel, comme dit la légende, et mit au monde les Pléiades. 85 On rapporte que parmi elles, Maia surpassait ses soeurs en beauté et qu'elle partagea la couche du souverain Jupiter. Sur le sommet du Cyllène couvert de cyprès, elle accoucha du dieu qui d'un pied ailé parcourt les chemins de l'éther. L'impétueux Ladon et l'immense Ménale l'honorent, et le reste de l'Arcadie, [5,90] une terre que l'on croit plus ancienne que la Lune. Exilé d'Arcadie, Évandre était arrivé dans les campagnes du Latium et y avait importé ses divinités, embarquées avec lui. Ici, où s'élève maintenant Rome, capitale du monde, il y avait des arbres et de l'herbe, quelques animaux et de rares cabanes. 95 Une fois là, sa mère qui connaissait l'avenir dit: "Arrêtez-vous! Cette campagne sera le siège d'un empire". Le héros de Nonacris obéit à sa mère qui était prophétesse et s'installa en hôte sur cette terre étrangère. Il enseigna à ces peuples nombre de rituels sacrés, [5,100] mais d'abord ceux de Faunus le cornu et ceux du dieu aux pieds ailés. Faunus demi-bouc, tu es vénéré par les Luperques aux robes retroussées lorsque, avec les lanières d'une peau, ils purifient les rues pleines de monde. Mais toi, tu as donné au mois le nom de ta mère, toi l'inventeur de la lyre courbe, le protecteur des voleurs. 105 Et ce n'est pas là ton premier acte de piété: tu passes pour avoir donné sept cordes à la lyre, à cause du nombre des Pléiades." Elle aussi avait fini; ses soeurs la louèrent d'une seule voix. Que dois-je faire? Chaque groupe a un poids égal. Puissent les Piérides m'accorder également leurs faveurs, [5,110] et puissé-je n'en louer aucune plus que les autres. Que mon chant parte de Jupiter! Au cours de la première nuit, je puis apercevoir l'étoile qui s'empressa près du berceau de Jupiter: c'est le lever du signe pluvieux de la Chèvre olénienne. elle a sa place au ciel pour prix du lait qu'elle a donné. 115 La naïade Amalthée, célèbre sur l'Ida de Crète, cacha, dit-on, Jupiter dans les forêts. Elle avait une chèvre magnifique, mère de deux chevreaux. On la distinguait parmi les troupeaux du Dicté, grâce à ses hautes cornes recourbées au-dessus de son dos, [5,120] et à un pis comme pouvait en avoir la nourrice de Jupiter. Elle donnait son lait au dieu. Mais elle se brisa une corne contre un arbre, accident qui réduisit de moitié sa beauté. La nymphe recueillit cette corne, l'enveloppa d'herbes fraîches et la porta, remplie de fruits, aux lèvres de Jupiter. 125 Dès que celui-ci, installé sur le trône paternel, détint l'empire du ciel, et que rien n'exista de plus grand que l'invincible Jupiter, il transforma en constellations sa nourrice et la corne féconde de sa nourrice, qui, maintenant encore, porte le nom de la naïade sa maîtresse. En l'honneur des Lares tutélaires, les Calendes de mai [5,130] ont vu s'élever un autel et des petites statues de ces dieux. Curius en avait fait le voeu, mais leur grand âge les a détruits: une vieillesse prolongée endommage même la pierre. La raison du surnom (Praestites) qui leur fut attaché est que leur présence vigilante assure la sécurité de toutes choses. 135 De plus, ils se dressent devant nous et gardent les remparts de la Ville; ils sont toujours présents et apportent leur aide. Par ailleurs un chien sculpté dans la même pierre se tenait à leurs pieds: pourquoi donc un chien se trouvait-il avec le Lare? Tous deux gardent la maison, tous deux aussi sont fidèles à leur maître. [5,140] Le dieu, tout autant que le chien, aime fréquenter les carrefours. Le Lare comme la meute de Diane font détaler les voleurs. Les Lares et les chiens sont toujours en éveil. Je cherchais deux statues des dieux jumeaux: le poids des années les avait détruits. 145 Des Lares par milliers et le Génie du chef qui nous les a transmis appartiennent à la Ville: ce sont là trois divinités honorées dans les quartiers. Mais où suis-je emporté? Cette matière de mon poème revient de droit au mois d'août, celui d'Auguste. D'ici là, il faut chanter la Bonne Déesse. Il existe une levée de terre naturelle qui valut son nom à l'endroit: [5,150] on l'appelle le "Rocher"; il forme une bonne partie de la colline. Rémus s'y était posté en vain au temps où vous, oiseaux du Palatin, avez envoyé à son frère les premiers signes. Nos ancêtres décidèrent d'adosser là, sur une pente douce, un temple qui détestait les regards masculins. 155 Il fut dédié par l'héritière de l'antique nom des Crassus, une vierge qui n'a jamais subi l'étreinte d'un homme. Livie le restaura, qui tenait absolument à imiter son époux et qui le suivit dans tous les domaines. Lorsque le jour suivant, l'Aurore aura chassé les étoiles, [5,160] et levé sa torche couleur de rose sur son attelage matinal, l'Argestès glacial caressera le sommet des épis et les voiles blanches se déploieront, quittant les eaux de la Calabre. Mais dès que le sombre crépuscule aura amené la nuit, pas une seule des Hyades ne restera invisible. 