[1] Le fourbe. (1) {La fourberie, pour le dire en un mot, pourrait bien être une feinte humilité en actes et en paroles.} Le fourbe (2) est quelqu'un du genre à aborder ses ennemis et à vouloir causer avec eux {au lieu de les haïr}. Il louange en leur présence ceux qu'il a attaqués en secret et témoigne de la compassion aux gens , dès lors qu'ils sont perdants. Il pardonne à ceux qui médisent de lui et des propos tenus à son encontre. (3) Des gens s'indignent-ils d'avoir été lésés, il leur tient des propos feutrés. (4) Il n'avoue rien de ce qu'il fait, mais affirme qu'il en est encore à se consulter, fait semblant de n'être là que depuis un moment, {dit qu'il est bien tard} et qu'il s'est senti souffrant. (5) Des gens cherchent-ils à emprunter ou à faire une collecte, qu'il ne vend pas, et lorsqu'il ne veut pas vendre, il prétend qu'il vend. A-t-il entendu quelque chose, il fait semblant que non; a-t-il vu, il affirme n'avoir rien vu; a-t-il conclu un accord, il prétend ne pas s'en souvenir. En certains cas, il assure qu'il se réserve d'examiner la chose, en d'autres, qu'il ne sait pas, ou bien qu'il s'étonne, ou encore que lui-même avait déjà conclu en ce sens. (6) En général il est habile à utiliser ce genre de formule : "je ne crois pas", "je n'imagine pas", "j'en suis bien étonné" "tu veux dire qu'il est tout différent !", "ce n'est vraiment pas ce qu'il me racontait", "l'affaire, pour moi, est inattendue", "va le dire à quelqu'un d'autre", "comment ne pas te croire, toi, ou comment le condamner, lui ? je suis bien embarrassé !", "vois tout de même si tu ne t'y fies pas un peu vite...". (7) {Inventer ce genre de formules, embrouilles et contradictions, c'est bien le propre des fourbes. Ces caractères qui ne sont pas simples, mais insidieux, il faut s'en garder plus que des vipères.} [2] Le flatteur. (1) {La flatterie, on pourrait la concevoir comme une pratique basse mais profitable pour le flatteur.} Le flatteur est du genre (2) à dire, tout en marchant : "Tu réalises comme les gens regardent de ton côté ? ça, ça n'arrive en ville à personne d'autre qu'à toi !". "Tu étais fameusement en vogue hier, sous le portique ! Comme on était assis là à plus de trente hommes et qu'on est tombé sur le sujet 'qui est le meilleur ?', tous les suffrages, à mon initiative, se sont portés sur ton nom". (3) Tout en disant ce genre de choses, le flatteur ôte une peluche du manteau de l'autre et si un brin de paille est projeté par le vent sur ses cheveux, il l'en retire et dit en souriant : "Tu vois, depuis deux jours que je ne t'ai pas rencontré, tu as la barbe pleine de gris, mais il faut convenir que tu conserves mieux que personne les cheveux noirs pour ton âge !" (4) Le pigeon dit-il quelque chose, le flatteur enjoint aux autres de se taire; s'il écoute, il l'en félicite; s'il s'arrête, il l'approuve "Parfait !"; si l'autre fait une plaisanterie insipide, le flatteur éclate de rire et tire son manteau sur sa bouche comme s'il ne pouvait contenir son hilarité. (5) Les gens qu'on rencontre, il les invite à s'arrêter jusqu'à ce que son homme soit passé. (6) Il apporte des pommes et des poires qu'il a achetées pour les gosses, les leur donne sous ses yeux et les embrasse en disant : "ça, c'est la nichée d'un père épatant !". (7) Allant avec lui acheter des galoches, il affirme que son pied est bien mieux fait que la chaussure. (8) Son homme se rend-il chez un ami, le flatteur court en avant, en disant "Il vient chez toi !", puis, revenant sur ses pas, "je t'ai annoncé !". (9) Naturellement, il est capable aussi de faire sans souffler les courses pour lui au marché des femmes. (10) Il est le premier parmi les convives à faire l'éloge du vin, insiste en disant : "Comme on mange finement, chez toi !" et, prenant quelque chose sur la table, il déclare :"Mais que ceci est donc délicieux !". Il demande à son homme s'il n'a pas froid, s'il souhaite se couvrir, s'il ne lui mettrait pas quelque chose sur les épaules; et, ce disant, il se penche et lui susurre quelque chose à l'oreille. C'est encore vers le même que se dirigent ses regards lorsqu'il bavarde avec les autres. (11) Au théâtre, il reprend les coussins au jeune esclave et les dispose lui-même. (12) Quant à la maison du pigeon, elle a, dit-il, été bien dessinée, son terrain, bien planté, et son portrait est vraiment ressemblant. (13) {Bref, on peut observer que le flatteur dit et fait tout ce qu'il imagine pouvoir le rendre agréable.} [3] Le moulin à paroles. (1) Ce babillage-ci consiste à se répandre en paroles interminables et sans à-propos, et le moulin à paroles est du genre (2) à aller s'asseoir auprès de quelqu'un qu'il ne connaît pas, en commençant par faire l'éloge de sa propre femme; puis il expose le rêve qu'il a fait la nuit dernière et détaille un par un les plats qu'il a eus pour dîner. (3) Ensuite, un fois le sujet bien en train, il dit que les gens sont aujourd'hui pires qu'autrefois; que le blé se vend à un bon prix; qu'il y a beaucoup d'étrangers en ville, que la mer est navigable depuis les Dionysies, que si Zeus nous donnait plus d'eau, les produits de la terre seraient meilleurs et qu'il cultivera à nouveau son champ l'an prochain; que la vie est bien difficile, et que c'est Damippe, aux Mystères, qui a brandi la plus grande torche ; et "combien y a-t-il de colonnes à l'Odéon ?"; et "hier, j'ai eu une indigestion"; et "quel jour sommes-nous ?"; et que les Mystères tombent en Boédromion, les Apatouries en Pyanepsion, les Dionysies des champs en Poseidéon. (4) Si on le supporte, il ne s'en va plus. (5) {Les individus de ce genre, quiconque ne veut pas attraper la fièvre doit les fuir à grandes enjambées; car c'est toute une affaire de résister à ceux qui ne savent pas faire la distinction entre loisir et occupation.}. [4] Le rustre. (1) La rusticité aurait assez bien l'air d'une balourdise malséante, et le rustre est du genre (2) à se rendre à l'Assemblée après avoir bu une grossière mixture (3) et à prétendre qu'aucun parfum ne sent meilleur que le thym. (4) Il porte des chaussures plus grandes que son pied (5) et cause à voix très haute. (6) Il se méfie de ses amis et de ses familiers, mais d'un autre côté, il se confie à ses serviteurs dans les affaires les plus importantes. Aux salariés qui travaillent chez lui aux champs, il raconte tout ce qu'il a entendu à l'Assemblée. (7) Il s'assied retroussé jusqu'au-dessus du genou, au point de se laisser voir à demi-nu. (8) En rue, il n'est ni frappé par rien, mais aperçoit-il un boeuf, un âne ou un bouc, le voilà cloué sur place pour le contempler. (9) Il est bien homme à avaler quelque chose qu'il a par avance chipé au garde-manger, et il boit plutôt sec. (10) Il courtise en cachette la boulangère, et puis s'en va moudre avec elle les rations nécessaires pour la maisonnée et pour lui-même. (11) Il nourrit ses bêtes de somme tout en déjeunant. (12) Il répond lui-même à la porte, après avoir appelé son chien qu'il attrape par le museau en disant : "Voilà celui qui garde domaine et maison !" (13) Reçoit-il de quelqu'un de la monnaie d'argent, il la refuse, après examen, elle a l'air trop plombé, et il en exige d'autre en échange. (14) A-t-il prêté <à quelqu'un> charrue, panier, faux ou sac, il s'en souvient la nuit dans son insomnie . (15) Lorsqu'il descend en ville, il demande à tout venant le prix des peaux et des salaisons, si c'est aujourd'hui le premier du mois et dit tout de go qu'il veut, une fois arrivé, passer chez le barbier, aller chanter aux bains et faire mettre des clous à ses souliers; et puisque c'est sur son chemin, il va rapporter ses salaisons de chez Archias. [5] Le flagorneur. (1) {La flagornerie, pour la cerner en une définition, est une relation visant à susciter du plaisir, mais non pour la meilleure cause.