[31,0] XXXI. Des Éthiopiens, et des curiosités de lieux et de peuples qu'offre l'Éthiopie. Des dragons, de la pierre dite dracontia, de la girafe, des cèphes, du rhinocéros, du catoblèpe, des fourmis d'Éthiopie, de Lycaon, du parandre, des loups d'Éthiopie, du porc-épic, des oiseaux dits pégase et tragopane, des pierres dites hyacinthe, chrysopaste, hématite. Les Éthiopiens, et les nations atlantiques, sont séparés par le Niger, que l'on regarde comme le père du Nil. Il offre comme lui le papyrus, le calamus, les mêmes animaux, les mêmes inondations, et rentre dans son lit en même temps que le Nil. Les Éthiopiens Garamantes ne connaissent pas le mariage : la communauté des femmes est un usage du pays. Ainsi les mères seules reconnaissent leurs fils ; le titre honorable de père n'est applicable à aucun. Qui pourrait, en effet, distinguer un père au milieu d'une pareille licence de moeurs ? Aussi les Éthiopiens Garamantes passent-ils pour un peuple dégénéré, et à juste titre, puisque, par suite de cette promiscuité le nom de la famille se perd tristement. L'Éthiopie s'étend au loin. Dans la partie de l'Afrique où se trouve Méroé, il y a de nombreuses et diverses nations éthiopiennes. De ce nombre sont les Nomades, qui vivent du lait des cynocéphales. Les Syrbotes ont douze pieds de hauteur. Les Azachéens se nourrissent des éléphants qu'ils ont pris à la chasse. Chez les Psambares, tous les quadrupèdes, même les éléphants, sont sans oreilles. Leurs voisins ont pour roi un chien, dont ils étudient les divers mouvements pour pouvoir exécuter ses ordres. Les Éthiopiens maritimes ont, dit-on, quatre yeux, ou plutôt ils ont la vue perçante, et excellent à tirer de l'arc. À l'ouest sont les Agriophages, qui ne se nourrissent que de la chair des panthères et des lions, et dont le roi n'a qu'un oeil au milieu du front. Là aussi sont les Pamphages, qui mangent de toute espèce de comestibles, et se nourrissent de ce que le hasard leur présente. Puis viennent les Anthropophages, dont le nom seul indique les habitudes ; les cynomolges qui ont, dit-on, une gueule de chien et un museau proéminent ; les Artabites, qui errent comme les bêtes sauvages, et n'ont pas de séjour fixe. Les peuples qui habitent aux confins de la Mauritanie, à une certaine époque de l'année, prennent des sauterelles qu'ils salent et conservent pour en faire leur seule nourriture. La plus longue vie chez eux est de quarante ans. De l'Océan à Méroé, première île que forme le Nil, il y a six cent vingt mille pas. Au-delà de Méroé, dans la partie la plus orientale, les Éthiopiens prennent le nom de Macrobiens. Leur vie est en effet de moitié plus longue que la nôtre. Ils pratiquent la justice et l'égalité. Ils sont d'une force et d'une beauté remarquables ; ils emploient le cuivre pour leurs ornements, et fabriquent avec de l'or les chaînes des malfaiteurs. Dans le pays est un lieu nommé "g-Hehliou g-trapeza", où se trouvent toujours en abondance des mets dont chacun peut à volonté se nourrir. Ces mets, dit-on, se multiplient par une volonté particulière des dieux. Il y aussi un lac d'où les corps sortent aussi luisants que si on les eût frottés d'huile. L'eau de ce lac est très saine ; elle est très limpide ; les feuilles mêmes, tombées des arbres, ne surnagent pas, et tombent au fond, tant cette eau est légère. Au-delà de ce pays sont d'affreuses solitudes, des déserts barbares, jusqu'au golfe d'Arabie. Aux extrémités de la partie orientale, les habitants ont un aspect monstrueux : les uns n'ont pas de nez, et leur visage plat offre les traits les plus difformes ; d'autres ont la bouche tellement rétrécie qu'ils ne peuvent prendre leur nourriture que par une petite ouverture et au moyen d'un tuyau d'avoine ; quelques-uns n'ont pas de langue, et ne se font entendre que par gestes et par signes ; quelques autres, avant Ptolémée Lathyre, roi d'Égypte, ne connaissaient pas l'usage du feu. L'Éthiopie, dans son ensemble, se dirige de l'orient d'hiver à l'occident d'hiver. Tout ce qui est au sud présente de verdoyantes forêts. Au midi s'élève également une montagne qui domine la mer, et qu'embrasent des flammes éternelles, un feu qui brille toujours. Au milieu de cet embrasement sont des dragons en grande quantité. Les véritables dragons n'ont pas de gueule avec laquelle ils puissent mordre, mais des espèces de conduits par lesquels ils respirent et font sortir leur langue. Leur force n'est pas dans les dents, mais dans la queue, et c'est par des coups de queue plutôt que par la gueule qu'ils présentent du danger. On tire du cerveau des dragons la pierre dite dracontias, mais on ne peut l'avoir à l'état de pierre qu'en l'enlevant à un dragon vivant : car, si le serpent se sent mourir, en même temps qu'il expire elle perd sa consistance. Les rois de l'orient sont glorieux de se parer de cette pierre, quoique sa dureté n'admette pas les embellissements de l'art. Ce qu'elle offre de remarquable ne vient pas du travail, mais de sa nature même. Sotacus écrit qu'il a vu cette pierre, et il nous apprend comment on se la procure. Les hommes les plus hardis explorent les cavernes, les trous où se retirent ces serpents ; dans l'attente de leur proie, ils vont aux lieux où paît le reptile, et, s'avançant sur des chars rapides, ils répandent des préparations soporifiques, coupent la tête au dragon endormi, et pour prix de cet acte audacieux, rapportent cette pierre, monument de leur témérité. L'Éthiopie est pleine d'animaux sauvages, parmi lesquels est celui qu'ils appellent nabus et que nous nommons caméléopard : il a l'encolure du cheval, les pieds du boeuf, la tête du chameau, des taches blanches semées sur un fond fauve. Rome l'a vu, pour la première fois, aux jeux du Cirque donnés par le dictateur César. À peu près dans le même temps, parurent à Rome, venant aussi de l'Éthiopie, les animaux nommés cèpes, dont les pieds de derrière ressemblent aux pieds et aux jambes de l'homme, et dont les pieds de devant ressemblent à nos mains. Depuis ce temps, on n'a plus revu ces animaux. Avant les jeux donnés par Cneius Pompée, on n'avait pas vu à Rome de rhinocéros ; la couleur de cet animal est celle du buis ; il porte sur le nez une