[9,0] LIVRE IX. [9,1] I. 1.... De ce nombre fut Cratès, célèbre grammairien, qui, s'appuyant de l'autorité du judicieux Chrysippe, à qui nous devons six livres sur l'anomalie, attaqua Aristarque et l'analogie; mais, ses écrits le font assez voir, il ne démêla pas l'intention de Chrysippe et d'Aristarque. Le premier, en effet, dans son traité sur l'anomalie, se propose de démontrer que souvent des mots dissemblables désignent des choses semblables, et réciproquement, ce qui est vrai; et le second, dans son traité sur l'analogie, veut qu'on suive la dérivation des mots, autant que l'usage peut le permettre. 2. Or, ceux qui veulent que, dans le langage, on suive en partie l'usage, en partie l'analogie, ne doivent pas être accusés d'inconséquence, parce que l'usage et l'analogie ont plus d'affinité qu'on ne pense. 3. L'analogie et l'anomalie sont nées, jusqu'à un certain point, de l'usage. Or, l'usage ayant pour fondement ce double principe, il s'ensuit qu'on ne doit rejeter ni l'anomalie ni l'analogie. De ce que l'homme est composé d'une âme et d'un corps, serait-il raisonnable d'induire que l'homme n’a point d'âme? 4. Mais, pour rendre mon explication plus claire, et prévenir la confusion dans laquelle tombent ordinairement les partisans des deux opinions, je distingue trois espèces de rapports : 1° le rapport de la nature et de l'usage, dont les conséquences sont différentes; car autre chose est de montrer les analogies des mots, autre chose de dire qu'il faut se conformer à l'analogie; 2° le rapport du général et du particulier: l'analogie doit-elle s'étendre à tous les mots ou seulement au plus grand nombre? 3° le rapport des personnes entre elles, par suite duquel la minorité doit céder à la majorité. 5. En effet, autre est le peuple entier, autre l'individu; autre est la condition du poète, autre celle de l'orateur; car ils ne sont pas soumis aux mêmes lois. Ainsi le peuple entier doit, dans toute espèce de mots, se conformer à l'analogie, et si l'usage est vicieux, se corriger; mais l'orateur est tenu d'y déroger quelquefois, et le poète peut impunément franchir les barrières. 6. Le peuple relève de lui seul, tandis que l'individu relève du peuple; de sorte que le peuple peut corriger sa manière de parler, de même que chaque individu peut corriger la sienne propre, si elle est vicieuse. Je n'ai pas le droit d'imposer mon usage au peuple; mais le peuple a le droit de m'imposer le sien. De même qu'un pilote obéit à l'art et à la raison, et que les gens de l'équipage obéissent au pilote, de même le peuple doit obéir à la raison, et chaque individu au peuple. C'est pourquoi si vous avez soin de distinguer les principes d'où je déduirai tour à tour mes conclusions, vous comprendrez aisément quand je me bornerai à constater ce qu'exigerait l'analogie, et quand je dirai qu'il faut s'y conformer; et, dans le cas où l'usage doit céder à l'analogie quand je parlerai relativement au peuple entier et quand je parlerai relativement à l'individu. [9,2] II. 7. Je traiterai d'abord de l'analogie, en faisant voir ce qui me semble la justifier et nous faire une loi de la suivre, jusqu'à un certain point, dans l'usage. Ensuite, passant aux griefs dont elle est l'objet, je les combattrai l'un après l'autre, en opposant, à ce que j'ai dit dans le livre précédent contre l'analogie, les raisons contraires qui la justifient, et que je n'ai point données dans le même livre. [9,3] III. 8. On dit que, pour bien parler, il faut se conformer à l'usage et non à l'analogie, parce que, en ne se conformant pas à l'usage, on déplaît toujours, et parce que, en suivant l'analogie, on s'expose souvent à déplaire. Ce raisonnement est mal fondé, en ce que ceux qui se conforment à un usage bon en lui-même suivent en même temps l'analogie. [9,4] IV. 9. En effet, dans les déclinaisons où l'analogie et l'usage sont d'accord, nous suivons à la fois deux guides, et lorsque la déclinaison est défectueuse, nous réformons l'usage d'après l'analogie. De même que, dans la disposition d'une salle à trois lits, si la forme d'un des lits n'est pas semblable à celle des deux autres, ou si leur dimension n'est pas la même, nous réformons cette inégalité en consultant et l'usage et l'analogie; de même si, dans le langage, nous pêchons contre la similitude, nous devons corriger cette anomalie d'après la loi d'analogie qui régit les autres mots. [9,5] V. 10. On peut pécher dans Ies déclinaisons de deux manières, ou en suivant un usage vicieux ou en tombant dans une anomalie que l'usage n'a pas encore sanctionnée. Dans le premier cas, on s'accorde qu'il n'est pas permis de déroger à l'usage, dans le second, on conteste le droit de persister dans une anomalie que l'usage n'a pas accréditée : de même qu'on permettrait de corriger le défaut d'un enfant qui s'amuserait à marcher de travers et à imiter l'allure de ceux qui ont les jambes tortues, et qu'on ne permettrait pas de remédier au même défaut, qui se serait invétéré par l'habitude. 11. Il faudrait donc conclure de là qu'on cède à une tendresse peu judicieuse, en attachant des éclisses aux genoux des enfants, pour corriger les imperfections de la nature. Or, on n'a jamais blâmé un médecin d'avoir guéri quelqu'un d'une maladie invétérée : pourquoi donc blâmerait-on celui qui réformerait un vice de langage, accrédité par l'usage. [9,6] VI. 12. On n'a jamais reproché à Apelle, à Protogène, et autres peintres célèbres, de s'être écartés de la manière de leurs devanciers, tels que Mycon, Dioris, Arimna: pourquoi reprocherait-on à Aristophane d'avoir préféré la vérité à l'usage ? [9,7] VII. 13. Que si on a fait un titre de gloire à des hommes distingués dans la guerre ou dans d'autres arts d'avoir souvent dérogé au vieil usage, il faut donc rejeter l'opinion de ceux qui prétendent que l'usage doit l'emporter sur la raison. [9,8] VIII. 14. Quoi ! non seulement nous ne souffrons, mais encore nous punissons un citoyen qui a contracté l'habitude d'une conduite vicieuse; et nous ne corrigerions pas celui qui a contracté l'habitude d'un langage défectueux, d'autant que cette correction n'est accompagnée d'aucun châtiment? [9,9] IX. 15. Nous envoyons les enfants aux écoles pour apprendre l'orthographe, et nous n'enseignerions pas aux hommes ignorants les règles du langage ? [9,10] X. 16. De même qu'une nourrice n'ôte pas brusquement l'usage du lait à un enfant, mais le déshabitue peu à peu de cet aliment en l'accoutumant par degrés à un aliment plus fort; de même, dans la correction du langage des hommes, la transition doit être graduelle et mesurée. Les vices du langage sont peu ou profondément enracinés. Dans le premier cas, il faut s'empresser de les corriger; dans le second, il faut s'abstenir, autant que possible, de faire usage des locutions dont la réforme demande du temps : en s'oblitérant par la désuétude, elles deviendront ultérieurement plus susceptibles de correction. [9,11] XI. 17. Le forum rejette ordinairement certaines locutions que l'esprit d'analogie veut introduire; mais alors c'est aux poètes, qui en cela ont beaucoup d'influence, et surtout aux poètes scéniques, d'accoutumer les oreilles du peuple à ces réformes du langage. SI la déclinaison de certains mots s'améliore ou se corrompt, c'est aux poètes qu'il faut en attribuer la cause. En effet, l'usage est sujet à la mutabilité, qui est une condition du mouvement, et partant sujet à se corrompre ou à se perfectionner. Quant à l'influence des poètes, elle est telle qu'ils ont non seulement accrédité des mots anciens qui étaient défectueux, mais qu'ils ont encore contribué à l'altération de mots qui ne l'étaient pas. [9,12] XII. 18. Suivons donc ceux qui nous rappellent à l'usage, si cet usage est bon; car, en suivant l'usage, nous suivrons aussi l'analogie. Mais si l'usage est vicieux, qu'il en soit alors pour nous de cet usage comme des mauvais exemples, qu'il ne faut suivre que par nécessité et malgré nous. [9,13] XIII. Lysippe ne crut jamais que le mauvais exemple de ses devanciers dût prévaloir contre l'art. S'il est du devoir du peuple entier de se corriger, l'individu peut donner l'exemple de la réforme, en tant qu'il ne choque pas ouvertement l'usage général. 