[8,0] LETTRE VIII. A Richer, par la grâce de Dieu, archevêque de Sens, Ives, par la même grâce, évêque de Chartres, consacré et choisi par les mains du Souverain Pontife, paix et union en l'Église Romaine, et si cette union n'existe pas, prompt retour vers elle. [8,1] Je viens de recevoir de la main de certains de vos clercs une lettre injurieuse et pleine d'amertume, marquée de votre seing et signé de votre nom. J'y ai vu avec la plus vive douleur les reproches que vous entassez, les accusations fausses que vous accumulez contre moi, et en même temps le peu de cas que vous faites de la majesté du saint siège apostolique. Vous avez en effet été invité par l'autorité apostolique à conserver la paix avec moi et à me recevoir comme un fils, et dans votre lettre vous ne me saluez ni comme un frère ni comme un coévêque, et cependant vous ai-je jamais refusé le secours d'un confrère ou l'hommage d'un fils ? Pourquoi donc appelez-vous un étranger à votre cour, pourquoi l'astreignez-vous aux liens de l'obéissance puisque vous ne le reconnaissez ni pour suffragant ni pour collègue ? A cette injure vous en ajoutez une plus grave : vous osez m'accuser d'avoir démembré le siège métropolitain. Lorsque ce rameau aride, qui ne se nourrit jamais sur la souche de l'arbre mère et qui n'eut jamais la force de porter du fruit, eut été coupé par la main du grand cultivateur, la même main qui coupa le rameau déjà mort, voulant, autant qu'elle le pouvait, non pas démembrer le tronc, mais remplacer le rameau qui n'était plus, me greffa sur le même arbre parce qu'elle avait ainsi quelque espérance de fruit et qu'elle pensait que l'arbre ne sentirait pas la blessure. S'il lui fut permis de couper sans votre permission ce qui était nuisible, comment donc serait-elle empêchée de greffer ce qu'elle espère être utile ? [8,2] Vous dites aussi dans votre lettre que j'ai usurpé le siège de Geoffroy votre coévêque : en cela vous élevez manifestement la tête contre le siège apostolique, car ce que celui-ci construit, vous faites tous vos efforts pour le détruire, et ce qu'il a détruit vous prétendez le relever. Or, s'opposer aux décisions et aux constitutions du Saint-Siège, c'est proprement encourir le soupçon d'hérésie, car il est écrit : Celui-là est hérétique qui ne marche pas d'accord avec l'Église Romaine. Puis vous songez mal à votre réputation. Quoi ! ce bouc émissaire dont les adultères, les fornications, les parjures, les trahisons ont été publiés dans toute l'Église Latine ; qui, pour ces crimes et autres semblables, a été condamné par le siège apostolique, de sorte que, ne pouvant s'en laver, il a dû rendre son bâton pastoral et son anneau ; contre qui enfin a été prononcé ce décret apostolique que vous avez reçu : Quiconque à l'avenir aidera Geoffroy déposé à infester ou à envahir de nouveau le diocèse de Chartres, nous le regarderons comme excommunié : c'est cet homme que vous appelez encore évêque, à qui vous prétendez rendre l'épiscopat ! Mais défendre ses méfaits, n'est-ce pas provoquer contre soi-même une sentence semblable de condamnation ? Car si, selon l'Apôtre, il suffit pour être condamné de donner son consentement aux péchés d'autrui, combien plus n'est-on pas coupable quand on les favorise et qu'on les défend ? Et le bouclier de l'ignorance ne peut vous protéger, car, comme je l'ai dit, les crimes de Geoffroy sont connus, non pas seulement des Églises de la Gaule Lyonnaise, mais presque de toutes les Églises de la langue latine. [8,3] Il est dans votre lettre un passage où, très certainement et très irrévérencieusement, vous avez osé élever un visage insolent vers le ciel tandis que votre langue restait sur la terre, c'est lorsqu'en parlant de la bénédiction donnée par l'imposition des mains du Pape et des cardinaux de l'Église Romaine, vous ne dites pas simplement la bénédiction, mais, par une dérision hostile, vous l'appelez une bénédiction telle quelle. C'est cependant à la cour de Rome qu'il appartient toujours et partout de confirmer ou d'infirmer la consécration tant des métropolitains que des autres évêques, de réviser vos constitutions et vos jugements, tandis qu'elle maintient ses décisions sans appel et ne les soumet à l'appréciation d'aucune juridiction intérieure. C'est ainsi qu'au sujet de l'infaillibilité des décisions du siège apostolique, le pape Gélase, dans une lettre adressée à maître Faustus à propos de la juste déposition d'Acarius, écrit ce qui suit : Ils nous opposent les canons, mais