seule corne retroussée, qu'il aiguise contre les rochers pour se préparer au combat contre l'éléphant : il est d'ailleurs de la même longueur que cet animal ; mais il a les jambes plus courtes. Il tâche de frapper l'éléphant au ventre, où il sait que la peau est plus tendre. Près du Niger naît un animal de grandeur médiocre, et comme frappé d'inertie, le catoblépas. Il porte avec peine sa tête pesante ; son regard est funeste : quiconque a rencontré ses yeux est sur-le-champ frappé de mort. Les fourmis, en Éthiopie, ont la grandeur d'un gros chien. Elles tirent l'or des mines avec leurs pattes qui ont la forme de celles des lions ; elles veillent à leur butin, et mettent en pièces ceux qui voudraient le leur ravir. L'Éthiopie produit aussi le lycaon : c'est un loup qui a une crinière, et dont les couleurs changent tellement qu'on peut dire qu'il les a toutes. Elle produit encore le taraude, qui a la taille du boeuf, le pied fendu, le bois rameux, la tête semblable à celle du cerf, la couleur et le long poil de l'ours. On dit qu'il change d'aspect quand il a peur, et que, lorsqu'il se cache, il prend la couleur des objets qu'il approche, que ce soit une pierre blanche, un arbrisseau, ou toute autre chose. Les polypes dans la mer et sur la terre, les caméléons présentent les mêmes phénomènes ; mais le polype et le caméléon n'ont pas de poil, ce qui rend plus concevable leur ressemblance de couleur avec les objets dont ils approchent. Toutefois remarquons, comme une chose inouïe et singulière, cette propriété des poils hérissés de pouvoir prendre successivement diverses couleurs. De là vient que l'on prend difficilement ces animaux. Le propre des loups d'Éthiopie, c'est de bondir avec tant de rapidité que leur course n'est pas plus rapide que leur marche. Cependant jamais ils n'attaquent les hommes. Ils sont couverts de poils en hiver ; ils sont nus en été. On les appelle thos. Le porc-épic est très commun dans ce pays ; il est du genre des hérissons ; son dos est armé de piquants qu'il lâche et décoche volontairement pour opposer une nuée de traits aux chiens qui l'attaquent. Le ciel de l'Éthiopie voit aussi naître un animal ailé qu'on nomme pégase, mais qui ne ressemble au cheval que par les oreilles ; et le tragopan, oiseau plus grand que l'aigle, dont la tête est armée de cornes de bélier. Les Éthiopiens recueillent le cinname. Cet arbrisseau est petit, ses branches sont courtes et faibles ; il n'excède pas deux coudées ; plus il est frêle, plus on lui trouve de beauté ; celui qui prend trop de développement est méprisé. Il est recueilli par des prêtres, après que l'on a immolé des victimes : le sacrifice terminé, on le coupe ; mais il faut que ce ne soit ni avant ni après le lever du soleil. Le grand prêtre partage les branches avec une pique consacrée à cette cérémonie. Une portion est réservée pour le soleil ; et si la part est bien faite, elle s'enflamme d'elle-même. Parmi les choses curieuses de l'Éthiopie, on trouve l'hyacinthe, pierre de couleur azurée, très précieuse, si toutefois elle n'a pas de défaut ; car elle y est sujette : souvent, en effet, elle est d'un violet-pâle, ou bien elle est terne, ou enfin elle a une blancheur verdâtre comme celle de l'eau. On estime le plus celle dont la teinte n'est point assez foncée pour lui ôter son brillant, ni assez claire pour la rendre transparente : par un heureux mélange de couleur pourpre et de lumière, elle doit ressembler à la fleur dont elle porte le nom. Elle ressent l'influence de l'air et du ciel : elle ne brille pas du même éclat quand le temps est sombre, ou quand il est clair. Dans la bouche, elle produit une vive impression de froid. Elle ne se prête point à la gravure ; on ne lui donne que difficilement le poli. On en tire cependant parti, puisque au moyen du diamant on parvient à y tracer des caractères et des emblèmes. Où se trouve l'hyacinthe, se trouve aussi la chrysopaste, qu'on ne voit pas à la lumière, et que les ténèbres nous font apercevoir : pâle le jour, elle jette des feux la nuit. Le sol produit encore l'hématite, d'un rouge de sang : c'est de cette couleur que lui vient son nom. [32,0] XXXII. Des peuples de l'intérieur de la Libye, de la pierre dite hexécontalithe. Toute la partie qui s'étend de l'Atlas à la bouche du Nil, où se termine la Libye et où commence l'Égypte, et qui se nomme Canopique, du nom de Canope, pilote de Ménélas, enseveli dans une île que forme le fleuve en cet endroit ; toute cette partie est occupée par des peuples de langages différents, et qui se sont renfermés dans une solitude presque impénétrable. Parmi eux sont les Atlantes, qui s'écartent de toutes les coutumes humaines. Chez eux, personne n'a de nom propre, de nom spécial. Ils accueillent par des imprécations le lever et le coucher du soleil ; et, brûlés par ses feux, ils détestent le dieu de la lumière. On affirme qu'ils n'ont pas de songes, et qu'ils s'abstiennent de la chair de tout animal. Les Troglodytes creusent des grottes qu'ils habitent. Il n'y a chez eux aucune cupidité, et par une pauvreté volontaire ils ont renoncé aux richesses. Ce pays ne nous offre comme pierre précieuse que celle que nous nommons hexécontalithe, dont les nuances sont si nombreuses que, malgré sa petitesse, on y distingue les couleurs de soixante gemmes. Les Troglodytes ne vivent que de la chair des serpents ; et, ne connaissant aucune langue, ils sifflent plutôt qu'ils ne parlent. Les Augyles n'adorent que les dieux infernaux. Ils veulent que les premières nuits des noces, leurs femmes se rendent adultères ; mais ensuite, par les lois les plus sévères, elles sont astreintes à une rigoureuse chasteté. Les Gamphasantes ne font point la guerre ; ils fuient la rencontre des autres hommes, ne s'allient avec aucun étranger. Les Blemmyes, dit-on, n'ont pas de tête : leur bouche, leurs yeux sont à la poitrine. Les Satyres n'ont rien de l'homme que la figure. Les Égipans ont la forme sous laquelle on nous les représente ordinairement. Les Himantopodes, avec leurs jambes flexibles, rampent plutôt qu'ils ne marchent, se glissent plutôt qu'ils n'avancent. Les Pharusiens, qui accompagnaient Hercule lors de son expédition contre les