19. Afin d'effacer jusqu'à la trace des mots perdus, les adversaires de l'analogie non seulement s'abstiennent de toute investigation, mais encore se déclarent contre l'apparence du moindre indice qui pourrait faire retrouver un mot. 20. L'introduction d'un mot nouveau, avoué par la raison et l'analogie, ne doit pas être rejetée. [9,14] XIV. Voit-on que, dans les vêtements, dans les édifices, dans les meubles, la longue habitude soit un obstacle à la nouveauté? Qui a jamais aimé ses vieux habits au point de n'en vouloir point changer? [9,15] XV. Les anciennes lois ne sont-elles pas souvent abrogées, et remplacées par d'autres ? [9,16] XVI. 21. La forme nouvelle des vases grecs a remplacé la forme ancienne de nos pots et de nos tasses : pourquoi se refuserait-on à adopter des mots nouveaux, conseillés par la raison, comme si ces mots étaient empoisonnés? En quoi le sens de la vue est-il si différent du sens de l'ouïe, qu'il soit permis à l'oeil de se récréer par la nouveauté, et que ce plaisir soit refusé à l'oreille? [9,17] XVII. 22. Où sont les maîtres qui donnent aujourd'hui à leurs esclaves des noms tombés en désuétude? Où est la femme qui, en parlant de sa parure ou de ses bijoux, se sert des noms de l'ancien temps? Toutefois il faut moins s'indigner contre ce qui est suranné que contre les défenseurs de ce qui est suranné. 23. Si l'analogie ne se trouvait nulle part, elle ne se trouverait pas plus dans les mots qu'ailleurs ; mais si, comme de fait, elle se trouve partout, elle existe nécessairement dans les mots. [9,18] XVIII. Quelle est la partie du monde où les analogies n'abondent? Le ciel, la mer, la terre, l'air, en sont remplis, ainsi que tout ce qu'ils renferment. 4. Le cercle équinoxial n'est-il pas à égal distance des deux tropiques ? Le pôle supérieur n'est-il pas à la même distance du cercle septentrional, et le cercle septentrional, du solstice d'été, que le pôle inférieur l'est du cercle antarctique, et le cercle antarctique, du solstice d'hiver? Les autres ne recommencent-ils pas chaque année leur cours de la même manière? 25. La ligne que décrit le soleil en allant du solstice d'hiver à l'équinoxe, est-elle différente de celle qu'il décrit en revenant du solstice d'été au même point ? En s'éloignant du soleil pour aller vers le nord, et du nord pour retourner vers le soleil, la lune n'accomplit-elle pas la même révolution qu'en s'éloignant du soleil pour aller vers le midi, et du midi pour retourner vers le soleil? Mais je laisse le ciel, où il serait fort difficile de découvrir la moindre anomalie dans le cours des astres. [9,19] XIX. 26. Jetons les yeux sur la mer, et considérons les mouvements alternatifs de ses eaux, qui s'avancent et se retirent de six heures en six heures. Chaque jour ne ramène-t-il pas les mêmes oscillations journalières, et chaque mois à son tour ne ramène-t-il pas les mêmes mouvements mensuels? J'ai parlé de ces phénomènes dans mon traité sur les marées. [9,20] XX. 27. La terre nous présente la même concordance : elle s'enrichit chaque année des mêmes fruits qu'elle a portés dans les années précédentes; elle rend avec la même usure le froment et l'orge dont elle a repu la semence. L'Asie n'a-t-elle pas, comme l'Europe, des fleuves, des lacs, des montagnes, des champs? [9,21] XXI. 28. La même loi ne se retrouve-t-elle pas dans les différentes espèces des oiseaux? L'aigle naît de l'aigle; la grive, de la grive; et ainsi des autres oiseaux. [9,22] XXII. Nous pouvons encore admirer cette harmonie dans l'air et dans les eaux : les coquillages, ces poissons innombrables, ne sont-ils pas semblables entre eux dans chaque espèce? Voit-on la lamproie donner naissance au loup marin, ou à quelque autre poisson d'une espère différente? Le taureau ne ressemble-t-il pas au taureau? le veau ne naît-il pas semblable au veau? Même, dans les produits de l'accouplement de deux espèces différentes, la nature sait conserver la loi des rapports; et, de même que l'accouplement d'un âne et d'une jument donne naissance à un mulet ou à une mule, l'accouplement d'un cheval et d'une ânesse donne naissance à un animal d'une nature correspondante (hinnuleus). [9,23] XXIII. 29 L'homme et la femme ne produisent-ils pas des êtres semblables à eux, c'est-à-dire des hommes et des femmes? la forme de leurs membres n'est-elle pas semblable selon chaque espèce ? Hommes et femmes, nous sommes tous composés d'une âme et d'un corps, et chaque partie de cette âme et de ce corps se ressemble dans tous. 30. L'âme de chaque homme ou de chaque femme est composée de huit parties, et toutes ces parties sont les mêmes dans chaque homme et dans chaque femme. Cinq de ces parties sont les organes de la sensation ; la sixième est celui de la pensée; la septième, celui de la génération; la huitième, celui de la voix. Or, puisque la voix est l'organe du langage, le langage doit naturellement comporter la loi de l'analogie; donc le langage est sujet à l'analogie. [9,24] XXIV. 31. Les Latins ne distinguent-ils pas, comme les Grecs, quatre espèces de mots : ceux qui ont des cas, ceux qui ont des temps, ceux qui n'ont ni cas ni temps, ceux enfin qui ont des cas et des temps? Chez les Latins,comme chez les Grecs, les mots ne se divisent-ils pas en définis et en indéfinis? 32. Qui n'a pas remarqué la conformité qui se retrouve dans les innombrables formes des verbes, cette triplicité de temps et de personnes, [9,25] XXV. comme legebam, lego, legam ; lego, legis, legit, qui se reproduit encore au pluriel; enfin cette analogie toujours subsistante dans la diversité des modifications, qui présentent tour a tour l'idée de commandement, de désir, d'interrogation, d'imparfait, de parfait, etc.? [9,26] XXVI. 33. Nier la loi de l'analogie, c'est donc méconnaître la nature, non seulement du langage, mais du monde; de même que reconnaître l'existence de l'analogie sans vouloir s'y conformer, c'est agir, non contre l'analogie, mais contre la nature elle-même. Enfin, c'est combattre avec une pincette a épiler, et non avec une épée, que d'éplucher le langage vulgaire, et de citer quelques mots usés, pour ainsi dire, par le frottement, pour prouver que l'analogie n'existe pas. Autant vaudrait conclure, par exemple, de la difformité d'un taureau sans cornes, d'un homme borgne, ou d'un cheval boiteux, que la nature des taureaux, des hommes et des chevaux n'est point soumise à la loi de l'analogie. [9,27] XXVII. 