l'autre. Je ne prétends pas nier par là l'incompatibilité des deux éléments dont l'un détruit l'autre : je dis seulement que, quand le feu a plus de force que l'eau, il triomphe, et qu'à son tour l'eau neutralise les effets du feu, si elle se trouve en plus grande quantité. voilà pourquoi le bois vert ne brûle pas. Le point important, c'est donc la quantité de l'eau; si elle est trop faible, elle sera hors d'état d'arrêter le développement du feu. Quelle raison aurions-nous d'eu douter? Posidonius rapporte qu'autrefois, lorsqu'une île nouvelle surgit dans la mer Égée, on voyait la mer écumer pendant le jour, et rejeter du fond de ses abîmes une épaisse fumée, indice certain de la flamme qu'elle cachait dans son sein. Bientôt elle jeta des feux non pas continuels, mais qui brillaient par intervalles, comme la foudre, toutes les fois que la flamme inférieure surmontait le poids des eaux qui la couvraient. Ensuite on vit des pierres, des rocs énormes lancés dans les airs, les uns encore intacts, que l'air violemment comprimé avait chassés avant leur calcination, les autres rongés et réduits à la légèreté de la pierre ponce. Enfin parut au-dessus des eaux le cratère de ce volcan dont la hauteur s'accrut insensiblement, et dont toutes les dimensions s'agrandirent au point de former une île. De nos jours, le même fait s'est renouvelé sous le consulat de Valerius Asiaticus. Que prouvent ces exemples? que le feu n'a pu être éteint par la mer qui le couvrait, et que ses efforts pour sortir n'ont pu être comprimés par l'énorme.poids des eaux. Asclépiodote, disciple de Posidonius, nous apprend que la masse d'eau à travers laquelle le feu fit éruption avait deux cents pas de profondeur. Si un pareil volume d'eau n'a pas pu éteindre le feu qui s'élançait du fond de la mer, comment les nuages, composés de vapeur subtile et déliée, y parviendraient-ils au milieu de l'atmosphère? ils sont si peu contraires à la formation des feux, qu'on ne voit au contraire naître la foudre que dans un ciel nébuleux; elle n'a pas lieu dans un temps serein. Un jour pur n'a pas à redouter la foudre ; et la nuit même est à l'abri de ses coups, si elle n'est obscurcie par des nuages. Eh quoi ! dans la nuit la plus calme, à la lueur même des étoiles, ne voit-on pas briller l'éclair? Sans doute - mais soyez sûr qu'au lieu d'où part l'éclair, il se trouve des nuages que la forme sphérique de la terre ne nous permet pas d'apercevoir. Ajoutez que des nuages, placés en bas et dans le lointain, peuvent, par leur collision réciproque, produire un feu qui, lancé vers le haut, se montre dans la partie pure et sereine.du ciel, quoique formé dans un nuage obscur et ténébreux. [2,27,1] On a distingué plusieurs espèces de tonnerres. Les uns produisent un murmure sourd, semblable à celui qui précède les tremblements de terre, quand le vent, n'ayant pas d'issue, s'agite et gronde. Voici comment on rend raison de ce phénomène. Quand les nuages en se réunissant ont enfermé l'air, et qu'il roule au milieu d'eux de cavités en cavités, il rend un son rauque, égal et soutenu, semblable aux mugissements des taureaux; et comme, dans cette région, l'état des nuages humides ferme toute issue à l'air, les tonnerres de cette espèce annoncent une pluie abondante. Une autre espèce de tonnerre fait entendre un bruit plus aigu : c'est moins un son qu'un éclat semblable à celui d'une vessie qu'on crèverait sur la tète de quelqu'un. Ces tonnerres se produisent quand un nuage roulé en tourbillons s'entr'ouvre et laisse échapper l'air qui le distendait. Ce bruit éclatant et soudain se nomme proprement fracas : il terrasse et tue les hommes ; quelques-uns, ans perdre la vie, restent stupides et hors d'eux-mêmes : cet état d'aliénation, effet de la commotion produite par le météore, prend le nom de stupeur. Ce bruit peut encore être occasionné par un air enfermé dans un nuage creux, et qui, raréfié par son mouvement même, se dilate, cherche à se mettre plus au large, et résonne en faisant effort contre les parois qui l'enveloppent. Si le choc de nos deux mains produit un bruit éclatant, quel fracas ne doit pas résulter de la collision de deux nuées, de deux masses énormes qui s'entre-choquent avec violence! [2,28,1] Mais, dites-vous, on voit des nuages heurter des montagnes sans qu'il en résulte de retentissement. Je réponds d'abord que la simple collision ne suffit pas pour produire le bruit ; il faut une disposition particulière des mains propre à cet effet. On ne peut applaudir en battant des mains sur le revers, mais en frappant paume contre paume ; et encore l'intensité du son varie-t-elle, selon qu'on frappe du creux ou du plat de la main. En second lieu, un simple mouvement ne suffit pas aux nuages, il leur faut une impulsion violente comme celle d'un orage. Les montagnes ne divisent pas les nuages, elles en changent seulement la direction, et tout au plus en émoussent les parties les plus saillantes. Il ne suffit pas que l'air sorte d'une vessie gonflée, pour qu'elle rende un son : si on la divise avec un instrument tranchant, l'air sort sans bruit ; pour qu'il y ait explosion, il faut la rompre et non la couper. J'en dis autant des nuages : sans un choc brusque et violent, ils ne retentissent pas. Ajoutez que les nuages portés contre une montagne ne s'y brisent point: ils se moulent autour de certaines parties de la montagne, autour des arbres, des arbustes, des roches escarpées et proéminentes ; et, ainsi dispersés, ils laissent échapper par mille issues l'air qu'ils peuvent renfermer. Or, pour produire le tonnerre, il faut que la masse entière fasse explosion: la preuve, c'est que