} Le flagorneur est naturellement du genre (2) à vous appeler de loin par votre nom, à vous donner de l'"Excellence" en vous témoignant une vive considération et, vous retenant par les deux mains, à ne pas vous laisser aller; après vous avoir un peu escorté, il demande quand il vous reverra et s'éloigne en continuant ses compliments. (3) Convoqué pour un arbitrage, il veut plaire non seulement à la partie qu'il assiste, mais aussi à la partie adverse afin de faire figure d'arbitre impartial. (4) étrangers, il assure qu'ils sont mieux en droit de parler que ses concitoyens. (5) Convié à un repas, il prie son hôte d'appeler les enfants et, quand ils entrent, il assure que c'est leur père tout craché; les attirant à lui, il les embrasse, les fait asseoir près de lui et se met à jouer avec les uns en disant : "voilà l'outre, voilà la hache" tandis qu'il laisse les autres s'endormir sur son estomac, si comprimé soit-il.<...> (6) Il va très souvent chez le barbier, s'efforce de garder les dents blanches, change ses manteaux alors qu'ils sont encore bons, s'enduit de parfum-crème. (7) Au marché, il se tient d'ordinaire du côté des comptoirs des changeurs; il fréquente ceux des gymnases où viennent s'entraîner les éphèbes; au théâtre, quand il y a représentation, il s'assied auprès des généraux. (8) Pour lui-même, il n'achète rien, mais pour les étrangers, il fait des commissions à Byzance , procure à Cyzique des chiens de Laconie, du miel de l'Hymette à Rhodes et, ce faisant, le raconte à tout le monde en ville. (9) Pour sûr, il est homme aussi à élever un singe, à acquérir un oiseau rare, des colombes de Sicile, des osselets de gazelle, des burettes à huile toutes rondes de Thourioi, des cannes torses de Lacédémone, une portière avec des Perses, et encore une petite palestre, avec du sable et un jeu de balle. Et celle-ci, il la prête à la ronde aux sophistes, aux maîtres d'armes, aux musiciens pour s'y produire. Lui-même, lors des représentations, y fait une entrée tardive, une fois que les gens sont assis, afin qu'ils se disent l'un à l'autre : "Voilà le propriétaire de la palestre !" [6] La fripouille. (1) Être une fripouille, c'est avoir l'audace de faire et de dire des choses honteuses, et voici quel est ce genre d'individu : (2) prompt à jurer, de fâcheuse réputation, il invective les puissants, avec le caractère d'un marchand du marché, débraillé et prêt à tout. (3) Pour sûr, il est homme à danser le cordax même sans avoir bu et en portant le masque d'un choeur de comédie. (4) Aux spectacles de foire, il passe auprès de chacun pour collecter la monnaie, et il se bagarre avec les gens qui, apportant leur billet avec eux, prétendent regarder sans payer. (5) Il est homme aussi à se faire aubergiste, patron de bordel, collecteur de taxes et à ne dédaigner aucun métier honteux, mais à être aboyeur, cuistot, joueur de dés, (6) à ne pas assurer la subsistance de sa mère, à se faire arrêter pour vol, à passer plus de temps en prison que chez lui. (7) {La fripouille pourrait bien être aussi de ceux qui rassemblent les foules autour d'eux et les haranguent, usant tour à tour de l'invective, lancée à grosse voix éraillée, et du dialogue. Et pendant ce temps-là, il en est qui s'amènent, d'autres s'en vont avant même de l'avoir entendu, tandis que lui, il adresse aux uns son exorde, à d'autres, quelques mots, à d'autres encore, une bribe de son laïus, jugeant que sa friponnerie ne peut s'apprécier autrement qu'en public.} (8) L'individu est capable d'être tour à tour défendeur et demandeur, tantôt d'affirmer sous serment que la plainte à son encontre ne peut être reçue, tantôt de se présenter avec un "hérisson" dans le pli de son vêtement et des liasses de documents plein les mains. (9) Il ne dédaigne pas non plus de se faire le leader d'une foule de petites gens, de leur consentir tout de go un prêt au taux de trois demi-oboles par jour pour une drachme, d'aller inspecter les boutiques de restauration, de poisson et de salaisons et de garder dans sa joue les gains tirés de son petit commerce. (10) {Pénibles sont les gens qui, la langue bien déliée pour l'invective, crient à tue-tête au point que marché et échoppes s'en font l'écho.} [7] Le phraseur. (1) {Faire des phrases, cela pourrait se définir comme une incontinence de langage} et le phraseur est du genre (2) à dire à la personne qu'il rencontre -- et peu importe ce que celle-ci lui dit -- : "ça, ça ne signifie rien; mais moi, je sais tout, et si tu m'écoutes, tu vas en apprendre !". Et tandis que l'autre tente de répondre, il enchaîne : "n'oublie pas, hein ! ce que tu veux dire !" et "c'est bien, en tout cas, de me l'avoir rappelé" et "tout de même, comme c'est utile, de bavarder !" et "ce que j'ai laissé de côté, c'est que..." et "tu as vite compris l'affaire, en tout cas !" et "voilà tout un temps que je t'observais pour voir si tu arriverais à la même conclusion que moi !". Et d'imaginer d'autres formules de ce genre, au point de ne pas laisser souffler celui qu'il rencontre. (3) Une fois qu'il s'est bien entraîné au coup par coup, il est capable aussi de marcher contre des groupes assemblés et de les faire s'égailler au beau milieu de leurs négociations. (4) S'introduisant dans les écoles et les palestres, il empêche les enfants d'avancer dans leur instruction {tant il bavarde avec les entraîneurs et les maîtres d'école}. (5) Les gens prétendent-ils devoir s'en aller, il est capable de leur faire escorte et de les déposer à domicile. (6) Lui demande-t-on des nouvelles de l'Assemblée, il les communique, mais de surcroît il raconte de long en large la joute oratoire qui eut lieu à l'époque, sous l'archontat d'Aristophon, et le combat des Lacédémoniens sous Lysandre, et ses propres discours qui lui ont naguère valu une belle popularité. Et tout en racontant, il lance une invective contre les masses, de sorte que ses auditeurs l'interrompent ou encore s'assoupissent ou bien s'en vont en le plantant là au milieu de sa harangue. (7) S'il fait partie d'un jury, il empêche les autres de juger, s'il assiste à un spectacle, il empêche de regarder, à un repas, de manger. Et de dire : "c'est dur, pour moi, de me taire...", et que sa langue salive, et qu'il ne pourrait se taire, dût-il paraître plus bavard que les hirondelles. (8) Il supporte même d'être charrié par ses propres enfants : veut-il qu'ils aillent dormir, ils l'en empêchent en disant : "raconte-nous quelque chose, va, pour nous endormir !". [8] La gazette. (1) Faire la gazette, c'est colporter des propos et des faits contraires à la vérité, dont le rapporteur veut <...