34. Il y a, dit-on, deux sortes d'analogie : une analogie naturelle, comme celle qui régit la reproduction des plantes et fait qu'une lentille naît d'une lentille, etc.; une analogie volontaire, comme celle qui préside, par exemple, à la construction d'un théâtre, où l'architecte pratique, selon sa volonté, une entrée à droite, et une autre entrée correspondante à gauche. Les auteurs de cette distinction en concluent que l'analogie naturelle, comme celle qui règle, par exemple, les révolutions célestes, mérite seule le nom d'analogie, et que l'autre ne doit pas être regardée comme une analogie, parce que la structure d'un théâtre dépend uniquement de la volonté de l'architecte ; qu'ainsi la loi de l'analogie se trouve dans le corps humain, parce que c'est la nature qui en a disposé les parties; mais qu'elle ne se trouve pas dans le langage, parce qu'il a pour origine la volonté des hommes, qui, par exemple, en Grèce, en Syrie, en Italie, désignent les mêmes choses par des mots différents. Selon moi, les déclinaisons des mots sont à la fois volontaires et naturelles : volontaires, dans la création des mots qui servent à désigner les choses, comme Roma, de Romulus; Tiburtes (habitants de Tibur), de Tibur; naturelles, dans les modifications qui servent à désigner les cas ou les temps, comme Romulo, Romuli, Romulum; de Romulus; dicebam, dixeram, de dico. 35. C'est pourquoi les déclinaisons volontaires sont variables, et les déclinaisons naturelles, invariables. Or, comme il est incontestable que ce double caractère d'unité et de variété existe dans le langage, puisqu'il existe dans toutes les parties de l'univers, il faut reconnaître que les déclinaisons sont soumises à l'analogie, d'autant qu'elles sont innombrables. Il ne s'ensuit pas qu'on doive y ramener tout d'abord tous les mots irréguliers; car si, en voulant réformer un usage vicieux, on s'expose à choquer tout le monde, la raison nous fait alors un devoir de ne pas suivre la raison. [9,28] XXVIII. 36. J'ai suffisamment discuté les raisons générales qui constatent que le langage est soumis à l'analogie, et déterminent les bornes dans lesquelles doit se renfermer l'observation de cette loi. Je passe à la discussion des griefs auxquels les mots, pris en particulier, ont pu donner lieu contre l'analogie. 37. Remarquez d'abord que les mots sont, dans leurs déclinaisons, assujettis naturellement à quatre conditions. En effet, tout mot doit être la signification d'une chose, cette chose doit être en usage; la nature du mot doit être déclinable; enfin le mot doit conserver dans ses déclinaisons, la trace de sa forme radicale. 38. Ainsi on aurait tort de vouloir qu'on dît terrus, par dérivation de terra (terre) parce qu'ici rien ne comporte naturellement la distinction du genre masculin et du genre féminin. De même, rien n'exige qu'on dise faba (fève) au pluriel, de même qu'on dit Terentius, Terentii, parce qu'on distingue un homme d'un homme et qu'on ne distingue pas une fève d'une autre fève. De ce qu'on dit Terentius, Terentium, il ne s'ensuit pas qu'il faille décliner les noms des lettres de l'alphabet, parce que la nature de chaque mot ne comporte pas nécessairement la déclinaison. 39. Dans l'examen de deux mots de forme semblable, il ne faut pas seulement considérer leur ressemblance apparente, mais il faut encore tenir compte de leur valeur intrinsèque. Ainsi la laine gauloise et la laine d'Apulie paraissent semblables à celui qui ne sait en juger que sur l'apparence ; mais le connaisseur ne cesse pas d'acheter, quoique à un prix plus élevé la laine d'Apulie, parce que celle-ci est d'un meilleur usage. Ces différents points, que je n'ai fait qu'effleurer, auront leur éclaircissement. Je commencerai par ce dernier. [9,29] XXIX. 40. Est-ce dans la forme du mot ou dans sa signification que consiste la similitude? Je répondrais que c'est dans la forme du mot. Quelquefois il est vrai, nous voulons savoir si les choses que les mots désignent sont semblables en genre, et alors nous comparons un nom masculin avec un nom masculin, un nom féminin avec un nom féminin, non que la chose signifiée nous importe, mais parce qu'il arrive assez souvent que des mots dissemblables ont des formes semblables, et réciproquement. Ainsi nous disons, d'après la forme que telle ou telle chaussure est une chaussure d'homme ou de femme, quoique nous sachions bien que quelquefois des hommes portent des chaussures de femme, et réciproquement. 41. Ainsi Perpenna et Alphena ont une forme féminine, quoique le premier soit un nom d'homme et le second un nom de femme; et les mots paries (mur) et abies (sapin), quoique semblables quant à la forme, diffèrent quant au genre, car le premier est masculin et le second féminin, et désignent deux choses qui ne sont ni de genre masculin ni du genre féminin. C'est pourquoi nous disons qu'un mot est masculin, non parce qu'il désigne un être de nature mâle, mais parce qu'il peut être précédé de hic ou hi et pareillement nous disons qu'un mot est féminin, non parce qu'il désigne un être féminin mais parce qu'il peut être précédé de haec ou de hae. [9,30] XXX. 42. C'est donc faire une objection oiseuse que de dire que Theona et Diona ne sont pas des noms semblables, parce que l'un peut désigner un homme noir, et l'autre un homme blanc; car c'est juger de la forme des mots par la dissimilitude des choses qu'il désigne. [9,31] XXXI. 43. Aristarque a tort, dit-on, d'enseigner que, pour connaître si deux noms sont semblables, il faut considérer, non seulement le nominatif, mais encore les cas obliques : en quoi, ajoutent ses adversaires, il est aussi ridicule qu'un homme qui prétendrait ne pouvoir juger s'il y a ressemblance entre un père et une mère, qu'après avoir vu les enfants. Ce raisonnement manque de justesse, parce que les cas obliques ne servent pas à faire naître les rapports apparents des nominatifs, mais leurs rapports intrinsèques; de même qu'une lumière, apportée dans les ténèbres, ne change pas la forme des choses qui y étaient cachées, mais sert à distinguer si ces choses sont plus ou moins semblables. 44. Quoi de plus semblable en apparence que les désinences de crux et de Phryx ? l'oreille ne peut en distinguer la différence. Cependant cruces et Phryges, cruci et Phrygi, nous font sentir que crux et Phryx ne sont pas semblables. [9,32] XXXII. 45. On objecte, contre l'existence de l'analogie, que la similitude ne se retrouve pas dans la majorité des mots. Cette objection est doublement erronée : d'abord, parce qu'il est faux que la similitude ne domine pas dans le langage; en second lieu, parce que, dans la supposition contraire, l'analogie ne laisserait pas d'exister. Autant vaudrait dire que nous ne portons pas de chaussures, parce que nos chaussures ne couvrent qu'une petite partie de notre corps. [9,33] XXXIII. 46. Nous aimons, dit-on, la dissimilitude, et la variété nous plaît dans les meubles, dans les vêtements, qui ne sont pas les mêmes pour les hommes que pour les femmes. A cela je réponds que si la variété est une cause de plaisir, rien n'est plus varié que les objets où la similitude s'allie à la dissimilitude. C'est le but qu'on se propose dans les ornements du langage, comme dans les ornements d'un meuble, où le contraste de l'argent et du bois n'exclut pas la similitude. 47. Mais pourquoi, dit-on, si la similitude est une loi inviolable, prenons-nous plaisir à avoir des lits en ivoire, en écaille, etc. ? A cela je réponds pareillement que, dans cette variété, le contraste n'exclut pas davantage la parité; et je prends encore l'ameublement pour exemple. Dans une salle à trois lits, ces trois lits ne sont-ils pas toujours de la même matière, de la même hauteur, de la même forme? Les serviettes, les coussins, enfin toutes les choses qui sont de la même espèce ne sont-elles pas semblables entre elles? 48. Mais, dit-on, puisque le langage a pour fin l'utilité, c'est l'utilité, et non la similitude, qu'on doit se proposer en parlant. J'accorde que le langage a pour fin l'utilité, mais qu'il en est du langage comme de l'habillement. Ainsi, chez les hommes, la tunique et la toge ont une forme commune; et, chez les femmes, l'étole et le pallium ont également une forme commune. Pareillement, dans le langage, quoique les mots aient été créés pour l'utilité, nous devons observer la similitude dans ceux qui sont du genre masculin et dans ceux qui sont du genre féminin... [9,34] XXXIV. 