le vent qui se divise en passant par les branches des arbres siffle, et ne tonne pas. Il faut un grand coup, une rupture générale d'un nuage aggloméré, pour produire le son éclatant que fait entendre le tonnerre. [2,29,1] De plus, l'air est propre à transmettre le son : et en effet, la voix n'est que le résultat de la percussion de l'air. Les nuages.doivent donc retentir, parce qu'étant pleins de cavités et distendus, ils s'entr'ouvrent: car vous voyez qu'il y a bien plus de sonorité dans un espace vide que dans un espace plein, dans un corps distendu que dans celui qui ne l'est pas. C'est sur ce principe qu'est fondée la forme des cymbales et des tambours: ceux-ci ne résonnent que par la répercussion de l'air contre leurs parois intérieures; celles-là ne doivent leur bruit aigu qu'à la compression de l'air dans leurs cavités. [2,30,1] Quelques philosophes, Asclépiodote entre autres, pensent que le tonnerre et la foudre peuvent être produits par la rencontre de corps quelconques. Jadis l'Etna, dans une de ses grandes éruptions, vomit une quantité prodigieuse de sables brûlants. Un nuage de poussière voila le jour: une nuit soudaine épouvanta les peuples. En même temps, dit-on, on entendit des tonnerres, on vit éclater des foudres; mais ces météores, comme il est probable, furent produits plutôt par le concours de corps arides et brûlants, que par les nuages, qui vraisemblablement avaient tous disparu de cette atmosphère enflammé. L'armée que Cambyse envoya contre le temple de Jupiter Ammon, fut ensevelie sous des monceaux de sable que le vent du midi faisait pleuvoir comme de la neige. Il est probable que le frottement des sables entre-choqués produisit aussi dans cette occasion des foudres et des tonnerres. » Cette opinion ne répugne pas à notre théorie. En effet, nous avons dit que de la terre émanaient des corpuscules de deux espèces, secs et humides, qui se répandaient dans toute l'atmosphère. Dans les cas dont il est ici question , il se forme des nuages plus denses et plus compactes que s'ils n'étaient composés que de simple vapeur : ceux-ci peuvent se briser avec bruit; mais les autres assemblages occasionnés ou par les éruptions volcaniques, ou par les vents qui ont balayé la surface de la terre, doivent produire le nuage avant le retentissement. Or, les nuages peuvent être formés par des corpuscules secs comme par des corpuscules humides, puisqu'ils ne sont, comme nous l'avons déjà dit, qu'un air plus dense et chargé de molécules étrangères. [2,31,1] Au reste, en considérant les effets merveilleux de la foudre, on ne peut douter,qu'il n'y ait en elle une force surnaturelle, inappréciable à nos sens. Elle fond l'argent dans une bourse qu'elle laisse intacte et sans l'endommager; l'épée se liquéfie dans le fourreau qui reste entier ; le fer des javelots coule le long du bois qui demeure intact; les tonneaux se brisent, sans que le vin s'échappe, mais la consistance acquise par le liquide ne dure que trois jours. Une circonstance encore bien remarquable, c'est que les hommes et les animaux frappés de la foudre, ont la tête tournée vers le côté d'où elle est partie, et que les rameaux des arbres qu'elle a renversés se tiennent droits, dirigés dans le même sens. Enfin les serpents et les autres animaux vénimeux cessent de l'être, dès que la foudre les a frappés. Mais où est la preuve? dites-vous. C'est que les vers ne naissent pas dans des cadavres vénimeux, et que les animaux en question, frappés de la foudre, sont en proie aux vers au bout de quelques jours. [2,32,1] Un fait plus merveilleux, c'est que la foudre annonce l'avenir ; je ne dis pas un on deux événements particuliers, mais l'ordre et la série entière des destins, qui sont tracés par la foudre en caractères plus visibles et plus frappants que dans un livre. La différence entre nous et les Toscans, les plus habiles interprètes des tonnerres, c'est que, selon nous, l'explosion de la foudre a lieu par suite de la collision des nuages, et que, suivant eux, la collision n'a lieu que pour amener l'explosion. En effet, comme ils rapportent tout à Dieu, ils croient non pas que les foudres annoncent l'avenir parce qu'elles sont formées, mais qu'elles sont formées parce qu'elles doivent annoncer l'avenir. Néanmoins elles se produisent de la même manière, que leur pronostic soit ou la cause ou l'effet de leur formation. Mais comment présageraient-elles l'avenir, si ce n'était pas Dieu qui les envoyait ? comment les oiseaux donnent-ils des auspices favorables ou défavorables, quoique leur vol n'ait pas lieu exprès pour l'homme? Les Toscans répondent que c'est encore Dieu qui dirige les oiseaux. C'est lui supposer bien du loisir et le réduire à de bien chétifs détails, que de le montrer occupé à arranger des songes pour l'un, des entrailles de victimes pour l'autre. Oui, le secours divin intervient dans tous les événements; mais il ne dirige pas les ailes de l'oiseau, il ne façonne pas les entrailles des animaux sous le couteau du sacrificateur. Le destin déroule sa marche d'une tout autre manière : il répand d'avance et partout des signes de l'avenir; mais de ces signes, les uns nous sont familiers, les autres nous sont inconnus. Tout ce qui arrive est un pronostic de ce qui arrivera. Mais les événements fortuits, et qui échappent au calcul, ne donnent point de prise à la divination; elle ne s'exerce que sur ceux qui sont soumis à des lois régulières et constantes. Pourquoi donc, demanderez-vous, l'aigle, le corbeau et un très petit nombre d'oiseaux, ont-ils le privilége spécial d'annoncer les grands événements, tandis que la voix des autres n'a rien de prophétique ? c'est qu'il y a beaucoup d'oiseaux dont les mouvements n'ont encore pu être ni observés, ni assujettis à l'art, et beaucoup d'autres qui ne pourront jamais l'être, parce qu'ils vivent trop loin de nous. Mais, au fond, il n'est aucun être dont les mouvements et la rencontre ne présagent quelque chose. On n'en peut remarquer qu'un certain nombre. Les auspices sont une science d'observation : ainsi le pronostic existe pour qui observe ; mais ceux même qu'on observe point ne sont pas sans effet. Les observateurs chaldéens ont reconnu l'influence des cinq planètes : mais tant de milliers d'astres, croyez-vous qu'ils brillent en vain au firmament ? Quelle est la cause des erreurs où tombent les tireurs d'horoscopes ? c'est qu'ils n'attachent notre sort qu'à cinq astres seulement, tandis qu'il n'en est pas un de ceux qui brillent sur nos têtes, qui n'exerce quelque influence sur notre destinée. Sans doute la proximité des planètes rend leur action plus directe ; sans doute la fréquence de leurs mouvements multiplie, par rapport à nous et aux autres êtres, les dilférences de leurs aspects; mais les astres mêmes qui sont immobiles, ou qui paraissent tels, parce que leur rapidité égale celle du monde, ne laissent pas d'avoir droit et empire sur nous. Il est d'autres influences que celles des planètes dont vous devez tenir compte, si vous voulez faire entrer dans l'horoscope toutes celles que les astres ont sur nous. Au reste, il n'est pas plus facile d'apprécier leur pouvoir, que d'en douter. [2,33,1] Revenons aux foudres, dont la science comprend trois parties : l'observation, l'explication, la conjuration. La première suppose une formule, une règle particulière; la seconde constitue la divination ; la troisième a pour objet de rendre les dieux favorables, en leur demandant d'envoyer les biens, d'écarter les maux, de confirmer leurs promesses, et de détourner l'effet de leurs menaces. [2,34,1] On attribue à la foudre une vertu souveraine, parce que son intervention neutralise tous les autres présages. Les siens sont irrévocables, et ne peuvent être modifiés par aucun autre signe. Les menaces des victimes, des oiseaux, sont abolies par l'apparition favorable de la foudre, tandis que les annonces de la foudre ne sauraient être annulées par les entrailles des victimes, ou par le vol des oiseaux. Ici la théorie me semble en défaut. Pourquoi? parce qu'il n'y a rien de plus vrai que le vrai. Si les oiseaux ont prédit l'avenir, cet auspice ne peut être neutralisé par la foudre; on s'il peut l'être, les oiseaux n'ont donc pas prédit l'avenir. Je ne compare pas ici l'oiseau à la foudre : ce sont deux signes de vérité que je compare ensemble; s'ils annoncent le vrai tous deux, l'un vaut l'autre. Si donc l'intervention de la foudre annule les indications du sacrificateur ou de l'augure, c'est qu'on a mal inspecté les. entrailles des victimes, mal observé le vol des oiseaux. Peu importe lequel de ces deux signes a plus de force et d'énergie; pourvu que l'un et l'autre annoncent la vérité, tous deux sont égaux, en tant que signes. La flamme a plus de force que la fumée; sans doute : mais la flamme n'est pas un indice du feu plus sûr que la fumée. Si vous disiez: Toutes les fois que les indications des victimes et celles de la foudre se contredisent, il faut plutôt en croire la foudre, peut-être serais-je de votre avis; mais si vous dites : Les premiers signes ont prédit la vérité, mais la foudre réduit à néant leurs présages, et mérite une croyance exclusive, vous êtes en défaut. Pourquoi? c'est que le nombre des auspices n'y fait rien : le destin est un ; s'il a été bien interprété par le premier auspice, le second ne détruira pas le premier, puisque c'est la même chose. Ainsi, je le répète, peu importe par quel présage nous cherchons l'avenir puisque cet avenir est le même, quel que soit le présage par lequel nous le cherchons. [2,35,1] La foudre ne peut changer le destin. Pourquoi? parce qu'elle fait elle-même partie du destin. A quoi servent donc les expiations, les sacrifices, si les arrêts du destin sont immuables? Permettez que je défende l'opinion un peu dure de ceux qui, sans rejeter les cérémonies religieuses, ne voient dans les voeux qu'on adresse au ciel, que la consolation d'un esprit malade. Le destin ne se conduit pas suivant nos idées; nulle prière ne le touche; il est insensible aux égards et à la pitié; il suit son cours irrévocable, et exécute ses arrêts tels qu'il les a rendus : torrent rapide qui jamais ne remonte vers sa source, qui ne s'arrête jamais, dont chaque flot est poussé par le flot qui le suit; une rotation éternelle emporte tous les événements. La première loi du destin est l'immutabilité. [2,36,1] Qu'est-ce que le destin? l'irrésistible nécessité des faits et des choses. Prétendre le fléchir par des sacrifices, par l'immolation d'une brebis blanche, c'est méconnaitre l'essence divine. Un sage, dites-vous, ne peut pas changer d'avis : que sera-ce de Dieu ? Le sage ne sait ce qui vaut le mieux qu'à l'instant présent; mais pour Dieu tout est présent. Cependant je vais plaider la cause de ceux qui pensent qu'on peut conjurer la foudre, et qui ne doutent point de l'efficacité des expiations, pour écarter, diminuer ou suspendre les dangers. [2,37,1] Plus tard, nous développerons les conséquences de ces principes; en attendant, notons un point commun aux Etrusques et à nous. Comme eux, nous croyons que les voeux sont utiles, sans que pour cela le destin perde rien de sa force et de sa puissance. N'y a-t-il pas, en effet, des événements dont l'existence est suspendue par les dieux, et dont l'issue favorable est