Hespérides, s'arrêtèrent dans ces contrées, fatigués de voyager. Nous n'avons plus rien à dire de la Libye. [33,0] XXXIII. De l'Égypte, et, dans l'Égypte, des sources et de la nature du Nil, du bœuf Apis, du crocodile, du scinque, de l'hippopotame, de l'ibis, des serpents d'Arabie, du figuier d'Égypte, du palmier d'Égypte, des moeurs égyptiennes, des villes célèbres. L'Égypte s'étend au midi, clans les terres, jusqu'à ce qu'enfin elle ait l'Éthiopie derrière elle. Sa partie inférieure est limitée par le Nil, qui se divise au lieu que l'on nomme Delta, et forme par ses branches une espèce d'île ; ce fleuve, d'ailleurs, vient de sources presque inconnues, comme nous le dirons plus tard. Il sort d'une montagne de la Mauritanie inférieure, qui n'est pas éloignée de l'Océan. Voilà ce que l'on trouve consigné dans le Périple d'Hannon, et ce que nous a transmis le roi Juba. Il forme aussitôt un lac que l'on nomme Nilide. On présume que là est la source du Nil, puisque l'on y trouve les herbes, les poissons, les animaux que produit le Nil ; et si la Mauritanie, d'où il sort, est inondée par des fontes de neiges plus considérables ou des pluies plus abondantes qu'à l'ordinaire, les crues se montrent en Égypte dans la même proportion. Mais au sortir de ce lac, il disparaît sous les sables, et se cache dans des cavités souterraines ; puis, s'élançant plus majestueux dans la Mauritanie Césarienne, il offre les mêmes caractères qu'à sa source, se cache de nouveau, et ne reparaît enfin qu'après avoir atteint, après un long cours, les contrées de l'Éthiopie. En reparaissant, il forme le Niger, fleuve qui, comme nous l'avons dit, est la limite de l'Afrique. Les indigènes lui donnent le nom d'Astape, qui veut dire eau prenant sa source dans les ténèbres. Il forme aussi des îles nombreuses et considérables ; quelques-unes sont d'une étendue telle, que ses eaux, malgré leur impétuosité, ne mettent pas moins de cinq jours à en achever le tour. La plus connue est Méroé, où il se divise en deux bras, dont le droit prend le nom d'Astosape, et le gauche celui d'Astabore. Après avoir parcouru une grande étendue de pays, où son impétuosité est d'abord excitée par les récifs qu'il rencontre, il se précipite ensuite avec tant de force au milieu des rochers, qu'il jette ses flots plutôt qu'il ne les épanche ; arrivé enfin à la cataracte, nom que les Égyptiens donnent à certains réservoirs du Nil, il devient plus paisible, et perdant le nom de Niger, il suit un cours tranquille. Il se jette par sept bouches au midi de la mer d'Égypte. L'ignorance du cours des astres, ou celle des lieux, a assigné diverses causes aux débordements du Nil. Les uns prétendent que les vents étésiens rassemblent d'épais nuages aux lieux où ce fleuve prend sa source, et que cette source, augmentée par les eaux du ciel, donnent au Nil des accroissements proportionnés à l'abondance de la pluie. D'autres croient que, refoulé par les vents, et ne pouvant poursuivre son cours ordinaire, ses eaux trop à l'étroit se gonflent, et que plus le souffle des vents contraires est violent, plus les eaux ont de force pour remonter : le cours ordinaire du fleuve ne suffisant pas pour épuiser son lit, où déjà resserré il a reçu les eaux impétueuses des torrents, il résulte de la violence de l'élément, poussant d'un côté et repoussé de l'autre, que la masse de ses vagues mugissantes s'accroît et produit les débordements. D'autres enfin disent que sa source, nommée Phiale, est soumise aux mouvements des astres, et que quand le soleil approche, ses rayons attirent le fleuve, qui reste comme suspendu, mais non sans obéir à une certaine loi, c'est-à-dire à l'influence de la nouvelle lune. Selon eux, les débordements viennent du soleil, quand il entre dans le signe du Cancer ; et quand il a parcouru les trente phases de sa carrière, quand il est entré dans le signe du Lion, quand vient le Sirius, le Nil coule naturellement avec moins d'abondance. C'est l'époque que les prêtres regardent comme l'anniversaire de la création du monde : c'est entre le treizième et le onzième jour des calendes d'août. Il redescend ensuite quand le soleil passe dans le signe de la Vierge, et rentre complètement dans son lit quand l'astre est entré dans la Balance. Ils ajoutent que ses crues trop peu abondantes ne sont pas moins nuisibles que ses trop grands débordements : en effet, une crue médiocre n'apporte pas aux terres assez de fécondité, et un débordement excessif les couvre trop longtemps, et retarde la culture. La crue la plus forte est de dix-huit coudées ; la plus habituelle, de seize ; celle de quinze ne compromet rien ; au-dessous, il y a famine. On accorde au Nil le don précieux de présager l'avenir, s'appuyant sur cette particularité, que sa crue ne fut que de cinq coudées pendant la guerre de Pharsale. Une chose reconnue, c'est que, seul de tous les fleuves, il n'exhale pas de vapeurs. Le Nil ne commence à couler, sous la domination égyptienne, qu'à Syène, limite de l'Égypte et de l'Éthiopie ; et de là jusqu'à la mer, il garde son nom. Parmi les choses dignes d'être mentionnées en Égypte, on cite surtout le boeuf Apis : il y est adoré comme une divinité ; sa marque distinctive est une tache blanche en forme de croissant sur le côté droit. Le nombre de ses années est déterminé : quand le temps en est venu, on le fait mourir en le noyant dans la fontaine sacrée, car il ne peut vivre au-delà de l'époque fixée. Ensuite on prend le deuil jusqu'à ce qu'on lui ait trouvé un successeur ; ce successeur une fois trouvé, cent prêtres le conduisent à Memphis, pour qu'initié aux cérémonies sacrées, il devienne lui-même sacré. Il y a pour lui des temples où il entre, où il repose, et que l'on désigne sous le nom mystique de couches. On le consulte sur tout ce qui doit arriver ; le présage le plus favorable est quand il accepte des aliments de la main de ceux qui le consultent. S'étant détourné de la main de Germanicus César, il lui annonça ainsi ce qui le menaçait ; bientôt après, Germanicus mourut. Les enfants suivent en foule le boeuf Apis, puis, comme inspirés, prédisent l'avenir. Une fois l'année, on lui présente une génisse qui a, comme lui, ses marques distinctives, et