>, et la gazette est quelqu'un du genre (2) à aborder l'ami qu'il rencontre en lui demandant, l'air détendu et le sourire aux lèvres : "d'où viens-tu ?" et "qu'est-ce que tu as à raconter ?" et "comment vas-tu ?". Mais avant que l'autre réponde "ça va", il reprend : "tu demandes si on ne raconte rien de neuf ? Eh ! bien, oui, on en raconte de bonnes !". (3) Et sans laisser venir la réponse, il poursuit : "qu'en dis-tu ? tu n'as rien entendu ? je crois bien que je vais te les faire déguster, les dernières nouvelles". (4) Sa source, c'est un soldat ou un petit esclave d'Asteios le joueur de flûte, ou Lycon l'entrepreneur tout juste arrivé de la bataille, qu'il affirme avoir entendus. Au vrai, les références de ses dires sont telles que personne ne saurait les critiquer. (5) Il raconte, en affirmant citer ses témoins, que Polyperchon et le roi ont gagné la bataille, et que Cassandre a été fait prisonnier. (6) Et si quelqu'un lui dit : "tu crois cela, toi ?", il l'affirme : aussi bien, l'affaire est criée de par la ville, le récit s'en répand au loin, toutes les voix concordent car on fait le même récit de la bataille, qui fut un vrai carnage. (7) L'indice, pour lui, se trouve d'ailleurs sur les visages des gouvernants : on les voit tout changés. Il dit avoir entendu chuchoter qu'un individu au courant de tous les faits se trouve caché auprès d'eux dans une maison depuis son arrivée de Macédoine, voici quatre jours. (8) Et durant tout ce récit, il croit en quelque sorte exprimer son indignation de manière convaincante en disant : "Infortuné Cassandre ! Le malheureux ! Tu réalises le coup du Destin ? Et pourtant, cet homme-là était fort !". (9) Puis, "ceci, tu dois être seul à le savoir". Et il court le raconter à tout le monde en ville. (10) {Cette sorte de gens, je me demande ce que diable ils veulent, avec leur gazette. Car non seulement ils mentent, mais ils n'en tirent même pas profit. (11) Souvent en effet, tels d'entre eux qui attirent autour de leur personne des cercles dans les bains se sont vus chiper leur manteau; d'autres qui, sous le portique, remportent combats terrestre et naval, se sont vus condamner par contumace. (12) Il en est encore qui, en paroles, enlèvent des cités de vive force... mais pourront bien se passer de dîner ! (13) Malheureuses, vraiment, les habitudes de vie de ces gens ! Quel est le portique, quel est l'atelier, quel est le secteur du marché où ils ne passent leur journée, faisant fuir leurs auditeurs ? (14) Tant ils les excèdent par leurs affabulations.} [9] L'effronté. (1) {L'effronterie, pour la saisir en une définition, consiste à n'avoir cure d'une réputation honteuse, en ne visant que le seul profit}. L'effronté est du genre (2), d'abord, à se rendre chez celui-là même qu'il ne rembourse pas, pour lui demander un emprunt. Il est homme, ensuite, à dîner chez autrui après avoir offert un sacrifice dont il a fait retirer les viandes pour les mettre en saumure. (3) Il appelle son serviteur et lui donne la viande et le pain qu'il a chipés sur la table, en disant à la cantonnade : "Régale-toi, Tibios !". (4) En faisant ses courses, il rappelle au boucher qu'il lui a rendu service et, debout près de la balance, y jette de préférence un morceau de viande ou, à défaut, un os pour le bouillon : s'il a pu en attraper, tant mieux, sinon, il chipe sur le comptoir un peu de tripes et se débine en riant. (5) A-t-il acheté un billet de théâtre pour des hôtes, il va au spectacle avec eux sans payer sa part, et le lendemain, il y conduit même ses enfants et leur surveillant. Quelqu'un rapporte-t-il des marchandises achetées à bon prix, notre homme demande à en avoir sa part lui aussi. (7) Allant chez son voisin emprunter de l'orge, et parfois de la paille, il contraint de surcroît le prêteur à les lui apporter à domicile. (8) Il est bien capable, aux bains, de s'approcher des chaudrons d'eau chaude, d'y plonger l'aiguière malgré les cris du maître-baigneur, de s'en asperger lui-même et de dire en partant que le voilà tout baigné 9et là-dessus0 "pas de merci pour toi !". [10] Le pingre. (1) La pingrerie, c'est une économie de la dépense qui dépasse les bornes, et le pingre est du genre (2) à réclamer endéans le mois, à domicile, le remboursement d'une demi-obole. (3) Dans un repas de corps, il tient compte des coupes que chacun a bues et, parmi les convives, c'est lui qui fait à Artémis l'offrande la plus chiche. (4) Tout ce qu'on lui porte en compte, acheté à bas prix, il le déclare <...>. (5) Un serviteur brise-t-il un pot ou un plat, il se rembourse sur sa ration quotidienne. (6) Et si sa femme laisse tomber une piécette de monnaie, notre homme est capable de déplacer meubles, lits, coffres et de fouiller tous les revêtements du logis. (7) S'il veut vendre quelque chose, il en demande tant que l'affaire est sans intérêt pour l'acheteur. (8) Il ne permet pas que l'on cueille une figue dans son jardin, ni qu'on passe par son champ, ni qu'on y ramasse une olive ou une figue tombée par terre. (9) Il inspecte chaque jour les bornes de sa propriété pour voir si elles restent bien en place. (10) Il est capable aussi d'exiger une indemnité de retard et un intérêt composé. (11) Offre-t-il un repas aux gens de sa commune, il fait servir les viandes coupées en tout petits morceaux. (12) Quand il fait les courses, il rentre sans avoir rien acheté. (13) Il défend à sa femme de prêter ni sel, ni lumignon, ni cumin ou origan, ni grains d'orge, bandelettes ou gâteaux de sacrifice : c'est que, dit-il, ces petites choses-là, ça finit par faire beaucoup, sur l'année... (14) {Bref, chez les pingres, on peut voir les coffres-forts moisir et les clés, rouiller, tandis qu'eux-mêmes portent des manteaux trop courts pour leurs cuisses, font leurs frictions avec de toutes petites burettes d'huile, se font raser la tête, ne mettent leurs chaussures que l'après-midi et conjurent les teinturiers de mettre beaucoup de dégraissant sur leur manteau afin qu'il ne se salisse pas trop vite.