165 Les sept étoiles du Taureau scintillent, rayonnantes de flammes, celles que le marin grec appelle Hyades, du nom de la pluie. Certains pensent qu'elles ont nourri Bacchus, d'autres ont cru qu'elles étaient petites-filles de Téthys et du vieillard Océan. Atlas n'était pas encore debout, portant l'Olympe sur ses épaules, [5,170] lorsque naquit Hyas, dont la beauté attirait tous les regards. La fille d'Océan, Aethra, son terme venu, les mit au monde, lui et les nymphes, mais Hyas fut le premier à voir le jour. À l'époque de son premier duvet, il terrorisait avec des épouvantails les cerfs apeurés, et le lièvre était pour lui une proie facile. 175 Mais lorsque avec les années la vaillance lui vint, il osa affronter de près sangliers et lionnes velues. Tandis qu'il attaquait dans leur tanière les petits d'une lionne, il devint lui-même la proie sanglante de la bête sauvage de Libye. Sa mère pleura Hyas, ses soeurs attristées le pleurèrent, [5,180] et aussi Atlas, qui allait charger le ciel sur ses épaules. L'amour de ses soeurs l'emporta toutefois sur celui de ses parents: il leur valut le ciel, Hyas leur donna son nom. "Mère des fleurs, viens, toi que doivent célébrer des jeux plaisants. Le mois précédent, j'avais différé de traiter de ta fête. 185 Elle commence en avril, et se prolonge en mai: Tu occupes deux mois, la fin de l'un, le début de l'autre. Puisque les confins de ces mois sont tiens et te reviennent, l'un autant que l'autre convient pour chanter tes louanges. C'est en mai que tombent les jeux du cirque et que la palme s'acclame au théâtre; [5,190] puisse mon poème aussi aller de pair avec les spectacles du cirque. Apprends-moi qui tu es: l'avis des humains est trompeur; tu seras le meilleur garant pour expliquer ton propre nom." Telle fut ma demande; voici la réponse de la déesse à mes requêtes (en parlant, sa bouche exhalait un frais parfum de roses): 195 "J'étais Chloris, moi qu'on appelle Flora; une lettre grecque de mon nom a été altérée par la prononciation latine. J'étais Chloris, nymphe de ces champs heureux, où, dit-on, les Bienheureux vivaient jadis dans l'opulence. Décrire combien j'étais belle heurterait ma modestie; [5,200] toutefois cette beauté valut à ma mère un gendre divin. C'était le printemps, j'errais: Zéphyr m'aperçut, je m'éloignai; il me suivit, je m'enfuis: il fut le plus fort. D'ailleurs, ce rapt n'était-il pas entièrement justifié par son frère Borée, qui avait osé lui aussi enlever la fille d'Érechthée? 205 Cependant Zéphyr, me donnant le titre d'épouse, a réparé son outrage et je n'émets aucune plainte à propos de mon mariage. Toujours le printemps me réjouit: toujours l'année est éclatante, toujours l'arbre est couvert de feuilles, la terre de verdure. Parmi les biens de ma dot,je possède un jardin fertile: [5,210] la brise le féconde, une source d'eau limpide l'arrose. Mon époux l'a abondamment empli de fleurs et a dit: 'À toi, Déesse, la souveraineté sur les fleurs'. Souvent j'ai voulu classer et compter leurs couleurs, sans pouvoir y parvenir: leur nombre était trop grand. 215 Dès que les feuilles ont secoué la rosée hivernale, dès que les rayons ont réchauffé les corolles multicolores, les Heures parées de leurs robes diaprées se rassemblent et cueillent mes présents dans leurs corbeilles légères. Aussitôt surviennent les Charites, qui tressent des couronnes [5,220] et des guirlandes pour en entrelacer les chevelures des divinités. La première, j'ai répandu de par le vaste monde des semences nouvelles: avant, la Terre n'avait qu'une seule couleur. Je fus la première à faire, du sang de l'enfant de Thérapné, une fleur dont la feuille porte encore la marque de sa plainte. 225 Toi aussi, Narcisse, tu as ton nom dans les jardins bien cultivés, toi qui souffrais de n'être pas à la fois toi-même et ta propre image. Pourquoi rappeler Crocus, Attis et le fils de Cinyras? de leurs blessures, j'ai fait jaillir de la beauté. Mars aussi, si tu l'ignores, fut mis au monde grâce à mon savoir-faire: [5,230] je t'en prie, que Jupiter continue, comme maintenant, à n'en rien savoir. Lorsque Minerve vint au monde sans mère, la vénérable Junon souffrit de ce que Jupiter n'ait pas eu besoin de son intervention. Elle alla se plaindre à Océan de la conduite de son mari; épuisée par cet effort, elle s'arrêta près de ma porte. 235 Dès que je l'aperçus, je lui dis: "Fille de Saturne, quel vent t'amène?". Elle m'explique où elle veut aller et pourquoi. Je cherchais à l'apaiser en lui parlant avec amitié. 'Ce ne sont pas des paroles qui peuvent soulager ma peine', dit-elle; 'si Jupiter est devenu père, en négligeant de recourir à son épouse, [5,240] et possède à lui seul les noms de père et de mère, pourquoi moi devrais-je désespérer de devenir mère sans mari, et d'enfanter sans toucher un homme, en restant chaste? J'essaierai toutes les drogues existant dans le vaste monde et je remuerai les mers et les gouffres du Tartare.' 245 Tandis qu'elle parlait, je montrais un visage dubitatif. 'Nymphe, il me semble que tu peux faire quelque chose', dit-elle. Trois fois je voulus promettre mon aide, trois fois je retins ma langue: la cause de ma crainte était la colère du grand Jupiter. 