que l'on fait mourir le jour même où un l'a trouvée et présentée. On célèbre à Memphis la naissance du boeuf Apis, en jetant une coupe d'or dans un certain endroit du Nil. Cette solennité dure sept jours ; pendant ce temps les crocodiles observent une sorte de trêve avec les prêtres, et ne font point de mal à ceux qui se baignent. Au huitième jour, après les cérémonies, ils reprennent leur férocité, comme si le privilège de faire des victimes leur était rendu. Le crocodile, animal malfaisant, également redoutable sur la terre et dans le fleuve, n'a point de langue, il a la mâchoire supérieure mobile ; il imprime une morsure terrible, parce que ses dents s'engrènent les unes dans les autres. Sa longueur est souvent de vingt coudées. Ses oeufs ressemblent à ceux des oies. Il calcule, par un instinct providentiel, le lieu où il les doit placer, et ne les dépose que là où ne doivent pas arriver les eaux du Nil dans sa crue. Le mâle et la femelle couvent tour à tour. Outre leur énorme gueule, les crocodiles ont des griffes formidables. Ils passent la nuit dans l'eau, et le jour ils se reposent sur la terre. Leur peau est si solide que leur dos peut repousser les coups portés par n'importe qu'elle machine. Le trochile est un petit oiseau qui vient chercher sa nourriture dans ce qui reste entre les dents du crocodile ; il lui nettoie ainsi peu à peu la gueule, l'affecte agréablement par ses picotements, et pénètre ainsi jusque dans la gorge. C'est alors que l'ichneumon, qui observe le monstre, pénètre dans son corps, et n'en sort qu'après lui avoir rongé les intestins. Il y a dans le Nil des dauphins dont le dos est arme d'épines disposées en dents de scie. Ces dauphins provoquent le crocodile, le forcent à nager, puis, par une manoeuvre perfide, plongent sous l'eau, fendent au ventre la peau tendre du crocodile, et le tuent. Il y a, en outre, dans l'île formée par le Nil, des hommes de petite taille, mais d'une telle intrépidité qu'ils vont au-devant du crocodile : car ce monstre poursuit ceux qui le fuient, redoute ceux qui lui résistent. On le prend alors, et, soumis, il subit l'esclavage dans les eaux, son domaine : la crainte l'a rendu tellement docile, que, ne conservant plus aucun reste de sa férocité, il porte ses vainqueurs à cheval sur son dos. Aussi les crocodiles se gardent-ils d'approcher cette île, et fuient-ils le peuple qui l'habite partout où l'odorat leur révèle sa présence. Le crocodile a la vue mauvaise dans l'eau, excellente sur la terre. L'hiver, il ne prend aucune nourriture, et même, à partir du moment où commencent les frimas, il passe quatre mois sans manger. On trouve aussi les scinques en grande quantité dans les environs du Nil : ils ressemblent aux crocodiles ; mais ils sont petits et minces. Ils sont d'un assez grand secours en médecine : les hommes de l'art en tirent des breuvages, qui réveillent les nerfs engourdis et neutralisent l'action du poison. L'hippopotame naît dans le même pays et dans le même fleuve ; il a le dos, la crinière et le hennissement du cheval, le museau relevé, le pied fendu, les dents du sanglier, la queue tortueuse. La nuit, il dévaste les moissons, où, par ruse, il ne va qu'à reculons, pour mettre en défaut ceux qui voudraient lui tendre des embûches à son retour. Lorsqu'il se sent surchargé d'embonpoint, il va vers des roseaux nouvellement coupés, et s'y promène jusqu'à ce qu'un piquant de ces tiges aiguës l'ait blessé, et que le sang qu'il perd ait dégagé son corps ; ensuite il enduit la plaie de limon, pour qu'elle se cicatrise. Marcus Scaurus fut le premier qui fit voir à Rome des hippopotames et des crocodiles. Dans les mêmes contrées est l'oiseau ibis. Il détruit les oeufs de serpents, et porte à ses petits cette nourriture qui leur est fort agréable. Ainsi diminue l'espèce des animaux malfaisants. Ces oiseaux ne sont pas particuliers à l'Égypte : en Arabie, lorsque des essaims de serpents ailés sortent des marais, serpents qui, quoique très petits, ont cependant un venin si dangereux que leur morsure est suivie de mort avant qu'on en ait ressenti la douleur, les ibis, avec une sagacité particulière, viennent les envelopper, et avant que cette redoutable espèce n'ait franchi les limites du pays, ils l'arrêtent dans les airs et la détruisent entièrement. Aussi regarde-t-on les ibis comme des oiseaux sacrés et inviolables. Ils pondent par le bec. On ne trouve des ibis noirs que dans les environs de Pelusium ; partout ailleurs ils sont blancs. Des arbres que l'Égypte seule produit, le principal est le figuier, qui, par la feuille, ressemble au mûrier, et qui porte des fruits non seulement aux branches, mais au tronc même : tant il a de peine à suffire à sa fécondité. Il les produit chaque année sept fois ; dès que l'on a cueilli une figue, une autre commence à pousser. Le bois du figuier plongé dans l'eau va d'abord au fond ; après y être resté un certain temps, il surnage, et l'eau dont s'imbibent tous les autres bois, lui enlève, au contraire, son humidité. Parlons aussi du palmier d'Égypte nommé proprement adipsos, comme il était naturel de l'appeler, puisque son fruit étanche la soif. Ce fruit a l'odeur du coing ; mais il n'apaise la soif que s'il est cueilli avant sa maturité : si l'on en goûte lorsqu'il est mûr, il trouble les sens, il embarrasse la marche, il épaissit la langue, et, agissant à la fois sur l'esprit et sur le corps, il produit l'effet de l'ivresse. Les frontières de l'Égypte sont, du côté de Diacecaucène, habitées par des peuples qui observent le moment où recommence la révolution annuelle du ciel. On choisit un bois sacré, où sont renfermés des animaux d'espèces tout à fait différentes. Au moment où la révolution nouvelle se produit, ils trahissent leurs divers sentiments chacun à sa manière : les uns hurlent, les autres mugissent ; on en entend d'autres siffler, d'autres braire ; d'autres, en troupe, vont se jeter dans des bourbiers. Voilà comment ils attestent qu'ils ont saisi le moment qu'ils attendaient. Les habitants de ce pays disent tenir de leurs aïeux que le soleil se couche maintenant où il se levait autrefois. Parmi les villes d'Égypte est Thèbes, fameuse par le nombre de ses