attachée aux voeux et aux prières des mortels? Dans ce cas, les voeux font partie du destin, loin de lui être contraires. Mais, dit-on, la chose doit arriver, ou ne peut pas arriver : si elle doit arriver, elle arrivera, quand même vous ne feriez point de voeux; si elle ne doit pas arriver, elle n'arrivera pas, en dépit des voeux que vous pourriez faire. Ce dilemme est faux, parce qu'il y a un milieu dans l'alternative; c'est-à-dire, la chose arrivera, si l'on fait des voeux. Mais, réplique-t-on, l'existence ou la non-existence des voeux est aussi un fait nécessaire compris dans le destin. [2,38,1] En supposant que je me rende, que je dise : Oui, les voeux eux-mêmes sont compris dans l'ordre du destin; eh bien! il s'ensuivrait que ces voeux sont inévitables. Le destin porte qu'un tel sera savant, s'il étudie : mais le même destin a réglé qu'il étudierait, donc il étudiera. Un tel sera riche, s'il court la mer: mais ce même destin qui lui promet l'opulence, veut aussi qu'il coure la mer; donc il la courra. J'en dis autant des expiations. Cet homme évitera le danger, s'il détourne par des sacrifices expiatoires l'effet des menaces du ciel. Mais ces actes expiatoires sont compris aussi dans la destinée ; il faudra donc qu'ils aient lieu. Voilà les objections par lesquelles on cherche à prouver que la volonté humaine n'a aucune part aux événements, et que tout est soumis aux lois du destin. Quand noirs aurons à discuter cette question, nous verrons comment, saris déroger au destin, l'hoinme conserve l'exercice de son libre arbitre. Il suffit pour l'instant d'avoir résolu la question proposée; d'avoir expliqué comment, en laissant au destin tous ses droits, les sacrifices et les expiations peuvent conjurer les dangers ; car, loin de combattre le destin, tout cela rentre dans l'accomplissement de ses lois. Mais, direz-vous, à quoi bon l'aruspice, puisque, indépendamment de ses conseils, le sacrifice expiatoire aura nécessairement lieu ? Il sert comme ministre du destin. Ainsi la guérison, quoique décidée par le destin, est due pourtant au médecin, parce que le médecin est l'intermédiaire par lequel nous arrive ce bienfait. [2,39,1] Cécinna distingue trois espèces de foudres : ce sont les foudres de conseil, d'autorité, et les foudres de station. La première vient avant l'événement, mais après le projet : ainsi un homme forme une résolution ; un coup de foudre l'y confirme ou l'en détourne. La seconde suit l'événement, et indique s'il est propice ou funeste. La troisième se montre à l'homme tranquille, qui n'agit et ne pense même pas : elle porte des menaces, ou des promesses, ou des avis. C'est ce qu'il appelle foudre d'admonition, mais je ne vois pas en quoi elle diffère de la foudre de conseil. Donner avis, c'est bien donner conseil ; néanmoins il y a quelque nuance qui les distingue. Le conseil engage ou dissuade; tandis que l'admonition indique, mais d'une manière vague, le péril qui approche, tel qu'un incendie, une trahison de nos proches, un complot de nos esclaves. Je vois encore une autre distinction : le conseil se donne à un homme qui médite un projet, l'avis à un homme qui ne pense à rien. Les deux faits ont leur caractère propre. L'indécision sollicite le conseil; l'avis se donne spontanément. [2,40,1] Les foudres ne diffèrent qu'en signification : il y a entre elles parité de nature. On distingue la foudre qui perce, celle qui renverse, celle qui brùle. La première est une flamme subtile, qui passe par l'issue la plus étroite, à cause de la pureté et de la ténuité de ses parties. La seconde est globuleuse et renferme un mélange d'air dense et orageux. La première revient et s'échappe aisément par le passage qui lui a servi d'entrée. La seconde a une sphère d'activité plus étendue; quand elle frappe, elle brise au lieu de percer. Enfin la foudre qui brûle contient quantité de particules terrestres; c'est un feu plutôt qu'une flamme - aussi laisse-t-elle des traces de feu bien marquées sur les corps qu'elle touche. Quoique jamais la foudre ne soit sans feu, la dénomination d'ignée s'applique spécialement à la troisième espèce, à cause des traces sensibles de feu laissées par elle; elle brûle, ou bien elle noircit les corps qu'elle frappe. Elle brûle de trois manières : ou par une simple inlialation qui n'endommage pas la substance du corps, ou par combus- tion, ou par inflammation. Ces trois modes d'action tic diffè- rent que par le degré ou la manière. Toute combustion suppose ustion; mais toute ustion, non plus que toute inflammation, ne suppose pas combustion ; car le feu peut n'avoir agi qu'en passant. Qui rie sait que des objets brûlent, sans prendre feu, mais que jamais ils tic prennent feu, sans brûler. Je n'ajouterai qu'un mot : la combustion peut avoir lieu sans inflammation, et réciproquement il peut y avoir inflammation sans combustion. [2,41,1] Passons à la foudre qui altère la couleur de ce qu'elle touche. Elle colore ou décolore les objets. Voici en quoi consiste la différence : décolorer, c'est altérer la nuance, sans la changer totalement; colorer, c'est changer la couleur, et teindre, par exemple, en bleu, en noir, en blanc pâle. Ici encore les Étrusques et les philosophes sont d'accord; mais voici le dissentiment , les premiers veulent que la foudre soit lancée par Jupiter, qu'ils arment de trois sortes de carreaux. La première est une foudre d'avis et de paix, envoyée par la volonté seule de Jupiter. La seconde part encore de la main du dieu, mais sur l'avis de son conseil composé des douze grands dieux. Cette foudre est salutaire, mais non sans faire quelque mal. La troisième est encore lancée