'Je t'en prie, accorde-moi ton aide', dit-elle, ton rôle restera caché, [5,250] et je le jurerai par la puissance divine de l'eau du Styx.' Ce que tu demandes, dis-je, une fleur qui me vient des champs d'Olène te le donnera: elle est unique dans mes jardins. Celui qui me l'a donnée a dit: 'Avec elle, touche une génisse même stérile, elle sera mère; je le fis, et instantanément, elle devint mère'. 255 Aussitôt, du pouce je cueillis la fleur qui résistait. J'en effleurai Junon, qui, le sein touché, devint féconde. Enceinte désormais, elle gagne la Thrace et la rive gauche de la Propontide; son voeu s'était réalisé et Mars était né. Lui, qui s'est souvenu de me devoir sa naissance, a dit: [5,260] 'Toi aussi, tu auras ta place dans la ville de Romulus.' Peut-être penses-tu que mon règne se borne aux tendres couronnes? Ma puissance divine s'étend aussi aux champs. Si les champs ensemencés fleurissent bien, la moisson sera riche; si la vigne fleurit bien, il y aura du vin; 265 si les oliviers fleurissent bien, l'année sera très brillante, et la croissance des fruits dépend du temps de la floraison. Une fois que les fleurs sont abîmées, meurent les vesces et les fèves; meurent aussi tes lentilles, ô Nil lointain. Les vins soigneusement abrités dans de grands celliers fleurissent aussi, [5,270] avec un nuage d'écume couvrant le haut des tonneaux. Le miel est mon présent: c'est moi qui convoque sur la violette, le cytise et le thym argenté les insectes qui donneront le miel. C'est aussi mon oeuvre lorsque, dans les années de jeunesse, les âmes sont pleines de fougue et les corps pleins de vigueur.)" Trois nuits plus tard, Chiron fera paraître ses étoiles: 275 Tandis qu'elle parlait, je l'admirais en silence; alors elle dit : "Tu as le droit d'apprendre ce que tu désires savoir". "Déesse", répondis-je, "dis-moi l'origine des jeux." J'avais à peine posé ma question qu'elle me répondit : "Les autres instruments du luxe n'étant pas encore en vigueur, [5,280] était riche l'homme qui possédait du bétail ou de vastes terres (d'où les termes latins locuples et pecunia; mais déjà chacun cherchait à s'enrichir illégalement. L'habitude s'était répandue de faire paître sur le domaine public; ce fut longtemps toléré, sans entraîner aucune sanction. 285 Le peuple n'avait personne pour défendre ses droits sur le bien public; et bientôt faire paître sur ses propres terres passa pour peu avisé. On porta les délits de ce genre devant les édiles de la plèbe, les Publicii; avant cela, les gens avaient manqué de courage pour se défendre. Le peuple recouvra son bien, les coupables encoururent une amende. [5,290] Leur souci du bien public valut des éloges à ses défenseurs. On m'attribua une partie de l'amende, et avec l'approbation générale, les vainqueurs du procès instituèrent de nouveaux jeux. Une autre partie servit à aménager une pente sur un rocher escarpé; c'est maintenant un passage pratique, le Clivus Publicius." 295 J'avais cru que les spectacles avaient lieu chaque année; elle me détrompa et compléta ainsi ce qu'elle avait dit: "Nous aussi les honneurs nous touchent; nous aimons les fêtes et les autels; nous, les habitants du ciel, nous formons un groupe fort exigeant. Souvent quelque faute a rendu les dieux hostiles, [5,300] et le coupable, pour expier son délit, a dû immoler une victime. Souvent j'ai vu Jupiter, prêt déjà à lancer sa foudre, retenir son geste suite à une offrande d'encens. Mais si on nous néglige, l'injure se paie par un lourd châtiment, et notre colère est sans juste mesure. 305 Vois le descendant de Thestius: il périt consumé en l'absence de flammes, parce que l'autel de Phébé était resté dépourvu de feu. Vois le descendant de Tantale: ses voiles furent retenues par cette même déesse; c'est une vierge, et pourtant par deux fois, elle se vengea pour le mépris de ses foyers. Malheureux Hippolyte, tu aurais voulu avoir honoré Dioné, [5,310] lorsque tu fus écartelé par tes chevaux égarés. La liste serait longue des châtiments infligés aux oublis faits aux dieux. Moi aussi, les Sénateurs romains m'ont négligée. Que faire? Par quel moyen manifester ma douleur? Quelle peine exiger pour compenser l'insulte subie? 315 De tristesse, je négligeai mon rôle; je cessai de veiller sur les campagnes et la fertilité des jardins n'avait plus d'intérêt pour moi; les lis étaient tombés, on pouvait voir les violettes se flétrir et s'étioler les tiges du safran pourpré. Souvent Zéphyr me dit: 'Ne laisse pas dépérir ta dot [5,320] par ta propre faute'; mais peu m'importait ma dot. Les oliviers étaient-ils en fleurs: des vents méchants les abîmaient; les champs ensemencés fleurissaient-ils: la grêle saccageait la récolte; la vigne donnait-elle des espoirs: les Austers assombrissaient le ciel et une averse subite la dépouillait de ses feuilles. 