portes, et qui est un entrepôt pour les Arabes et les Indiens. Là commence la Thébaïde. Abydos, célèbre autrefois par le palais de Memnon, l'est aujourd'hui par le temple d'Osiris. Alexandrie se recommande, et par la beauté de ses édifices, et par le nom de son fondateur. L'architecte Dinocrate, qui en traça le plan, occupe, après Alexandre, une place dans le souvenir des hommes. Alexandrie fut fondée vers la cent douzième olympiade, sous le consulat de L. Papyrius Spurius, fils de Spurius, et de C. Pétilius, fils de Caïus, non loin de la bouche du Nil, que les uns appellent Héracléotique, et les autres Canopique. Puis vient Phare, colonie fondée parle dictateur César, d'où brillent la nuit des feux qui indiquent aux vaisseaux leur direction : car l'entrée d'Alexandrie est semée de bas-fonds perfides ; et la mer, fort dangereuse, n'y présente que trois canaux navigables, le Tégane, le Posidée, le Taurus. Aussi appelle-t-on phares les fanaux placés dans les ports. Les pyramides sont des tours élevées, en Égypte, au-delà de toute hauteur que semble pouvoir atteindre le travail des hommes ; et comme elles excèdent la mesure des ombres, elles ne projettent pas d'ombres. Quittons maintenant l'Égypte. [34,0] XXXIV. De l'Arabie et des curiosités qu'elle renferme ; sources qui s'y trouvent ; mœurs et coutumes de ses habitants ; du fleuve Eulée, de l'encens, de la myrrhe, du cinname, du phénix, des oiseaux dits cinnamolgues, de la pierre dite sardonique, de la molochite, de l'iris, de l'andradamanle, de la pierre dite pédéros, de la pierre arabique. Au-delà de l'embouchure Pélusiaque est l'Arabie, qui s'étend jusqu'à la mer Rouge, nommée Érythrée, du roi Erythra, fils de Persée et d'Andromède, et non pas seulement à cause de sa couleur. Tel est, du moins, le sentiment de Varron, qui affirme que sur le rivage de cette mer il y a une source qui change la nature de la toison des brebis qui y boivent : de blanches qu'elles étaient, elles prennent bientôt après une couleur noire. La ville d'Arsinoë est située sur les bords de la mer Rouge. Ce pays s'étend jusqu'à l'autre Arabie, si riche en parfums, si opulente, occupée par les Catabanes et les Scénites, peuples célèbres par le mont Casius. Les Scénites tirent leur nom des tentes qui sont leur seule demeure. Ces tentes se nomment cilicines : dans leur langage, ils appellent ainsi des pièces d'étoffe tissues de poil de chèvres. Ils s'abstiennent entièrement de la chair de porc. Cet animal d'ailleurs, transporté dans ce pays, y meurt sur-le-champ. Cette Arabie a été nominée par les Grecs g-Eudaimohn, et par nous Beata. Elle est située sur une colline faite de main d'homme, entre le Tigre et le fleuve Eulée, dont la source est en Médie, et dont l'eau est si pure que les rois n'en boivent pas d'autre. Ce n'est pas sans motif qu'on l'a nommée Heureuse ; car outre les parfums qu'elle produit en quantité, elle donne seule l'encens, et encore n'est-ce pas partout. Vers le milieu du pays sont les Atramites, canton des Sabéens, à huit journées de la contrée d'où vient l'encens : on l'appelle Arabie, c'est-à-dire sacrée. Tel est, du moins, le sens qu'on a donné à ce mot. Les arbrisseaux qui produisent l'encens ne sont pas une propriété publique ; mais chose nouvelle chez les barbares, ils passent dans les familles par droit de succession, et quiconque en est possesseur est, chez les Arabes, regardé comme sacré. Lors de la récolte ou de la taille, ceux qui sont chargés de ce soin ne doivent ni assister à des funérailles, ni avoir aucun commerce avec les femmes. Ces arbres, avant qu'il y eût une autorité irrécusable, passaient pour ressembler au lentisque ou au térébinthe ; mais dans les livres écrits par Juba à César, fils d'Auguste, il est établi que l'arbre de l'encens a le tronc tortueux, que ses branches ressemblent à celle de l'érable, qu'il jette une gomme semblable à celle de l'amandier, et qu'on lui fait une incision, au lever de la canicule, dans les plus fortes chaleurs. Dans les mêmes bois naît la myrrhe, qui, comme la vigne, aime le hoyau, et à qui le déchaussement est profitable. Dénudée, elle jette plus de gomme. Quand cette gomme découle naturellement, elle a plus de prix ; si elle vient d'une incision, elle est moins estimée. Le tronc de cet arbre est tortueux, épineux ; sa feuille est celle de l'olivier, mais plus piquante ; sa plus grande hauteur est de cinq coudées. Les Arabes entretiennent, avec ses branches, leurs feux, dont la fumée malsaine engendre, si l'on n'y remédie par l'odeur du storax brûlé, des maladies le plus souvent incurables. Là aussi naît le phénix, qui a la grandeur de l'aigle, la tête ornée d'une touffe de plumes, la mandibule inférieure parée de caroncules, le cou rayonnant d'or, le reste du corps de couleur pourpre, si ce n'est la queue, qui est azurée et semée de plumes incarnates. Il est prouvé qu'il vit cinq cent quarante ans. Il se construit un bûcher avec du cinname qu'il recueille près de la Panchaïe, et il établit ce bûcher sur les autels dans la ville du Soleil. La révolution de la grande année se rapporte, d'après les auteurs, à la vie du phénix ; quoique beaucoup d'entre eux disent que cette grande année n'est pas de cinq cent quarante, mais bien de douze mille neuf cent cinquante-quatre ans. Sous le consulat de Plautius Sextus et de P. Apronius, un phénix parut en Égypte, et pris l'an huit cent de Rome, il fut, par ordre de l'empereur Claude, montré en assemblée publique. Ce fait, abandonné d'ailleurs à la critique, est attesté par les actes de Rome. Il y a aussi en Arabie un oiseau nommé cinnamolgue qui, dans les bois les plus élevés, construit son nid avec de petites branches de cinname ; comme on ne peut les atteindre à cause de la hauteur et de la fragilité des branches, les habitants du pays abattent le nid de ces oiseaux avec des flèches garnies de plomb, et vendent à un prix très élevé ceux qu'ils peuvent faire tomber, parce que le cinname d'Arabie est plus estimé que les autres. Les Arabes, qui s'étendent en sens divers, ont des moeurs et des pratiques diverses. La plupart ont la chevelure longue, portent la mitre, et se rasent en partie la barbe. Ils s'appliquent au commerce, n'achètent