} [11] Le malotru. (1) Il n'est pas difficile de définir le comportement du malotru : c'est un jeu voyant et blâmable, et le malotru est du genre (2) à se retrousser pour exhiber son anatomie quand il rencontre des dames. (3) Au théâtre, il applaudit lorsque les autres cessent et siffle les acteurs que l'ensemble du public a plaisir à regarder. Quand le théâtre garde le silence, il se renverse et rote pour faire se retourner tous les rangs assis. (4) Le marché est-il noir de monde, il s'approche des étals de noix, myrtilles ou autres fruits et, debout, il s'en régale tout en bavardant avec le vendeur; il hèle par son nom tel badaud qui n'est pas de ses connaissances; (5) voit-il des gens pressés de se rendre quelque part, il leur demande de l'attendre. (6) Quelqu'un sort-il du tribunal où il a perdu un procès important, notre homme va vers lui pour le congratuler. (7) Il va lui-même faire ses courses et louer des joueuses de flûte; il montre ses achats à ceux qu'il rencontre et les invite à y participer. (8) Debout devant la boutique du coiffeur ou du parfumeur, il déclare qu'il a bien l'intention de se saoûler. [12] Le casse-pieds. (1) {Être casse-pieds, c'est avoir l'art de tomber <à un moment> qui va contrarier ceux sur qui l'on tombe.} Le casse-pieds est du genre (2) à aborder, pour lui faire une communication, une personne qui se trouve occupée. (3) Il vient faire la fête chez sa dulcinée quand elle a la fièvre. (4) Abordant une personne qui a été condamnée à servir de caution, il la prie de se porter garante pour lui-même. (5) Il se présente pour témoigner en une affaire déjà jugée. (6) Invité à un mariage, il se lance dans une tirade contre les femmes. (7) Rentrez-vous à peine d'un long voyage, il vous invite à une promenade. (8) Quelqu'un vient-il de conclure une affaire, notre homme est encore capable de lui amener un acquéreur qui offre davantage. (9) Alors que les gens ont parfaitement entendu et compris, il se lève pour reprendre tout l'ensemble dès le début. (10) Il est plein de zèle pour s'occuper de ce qu'on ne souhaite pas, alors qu'on a scrupule à refuser. (11) Des gens ont-ils à faire face aux dépenses d'un sacrifice, il vient leur réclamer l'intérêt d'un prêt. (12) Un serviteur est-il fouetté en sa présence, il raconte qu'un esclave à lui, ainsi battu, s'est naguère pendu. (13) Assistant à un arbitrage, il dresse les deux parties l'une contre l'autre alors qu'elles souhaitent s'entendre. (14) Pour danser, il met la main sur un partenaire qui n'est pas encore ivre. [13] Le mêle-tout. (1) Faire le mêle-tout pourra sûrement apparaître comme une exagération des propos et des actes, dans une bonne intention. Le mêle-tout est du genre (2) à se lever pour faire telles promesses qu'il ne pourra tenir. (3) Une affaire est-elle unanimement reconnue comme juste, il s'en mêle avec véhémence et se voit réfuté. (4) Il force le petit esclave à mélanger plus de vin que n'en peuvent boire les gens qui sont là. (5) Il est homme à séparer des adversaires aux prises sans même les connaître, (6) à prétendre conduire des gens par tel sentier, et ensuite à ne pouvoir retrouver son chemin, (7) à aborder le général pour lui demander à quel moment il a l'intention de déployer ses troupes et quel est le mot d'ordre pour après-demain. (8) Il vient trouver son père pour lui dire que, dans leur chambre, la mère dort déjà. (9) Si le médecin défend de donner du vin au malade, il prétend vouloir tenter lui-même l'expérience et fait boire un bon coup au patient. (10) Une femme est-elle décédée, il fait inscrire sur le monument les noms de son époux, de son père, de sa mère, celui de la femme elle-même ainsi que son lieu de naissance, et ajoute que tous ces gens-là étaient bien braves. (11) Sur le point de prêter serment, il dit aux assistants : "C'est que moi, j'ai déjà prêté serment quantité de fois !" [14] L'étourdi. (1) L'étourderie, pour en donner une définition, est une lenteur d'esprit en paroles et en actes, et l'étourdi est du genre à (2) calculer avec des jetons et à faire le total, puis à demander à la personne assise près de lui : "ça donne quoi ?" (3) Accusé dans un procès et devant comparaître, il l'oublie et se met en route pour la campagne. (4) Assistant à un spectacle, il s'y endort et reste seul dans le théâtre. (5) Parce qu'il a trop mangé, il se lève la nuit pour aller aux toilettes et est mordu par le chien du voisin. (6) A-t-il reçu et rangé lui-même une chose, il la cherche sans pouvoir la retrouver. (7) Lui annonce-t-on qu'un de ses amis est mort, afin qu'il assiste aux obsèques, il affiche une mine sombre et se met à pleurer en disant : "Bonne chance !" (8) Reçoit-il une somme d'argent qu'on lui doit, il est bien capable encore de faire venir des témoins ! (9) Alors qu'on est en hiver, il houspille son petit esclave parce qu'il n'a pas acheté de concombres. (10) À force d'entraîner ses enfants à la lutte et à la course, il les exténue. (11) Aux champs, faisant lui-même bouillir la soupe de lentilles, il jette deux fois le sel dans la marmite et la rend immangeable. (12) Quand il pleut, il dit {qu'il trouve agréable la clarté des astres, alors que les autres parlent de temps poisseux}. (13) Quelqu'un dit-il : "Combien de morts, crois-tu, ont été emportés par les portes sacrées ?", notre homme de répondre "autant qu'on en souhaiterait, pour toi et pour moi !" [15] Le mufle. (1) La muflerie est une dureté en paroles dans les contacts sociaux, et le mufle est du genre, (2) si on lui demande : "un tel, où est-il ?" à répondre "ne viens pas m'assommer !" (3) et, quand on le salue, à ne pas rendre le salut. (4) Veut-il vendre quelque chose, il ne dit pas aux acheteurs combien il en demande, mais "combien ça vaut, ça ?". (5) Aux gens qui, pour lui faire honneur, lui envoient quelque chose à l'occasion des fêtes, il dit que lui, en tout cas, ne donnera rien. (6) Pas de pardon pour qui l'a, par mégarde, taché, bousculé ou lui a marché sur le pied. (7) À un ami qui l'a prié d'apporter sa quote-part, il répond qu'il ne la donnera pas, mais il vient ensuite l'apporter... en disant qu'il va encore perdre cet argent-là. (8) Heurte-t-il son pied en chemin, il est homme à se répandre en malédictions contre le caillou ! (9) Il est incapable d'attendre longtemps quelqu'un, (10) ne saurait consentir à chanter, à réciter quelque chose ni à danser. (11) Enfin, même aux dieux, il n'est pas homme à adresser la moindre prière. [16] Le superstitieux. (1) {La superstition, assurément, aurait assez bien l'air d'une peur à l'endroit du divin} et le superstitieux est du genre (2) à < ... > se laver les mains, à s'asperger à la source sacrée et, tenant en bouche un brin de laurier, à se promener ainsi tout le jour. (3) Une belette traverse-t-elle son chemin, il n'avance plus jusqu'à ce que quelqu'un soit passé ou que lui-même ait jeté trois pierres par-dessus le chemin. (4) S'il voit un serpent dans sa maison, et que ce soit un serpent joufflu, il invoque Sabazios, mais si c'est un serpent sacré, alors, tout aussitôt, il fonde sur place un herôon. (5) S'il passe devant les pierres ointes qu'on trouve aux carrefours, il y déverse l'huile de sa fiole, tombe à genoux et ne s'éloigne qu'après s'être prosterné dans l'adoration. (6) Une souris a-t-elle rongé un sac de farine, il va chez le devin demander ce qu'il faut faire; ce dernier lui répond-il qu'il faut le donner à ravauder au cordonnier, notre homme n'en tient aucun compte mais tourne