325 Je ne voulais pas ces calamités, et dans ma colère, je n'étais pas cruelle, mais je ne prenais pas la peine de les repousser. Les Sénateurs se réunissent et promettent, au cas où la floraison de l'année serait bonne, des jeux annuels à ma divinité. Je consentis à ce voeu: le consul Laenas et le consul Postumius [5,330] s'en acquittèrent, en organisant des jeux en mon honneur. J'étais prêt à demander pourquoi, au cours de ces jeux, le libertinage était plus grand et les plaisanteries plus débridées; mais il me vint à l'esprit que Flora n'est pas une divinité sévère et que les présents qu'elle offre sont liés aux plaisirs. 335 Tous les fronts sont ceints de couronnes tressées et une table somptueuse disparaît sous un tapis de roses. Ivre, un convive, les cheveux dans un bandeau en écorce de tilleul, danse sans retenue, puisant son inspiration dans le vin. Ivre, il chante devant le seuil cruel de sa belle amie; [5,340] ses cheveux parfumés sont entrelacés de souples guirlandes. On ne fait rien de sérieux avec une couronne sur la tête, et les gens parés de guirlandes de fleurs ne boivent pas d'eau pure. Achélous, au temps où ton eau ne se mêlait pas au jus des grappes, on ne trouvait nul plaisir à cueillir des roses. 345 Bacchus aime les fleurs; sa constellation nous apprend que Bacchus a aimé la couronne d'Ariane. Des scènes légères conviennent à Flora; non, croyez-moi, elle n'est pas à ranger parmi les déesses en cothurne. Pourquoi est-ce la foule des courtisanes qui célèbrent ces jeux? [5,350] La raison n'est pas bien difficile à fournir. Flora n'est pas de ces sombres déesses, aux discours grandiloquents, elle veut que sa fête soit accessible à des choeurs populaires et nous dit de jouir de la beauté de l'âge, quand il est en sa fleur, et de ne pas nous soucier des épines une fois les roses flétries. 355 Mais, alors qu'aux fêtes de Cérès, on revêt des vêtements blancs, pourquoi Flora doit-elle être parée de toutes les couleurs? Est-ce parce que la moisson blanchit quand les épis sont mûrs, tandis que les fleurs ne sont que couleur et éclat? Elle approuva, et secouant sa chevelure, laissa tomber des fleurs [5,360] sur les tables, telles les roses que la coutume y répand. Il restait les flambeaux, dont je ne connaissais pas l'explication, mais la déesse m'arracha à mon ignorance en disant: "Les lumières ont paru convenir aux jours qui me sont consacrés: c'est que les champs sont illuminés de fleurs pourprées, 365 ou que la fleur et la flamme n'ont pas des couleurs passées mais un éclat qui attirent sur elles les regards, ou que nos plaisirs s'accommodent bien de la licence de la nuit: c'est la troisième explication qui est la vraie." "Il est encore un détail dont il me resterait à m'enquérir, [5,370] si c'était permis", dis-je; elle dit à son tour: "C'est permis". "Pourquoi lors de tes jeux, enferme-t-on dans des filets non des lionnes de Libye, mais des chèvres inoffensives et des lièvres inquiets? Elle répondit qu'elle régnait, non sur les forêts mais sur les jardins et sur les champs inaccessibles à des bêtes agressives." 375 Elle avait tout à fait fini et s'éloigna dans l'air léger, son parfum subsista: on put savoir ainsi qu'une déesse était passée. Pour que le poème de Naso fleurisse pour l'éternité, répands, je t'en prie, tes dons dans notre coeur! [5,380] c'est un être hybride, mélange d'homme et de cheval fauve. Le Pélion est une montagne d'Hémonie, exposée aux Austers: ses cimes sont vertes de pins, ses flancs sont le domaine des chênes. Le fils de Philyra y vivait; il y reste une vieille caverne de pierres, où, selon la tradition, habita ce bon vieillard. 385 C'est lui qui aurait enseigné les modulations de la lyre aux mains qui un jour devaient envoyer Hector à la mort. L'Alcide était passé (en visiteur), ses travaux en partie achevés; il ne lui restait plus que les derniers à exécuter. Ainsi le hasard avait réuni là les deux fléaux de Troie: [5,390] ici un enfant, l'Éacide, et là, un fils né de Jupiter. Le héros issu de Philyra accueille en hôte le jeune homme, et s'enquiert de la raison de sa venue; celui-ci la lui donne. Cependant, apercevant la massue et la dépouille de lion, il dit: "Héros digne de ces armes, et armes dignes de ce héros!" 395 Les mains d'Achille non plus ne purent se retenir de toucher la peau de bête toute hérissée de poils. Le vieux Chiron, lui, manipule les traits empoisonnés: une flèche tombe et se fiche dans son pied gauche. Il pousse un gémissement et retire l'arme de sa chair: [5,400] l'Alcide et l'enfant d'Hémonie gémissent à l'unisson. Lui cependant concocte des herbes cueillies sur les collines de Pagase et tente divers traitements pour atténuer sa blessure. Le poison dévorant l'emportait sur le remède; l'infection avait pénétré jusqu'aux os, dans le corps tout entier. 405 Le sang de l'hydre de Lerne mêlé au sang du Centaure ne laissait pas au remède le temps d'être efficace. Achille, le visage inondé de larmes, se tenait là, comme devant son père; ainsi aurait-il dû pleurer Pélée, s'il était mort. Sans cesse il caressait de ses mains affectueuses les mains du malade [5,410] (le maître recueillait la récompense de l'éducation qu'il avait donnée). Souvent il l'embrassait et lui répétait sur sa couche: "Vis, je t'en supplie, et ne m'abandonne pas, père bien-aimé!". Neuf jours avaient passé, quand toi, très juste Chiron, tu eus le corps entouré de deux cercles de sept étoiles. 