rien de ce qui vient de l'étranger, vendent ce que produit leur pays. Leurs forêts et la mer les rendent assez riches. Les ombres qui sont à notre droite, sont à leur gauche. Une partie d'entre eux, dont le genre de vie est âpre, se nourrissent de serpents, et n'ont souci ni de leurs corps ni de leur âme. On les nomme ophiophages. C'est des côtes de l'Arabie que vint cette pierre du roi Polycrate, nommée sardoine, qui, la première, excita chez nous l'ardeur du luxe. Nous ne nous étendrons guère à son sujet, tant elle est connue. On l'estime, quand elle est d'un beau vermillon ; elle a peu de valeur, si elle est couleur de lie ; elle se distingue par un cercle d'une blancheur éclatante ; elle est parfaite, si sa couleur ne se répand hors d'elle, et si une couleur étrangère ne peut altérer la sienne. Le fond est noir. Plus elle est transparente, moins ou l'estime : sa beauté dépend de son opacité. On trouve aussi en Arabie la molochite, d'un vert plus foncé que l'émeraude, et qu'une vertu naturelle rend propre à servir de préservatif aux enfants. On trouve aussi dans la mer Rouge l'iris, qui est hexagone, comme le cristal. Frappée des rayons du soleil, elle reflète les nuances de l'arc-en-ciel. Les Arabes ont encore l'androdamas, qui a l'éclat de l'argent, et les côtés régulièrement carrés ; cette pierre tient du diamant. Elle a, dit-on, reçu ce nom, parce qu'elle dompte l'ardeur des animaux en chaleur, et les transports de la colère. On tire encore de ces contrées la pédéros et la pierre dite arabique. L'arabique a l'aspect de l'ivoire ; on ne peut la graver ; elle est réputée bonne contre les affections des nerfs. Le pédéros, par une sorte de privilège, réunit toutes sortes de beautés : il a le brillant du cristal, l'éclat de la pourpre, et près de ses bords une couronne de safran, nette et, pour ainsi dire, limpide. Cette pierre, par sa grâce, charme les yeux, captive le regard, fixe l'admiration ; les Indiens mêmes sont séduits par tant de beauté. En voilà assez sur l'Arabie ; revenons à Pelusium. [35,0] XXXV. Contrée d'Ostracine. Ville de Joppé. Chaînes d'Andromede. À partir de Pelusium on trouve le mont Casius, le temple de Jupiter Casien, et Ostracine, célèbre par le tombeau du grand Pompée. Vient ensuite l'Idumée, féconde en palmiers ; puis Joppé, la plus ancienne ville du monde, puisqu'elle est antérieure au déluge. Près de cette ville est un rocher, où l'on montre les traces des chaînes d'Andromède. Ce n'est pas un vain bruit qui l'a représentée comme ayant été exposée à un monstre. M. Scaurus, entre autres merveilles qu'il exposa à Rome dans son édilité, produisit les os de ce monstre. Ce fait est consigné dans les annales ; la mesure exacte du monstre s'y trouve ; ses côtes avaient plus de quarante pieds de longueur ; sa taille était plus haute que celle des éléphants indiens, les vertèbres dorsales avaient plus d'un demi-pied de large. [36,0] XXXVI. De la Judée, et, dans la Judée, du lac Asphaltite, du baumier, de la nation des Esséniens. La Judée est célèbre par ses eaux ; mais toutes n'ont pas la même nature. Les eaux du Jourdain sont excellentes. Sorti de la fontaine Panéade, il parcourt les pays les plus agréables, puis il se jette dans le lac Asphaltite, où ses eaux perdent leur qualité. Ce lac produit le bitume ; nul animal n'y prend vie ; aucun corps n'y peut plonger : les taureaux mêmes et les chameaux surnagent. Il y a dans la Judée un autre lac nominé Génésara, qui a seize mille pas de long, et qu'entourent des villes nombreuses et célèbres ; lui-même est très remarquable. Mais le lac Tibériade l'emporte sur tous par la salubrité et les propriétés médicales de ses eaux thermales. La capitale de la Judée était Jérusalem, aujourd'hui ruinée. Puis vint Hiérique, qui succomba sous les armes d'Artaxerxe. Près de Jérusalem est la source de Callirhoé, connue par ses eaux chaudes, dont la médecine a reconnu l'efficacité, et auxquelles elle doit son nom. Ce pays produit le baume. On n'y cultivait l'arbre qui le produit que dans un espace de vingt arpents, avant notre conquête de la Judée ; depuis, nous en avons des bois si nombreux, que nos collines les plus étendues suent, pour ainsi dire, le baume. Sa souche est semblable à celle de la vigne ; on le propage par marcottes ; le binage lui donne de la vigueur ; il aime l'eau, il veut être taillé, il a toujours des feuilles. Si le fer atteint la tige, l'arbre meurt aussitôt ; aussi se sert-on de verre, ou de couteaux en os, pour lui faire adroitement, mais seulement sur l'écorce, une incision, une plaie, d'où s'échappe un suc d'une douceur extraordinaire. Après ce suc, le fruit est ce que cet arbre a de plus précieux, puis l'écorce, et enfin le bois. À une longue distance de Jérusalem est un triste lieu, atteint jadis par le feu du ciel, comme l'atteste une terre noire, qui n'est que de la cendre. Là sont deux villes, l'une Sodome, l'autre Gomorrhe, où les fruits, malgré l'apparence de la maturité, ne peuvent être mangés : car la peau ne fait qu'envelopper un amas de cendres fuligineuses, que la plus légère pression fait échapper en fumée, et se résoudre en poussière. À l'ouest de la Judée sont les Esséniens, que des pratiques particulières isolent des autres peuples, et que la Providence semble avoir destinés à donner l'exemple de la grandeur. Chez eux pas de femmes ; ils ont renoncé à l'amour. L’argent leur est inconnu ; ils vivent des fruits du palmier. Quoiqu'il ne naisse personne parmi eux, leur nombre cependant ne diminue pas. Leur séjour semble être celui de la pudicité ; quel que soit le nombre des étrangers qui de toutes parts y affluent, on n'admet que celui dont les moeurs pures et l'innocence ne peuvent être contestées : celui à qui on pourrait reprocher la faute, même la plus légère, malgré ses instances pour être accepté, est écarté, comme par une volonté divine. Ainsi, chose étonnante, un peuple où il n'y a pas de naissances, subsiste depuis un nombre infini de siècles. Au-dessous des Esséniens était Engadda, aujourd'hui ruinée. Mais son ancienne gloire a survécu dans ses bois admirables, dans ses forêts de palmiers, qui n'ont souffert ni de la guerre ni du temps. La Judée finit au fort