[41,0] XLI. De l'Asie, de la Phrygie, de la Lydie, de la Teuthranie, et, dans ces contrées, de la ville d'Éphèse, du mont Mimas, des hommes illustres des temps d'Homère et d'Hésiode, de l'animal dit bonnaque, des tombeaux d'Ajax et de Memnon, des oiseaux memnoniens, du caméléon, des cigognes. Vient ensuite l'Asie, non pas celle qui, dans le partage du monde, a pour limites des fleuves, le Nil du côté de l'Égypte, le Tanaïs du côté du lac Méotide ; mais celle qui commence à Telmesse en Lycie, où commence aussi le golfe Carpathien. Cette Asie est bornée à l'est par la Lycie et la Phrygie, à l'ouest par la mer Égée : au midi par la mer d'Égypte, au nord par la Paphlagonie. On y trouve une ville très remarquable, Éphèse : Éphèse est célèbre par le temple de Diane, ouvrage des Amazones, et si magnifique que Xerxès, qui livrait aux flammes tous les temples d'Asie, épargna celui-là seul ; toutefois, cette faveur de Xerxès ne sauva pas longtemps l'édifice sacré : Hérostrate, pour donner à son nom une triste célébrité, incendia de sa main ce monument fameux ; il avoua lui-même que son but était de s'illustrer ainsi. On a remarqué que le temple d'Éphèse fut brûlé le jour même qu'Alexandre le Grand naquit à Pella. Ce jour, d'après Nepos, appartient aux temps du consulat de M. Fabius Ambustus et de Titus Quintius Capitolinus, c'est-à-dire à l'an trois cent quatre-vingt-cinq de la fondation de Rome. Comme les Éphésiens voulurent rétablir ce temple dans de plus larges proportions, Dinocrate présida à la reconstruction. C'est ce Dinocrate qui, comme nous l'avons dit plus haut, traça, par ordre d'Alexandre, le plan d'Alexandrie en Égypte. Nulle part il n'y a autant de tremblements de terre, autant de villes victimes des inondations qu'en Asie. C'est ce qu'ont prouvé les désastres de l'Asie, puisque sous Tibère douze villes à la fois ont été détruites. L'Asie a produit de beaux génies : parmi les poètes, Anacréon, Mimnerme, Antimaque, Hipponax, Alcée, et Sapho, cette femme si célèbre ; parmi les historiens, Xanthus, Hécatée, Hérodote, puis Éphore et Théopompe ; Bias, Thalès, Pittacus, qui sont comptés au nombre des sept sages ; Cléanthe, si éminent parmi les stoïciens ; Anaxagore, ce scrutateur de la nature ; Héraclite, qui pénétra dans les secrets d'une science plus profonde encore. À l'Asie succède la Phrygie, où se trouve Célène, qui, plus tard, changeant de nom, et reconstruite par Seleucus, est devenu Apamie. C'est là que naquit et fut enseveli Marsyas, et c'est de là que le fleuve voisin a pris le nom de Marsyas. La lutte sacrilège qu'il osa soutenir contre Apollon, en lui disputant le prix de la flûte, est attestée par une vallée où se trouve une source, et qui a conservé le monument de ce fait : cette vallée, qui est à une distance de dix mille pas d'Apamie, s'appelle encore aujourd'hui d'Aulocrène. Des hauteurs d'Apamie sort le Méandre, dont les eaux sinueuses se précipitent, entre la Carie et l'Ionie, dans un golfe qui sépare Milet et Priène. La Phrygie est située au-dessus de la Troade, et bornée au nord par la Galatie, au midi par la Lycaonie, la Pisidie, la Mygdonie. À l'est de la Phrygie se trouve la Lydie, au nord la Mésie, au midi la Carie. En Lydie, se trouve le mont Tmolus, qui produit beaucoup de safran ; et le Pactole, qui roule de l'or dans ses eaux : ce fleuve est aussi appelé Chrysorrhoas. Dans cette contrée naît un animal, que l'on nomme bonnaque, qui a du taureau la tête et le reste du corps, mais dont la crinière est celle du cheval. Ses cornes sont tellement contournées sur elles-mêmes, que leur choc ne peut produire aucune blessure. Mais le secours que lui refuse sa tête, son ventre le lui fournit : en fuyant, il jette et lance derrière lui, jusqu'à trois jugères de distance, des excréments qui brûlent tout ce qu'ils touchent. C'est au moyen de ces excréments dangereux qu'il