confier la garde de sa personne. Par crainte des barbiers, il apprit à ses filles à faire la barbe. Mais quand elles approchèrent de l'âge nubile, il appréhenda aussi de mettre le fer entre leurs mains et prit pour règle de se faire brûler par elles la barbe et les cheveux avec des coquilles de noix embrasées. Il ne fut pas plus exempt d'inquiétude comme époux que comme père. Il eut en même temps deux femmes, Aristomaque de Syracuse et Doris de Locres. Jamais il n'alla les voir l'une ni l'autre sans les faire fouiller. Il avait même fait entourer d'un large fossé, comme un camp, le lit de sa chambre à coucher. Il s'y rendait par un pont de bois; mais auparavant ses gardes avaient fermé la porte de sa chambre au dehors et il avait pris soin lui-même de la fermer intérieurement au verrou. CHAPITRE XIV De la ressemblance extérieure. EXEMPLES ROMAINS Des hommes d'un profond savoir dissertent non sans finesse sur la ressemblance du visage et de tout le corps. Les uns estiment qu'elle est déterminée par la race et par la composition du sang et ils trouvent une assez forte preuve de leur opinion dans les autres êtres vivants qui naissent généralement semblables à ceux qui les ont produits. Les autres soutiennent que ce n'est point là une loi invariable de la nature, mais que les apparences extérieures des mortels sont ce qu'a voulu le hasard de la conception; aussi, ajoutent-ils, voyons-nous souvent de belles personnes donner naissance à des enfants très laids et des parents robustes produire des enfants débiles. Ainsi donc, comme la question donne lieu à discussion, nous allons simplement citer des exemples de ressem- blance frappante entre des hommes étrangers les uns aux autres. 1. Vibius, qui était de bonne famille, et Publicius, qui n'était qu'un affranchi, ressemblaient si parfaitement au Grand Pompée que, s'ils avaient échangé entre eux leur condition, on pouvait par méprise les saluer du nom de Pompée et saluer Pompée de leur nom. Du moins partout où Vibius et Publicius se présentaient, ils attiraient tous les regards, chacun reconnaissant les traits du citoyen le plus considérable de la république dans des personnages fort ordinaires. Cette ironie du hasard était dans sa famille comme un ridicule héréditaire qui l'atteignit lui-même à son tour. 2. En effet, son père aussi avait tant de ressemblance avec son cuisinier Ménogène que, malgré son intrépidité et sa puissance militaire, ce général ne put empêcher qu'on ne lui donnât dans Rome le nom méprisable de ce domestique. 3. Un jeune homme de haute noblesse Cornélius Scipion, alors qu'il trouvait dans sa famille une foule de surnoms si glorieux, se vit infliger par la voix du peuple un nom d'esclave, celui de Sérapion, parce qu'il ressemblait fort à un victimaire de ce nom. Ni ses vertus personnelles ni le souvenir de tant de nobles aïeux ne purent le garantir de cette injurieuse dénomination. 4. Jamais le consulat ne réunit des citoyens d'un sang plus noble que Lentulus et Métellus. Cependant, à cause de leur ressemblance avec des histrions, ils furent tous deux en quelque sorte mis sur la scène. L'un reçut le nom de Spinther, acteur qui jouait les seconds rôles; quant à l'autre, sans le nom de Népos qu'il devait à sa conduite, on lui aurait donné celui de Pamphilus, acteur de troisièmes rôles, avec lequel on lui trouvait une exacte ressemblance. 5. M. Messala, qui avait été consul et censeur, et Curion, qui était comblé d'honneurs, furent contraints de porter des noms de comédiens. Le premier dut aux traits de son visage le surnom de Ménogène ; le second, celui de Burbuleus à la ressemblance de la démarche. EXEMPLES ÉTRANGERS 1. Bornons là les exemples romains : aussi bien par les personnages mis en jeu ils sont tout à fait remarquables et ils sont bien connus de tout le monde. Le roi Antiochus avait, dit-on, beaucoup de ressemblance avec un homme de son âge qui était aussi de la famille royale et s'appelait Artémon. Laodice, femme d'Antiochus, ayant tué son mari et voulant cacher son crime, mit Artémon dans un lit comme s'il était le roi malade. Elle fit ensuite entrer le peuple : tout le monde fut trompé par la grande ressemblance qu'il avait avec le roi dans la voix et dans l'air du visage. On crut entendre Antiochus mourant recommander à son peuple Laodice et ses enfants. 2. Hybréas de Mylase, orateur à la parole abondante et animée, faillit passer, aux yeux de toute l'Asie, pour le frère de l'esclave de Cyme qui balayait les ordures du gymnase, tant il y avait de ressemblance entre eux et pour les traits du visage et pour toutes les parties du corps ! 