Massada. [37,0] XXXVII. De la ville de Scythopolis, du mont Casius. Je passe Damas, Philadelphie, Raphiane, pour parler des premiers habitants de Scythopolis et de son fondateur. Bacchus, après avoir rendu les derniers devoirs à sa nourrice, bâtit cette ville, pour honorer le tombeau qu'il venait d'élever. Les habitants manquaient ; il choisit parmi ses compagnons des Scythes, et pour les affermir dans la volonté de se fixer en ces lieux, il donna leur nom à la ville. Il y a dans la Séleucie un autre mont Casius, voisin de l'Antiochie ; de sa cime on voit, dès la quatrième veille, le soleil se lever, et comme ses rayons dissipent les ténèbres, on peut, par un simple mouvement de corps, voir la nuit d'un côté, et de l'autre le jour. Ainsi, du haut du Casius, on peut observer la lumière, et la voir avant que le jour commence. [38,0] XXXVIII. Du Tigre et de l'Euphrate. Des pierres dites zmilanthis, sagda, myrrhite, mithridace, técolithe, hammochryse, aétite, pyrite, chalazie, élite, dionysienne, glessopètre; de la pierre précieuse du soleil, de la chevelure de Vénus; des pierres dites sélénite, méconite, myrmecite, caleophthongue, sidérile, phlogite, anthracie, enhydre. L'Euphrate a sa source dans la grande Arménie au-dessus de Zizame, au pied d'une montagne voisine de la Scythie, et que les habitants du pays appellent Capoté. Là il s'accroît de quelques fleuves qu'il reçoit dans son sein, et grossi par leurs eaux, il brise à Élegée les barrières que le mont Taurus lui oppose vainement, malgré la surface de terrain qu'il recouvre, et qui est de douze mille pas. Dans son cours long et rapide, il laisse à sa droite la Comagène, à sa gauche l'Arabie ; puis, après avoir traversé nombre de pays, il divise la Babylonie, jadis le siège de l'empire des Chaldéens. Il féconde la Mésopotamie par ses débordements annuels, en couvrant les terrains de limon, comme fait le Nil. C'est d'ailleurs à peu près dans le même temps, c'est-à-dire quand le soleil a atteint la vingtième partie du Cancer il diminue, quand, après avoir parcouru le signe du Lion, le soleil passe à l'extrémité du signe de la Vierge. Ceux qui s'occupent de gnomonique, prétendent que cela arrive aux parallèles, qui se trouvent, par l'égalité de la ligne normale, avoir la même position sur la terre : d'où l'on peut conclure que, placés sur la même perpendiculaire, deux fleuves, quoique dans des pays différents, ont les mêmes causes d'accroissement. Il est convenable maintenant de parler aussi du Tigre. Il sort en Arménie, avec une remarquable limpidité, d'une belle source qui tombe d'un lieu élevé nominé Elégos. Il n'est pas lui-même dès le commencement. Il coule d'abord lentement et n'ayant pas encore son nom ; ce n'est qu'en entrant dans la Médie qu'il prend le nom de Tigre, qui, dans la langue du pays, veut dire flèche. Il se jette dans le lac Arethise, dont les eaux supportent tout ce que l'on y jette, et dont les poissons n'entrent jamais dans le lit du Tigre, de même que les poissons du fleuve n'entrent jamais dans le lac d'Arethise, qu'il traverse avec la rapidité d'un oiseau, en gardant sa couleur. Puis, comme le Taurus devient pour lui un obstacle, il se précipite dans un gouffre, d'où il sort pour reparaître de l'autre côté près de Zomada, rapportant de l'abîme des herbes et de l'écume souillée ; puis il se cache de nouveau pour reparaître encore. Il traverse alors la contrée des Adiabènes et l'Arabie ; puis il embrasse la Mésopotamie, reçoit le Choaspe, ce fleuve si renommé, et verse l'Euphrate dans le golfe Persique. Toutes les nations riveraines de l'Euphrate ont des pierres précieuses de natures différentes. La zmilantis se trouve dans l'Euphrate même ; elle ressemble au marbre de Proconèse, si ce n'est que le centre est vert de mer, et brille comme la pupille de l'oeil. La sagde nous est venue de la Chaldée ; elle n'est pas facile à trouver, à moins, comme on le dit, qu'elle ne se fasse prendre : car, par une attraction naturelle, elle vient du fond de la mer s'attacher aux vaisseaux, et si fortement qu'on ne peut guère la détacher qu'en coupant le bois. Cette pierre tient, chez les Chaldéens, le premier rang, à cause des effets qu'ils lui attribuent ; elle charme d'ailleurs les yeux par une très agréable couleur verte. La myrrhite se trouve chez les Parthes : à la simple vue, elle offre la couleur de la myrrhe, et n'a rien qui puisse fixer l'attention ; mais si vous l'examinez avec plus d'attention, si vous l'échauffez par le frottement, elle exhale une odeur de nard. En Perse il y a tant de pierres précieuses, et elles sont de nature si diverses, qu'il serait déjà long d'en donner les noms. La mithridace brille de mille couleurs au soleil. La técolithe, qui ressemble à un noyau d'olive, n'a pas un aspect brillant, mais elle a une propriété qui fait qu'on la préfère aux pierres les plus belles : dissoute et prise comme remède, elle guérit la gravelle et apaise les douleurs de reins et de la vessie. L'hammochryse, qui est un mélange de sable et d'or, présente des petits carrés, tantôt de paillettes d'or, tantôt de sable. L'aétite est de couleur fauve, de forme ronde, et renferme en elle-même une autre pierre ; le bruit qu'elle rend, quand on l'agite, ne provient pas, d'après les savants, de la petite pierre intérieure, mais il est dû à un effet de l'air. Zoroastre place cette pierre au-dessus de toutes les autres, et lui attribue une puissance souveraine : elle se trouve dans les nids d'aigle, ou sur les rivages de l'Océan. En Perse, elle est commune. Placée sur le ventre des femmes, elle prévient l'avortement. La pyrite est fauve, et ne se laisse pas toucher sans ménagement ; si on la presse un peu, elle brûle les doigts. La chalazie a la blancheur et la forme d'un grêlon ; elle est très dure, et ne se brise pas. L'échite est marquée de taches, comme la vipère. La dionysienne est noirâtre, semée de points rouges ; elle donne à l'eau, dans laquelle on la broie, le goût du vin, et ce que son odeur a de remarquable, c'est qu'elle préserve de l'ivresse. La glossopètre tombe du ciel pendant les éclipses de lune ; elle a l'aspect d'une langue humaine. D'après les mages, elle a une puissance merveilleuse, puisque c'est