tient à l'écart ceux qui le poursuivent. La ville principale de l'Ionie est Milet, célèbre par la naissance de Cadmus : je veux parler de celui qui, le premier, écrivit en prose. Non loin d'Éphèse est la ville de Colophon, célèbre par les oracles qu'y rendait Apollon Clarien. On voit aussi près de là le Mimas, dont la cime, quand les brouillards l'enveloppent, présage la tempête. La capitale de la Méonie est Sypile, autrefois appelée Tantalis, en souvenir de la triste maternité de Niobé, qui perdit tous ses enfants. Smyrne est baignée par le Mélès, qui, parmi les fleuves de l'Asie, occupe le premier rang. Les plaines de Smyrne sont traversées par l'Hermus, né près de Dorylée en Phrygie, et qui sépare la Phrygie de la Carie. Les anciens ont cru que l'Hermus aussi roulait de l'or dans ses flots. Le plus beau titre de Srnyrne, c'est d'être la patrie d'Homère, qui mourut deux cent soixante-douze ans après la prise de Troie, sous le règne du roi albain Agrippa Sylvius, fils de Tyberinus, cent soixante ans avant la fondation de Rome. Entre lui et Hésiode, qui mourut au commencement de la première olympiade, il y a un intervalle de cent trente-huit ans. Sur la côte de Rhétée, les Athéniens et les Mityléniens bâtirent auprès du tombeau d'Achille, la ville d'Achillion, aujourd'hui en ruines ; puis à quarante stades, sur la pointe opposée, les Rhodiens bâtirent en l'honneur d'Ajax de Salamine, une ville qui reçut le nom d'Éantium. Près d'Ilion est un autre tombeau, celui de Memnon, autour duquel se rassemblent tous les ans, venant de l'Éthiopie, des oiseaux que l'on nomme memnoniens. Cremutius dit que ces mêmes oiseaux reviennent en troupe tous les cinq ans en Éthiopie, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, et se rassemblent autour du palais de Memnon. Dans les terres, au-dessus de la Troade, est la Teutranie, qui fut la première patrie des Mésiens. Cette contrée est arrosée par le Caïque. Dans toute l'Asie on trouve un grand nombre de caméléons : ce quadrupède ressemble au lézard, et n'en diffère qu'en ce que ses jambes, droites et plus hautes, ont leur point d'attache sous le ventre ; sa queue est longue et se replie circulairement ; il a des ongles en forme d'hameçons, aigus et crochus, une marche lente que l'on pourrait comparer à celle de la tortue ; la surface de la peau, écailleuse et rude, comme celle du crocodile ; les yeux enfoncés, et comme perdus dans leur orbite, et que jamais il ne voile en clignant. S'il regarde autour de lui, ce n'est pas par le mouvement de la prunelle, mais en tournant un oeil fixe. Il a toujours la gueule ouverte, sans que cependant elle lui serve : car il vit sans manger et sans boire ; l'air est son seul aliment. Sa couleur est variable ; elle change selon les objets qu'il touche. Il y a deux couleurs seulement qu'il ne peut prendre, le rouge et le blanc ; il prend facilement toutes les autres. Son corps est presque sans chair ; il n'a point de rate, et ce n'est que dans le coeur qu'on lui trouve un peu de sang. Il se cache l'hiver, ne paraît qu'au printemps. Le corbeau l'attaque et le tue : mais le caméléon devient funeste à son vainqueur ; car pour peu que le corbeau en mange, il meurt ; la nature, toutefois, fournit un remède à cet oiseau : car quand il se sent empoisonné, il se guérit en avalant une feuille de laurier. Il y a en Asie de vastes plaines, que l'on appelle Pythonos Come, où, à leur arrivée, se rassemblent les cigognes ; celle qui arrive la dernière est mise en pièces par les autres. Quelques-uns pensent qu'elles n'ont pas de langue, et que le craquement qu'elles font entendre est produit par le bec plutôt que par l'organe vocal. Elles ont une piété admirable : autant elles ont passé de temps à élever leur couvée, autant leurs petits, à leur tour, passent de temps à les nourrir. Elles couvent avec tant d'assiduité, qu'elles