ils ne savent ce qu'ils disent. Quelle meilleure preuve de leur mépris pour les canons que leurs attaques contre les décisions saines et justes du siège souverain ? Ce sont les canons eux-mêmes qui ont voulu que les appellations de toute l'Église fussent soumises à l'examen du Saint-Siège : mais en même temps ils ont statué que celui-ci décidait sans appel et qu'il avait le droit de jugement sur toute l'Église tandis qu'il n'était assujetti au jugement de personne. Nulle part ils n'ont permis qu'on réformât ses sentences : non seulement ils ont déclaré que ses décisions ne pouvaient être cassées, mais encore ils ont ordonné d'obéir à ses décrets. Et peu après : Sur quelle antique tradition s'appuient-ils pour appeler en jugement le siège apostolique ? Et encore : Qu'ils cherchent donc s'ils ont d'autres canons pour étayer leurs inepties. Aucun de ceux qui sont réputés saints, authentiques et légitimes ne permet d'appeler en jugement le siège apostolique. De même Grégoire, dans une lettre adressée aux fidèles de Gaule à propos d'Aldric, évêque du Mans, s'exprime ainsi : Que personne ne juge Aldric ni ne tente de le juger. Que si, ce qu'à Dieu ne plaise, quelque chose de grave et d'intolérable lui est reproché, qu'on attende notre censure, afin que celui qui se réfugie dans le sein de la sainte Église Romaine et qui implore son secours, n'ait rien à redouter avant que l'autorité de celle-ci se soit prononça. Car si l'Église Romaine a substitué à elle-même les autres Églises, c'est afin qu'elles partageassent ses travaux, mais non pour qu'elles entrassent dans la plénitude de son pouvoir. Que votre affection dont le dévouement fait notre joie s'unisse à nous pour faire respecter nos décisions. Et plus loin : Ne craignez point, ne rougissez point d'obéir à nos mandements ou de vous conformer aux ordres du siège apostolique, car la grâce est donnée aux humbles, et non aux superbes. Il n'est permis à personne de vouloir ou de pouvoir transgresser les préceptes du siège apostolique ou les dispositions de notre ministère, auxquelles votre charité doit se soumettre. Qu'il soit donc accablé de la douleur de sa ruine celui qui voudra s'opposer aux décrets apostoliques ; qu'il n'ait plus place au milieu des prêtres, mais qu'il soit expulsé du saint ministère et que personne n'ait à l'avenir souci de ses jugements ; que tous sachent bien qu'il est condamné par l'autorité de la sainte Église apostolique, à cause de sa désobéissance et de son orgueil. [8,4] C'est aussi à tort que votre lettre m'accuse de désobéissance : car depuis que les lettres du seigneur Pape m'ont commandé d'obéir à votre paternité, votre paternelle admonition n'a pu me reprocher aucun acte de désobéissance parce qu'elle n'en a connu aucun. Vous me reprochez calomnieusement d'avoir été demander ailleurs la bénédiction ; voici toute la vérité : Je n'ai sollicité ni l'épiscopat ni la bénédiction épiscopale de vous ni d'aucun autre, c'est vrai ; mais, par le libre choix des clercs d'abord, puis par la volonté impérieuse du roi je fus présenté pour l'évêché ; après avoir reçu du roi le bâton pastoral, je fus amené à l'église de Chartres ; enfin, comme, malgré les prières réitérées des clercs, vous refusiez de fixer un jour pour ma consécration, on me donna le conseil de ne point accorder mon assentiment à l'élection qu'ils avaient faite de ma personne, jusqu'à ce que je fusse certain et de la déposition de Geoffroy et de la volonté du Souverain-Pontife. M'étant donc rendu près de celui-ci, l'autorité apostolique m'accorda à la demande de l'Église de Chartres et me consacra évêque. [8,5] Fort de cette puissante autorité, bien que j'aie été provoqué plutôt que convoqué canoniquement, bien que j'aie été injurié dans moi-même et dans mon chef, qui est aussi le vôtre, si tant est qu'il le soit encore, je serai prêt, en temps opportun et en lieu sûr, dans les limites de la province de Sens ou même à Etampes, si l'on me donne de la part du seigneur roi et de la vôtre, à cause des ennemis qui m'entourent, un protecteur sûr, le comte Etienne par exemple, je serai prêt, dis-je, à aller vers vous, et, autant que le permettra la révérence due au siège apostolique, à répondre à vos objections, que je vous prie de réserver pour cette entrevue. Que la paix de Dieu qui surpasse tout sentiment garde votre cœur et votre intelligence, afin que l'obéissance que vous montrerez envers vos prélats nous enseigne l'obéissance et la parfaite soumission envers vous.