3. Voici d'autre part un homme dont la parfaite res- semblance avec un gouverneur de Sicile est un fait bien attesté et qui montra beaucoup de hardiesse. Le proconsul en effet lui dit un jour qu'il était fort étonné d'une telle ressemblance, parce que son père n'était jamais venu dans cette province. « Mais, répliqua le Sicilien, le mien est allé souvent à Rome. » A une plaisanterie injurieuse pour l'honneur de sa mère il répondit en jetant le soupçon sur la mère même du proconsul : c'était une vengeance bien audacieuse pour qui était sous le pouvoir des faisceaux et des haches. CHAPITRE XV Des hommes de basse condition qui ont essayé par imposture de s'introduire dans les plus illustres familles. EXEMPLES ROMAINS On peut pardonner cette témérité : elle n'est dange- reuse que pour un seul. Au contraire, l'impudence dont je vais parler ne saurait en aucune manière être tolérée : elle fait courir de grands dangers aux particuliers et à l'État. 1. Je veux laisser de côté ici, puisque j'en ai déjà parlé plus haut dans cet ouvrage, ce monstre d'homme sorti de Firmum, dans le Picenum, cet Équitius qui se prétendit faussement fils de Tib. Gracchus et dont la flagrante imposture se trouva un moment, grâce à l'aberration de la foule en délire, forte de toute l'immense puissance du tribunat. Hérophilus, médecin oculiste, en revendiquant la qualité de petit-fils de C. Marius, sept fois consul, réussit à se faire adopter comme protecteur d'un grand nombre de colonies de vétérans, de villes opulentes, de presque toutes les associations. Bien plus, lorsque César, après la défaite du jeune Cn. Pompée en Espagne, ouvrit ses jardins au peuple, cet Hérophilus dans l'entre-colonne voisin fut salué par la foule presque avec autant d'enthousiasme. Si la divine puissance de César n'avait arrêté cette honteuse effervescence, la république aurait été atteinte d'un coup aussi grave que celui que lui avait porté Équitius. Un décret du dictateur le relégua hors de l'Italie. Mais, lorsque ce grand homme eut été reçu parmi les dieux, Hérophilus revint à Rome et osa y former le complot de massacrer tout le sénat. Pour ce crime les sénateurs le firent tuer dans la prison. Ainsi, il subit enfin le châtiment que méritait une scélératesse prompte à tramer tous les forfaits. (An de R. 709.) 2. Le divin Auguste lui-même, lorsqu'il gouvernait encore le monde, ne fut pas garanti d'un tel outrage par sa puissance et sa majesté. Il se rencontra un homme pour oser se dire issu du sang le plus illustre et le plus pur, né d'Octavie, soeur de ce prince. Il prétendait que, à cause de l'extrême faiblesse de sa complexion, il avait été exposé par ordre de sa mère, mais que celui à qui on l'avait confié l'avait conservé comme son propre fils et lui avait substitué l'enfant qui était réellement le sien. C'était vouloir tout ensemble abolir dans la plus auguste maison le souvenir de son véritable sang et la flétrir par le vil mélange d'un sang étranger. Mais tandis que son effronterie l'emportait et que son audace ne connaissait plus de bornes, un ordre d'Auguste le condamna à aller ramer sur une galère de l'État. 3. Il s'est aussi trouvé un homme pour se dire fils de Sertorius. Mais l'épouse de ce général ne le reconnut pas et aucune violence ne put jamais l'y contraindre. 4. Et Trébellius Calca? Avec quelle assurance ne se donna-t-il pas pour un Clodius ! Et même, quand il en revendiqua les biens en justice, il se présenta au tribunal des Centumvirs tellement environné de la faveur popu- laire que l'agitation du peuple laissait à peine aux juges la possibilité de prononcer conformément au droit et à la justice. Dans cette cause cependant la conscience des juges ne céda ni aux manoeuvres du demandeur, ni aux violences de la foule. 5. Bien plus grande encore fut l'audace de celui qui, sous la dictature de Cornélius Sylla, envahit la maison de Cn. Asinius Dion et chassa le fils légitime du foyer paternel, en criant : « Ce n'est pas toi, le fils de Dion; c'est moi. » Mais, lorsque, après la domination tyrannique de Sylla, l'équité de César eut restauré la république et que le gouvernement de l'empire romain fut au pouvoir d'un prince plus ami de la justice, l'imposteur alla mourir dans la prison publique. EXEMPLES ÉTRANGERS 1. Ce prince réprima aussi l'impudence d'une femme de Milan coupable d'une semblable imposture. Elle se donnait pour Rubria; on avait tort, selon elle, de croire que celle-ci eût péri dans un incendie. Ainsi elle préten- dait à la possession d'un patrimoine étranger et elle ne manquait pas de témoins considérables dans le pays, ni d'appuis parmi l'entourage d'Auguste; mais la fermeté inébranlable de l'empereur fit échouer son dessein criminel. 2. Sous le même empereur un barbare prétendit au trône de Cappadoce en se donnant, à la faveur d'une extrême ressemblance, pour le prince Ariarathe. Il était cependant plus clair que le jour qu'Ariarathe avait été tué par Marc-Antoine. Néanmoins, l'aventurier était sou- tenu par la crédulité et les suffrages des villes et des nations de presque tout l'Orient. Mais par la volonté de l'empereur cette tête assez insensée pour convoiter le pouvoir suprême dut subir le châtiment qu'elle méritait.