les talons pour aller offrir un sacrifice expiatoire. (7) Il est homme à vouloir purifier continuellement sa maison, en la prétendant ensorcelée par Hécate. (8) Des chouettes ont-elles hululé sur son passage, le voilà tout troublé, et de dire : "Athéna est plus forte !" avant de continuer sa route. (9) Il refuse de marcher sur une tombe, de s'approcher d'un mort ou d'une femme en couches, en prétendant qu'il est important pour lui de ne pas se souiller. (10) Le 4 et le 7 de chaque mois, il ordonne à la maisonnée de faire bouillir du vin, il sort acheter des rameaux de myrte, de l'encens et des gâteaux et, de retour au logis, il passe la journée à couronner les Hermaphrodite. (11) Quand il fait un rêve, il court chez les interprètes de songes, chez les devins, chez les ornithologues pour leur demander quel dieu ou déesse il doit invoquer. Pour renouveler son initiation, il se rend chaque mois chez les prêtres orphiques avec sa femme -- ou, si elle n'en a pas le temps, avec la nourrice et les enfants. (12) Il aurait assez bien l'air de faire partie de ces gens qui s'aspergent soigneusement dans la mer. (13) Si d'aventure notre homme aperçoit un individu portant un collier d'ail, comme il s'en trouve aux carrefours, il rebrousse chemin, se lave de la tête aux pieds et fait venir des prêtresses qu'il prie de le purifier en portant en cercle autour de lui un oignon de mer ou le cadavre d'un chiot. (14) A-t-il vu un fou ou un épileptique, le voilà tout frissonnant, à cracher dans le pli de son vêtement. [17] Le râleur. (1) Râler, c'est critiquer contre tout usage ce qui vous a été offert, et le râleur est du genre (2) à dire au livreur de l'ami qui lui envoie une portion d'un bon repas : "Ainsi, on me refuse le bouillon et la lampée de vin, en ne m'invitant pas à dîner !" (3) Est-il embrassé par son amie, "je me demande, dit-il, si c'est vraiment du fond du coeur que tu m'aimes ainsi". (4) Il est fâché contre Zeus, non parce qu'il fait pleuvoir, mais parce qu'il le fait trop tard. (5) Trouve-t-il une bourse sur son chemin, "soit, dit-il, mais je n'ai jamais trouvé de trésor !". (6) A-t-il acheté un esclave bon marché, après avoir beaucoup marchandé avec le vendeur, "je me demande bien, dit-il, ce que j'ai acheté là de valable, à si bas prix !" (7) Au messager qui lui apporte l'heureuse nouvelle "Tu as un fils !", il répond : "Si tu y ajoutes : "et la moitié de ta fortune en moins", alors tu diras vrai !". (8) A-t-il gagné un procès, et ce, en recueillant même l'unanimité des suffrages, il reproche au rédacteur du plaidoyer d'avoir laissé de côté quantité d'excellents arguments. (9) S'il a reçu un prêt d'amis qui se sont cotisés et que quelqu'un lui dise "allez ! souris un peu !", il rétorque : "Et comment, ça ? Parce que je dois rendre à chacun son argent et, en plus, devoir de la reconnaissance sous prétexte qu'on m'a rendu service ?" ! [18] Le méfiant. (1) La méfiance, assurément, consiste à soupçonner tout le monde de malignité, et le méfiant est du genre (2) à envoyer son esclave faire des courses et puis à en dépêcher un autre pour s'informer du montant des achats. (3) Tout en portant lui-même son argent, il s'assied tous les deux cents mètres pour compter combien il y a. (4) Alors qu'il est couché, il demande à sa femme si elle a bien fermé le coffre, si le dressoir est scellé, si on a poussé le verrou à la porte de la cour; elle a beau l'en assurer, il se lève néanmoins de son lit, nu et déchaussé, il allume la lampe et circule pour tout inspecter : et même ainsi, c'est à grand peine qu'il trouve le sommeil. (5) Aux gens qui lui doivent de l'argent, afin qu'ils ne puissent nier leur dette, il vient réclamer ses intérêts, accompagné de témoins. (6) Il est homme encore à confier son manteau non au teinturier qui lui fera le meilleur travail, mais à celui qui lui fournit une bonne garantie. (7) Quelqu'un vient-il lui demander à prêter des coupes à boire, généralement il ne les donne pas, sauf s'il s'agit d'un familier ou d'un proche, et encore, seulement après avoir vérifié composition et poids et presque en exigeant une garantie. (8) À l'esclave qui l'accompagne, il enjoint de marcher devant et non derrière lui, de manière à s'assurer qu'il ne s'enfuit pas en chemin. Aux gens qui lui ont acheté quelque chose et disent : "Inscris combien ça fait, car je n'ai pas le temps", il rétorque : "Ne te tracasse pas, car je te poursuivrai jusqu'à ce que tu l'aies, le temps !" [19] Le dégoûtant. (1) Être dégoûtant, c'est manquer aux soins corporels jusqu'à en occasionner de la gêne, et le dégoûtant est du genre (2) à se promener couvert de croûtes et de dartres, les ongles non taillés, sous prétexte que, chez lui, ce sont là des infirmités héréditaires : il les a comme son père et son grand-père, aussi ne serait-il pas facile d'introduire clandestinement quelqu'un dans leur famille... ! (3) À n'en pas douter, il est homme encore à garder des ulcères aux jambes et des bleus aux doigts sans les soigner, et à les laisser s'infecter; il a les aisselles d'un sauvage, abondamment velues jusqu'aux flancs, les dents noires et cariées {de sorte qu'il est d'abord peu amène et déplaisant}. (4) Et le reste à l'avenant : il se mouche en mangeant, se gratte en offrant un sacrifice, envoie des jets de salive en parlant aux gens, rote tout en buvant. (5) Il se met au lit avec sa femme sans s'être lavé. (6) Il sent l'huile rance dont il fait usage au bain. (7) Vêtu d'une petite tunique bien épaisse et d'un manteau très mince, plein de taches, il sort pour aller au marché. < ... > (8) Sa mère se rend-elle chez l'ornithologue, voilà notre homme qui prononce des paroles de mauvais augure. (9) Au moment où des gens font des prières et des libations rituelles, il laisse tomber sa coupe et s'esclaffe, convaincu d'avoir réalisé un merveilleux exploit. (10) Lui joue-t-on un air de flûte, il est bien le seul parmi tous à battre des mains, à fredonner l'accompagnement et à reprocher à la flûtiste de s'être si vite arrêtée. (11) S'il veut cracher, il le fait par-dessus la table en visant l'échanson. [20] Le raseur. (1) Le comportement du raseur, pour le saisir en une définition, est celui qui provoque un désagrément sans réel dommage, et le raseur est du genre (2) à réveiller celui qui vient juste de s'endormir, en entrant pour lui faire la causette. (3) Des gens sont-ils sur le point de s'embarquer, il les retient, (4) et < ... > abordant quelqu'un, il lui demande d'attendre jusqu'à ce qu'il ait fait sa promenade. (5) Enlevant le gosse des bras de la nounou, il mâche lui-même la nourriture pour lui donner la becquée, claque la langue en lui susurrant des bruits de baisers, le dorlote avec des petits noms tout en l'appelant "un plus grand bandit que son papa !" (6) Alors qu'il est en train de manger, il explique qu'ayant bu de l'ellébore il s'est nettoyé par en haut et par en bas, et que la bile évacuée dans ses selles était plus noire que la sauce posée ici sur