[0] Lettre de Ulrich von Hutten à son ami Marquard de Hatstein, chanoine de Mayence, qui lui a annoncé la mort de Hans von Hutten. Le chevalier Ulrich von Hutten, à son ami, Marquart de Hatstein, chanoine de Mayence, salut ! [1] 1. Quelles horribles nouvelles m’annonces-tu, mon très cher ami ? Dans quel deuil me plonges-tu ? Quelle amère affliction viens-tu de jeter dans mon âme ? Jean de Hutten, ce jeune homme d’un si grand cœur tué par le duc de Würtemberg, à qui son père l’avait confié comme compagnon d’armes ! Dieux du ciel : quelle étrange, quelle atroce nouvelle ! Se pourrait-il vraiment qu’il se soit mis à haïr, au point de le tuer, celui qu’hier encore il chérissait d’une si grande affection ? 2. Mais que dis-tu ? Il l’a tué avec cruauté ? il l’a frappé de nombreuses blessures ? Alors qu’il n’avait rien fait pour mériter cela ? Alors qu’il n’était pas sur ses gardes, ni même en armes ? Il l’a pris par traîtrise ? assassiné ! Tu dis qu’on s’est ensuite déchaîné sur son corps, une fois mort, et que la vie de ce jeune homme parfaitement innocent a été marquée d’infamie par la pendaison ? Quel crime grossier ! quelle immense catastrophe ! quel insurmontable malheur ! Qu’est-ce qui pourra empêcher le vieil homme, son père, de se décider à mettre fin au plus vite à une vie désormais odieuse ? 3. Si seulement j’étais sur place ! Si je pouvais lui faire entendre les conseils de la sagesse autant que les paroles de consolation d’un ami ! Fasse le ciel que je le retrouve sain et sauf ! Car je crains que la douleur ne lui ait ravi le dernier souffle. Quand je pense à quel point son fils lui était cher, quand je me rappelle avec quel espoir il le couvait du regard ! 4. Comment sa douleur ne serait-elle pas la mienne ? C’est bien légitime ! Tu connais l’extrême bonté dont cet homme a fait preuve à mon égard ! Tu as vu avec quelle générosité il m’a aidé dans mes études ! Et même s’il n’y avait pas tout cela, qui ne serait pas touché par l’innocence de ce malheureux jeune homme ? Par cette honnêteté ? Et cette gloire cueillie au sommet des plus belles vertus ! 5. Et puis cette mort ! Si étrange, si brutale, si inhumaine ! Se trouvera-t-il donc une vengeance assez juste pour dresser contre cette espèce de bourreau tous les Hutten, tous les chevaliers de Franconie, et même toute la noblesse de Germanie ? 6. Mais lui, comment réagit-il, ce vaurien ? Il souffre ? Il a des regrets ? A moins qu’une telle férocité ne soit pas capable de repentir, et que la malice de cette homme soit si profonde qu’elle ne soit sensible à aucune incitation de la conscience ? 7. En tout cas, que peut-on attendre de César ? Permettra-t-il, qu’un crime qui dépasse toute mesure reste impuni ou au contraire peut-on croire qu’il donnera une preuve de son sens de la justice ? C’est ce que je crois, bien sûr ! Bien que parfois je craigne que ce qui aurait fait l’objet d’une enquête serrée si le malfaiteur avait nié les faits, ne soit puni avec trop d’indulgence quand il les avoue. 8. En ce qui te concerne, mène tes investigations avec soin et fais-moi savoir aussitôt par courrier ce qui se passe, et ce qu’ils préparent tous autant qu’ils sont. Pendant ce temps, moi, je vais continuer à subir ma torture, non moins baigné de larmes que trempé de sueur. Adieu ! 9. De Bad-Ems, le jour des nones de mai, en l’année 1515. (c-à-d. : le 7 mai 1515).