à elle qu'ils attribuent les mouvements lunaires. La pierre du soleil est d'une blancheur éblouissante, comme l'astre dont elle porte le nom : elle jette d'éclatants rayons. Le cheveu de Vénus est noir ; mais il présente dans son intérieur des linéaments semblables à des cheveux roux. La sélénite est blanche et tirant à la couleur du miel ; elle présente à son intérieur l'image de la lune, et l'on prétend que cette image s'accroît chaque jour lorsque l'astre est dans son croissant, et qu'elle diminue lorsqu'il est dans son décours. La méconite ressemble au pavot. La myrmécite offre l'image d'une fourmi qui marelle. La chalcophthongue a le son de l'airain ; son usage modéré entretient la netteté de la voix. La sidérite ressemble au fer ; mais où se trouve cette pierre malfaisante règne la discorde. La phlogite représente des tourbillons de flammes. L'anthracie est marquée d'étoiles brillantes ; l'enhydre suinte, comme s'il y avait en elle une source. [39,0] XXXIX. De la Cilicie, et, dans la Cilicie, du Cydnus, de l'antre de Coryce, du mont Taurus. C'est de la Cilicie qu'il s'agit maintenant, et si nous la décrivons telle qu'elle est aujourd'hui, nous paraîtrons ne pas respecter les anciennes traditions ; si nous indiquons ses anciennes limites, nous serons en désaccord avec ce qui existe de nos jours. Entre ces deux écueils, le mieux est d'exposer son état sous les deux époques. Autrefois la Cilicie allait jusqu'à Pelusium en Égypte ; les Lydiens, les Mèdes, les Arméniens, la Pamphilie, la Cappadoce reconnaissaient les lois de la Cilicie. Bientôt soumise par les Assyriens, elle fut réduite à de moindres proportions. La plus grande partie est en plaine, et reçoit dans un large golfe la mer d'Issus ; par derrière, les monts Taurus et Amanus la bordent. Elle doit son nom à Cilice, dont l'histoire se perd dans la nuit des temps. Phénix, son père, plus ancien que Jupiter lui-même, fut l'un des premiers enfants de la terre. La ville principale de cette contrée est Tarse, que bâtit l'illustre enfant de Danaé, Persée. Le Cydnus traverse cette ville. Les uns font descendre ce fleuve du Taurus, d'autres disent que c'est un bras du Choaspe. Les eaux du Choaspe sont si bonnes, que, tant qu'il coule dans la Perse, les rois de ce pays ne boivent que de celles-là, et qu'ils en font porter avec eux dans leurs voyages. C'est à ce fleuve que le Cydnus doit l'excellence de ses eaux. Ce qui est blanc, est dans ce pays appelé Cydnus : c'est de là que le fleuve a tiré son nom. Il se gonfle au printemps, à la fonte des neiges ; tout le reste de l'année, il est étroit et tranquille. Près de Coryque, en Cilicie, on récolte en abondance du safran d'excellente qualité. La Sicile, la Cyrénaïque et la Lycie en produisent aussi ; mais celui de la Cilicie est le plus estimé : il a une odeur plus suave, une couleur d'or plus tranchée, et son suc a des vertus médicales plus efficaces. Là est la ville de Coryque, et une caverne creusée au sommet même d'une montagne qui domine la mer. Cette caverne a une immense ouverture ; ses flancs, qui s'abaissent à une profondeur considérable, enveloppent d'une enceinte de bois le centre qui est vide, et d'où l'on jouit de la verdure de ces bois qui semblent suspendus. On y descend par un sentier de deux mille cinq cents pas, où le jour pénètre dans tout son éclat, et où l'on entend continuellement un bruit de sources. Quand on est arrivé au fond de cet antre, on en découvre un second, qui d'abord présente une large ouverture, et qui s'obscurcit à mesure que l'on avance. Là est un temple dédié à Jupiter, et dans le sanctuaire duquel, d'après une croyance que l'on adoptera, si l'on veut, fut la couche du géant Typhon. Héliopolis, ancienne ville de la Cilicie, patrie de Chrysippe, illustre stoïcien, fut soumise par Tigrane, roi d'Arménie, et longtemps abandonnée, elle reçut de Cn. Pompée, après la défaite des Ciliciens, le nom de Pompéiopolis. Le mont Taurus commence à la mer de l'Inde ; puis du cap Chélidoine, entre la mer d'Égypte et celle de Pamphylie, il se dirige à droite vers le septentrion, à gauche vers le midi, tandis qu'il se prolonge directement vers l'occident. Il pénétrerait évidemment dans les terres, après avoir franchi la mer, si elle n'opposait une résistance à ses envahissements. Ceux qui ont l'expérience des lieux savent qu'il a par les caps tenté toute espèce d'issue ; partout où les flots de la mer le baignent, il s'avance par promontoires ; mais tantôt il est resserré par le golfe de Phénicie, tantôt par celui du Pont, ou par le golfe Caspien, ou encore par le golfe Hyrcanien, et après les obstacles continuels qu'il rencontre, il se recourbe vis-à-vis du lac Méotis, et, fatigué de tant d'obstacles, il vient enfin se joindre aux monts Riphées. Son nom varie selon la diversité des peuples et des langues. Chez les Indiens il s'appelle lmaüs, puis Paropamise, Choatras chez les Parthes, puis Niphate, et de nouveau Taurus, et là où il atteint le plus haut degré d'élévation, Caucase. Les dénominations suivantes lui viennent des provinces qu'il parcourt : à droite on l'appelle Carpien ou Hyrcanien, à gauche Amazonique, Moschique, Scythique. Beaucoup d'autres noms se joignent à ceux-là. Quand il s'entr'ouvre, démembré pour ainsi dire, il forme des portes, dites Arméniennes, Caspiennes, Ciliciennes ; puis il se relève en Grèce, sous le nom de monts Cérauniens. Il sépare la Cilicie de l'Afrique : au midi, le soleil le brûle ; au nord, il est battu par les vents et les frimas ; sa partie boisée est infestée d'une foule de bêtes féroces et de lions énormes. [40,0] XL. De la Lycie, et, dans la Lycie, du mont Chimère. Ce qu'est dans la Campanie le Vésuve, en Sicile l'Etna, le mont Chimère l'est en Lycie. La nuit il lance des flammes et de la fumée. De là vient cette fable qui fait de la Chimère un monstre à trois corps ; et comme tout le pays est travaillé par des feux souterrains, les Lyciens ont dédié à Vulcain une ville voisine qu'ils ont appelée Héphestie du nom même de ce dieu. Entre autres villes de la Lycie, Olympe fut jadis célèbre ; elle est ruinée aujourd'hui. Ce n'est plus qu'un château, au-dessous duquel coulent des eaux dont on admire la beauté.