la table. (7) Il est homme encore à demander, en présence de toute la maisonnée : "Dis, maman, quand tu éprouvais les douleurs de l'enfantement pour me mettre au monde, c'était quel jour ?" (8) {et de dire à sa place que c'est bien doux et qu'il n'est pas facile de trouver un homme qui n'ait les deux} (9) et qu'il y a chez lui une citerne d'eau bien froide, un jardin qui donne beaucoup de légumes bien tendres, un cuisinier qui lui prépare bien ses repas et qu'en somme sa maison est un hôtel; d'ailleurs, elle est toujours pleine et ses amis sont comme le tonneau percé : c'est qu'il a beau les bien traiter, il est impossible de les combler ! (10) Quand il reçoit des hôtes, il fait voir à ses convives quel lascar est son parasite; pour les mettre en train quand on commence à boire, il signale qu'on a "programmé l'agrément de l'assistance" et que "la fille, s'ils la demandent, l'esclave ira sur l'heure la chercher chez l'entrepreneur, afin que nous soyons tous bercés par sa flûte et mis en joie". [21] Le faiseur. (1) Ce type d'ambition apparaîtra comme un vil appétit d'honneurs, et le faiseur est du genre (2) que voici. Est-il prié à dîner, il s'empresse de s'installer aux côtés de son hôte lui-même. (3) Pour faire couper les cheveux à son fils, il le conduit à Delphes (4) et veille à avoir dans sa suite un Éthiopien. (5) A-t-il à rembourser une mine d'argent, il rembourse en monnaie toute neuve. (6) Pour son geai apprivoisé, il est homme à acheter une échelle miniature et à faire fabriquer un petit bouclier de bronze, que l'oiseau porte pour sauter sur l'échelle. (7) A-t-il sacrifié un boeuf, il cloue face à sa porte d'entrée la peau de la tête entourée de larges bandelettes, afin que ceux qui entrent chez lui voient bien qu'il a sacrifié un boeuf ! (8) S'il a pris part à la procession avec les cavaliers, il donne à son esclave l'ensemble de son équipement à rapporter à la maison, mais garde tout de même son manteau retroussé et ses éperons pour déambuler sur le marché. (9) Son bichon de Malte étant mort, il lui fait faire un monument et une petite stèle avec l'inscription "Greffon de Malte". (10) A-t-il dédié, dans le sanctuaire d'Asclepios, un petit doigt de bronze, il l'astique, le couronne, l'oint chaque jour d'huile parfumée. (11) À n'en pas douter, il s'arrange avec les prytanes ses collègues pour faire lui-même au peuple l'annonce du sacrifice et, s'étant procuré un manteau d'un blanc éclatant, la tête couronnée, il s'avance en disant : "Citoyens d'Athènes, nous, vos prytanes, avons offert à la Mère des dieux le sacrifice des Galaxies; le sacrifice est favorable, recevez-en, vous autres, le bienfait !". Après cette annonce, il se retire et rentre à la maison raconter à sa femme comme il a supérieurement bien réussi. [22] Le grippe-sous. (1) Le comportement d'un grippe-sous, c'est une absence de générosité en ce qui concerne la dépense, et le grippe-sous est du genre (2), le jour où il a remporté le prix du concours, à dédier à Dionysos une plaquette de bois où est inscrit tout simplement son nom. (3) Demande-t-on au peuple des contributions volontaires, il se tait ou se lève pour se retirer de l'assemblée. (4) Marie-t-il sa fille, il fait vendre les viandes du sacrifice sauf celles destinées aux prêtres et prend en location pour la noce des serviteurs qui doivent apporter leur propre repas ! (5) Lorsqu'il est commandant d'un navire, il fait disposer pour lui sur le pont les couvertures du pilote et retirer les siennes. (6) Il est homme encore à ne pas envoyer ses enfants à l'école quand vient la fête des Muses et à prétendre qu'ils sont malades, afin qu'ils n'aient pas à y participer. (7) A-t-il acheté ses viandes au marché, il les rapporte lui-même, avec les légumes, dans le pli de son vêtement. (8) Chaque fois qu'il a donné son manteau à laver, il reste chez lui ! (9) Un ami sollicite un prêt et en a discuté avec lui : dès que notre homme le voit venir, il rebrousse chemin et rentre chez lui en faisant le grand tour. (10) Pour sa femme -- et elle lui a cependant apporté une belle dot --, il n'achète pas de servante, mais prend en location au marché des femmes un esclave pour l'escorter dans ses sorties. (11) Il porte des chaussures maintes fois ressemelées et affirme que ça vaut de la corne... (12) Sitôt levé, il nettoie la maison et épuce les lits. (13) Quand il s'assied, il ramène à son côté le vieux manteau qu'il porte sans rien par-dessous. [23] Le hâbleur. (1) Faire semblant de disposer de biens en réalité inexistants : telle apparaîtra sans doute la hâblerie, et le hâbleur est du genre que voici. (2) Debout sur le môle, il explique à des étrangers qu'il a des fonds considérables engagés en mer; il discourt sur l'importance de son entreprise de prêt, en précisant combien il y a lui-même perdu et gagné . Et tout en enflant les chiffres, il envoie son petit esclave à la banque -- où il a tout juste une drachme ! (3) En voyage, il est homme à snober son compagnon de route, en racontant comment il a fait campagne avec Alexandre, en quels termes il était avec lui, et combien de coupes incrustées de pierreries il a rapportées; il prétend que les artisans d'Asie sont meilleurs que ceux d'Europe -- voilà ce qu'il affirme, lui qui n'a jamais résidé nulle part en dehors de sa cité ! (4) Il dit aussi qu'il possède des lettres d'Antipatros, trois en fait, qui l'invitent en Macédoine; on lui donnait licence d'exporter du bois en franchise, ce qu'il a refusé de peur d'être attaqué ne serait-ce que par un seul délateur -- "les Macédoniens auraient bien dû penser un peu plus loin" ! (5) Et d'affirmer encore qu'à l'époque de la disette, il a dépensé plus de cinq talents en faveur de ses concitoyens nécessiteux, car il ne sait pas dire non. (6) Des inconnus se sont-ils assis près de lui, notre homme prie l'un d'eux de disposer les jetons à calcul et, faisant le total depuis la colonne des milliers jusqu'à celle des unités, puis ajoutant de façon toute plausible les noms des bénéficiaires, il arrive bien à dix talents -- et ceci, affirme-t-il, pour n'alléguer que ses prêts d'amitié, sans parler de ses triérarchies et de toutes les liturgies dont il s'est acquitté. (7) Allant du côté des chevaux de prix, il se donne l'air auprès des vendeurs de vouloir acheter. (8) Se dirigeant vers le secteur des lits au marché, il affirme chercher des tissus pouvant aller jusqu'à deux talents et gourmande son esclave, parce qu'il l'escorte sans avoir pris d'or avec lui. (9) Habitant une maison dont il est locataire, il assure à qui l'ignore que c'est sa demeure de famille et qu'il va la vendre parce qu'elle est trop exiguë pour ses réceptions... [24] L'arrogant. (1) L'arrogance est un mépris de tout sauf de soi-même, et l'arrogant est du genre (2) à dire à une personne pressée qu'il la rencontrera après dîner, durant sa promenade. (3) A-t-il rendu un service, il entend bien qu'on s'en souvienne. (4) Rencontre-t-il en rue des gens qui lui ont