en perdent leurs plumes. Leur faire du mal est partout considéré comme un crime, mais surtout en Thessalie, où il y a une effroyable quantité de serpents, qu'elles chassent pour en faire leur pâture, rendant par là un grand service au pays. [42,0] XLII. De la Galatie. La Galatie fut dans les premiers temps occupée par les anciens Gaulois, dont les noms de Tolistobogues, Vétures, Ambitotes subsistent encore. Toutefois la Galatie indique assez, par son nom, à qui elle doit son origine. [43,0] XLIII. De la Bithynie, et, dans la Bithynie, mort et tombeau d'Hannibal. La Bithynie, à la frontière du Pont, et vis-à-vis de la Thrace du côté de l'orient, contrée opulente et pleine de villes. commence à la source du fleuve Sangarius ; elle s'est appelée autrefois Bébrycie, puis Mygdonie, et enfin Bithynie, du roi Bithynus. Dans ce pays, la ville de Pruse est baignée par le fleuve Hylas, et par le lac du même nom, aux bords duquel habitait le jeune Hylas, aimé d'Hercule, puis enlevé par des nymphes; en mémoire de cet enfant, le peuple fait solennellement, encore aujourd'hui, le tour du lac, en répétant le nom d'Hylas. C'est aussi dans la Bithynie que se trouve Lybyssa, voisine de Nicomédie, et fameuse par le tombeau d'Hannibal ; de cet Hannibal qui, après la décision des Carthaginois, se réfugia d'abord auprès d'Antiochus ; qui, depuis, lorsqu'une bataille malheureuse aux Thermopyles eut abattu le prince, vint demander l'hospitalité à Prusias ; qui, enfin, pour n'être pas livré à Titus Quintius, qui avait été envoyé en Bithynie dans le but de s'en emparer, voulut éviter la honte d'être conduit à Rome, comme captif, et trouva dans le poison un moyen d'échapper aux fers que lui préparaient les Romains. [44,0] XLIV. Port de l'Acone et caverne d'Achéron. Sur la côte du Pont, après le Bosphore, le fleuve Rhesus et le port Calpas, le fleuve Sagaris, autrement dit Sangarius, qui prend sa source en Phrygie, établit le commencement du golfe Maryandinien. C'est là que sur le fleuve Lycus, est située Héraclée ; c'est là qu'est le port Acone, tellement célèbre par ses mauvaises herbes, que de son nom vient aux plantes vénéneuses celui d'aconit. Près de là est la caverne de l'Achéron, dont les profondeurs, par un sombre conduit, vont, dit-on, jusqu'aux enfers. [45,0] XLV. Paphlagonie, et origine des Vénètes. La Galatie termine la Paphlagonie par derrière. La Paphlagonie, du cap de Carambis, regarde la Taurique ; là s'élève, à une hauteur de soixante-trois mille pas, le mont Cytore ; là est le pays des Hénètes, d'où, selon Cornelius Nepos, se sont rendus en Italie les Paphlagons, qui bientôt après prirent le nom de Vénètes. Les Milésiens ont fondé dans ce pays plusieurs villes ; Mithridate y bâtit Eupatorie qui, après la défaite de ce prince par Pompée, prit le nom de Pompéiopolis. [46,0] XLVI. De la Cappadoce, et des chevaux de ce pays. De toutes les nations qui avoisinent le Pont, la Cappadoce est celle qui s'étend le plus dans les terres. Du côté gauche, elle se prolonge au-delà des deux Arménies et de la Comagène ; du côté droit, elle est environnée d'un grand nombre de peuples de l'Asie. Elle s'élève vers le Taurus, à l'orient. Elle passe la Lycaonie, la Pisidie, la Cilicie ; elle s'étend sur la Syrie Antiochienne, et d'un autre côté en Scythie. L'Euphrate la sépare de la grande Arménie, qui commence aux monts Parydres. Il y a en Cappadoce beaucoup de villes célèbres ; nous en passons sous silence plusieurs : remarquons toutefois Archélaide, sur le fleuve Halys, colonie fondée par l'empereur Claude ; Néocésarée que baigne le Lycus ; Mélite, bâtie par Sémiramis ; Mazaque, regardée par les Cappadociens comme la reine des villes : elle est située au pied du mont Argée, dont le sommet est chargé de neiges, que les chaleurs mêmes de l'été ne font pas disparaître, et que les peuples voisins croient habitée