415 La Lyre courbe aurait voulu le suivre, mais la voie n'est pas libre: trois nuits plus tard, son temps sera venu. Dans le ciel on pourra voir le Scorpion, seulement en sa partie médiane, quand nous dirons que demain se lèveront les Nones. Ensuite, quand trois fois l'étoile du soir aura montré son beau visage, [5,420] quand trois fois les étoiles vaincues auront cédé la place à Phébus, aura lieu une cérémonie à l'antique rituel, les Lémuries nocturnes: on y offrira des sacrifices aux Mânes silencieux. L'année était plus courte, et les purifications de février inconnues encore, et toi, Janus aux deux visages, tu n'étais pas le chef de file des mois. 425 Déjà pourtant on portait aux cendres des défunts les offrandes requises, et le petit-fils apaisait par des sacrifices les cendres de son aïeul décédé. C'était en Mai, mois qui tire son nom de celui des ancêtres (maiores), et qui aujourd'hui encore garde une partie de cette antique coutume. Lorsque la nuit à demi passée déjà assure un sommeil silencieux, [5,430] lorsque vous, chiens et oiseaux de toutes races, vous vous êtes tus, l'homme, fidèle à l'ancien rituel et craignant les dieux, se lève, sans porter aucune entrave à ses pieds. De son pouce placé entre ses doigts joints, il fait un signe, pour ne rencontrer, dans sa marche silencieuse, aucune ombre légère. 435 Lorsqu'il s'est lavé les mains dans l'eau d'une source pure, il fait demi-tour, après avoir pris d'abord des fèves noires et les avoir jetées derrière lui; en les jetant, il dit: "Je vous offre ces fèves; avec elles, je me rachète moi et les miens." Il prononce ceci neuf fois, sans regarder en arrière: [5,440] l'ombre est censée ramasser les fèves et suivre ses pas, sans être vue. À nouveau il touche l'eau et fait retentir le bronze de Témésa puis demande à l'ombre de quitter son toit. Lorsqu'il a dit neuf fois: "Mânes de mes pères, sortez!," il regarde derrière lui et considère que les rites sont accomplis selon les règles. 445 D'où ce jour tient-il sa dénomination, quelle en est l'origine? cela m'échappe: je dois le découvrir auprès de quelque divinité. "Fils de la Pléiade, dieu vénérable à la baguette puissante, instruis-moi: souvent tu as visité le palais de Jupiter Stygien." Le porteur du caducée que j'ai invoqué arrive. [5,450] Voici la raison du nom: je la tiens du dieu lui-même. Lorsque Romulus eut confié au tombeau les restes de son frère et rendu les honneurs dus au trop impétueux Rémus, le malheureux Faustulus et Acca, dont les cheveux étaient défaits, inondèrent de leurs larmes ses ossements calcinés; 455 ensuite, affligés, ils rentrèrent chez eux à la nuit tombante et sans plus s'étendirent sur leur couche rudimentaire. Ils crurent voir se dresser près de leur lit l'ombre sanglante de Rémus qui murmurait faiblement les paroles que voici: "C'est moi l'autre partie, la moitié de vos voeux, [5,460] voyez ce que je suis, moi qui naguère étais celui que vous savez! Si hier j'avais obtenu les oiseaux qui confèrent la royauté, j'aurais pu être le plus grand parmi mon peuple! Maintenant je suis un fantôme vain, échappé aux flammes du bûcher: voilà tout ce qui reste de l'illustre Rémus. 465 Hélas! Où est Mars, mon père? Si du moins vous avez dit la vérité, c'est lui qui nous a fait téter, enfants exposés, le lait d'une bête sauvage. Celui qu'une louve a sauvé, la main d'un citoyen audacieux l'a perdu. Ô combien plus tendre a été la louve! Cruel Céler, je souhaite que des blessures te fassent rendre l'âme [5,470] et que, comme moi tout couvert de sang, tu t'en ailles sous la terre! Mon frère n'a pas voulu cela; sa piété fraternelle est égale à la mienne; il a donné à mes Mânes ce qu'il pouvait, ses larmes. À votre tour, par vos larmes, par des offrandes de nourriture priez-le de désigner en mon honneur un jour de fête." 475 Ils veulent, tendant les bras, embrasser celui qui leur confie cette mission: l'ombre glisse et échappe aux mains qui cherchent à la saisir. Lorsque le simulacre eut fui, emportant avec lui leur sommeil, tous deux rapportent au roi les paroles de son frère. Romulus approuve et appelle Remuria ce jour-là, [5,480] où les aïeux défunts reçoivent les offrandes qui leur sont dues. La lettre dure qui était l'initiale du mot, se transforma au fil du temps en lettre douce; bientôt aussi, on appela Lemures les âmes des défunts silencieux: tel était le sens du mot, telle la force de l'expression. 485 Ces jours-là cependant, nos ancêtres fermaient les sanctuaires, comme on les voit fermés de nos jours en période funèbre. Durant cette même période, ni une veuve ni une jeune fille ne devaient songer aux torches nuptiales: celle qui s'est mariée alors n'a pas la vie longue. C'est pour cette raison aussi, si tu tiens compte des proverbes, [5,490] que le peuple dit que les malheureuses se marient en mai. Cependant ces trois jours de fête ont lieu dans la même période, sans qu' aucun d'eux toutefois ne suive immédiatement le précédent. Si au milieu de ces fêtes tu cherches à voir Orion le Béotien, tu le feras en vain; mon poème dira l'origine de cette constellation. 