49. On infère de ce que la déclinaison de... et de percubuit, n'est pas conforme à celle de persedit et de perstitit, que l'analogie n'existe pas. Or, cette induction est fausse, en ce que persedit et ... n'ont point la même racine que persedit et perstitit, l'analogie consistant seulement dans la conformité des dérivés et des racines. [9,35] XXXV. 50. Les objections tirées de ce qu'on dit Roma et non Romula, de Romulus, et de ce qu'on dit ovilia de ovis, tandis que bovilia, de bos, bovis, est inusité, ne sont pas mieux fondées, parce que l'analogie ne consiste pas à étendre la forme du nominatif d'un mot à un autre mot, mais seulement à observer la similitude dans les cas obliques de deux mots semblables. [9,36] XXXVI. 51. On ne décline pas, dit-on, les noms des lettres latines, et par conséquent l'analogie n'existe pas. Je réponds que, en prétendant qu'on doit décliner des mots dont la nature ne comporte pas la déclinaison, on oublie que l'analogie consiste uniquement dans la conformité de la déclinaison des mots semblables. Or, les noms des lettres ne sont pas plus susceptibles de déclinaison que les syllabes, dont la forme est naturellement invariable : hoc ba, huius ba et autres. 52. Que si l'on veut que l'analogie s'étende à tout sans exception, j'y consens; car, de même que mes adversaires eux-mêmes reconnaissent qu'il y a des mots qui ont cinq cas, d'autres quatre, d'autres moins, on peut dire aussi qu'il y a des mots qui, comme les lettres et les syllabes, n'ont qu'un cas ; et par conséquent, de même que, parmi les mots qui ont plusieurs cas, ils comparent entre eux, pour constater l'existence de l'analogie, ceux qui en ont quatre, ceux qui en ont trois, etc., de même, parmi ceux qui n'en ont qu'un, ils seront forcés de reconnaître qu'en disant hoc E, huic E, comme on dit hoc A, huic A, l'analogie est observée. [9,37] XXXVII. 53. On objecte encore qu'Il y a des mots qui, comme caput (tête), ont une déclinaison, mais n'ont point d'analogues. Je réponds que ce qui est unique exclut nécessairement l'idée de rapport, et qu'il faut au moins deux mots pour qu'il y ait matière à analogie. Aussi a-t-on raison de dire que l'analogie ne se trouve pas là. 54. Mais quant à nihil, on retrouve la trace de son analogie dans le cas direct nihilum, qui se lit dans ce passage d'Ennius : Quae... neque dispendi facit hilum, qui équivaut à nec dispendii facit quidquam; et dans le cas oblique, nihili, dont s'est servi Plaute : Video enim te nihili, etc. Nihili est un mot composé de la négation non et de hili : de là homo nihili, un homme de rien, qui non hili est. Il est indéclinable, et nous disons homo nihili, hominis nihili, hominem nihili. S'il était déclinable, nous dirions nihilum et nihilo, comme on dit linum et libum, lino et libo. On pourrait, au reste, y voir un génitif régi par des antécédents, comme dans hic casus Terentii, hunc casum Terentii; hic miles legionis, hujus militis legionis, hunc militem legionis. [9,38] XXXVIII. 55. Puisque toute nature est ou mâle ou femelle ou neutre, les formes de chaque mot devraient, dit-on, correspondre à cette triple distinction, comme albus, alba, album. Or beaucoup de mots n'ont que deux formes, comme Metellus, Metella; Ennius, Ennia; d'autres n'ont qu'une, comme tragoedia, comoedia. On dit Marcus et Numerius, corvus et turdus (grive); mais Marca et Numeria, corva et turda, sont inusités. On dit, au contraire, panthera et merula (merle), et l'on ne dit pas pantherus et merulus. Le sexe de nos enfants est toujours désigné par des noms distincts, comme Terentius et Terentia. Il n'en est pas de même des enfants des dieux et des esclaves. Ainsi l'on ne dit pas Jovis ou Jova, pour désigner un fils ou une fille du maître des dieux. Enfin, dans une foule de mots de cette espèce, l'analogie n'est point observée. 56. A cela je réponds que, bien que les différences naturelles des choses ne laissent pas d'exister indépendamment des mots, ces distinctions ne passent pas dans le langage, lorsque l'usage n'en tient pas compte. Ainsi on dit equus (cheval) et equa (cavale), parce que, dans l'usage, on distingue le mâle de la femelle; mais on dit corvus (corbeau) pour désigner le mâle et la femelle, parce que la distinction de la nature mâle et femelle de cet oiseau nous importe peu. C'est pourquoi certains noms ont, avec le temps, subi des modifications. Anciennement columba (colombe) désignait indistinctement le mâle et la femelle, parce que cet oiseau n'était d'aucun usage; mais aujourd'hui qu'il est devenu une chose d'usage, le langage a dû adopter la distinction de la nature: aussi dit-on columbus pour le mâle, et columba pour la femelle. 57. Lorsque la nature d'une chose comporte les trois genres, cette distinction doit passer dans le langage. Ainsi l'on dit doctus, docta, doctum, parce que la science peut être considérée, ou par rapport à une chose, ou par rapport à un homme, ou par rapport à une femme. La nature mâle, ni la nature féminine, ni la nature neutre, ne comportent ces trois genres. C'est pourquoi l'on ne dit pas feminus, femina, feminum, etc.; et chacune de ces natures est désignée par un nom distinct et particulier. 58. Pareillement, les noms des choses dont la nature ou l'usage n'est pas semblable ne sont pas assujettis a la même loi. On dit donc surdus vir (un homme sourd), surda mulier (une femme sourde), surdum theatrum (un théâtre sourd), parce qu'un homme, une femme, un théâtre, sont naturellement destinés à entendre; mais on ne dit pas cubiculum surdum (une chambre sourde), parce qu'une chambre est faite pour le silence, et non pour l'audition. Cependant, si cette chambre n'a point de fenêtres, on dit qu'elle est aveugle (caecum), parce que toute chose a besoin d'être éclairée. 59. Le genre masculin et le genre féminin ont entre eux une certaine affinité naturelle; mais le genre neutre n'en a presque jamais aucune avec les deux autres, parce qu'il est d'une nature ordinairement individuelle et absolue. C'est pour la même raison que les noms des dieux et des esclaves n'ont point deux formes, comme ceux des personnes libres. L'homme libre et le femme libre ne sont point confondus dans la société civile, comme l'homme esclave et la femme esclave dans la maison de leur maître : de là des noms communs pour les dieux esclaves des deux sexes, et des noms distincts pour les personnes libres. Aussi retrouve-t-on l'analogie dans les noms des personnes libres : Terentius, Terentia. 60. Les prénoms ne comportent pas non plus le troisième genre, parce qu'ils ont été créés pour distinguer dans la famille les personnes qui portent le même nom patronymique, comme Secunda, Tertia, Quarta, pour les femmes, et Quintus, Sextus, Decimus, pour les hommes. Ces prénoms, empruntés à l'ordre numérique, comme ceux que je viens de citer, ou à quelque autre dénomination de ce genre, ont été imaginés pour distinguer, par exemple, deux ou plusieurs hommes du nom de Terentius. Peut-être le prénom de Manius a-t-il été formé de mane natus (né le matin) ; et celui de Lucius, de luci natus (né au point du jour); celui de Postumus, de post et de natus (né après la mort du père). 61. Ces prénoms, donnés aux femmes par allusion aux mêmes circonstances, ont pris par analogie la forme du genre féminin Mania, Lucia, Postuma. La mère des dieux Lares est, en effet, appelée Mania; on trouve dans les chants des Saliens les noms de Lucia Volumnia; et même encore aujourd'hui se donne souvent le nom de Postuma à une fille née après le mort de son père. 62. On voit donc que l'analogie se retrouve dans tous les mots dont la déclinaison a la nature pour principe, et qu'elle ne régit pas ceux dont la déclinaison a pour principe la volonté de l'homme, qu'ils soient masculins, féminin ou neutres; car ceux-là seulement y sont assujettis, dont la déclinaison à la nature pour principe. Aussi est-ce sans raison que l'on prétend que l'analogie n'est pas observée dans les trois genres des noms. [9,39] XXXIX. 