par Jupiter, mais seulement après qu'il a consulté les dieux, qu'on nomme supérieurs et enveloppés. Cette foudre ravage, englobe, dénature tout ce qu'elle rencontre; elle frappe les états comme les particuliers : c'est un feu destructeur qui ne laisse rien dans son état primitif. [2,42,1] Au premier aspect, rien de plus contraire à la raison que cette doctrine de nos ancêtres. Quoi de plus absurde que de se représenter Jupiter, du sein des nuages, lançant la foudre contre des colonnes, des arbres, quelquefois contre ses propres statues; laissant les sacriléges impunis, pour frapper des moutons, incendier des autels, détruire des troupeaux inoffensifs; et enfin prenant conseil des autres dieux, comme incapable d'en prendre de lui seul? Croirons-nous que la foudre sera propice, pacifique, lancée par le seul Jupiter, et funeste, quand il l'aura lancée d'après l'avis des dieux? Voulez-vous savoir mon sentiment ? Je ne pense pas que nos ancêtres aient été assez stupides pour supposer Jupiter injuste ou pour le moins impuissant : car, lorsque les feux qu'il lance frappent les têtes innocentes et ménagent les coupables, y a-t-il d'autre alternative qu'entre- l'impuissance et l'injustice? Quel était donc le but de cette doctrine ? Ils ont jugé, en hommes sages, que la crainte était le frein de l'ignorance, et qu'il fallait faire redouter à l'homme un être supérieur à lui. Pour contenir l'audace du crime, il était bon de présenter une force contre laquelle chacun jugeât la sienne impuissante. C'est donc afin d'effrayer ceux que la crainte seule empêche d'être criminels, qu'ils ont fait planer sur leur tête un dieu vengeur, toujours prêt à frapper. [2,43,1] Pourquoi donc la seule foudre qu'on puisse détourner, est-elle celle que Jupiter lance de lui-même, tandis que celle qu'il envoie après avoir consulté les autres dieux est nuisible et destructive? parce que Jupiter, c'est-à-dire le roi de l'univers, doit toujours, s'il est seul, faire du bien, et ne peut faire du mal que sur l'avis des dieux qui le conseillent. Grande leçon pour ceux qui exercent sur les hommes la souveraine puissance ! qu'ils sachent que la foudre même ne part qu'après une délibération; qu'ils s'entourent de sages conseillers, qu'ils pèsent les avis, qu'ils en adoucissent la rigueur, qu'ils songent que Jupiter lui-même, pour frapper légitimement, ne se borne pas à prendre conseil de lui-même. [2,44,1] Nos ancêtres n'étaient pas non plus assez simples pour s'imaginer que Jupiter changeât de foudre. Je ne vois qu'une idée poétique dans ce passage : « Il est un foudre plus léger, où la main des Cyclopes n'a point fait entrer tant de flamme, tant de courroux ni de vengeance. Les dieux le nomment le fondre de paix. » Ces hommes d'une sagesse profonde n'ont point partage l'erreur commune: ils n'ont pas cru que Jupiter se jouât quelquefois avec des foudres sans effet; ils ont voulu avertir les hommes chargés de lancer la foudre sur les coupables, que le même châtiment ne doit pas tomber sur toutes les fautes : qu'il y a des foudres pour détruire, d'autres pour toucher et effleurer, d'autres enfin pour briller seulement à la vue. [2,45,1] Ils n'ont pas même cru que le Jupiter qui lance la foudre fût celui qu'on adore dans le Capitole et dans les autres temples. Ils ont reconnu le même Jupiter que nous, le gardien et le modérateur de l'univers, l'âme et l'esprit du grand tout, l'architecte et le maitre de ce grand édifice du monde. Tous les noms lui conviennent. Voulez-vous l'appeler le destin? le nom sera bien choisi: c'est de lui que tout dépend, il renferme en lui toutes les causes des causes. Voulez-vous le nommer la providence? vous aurez encore raison; c'est lui dont la sagesse pourvoit à tous les besoins du monde, en règle l'ordre, en dirige les mouvements. Aimez-vous mieux l'appeler la nature ? vous ne vous tromperez pas; car c'est lui qui a donné naissance à tout, et c'est son souffle qui nous anime. Enfin, le désignez-vous sous le nom de monde? ce ne sera pas avec moins de justesse; car lui-même est tout ce que vous voyez, tout entier disséminé dans. ses propres parties, et se soutenant par sa propre énergie. Les Etrusques ont pensé comme nous; et s'ils ont dit qu'il lançait la foudre, c'est que rien ne se fait sans lui. [2,46,1] Mais pourquoi Jupiter épargne-t-il les coupables qu'il devrait frapper, tandis qu'il frappe les innocents? La question que vous me proposez est trop importante; ce n'est ni le lieu ni le moment de l'examiner. Notons, en attendant, que ce. n'est point Jupiter qui lance la foudre, mais que tout est disposé de manière que les choses qui ne se font pas par lui ne se font pourtant pas sans raison, et que cette raison vient de lui. Les causes secondes agissent, mais par sa permission : ce qu'il ne fait pas par lui-même, se fait d'après l'ordre qu'il a établi : il n'intervient pas dans les détails, mais il donne à l'ensemble le signal, l'énergie et la cause. [2,47,1] Je n'adopte pas la: classification de ceux qui divisent les foudres en perpétuelles, finies ou prorogées. Les perpétuelles sont celles dont les pronostics concernent toute une existence, et, sans se borner à un fait particulier, embrassent toute la série des événements futurs de la vie. Telles sont celles qui apparaissent lors de l'acceptation d'un héritage, du changement d'état soit d'un homme, soit d'une ville. Les foudres finies ne se rapportent qu'à un jour marqué; et les prorogées sont celles dont l'effet peut être suspendu, mais non détruit et anéanti. [2,48,1] Voici sur quelles raisons je me fonde pour rejeter cette division. La foudre qu'on appelle perpétuelle est