confié le soin de départager leurs arbitres, il se fraie de force un passage ! (5) Est-il élu à une fonction gouvernementale, il se dérobe en affirmant sous serment... qu'il n'a pas le temps. (6) Il ne consent à aborder personne le premier. (7) Il est homme à inviter vendeurs et salariés à se rendre chez lui au lever du jour. (8) Lorsqu'il marche en rue, tête baissée, il ne parle pas aux gens qu'il rencontre, mais redresse derechef la tête dès lors qu'il en a envie. (9) Donne-t-il un dîner à ses amis, lui-même ne mange pas avec eux, mais il charge quelqu'un de son personnel de s'occuper d'eux. (10) Quand il est en route, il envoie par avance quelqu'un pour dire qu'il arrive. (11) Il ne laisse entrer personne au moment de sa friction, de son bain ni de son repas. (12) Bien entendu, lorsqu'il règle un compte avec quelqu'un, il enjoint à son esclave de pousser les jetons et, une fois le total fait, de l'inscrire pour lui sur son compte. (13) Dans une lettre, il n'écrit pas "Vous me feriez plaisir...", mais "Je veux que..." et "J'ai envoyé quelqu'un prendre chez vous..." et "Afin que cela ne se fasse pas autrement" et "au plus vite" ! [25] Le couard. (1) La couardise, sans nul doute, aurait assez bien l'air d'une défaillance craintive de l'âme, et le couard est du genre à (2) prétendre, en mer, que les caps sont des barques de pirates; si la houle se lève, il demande s'il se trouve à bord quelqu'un qui n'a pas été initié; la tête levée, il questionne le pilote : est-on à mi-chemin ? que pense-t-il de l'état du ciel ? Il dit au passager assis auprès de lui qu'il se trouve effrayé du fait d'un rêve, enlève sa tunique pour la donner à son esclave et demande qu'on le conduise à terre. (3) Au cours d'une expédition militaire, alors que l'infanterie se porte en renfort, il appelle tout le monde de son côté, enjoignant qu'on se tienne près de lui et que, tout d'abord, on observe les alentours; il dit que le tout est de discerner lesquels en fait sont nos ennemis... (4) Dès qu'il entend des cris et voit tomber des hommes, il dit à ceux qui l'entourent qu'il a oublié, dans sa hâte, de prendre son épée; il court à sa tente, envoie son esclave au dehors en lui ordonnant d'observer les positions de l'ennemi... et cache l'épée sous son oreiller... pour passer ensuite beaucoup de temps à paraître la chercher ! (5) Voyant, dans sa tente, qu'on ramène un de ses amis blessés, il se précipite, l'exhorte au courage, le soulève et le transporte. Puis il soigne cet homme, éponge le sang et, assis auprès de lui, chasse les mouches de sa blessure : bref, tout plutôt que combattre l'ennemi ! Et lorsque le trompette a sonné la charge, le gaillard dit, assis dans sa tente : "Va-t-en au diable ! C'est qu'à sonner sans arrêt, il ne laissera pas le pauvre homme prendre de repos !" (6) Et plein d'un sang qui provient de la blessure d'autrui, il rencontre ceux qui reviennent du combat; il raconte, comme s'il avait couru un danger :"J'ai sauvé un de nos amis !", et introduit auprès du gisant les hommes de son dème, ceux de sa tribu, tout en expliquant à chacun de ceux-ci comment lui-même a, de ses mains, rapporté le blessé dans la tente. [26] Le réactionnaire. (1) La tendance réactionnaire aurait assez bien l'air d'un amour du pouvoir qui convoite puissance et profit, et le réactionnaire est un homme du genre (2) que voici. Alors que le peuple délibère sur le choix des citoyens qui, avec l'archonte, s'occuperont de la procession, notre homme se présente à la tribune pour déclarer que ces citoyens doivent disposer des pleins pouvoirs; si d'aucuns proposent dix noms, lui, il assure : "Il suffit d'un seul, mais celui-là doit être un homme !". Des vers d'Homère, voici le seul qu'il retient (quant au reste, il n'en connaît rien) : "Ce n'est pas un bien qu'une souveraineté multiple; qu'un seul soit le chef !" (3) Il est homme, assurément, à tenir des propos de ce genre : "Nous devons nous réunir entre nous pour délibérer de ces questions, nous écarter de la foule et de la place publique, cesser de prendre part au gouvernement et de nous laisser ainsi maltraiter ou honorer par ces gens-là"; et encore "soit c'est à eux, soit c'est à nous d'habiter la cité". (4) Le personnage sort vers midi, manteau drapé, cheveux mi-longs, ongles soigneusement taillés et il s'avance fièrement en entonnant des discours de ce genre : (5) "Avec les délateurs, la ville n'est plus habitable !", "nous en voyons de belles, dans les tribunaux, avec nos juges achetés !", "je me demande ce que cherchent ceux qui s'introduisent dans la chose publique", "comme la masse est ingrate et se livre toujours à quiconque partage ou donne !". Et de dire qu'il se sent honteux, à l'Assemblée, quand s'assied près de lui un individu chétif et malpropre. (6) Il ajoute encore : "Quand cesserons-nous de nous ruiner en liturgies et en triérarchies ?", "Combien haïssable la race des chefs populaires ! C'est Thésée qui a été le premier responsable des maux de notre cité, lui qui a ramené dans une seule cité les populations de douze, et aboli leurs royautés; au reste, il a subi son juste sort, puisqu'il a péri le premier sous leurs coups !" {Et autres propos du genre à l'adresse des étrangers et de ceux qui, parmi ses concitoyens, ont même caractère et mêmes préférences politiques.} [27] Le vieux jouvenceau. (1) {L'instruction tardive aurait assez bien l'air d'une application au travail excessive par rapport à l'âge} et l'homme formé sur le tard est du genre (2) que voici. À soixante ans, il apprend des tirades, qu'il oublie quand il veut les réciter lors d'un banquet. (3) Avec son fils, il apprend "droite", "gauche", "en arrière !". (4) Aux fêtes des héros, il apporte sa cotisation aux jouvenceaux et participe à la course aux flambeaux. (5) A-t-il été invité dans un sanctuaire d'Héraclès, le voilà évidemment qui jette son manteau et soulève le boeuf pour lui faire tendre le cou. (6) Il entre dans les palestres pour s'exercer à la lutte. (7) Aux spectacles de foire, il endure trois ou quatre représentations, tant il s'efforce d'apprendre les airs chantés. (8) Se fait-il initier au culte de Sabazios, il s'empresse pour paraître tout beau auprès du prêtre. (9) S'amourachant d'une prostituée, il attaque sa porte à coups de bélier, se fait rosser par son rival et se trouve en procès. (10) A-t-il emprunté un cheval pour se rendre à la campagne, tout en faisant des exercices d'équitation, il tombe et se brise la tête. (11) Aux banquets des décadistes, il convie ceux qui, avec lui, en sont les promoteurs. (12) Il joue à la grande statue avec son serviteur. (13) Il tire à l'arc et lance le javelot avec le surveillant de ses enfants, tout en conseillant à ce dernier de prendre des leçons avec lui, comme si cet homme-là n'y connaissait rien ! (14) Tout en luttant, aux bains, il roule continuellement des hanches, pour avoir l'air bien entraîné. (15) Y a-t-il des dames en vue, il s'exerce à esquisser des pas de danse en se