63. On objecte contre l'analogie qu'il y a des mots qui n'ont que le singulier, comme cicer (pois chiche) ou le pluriel, comme scalae (échelle), tandis qu'ils devraient avoir les deux nombres, comme equus (cheval), equi (chevaux). Je réponds que, en faisant cette objection, on oublie que l'analogie est fondée sur la nature et l'usage. Le nombre singulier désigne ou ce qui est un naturellement, comme equus (cheval), ou ce qui, quoique multiple en soi, est un par rapport à l'usage, comme bigae (char attelé de deux chevaux). C'est pourquoi nous disons una Musa (une Muse) unae bigae (un char attelé de deux chevaux). 64. Le nombre pluriel est ou indéfini, comme Musae (les Muses), ou défini, comme duo, tres, quatuor Musae (deux, trois, quatre Muses); unae, bigae, trinae bigae (un, deux, trois chars), il s'en suit de là que uni, unae, una, appartiennent en quelque sorte au nombre singulier, et ils diffèrent de unus, una, unum qu'en ce que dans le premier cas, l'adjectif numéral s'accorde avec un nom qui désigne une unité collective et, dans le second, avec un nom qui désigne une chose naturellement une. Il en est de même de bina, trina, substitué duo, tria, comme uni à unus. 65. Il y a une troisième groupe de mots qui, comme uter (lequel des deux), qui forment le nombre pluriel sous la forme du singulier, et qui, sans s'étendre à plus de deux termes ou de deux choses, prennent la forme du pluriel, comme utri, utrae, en s'accordant avec les noms qui désignent une unité collective. Et l'on dit uter poeta (lequel de ces deux poètes ?), utri poetae (lequel de ces deux poètes ?). On voit clairement par là que tous les mots qui ont la forme du nombre pluriel ne comportent pas celle du singulier. Tous les nombres au-dessus de deux, par exemple, ont la forme du pluriel, et naturellement ne comportent pas celle du singulier. C'est donc à tort qu'on prétend que la forme du nombre singulier implique nécessairement celle du pluriel. [9,40] XL. 66. Si l'on dit unguentum, unguenta (parfum, parfums) ; vinum,vina (vin, vins) ; pourquoi acetum (vinaigre), garum (sauce faite avec la saumure du garus, sorte de poisson), et d'autres, n'ont-ils pas la forme du pluriel? Ceux qui font cette question n'ont pas pris la peine de distinguer les choses qui se comptent de celles qui se mesurent ou se pèsent, ni de remarquer que, pour désigner l'accroissement d'une quantité quelconque de plomb, d'huile, ou d'argent, il convient de dire multum plumbum, multum oleum, multum argentum, et non multa olea, etc. On dit, à la vérité, plumbea et argentea en parlant de choses faites de plomb ou d'argent; mais argenteum n'est point un nom comme argentum : c'est un adjectif qui s'accorde avec un autre nom, comme vas (vase) ou poculum (petite coupe) : de sorte que le nombre pluriel se rapporte, non à l'argent dont la chose est faite, mais à la chose qui, comme une coupe ou un vase, est de la nature de celles qui se comptent. 67. Si, parmi les choses qui ne se comptent pas, il y en a de plusieurs espèces, la distinction de ces espèces explique la forme du nombre pluriel dans certains mots, comme vinum et unguentum. Autre est le vin de Chio, autre est celui de Lesbos: de là vina (vins). On distingue de même plusieurs sortes de parfums, qui ont des noms divers, tirés des divers pays qui les produisent : de la unguenta. S'il existait pareillement plusieurs espèces remarquables d'huile, de vinaigre, etc., on dirait olea, aceta, etc., comme on dit vina, unguenta. Aussi mes adversaires me semblent-ils détruire l'idée qu'on doit avoir de l'analogie, en voulant que des mots semblables désignent des choses d'un usage dissemblable, et qu'on suive la même règle pour les noms de choses qui se mesurent, et les noms de choses qui se comptent. [9,41] XLI. 68. On demande aussi pourquoi le singulier de balneae (bains publics) et le pluriel de balneum (bain particulier) n'existent pas, non plus que le singulier de scalae (échelles, escaliers) et de aquae caldae (eaux thermales). On peut répondre que le premier bain public (balneum, nom d'origine grecque) fut établi à Rome dans deux édifies contigus, dont l'un était destiné aux hommes et l'autre aux femmes; que, dans la suite, le nom de balneum servit également à désigner le lieu d'une maison particulière, affecté au même usage ; mais que, ce lieu n'étant pas double, comme celui du bain public, le pluriel balnea n'entra pas dans le langage usuel, qui ne reçut que le singulier balneum en échange du mot ancien lavatrina. 69. On peut aussi expliquer pourquoi une source d'eau chaude est appelée aquae caldae, et non aqua calda. Après que l'usage se fut établi parmi nous de se servir de cette espèce d'eau comme d'un spécifique, on remarqua que l'eau de tel lieu convenait mieux à telle maladie que celle de tel autre; que celle de Puteoli, par exemple, était plus efficace que celle de l'Étrurie. Or, comme les sources fréquentées par les malades sont assez nombreuses, l'idée de pluralité influa sur la dénomination dont il est question. Quant à scalae (échelles, escaliers), mot dérivé de scandere (monter), il serait plus embarrassant de rendre raison du singulier scala, puisque scala, comme l'indique sa racine, ne désignerait qu'un seul échelon, un seul degré. [9,42] XLII. 70. Autre objection. Certains mots n'ont que les cas directs; d'autres n'ont que les cas obliques. Or, tous les mots devraient avoir l'une et l'autre espèce de cas. On peut répondre que l'analogie suppose toujours l'usage ou la nature ... 71 ... ni dans les mots qui se déclinent, lorsqu'ils passent d'un nominatif à un autre nominatif. Cependant ces mots ne s'écartent pas sans raison de l'analogie, comme Faustini, nom d'une certaine classe de gladiateurs, dérivé de Faustus; car si la plupart de ces sortes de noms finissent par trois syllabes, comme Cascelliani, Aquiliani, Caeciliani, il faut remarquer que Faustus n'a pas la même désinence que Cascellius, Caecilius, Aquilius, racines de Cascelliani, etc.; car si l'on disait Faustius au lieu de Faustus, on sent que Faustiani serait plus conforme à l'analogie. C'est ainsi que quelques-uns disent Scipionini, par dérivation de Scipio : ce qui est une anomalie ; car l'analogie veut Scipionarii. Mais, comme je l'ai dit, ces sortes de déclinaisons sont rares et peu en usage : aussi sont-elles flottantes et incertaines. [9,43] XLIII. 72. On induit de la similitude de stultus (sot) et luscus (borgne), par exemple qu'on devrait dire luscus, luscior, luscissimus, de même qu'on dit stultus, stultior, stultissimus. Je réponds à cela qu'on ne peut pas être plus ou moins borgne tandis qu'on peut être plus ou moins sot. [9,44] XLIV. 73. On demande pourquoi l'on ne dit pas mane (matin), manius (plus matin), manissime très matin), non plus que vespere (soir), vesperius, vesperrime. On peut répondre que le temps n'est point susceptible de plus ou de moins, et ne comporte que l'idée d'antériorité ou de postérité. Ainsi la première heure est antérieure à la seconde; mais l'heure en elle-même n'est pas susceptible de plus ou de moins. On dit, il est vrai, que celui qui se lève à la première heure du matin se lève plus matin que celui qui ne se lève qu'à la seconde ; mais cette locution n'est pas conséquente, en ce que magis mane (plus matin) signifie le premier moment du matin, et magis vespere le dernier moment du soir. [9,45] XLV. 74. On s'appuie encore sur cette sorte de similtitude pour attaquer l'analogie, et l'on demande si cadus (tonneau), qui est semblable à anus (vieille), n'a point de diminutifs, tandis qu'anus fait anicula, ancilia; pourquoi de piscina (vivier, réservoir d'eau) on n’a point formé, par une dérivation analogue, piscinula, piscinilla. J'ai déjà répondu que l'analogie se retrouve toujours dans les mots qui désignent des choses dont les différents degrés de grandeur ont quelque importance dans l'usage, comme cista (panier), cistula, cistella ; canis (chien), catulus, catellus, ce qui n'a pas lieu pour le bétail. C'est pour cette raison qu'il y a souvent deux mots pour désigner la même chose, selon quelle est plus ou moins grande, comme lectus (lit) et lectulus (petit lit), arca (cassette) et arcula (petite cassette). [9,46] XLVI. 75. De ce que certains mots n'ont pas les cas directs ni d'autres les temps obliques, il ne s'ensuit pas qu'il y ait là anomalie. Où est, dit-on, le nominatif de frugis, frugi, frugem (fruit), et celui de colis, coli, colem (rejeton) ? Où sont les cas obliques de Diespiter et de Maspiter ? 