par un dieu. C'est dans cette contrée surtout qu'on élève les chevaux ; et elle leur convient parfaitement. Nous entrerons ici dans quelques détails sur le caractère de ces animaux. Une foule d'exemples prouvent leur intelligence. On en a vu qui ne reconnaissaient que leurs anciens maîtres, oubliant la condition qu'ils avaient subie depuis. Ils distinguent si bien les ennemis de leur parti, qu'au milieu du combat ils les attaquent et les mordent. Ce qui est plus remarquable encore, c'est qu'après avoir perdu les cavaliers qu'ils aimaient, ils se laissent mourir de faim. Mais c'est dans les chevaux de meilleure race que l'on trouve ce caractère : car ceux qui sont de race bâtarde n'ont rien présenté qui soit digne de remarque. Pour ne paraître avancer rien de suspect, nous citerons des exemples. Alexandre le Grand eut un cheval, nommé Bucéphale, soit à cause de son regard farouche, soit parce qu'il avait une tête de taureau marquée sur l'épaule, soit enfin que de son front, présentant une forme de corne, jaillît la menace. Il se laissait monter facilement par son palefrenier en toute circonstance ; mais paré du harnais royal, il ne daignait porter que son maître. Dans plusieurs combats, il sauva Alexandre des dangers les plus imminents ; ses services lui valurent, après sa mort dans l'Inde, des funérailles que le prince honora de sa présence ; Alexandre éleva même, en souvenir de son nom, la ville de Bucéphale. Le cheval de C. César ne se laissait monter que par César lui-même. Il avait les pieds de devant semblables à ceux de l'homme : c'est ainsi qu'il est représenté devant le temple de Vénus Génitrix. Un roi des Scythes ayant été tué dans un combat singulier, son cheval écrasa sous ses pieds, et déchira de ses dents le vainqueur qui s'était approché pour dépouiller le mort. La contrée d'Agrigente a beaucoup de tombes élevées à des chevaux, en mémoire de leurs services. Ils aiment les spectacles du cirque, et sont animés à la course, soit par les sons de la flûte, soit par les danses, soit par la variété des couleurs ; quelques-uns enfin le sont par l'éclat des flambeaux. Ils expriment leurs sentiments par des larmes. Le roi Nicomède ayant été tué, son cheval se laissa mourir de faim. Antiochus, ayant dans une bataille vaincu les Galates, monta, pour triompher, sur le cheval d'un chef du nom de Cintarète, qui avait été tué en combattant ; le cheval se rendit tellement maître du frein, que, se laissant tomber à dessein, il écrasa son cavalier en succombant lui-même. Les jeux du Cirque, célébrés par l'empereur Claude, ont aussi prouvé l'intelligence de ces animaux. Un des concurrents ayant été renversé de son char, ses chevaux, par leur adresse comme par leur célérité, devancèrent tous ceux qui lui disputaient le prix, et, après avoir fourni la carrière voulue, ils s'arrêtèrent d'eux-mêmes au lieu où se donnait la palme, semblant réclamer le prix de la victoire. Un conducteur de char, nommé Rutumanna, s'étant laissé tomber, ses chevaux quittèrent la lice et se précipitèrent vers le Capitole : ils ne s'arrêtèrent, malgré les embarras de la voie publique, qu'après avoir trois fois fait le tour, de gauche à droite, du temple de Jupiter Tarpéien. Chez les chevaux, les mâles vivent plus longtemps que les femelles : on lit qu'un cheval vécut soixante-dix ans. Il est certain que les chevaux engendrent jusqu'à trente-trois ans ; après vingt ans, on les retire du cirque pour les employer comme étalons. On cite même un cheval d'Oponte qui put être ainsi employé jusqu'à quarante ans. On apaise l'ardeur des cavales en leur tondant la crinière. Les chevaux apportent en naissant le philtre qu'on nomme hippomanès : c'est un morceau de chair qui est attaché au front du poulain nouvellement né ; il est de couleur noire, et semblable à une cicatrice. Si on l'enlève sur le champ, la mère refuse ses mamelles