fredonnant à lui-même un accompagnement. [28] La mauvaise langue. (1) Faire la mauvaise langue, c'est un penchant de l'âme à aller au pire dans les propos, et la mauvaise langue est le genre d'homme que voici. (2) On lui demande : "Un tel, c'est qui ?"; il se gonfle, comme font les généalogistes : "Tout d'abord, je commencerai par sa lignée. Le père de cet homme-là s'appelait à l'origine Sosias, mais à l'armée il est devenu Sosistrate puis, une fois inscrit à la commune, . Sa mère pourtant est noble -- une noble Thrace; la chère âme s'appelle en tout cas Krinokoraka, et les femmes de cette espèce sont, dit-on, nobles dans leur patrie. Aussi l'individu lui-même, issu de telles gens, n'est-il qu'un coquin, bon pour le fouet !" (3) Méchamment encore, notre homme dit à quelqu'un : "Parbleu ! c'est que je connais, moi, ce genre d'affaires, à propos desquelles tu te fourvoies, ici, devant moi !" Et là-dessus, entrant dans le détail : "Ces femmes-là, dans la rue, elles s'emparent des passants !", puis "Cette maison-là, c'est une qui lève les jambes ! C'est pas de la frime, ce qu'on dit : comme les chiennes, elles s'accouplent en rue". Et : "Bref, des filles qui parlent aux hommes !" et : "elles vont elles-mêmes répondre à la porte de la cour !" (4) Et bien sûr, si d'autres font la mauvaise langue, il vient à la rescousse en disant : "Eh ! bien, moi, voilà un homme que j'exècre plus que tous; car il est détestable, rien qu'à voir son visage; sa méchanceté, il n'y a rien de pareil... La preuve : à sa femme, qui lui a pourtant apporté une belle dot, depuis qu'elle porte un enfant de lui, il donne juste trois sous pour sa nourriture, et il l'oblige à prendre un bain froid le jour de Poseidon. (5) Est-il assis dans un groupe, c'est l'homme à parler de celui qui vient juste de s'en aller et, une fois qu'il a commencé, à ne pas s'abstenir non plus d'insulter la maisonnée de l'absent. (6) Il médit copieusement de ses amis et familiers, et même des défunts, dénommant cette attitude liberté de parole, démocratie et liberté et tenant cela pour la chose la plus agréable de la vie. (7) {Ainsi la démangeaison de l'enseignement affole-t-elle les gens et les fait-elle sortir d'eux-mêmes.} [29] La canaille. (1) La canaillerie, c'est un désir du mal, et la canaille est du genre (2) que voici. Cet individu cherche à rencontrer les gens qui ont perdu un procès ou ont été condamnés dans des actions publiques : il imagine qu'à leur contact, il deviendra plus expert et plus redoutable. (3) Des gens honnêtes, il dit : "Oui, ... en apparence"; il assure que personne n'est honnête, que tous sont pareils, et tourne en dérision "il est honnête". (4) Du méchant, il dit que, si on veut bien l'examiner, c'est un homme libre; il admet que tout ce que les gens disent à son sujet est vrai, mais il y a tout de même des choses qu'on méconnaît : cet homme-là, dit-il, a une bonne nature, il est attaché à ses amis, adroit; et de soutenir énergiquement qu'il n'a jamais rencontré personne de plus capable. (4a) La canaille prend encore parti pour le méchant quand celui-ci parle à l'Assemblée ou se trouve accusé au tribunal; il est même de ceux qui diraient aux juges que ce n'est pas l'homme qui doit être jugé, mais l'affaire... Cet homme-là, affirme-t-il, est un chien de garde pour le peuple, car il surveille les malfaiteurs. Et d'ajouter : "Nous n'aurons personne pour se charger avec nous des intérêts publics si nous abandonnons de pareils citoyens". (5) La canaille est homme aussi à se faire le défenseur de vils individus, à plaider dans les tribunaux pour de sales affaires et, lorsqu'il rend un jugement, à tirer dans le plus mauvais sens les arguments des parties adverses. (6) {Bref, la canaillerie est soeur de la méchanceté. C'est bien vrai, ce que dit le proverbe : "Le pareil va vers son pareil".} [30] Le cupide (1) La cupidité est le désir d'un gain honteux, et le cupide est du genre (2) à ne pas faire servir de pain en suffisance quand il invite à un repas. (3) Il demande un emprunt à un hôte qui loge chez lui. (4) Quand il distribue des portions, il affirme qu'il est juste d'en donner le double au distributeur... et se l'adjuge immédiatement à lui-même. (5) Vend-il du vin, il le fournit tout mélangé à son ami. (6) Il va au théâtre avec ses fils les jours où les entrepreneurs de spectacle laissent entrer gratuitement. (7) Voyageant à l'étranger en mission officielle, il a laissé chez lui l'indemnité qui lui est allouée par l'État, mais emprunte auprès de ses collègues d'ambassade; il charge son serviteur d'un fardeau plus lourd que celui-ci n'en peut porter et lui octroie des provisions de route plus chiches que quiconque. Il réclame, pour la revendre, sa part des cadeaux faits aux ambassadeurs. (8) Se frictionne-t-il, au bain, tout en disant : "Mais elle est rance, gamin, l'huile que tu as achetée !", il utilise celle de son voisin. (9) Il est homme encore à réclamer sa part de la monnaie trouvée en rue par ses serviteurs, en affirmant : "Hermès est à tout le monde !". (10) A-t-il donné son manteau à nettoyer, il prend celui d'une connaissance et traîne ainsi plusieurs jours, jusqu'à ce qu'il lui soit réclamé. (11) Et des traits de ce genre : c'est avec une mesure phidonienne, dont le fond est bombé vers l'intérieur, qu'il mesure lui-même les vivres nécessaires à la maisonnée, et en nivellant strictement ! (12) Un ami lui paraît-il avoir acheté une chose au-dessous de son prix, il la rachète à sa guise, pour la revendre une fois qu'il la tient. (13) Et bien sûr, ayant à rembourser une dette de trente mines, il paie quatre drachmes de moins. (14) Si ses fils, parce qu'ils sont souffrants, ne vont pas à l'école pendant le mois tout entier, il défalque des droits de scolarité un montant proportionnel; et durant le mois d'Anthesterion, où il y a nombre de spectacles, il ne les envoie pas à leurs leçons, pour ne pas devoir payer le traitement des maîtres. (15) Perçoit-il d'un esclave une redevance, il réclame de surcroît le change de la monnaie de cuivre, et de même lorsqu'il reçoit les comptes de son intendant. (16) Donne-t-il à dîner aux membres de sa phratrie, il demande à la caisse commune la nourriture de ses propres esclaves, et fait inscrire les demi-radis abandonnés sur la table, de peur que les esclaves de service ne les prennent. (17) S'il est en voyage avec des connaissances, il se sert de leurs esclaves, tandis qu'il loue les siens à l'extérieur, sans verser leurs gages à la caisse commune. (18) Des gens se réunissent-ils chez lui, il fait bien entendu l'estimation des denrées qu'il a lui-même fournies : bois, lentilles, vinaigre, sel, huile de lampe. (19) Si l'un de ses amis convole ou bien marie sa fille, quelque temps à l'avance, notre homme se rend à l'étranger, afin de ne pas devoir faire de cadeau. (20) Il emprunte à ses connaissances ce genre de choses que personne ne réclamerait ni ne reprendrait volontiers quand bien même on offrirait de les rendre.