76. Je réponds que ces différents cas existent. Suivant l'analogle, le nominatif de frugis est frux; mais l'usage a adopté frugis, a l'imitation de avis, et ovis, dont le génitif est semblable au nominatif. Pareillement cols est le nominatif naturel de colis le nominatif usuel; mais ici l'analogie se concilie avec l'usage, en ce que colis laisse deviner cols, et ne s'écarte de l'analogie que pour y revenir, suivant l'usage commun à Ia plupart des mots, dont le nominatif singulier est d'une prononciation difficile. Or, de même que, par euphonie on a ajouté un I à ous, nominatif singulier qu'implique naturellement le nominatif pluriel oves, on a dit colis au lieu de cols : de sorte que l'analogie reparaît entre colis, ovis, et avis dans l'identité de la forme du génitif et du nominatif. 77. Je ne vois pas non plus la raison de nier l'existence des cas obliques de Diespiter. Qu'importe que Diesepitri, Diespitrem, soit moins usité que Diespiter ? Un cas inusité ne laisse pas d'exister aussi réellement qu'un autre cas qui est usité. Mais j'accorde que certains mots n'aient pas tous leurs cas : cette défectuosité ne peut autoriser à nier l'existence de l'analogie. 78. En effet, de ce que la tête ou quelque autre partie manque dans une statue, il ne s'ensuit pas que l'analogie ne puisse se trouver dans le reste. Ainsi les mots peuvent conserver l'analogie dans les cas usités, et même les cas usités peuvent être réhabilités, lorsque la nature et l'usage le permettent, comme on le voit quelquefois dans les poètes, et, par exemple, dans le Clastidius de Naevius : Vita insepulta laetus in patriam REDUX. [9,47] XLVII. 79. On objecte encore strues, Hercules, homo. Or, suivant mes adversaires, si l'analogie existait, on devrait dire strus, Hercul, homon. Cela prouve, non que l'analogie n'existe pas, mais seulement que la déclinaison des cas obliques n'est pas ici conforme à l'analogie, en tant qu'il s'agit uniquement du rapport de ces cas avec le nominatif. Supposons, par exemple, qu'on place la tête de Philippe sur une statue d'Alexandre : les autres parties du corps n'en conserveront pas moins entre elles leurs rapports, quoique la tête ne soit pas en harmonie avec ces parties. De même encore, si, des deux pans d'une tunique, l'un avait la forme du laticlave, et l'autre celle de l'angusticlave, l'analogie n'existerait pas, à la vérité, entre les deux pans de la tunique; mais elle pourrait se retrouver dans chaque partie considérée isolément. [9,48] XLVIII. 80. Suivant les mêmes grammairiens, on dit au pluriel tantôt cupressus, tantôt cupressi; ainsi de fici, platani, et des noms de la plupart des arbres. C'est une erreur; car la désinence du nominatif pluriel doit être El. Ainsi on doit dire fici, comme nummi, par analogie de la forme commune de leur génitif : nummerorum, ficorum. S'il fallait dire ficus au nominatif pluriel, on devrait, par analogie de manus, dire ficibus, ficuum, ce qui est contraire à l'usage, qui, non seulement dans ces deux cas, mais dans ficos, fico, etc., ne suit en rien la déclinaison de manus. [9,49] XLIX. 81. On argumente aussi de ce passage de Lucilius: Decussi sive decussibus est, mais à tort; car Lucilius n'a pas dû hésiter, parce qu'on dit l'un et l'autre. En effet, dans la monnaie de cuivre, depuis un jusqu'à cent, les noms des pièces de monnaies sont composés du nom de nombre et de assis (as), comme tresssis, decussis, centussis; de sorte que, au-delà de deux as (dupondius), tous les cas ont la désinence d'assis. Quant au nom de la pièce de deux as, il comporte les deux genres, et l'on dit également dupondius et dupondium, comme gladius et gladium. A partir de trois, les noms des différentes pièces de monnaie, jusqu'à cent, sont du genre masculin tant au pluriel qu'au singulier. Au-delà de cent, le nombre ne désigne pas plus des as que toute autre chose. 82. Les nombres indéterminés, depuis quatre jusqu'à cent, sont invariables devant les noms masculins, féminins ou neutres. Quand on est arrivé à mille, le nom de nombre devient neutre tant au singulier qu'au pluriel : mille denarium, millia denaria. 83. Donc, puisqu'il n'est pas nécessaire, pour que l'analogie existe, que la similitude s'étende à la totalité du langage, et qu'il suffit. qu'elle soit observée dans les parties corrélatives, c'est à tort qu'on prétend que la dissimilitude de as, de dupondius, et de tressis, constitue une anomalie. As est un mot simple qui désigne l'unité; dupondius (monnaie de deux livres) est composé de duo (deux) et de pondus (poids) ; tressis, de tres (trois) et de as. Les anciens disaient quelquefois aes au lieu de as, et même encore aujourd'hui nous disons, en tenant un as à la main : Hoc aere ou haec aenea libra. Mille aeris legasse (avoir légué mille as) est une locution usitée. 84. Or, depuis trois jusqu'à cent, la déclinaison des noms de nombre, tressis, decussis, centussis, est conforme à l'analogie, fondée sur l'identité de leur étymologie; dupondius, qui n'a aucun rapport d'origine avec les précédents, a dû suivre une autre analogie. L'as, qui est l'unité monétaire, a par conséquent au pluriel une signification indéfinie : c'est pourquoi nous disons asses. Mais lorsque le nombre des as est déterminé , nous disons dupondius, tressis, etc. 85. Il me semble donc que puisque le défini et l'indéfini sont différents, ils ne doivent pas être exprimés de la même manière. Cela est si vrai, que lorsque le nombre mille est pris dans un sens défini, les noms des choses que ce nombre détermine subissent une modification accidentelle. On dit, en effet, mille denarium, et non mille denariia duo millia denaria, et duo millia denarii. Si denarii, nominatif pluriel, était pris dans un sens indéfini, alors il faudrait dire denariorum au génitif: analogie qui doit s'étendre à la déclinaison, non seulement des noms des pièces de monnaie, comme victoriati (monnaie d'argent valant cinq as où était gravée l'image de la victoire), drachma, etc., mais encore de viri (hommes); car nous disons judicium triumvirum, decemvirum (jugement des triumvirs, des décemvirs), et non triumvirorum, decemvirorum. 86. On distingue dans la numération ancienne la règle, les deux actes, les trois degrés et les six décuries, dont les rapports sont fondés sur une rigoureuse analogie. La règle est le nombre neuf, c'est-à-dire que, au-delà de neuf, l'unité, d'où l'on était parti pour arriver à ce nombre, devient le point de départ des nombres ultérieurs. A novem (neuf) correspondent nunaginta (quatre-vingt-dix) et nongenti (neuf cents). 87. Le dernier acte embrasse l'intervalle de un à neuf cents et le second celui de mille à neuf cent mille. Le nombre mille étant considéré comme une nouvelle unité, mille est, comme unum, du nombre singulier: hoc unum, hoc mille; haec duo, haec duo millia, etc. Dans les deux actes, il y a trois degrés: le degré des unités, qui est de un à neuf; le degré des dizaines, qui est de dix à quatre-vingt-dix; le degré des centaines, de cent à neuf cents. Ces trois degrés forment six décuries, dont trois pour les nombres au-delà de mille, et trois pour les nombres en deçà. La numération, chez les anciens, se bornait à ces principes. 