495 Jupiter et son frère, qui règne sur l'immense océan, ainsi que Mercure suivaient ensemble le même chemin. C'était l'heure où l'on rentre les charrues retournées sur le joug, et où l'agneau se penche pour boire le lait de la brebis repue. Le vieil Hyrieus, qui cultivait un petit champ, se trouvait justement [5,500] devant son humble chaumière, quand il les aperçut et leur dit ainsi: "La route est longue, et ce qui reste de jour n'est plus bien long; pour les étrangers, ma porte est ouverte ". Et montrant un visage conforme à ses paroles, il insista. Ils acceptèrent son invitation, sans révéler qu'ils étaient des dieux. 505 Ils pénètrent dans la demeure du vieillard, sale et noircie par la fumée. Un peu de feu couvait sous une bûche de la veille: Le vieux, un genou à terre, ravive les flammes en soufflant, apporte des morceaux de bois coupé, qu'il débite plus menus encore. Il y avait deux marmites: la plus petite contenait des fèves, l'autre du chou, [5,510] toutes deux bouillonnent, sous le couvercle qui les presse. Dans l'intervalle, le vieillard offre du vin rouge d'une main tremblante: le dieu de la mer accepte la première coupe, et la vidant, il dit: "Donne; maintenant c'est à Jupiter de boire à son tour". Au nom de Jupiter, le vieux devient livide. 515 Une fois revenu à lui, il tue le boeuf qui lui servait à labourer son petit champ et le fait griller sur un grand feu; il apporte du vin conservé dans une jarre noircie par la fumée, vin transvasé jadis dans les premières années de son enfance. Sans attendre, les dieux s'étendent sur des couchettes assez basses, [5,520] recouvertes d'une toile bourrée d'herbes de rivière. Tour à tour les plats servis et la liqueur de Lyaeus donnaient à la table de l'éclat le cratère était de terre rouge, les coupes, de bois de hêtre. Jupiter dit: "Si tu éprouves un désir, fais un voeu: il se réalisera intégralement". Le placide vieillard répondit: 525 "J'ai eu une épouse aimée, objet des soins de ma prime jeunesse; maintenant, elle a disparu. Où est-elle, demandez-vous? Dans une urne. Je lui ai fait un serment, - vous avez été pris à témoin, - et j'ai dit: 'pour moi, tu seras seule à jouir du statut d'épouse'. Je l'ai dit, et je tiens parole. Mais pourtant, j'éprouve un autre désir: [5,530] sans être un époux, je veux être père." Tous avaient approuvé d'un signe de tête. Tous s'étaient placés près de la peau du boeuf... ce serait inconvenant d'en dire davantage. Ensuite, ils recouvrirent de terre les taches humides. Bientôt, dix mois passèrent et un enfant naquit. 535 Hyrieus l'appela Urion, vu la façon dont il fut conçu; l'initiale du nom a perdu son ancienne prononciation. L'enfant avait énormément grandi: la Délienne le prit pour compagnon; il était le gardien de la déesse, son garde du corps. Des paroles imprudentes suscitent la colère des dieux. [5,540] Il avait dit: "Il n'est pas de bête sauvage que je ne puisse vaincre". Terre envoya un scorpion, qui tenta de planter les crochets de ses pinces dans la chair de la déesse, mère de jumeaux. Orion s'interposa; Latone l'ajouta aux astres brillants et dit: "Reçois cette récompense pour tes services." 545 Mais pourquoi Orion et les autres astres s'empressent-ils de quitter le ciel et pourquoi la nuit raccourcit-elle son voyage? Pourquoi le jour, précédé par Lucifer, élève-t-il, plus vite que d'habitude, son flambeau lumineux au-dessus de l'océan limpide? Je me trompe ou ai-je entendu sonner des armes? Non; des armes ont sonné. [5,550] Mars arrive et sa venue a donné le signal de la guerre. Le Vengeur en personne est descendu du ciel, pour les cérémonies à sa gloire et pour contempler son temple sur le Forum d'Auguste. Le dieu est grand et l'édifice l'est tout autant: dans la ville de son fils, Mars ne pouvait habiter une demeure autre que grande. 555 Ce temple mérite d'abriter des trophées de Géants. De cet endroit Gradivus doit faire s'ébranler les guerres cruelles, si quelque ennemi nous provoque injustement à l'Orient, ou si, du côté du couchant, quelqu'un doit être dompté. Le maître des armes aperçoit le faîte de l'imposant monument [5,560] et approuve la présence sur son sommet de dieux invaincus. Il aperçoit sur les portes des traits aux formes diverses et des armes conquises par ses soldats dans la terre entière. Puis il voit Énée portant le lourd fardeau qui lui est cher, et tant d'ancêtres de la noble famille Julia. 