à son petit. Plus un cheval a d'ardeur et plus il promet, plus il enfonce dans l'eau ses naseaux pour boire. Les Scythes n'emploient pas les mâles pour la guerre ; ils préfèrent les juments, parce qu'elles peuvent rendre leur urine sans cesser de courir. Il y a des juments qui sont fécondées par les vents ; mais leurs poulains ne vivent pas au-delà de trois ans. [47,0] XLVII. De l'Assyrie et de la Médie, et, dans ces contrées, de l'origine des parfums, de l'arbre médique. L'Adabiène ouvre l'Assyrie ; c'est là que se trouve l'Arbalétide, que la victoire d'Alexandre le Grand ne nous permet pas de passer sous silence : là, il mit en fuite les troupes de Darius, fit ce prince prisonnier, et dans son camp, dont il s'était emparé, il trouva, parmi d'autres dépouilles, une boîte de parfums. Le goût des parfums étrangers s'est depuis répandu à Rome. La vertu de nos ancêtres nous a préservés quelque temps de leurs attraits pernicieux : ainsi, pendant leur censure, en l'an de Rome six cent soixante-cinq, Publius Crassus et Jules César prohibèrent l'entrée des parfums exotiques. Mais nos vices l'emportèrent bientôt, et ce genre de délices plut tellement aux sénateurs, que même dans l'exil ils ne s'en abstenaient pas. L. Plotius, frère de L. Plancus, deux fois consul, proscrit par les triumvirs, fut trahi, dans sa retraite de Salerne, par l'odeur de ses parfums. Vient ensuite la Médie, qui produit un arbre illustré par le poète de Mantoue : c'est un arbre élevé, dont la feuille ressemble à celle de l'arbousier ; il n'en diffère d'ailleurs qu'en ce qu'il est hérissé de piquants. Le fruit, qui est un excellent antidote, a une saveur âpre, d'une amertume prononcée ; mais rien n'est plus agréable que son odeur, qui se répand au loin. Il donne une si grande abondance de fruits, que ses branches plient sous leur poids. Quand ils tombent de maturité, aussitôt d'autres se produisent, et cette fécondité n'éprouve de retard que parce qu'il faut que les fruits venus les premiers soient tombés. Des nations ont voulu s'approprier cet arbrisseau, et le propager chez elles par rejetons ; mais la Médie seule a pu jouir de ce bienfait : la nature l'a refusé à tout autre pays. [48,0] XLVIII. Portes Caspiennes. Les portes Caspiennes sont formées par un passage pratiqué de main d'homme, et qui a huit mille pas de longueur ; quant à la largeur, à peine un chariot peut-il passer. Dans les aspérités de ces gorges s'élèvent des rochers escarpés, d'où s'échappent en très grande abondance des courants d'eau salée, à laquelle la chaleur donne de la consistance, et qui forme une sorte de glace d'été, ce qui rend ce passage presque inaccessible. En outre, ce trajet qui en tout est de vingt-huit mille pas, n'offre sur aucun de ses points de puits ou de fontaines, où l'on puisse se désaltérer ; et puis des serpents y viennent en foule de toutes parts dès le printemps. Ainsi, soit à cause des dangers, soit à cause des difficultés de la route, on ne peut aborder ce pays qu'en hiver. [49,0] XLIX. La plaine Direum. De la Margiane et des villes de cette contrée. À l'est de la mer Caspienne est une plaine nommée Direum, d'une extrême fertilité : elle est environnée par les Tapyres, les Naricles, les Hyrcaniens. Près de là est aussi la Margiane, dont le sol et le ciel sont si favorables, qu'elle seule, dans tout le pays, voit prospérer la vigne. Des montagnes forment autour d'elle un amphithéâtre de quinze cents stades, dont l'abord est rendu presque inaccessible par une solitude sablonneuse qui n'a pas moins de cent vingt mille pas en tout sens. Alexandre le Grand fut si charmé de la beauté de ce pays, qu'il y fonda Alexandrie, et qu'après la destruction de cette ville par les barbares, Antiochus, fils de Seleucus, la rebâtit, et, du nom de sa famille, l'appela Séleucie. La ville a soixante-dix stades de tour. C'est là qu'Orode