88. On y a ajouté dans la suite deux autres actes: ce qui a donné naissance à de nouveaux noms, qui, comme deciens, ne sont pas conformes à l'analogie, mais par rapport au système de numération, et non par rapport au langage. En effet, deciens est indéclinable comme mille, et si l'on ne peut pas dire hi deciens, horum deciens, comme hi mille, horum mille, l'analogie se retrouve du moins dans hoc deciens et hoc mille, huius deciens et huius mille... [9,50] L. 89. L'analogie ne s'oppose pas à ce que les mots qu'on appelle homonymes soient dissemblables dans les cas obliques, quoique semblables au nominatif. Cette dissimilitude se remarque dans Argus, nom d'homme; Argos, nom de ville, grec et neutre; et Argei, nom latin de la même ville. Il en est de même de la déclinaison ou de la conjugaison d'un mot qui, sous une forme identique, est ou un nom ou un verbe: comme Meto, qui, comme nom, fait Metonis, Metonem; et, comme verbe, fait metam (je moissonnerai), rnetebam (je moissonnais). [9,51] LI. 90. On objecte aux défenseurs de l'analogie la dissimilitude des mots synonymes, comme Sappho et Psappho. Alcaeus et Alcaeo, Geryon et Geryoneus et Geryones. On confond quelquefois, il est vrai, les cas obliques de ces mots; mais alors ce sont ceux qui confondent ces cas qui sont en défaut, et non l'analogie. Car on est libre de choisir entre deux ou trois synonymes, mais on est tenu d'être conséquent dans la déclinaison du mot qu'on a choisi et si, après avoir dit Alcaeus, on dit Alcaeoni ou Alcaeonus, c'est alors que l'analogie est violée. [9,52] LII. 91. C'est à tort, dit-on, qu'Aristarque prétend que Melicertes et Philomedes ne sont pas des noms semblables, parce qu'au vocatif l'un fait Melicerta, et l'autre Philomedes. On serait par conséquent aussi mal fondé à soutenir que lepus (lièvre) et lupus (loup) ne sont pas semblables, parce qu'au vocatif l'un fait lepus, et l'autre lupe; que socer (gendre) et macer (maigre) ne sont pas non plus semblables, parce que, dans les cas obliques, l'un a trois syllabes, et l'autre deux : soceri, macri. 92. Quoique j'aie déjà répondu à cette chicane, en donnant la laine pour exemple, je ferai remarquer que la similitude consiste, non seulement dans la forme extérieure, mais encore dans une conformité virtuelle et intrinsèque, qui ne tombe pas sous les sens. Ainsi nous disons que deux pommes, que rien ne distingue extérieurement, ne sont pas semblables, si elles n'ont pas le même goût; que deux chevaux de même apparence ne sont pas non plus semblables, s'ils ne sont pas de même race. 93. Entre deux ou plusieurs esclaves, nous choisissons celui qui est de meilleure race, quoique d'un prix plus élevé; et, dans ce choix, nous consultons, non seulement la forme apparente, mais encore quelque autre point extérieur de comparaison, comme l'âge dans les chevaux; la progéniture dans les coqs ; la saveur dans les fruits. On ne doit donc pas blâmer celui qui, dans le langage, constate la similitude de la même manière. 94. C'est pourquoi, pour s'assurer si deux mots sont semblables ou dissemblables, on prend un autre cas ou un pronom, comme moyen de comparaison. Ainsi nous voyons par hic lepus, hoc nemus ; hi lepores, haec nemora, que lepus (lièvre) et nemus (forêt) ne sont pas deux mots semblables. Cette sorte d'induction n'a rien de contraire à la véritable analogie, quel que soit le moyen extérieur qu'on emploie pour constater la similitude. On sait, par exemple, que l'aimant attire semblablement dans des pierres semblables, et diessemblablement dans des pierres dissemblables. Or, comment s'assurer de leur similitude ou de leur dissimilitude si l'on n'a recours à un morceau de fer? 95. Quant à l'analogie relative aux noms, ce que j'ai dit sur ce point suffit, je crois, pour répondre à toutes les objections. [9,53] LIII. A l'égard des verbes, comme ils ont, dans leurs temps, dans leurs personnes, dans leurs genres, dans leurs divisions, donné matière à la critique, j'examinerai chaque partie séparément. [9,54] LIV. 96. L'analogie, dit-on, n'est pas observée dans les temps de certains verbes, comme legi (j'ai lu), lego (je lis), legam (je lirai), dont l'un appartient au parfait, et les deux autres à l'imparfait. Pour faire tomber ce grief, il suffit de rétablir l'ordre dans la classification des temps de ce verbe, qui présentera alors une division tout à fait conforme à l'analogie, comme discebam, disco, discam, pour les temps imparfaits, et didiceram, didici, didicero, pour les temps parfaits. On voit donc que ce ne sont pas les verbes qui pèchent contre l'analogie, et que s'il y a anomalie, cette anomalie est du fait de ceux qui confondent sciemment les trois temps. [9,55] LV. 97. On objecte aussi que le rapport entre amor, amabor et amatus sum, n'est pas conforme à l'analogie, en ce que, dans la même série, le même verbe présente deux formes simples et une composée. Cette prétendue anomalie repose sur une classification inexacte ; car si l'on a soin de ne pas confondre les temps imparfaits avec les temps parfaits, on verra que, dans tous les verbes chaque série est uniforme; que tous les temps imparfaits sont simples, comme amabar, amor, amabor, et que tous les temps parfaits sont composés, comme amatus eram, amatus sum, amatus ero. 98. On se prévaut encore d'un faux rapport, en accolant ensemble ferio (je frappe), feriam (je frapperai), percussi (j'ai frappé). L'ordre véritable est : feriam, fero, feriebam, temps imparfaits; percussi, percussero, percusseram, temps parfaits. On peut défendre de la même manière l'analogie dans les autres temps. [9,56] LVI. 99. On cite pungo, pungam, pupugi; tundo, tundam, tutudi,, et l'on conclut à cette apparente anomalie que les syllabes devaient changer dans tous les temps des verbes, ou ne changer dans aucun. Or, on confond ici des temps dissemblables, c'est-à-dire les temps parfaits avec les temps imparfaits. Que si l'on considère isolément les temps imparfaits et les temps parfaits on verra que la racine du verbe reste sembable dans les uns : pungebam, pungo, pungam, et constamment variable dans les autres pupugeram, pupugi, pupugero. [9,57] LVII. 100. On confond encore les temps parfaits avec les temps imparfaits, en mettant sur la même ligne fui, sum, ero. Le parfait fui est conforme à l'analogie dans toute sa conjugaison, et dans la volonté qui l'unit à fueram et fuero. Les temps imparfaits offrent la même régularité : sum (autrefois esum), es, est; eram, eras, erat; ero, eris. En classant ainsi les temps dans leur forme, on retrouvera partout l'analogie. [9,58] LVIII. 