565 Ensuite il voit le fils d'Ilia portant sur ses épaules les armes d'un général et les actes de bravoure inscrits sous les statues des héros alignés. Il voit aussi le nom d'Auguste sur le fronton du temple, et en lisant le nom de César, il trouve l'ouvrage plus majestueux. Jeune homme, ce dernier avait fait ce voeu, quand la piété lui fit prendre les armes. [5,570] Il devait commencer son principat par des actes de cette grandeur. Tandis que se tenaient debout d'un côté les troupes légitimes, et de l'autre les conjurés, lui, tendant les mains, prononça ces paroles: "Si mon père, prêtre de Vesta, me pousse à faire la guerre et si je me prépare à venger ces deux divinités, 575 Mars, aide-moi, laisse mon arme se rassasier d'un sang scélérat, et puisse ta faveur soutenir la meilleure cause. Tu auras un temple, et si je suis vainqueur, tu seras appelé Vengeur." Il avait fait ce voeu et revint heureux, après avoir défait l'ennemi. Mais il ne se contente pas d'avoir gagné une fois ce surnom pour Mars. [5,580] Il se met à la recherche des enseignes que retient la main du Parthe. C'était un peuple protégé par ses plaines, ses chevaux, et ses flèches, inaccessible aussi grâce aux fleuves qui l'entouraient. La mort des légions de Crassus avait encore accru son ardeur, lorsque périrent en même temps soldats, général et enseignes. 585 Les enseignes romaines, emblème de la guerre, étaient aux mains du Parthe, et un ennemi était le porte-enseigne de l'aigle romaine! Cette infamie aurait subsisté jusqu'à nos jours, si la puissance de l'Ausonie n'avait été sous la protection des armées valeureuses de César. Celui-ci a effacé les anciennes marques d'infamie et un long déshonneur: [5,590] les enseignes récupérées ont reconnu les leurs. À quoi te servent maintenant ces flèches que d'habitude tu lances derrière ton dos, à quoi bon la nature des lieux et l'usage de chevaux rapides? Parthe, tu nous rends nos aigles, et, vaincu, tu nous cèdes tes arcs: tu ne possèdes plus désormais aucun gage de notre déshonneur. 595 C'est à juste titre que le dieu deux fois vengeur a reçu un temple et un titre, et cet honneur mérité a acquitté la dette d'un voeu. Quirites, célébrez les jeux solennels au Grand Cirque: une simple scène n'a pas semblé convenir au dieu vaillant. Tu verras toutes les Pléiades et la troupe entière des soeurs, [5,600] lorsqu'il ne restera plus qu'une nuit avant les Ides. C'est alors que, selon moi, sur la foi d'auteurs crédibles, commence l'été et que la saison du tiède printemps arrive à sa fin. La veille des Ides montre le Taureau soulevant sa tête d'étoiles: une légende notoire est attachée à cette constellation. 605 Sous l'apparence d'un taureau, et portant des cornes sur son front d'emprunt, Jupiter offrit son échine à une jeune fille de Tyr. Elle, de la main droite, tenait la crinière, de la gauche, son vêtement, et sa crainte même ajoutait un attrait de plus à sa beauté. La brise gonflait les plis de sa robe, la brise agitait ses blonds cheveux: [5,610] Fille de Sidon, c'est ainsi que dut te voir Jupiter. Souvent elle éloigna ses pieds de fillette de la surface de la mer, craignant les atteintes de l'eau bondissante. Souvent le dieu avisé enfonça sa croupe dans les flots, pour que la jeune fille s'agrippe plus fortement à son cou. 615 Arrivé au rivage, Jupiter se tint debout, sans cornes aucunes: le bovin qu'il était s'était transformé en dieu. Le Taureau monte au ciel; toi, fille de Sidon, Jupiter te féconde, et la troisième partie du monde porte ton nom. Selon d'autres, cette constellation est la génisse de Pharos, [5,620] qui d'être humain devint vache, et de vache déesse. Ce jour-là aussi, la coutume veut que les Vestales jettent des mannequins de jonc, figurant des hommes des premiers âges, du haut du pont de chêne. Avoir cru qu'on envoyait à la mort des vieux de soixante ans, c'est accuser nos ancêtres d'un crime infâme. 625 Une ancienne tradition, du temps où cette terre était appelée Saturnienne, rapporte ces paroles, prononcées par un vieux devin: "Envoyez en offrande au vieillard porteur de faux deux corps de cette nation, qui soient accueillis dans les eaux étrusques". Jusqu'à l'arrivée en cette contrée de l'homme de Tirynthe, [5,630] ce triste rituel à la manière de Leucade s'est accompli chaque année; on dit qu'Hercule a jeté dans l'eau des citoyens de paille, et qu'à son exemple, on jette des semblants de corps. Certains pensent que, pour laisser aux seuls hommes jeunes le droit de vote, on précipitait du pont les vieillards affaiblis. 635 "Thybris, dis-moi la vérité: tes rives sont plus anciennes que la Ville; tu dois bien connaître l'origine du rituel." Du milieu du fleuve Thybris souleva sa tête couverte de roseaux et écartant les lèvres prononça d'une voix rauque ces paroles: "Ces lieux, je les ai connus herbages abandonnés, sans murs; [5,640] des bovins paissaient çà et là sur mes deux rives; et moi, le Tibre, que maintenant les peuples connaissent et redoutent j'étais alors objet méprisé même par les troupeaux. Souvent on cite devant toi le nom d'Évandre l'Arcadien: cet étranger, à coups de rames, a battu mes eaux. 645 L'Alcide aussi est venu, avec son escorte d'Achéens: mon nom alors était Albula, si je me souviens bien. Le héros descendant de Pallas offrit l'hospitalité au jeune homme, et enfin Cacus reçut le châtiment qu'il avait mérité. Victorieux, Hercule s'éloigne emmenant ses boeufs, son butin d'Érythée; [5,650] mais ses compagnons refusent d'aller plus loin. Beaucoup d'entre eux étaient venus d'Argos qu'ils avaient désertée. Ils installent sur ces collines leurs espoirs et leur dieu tutélaire. Souvent pourtant une douce pensée pour leur patrie les effleure, et quelqu'un, en mourant, fait cette brève recommandation: 655 "Jetez-moi dans le Tibre: emporté par les flots du Tibre, j'aimerais m'en aller, vaine poussière, vers le rivage d'Inachos." Son héritier répugne à lui ménager la sépulture qu'il demande: une fois mort, il est inhumé en Ausonie, sa terre d'accueil; à la place du maître, on jette dans le Tibre son effigie en osier, [5,660] qui regagnera sa patrie grecque, après une longue traversée." Le dieu du fleuve se tut et rentra dans une grotte naturelle, toute ruisselante: ondes légères, vous avez retenu votre course. "Illustre petit-fils d'Atlas, viens à mon aide, toi qu'une Pléiade, autrefois, mit au monde pour Jupiter, dans les montagnes d'Arcadie. 