finie. Elle répond aussi à un jour marqué, et elle ne cesse pas d'être finie, parce qu'elle embrasse un temps considérable. La foudre prorogée est aussi finie ; car, de l'aveu même des auteurs de cette division, on sait quel est l'intervalle qui peut s'écouler entre son apparition et son effet; ainsi les délais qu'on obtient sont, au plus, de dix ans pour les foudres particulières, et de trente ans pour les foudres publiques. Toutes les foudres, tous les événements ont donc un jour marqué; car l'incertain ne saurait être saisi ni déterminé. La doctrine de l'observation des éclairs n'a rien que de vague et d'équivoque. On pourrait cependant adopter la division du philosophe Attale, qui s'était livré spécialement à cet examen, et avoir égard au lieu de l'apparition, au temps, à la personne, à la circonstance, à la qualité, à la quantité. Si je voulais traiter à part chacun de ces détails, je m'engagerais dans une oeuvre sans fin. [2,49,1] J'exposerai maintenant les noms que Cécinna donne aux foudres, et le jugement que j'en porte. Il distingue les postulatoires, qui veulent qu'un sacrifice interrompu, ou fait contre les règles, soit recommencé ; les monitoires, qui indiquent les dangers dont il faut se garder; les sinistres, qui annoncent la mort ou l'exil ; les fallacieuses, qui font du mal avec l'apparence du bien: ainsi elles donnent un consulat qui causera la mort du consul, ou un héritage qui coûtera cher à l'héritier; les déprécatives, dont les menaces ne sont pas suivies d'effet ; les péremptales, qui mettent à néant les menaces des précédentes; les attestantes, qui confirment ces mêmes merraces ; les atterranées, qui tombent dans un lieu fermé; les ensevelies, qui frappent un lieu déjà foudroyé, et non purifié par des expiations ; les royales, qui tombent ou dans les comices, ou dans un lieu remarquable d'un état libre, et le menacent de la royauté; les infernales, dont les feux s'élancent de la terre; les hospitalières, qui somment, ou plutôt, pour me servir d'un langage plus respectueux, qui invitent Jupiter à assister à nos sacrifices; mais, ajoute Cécinna, malheur à celui qui l'aura invité, si le dieu arrive irrité contre lui ! Enfin les auxiliaires, qui portent bonheur à ceux qui les ont invoqués. [2,50,1] Combien était plus simple la division d'Attale, ce grand homme, qui à la science des Étrusques avait joint la subtilité des Grecs ! « Parmi les foudres, dit-il, il en est qui annoncent des événements relatifs à nous ; d'autres qui n'annoncent rien, ou dont l'intelligence nous est interdite. Les evénements annoncés par la foudre, sont ou favorables, ou contraires, ou indifférents. Les événements contraires sont ou inévitables, ou évitables, ou susceptibles d'être atténués ou suspendus. Les événements favorables sont ou durables, ou momentanés. Les événements mixtes se composent de bien et de mal, ou de bien qui se convertit en mal, ou de mal qui se change en bien. Les événements indifférents sont ceux qui ne doivent nous inspirer ni crainte, ni joie : tel serait un voyage dont on n'aurait aucun bien à espérer, ni aucun mal à craindre». [2,51,1] Je reviens aux foudres qui annoncent des événements, mais des événements indifférents pour nous : telle est, par exemple, celle qui indique si, dans la même année, il tombera une foudre de même nature. Il y a des foudres qui n'annoncent aucun événement, ou un événement dont l'intelligence nous échappe : comme sont celles qui tombent dans la mer, ou dans les déserts; leur pronosticest nul ou perdu pour nous. [2,52,1] Ajoutons de courtes observations sur la force de la foudre, qui n'agit pas de la même manière sur tous les corps. Elle brise avec éclat les corps solides qui lui opposent de la résistance ; quelquefois elle traverse sans dommage les corps qui cèdent à son action. Elle lutte contre la pierre, le fer et les substances les plus dures, parce qu'elle est obligée d'y pénétrer de vive force et de s'y ouvrir une issue. Les substances tendres et poreuses, quelque combustibles qu'elles paraissent d'ailleurs, sont épargnées; le passage étant plus facile, elle déploie moins de violence. Voilà pourquoi, comme je l'ai dit, elle fond l'argent qui s'y trouve ; sans endommager la bourse, ses feux déliés traversent sans peine des pores imperceptibles. Les parties solides du bois lui opposent de la résistance, mais elle triomphe bientôt de la matière rebelle. Comme nous l'avons remarqué, son action destructive varie : la nature du dommage révèle celle de l'action ; mais toujours on reconnaît l'oeuvre de la foudre. Souvent elle agit différemment sur les diverses parties du même corps : ainsi, dans un arbre, elle brûle les parties les plus sèches, brise et perfore les parties solides, enlève l'écorce la plus extérieure, rompt et met en lambeaux les couches intérieures de la même écorce, et enfin froisse et crispe les feuilles. Elle congèle le vin, et fond le fer et le cuivre. [2,53,1] Un fait singulier, c'est que le vin gelé par la foudre, et rétabli dans son premier état, cause la mort de ceux qui en boivent ou les rend fous. J'ai cherché la cause de ce phénomène; voici celle qui s'est présentée à moi. La foudre renferme un principe vénéneux. Or, il est vraisemblable qu'en condensant et congelant le vin, elle y laisse une partie de ce principe; car ce liquide n'aurait pu se solidifier, sans quelque élément de cohésion. On sait d'ailleurs que l'huile et tous les parfums exhalent une odeur repoussante, quand ils ont été frappés de la foudre. D'où il suit que ce feu si subtil, dont la direction est contre nature, contient un principe délétère, capable de tuer par le choc et même par