conduisit les Romains faits prisonniers à la défaite de Crassus. Alexandre fonda aussi chez les Caspiens une autre ville, nommée Héraclée tant qu'elle subsista, mais qui, détruite par les barbares, fut rebâtie par Antiochus, qui préféra l'appeler Achaïs. [50,0] L. Nations des environs de l'Oxus. Limites des voyages de Bacchus et d'Hercule. Description de ces pays et de leurs peuples. De la nature des chameaux. L'Oxus prend sa source dans un lac du même nom ses bords sont habités des deux entés par les Batènes et les Oxistaques ; mais les Bactres en occupent la plus grande partie. Les Bactres ont un fleuve du nom de Bactres, d'où est venu le nom de Bactre, leur ville. Cette contrée a pour limites, par derrière la chaîne du Paropamise, par-devant les sources de l'Indus ; le reste est embrassé par le fleuve Oxus. Au-delà est Panda, ville des Sogdiens, sur les frontières desquels Alexandre le Grand bâtit une troisième Alexandrie, pour y constater le terme de ses voyages. C'est le point où furent élevés des autels d'abord par Bacchus, puis par Hercule, ensuite par Sémiramis, et enfin par Cyrus ; tous ont tenu à honneur de s'être avancés jusque là. C'est là que sont les frontières du pays, déterminées par un fleuve que les Bactres seuls appellent Iaxarte : les Scythes le nomment Silis. L'armée d'Alexandre le Grand le prit pour le Tanaïs ; mais Démodamas, général de Seleucus et d'Antiochus, que l'on doit regarder comme compétent en cette matière, ayant franchi ce fleuve, et surpassé ainsi la gloire de ses devanciers, se convainquit que c'était un autre fleuve que le Tanaïs. Pour consacrer sa gloire, il éleva en ces lieux des autels à Apollon Didyméen. Là se trouvent les limites de la Perse et la Scythie. Les Perses donnent aux Scythes le nom de Saces ; de leur côté, les Scythes appellent les Perses Chorsaques, et le Caucase Croucasse, c'est-à-dire blanc de neige. Il y a là une foule de peuples qui observent inviolablement des lois qui, dès le principe, ont été adoptées d'un commun accord avec les Parthes. Les plus célèbres d'entre eux sont les Massagètes, les Essédons, les Satarques et les Apaléens. Après eux viennent, parmi les nations les plus barbares, des peuples sur les moeurs desquels on n'a rien dit qui nous ait paru avoir le caractère de la certitude. On trouve dans la Bactriane les chameaux les plus forts, quoique l'Arabie en produise un grand nombre. Ils diffèrent toutefois des chameaux d'Arabie : ceux-ci ont deux bosses sur le dos, et ceux de la Bactriane n'en ont qu'une. Ils n'usent jamais le dessous de leurs pieds, car ils sont munis d'une sorte de semelle charnue qui se renouvelle ; mais, en compensation, ils ont, dans la marche, à redouter un autre mal, leurs pieds n'ayant rien qui leur soit en aide quand ils s'appuient dessus pour faire effort. On les emploie à un double service. Les uns sont plus propres à porter des fardeaux, les autres plus convenables pour la course : mais les premiers ne veulent porter que des fardeaux en rapport avec leurs forces ; et les autres ne se soumettent qu'à parcourir une distance accoutumée. Ils sont tellement tourmentés du désir de la reproduction, qu'ils entrent en fureur quand ils veulent assouvir leur passion. Ils ont une aversion naturelle pour le cheval. Ils supportent la soif pendant quatre jours, et, quand ils en trouvent l'occasion, ils boivent pour la soif passée et pour la soif à venir. Ils recherchent l'eau trouble, évitent celle qui est claire. Si l'eau est trop limpide pour eux, ils piétinent pour la troubler, en délayant la vase. Ils vivent jusqu'à cent ans, à moins que le changement de climat ne leur cause des maladies. On destine les femelles à la guerre, et on a imaginé un genre de castration pour éteindre en elles le désir de l'accouplement : on croit leur donner plus de force en leur rendant l'approche du mâle impossible.