665 Toi, l'arbitre de la paix et de la guerre chez les dieux célestes et infernaux, toi qui prends la route, en fixant des ailes à tes pieds, tu es heureux de jouer de la lyre, heureux aussi sur la luisante palestre, toi qui formes les langues à l'art de bien parler; nos pères t'ont élevé un temple tout proche du Cirque, [5,670] c'était le jour des Ides; depuis lors, c'est pour toi un jour de fête. Tous ceux qui font profession de vendre des marchandises t'offrent de l'encens, te demandant des bénéfices en retour." Il existe, près de la porte Capène, une fontaine de Mercure; si vous croyez ceux qui l'ont essayée, elle a un pouvoir divin. 675 Le marchand s'y rend, la tunique retroussée, et, après s'être purifié, à l'aide d'une urne exposée à des fumigations, il puise l'eau qu'il emportera. Il y trempe du laurier; de ce laurier mouillé il asperge toutes les marchandises destinées à de nouveaux propriétaires. Il asperge ses propres cheveux avec le laurier dégoulinant, [5,680] et de sa voix habituée à tromper, il poursuit par une prière: "Lave-moi de mes impostures du temps passé, lave-moi de mes mensonges d'hier! Si je t'ai pris à témoin ou si j'ai évoqué faussement la toute puissance de Jupiter, peu disposé à m'écouter, 685 si par calcul j'ai trompé quelqu'autre dieu ou déesse, puissent les souffles rapides du Notus avoir emporté mes mensonges; puissé-je, quand viendra demain, recourir encore à des parjures, sans que les dieux du ciel s'occupent de ce que je dirai. Mais, accorde-moi des gains et donne-moi la joie d'en jouir, [5,690] et rends profitables mes boniments aux acheteurs." Mercure, d'en haut, sourit à celui qui l'invoque ainsi, se souvenant d'avoir subtilisé les boeufs d'Ortygie. "Mais, révèle-moi, je t'en prie, d'autant que ma question est plus sérieuse, à quel moment Phébus pénètre dans le signe des Gémeaux." 695 "Lorsque tu verras qu'il reste dans le mois autant de jours qu'il y a de travaux d'Hercule", dit-il. Je rétorquai: "Dis-moi l'origine de cette constellation". De sa bouche éloquente, le dieu me donna cette explication: "Les frères Tyndarides avaient enlevé et emmené Phoebé [5,700] et la soeur de Phoebé; l'un était cavalier, l'autre pugiliste. Idas et son frère se préparent à combattre pour réclamer leurs fiancées, car Leucippe avait décidé de les prendre tous deux pour gendres. L'amour pousse les uns à réclamer les filles, et les autres à refuser de les rendre; de part et d'autre, on se bat pour la même cause. 705 Les Oebalides auraient pu, en courant, échapper à leurs poursuivants, mais une victoire due à une fuite rapide leur parut honteuse. L'endroit était dégagé, sans arbres, surface idéale pour un combat: ils s'étaient arrêtés à cet endroit, qui s'appelle Aphidna. La poitrine transpercée par l'épée de Lyncée, [5,710] Castor, à ce coup inattendu, s'affala sur le sol. Pollux, en vengeur, arrive et de sa lance traverse Lyncée à l'endroit où le cou se rattache directement aux épaules. Idas fonçait sur lui, et la foudre de Jupiter le repoussa avec difficulté; sans toutefois, dit-on, arracher les traits que tenait sa main. 715 Et déjà, Pollux, le ciel t'attendait, ouvert au-dessus de toi, lorsque tu dis: 'Père, écoute mes paroles: le ciel que tu m'offres à moi seul, partage-le entre nous deux; la moitié de ce présent sera plus grand que son entièreté.' Il parla, et racheta son frère, en faisant des séjours alternés. [5,720] Ces astres sont utiles, l'un et l'autre, au navire en détresse." Celui qui s'interroge sur les Agonia doit retourner à Janus: pourtant ces fêtes ont aussi leur place à cette date du calendrier. La nuit suivant ce jour, le Chien d'Érigoné disparaît. L'origine de ce signe a été expliquée en un autre endroit. 725 Le jour suivant, appelé Tubilustria, appartient à Vulcain: c'est le jour de la purification des trompettes que forge ce dieu. Ensuite à cet endroit sont notées quatre lettres qui, lues dans l'ordre, concernent soit une coutume rituelle, soit la fuite du roi. Et toi, Fortune Publique d'un peuple puissant, à qui le lendemain [5,730] un temple a été consacré, je ne te passe pas sous silence. Quand les ondes de la riche Amphitrite auront accueilli ce jour, tu verras paraître le bec de l'oiseau fauve, cher à Jupiter. L'arrivée de l'Aurore retirera le Bouvier de notre vue et, dès le jour suivant, apparaîtra la constellation d'Hyas.