la simple exhalation. Enfin, partout où la foudre tombe, on sent une odeur de soufre très prononcée; et cette odeur naturellement forte, respirée en abondance, peut causer le délire. Nous reviendrons à 1oisir sur ces faits. Peut-ètre même tâcherons-nous de faire voir combien ils se rattachent étroitement à cette philosophie, mère des arts, qui la première a cherché les causés, observé les effets, et, ce qui est plus beau que l'inspection de la foudre, comparé les résultats aux principes. [2,54,1] Je reviens à l'opinion de Posidonius. De la terre et des corps terrestres partent des émanations, les unes humides, les autres sèches et semblables à la fumée - celles-ci servent d'aliment à la foudre ; celles-là forment les pluies. Les vapeurs sèches et fumeuses élevées dans l'atmosphère ne se laissent pas enfermer dans les nuages, et brisent leurs barrières : de là le bruit auquel on donne le nom de tonnerre. Dans l'air même il est des molécules qui s'atténuent, et deviennent par suite plus sèches et plus chaudes. Renfermées, elles cherchent également à se mettre en liberté, et s'échappent avec fracas. L'explosion est tantôt générale et accompagnée d'une violente détonation, tantôt partielle et moins sensible. C'est donc l'air qui, en parcourant on en déchirant les nuages, en fait jaillir la foudre. Mais le mouvement de l'air qui tourbillonne, emprisonné dans la nue, est la cause la plus puissante d'inflammation. [2,55,1] Le tonnerre n'est autre chose que le son produit par un air desséché, et par suite d'un frottement ou d'une explosion. La collision des nuages, selon Posidonius, produit aussi ce genre de détonation , mais ce choc n'est que partiel, parce que ce sont des parties, et non des masses totales qui se heurtent. Un corps mou ne retentit qu'en frappant un corps dur : ainsi les flots -ne s'entendent que quand ils se brisent sur les rochers. Objectera-t--on que le feu plongé dans l'eau siffle en s'éteignant? Admettons ce fait : il favorise notre explication. Ce n'est pas le feu qui rend alors un son, c'est l'air qui s'échappe à travers l'eau qui l'éteint. En vous accordant que le feu naisse et s'éteigne dans les nuages, c'est toujours l'air et le frottement qui lui donnent naissance. Quoi !1 dit-on, est-il impossible qu'une de ces étoiles volantes, dont avez parlé, tombe dans un nuage et s'y éteigne ? Supposons que ce fait ait lieu; c'est une cause naturelle et constante que nous cherchons ici, et non une cause rare et fortuite. En convenant avec vous qu'après le tonnerre on voit quelquefois étinceler des feux semblables à des étoiles qui filent obliquement, il s'ensuivrait que le tonnerre a été produit non par eux, mais en même temps qu'eux. Clidemus dit que l'éclair n'est qu'une vaine apparence, et non un feu réel. C'est ainsi, dit-il, que le mouvement des rames produit pendant la nuit la lueur qu'on observe sur les eaux de la mer. Les deux cas sont différents : dans l'un, l'éclat parait pénétrer la substance de l'eau même; dans l'autre, il s'élance et s'échappe de l'air. [2,56,1] Héraclite regarde l'éclair comme l'effort d'un feu naissant, et semblable à cette flamme incertaine qui, en s'allumant dans nos foyers, expire et se relève tour à tour. Les anciens donnaient aux éclairs le nom de "fulgetra" ; nous disons "tonitrua" au pluriel :- ils disaient au singulier "tonitruum" ou "tonum". Je trouve ces deux expressions dans Cécinna, écrivain élégant, qui se serait fait un nom dans l'éloquence, si la gloire de Cicéron n'eût étouffé la sienne. Remarquons encore que le verbe qui exprime l'éruption de l'éclair hors de la nue, avait la pénultième brève chez les anciens, au lieu qu'elle est longue parmi nous. Nous disons "fulgére" comme "splendere": ils disaient "fulgëre". [2,57,1] Mais vous voulez savoir quel est mon sentiment : car jusqu'ici je n'ai fait qu'enregistrer les opinions d'autrui. Je vais vous le dire. L'éclair est une lumière soudaine qui brille au loin; il a lieu quand l'air raréfié dans les nuages se convertit en un feu qui n'a pas assez de force pour aller plus avant. Ce n'est pas, je pense, un fait étrange pour vous, que cette raréfaction de l'air par le mouvement, et l'inflammation qui en est la suite. Ainsi la balle de plomb que lance la fronde se fond et se liquéfie par le frottement de l'air, comme elle le ferait par l'action du feu. Les foudres sont plus fréquentes en été, parce que l'atmosphère est plus chaude, et que l'inflammation est plus prompte, quand le frottement a lieu contre des corps échauffés. C'est ainsi que se produit l'éclair qui ne fait que briller, et la fondre qui tombe sur la terre: ces deux effets sont dus à la même cause ; ils ne diffèrent qu'en ce que l'éclair a moins de force et d'alîment. Pour résumer mon opinion en un mot, la foudre, c'est l'éclair avec plus de force et d'énergie. Lors donc que les vapeurs chaudes et fumeuses, émanées de la terre, se sont portées contre les nuages, et ont longtemps roulé dans leur sein, elles finissent par s'échapper. Si leur force est peu considérable, il n'en résulte qu'une simple lumière; mais si l'éclair trouve plus d'aliments, la flamme devient plus forte, plus active; ce n'est point un feu qui apparaît, c'est la foudre qui tombe. [2,58,1] Suivant quelques philosophes, la foudre remonte après être tombée; d'autres veulent qu'elle s'arrête quand elle est surchargée d'aliments, et qu'elle n'a lancé qu'un coup médiocre. Mais pourquoi ces brusques apparitions de la foudre? pourquoi ses feux n'ont-ils pas plus de continuité? Parce que son mouvement est extrêmement rapide. Elle déchire le nuage et enflamme l'air en même temps; ensuite le feu