101. On se prévaut aussi contre l'analogie de dire que certains verbes n'ont pas les trois personnes ou que trois temps. Autant vaudrait critiquer la nature de ce qu'elle n'a pas donné la même forme à tous les êtres. Si donc tous les verbes ne comportaient pas naturellement les trois temps et les trois personnes, il est évident que la division des verbes serait restreinte. Or cette restriction doit s'appliquer, par exemple, à l'impératif, qui, ne se rapportant qu'à l'imparfait, puisqu'il ne s'adresse jamais qu'à une personne présente ou absente, n'a que trois formes, comme lege, legito, legat, tandis que l'indicatif, comme lego, legis, legit, en a neuf pour l'imparfait et autant pour le parfait. [9,59] LIX. 102. Ce n'est donc pas entre un genre et un autre genre, mais entre les parties d'un même genre, qu'il faut chercher s'il y a dissimilitude. En ajoutant à ces raisons celles que j'ai déjà données au sujet des noms, on pourra aisément répondre à tout. En effet, de même que la forme primordiale des noms réside dons le nominatif, de même la forme primordiale des verbes réside dans la première personne du temps présent, comme scribo, lego. 103. C'est pourquoi si, comme dans les noms, il arrive que la forme primordiale d'un verbe n'existe pas, ou soit empruntée à un verbe d'une autre espèce, on fera valoir, en faveur de l'analogie, les raisons que j'ai données en traitant des noms. Que si la forme primordiale existe, mais que le reste de la conjugaison ne s'y rapporte pas, comme cela arrive quelquefois dans la déclinaison des noms, il ne sera pas plus difficile de remonter à l'origine de cette apparente anomalie. En effet, les ambiguïtés de la synonymie se rencontrent dans les verbes comme dans les noms : témoin volo, qui désigne, sous une forme identique, l'action de vouloir et celle de voler. [9,60] LX. 104. On relève la répétition de pluit et luit au présent et au partait, comme contraire à l'analogie, en ce que chaque temps doit avoir sa forme particulière. Cette identité n'existe que dans l'esprit de mes adversaires; car au parfait, u est long dans pluit et luit, tandis qu'il est bref au présent : pluit, luit. C'est pour la même raison que la même lettre est longue dans ruta caesa (effets mobiliers), mot usité dans le contrat de vente. [9,61] LXI. 105. On objecte encore l'identité de sacrifico et sacrificor, de lavat et de lavatur. Que cette identité existe ou n'existe pas, peu importe pour l'analogie, si celui qui préfère se servir de sacrifico observe la similitude dans toute la conjugaison, et n'y entremêle pas une partie de celle de sacrificor. C'est seulement dans la confusion de ces deux formes que serait l'anomalie. 106. On lit dans Plaute : Je crois que les poissons, qui passant toute leur vie dans l'eau (lavant), se baignent (lavari) moins longtemps que cette femme ne baigne (lavat) Phronésius. Lavant et lavari, pris dans le même sens, répugnent entre eux : II faudrait lavare, lavant, ou lavari, lavantur. Que cette faute vienne de Plaute ou du copiste, c'est à l'auteur de l'anomalie, et non à l'analogie, qu'il faut s'en prendre. Lavant et lavantur, employés séparément dans des circonstances déterminées, n'ont rien de contraire à l'analogie. Ainsi, en parlant d'une nourrice et d'un enfant, on peut dire lavat et lavatur : lavat, par rapport à la nourrice qui baigne l'enfant, et lavatur, par rapport à l'enfant qui est baigné par la nourrice. En parlant de nous, nous pouvons dire lavamus et lavamur. 107. Quoique l'usage ait également consacré l'un et l'autre, lavari s'entend plutôt du corps entier, et lavare d'une partie du corps, comme des mains ou des pieds ; et ceux qui tiennent à bien parler ne devraient pas perdre de vue cette distinction. Il est vrai qu'on peut conclure de lavor, lavatus sum, que soleo (j'ai coutume) devrait faire solui, qu'on trouve dans Caton et Ennius, et non solutus sum, qui est en usage; mais, comme je l'ai dit plus haut, quelques exceptions de cette nature ne prouvent rien contre l'existence de l'analogie. [9,62] LXII. 108. On donne comme une anomalie dolo (je polis), colo (je cultive); dolavi, colui. II faut ici recourir au moyen qu'on emploie pour regarder les petits ouvrages de Myrmécide. Lorsqu'il est impossible de consulter isolément la similitude de deux verbes, il faut prendre une autre personne ou un autre temps. Ainsi, pour savoir si dolo et colo sont semblables, passez à la seconde personne, et vous redonnaîtrez qu'ils ne le sont pas ; car dolo fait dolas, et colo fait colis. 109. Dolavi et colui sont donc conformes à l'analogie, puisque ces deux temps dérivent régulièrement de dolo, dolas, et de colo, colis. C'est, en effet, à la seconde personne qu'il importe de regarder, parce qu'elle est ordinairement moins ambiguë que la première, qui, comme meo (je passe), neo (je file), ruo (je me précipite), présente une similitude douteuse. Mais l'ambiguïté disparaît dans meas, nes, ruis, dont la conjugaison se continue pour chaque verbe suivant son analogie particulière. [9,63] LXIII. 110. Les objections tirées des participes sont encore plus mal fondées, parce que amaturus, amans, amatus, ne dérivent pas du même verbe. Amans et amaturus appartiennent à amo, et amatus appartient à amor. Or, ce qui suffit pour l'analogie, c'est que la déclinaison particulière de chaque participe y soit conforme, comme dans amatus, amato; amati, amatis; amata, amatae; dans amaturus, amaturi ; et enfin dans amans, amantis, quoique la déclinaison de ce participe diffère un peu de celle des autres; car, dans les cas comme dans les genres, chaque espèce de participe suit la loi de l'analogie qui lui est propre. [9,64] LXIV. 111. A la fin du livre précédent, où je défendais la cause contraire, j'ai dit que l'analogie n'existait pas, parce que ceux qui ont écrit sur l'analogie, ou ne s'accordent pas entre eux, ou, dans les points sur lesquels ils conviennent, ne sont pas d'accord avec l'usage. Ces deux raisons ne doivent, ni l'une ni l'autre, faire impression sur votre esprit; car, à ce compte, il faudrait nier l'existence de tous les arts, parce que ceux qui écrivent sur la médecine, sur la musique, etc., ne sont pas d'accord entre eux, ou parce que, dans les points sur lesquels ils conviennent, la nature contredit leurs opinions. En effet, comme on le dit souvent, ce n'est point l'art qu'il faut accuser, mais l'artiste, dont l'erreur ne prouve rien contre la vérité. 112. Supposons deux locutions usitées, mais dont l'une est régulière et l'autre irrégulière, comme monte et monti, fonte et fonti, à l'ablatif : en se servant de la locution fausse, on parle mal sans infirmer la règle, tandis que, en servant de la locution vraie, on parle bien et en même temps on confirme la règle. De même, en se serrant d'une locution qui est à la fois vicieuse et contraire à l'usage, on ne prouve que son ignorance. [9,65] LXV. 113. J'ai exposé, aussi brièvement que je l'ai pu, les différentes raisons qui tendent à établir l'existence de l'analogie, contrairement à ce que j'ai dit dans le livre précédent. Lors même que les raisons que j'ai combattues dans celui-cl constateraient l'existence de l'anomalie dans la langue latine, cela ne prouverait rien contre l'analogie, parce que ces deux principes contraires se trouvent dans toutes les parties de l'univers, et la similitude se rencontre constamment à côté de la dissimilitude. Ainsi, parmi les animaux, le cheval ne ressemble pas au taureau, le taureau ne ressemble pas à la brebis : autant de genres, autant de formes distinctes; mais, dans chaque genre, autant d'individus, autant de formes semblables. Si, parmi les poissons, la lamproie ne ressemble pas au loup marin, ou le loup à la sole, ni la sole à la lamproie et à la belette aquatique, le nombre de ces dissimilitudes est en même temps bien inférieur à celui des similitudes qui se multiplient a l'infini dans les poissons de chaque espèce comparés entre eux. 114. Or, puisque, dans le langage, le nombre des mots semblables l'emporte également sur celui des mots dissemblables, on est forcé de reconnaître que l'analogie existe. Enfin, puisque l'usage n'y déroge qu'en un très petit nombre de mots, il faut aussi reconnaître que nous devons, comme peuple, suivre invariablement l'analogie, et, comme individus, l'observer avec la même fidélité, mais en faisant, en certains cas, des concessions a l'usage; car, ainsi que je l'ai déjà dit, autre est la condition du peuple entier, autre celle de l'individu. 115. Cela est si vrai, que les individus eux-mêmes ne jouissent pas tous des mêmes droits. Un poète, par exemple, peut suivre l'analogie plus librement que l'orateur. J'ai rempli la tâche que je m'étais imposée dans ce livre: je passe donc à la forme des déclinaisons. Ce sera l'objet du livre suivant.