s'éteint, quand le mouvement vient à cesser. L'air ne forme pas des courants assez suivis pour que l'incendie se propage. Une fois allumé par la violence de ses mouvements, ses efforts ne tendent qu'à s'échapper; du moment qu'il s'ouvre passage, la lutte cesse, et la même cause qui l'a mis en liberté le porte jusqu'à terre, ou le dissipe dans l'atmosphère, selon que la force de dépression est plus ou moins grande. Pourquoi la foudre se dirige-t-elle obliquement? C'est que l'air, dont elle se forme, suit naturellement une ligne oblique et tortueuse. D'ailleurs le feu, porté en haut par sa nature, sollicité à descendre par une force étrangère, doit décrire une route oblique et moyenne. D'autres fois, quand les deux forces agissent également, on voit le feu monter, et ensuite redescendre. Enfin, pourquoi la foudre frappe-t-elle si souvent le sommet des montagnes? C'est que les montagnes sont voisines des nuages, et que la foudre ne peut tomber du ciel sans les rencontrer. [2,59,1] Je vois ce que vous désirez, ce que vous attendez avec impatience. J'aime mieux, dites-vous, ne pas redouter la foudre, que de la connaître. Réservez pour d'autres l'indication de ses causes: je veux moins être instruit de sa nature, que délivré de la crainte de ses effets. Je vous suivrai sur ce terrain : car à toutes nos actions, à tous nos discours, il faut mêler quelque chose d'utile. En sondant les mystères de la nature, en discutant sur l'essence divine, il faut affranchir l'âme de ses faiblesses, et ensuite l'affermir. C'est une chose nécessaire aux savants eux-mêmes dont l'unique but est l'étude ; non pas pour éviter les coups du sort, car de toutes parts les traits pleuvent sur nous, mais pour les soutenir avec courage et constance. Nous pouvons bien n'être pas vaincus, mais nous ne pouvons nous flatter de n'être pas ébranlés, et pourtant j'ai parfois l'espoir que nous le pourrions. Quel est ce moyen? Méprisez la mort; et vous mépriserez tout ce, qui mène à la mort, guerres, naufrages, morsures des bêtes féroces, chute subite des édifices qui s'écroulent. Que peuvent faire de plus ces événements, que de séparer l'âme du corps ? Eh bien! cette séparation, nul soin ne peut l'empêcher, nulle félicité ne peut en dispenser, nulle puissance la rendre impossible. Le sort dispose à son gré de tous les autres événements; la mort appelle également tous les hommes. Que les dieux soient irrités ou propices, il n'en faut pas moins mourir. Que le désespoir donc nous inspire du courage. Les animaux les plus lâches, que la nature a créés pour la fuite, quand toute issue, leur est fermée, veulent tenter le combat malgré leur faiblesse. Il n'est point d'ennemi plus redoutable que celui dont l'audace est excitée par le désespoir; la nécessité provoque toujours des efforts plus irrésistibles que le courage seul. Un grand coeur, lorsque tout est perdu, se surpasse ou dit moins reste l'égal de lui-même. Regardons-nous donc comme désespérés, relativement à la mort; eh! rie le sommes-nous pas? Oui, Lucilius, nous sommes tous réservés à la mort. Tout ce peuple qui circule sous vos yeux, que dis-je? tout ce que vous imaginez d'hommes vivants sur le globe, la nature ne tardera pas à les rappeler et à leur ouvrir un tombeau; le jour seul est incertain, le fait ne l'est pas: tôt ou tard il faut arriver à ce terme commun. Eh quoi! ne serait-ce pas à vos yeux le comble de la pusillanimité et de la démence, que de solliciter avec instance un moment de répit ! Ne mépriseriez-vous pas celui qui, placé parmi des malheureux destinés à périr, demanderait, comme une grâce, de tendre la gorge le dernier? Cependant, n'est-ce pas ce que nous faisons? Nous attachons un grand prix à mourir un instant plus tard. Le supplice de la mort a été décerné contre tous les hommes: arrêt fatal, mais juste; car, et telle est la consolation des malheureux qui vont le subir, ceux dont la cause est la même ont le même sort. Livrés au bourreau par le juge ou le magistrat, nous le suivrions d'un pas ferme, nous tendrions le cou au glaive; et qu'importe que nous allions à la mort de force ou de gré? Insensés, vous avez donc oublié la fragilité de la vie, puisque vous ne craignez la mort qu'alors qu'il tonne? C'est donc de la foudre que dépend votre vie? Vous êtes donc sûrs de vivre, si vous lui échappez? Mais le fer, mais la pierre, mais la fièvre, viendront vous attaquer. La foudre n'est pas le plus grand des dangers, c'est le plus éclatant. Quel malheur pour vous, si l'incalculable célérité de cette mort vous en dérobe le sentiment ; si votre trépas est expié; si, même en expirant, vous n'êtes pas inutile au monde, mais lui donnez le présage de quelque grand événement ! Quel malheur pour vous d'être enseveli avec la foudre ! Mais vous tremblez au fracas du ciel; un vain nuage vous fait pâlir; à l'aspect d'un éclair, vous mourez d'effroi ! Qu'est-ce donc? est-il plus beau de mourir de peur que d'un coup de fondre? Armez-vous plutôt de courage contre les menaces du ciel ; et quand le monde sera embrasé de toutes parts, songez qu'aucun atome de cette masse immense ne sera perdu pour vous. Si vous croyez que c'est pour vous que le ciel se confond, que les tempêtes mugissent, que les nuages amoncelés s'entre-choquent et retentissent; si vous pensez que ces feux puissants ne jaillissent et n'éclatent que pour vous faire périr, alors consolez-vous en pensant que votre mort mérite tout ce fracas. Mais cette pensée même sera impossible: de tels coups font grâce de la crainte. Entre autres avantages, la foudre a celui de prévenir votre attente. Son explosion ne se fait craindre qu'après qu'on y a échappé.